Language of document : ECLI:EU:T:2004:189

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

22 juin 2004 (*)

« Marque communautaire – Règlement (CE) nº 40/94 – Opposition – Risque de confusion – Demande de marque communautaire verbale PICARO – Marque verbale antérieure PICASSO »

Dans l'affaire T-185/02,

Claude Ruiz-Picasso, demeurant à Paris (France),

Paloma Ruiz-Picasso, demeurant à Londres (Royaume-Uni),

Maya Widmaier-Picasso, demeurant à Paris,

Marina Ruiz-Picasso, demeurant à Genève (Suisse),

Bernard Ruiz-Picasso, demeurant à Paris,

représentés par Me C. Gielen, avocat,

parties requérantes,

contre

Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles)(OHMI), représenté par MM. G. Schneider et U. Pfleghar, en qualité d'agents,

partie défenderesse,

l'autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’  OHMI, intervenant devant le Tribunal, étant,

DaimlerChrysler AG, établie à Stuttgart (Allemagne), représentée par Me S. Völker, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la troisième chambre de recours de l'OHMI du 18 mars 2002 (affaire R 0247/2001-3), relative à une procédure d'opposition entre « succession Picasso » et DaimlerChrysler AG,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood, président, J. Pirrung et A. W. H. Meij, juges,

greffier : Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 11 novembre 2003,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1       Le 11 septembre 1998, l’intervenante a présenté à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) une demande de marque communautaire, rédigée en allemand, en vertu du règlement (CE) nº 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié.

2       La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal PICARO.

3       Les produits et services pour lesquels l’enregistrement de la marque a été demandé relèvent de la classe 12 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Automobiles et leurs pièces, omnibus ».

4       Le 25 mai 1999, la demande de marque a été publiée dans le Bulletin des marques communautaires.

5       Le 19 août 1999, la succession Picasso, indivision successorale au sens des articles 815 et suivants du code civil français, les indivisaires étant les requérants, a formé une opposition en vertu de l’article 42, paragraphe 1, du règlement nº 40/94, dirigée à l’encontre de l’enregistrement de la marque demandée pour toutes les catégories de produits visées par la demande de marque. Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était le risque de confusion visé par l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94. L’opposition était fondée sur l’existence de la marque communautaire nº 614 867, dont la succession Picasso est titulaire (ci-après la « marque antérieure »). La marque antérieure, à savoir le signe verbal PICASSO, a été déposée le 1er août 1997 et enregistrée le 26 avril 1999 pour des produits qui relèvent de la classe 12 au sens de l’arrangement de Nice et qui correspondent à la description suivante : « Véhicules ; appareils de locomotion par terre, par air ou par eau, voitures, autobus, camions, camionnettes, caravanes, remorques ».

6       Par décision du 11 janvier 2001, la division d’opposition a rejeté l’opposition au motif qu’il n’existait pas de risque de confusion entre les marques en cause.

7       Le 7 mars 2001, la succession Picasso a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre de l’article 59 du règlement nº 40/94, visant à faire annuler la décision de la division d’opposition et à ce que soit rejetée la demande de marque.

8       Par décision du 18 mars 2002, notifiée à la requérante le 17 avril 2002 (affaire R 247/2001-3, ci-après la « décision attaquée »), la troisième chambre de recours de l’OHMI a rejeté le recours. En substance, la chambre de recours a considéré que, compte tenu du degré d’attention élevé du public pertinent, les marques en cause n’étaient similaires ni sur le plan phonétique ni sur le plan visuel. En outre, elle a estimé que l’impact conceptuel de la marque antérieure était de nature à neutraliser toute similitude phonétique et/ou visuelle entre les marques en cause.

 Procédure et conclusions des parties

9       Par requête rédigée en anglais et déposée au greffe du Tribunal le 13 juin 2002, les requérants, agissant sous la dénomination « succession Picasso », ont introduit le présent recours.

10     L’intervenante s’étant opposée, dans le délai fixé à cet effet par le greffe du Tribunal, à ce que l’anglais devienne la langue de procédure, l’allemand, en tant que langue dans laquelle la demande de marque communautaire avait été rédigée, a été retenu comme langue de procédure, conformément à l’article 131, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement de procédure du Tribunal.

11     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé des questions aux requérants et à l’OHMI, qui y ont répondu dans le délai imparti à cet effet.

12     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 11 novembre 2003.

13     Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler la décision attaquée ;

–       faire droit à l’opposition et rejeter la demande de marque ;

–       condamner l’intervenante aux dépens.

14     L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours ;

–       condamner les requérants aux dépens.

15     L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours ;

–       condamner les requérants aux dépens.

 Sur la recevabilité du recours

 Arguments des parties

16     L’intervenante fait valoir que le recours est irrecevable, la succession Picasso n’étant ni une personne physique ni une personne morale. La requête n’indiquerait pas le type de personne morale dont relèverait cette entité et celle-ci n’aurait joint à la requête aucune preuve de son existence juridique, contrairement à ce qu’exigerait l’article 44, paragraphe 5, du règlement de procédure.

17     En réponse aux questions écrites du Tribunal, les requérants ont indiqué qu’une indivision au sens des articles 815 et suivants du code civil français, bien que ne disposant pas de la personnalité juridique, est une entité indépendante de ses membres qui peut être créancière ou débitrice et a le droit d’ester en justice. À titre subsidiaire, les requérants ont déclaré qu’il convenait de considérer que le recours était introduit au nom des cinq indivisaires. Ont en outre été produites des déclarations conférant à M. Claude Ruiz-Picasso le pouvoir d’accomplir, au nom des quatre autres héritiers, tous les actes destinés à sauvegarder leurs droits en ce qui concerne l’œuvre et le nom de Pablo Picasso.

18     L’OHMI a exposé que la succession Picasso était enregistrée, au registre des marques communautaires, en tant que titulaire de la marque antérieure et que, de ce fait, elle avait la capacité d’être partie à la procédure d’opposition en vertu des dispositions combinées de l’article 8, paragraphe 2, sous a), ii), et de l’article 42, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 40/94.

 Appréciation du Tribunal

19     Pour démontrer la capacité d’ester en justice de la succession Picasso en tant qu’entité indépendante de ses membres, les requérants se sont référés aux seules dispositions des l’articles 815 et suivants du code civil français. Ayant été invité par le Tribunal à compléter leurs indications à ce sujet et à fournir, conformément à l’article 44, paragraphe 5, du règlement de procédure, la preuve de l’existence juridique de cette entité, ils se sont bornés à faire à nouveau référence aux articles 815 et suivants du code civil français. Au lieu de produire des éléments supplémentaires susceptibles d’attester, pour satisfaire aux exigences de l’article 44, paragraphe 5, du règlement de procédure, l’autonomie et la responsabilité, même limitée, de la succession Picasso, et de fournir la preuve que le mandat de leur avocat avait été régulièrement établi par un représentant de cette entité, qualifié à cet effet, les indivisaires ont fourni, à titre subsidiaire, leur adresse, les pouvoirs que quatre d’entre eux ont conférés à Claude Ruiz-Picasso, ainsi que le mandat établi par ce dernier.

20     Dans ces conditions, le fait que la succession Picasso a été enregistrée comme titulaire de la marque antérieure et qu’elle a participé, à ce titre, à la procédure d’opposition et à la procédure devant la chambre de recours ne suffit pas pour considérer que la requête introduite en son nom est conforme aux exigences de l’article 44 du règlement de procédure.

21     Contrairement à ce que soutient l’intervenante, cela ne signifie pas que le recours est irrecevable. En effet, les termes « succession Picasso » désignent collectivement les cinq indivisaires qui, en tant que personnes physiques, ne sont pas soumis aux obligations figurant à l’article 44, paragraphe 5, du règlement de procédure. Il y a donc lieu de considérer que le recours a été introduit par les cinq indivisaires.

22     Le fait que les indivisaires aient choisi d’introduire le présent recours en utilisant la désignation collective « succession Picasso » n’affecte pas la recevabilité de celui-ci. En effet, l’identité des personnes agissant sous cette désignation collective ne fait l’objet d’aucun doute. De plus, dans les circonstances de la présente affaire, aucun intérêt légitime des autres parties au litige ne s’oppose à ce que le Tribunal rectifie d’office la désignation de la partie requérante aux fins du présent arrêt.

 Sur le fond

23     Les requérants soulèvent deux moyens à l’appui de leur recours, tirés, d’une part, d’une violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94 et, d’autre part, du non-respect des principes procéduraux consacrés à l’article 74, paragraphe 1, in fine, du règlement nº 40/94, en ce que la chambre de recours serait sortie des limites du litige entre les parties à la procédure d’opposition. Il y a lieu d’examiner d’abord le second moyen.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de principes procéduraux, en ce que la chambre de recours serait sortie des limites du litige entre les parties à la procédure d’opposition

 Arguments des parties

24     Les requérants font valoir que la présomption relative au degré élevé d’attention du public pertinent, énoncée au point 15 de la décision attaquée, ainsi que les suppositions concernant l’impact de la marque antérieure sur le marché et la perception de cette marque par le public pertinent, figurant aux points 19 à 21 de cette décision, ne reposent sur aucun élément présenté par les parties à la procédure d’opposition. Selon les requérants, la chambre de recours n’était pas en droit de fonder sa décision sur des présomptions et suppositions n’ayant pas été invoquées par les parties.

25     L’OHMI rétorque que la chambre de recours n’a pas violé l’article 74, paragraphe 1, in fine, du règlement nº 40/94 en fondant sa décision sur des faits qu’elle aurait d’office introduits dans la procédure. En revanche, selon l’OHMI, la chambre de recours a procédé, de manière pertinente, à une appréciation juridique de faits notoires sur lesquels la division d’opposition avait déjà fondé sa décision.

26     L’intervenante considère que l’OHMI est en droit de fonder ses décisions sur des faits notoires, même si ceux-ci n’ont pas été invoqués par une partie à la procédure. Selon elle, sont notoires le fait que les voitures sont des produits commercialisés à des prix élevés ainsi que le fait que, lors de l’achat d’une voiture, un nombre particulièrement élevé de facteurs influent sur la décision du consommateur.

 Appréciation du Tribunal

27     Aux termes de l’article 74 du règlement nº 40/94, « dans une procédure concernant des motifs relatifs de refus d’enregistrement, l’examen [de l’OHMI] est limité aux moyens invoqués et aux demandes présentées par les parties ».

28     Cette disposition limite l’examen opéré par l’OHMI dans une double mesure. Elle vise, d’une part, la base factuelle des décisions de l’OHMI, à savoir les faits et preuves sur lesquels celles-ci peuvent être valablement fondées [voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 13 juin 2002, Chef Revival USA/OHMI – Massagué Marín (Chef), T‑232/00, Rec. p. II‑2749, point 45], et, d’autre part, la base juridique de ces décisions, à savoir les dispositions que l’instance saisie est tenue d’appliquer. Ainsi, la chambre de recours, en statuant sur un recours contre une décision mettant fin à une procédure d’opposition, ne saurait fonder sa décision que sur les motifs relatifs de refus que la partie concernée a invoqués ainsi que sur les faits et preuves y afférents présentés par cette partie [arrêt du Tribunal du 23 septembre 2003, Henkel/OHMI – LHS (UK) (KLEENCARE), T‑308/01, non encore publié au Recueil, point 32].

29     Toutefois, la limitation de la base factuelle de l’examen opéré par la chambre de recours n’exclut pas que celle-ci prenne en considération, outre les faits avancés explicitement par les parties à la procédure d’opposition, des faits notoires, c’est-à-dire des faits qui sont susceptibles d’être connus par toute personne ou qui peuvent être connus par des sources généralement accessibles.

30     En effet, il convient de tenir compte, tout d’abord, de ce que la règle de droit énoncée à l’article 74, paragraphe 1, in fine, du règlement nº 40/94 constitue une exception par rapport au principe de l’examen d’office des faits, consacré in limine par la même disposition. Dès lors, cette exception doit faire l’objet d’une interprétation stricte qui définisse sa portée de manière à ne pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre sa finalité.

31     Or, s’agissant de la règle de droit énoncée à l’article 74, paragraphe 1, in fine, du règlement nº 40/94, la ratio legis est de décharger l’administration de la tâche de procéder elle-même à l’instruction des faits dans le cadre des procédures inter partes. Cet objectif n’est pas compromis lorsque l’OHMI prend en compte des faits notoires.

32     En revanche, l’article 74, paragraphe 1, in fine, du règlement nº 40/94 ne saurait avoir pour but de contraindre la division d’opposition ou la chambre de recours à adopter sciemment une décision sur la base d’hypothèses factuelles manifestement incomplètes ou contraires à la réalité. Il ne vise pas non plus à exiger que les parties à une procédure d’opposition présentent devant l’OHMI l’ensemble des faits notoires susceptibles d’être éventuellement pertinents au regard de la décision à intervenir. En effet, l’interprétation de cette disposition selon laquelle la prise en considération d’office de faits notoires serait exclue inciterait les parties à insérer dans leurs écrits, par précaution, un exposé détaillé de faits généralement connus et risquerait ainsi d’alourdir considérablement la procédure d’opposition.

33     Il convient d’examiner, à la lumière des considérations qui précèdent, si la chambre de recours est sortie des limites du litige entre les parties en tenant compte des différents éléments visés par le présent moyen.

34     En premier lieu, les requérants critiquent le point 15 de la décision attaquée, qui relève que le degré d’attention du consommateur moyen est susceptible de varier en fonction de la catégorie des produits en question et qu’il « est permis de supposer que, dans le cas d’espèce, le consommateur concerné apportera une attention particulière à l’achat de ces produits » (à savoir les automobiles et leurs pièces ainsi que les omnibus). En deuxième lieu, les requérants reprochent à la chambre de recours d’avoir pris en considération, au point 19 de la décision attaquée, l’impact conceptuel du nom « Picasso » sur le marché concerné et d’avoir affirmé « qu’il [était] permis de supposer que la majorité des consommateurs européens associer[aie]nt le terme ‘PICASSO’ au peintre du XXe siècle le plus célèbre dans le monde entier : Pablo Picasso ». En troisième lieu, les requérants sont d’avis que la chambre de recours ne pouvait se fonder sur les affirmations figurant aux points 20 et 21 de la décision attaquée, selon lesquelles « le caractère distinctif inhérent au signe PICASSO est si élevé que toute différence perceptible peut suffire à exclure tout risque de confusion dans l’esprit des consommateurs concernés » et que « le consommateur concerné, confronté au nom PICASSO et à la marque qu’il incarne, n’établira jamais d’association entre la marque PICARO et l’artiste espagnol visé dans la marque PICASSO ».

35     Dans les passages de la décision attaquée reproduits ci-dessus, la chambre de recours n’a pas introduit de nouveaux faits, notoires ou non, mais elle a précisé et appliqué le critère pertinent, selon une jurisprudence constante, pour évaluer l’existence d’un risque de confusion entre les marques concernées, à savoir la perception présumée, par un consommateur moyen raisonnablement attentif et avisé, de la catégorie des produits ou services en cause (arrêts de la Cour du 11 novembre 1997, SABEL, C‑251/95, Rec. p. I‑6191, point 23 ; du 16 juillet 1998, Gut Springenheide et Tusky, C‑210/96, Rec. p. I‑4657, point 31, et du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C‑342/97, Rec. p. I‑3819, points 25 et 26). Il s’agit donc d’un élément essentiel du raisonnement de la chambre de recours. Or, les requérants ne sauraient prétendre que la chambre de recours est sortie, en utilisant ce critère indispensable à son appréciation du risque de confusion, des limites du litige entre les parties.

36     Au sujet du deuxième des éléments susmentionnés, il y a lieu d’ajouter que la succession Picasso elle-même a indiqué, à la page 3 du mémoire exposant les motifs de son recours devant la chambre de recours de l’OHMI, ce qui suit :

« L’[OHMI] relève, tout d’abord, que les consommateurs européens reconnaîtront que Picasso est un peintre espagnol célèbre. La requérante partage ce point de vue. » (« The Office firstly notes that PICASSO will be recognized by the European consumers as a famous Spanish painter. The Appellant shares this point of view. »)

37     Dans ces conditions, les requérants ne sauraient reprocher à la chambre de recours d’avoir pris en considération dans la décision attaquée cette perception présumée du public, explicitement confirmée par la succession Picasso dans son mémoire précité. Sous cet aspect, le moyen manque donc également en fait.

38     Il s’ensuit que le second moyen n’est pas fondé.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94

 Arguments des parties

39     Les requérants avancent six arguments à l’appui de ce moyen.

40     En premier lieu, les requérants critiquent la chambre de recours pour avoir fondé sa décision sur la présomption selon laquelle, lors de l’achat de véhicules automobiles et des pièces s’y rapportant, le consommateur moyen est particulièrement diligent et attentif. Ils exposent que cette présomption ne vise que le moment de l’achat, alors que, confrontés aux produits concernés assortis des marques en cause dans d’autres situations que celle de la vente, par exemple en apercevant lesdits véhicules sur la route, même des consommateurs attentifs pourraient être amenés à croire que ces produits sont d’une certaine manière les mêmes, ou que des liens économiques ou autres existent entre leurs origines commerciales. La chambre de recours aurait ainsi omis de tenir compte de la théorie dite « de la confusion après-vente », alors que celle-ci serait généralement reconnue en droit des marques, notamment par l’arrêt de la Cour du 12 novembre 2002, Arsenal Football Club (C‑206/01, Rec. p. I‑10273). Les requérants soulignent dans ce contexte que la notion de risque de confusion inclut le risque d’une confusion indirecte. En outre, ils reprochent à la chambre de recours de ne pas avoir indiqué les raisons sur lesquelles elle a fondé sa présomption quant au caractère particulièrement diligent et attentif du public pertinent.

41     En deuxième lieu, les requérants exposent que les marques en cause sont similaires sur les plans visuel et phonétique. Ils font observer que la similitude visuelle, phonétique et conceptuelle entre deux marques doit être appréciée sur la base d’une comparaison de celles-ci, sans tenir compte de la composition du public pertinent, ce dernier facteur n’entrant en ligne de compte que lors de l’appréciation globale du risque de confusion.

42     En troisième lieu, les requérants contestent la thèse selon laquelle l’impact conceptuel du nom « Picasso » l’emporterait sur la similitude phonétique et visuelle entre les marques en cause. Ils précisent que le signe verbal PICASSO n’a aucune signification par rapport aux produits concernés, à savoir les automobiles. Ils sont d’avis que la chambre de recours aurait dû examiner le risque de confusion uniquement au regard de ces produits et qu’il n’est pas pertinent de tenir compte des significations que le signe peut avoir en dehors du contexte des automobiles. À l’audience, ils ont ajouté que l’approche selon laquelle le sens du terme « Picasso » est appréhendé en tant que tel et toujours compris comme se référant au peintre, et non aux voitures, pourrait avoir comme conséquence de nier la capacité de cette marque à permettre de distinguer ces produits, alors qu’elle a bien été enregistrée par l’OHMI. De plus, cette approche limiterait la protection de la marque PICASSO en ce sens qu’elle ne pourrait être invoquée que vis-à-vis de signes strictement identiques, puisque le contenu sémantique du terme neutraliserait toujours les similitudes visuelles et phonétiques que ce signe verbal pourrait présenter avec des signes légèrement différents.

43     En outre, les requérants affirment que le fait que deux marques soient similaires au regard d’un seul des critères pertinents, tels que les critères visuel ou phonétique, peut suffire pour établir l’existence d’un risque de confusion.

44     En quatrième lieu, les requérants font valoir que la décision attaquée méconnaît la règle selon laquelle l’existence d’un risque de confusion doit être retenue d’autant plus facilement que la marque antérieure est distinctive. Ils soutiennent que le signe verbal PICASSO a un caractère distinctif intrinsèque élevé, le fait que ce signe constitue également le nom d’un peintre célèbre n’étant selon eux pas pertinent à cet égard.

45     En cinquième lieu, les requérants considèrent que, au point 21 de la décision attaquée, la chambre de recours s’est, à tort, interrogée uniquement sur le point de savoir si le public pertinent, confronté à la marque antérieure, serait amené à penser à la marque demandée. Selon les requérants, il aurait été nécessaire, inversement, d’examiner si, confronté à la marque demandée, ce public était susceptible d’établir un lien avec la marque antérieure. Or, les requérants soutiennent que tel est le cas en l’espèce, compte tenu de la similitude entre les marques en cause.

46     En sixième et dernier lieu, les requérants font valoir que la chambre de recours n’a pas bien compris l’argument selon lequel l’intervenante avait l’intention de tirer avantage de la marque antérieure et de créer délibérément une confusion entre les marques en cause. Ils reconnaissent que l’opposition est fondée sur l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94 et non sur le paragraphe 5 de ce même article, mais précisent que cet argument relève du contexte dans lequel la succession Picasso avait fait valoir, durant la procédure de recours, la circonstance selon laquelle l’intervenante, lors du dépôt de la demande de marque, avait connaissance de ce que des produits seraient lancés sous la marque antérieure.

47     L’OHMI et l’intervenante estiment que le moyen n’est pas fondé, l’écart existant entre les marques en cause étant suffisant pour exclure un risque de confusion entre elles.

 Appréciation du Tribunal

48     Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94, sur opposition du titulaire d’une marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement lorsque, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire dans lequel la marque antérieure est protégée.

49     Selon une jurisprudence constante, constitue un risque de confusion le risque que le public puisse croire que les produits ou les services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises liées économiquement.

50     Selon cette même jurisprudence, le risque de confusion doit être apprécié globalement, selon la perception que le public pertinent a des signes et des produits ou services en cause, et en tenant compte de tous les facteurs pertinents en l’espèce, notamment de l’interdépendance entre la similitude des signes et celle des produits ou services désignés [voir arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Laboratorios RTB/OHMI – Giorgio Beverly Hills (GIORGIO BEVERLY HILLS), T-162/01, non encore publié au Recueil, points 31 à 33, et la jurisprudence citée].

51     En l’espèce, la marque antérieure, au sens de l’article 8, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 40/94, est une marque communautaire. Partant, il convient de tenir compte, aux fins de l’appréciation des conditions visées au point précédent, du point de vue du public dans toute la Communauté. Étant donné la nature des produits désignés par la marque antérieure, le public pertinent est composé des consommateurs finaux.

52     Il est constant que les produits visés par la demande de marque et ceux désignés par la marque antérieure sont en partie identiques et en partie similaires.

53     Il convient donc d’examiner si le degré de similitude entre les signes en cause est suffisamment élevé pour pouvoir considérer qu’il existe un risque de confusion entre les marques. Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, l’appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle des signes en conflit, être fondée sur l’impression d’ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants [arrêt du Tribunal du 14 octobre 2003, Phillips‑Van Heusen/OHMI – Pash Textilvertrieb und Einzelhandel (BASS), T‑292/01, non encore publié au Recueil, point 47, et la jurisprudence citée]. À cet égard, il y a lieu de rejeter l’argument des requérants selon lequel la similitude entre deux signes doit être appréciée sans tenir compte de la composition du public pertinent, ce dernier aspect n’entrant en ligne de compte que lors de l’appréciation globale du risque de confusion. En effet, l’analyse de la similitude entre les signes en cause constitue un élément essentiel de l’appréciation globale du risque de confusion. Elle doit donc être opérée, à l’instar de cette dernière, par rapport à la perception du public pertinent.

54     En ce qui concerne la similitude visuelle et phonétique, les requérants ont relevé avec pertinence que les signes en cause sont composés chacun de trois syllabes, qu’ils contiennent les mêmes voyelles situées à des places analogues et dans le même ordre et que, à l’exception, respectivement, des lettres « ss » et « r », ils contiennent également les mêmes consonnes qui, de plus, se trouvent à des places analogues. Enfin, le fait que les deux premières syllabes ainsi que la dernière lettre sont identiques revêt une importance particulière. En revanche, la prononciation de la double consonne « ss » se distingue très nettement de celle de la consonne « r ». Il s’ensuit que les deux signes sont similaires sur les plans visuel et phonétique, mais que le degré de similitude sur ce dernier plan est faible.

55     Sur le plan conceptuel, le signe verbal PICASSO est particulièrement bien connu, par le public pertinent, comme étant le nom du peintre célèbre Pablo Picasso. Le signe verbal PICARO peut être compris, par des personnes hispanophones, comme désignant, notamment, un personnage de la littérature espagnole, alors qu’il est dépourvu de contenu sémantique pour la fraction (majoritaire) non hispanophone du public pertinent. Les signes ne sont ainsi pas similaires sur le plan conceptuel.

56     De pareilles différences conceptuelles peuvent neutraliser, dans certaines circonstances, les similitudes visuelles et phonétiques entre les signes concernés. Une telle neutralisation requiert qu’au moins l’un des signes en cause ait, dans la perspective du public pertinent, une signification claire et déterminée, de sorte que ce public est susceptible de la saisir immédiatement (arrêt BASS, point 52 supra, point 54).

57     Le signe verbal PICASSO est doté, pour le public pertinent, d’un contenu sémantique clair et déterminé. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, la pertinence de la signification du signe aux fins de l’appréciation du risque de confusion n’est pas affectée, en l’espèce, par le fait que cette signification n’a pas de rapport avec les produits concernés. En effet, la réputation du peintre Pablo Picasso est telle qu’il n’est pas plausible de considérer, en l’absence d’indices concrets en sens contraire, que le signe PICASSO, en tant que marque pour des véhicules, puisse se superposer, dans la perception du consommateur moyen, au nom du peintre de manière à ce que ce consommateur, confronté au signe PICASSO dans le contexte des produits concernés, fasse dorénavant abstraction de la signification du signe en tant que nom du peintre et le perçoive principalement comme une marque, parmi d’autres, de véhicules.

58     Il s’ensuit que les différences conceptuelles séparant les signes en cause sont de nature, en l’espèce, à neutraliser les similitudes visuelles et phonétiques relevées au point 54 ci-dessus.

59     Dans le cadre de l’appréciation globale du risque de confusion, il y a lieu de tenir compte, en outre, du fait que, au vu de la nature des produits concernés et, notamment, de leur prix et de leur fort caractère technologique, le degré d’attention du public pertinent, lors de l’achat, est particulièrement élevé. La possibilité, invoquée par les requérants, que des personnes membres du public pertinent puissent également percevoir les produits concernés dans des situations dans lesquelles elles n’y prêtent pas une telle attention ne s’oppose pas à la prise en considération de ce degré d’attention. En effet, le refus d’enregistrement d’une marque en raison d’un risque de confusion avec une marque antérieure est justifié au motif qu’une telle confusion est susceptible d’influencer indûment les consommateurs concernés lorsqu’ils exercent un choix au regard des produits ou services visés. Il s’ensuit qu’il y a lieu de tenir compte, aux fins de l’appréciation du risque de confusion, du niveau d’attention du consommateur moyen au moment où il prépare et exerce son choix entre différents produits ou services relevant de la catégorie pour laquelle la marque est enregistrée.

60     Il y a lieu d’ajouter que la question du degré d’attention du public concerné à prendre en considération pour évaluer le risque de confusion est différente de celle portant sur le point de savoir si des circonstances postérieures à la situation d’achat peuvent être pertinentes pour évaluer s’il y a violation d’un droit de marque, comme cela a été reconnu, s’agissant de l’utilisation d’un signe identique à la marque, dans l’arrêt Arsenal Football Club (point 40 supra), invoqué par les requérants.

61     En outre, c’est à tort que les requérants invoquent, en l’espèce, la jurisprudence selon laquelle les marques qui ont un caractère distinctif élevé, soit intrinsèquement, soit en raison de la connaissance de celles-ci sur le marché, jouissent d’une protection plus étendue que celles dont le caractère distinctif est moindre (arrêt SABEL, point35 supra, point 24, et arrêt de la Cour du 29 septembre 1998, Canon, C‑39/97, Rec. p. I‑5507, point 18). En effet, la notoriété du signe verbal PICASSO comme correspondant au nom du peintre célèbre Pablo Picasso n’est pas de nature à renforcer le risque de confusion entre les deux marques pour les produits concernés.

62     Au vu de tous ces éléments, le degré de similitude entre les marques en cause n’est pas suffisamment élevé pour pouvoir considérer que le public pertinent puisse croire que les produits en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises liées économiquement. Dès lors, la chambre de recours a considéré à juste titre qu’il n’existait pas de risque de confusion entre elles.

63     Concernant, enfin, l’argument avancé dans le mémoire exposant les motifs du recours devant l’OHMI, selon lequel le choix de la marque demandée par l’intervenante ne pouvait servir qu’à tirer indûment parti, de manière frauduleuse, du succès commercial de la marque antérieure, la chambre de recours a considéré à juste titre que cet argument n’aurait été pertinent que dans le cadre de l’article 8, paragraphe 5, du règlement nº 40/94, sur lequel l’opposition n’était pas fondée.

64     Dès lors, il convient de rejeter également le premier moyen.

65     Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

66     Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens exposés par l’OHMI et par l’intervenante, conformément aux conclusions de ceux-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Les requérants sont condamnés aux dépens.

Forwood

Pirrung

Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 juin 2004.

Le greffier

 

       Le président

H. Jung

 

       J. Pirrung


* Langue de procédure : l'allemand.