Language of document : ECLI:EU:T:2006:253

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

13 septembre 2006 (*)

« Aides d’État – Taxe environnementale sur les granulats au Royaume-Uni – Décision de la Commission de ne pas soulever d’objections – Recours en annulation – Recevabilité – Personne individuellement concernée – Caractère sélectif – Obligation de motivation – Examen diligent et impartial »

Dans l’affaire T‑210/02,

British Aggregates Association, établie à Lanark (Royaume-Uni), représentée par M. C. Pouncey, solicitor, et Me L. Van Den Hende, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Flett et Mme S. Meany, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté initialement par Mme P. Ormond, puis par Mmes T. Harris et R. Caudwell, en qualité d’agents, assistées initialement de Mmes J. Stratford et M. Hall, barristers, puis de Mme Hall,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision de la Commission C (2002) 1478 final, du 24 avril 2002, relative au dossier d’aide d’État N 863/01 – Royaume-Uni/Taxe sur les granulats,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de MM. J. Pirrung, président, A. W. H. Meij, N. J. Forwood, Mme I. Pelikánová et M. S. Papasavvas, juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 décembre 2005,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        British Aggregates Association est une association regroupant des petites entreprises indépendantes exploitant des carrières au Royaume-Uni. Elle compte 55 membres exploitant plus de 100 carrières.

2        Les granulats sont des matériaux granuleux, chimiquement inertes, employés dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Ils peuvent être utilisés tels quels, par exemple en tant que remblai ou ballast, ou mélangés à des liants tels que le ciment (ce qui permet d’obtenir du béton) ou le bitume. Certains matériaux naturellement granuleux tels que le sable et les graviers peuvent être obtenus par criblage. D’autres matériaux, tels que la roche dure, doivent être broyés avant le criblage. Les granulats employés pour différents usages doivent répondre aux spécifications correspondantes et les propriétés physiques du matériau d’origine déterminent s’il convient pour l’emploi envisagé. Ainsi, les spécifications en matière de remblayage sont moins contraignantes que celles pour les sous-couches de chaussées, qui elles-mêmes le sont moins que celles pour des surfaces à usage intensif comme les couches de roulement des chaussées ou les ballasts de voies ferrées. Une plus grande variété de matériaux peut être utilisée comme granulats pour les usages où les contraintes sont moindres tandis que les matériaux répondant aux contraintes plus élevées sont moins nombreux.

 Finance Act 2001

3        Les articles 16 à 49 de la deuxième partie du Finance Act 2001 (loi de finances pour l’année 2001, ci‑après la « loi ») et ses annexes 4 à 10 instituent une Aggregates Levy (taxe sur les granulats, ci-après l’« AGL » ou la « taxe ») au Royaume- Uni.

4        Les dispositions prévoyant la mise en place de l’AGL sont entrées en vigueur le 1er avril 2002, en application du règlement d’exécution de la loi.

5        La loi a été modifiée par les articles 129 à 133 et l’annexe 38 du Finance Act 2002 (loi de finances pour l’année 2002). Les dispositions ainsi modifiées prévoient des exonérations en faveur des déchets (spoils) résultant de l’extraction de certains minerais, notamment l’ardoise, le schiste, le ball clay et le kaolin. Par ailleurs, elles ajoutent une période transitoire pour l’introduction de la taxe en Irlande du Nord.

6        L’AGL est appliquée à raison de 1,60 livre sterling (GBP) par tonne de granulats faisant l’objet d’une exploitation commerciale (article 16, paragraphe 4, de la loi).

7        L’article 16, paragraphe 2, de la loi telle que modifiée dispose que l’AGL est due dès qu’une quantité de granulats assujettis fait l’objet d’une exploitation commerciale au Royaume-Uni à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi. Elle concerne donc tout autant les granulats importés que ceux extraits au Royaume-Uni.

8        L’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement d’exécution permet à l’exploitant de bénéficier d’un dégrèvement fiscal lorsque les granulats assujettis sont exportés ou transportés hors du Royaume-Uni sans recevoir d’autre traitement.

9        L’article 17, paragraphe 1, de la loi telle que modifiée dispose :

« Dans la présente partie, ‘granulats’ désigne (sous réserve de l’article 18 ci-dessous) la roche, le gravier ou le sable, ainsi que tous les matériaux qui y sont provisoirement incorporés ou naturellement mélangés. »

10      L’article 17, paragraphe 2, de la loi prévoit qu’un granulat n’est pas taxable dans quatre hypothèses : s’il est expressément exonéré ; s’il a été précédemment utilisé à des fins de construction ; s’il a déjà été soumis à une taxe sur les granulats, ou si, à la date d’entrée en vigueur de la loi, il ne se trouve pas sur son site d’origine.

11      L’article 17, paragraphes 3 et 4, de la loi telle que modifiée prévoit certains cas d’exonération de la taxe.

12      Par ailleurs, l’article 18, paragraphes 1, 2 et 3, de la loi telle que modifiée désigne les procédés exemptés de taxe et les matériaux concernés par cette exemption.

 Procédure administrative et contentieux devant le juge national

13      Par lettre du 24 septembre 2001, la Commission a reçu une plainte (ci-après la « première plainte »), émanant de deux entreprises n’ayant aucun lien avec la requérante et demandant que leur identité ne soit pas révélée à l’État membre concerné, conformément à l’article 6, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88] du traité CE (JO L 83, p. 1). Les plaignantes estimaient en substance que constituaient des aides d’État l’exclusion de certains matériaux du champ d’application de l’AGL, l’exonération des exportations et les dérogations concernant l’Irlande du Nord.

14      Par lettre du 20 décembre 2001, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a notifié à la Commission le régime d’aide d’État intitulé « Introduction par phases de la taxe sur les granulats en Irlande du Nord ».

15      Par lettre du 6 février 2002, la Commission a communiqué une synthèse de la première plainte à cet État membre et l’a invité, d’une part, à présenter ses observations sur cette plainte et, d’autre part, à fournir des compléments d’information sur l’AGL, ce qu’il a fait par lettre du 19 février 2002.

16      Le 11 février 2002, la requérante a introduit un recours contre l’AGL devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la magistrature royale du siège, Royaume-Uni]. Elle invoquait notamment la violation des règles communautaires en matière d’aides d´État. Par jugement du 19 avril 2002, la High Court of Justice a rejeté le recours tout en autorisant la requérante à interjeter appel devant la Court of Appeal (England & Wales) [cour d’appel (Angleterre et pays de Galles), Royaume-Uni]. Celle-ci ayant effectivement interjeté appel, la Court of Appeal a ordonné la suspension de la procédure, eu égard à l’introduction du présent recours devant le Tribunal.

17      Par lettre du 15 avril 2002, la requérante avait entre-temps déposé une plainte auprès de la Commission à l’encontre de l’AGL (ci-après la « plainte de la requérante »). Elle faisait valoir, en substance, que l’exclusion de certains matériaux du champ d’application de l’AGL ainsi que l’exonération des exportations constituaient des aides d’État. Quant aux dérogations concernant l’Irlande du Nord, notifiées par les autorités du Royaume-Uni, elles seraient incompatibles avec le marché commun.

 Décision attaquée

18      Le 24 avril 2002, la Commission a adopté une décision de ne pas soulever d’objections à l’encontre de l’AGL (ci-après la « décision attaquée »).

19      Le 2 mai 2002, la décision attaquée a été communiquée à la requérante par les autorités du Royaume-Uni. Elle lui a été notifiée formellement par la Commission par lettre du 27 juin 2002.

20      Dans sa décision (considérant 43), la Commission considère que la taxe ne comporte pas d’élément d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, dans la mesure où son champ d’application se justifie par la logique et la nature du régime fiscal. Par ailleurs, elle estime que l’exonération accordée à l’Irlande du Nord, qui a été notifiée à la Commission, est compatible avec le marché commun.

21      Décrivant le champ d’application de l’AGL, la Commission souligne, en substance, que cette taxe sera prélevée sur les granulats vierges, « définis comme des granulats produits à partir de dépôts naturels de minerais faisant l’objet d’une première extraction », et composés « de fragments de roches, de sables et de graviers pouvant être utilisés à l’état brut ou après traitement mécanique tel que le concassage, le lavage et le calibrage » (considérants 8 et 9). Quant aux matériaux exclus et aux objectifs poursuivis, elle indique aux considérants 11 à 13 de la décision attaquée :

« L’AGL ne sera pas prélevée sur des matériaux qui sont des sous-produits ou des déchets d’autres procédés. Selon les autorités britanniques, figurent parmi ces matériaux les déchets de schiste et de kaolin, les stériles, les cendres, le mâchefer issu de hauts fourneaux, les déchets de verre et de caoutchouc. De même, elle ne frappera pas les granulats recyclés, catégorie dans laquelle rentrent les roches, sables et graviers ayant fait l’objet d’au moins une première utilisation (généralement dans le secteur du bâtiment et des travaux publics).

Selon les autorités britanniques, l’exclusion de tels matériaux du champ d’application de l’AGL vise à encourager leur emploi en tant que matériaux de construction et à réduire l’extraction excessive de granulats vierges, encourageant ainsi une gestion rationnelle des ressources.

Les projections initiales des autorités britanniques tablent sur l’hypothèse que l’AGL permettra de réduire le volume de la demande en granulats vierges de 20 millions de tonnes par an en moyenne, à rapporter à une demande annuelle au Royaume-Uni de l’ordre de 230 à 250 millions de tonnes. »

22      En ce qui concerne l’appréciation relative au champ d’application de l’AGL, la décision attaquée énonce aux considérants 29 et 31 :

« La Commission relève que l’AGL ne frappera que l’exploitation commerciale de roches, sables et graviers utilisés en tant que granulats. Elle ne frappera pas ces matériaux s’ils sont utilisés à d’autres fins. L’AGL ne sera perçue que sur les granulats vierges. Elle ne sera pas perçue sur les granulats extraits en tant que sous-produits ou déchets d’autres procédés (granulats secondaires) ni sur les granulats recyclés. En conséquence, la Commission estime que l’AGL ne concerne que certains secteurs d’activité et certaines entreprises. Elle note donc qu’il convient d’apprécier si le champ d’application de l’AGL se justifie par la logique et l’économie du système fiscal. 

[…] [L]e Royaume-Uni, dans le cadre de l’exercice de sa liberté de déterminer son régime fiscal national, a conçu l’AGL de manière à maximiser le recours à des granulats recyclés ou à d’autres produits de substitution par rapport aux granulats vierges et à promouvoir une utilisation rationnelle des granulats vierges, ressource naturelle non renouvelable. Les atteintes à l’environnement que représente l’extraction de granulats que le Royaume-Uni entend limiter par le biais de l’AGL comprennent les nuisances sonores, les poussières, les atteintes à la biodiversité et les dégradations visuelles. »

23      La Commission en déduit, au considérant 32, que « l’AGL est une taxe spécifique, dont le champ d’application est très limité, défini par l’État membre en fonction des caractéristiques propres du secteur d’activité concerné. » et que « [l]a structure et la portée de la taxe reflètent la nette distinction entre l’extraction de granulats vierges, qui entraîne des conséquences indésirables pour l’environnement, et la production de granulats secondaires ou recyclés qui représente une contribution importante au traitement des roches, graviers et sables résultant d’excavations, d’autres travaux ou de traitements effectués légalement dans des buts divers ».

24      S’agissant de l’exonération des granulats exportés sans avoir subi de transformation sur le territoire du Royaume-Uni, la décision attaquée énonce au considérant 33 :

« […] une telle solution se justifie par le fait que les granulats peuvent être exonérés au Royaume-Uni s’ils sont utilisés dans des processus de fabrication exonérés (p.ex. la fabrication du verre, de plastiques, de papier, de fertilisants et de pesticides). Étant donné que les autorités britanniques ne peuvent exercer de contrôle sur l’emploi des granulats en dehors de leur territoire, l’exonération des exportations s’impose pour la sécurité juridique des exportateurs de granulats et éviter un traitement inéquitable des exportations de granulats qui pourraient sinon bénéficier d’une exonération à l’intérieur du Royaume-Uni. »

25      La Commission conclut au considérant 34 :

« [I]l est dans la nature et l’économie générale d’une tel prélèvement qu’il ne soit pas applicable aux granulats secondaires, ni aux granulats recyclés. L’imposition d’un prélèvement sur l’extraction de granulats vierges contribuera à la diminution de l’extraction de granulats primaires, à celle de l’emploi de ressources non renouvelables et des conséquences dommageables pour l’environnement. La Commission est donc d’avis que les avantages qui peuvent naître au bénéfice de certaines entreprises en raison de la définition du champ d’application de l’AGL sont justifiés par la nature et l’économie générale du régime fiscal. »

 Procédure

26      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 juillet 2002, la requérante a introduit le présent recours.

27      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a demandé que l’affaire soit traitée selon la procédure accélérée prévue à l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal. Le 30 juillet 2002, le Tribunal a refusé de faire droit à cette demande.

28      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 29 octobre 2002, les autorités du Royaume-Uni ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la défenderesse. Par ordonnance du 28 novembre 2002, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis cette intervention. La partie intervenante a déposé son mémoire et les autres parties ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

29      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d’instruction préalables. Les parties ont répondu aux questions écrites du Tribunal et ont produit les documents demandés, dans les délais impartis.

30      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée le 13 décembre 2005.

 Conclusions des parties

31      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée, sauf en ce qu’elle examine l’exemption accordée pour l’Irlande du Nord ;

–        condamner la Commission aux dépens.

32      La Commission et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 Sur la recevabilité

 Arguments des parties

33      Sans soulever d’exception d’irrecevabilité formelle, la Commission conteste la recevabilité du recours. Elle soutient que la décision attaquée ne concerne pas individuellement la requérante, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

34      La Commission fait valoir qu’une décision, telle que la décision attaquée, approuvant un régime d’aide, constitue un acte normatif de portée générale. Selon le critère classique du lien individuel (arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677), la requérante ne serait donc pas individuellement concernée par la décision de ne pas soulever d’objections à l’issue de la procédure préliminaire d’examen instituée par l’article 88, paragraphe 3, CE.

35      En particulier, la requérante n’aurait pas démontré que l’un au moins de ses membres était individuellement concerné par la décision attaquée.

36      Dans son mémoire en défense, la Commission estime que lorsqu’elle décide, comme en l’espèce, de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen, il convient – pour établir l’existence d’un lien individuel – de démontrer que la situation concurrentielle d’un membre de la requérante est affectée par l’aide en cause. Elle se fonde sur les arrêts du Tribunal du 5 juin 1996, Kahn Scheepvaart/Commission (T‑398/94, Rec. p. II‑477, points 43 et 50); du 16 septembre 1998, Waterleiding Maatschappij/Commission (T‑188/95, Rec. p. II‑3713, points 60 à 65), et du 21 mars 2001, Hamburger Hafen- und Lagerhaus e.a./Commission (T‑69/96, Rec. p. II‑1037, point 41).

37      Dans la duplique, la Commission considère en définitive que le critère applicable, aux fins de l’appréciation du lien individuel, est celui de l’affectation substantielle de la position concurrentielle du requérant, dans le cas d’une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections tout comme dans celui d’une décision finale adoptée à l’issue de la procédure formelle d’examen (arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, COFAZ e.a./Commission, 169/84, Rec. p. 391).

38      La Commission fait valoir à cet égard que, dans ses arrêts Waterleiding Maatschappij/Commission, précité, et du 5 décembre 2002, Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum/Commission (T‑114/00, Rec. p. II‑5121), le Tribunal a commis une erreur en considérant que les arrêts de la Cour du 19 mai 1993, Cook/Commission (C‑198/91, Rec. p. I‑2487), et du 15 juin 1993, Matra/Commission (C‑225/91, Rec. p. I‑3203), avaient consacré un double critère, selon que la décision avait été adoptée à l’issue de la procédure préliminaire d’examen ou à l’issue de la procédure formelle d’examen. Invitée au cours de l’audience à prendre position sur la portée de l’arrêt de la Cour du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum (C‑78/03 P, Rec. p. I-10737), la Commission a estimé que cet arrêt, à la lumière des conclusions de l’avocat général M. Jacobs, confirmait le critère de l’affectation substantielle de la position concurrentielle du requérant par le régime d’aide considéré.

39      En l’espèce, la requérante n’aurait fourni, dans la requête, d’information précise sur aucun de ses membres, de sorte qu’il ne serait pas possible d’établir que l’un au moins d’entre eux a qualité pour agir.

40      La Commission ajoute que les nouveaux éléments de fait concernant quatre membres de la requérante, avancés uniquement au stade de la réplique, sont irrecevables.

41      En tout état de cause, ces nouveaux éléments de fait n’auraient pas permis de considérer que la situation concurrentielle des entreprises concernées était substantiellement affectée par la décision attaquée. La Commission allègue à cet égard que les chiffres indiqués par la requérante montrent que la part la plus importante de l’activité de deux des membres de la requérante, Torrington Stone Ltd et Cloburn Quarry Co. Ltd, n’est pas assujettie à la taxe. De plus, il ne suffirait pas qu’une entreprise soit contrainte de mettre une partie de ses matériaux secondaires au rebut comme déchets.

42      Enfin, la Commission soutient que, même si le Tribunal concluait que la requérante a qualité pour agir, eu égard au fait que la décision attaquée a été adoptée à l’issue de la procédure préliminaire d’examen, le seul moyen d’annulation recevable serait celui tiré du défaut d’ouverture de la procédure formelle d’examen. En effet, il pourrait être remédié à ce type d’irrégularité de procédure en ouvrant la procédure formelle. La requérante n’aurait cependant pas qualité pour agir contre la décision finale.

43      La requérante soutient que la décision attaquée la concerne directement et individuellement, eu égard tant à la qualité pour agir de ses membres qu’à son rôle de plaignante. En effet, l’un des principaux objectifs de l’AGL – qui vise notamment à encourager l’utilisation de granulats recyclés et d’autres substituts aux matériaux taxés – serait d’affecter la structure du marché. Cette taxe aurait dès lors un impact négatif sur la position concurrentielle de l’ensemble des membres de la requérante, qui produisent tous des matériaux assujettis à l’AGL. Dans le mémoire en réplique, la requérante a, pour l’illustrer, exposé la situation concurrentielle de plusieurs d’entre eux.

44      La requérante ajoute que la distinction effectuée par la Commission, quant à la recevabilité des différents moyens, est artificielle. En effet, selon la requérante, si un requérant démontre que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation, cela implique nécessairement qu’elle s’est heurtée à des difficultés imposant l’ouverture de la procédure formelle d’examen.

 Appréciation du Tribunal

45      Selon la jurisprudence, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise de manière analogue à celle dont le destinataire d’une telle décision le serait (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223 ; Cook/Commission, précité, point 20 ; Matra/Commission, précité, point 14, et, en dernier lieu, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, précité, point 33).

46      En l’espèce, la circonstance, invoquée par l’association requérante, selon laquelle elle a déposé une plainte relative à l’AGL auprès de la Commission et exprimé le souhait d’intervenir dans la procédure en qualité de partie intéressée au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, ne suffit pas à lui conférer une qualité pour agir qui lui est propre contre la décision attaquée de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen. En particulier, le fait que la plainte de la requérante, ainsi que la première plainte, présentée par des entreprises tierces, ait conduit la Commission à examiner le champ d’application de l’AGL dans la décision attaquée, ne permet pas d’assimiler la requérante à un négociateur dont la position aurait été affectée par cette décision (voir, en ce sens, arrêt Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, précité, points 56 et 57).

47      En revanche, la requérante rappelle à bon droit qu’est recevable le recours introduit par une association agissant aux lieu et place d’un ou de plusieurs de ses membres qui auraient pu eux-mêmes introduire un recours recevable (arrêts du Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission, T‑447/93 à T‑449/93, Rec. p. II‑1971, point 60, et du 22 octobre 1996, Skibsværftsforeningen e.a./Commission, T‑266/94, Rec. p. II‑1399, point 50).

48      Il appartient dès lors au Tribunal de vérifier si, en l’espèce, les membres de la requérante, ou du moins certains d’entre eux, peuvent être considérés comme individuellement concernés par la décision attaquée.

49      À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure de contrôle des aides d’État prévue à l’article 88 CE, doivent être distinguées, d’une part, la phase préliminaire d’examen des aides instituée par cet article, paragraphe 3, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l’aide en cause et, d’autre part, la phase d’examen visée à ce même article, paragraphe 2. Ce n’est que dans le cadre de cette dernière, qui est destinée à permettre à la Commission d’avoir une information complète sur l’ensemble des données de l’affaire, que le traité CE prévoit l’obligation, pour la Commission, de mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations (arrêts de la Cour Cook/Commission, précité, point 22 ; Matra/Commission, précité, point 16 ; du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 38, et Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, précité, point 34).

50      Lorsque, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, la Commission constate, par une décision prise sur le fondement de ce même article, paragraphe 3, qu’une aide est compatible avec le marché commun, les bénéficiaires des garanties de procédure prévues à cet article, paragraphe 2, ne peuvent en obtenir le respect que s’ils ont la possibilité de contester cette décision devant le juge communautaire (arrêts Cook/Commission, précité, point 23 ; Matra/Commission, précité, point 17, et Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 40).

51      Pour ces motifs, celui-ci déclare recevable un recours visant à l’annulation d’une décision fondée sur l’article 88, paragraphe 3, CE, introduit par un intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, lorsque l’auteur de ce recours tend, par l’introduction de celui-ci, à faire sauvegarder les droits procéduraux qu’il tire de cette dernière disposition (arrêt Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, précité, point 35).

52      Or, les intéressés au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, qui peuvent ainsi, conformément à l’article 230, quatrième alinéa, CE, introduire des recours en annulation, sont les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l’octroi d’une aide, c’est-à-dire notamment les entreprises concurrentes des bénéficiaires de cette aide et les organisations professionnelles (arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 41).

53      En revanche si le requérant met en cause le bien-fondé de la décision d’appréciation de l’aide en tant que telle, le simple fait qu’il puisse être considéré comme intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours. Il doit alors démontrer qu’il a un statut particulier au sens de la jurisprudence Plaumann/Commission, précitée. Tel serait notamment le cas si la position du requérant sur le marché était substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision en cause (arrêt Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, précité, point 37).

54      Par le présent recours, la requérante ne se contente pas de contester le refus de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen, mais elle met également en cause le bien-fondé de la décision attaquée. Dès lors, il convient d’examiner si elle a indiqué de manière pertinente les raisons pour lesquelles l’AGL est susceptible d’affecter substantiellement la position de l’un au moins de ses membres sur le marché des granulats.

55      En l’espèce, en ce qui concerne, en premier lieu, la délimitation du champ d’application matériel de l’AGL, il ressort clairement de la décision attaquée (considérants 12 et 13) que cette taxe a pour finalité de déplacer une partie de la demande des granulats vierges vers d’autres produits, lesquels sont exonérés afin d’encourager leur emploi en tant que granulats et de réduire l’extraction de granulats vierges. Selon les projections des autorités britanniques, reprises dans la décision attaquée et non contestées, cette taxe permettrait de réduire la demande en granulats vierges de près de 8 à 9 % par an, en moyenne.

56      L’AGL visant à modifier de manière générale la répartition du marché entre les granulats vierges, qui y sont assujettis, et les produits de substitution, qui sont exonérés, il convient encore de vérifier si elle est susceptible d’entraîner une modification effective de la situation concurrentielle de certains membres de la requérante.

57      À cet égard, contrairement aux allégations de la Commission, les précisions fournies par la requérante dans la réplique en ce qui concerne plus spécifiquement la situation de certains de ses membres ne sauraient être considérées comme tardives en application de l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure. Elles se situent en effet dans le prolongement du débat entre les parties. Elles se limitent à compléter, en réponse aux arguments d’irrecevabilité de la Commission, l’argumentation avancée dans la requête, selon laquelle l’AGL aurait un impact négatif sur la position concurrentielle des entreprises – telles que les membres de la requérante – commercialisant des matériaux assujettis à la taxe. En tout état de cause, les conditions de recevabilité du recours pouvant être examinées à tout moment d’office par le juge communautaire, rien ne s’oppose à ce qu’il tienne compte des indications complémentaires fournies dans la réplique.

58      Or, selon ces indications complémentaires fournies dans la réplique, et dont l’exactitude n’est d’ailleurs contestée ni par la Commission ni par l’intervenante, certains membres de la requérante, notamment Torrington Stone, Sherburn Stone Co. Ltd et Cloburn Quarry, se trouvent en concurrence directe avec des producteurs de matériaux exonérés, devenus compétitifs grâce à l’instauration de l’AGL.

59      En particulier, la requérante a indiqué que Torrington Stone, exploitant une carrière dans le Devon, produisait de la pierre de construction non taillée et de la pierre de revêtement, vendues en moyenne entre [confidentiel](1) GBP par tonne, au départ de la carrière, ainsi que de la pierre de construction taillée, vendue en moyenne [confidentiel] GBP par tonne, au départ de la carrière. Ces produits représentent 3 à 5 % du volume de la roche extraite. Les 95 % restants sont représentés par des produits dérivés ou sous-produits, constitués en l’occurrence de remblai ordinaire (vendu en moyenne [confidentiel] GBP par tonne, au départ de la carrière) et de remblai concassé (vendu en moyenne [confidentiel] GBP par tonne au départ de la carrière). Seule la pierre de construction taillée n’est pas assujettie à l’AGL. Avant l’introduction de cette taxe, les remblais étaient vendus dans un rayon de 50 kilomètres. Depuis cette introduction, ils sont concurrencés dans cette zone par des matériaux dérivés provenant notamment des carrières de kaolin situées à plus de 80 kilomètres, qui ne sont pas assujettis à l’AGL.

60      Pour ce qui est de Sherburn Stone exploitant notamment la carrière de Barton dans le Yorkshire, la requérante a précisé qu’elle produisait des matériaux aux spécifications techniques élevées destinés à la production de béton à hautes performances. Ces produits, représentant 50 % des roches extraites et dont le prix de vente moyen s’élève à [confidentiel] GBP par tonne, au départ de la carrière, sont assujettis à l’AGL. À partir des 50 % restants de roche extraite, Sherburn Stone produit des fines et des résidus argileux, utilisables pour les remblais et vendus en moyenne [confidentiel] GBP par tonne, au départ de la carrière. Depuis l’instauration de l’AGL, la vente de ces produits dérivés deviendrait de plus en plus difficile et leurs stocks seraient devenus ingérables.

61      Quant à Cloburn Quarry, exploitant une carrière en Écosse, la requérante a expliqué qu’elle avait orienté sa production vers des granulats à forte teneur pouvant supporter des coûts de transport plus élevés. Tous ses produits sont assujettis à l’AGL. Les gravillons rouges et le granit aux spécifications techniques élevées, produits par cette entreprise et employés notamment en tant que ballast ou dans du béton à hautes performances et avec de l’asphalte, sont vendus à un prix moyen de [confidentiel] GBP par tonne au départ de la carrière, ne sont pas concurrencés par des matériaux non assujettis à la taxe, dérivés de la production de kaolin ou d’ardoise. En revanche, les 25 % de produits dérivés extraits de la carrière de Cloburn Quarry et consistant surtout en des fines, vendues à un prix moyen de [confidentiel] GBP par tonne, au départ de la carrière, pour servir de remblais, sont en concurrence avec des matériaux non assujettis.

62      Dans ce contexte, la circonstance, invoquée par la Commission afin de démontrer l’absence d’affectation de la situation concurrentielle des entreprises susvisées, selon laquelle la part la plus importante de leur activité, en terme de chiffre d’affaires, ne se rapporterait pas aux granulats et ne serait dès lors pas assujettie à la taxe, est privée de pertinence, dès lors que l’activité de ces entreprises sur le marché des granulats n’est pas purement marginale, par rapport à leur activité principale. En tout état de cause, il ressort des indications chiffrées susmentionnées que l’exploitation commerciale des produits dérivés, en tant que granulats, représente une part relativement importante de l’activité des entreprises susvisées.

63      Au vu des divers éléments susmentionnés avancés par la requérante, il convient dès lors de considérer qu’elle a montré non seulement que la mesure étatique litigieuse était susceptible d’affecter la situation concurrentielle de certains de ses membres qui ont dès lors qualité pour contester la décision de la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen, mais encore que cette affectation revêtait un caractère substantiel.

64      Il s’ensuit que la fin de non-recevoir opposée par la Commission au présent recours, en ce qu’il vise l’approbation, dans la décision attaquée, de la délimitation du champ d’application matériel de l’AGL, doit être rejetée.

65      En ce qui concerne, en second lieu, l’exonération des exportations, la requérante fait valoir que cette exonération a également une incidence négative sur la position concurrentielle de ses membres qui exportent très peu ou pas du tout, contrairement à leurs concurrents plus importants sur le marché du Royaume-Uni. En effet, l’exonération des exportations conférerait à ces concurrents, et notamment à l’exploitant de la carrière de Glensanda, dont proviendraient plus de 90 % des granulats exportés, l’avantage de ne pas avoir de pertes à répercuter sur le prix de ses produits commercialisés au Royaume-Uni. Les membres de la requérante seraient en revanche conduits à vendre leurs granulats taxés à perte et à répercuter la charge de la taxe sur tous leurs produits.

66      Les compléments d’information apportés par la requérante, en réponse aux questions écrites du Tribunal, permettent de considérer que la position concurrentielle de l’un au moins des membres de la requérante est susceptible d’être substantiellement affectée par l’exonération des exportations. En effet, la requérante indique, sans d’ailleurs être contredite par la Commission ni par l’intervenante, que, sur le marché du granit à hautes spécifications techniques employé notamment comme ballast pour les voies ferrées (assujetti à l’AGL), Cloburn Quarry se trouve dans un rapport de concurrence directe avec la carrière de Glensanda, située, comme celle exploitée par Cloburn Quarry, en Écosse. Or, comme la requérante le relève dans sa réplique sans être contredite par les autres parties, la carrière de Glensanda exporte 50 % de sa production. La requérante en déduit de manière pertinente que l’exonération des exportations de matériaux répondant à de faibles spécifications techniques offre ainsi à l’entreprise exploitant cette carrière un avantage concurrentiel sur le marché des granulats à hautes spécifications techniques en Écosse, dans la mesure où – contrairement à Cloburn Quarry qui vend à perte ses granulats à faibles spécifications techniques au Royaume-Uni et répercute cette perte sur le prix des matériaux à hautes spécifications techniques – le montant total de l’AGL que la carrière de Glensanda doit répercuter sur ses clients, sur le marché interne, est proportionnellement réduit de moitié par rapport au montant que répercute un concurrent n’exportant pas.

67      Il s’ensuit que la fin de non-recevoir opposée par la Commission au présent recours, en ce qu’il vise l’approbation, dans la décision attaquée, de l’exonération des exportations, doit également être rejetée.

68      Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu également de rejeter la thèse subsidiaire de la Commission, selon laquelle seul le moyen tiré de la violation de l’obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen serait recevable dans le cadre d’un recours visant à l’annulation d’une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections, à la fin de la phase préliminaire d’examen des aides d’État, à l’encontre d’une mesure étatique. En l’occurrence, eu égard à l’affectation substantielle de la situation de certains de ses membres sur le marché, il est loisible à la requérante d’invoquer n’importe lequel des moyens d’illégalité énumérés à l’article 230, deuxième alinéa, CE (voir arrêt Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, précité, point 37).

69      Le recours doit dès lors être déclaré recevable en l’ensemble de ses moyens.

 Sur le fond

70      À l’appui de son recours, la requérante invoque, premièrement la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE, deuxièmement, le défaut de motivation, troisièmement, la violation par la Commission de son obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen et, quatrièmement, la méconnaissance par cette institution de ses obligations lors de l’examen préliminaire. Le Tribunal estime opportun de regrouper les deux premiers moyens.

 Sur les moyens tirés de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE et du défaut de motivation

 Arguments des parties

71      La requérante rappelle au préalable que la condition relative à la sélectivité de l’aide est remplie dès lors qu’un régime fiscal soumet des opérateurs se trouvant dans une situation comparable au regard des objectifs poursuivis par ce régime, à un traitement différent, qui ne se justifie pas par la nature ou l’économie générale du régime (arrêt de la Cour du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, C‑143/99, Rec. p. I‑8365, points 41 et 42).

72      En particulier, dans l’arrêt Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, précité, la Cour aurait jugé que l’exemption d’une écotaxe sur la consommation énergétique consentie à des entreprises dont la consommation excédait certains seuils comporterait des éléments d’aide d’État, au motif que cette exemption n’était accordée qu’aux entreprises productrices de biens corporels. La requérante relève à cet égard que Adria-Wien Pipeline était une société de prestations de services, qui n’était pas en concurrence avec les entreprises bénéficiant de l’exemption.

73      En l’espèce, la qualification de l’AGL de charge fiscale exceptionnelle, plutôt que d’avantage fiscal exceptionnel, serait purement formelle et ne modifierait pas l’analyse. À cet égard, l’argumentation de la Commission fondée sur l’application sectorielle de l’AGL serait très proche de l’analyse développée par l’avocat général M. Mischo dans ses conclusions sous l’arrêt Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, précité (Rec. p. I‑8369). Or, la Cour aurait écarté, dans son arrêt, l’analyse de l’avocat général, qui concluait à l’absence de caractère sélectif du régime fiscal en cause au motif que, premièrement, la non‑imposition ne constituait pas une dérogation à une règle normale, deuxièmement, la différence de traitement visait des secteurs différents et, troisièmement, le champ d’application de la taxe était fondé sur des critères objectifs.

74      En l’occurrence, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en décidant que la délimitation du champ d’application matériel et géographique de l’AGL se justifiait par la logique et par la nature de ce régime fiscal, de sorte que l’AGL ne comporterait pas d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

75      S’agissant, en premier lieu, de la distinction entre matériaux taxés et matériaux exonérés, la requérante reproche d’abord à la Commission de ne pas avoir défini de manière objective le marché concerné des granulats vierges dans la décision attaquée.

76      La requérante se fonde ensuite principalement sur la distinction, parmi les matériaux vierges, entre le matériau primaire qui serait le produit principal extrait d’une carrière, et le matériau secondaire, qui serait un sous-produit de faible valeur résultant inévitablement de l’extraction d’un matériau primaire.

77      La requérante est d’avis que la logique du régime fiscal en cause aurait impliqué que l’AGL s’applique aux matériaux primaires utilisés en tant que granulats pouvant être remplacés par des produits de substitution (produits secondaires de carrières ou de mines, produits recyclés ou autres matériaux de substitution). Devraient en revanche être exonérés les matériaux primaires qui ne peuvent être remplacés ainsi que les matériaux secondaires produits lors de l’extraction de tels matériaux primaires. En effet, la taxation de ces deux dernières catégories de matériaux, en l’absence de substituts aux matériaux primaires, n’aurait pas pour effet de déplacer la demande vers des substituts moins dommageables pour l’environnement.

78      La requérante admet que la loi – qui établit une liste des matériaux taxés et des matériaux exonérés – n’emploie pas les termes de matériaux « primaires » et « secondaires », et que les définitions susvisées ne sont pas les seules possibles. Elle fait cependant grief à la Commission d’avoir employé ces termes dans la décision attaquée sans les définir, ce qui serait source de confusion.

79      En outre, la Commission aurait affirmé de manière erronée, dans la décision attaquée (considérant 29), que l’AGL « ne s’appliquera pas aux granulats extraits en tant que sous-produits ou déchets d’autres procédés (granulats secondaires) ». Or, certains granulats secondaires (tels que les produits dérivés du calcaire extrait pour produire de la chaux ou du ciment, ou les produits dérivés de l’extraction du sable siliceux employé dans la fabrication du verre) seraient taxés. L’affirmation susvisée traduirait donc une appréciation manifestement erronée de la nature de l’AGL par la Commission. De plus, la décision attaquée se fonderait sur une appréciation de l’AGL dans sa version établie par la loi.

80      Par ailleurs, s’agissant des finalités de l’AGL, la Commission dans la décision attaquée, tout comme l’intervenante, se référerait uniquement aux préoccupations environnementales liées à l’extraction des matériaux employés comme granulats.

81      Or, contrairement à la thèse de la Commission, la délimitation du champ d’application de la taxe ne répondrait pas à l’objectif poursuivi, tendant en substance à internaliser les coûts environnementaux de la production de granulats et à favoriser l’emploi de matériaux recyclés ou d’autres matériaux de substitution, afin de réduire les conséquences néfastes de l’extraction sur l’environnement. Sous cet aspect, la loi instaurerait en effet des différences de traitement en ce qui concerne des situations similaires.

82      Premièrement, un groupe important de produits primaires – notamment l’argile, l’ardoise, le kaolin, le ball clay et le schiste – ainsi que leurs produits secondaires ne seraient pas assujettis à l’AGL. L’extraction de ces produits des carrières aurait le même impact sur l’environnement que celle des produits taxés, tels que le calcaire ou le granit. Or, certains de ces produits primaires, comme le ball clay employé pour produire des carrelages, ou le schiste utilisé pour produire des briques, pourraient être remplacés par des matériaux extraits de carrières situées dans des zones dans lesquelles l’environnement est moins fragile ou par des matériaux secondaires, afin de produire d’autres types de carrelage et des parpaings qui sont des substituts à la brique.

83      En outre, des matériaux comme le schiste et l’ardoise de mauvaise qualité, ainsi que l’argile, le kaolin et le ball clay extraits d’un grand nombre de carrières du Royaume-Uni, et employés en tant que matériaux primaires comme granulats, seraient exonérés, bien qu’ils puissent être remplacés par des produits de substitution. À cet égard, la requérante réfute l’argumentation de la Commission et de l’intervenante selon laquelle ces matériaux sont exonérés, car ils ne constituent pas des granulats. Elle précise que le terme de « granulats » vise la destination finale d’un matériau, et non un groupe particulier de matériaux. Les matériaux exonérés susmentionnés auraient été peu employés comme granulats dans le passé au Royaume-Uni, notamment en raison de leurs coûts de transport. Toutefois, leur exonération favoriserait l’emploi de tels matériaux primaires en tant que granulats.

84      L’exclusion de ces matériaux du champ d’application de l’AGL ne se justifierait donc ni par la nature ni par l’économie générale de l’AGL. La requérante invoque à cet égard l’arrêt Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, précité (points 52 et 53), et l’arrêt du Tribunal du 23 octobre 2002, Diputación Foral de Guipúzcoa e.a./Commission (T‑269/99, T‑271/99 et T‑272/99, Rec. p. II‑4217, point 62).

85      Deuxièmement, d’autres matériaux primaires seraient assujettis à l’AGL, bien qu’ils ne puissent pas être remplacés par des produits de substitution. La requérante cite le gravillon rouge, employé pour sa couleur particulière en tant que revêtement de voies piétonnières et de pistes cyclables ; les granulats à hautes spécifications techniques, tels que les matériaux utilisés pour les revêtements des chaussées ou le granit à hautes spécifications techniques utilisé pour le ballast des voies ferrées, et les granulats employés pour la fabrication de béton à faible rétrécissement ou de haute solidité. En raison des caractéristiques techniques de ces divers matériaux, il ne serait guère possible de les remplacer par des produits de substitution. D’un prix plus élevé, ils ne seraient pas employés comme remblais.

86      Troisièmement, seraient assujettis à l’AGL les produits secondaires d’un groupe important de matériaux primaires eux-mêmes exonérés – tels que le calcaire destiné à la production de ciment et de chaux, les pierres de taille et des matériaux comme le sable siliceux ou le calcaire destinés à certaines applications industrielles (par exemple la production de verre). Or, ces matériaux primaires ne pourraient pas être remplacés par des produits de substitution.

87      Ces incohérences, par rapport à la logique et à la nature du régime fiscal avancées par la Commission, montreraient que le champ d’application de l’AGL traduit en réalité la volonté d’exonérer certains secteurs de la taxe afin de protéger leur compétitivité. Cela serait confirmé par plusieurs déclarations des autorités du Royaume-Uni, notamment lors d’une évaluation des effets d’un règlement sur la taxation des granulats, annexée à la requête, soulignant que « certains des matériaux [exemptés] sont des composants importants de produits objets d’un commerce mondial, dont les producteurs du Royaume-Uni souffriraient d’un désavantage concurrentiel par rapport aux importateurs ainsi qu’à l’exportation », ainsi que dans le cadre d’une étude sur les écotaxes dans l’Union européenne, également annexée à la requête.

88      En second lieu, la requérante fait valoir que l’exonération des exportations de granulats est également en contradiction avec les finalités environnementales prétendument poursuivies par l’AGL. Cette exonération viserait uniquement à préserver la compétitivité des producteurs britanniques sur les marchés d’exportation. Or, en matière d’écotaxes, le principe du pollueur-payeur représenterait un critère essentiel pour apprécier l’existence d’une aide (conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt de la Cour du 20 novembre 2003, GEMO, C‑126/01, Rec. p. I‑13769, I‑13772). À cet égard, la requérante conteste la justification avancée par la Commission dans le mémoire en défense, selon laquelle l’AGL serait une taxe indirecte à la consommation. Cette justification ne figurerait pas dans la décision attaquée, et serait, en outre erronée. De surcroît, elle ne légitimerait pas l’exonération des exportations, comme le montrerait par exemple la taxe sur les granulats instituée en Suède, dont les exportations ne sont pas exonérées. Les taxes sur les granulats visant à apporter une réponse aux préoccupations environnementales relatives à la production, il ne devrait normalement pas y avoir de risque de double imposition. Quant à la motivation de la décision attaquée, fondée sur l’absence de contrôle par les autorités du Royaume-Uni de la destination des granulats exportés, elle serait erronée. Il serait en effet aisé de distinguer les granulats destinés à être employés dans des processus exemptés, des granulats assujettis à la taxe, grâce à leurs propriétés chimiques.

89      Enfin, la requérante soutient que la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation. La Commission serait tenue de prendre position sur les différences de traitement susvisées, qui seraient incompatibles avec les finalités alléguées de l’AGL, en ce qu’elles ne seraient pas « manifestement hors de propos, dépourvues de signification ou clairement secondaires » (arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 64).

90      La Commission réfute cette argumentation. Elle soutient que, dans le cas d’une mesure sectorielle, le critère de sélectivité est rempli, lorsque cette mesure confère un avantage exceptionnel (arrêts de la Cour du 17 juin 1999, Belgique/Commission, dit « Maribel », C‑75/97, Rec. p. I‑3671, points 32 et 33, et Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, précité, point 48). En revanche, un régime imposant une charge exceptionnelle dans un secteur déterminé ne saurait constituer une aide d’État. En effet, il ne représenterait pas une menace pour le marché intérieur que les règles relatives aux aides d’État tendent à protéger.

91      Une taxe exceptionnelle ne comporterait donc aucun élément d’aide d’État, à condition qu’elle s’applique à un secteur déterminé ou que les dispositions s’y rapportant relèvent de la nature ou de l’économie générale du système.

92      En l’espèce, l’AGL constituerait une charge fiscale exceptionnelle grevant un secteur déterminé et limité, le secteur de l’exploitation commerciale des granulats vierges. Elle ne conférerait aucun avantage sélectif, et n’attirerait par conséquent pas d’investisseurs ou de créateurs d’emplois au Royaume-Uni, n’exclurait pas les granulats provenant d’autres États membres du marché britannique et ne subventionnerait pas les exportations. L’AGL ne relèverait dès lors pas des dispositions de l’article 87, paragraphe 1, CE définissant les aides d’État, mais des dispositions du traité applicables au domaine fiscal. L’arrêt Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, précité, invoqué par la requérante, ne serait donc pas pertinent en l’espèce.

93      S’agissant de la modification de la loi intervenue après la notification du projet de régime d’aide en cause, relevée par la requérante, la Commission précise qu’elle a été informée par écrit puis oralement des projets de modification de la loi, avant l’adoption de la décision attaquée.

94      L’AGL ne comporterait aucun élément d’aide, dans la mesure où les dérogations alléguées, en faveur des matériaux exonérés, relèvent selon la Commission de la nature ou de l’économie du système.

95      En premier lieu, la Commission rejette les incohérences dénoncées par la requérante en ce qui concerne le champ d’application de l’AGL. Elle fait valoir que seuls les granulats vierges sont assujettis à l’AGL.

96      Par ailleurs, certains matériaux utilisables comme granulats, en raison notamment de leurs prix inférieurs, bénéficieraient d’une exonération inhérente à la nature et à l’économie du système, dans la mesure où ils pourraient remplacer des granulats vierges.

97      En revanche, le calcaire ou le sable employés, en tant que produits dérivés de la première extraction, comme granulats seraient susceptibles d’être remplacés par des granulats recyclés ou par d’autres substituts, ce qui justifierait leur assujettissement à l’AGL. De plus, leur taxation refléterait aussi le souhait de tenir compte des coûts environnementaux de leur extraction.

98      Dans la mesure où l’exonération de certains matériaux se justifie, selon la Commission, par la nature ou l’économie du système, la circonstance invoquée par la requérante, que ces matériaux sont en concurrence avec des granulats assujettis à la taxe, ne permettrait pas de considérer que celle-ci comporte des éléments d’aide d’État.

99      En second lieu, l’exonération des exportations serait également conforme à la logique de l’AGL.

100    Enfin, la décision attaquée serait suffisamment motivée.

101    L’intervenante se rallie aux observations de la Commission. Elle souligne que l’AGL a été conçue pour garantir que l’impact de l’extraction des granulats vierges sur l’environnement se reflète sur les prix. L’objectif prioritaire poursuivi par cette taxe serait d’inciter au recours à des produits de substitution comme les granulats recyclés ou d’autres matériaux de substitution des granulats vierges, et de promouvoir une utilisation efficace des granulats ainsi que le développement de produits de substitution. Un objectif subsidiaire serait de maintenir la compétitivité du Royaume-Uni, en taxant les produits importés et en exonérant les exportations.

102    La structure et le champ d’application de l’AGL seraient compatibles avec l’économie ou la nature du régime fiscal, comme l’aurait confirmé la High Court of Justice dans son jugement du 19 avril 2002, susvisé. En effet, conformément à ses objectifs, la taxe s’appliquerait à l’ensemble des granulats vierges. Elle ne s’appliquerait ni aux matériaux utilisés à d’autres fins que l’emploi en tant que granulats ni aux déchets provenant d’autres processus de transformation.

103    En particulier, le kaolin et le ball clay ne seraient pas assujettis à l’AGL, car ils ne sont pas des granulats. Leurs déblais, déchets ou autres sous-produits seraient également exonérés, afin d’encourager leur utilisation en tant que substituts des granulats vierges. L’ardoise, le charbon, le lignite et le schiste ne seraient pas des granulats vierges utilisés comme tels. Leurs déchets seraient composés du même matériau et seraient de ce fait également exonérés. Quant à la pierre calcaire, elle serait imposable en tant que relevant de la catégorie des granulats vierges. Ses sous-produits, identiques du point de vue minéralogique, seraient dès lors également taxés. Seul le calcaire employé pour produire de la chaux ou du ciment constituerait un processus exempté.

 Appréciation du Tribunal

104    En l’espèce, la controverse porte sur l’application du critère de sélectivité effectuée par la Commission dans la décision attaquée, lorsqu’elle a écarté la qualification d’aide d’État au motif que « le champ d’application de l’AGL se justifie par la logique et la nature du régime fiscal » (considérant 43).

105    Il convient de rappeler que, pour constituer une aide d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, une mesure doit notamment être de nature à conférer un avantage sélectif, au bénéfice exclusif de certaines entreprises ou de certains secteurs d’activité. Cet article vise en effet les aides qui faussent ou menacent de fausser la concurrence « en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».

106    À cet égard, selon une jurisprudence constante, l’article 87, paragraphe 1, CE ne distingue pas selon les causes ou les objectifs d’une mesure d’allègement des charges pesant normalement sur une entreprise, mais définit cette mesure en fonction de ses effets. Il en résulte que ni le caractère fiscal ni le but économique ou social ou les objectifs de protection de l’environnement ou de la sécurité des personnes, éventuellement poursuivis par une telle mesure, ne suffisent à la faire échapper d’emblée à l’application de l’article précité [voir, en ce qui concerne des exonérations sélectives de charges sociales, arrêts de la Cour du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, Rec. p. 709, points 27 et 28, et Maribel, précité, point 25 ; en ce qui concerne une bonification d’intérêts sélective, accordée aux petites et moyennes entreprises (PME) en vue de la rénovation du parc de véhicules industriels dans un souci de protection de l’environnement et d’amélioration de la sécurité routière, arrêt de la Cour du 13 février 2003, Espagne/Commission, C‑409/00, Rec. p. I‑1487, point 46, et arrêt du Tribunal du 29 septembre 2000, CETM/Commission, T‑55/99, Rec. p. II‑3207, point 53].

107    Lors du contrôle du caractère sélectif d’une mesure, le juge communautaire vérifie si la Commission a estimé à bon droit que la différenciation entre entreprises, en matière d’avantages ou de charges, introduite par la mesure considérée, relève de la nature ou de l’économie du système général applicable. Si cette différenciation se fonde sur d’autres finalités que celles poursuivies par le système général, la mesure en cause est en principe considérée comme remplissant la condition de sélectivité prévue à l’article 87, paragraphe 1, CE (voir, en ce sens, arrêts Italie/Commission, précité, point 33 ; Maribel, précité, points 33 et 39, et Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, précité, point 49). Il appartient à la partie requérante d’apporter des éléments de preuve suffisants (voir, en ce sens, arrêt Espagne/Commission, précité, point 53, et arrêt du Tribunal du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission, T‑127/99, T‑129/99 et T‑148/99, Rec. p. II‑1275).

108    Cette jurisprudence a d’ailleurs été reprise par la Commission dans sa communication du 10 décembre 1998 sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (JO C 384, p. 3).

109    En l’espèce, il y a lieu d’examiner si, eu égard à sa nature et à ses caractéristiques, la taxe en cause présente un caractère sélectif, selon les critères dégagés par la jurisprudence susvisée. Pour démontrer que ces critères sont remplis, la requérante invoque l’incohérence par rapport aux objectifs environnementaux avancés, d’une part, de la délimitation du champ d’application matériel de l’AGL et, d’autre part, de l’exonération des exportations.

–       Champ d’application matériel de l’AGL

110    Au préalable, il convient d’examiner le grief de la requérante selon lequel la Commission – se limitant à renvoyer à la liste des matériaux taxés établie par la loi – se serait fondée en réalité sur une définition inexacte du champ d’application matériel de l’AGL, ce qui aurait entraîné une appréciation manifestement erronée de la nature de cette taxe dans la décision attaquée.

111    Tout d’abord, la requérante n’avance aucun élément sérieux permettant de supposer que la décision attaquée se fonde sur un examen de l’AGL telle qu’établie par la loi dans sa version initiale. S’il est vrai que, lors de la notification de l’AGL, par lettre datée du 20 décembre 2001, les dispositions pertinentes de la loi, instituant cette taxe, n’avaient pas encore été modifiées, force est cependant de constater que la lettre de notification a clairement informé la Commission que des modifications seraient introduites par le Finance Act 2002 et que le projet envisagé, qui, aux termes de cette lettre, ferait partie du Finance Act 2002, n’avait pas encore été établi. En outre, la décision attaquée ainsi que certains éléments du dossier confirment que la Commission a tenu compte ultérieurement de ces modifications, aux fins de l’adoption de la décision attaquée, en particulier en ce qu’elles introduisent une exemption des déchets résultant de l’extraction de charbon, de lignite, d’ardoise, ou de schiste, ou des substances énumérées à l’article 18, paragraphe 3, de la loi. En effet, dans sa lettre à la Commission en date du 19 février 2002, les autorités du Royaume-Uni ont expliqué, en réponse à une question de cette institution, que l’exonération de certains de ces matériaux vise à permettre leur usage comme substituts des granulats vierges. Par ailleurs, il ressort de la décision attaquée (notamment considérants 11 et 29) que la Commission a pris en compte l’exonération de ces déchets.

112    Ensuite, l’allégation de la requérante, selon laquelle il ressortirait en particulier du considérant 29 de la décision attaquée que la Commission a commis l’erreur de considérer que tous les produits dérivés ou déchets provenant de l’extraction de roches, de sable ou de gravier étaient exonérés, doit également être écartée. La lecture de la disposition litigieuse du considérant 29 – énonçant que l’AGL « ne sera pas perçue sur les granulats extraits en tant que sous-produits ou déchets d’autres procédés (granulats secondaires) » – proposée par la requérante, se fonde en effet sur une interprétation de la notion de « granulats secondaires », distincte de celle retenue par la Commission dans l’ensemble de la décision attaquée. Il ressort en effet des réponses de la défenderesse aux questions écrites du Tribunal qu’elle a employé les termes de « granulats primaires » pour désigner essentiellement les granulats assujettis à l’AGL, et ceux de « granulats secondaires » pour se référer essentiellement aux granulats exemptés énumérés de manière précise dans la loi. En revanche, ces termes – dont il est constant entre les parties qu’ils peuvent recouvrir des notions différentes – sont employés par la requérante pour distinguer les produits faisant l’objet de l’activité principale d’une carrière (matériaux primaires), d’une part, des produits dérivés, résultant de l’extraction des matériaux primaires (matériaux secondaires), d’autre part. Dans ces conditions, dans l’économie de la décision attaquée et à la lumière des explications fournies par la Commission, la disposition litigieuse du considérant 29 de la décision attaquée se limite à énoncer que l’AGL ne sera pas perçue sur les produits dérivés ou les déchets de première extraction, lorsqu’ils sont exonérés par la loi telle que modifiée. Cette lecture du considérant 29 est corroborée par le fait que, dans leur lettre du 19 février 2002 à la Commission, les autorités du Royaume-Uni avaient exposé de manière claire et précise les motifs pour lesquels les granulats de qualité inférieure que sont les produits dérivés de certains matériaux exonérés (voir point 137 ci-après) étaient assujettis à l’AGL.

113    Dans ces conditions, la thèse de la requérante, selon laquelle la décision attaquée se fonderait sur une définition erronée du champ d’application matériel de l’AGL, doit être écartée.

114    En ce qui concerne l’incohérence alléguée du champ d’application de l’AGL par rapport à ses objectifs environnementaux, il convient de relever à titre liminaire qu’une taxe peut être définie comme une taxe environnementale ou écotaxe « lorsque sa base taxable a manifestement des effets négatifs sur l’environnement », comme l’énonce la Commission dans sa communication du 26 mars 1997 sur les impôts, taxes et redevances environnementaux dans le marché unique [COM (97) 9 final, point 11]. Une écotaxe est donc une mesure fiscale autonome caractérisée par sa finalité environnementale et son assiette spécifique. Elle prévoit la taxation de certains biens ou services afin d’inclure les coûts environnementaux dans leur prix et/ou de rendre les produits recyclés plus compétitifs et d’orienter les producteurs et les consommateurs vers des activités plus respectueuses de l’environnement.

115    Il importe de souligner à cet égard qu’il est loisible aux États membres, qui en l’état actuel du droit communautaire conservent, à défaut de coordination dans ce domaine, leur compétence en matière de politique environnementale, d’instituer des écotaxes sectorielles, en vue d’atteindre certains objectifs environnementaux, mentionnés au point précédent. Les États membres sont notamment libres, dans la mise en balance des divers intérêts en présence, de définir leurs priorités en matière de protection de l’environnement et de déterminer en conséquence les biens ou services qu’ils décident d’assujettir à une écotaxe. Il s’ensuit que, en principe, la seule circonstance qu’une écotaxe constitue une mesure ponctuelle, qui vise certains biens ou services spécifiques et n’est pas susceptible d’être rapportée à un système général de taxation applicable à l’ensemble des activités similaires exerçant un impact comparable sur l’environnement, ne permet pas de considérer que les activités similaires, non assujetties à cette écotaxe, bénéficient d’un avantage sélectif.

116    En particulier, l’absence d’assujettissement de telles activités similaires à une écotaxe imposée sur certains produits spécifiques ne saurait être assimilée à une mesure d’allègement des charges dans ces secteurs d’activité, semblable à celles en cause notamment dans les arrêts Espagne/Commission, CETM/Commission et Diputación Foral de Álava e.a./Commission, précités. En effet, à la différence d’une écotaxe qui se caractérise précisément par son champ d’application et sa finalité propres (voir point 114 ci-dessus), et de ce fait ne peut en principe être rapportée à aucun système général, les mesures d’allègement des charges susmentionnées dérogeaient à un système de charges pesant normalement sur les entreprises. Dans les deux premiers arrêts susvisés, il s’agissait d’un allègement, sous forme de bonification d’intérêts, des charges résultant, dans des conditions commerciales normales, de la nécessité pour les entreprises de renouveler leurs véhicules industriels. Dans le contexte de ce système de charges, la circonstance que ces bonifications d’intérêts, d’ailleurs accordées aux seules PME, visaient à favoriser le renouvellement du parc des véhicules industriels dans l’État membre concerné, dans un souci de protection de l’environnement et d’amélioration de la protection routière, ne suffisait pas à considérer que cet avantage se rattachait à un système en soi, que la requérante n’identifiait au demeurant même pas (arrêt CETM/Commission, précité, points 53 et 54). Dans le troisième arrêt susvisé, la Cour a jugé que le crédit d’impôt considéré, bénéficiant uniquement aux entreprises disposant de moyens financiers importants, contrevenait aux principes inhérents au système fiscal de l’État membre concerné (point 166 de l’arrêt).

117    Dans ce cadre juridique, comme les écotaxes constituent par nature des mesures spécifiques adoptées par les États membres dans le cadre de leurs politiques environnementales, domaine dans lequel ils restent compétents en l’absence de mesures d’harmonisation, il appartient à la Commission, lors de l’appréciation d’une écotaxe au regard des règles communautaires relatives aux aides d’État, de prendre en considération les exigences liées à la protection de l’environnement visées à l’article 6 CE. En effet, ledit article prévoit que ces exigences doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre notamment d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur.

118    Par ailleurs, il convient de rappeler que, lors de son contrôle d’une décision de la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, le Tribunal doit se limiter, eu égard au large pouvoir d’appréciation dont jouit la Commission dans l’application de l’article 88, paragraphe 3, CE, à vérifier le respect des règles de procédure et de motivation, l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits, ainsi que l’absence de détournement de pouvoir (arrêts Matra/Commission, précité, point 25, et Skibsværftsforeningen e.a./Commission, précité, points 169 et 170).

119    En l’espèce, c’est à la lumière de l’ensemble de ces considérations qu’il incombe dès lors au Tribunal d’examiner si la Commission n’a pas outrepassé les limites de son pouvoir d’appréciation en estimant, dans la décision attaquée, que la délimitation du champ d’application de l’AGL pouvait se justifier par la poursuite des objectifs environnementaux avancés.

120    À cet égard, le présent litige se distingue de la controverse tranchée dans l’arrêt Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, précité, invoqué par la requérante. Dans cet arrêt, la Cour avait été appelée à examiner non pas la délimitation du champ d’application matériel d’une écotaxe, comme en l’espèce, mais l’exonération partielle du paiement d’une telle taxe – instituée en l’occurrence, dans le cadre du Strukturanpassungsgesetz (loi autrichienne sur l’adaptation des structures) de 1996, sur la consommation de gaz naturel et d’énergie électrique par les entreprises – accordée aux seules entreprises productrices de biens corporels.

121    Dans l’arrêt susmentionné, la différenciation contestée ne portait donc pas sur le type de produit assujetti à l’écotaxe considérée, mais sur les utilisateurs industriels selon qu’ils opéraient ou non dans les secteurs primaire et secondaire de l’économie nationale. La Cour a constaté que l’octroi d’avantages aux entreprises dont l’activité principale est la fabrication de biens corporels ne trouvait pas de justification dans la nature ou l’économie générale du système d’imposition instauré en vertu du Strukturanpassungsgesetz. Elle a jugé en substance que, dans la mesure où la consommation d’énergie par le secteur des entreprises productrices de biens corporels et par celui des entreprises fournisseuses de services était aussi dommageable pour l’environnement, les considérations d’ordre écologique à la base du Strukturanpassungsgesetz ne justifiaient pas un traitement différent de ces deux secteurs. C’est dans ce contexte que la Cour a rejeté notamment l’argument du gouvernement autrichien, inspiré de l’idée de préservation de la compétitivité des entreprises productrices de biens corporels, selon lequel le remboursement partiel des taxes environnementales en cause à ces seules entreprises était justifié par le fait qu’elles auraient été proportionnellement plus affectées que les autres par lesdites taxes (points 44, 49 et 52 de l’arrêt).

122    En l’espèce, la requérante soutient à l’appui de son recours que la définition des matériaux soumis à l’AGL ne répond pas aux objectifs environnementaux avancés, mais traduit en réalité la volonté d’exonérer certains secteurs de la taxe et de protéger leur compétitivité.

123    Il convient dès lors d’examiner les incohérences dans la définition du champ d’application matériel de l’AGL, alléguées par la requérante.

124    En l’occurrence, il ressort explicitement de la lettre de notification et de la décision attaquée (considérants 5, 16 et 31) que l’AGL vise en principe, d’une part, à maximiser le recours à des granulats recyclés ou à d’autres matériaux de substitution par rapport aux granulats vierges, et à promouvoir une utilisation rationnelle des granulats vierges, ressources naturelles non renouvelables. D’autre part, la lettre de notification et la décision attaquée se réfèrent également, de manière plus implicite, à l’internalisation des coûts environnementaux conformément au principe du pollueur-payeur, lorsqu’elles énoncent dans le cadre de la détermination des objectifs de l’AGL que « les coûts pour l’environnement de l’extraction de granulats visés par la taxe englobent les nuisances sonores, les poussières, les atteintes à la biodiversité et les dégradations visuelles ». Ces objectifs sont explicités dans la lettre des autorités du Royaume-Uni à la Commission du 19 février 2002.

125    Dans la décision attaquée (considérant 8), les granulats vierges sont définis comme des « granulats produits à partir de dépôts naturels de minerais faisant l’objet d’une première extraction » et des « fragments de roches, de sables et de graviers pouvant être utilisés à l’état brut ou après traitement mécanique tel que le concassage, le lavage et le calibrage ».

126    Il est constant entre les parties que le terme « granulats » ne vise pas un groupe particulier de matériaux définis par leurs seules propriétés physicochimiques. L’usage d’un matériau (roche, sable ou gravier) en tant que granulats dépend aussi du prix de ce matériau et des coûts de transport. Il est également constant que certains matériaux exonérés du paiement de la taxe, tels que le schiste et l’ardoise de mauvaise qualité, l’argile, le kaolin et le ball clay font, dans certains cas, l’objet d’un premier emploi, après extraction, en tant que granulats.

127    L’AGL constitue ainsi une écotaxe grevant en principe la commercialisation des granulats vierges – c’est-à-dire des matériaux granuleux de première extraction employés dans le bâtiment et les travaux publics – à l’exclusion de certains matériaux spécifiés dans la loi. Il y a lieu d’examiner la cohérence de ce champ d’application par rapport aux objectifs environnementaux poursuivis (voir point 124 ci-dessus).

128    En premier lieu, force est de constater que les matériaux commercialisés en vue d’un usage autre que celui de granulats ne relèvent pas du secteur assujetti à l’AGL. Contrairement à la thèse de la requérante, leur exonération ne présente donc aucun caractère dérogatoire par rapport au système de l’écotaxe considérée. En particulier, la décision d’instituer une écotaxe dans le seul secteur des granulats – et non de manière générale dans l’ensemble des secteurs d’exploitation des carrières et des mines ayant le même impact sur l’environnement que l’extraction des granulats – relève de la compétence de l’État membre concerné de fixer ses priorités en matière de politiques économique, fiscale et environnementale. Un tel choix, même motivé par le souci de préserver la compétitivité internationale de certains secteurs, ne permet donc pas de mettre en doute la cohérence de l’AGL avec les objectifs environnementaux poursuivis (voir point 115 ci-dessus).

129    Dans ce cadre, les arguments de la requérante, relatifs à l’exonération de matériaux tels que notamment l’ardoise et le schiste de qualité supérieure, le ball clay, le kaolin, le charbon et le lignite, en principe impropres en raison de leurs propriétés physiques ou de leur prix à un usage de granulats, ne sont pas pertinents en l’espèce.

130    En deuxième lieu, il convient de constater qu’il était loisible à l’État membre concerné, dans le cadre de sa politique environnementale, de déterminer librement les matériaux à usage de granulats qu’il considérait opportun de taxer, et d’exclure, eu égard aux objectifs environnementaux poursuivis, du champ d’application de l’AGL certains matériaux – notamment le schiste et l’ardoise de mauvaise qualité, l’argile, et les déchets de kaolin et de ball clay – même lorsqu’ils sont employés comme granulats à la suite de leur extraction. À cet égard, l’explication avancée par l’intervenante et la Commission, selon laquelle l’exonération de ces matériaux – jusqu’à présent peu employés en tant que granulats en raison de leurs coûts de transport élevés – permet leur emploi en tant que substituts des granulats vierges visés par l’écotaxe et peut de la sorte contribuer à une rationalisation de l’extraction et de l’emploi de ces derniers, est admissible au regard des objectifs environnementaux poursuivis.

131    En effet, il découle du champ d’application de l’AGL, ainsi que de la lettre des autorités du Royaume-Uni à la Commission datée du 19 février 2002, que l’institution de l’AGL visait précisément à réduire et à rationaliser l’extraction des matériaux habituellement employés en tant que granulats, qui représentent 70 % du tonnage des minerais extraits au Royaume-Uni, notamment en favorisant leur substitution par des produits recyclés ou par d’autres matériaux vierges, exonérés, tels que les déblais ou déchets d’ardoise, de schiste, d’argile, de kaolin ou de ball clay.

132    De plus, la Commission a indiqué, sans être contredite par la requérante, qu’il existait des stocks importants et souvent anciens de déblais d’ardoise (ou ardoise de qualité inférieure) dans des crassiers au pays de Galles, et de kaolin ainsi que de ball clay dans le Devon et en Cornouailles. Ces stocks sont considérés actuellement comme des déchets et dégradent les paysages. Ils sont quelquefois situés, selon des informations contenues dans la lettre des autorités du Royaume-Uni du 19 février 2002, dans des parcs nationaux. L’exonération de la commercialisation de ces matériaux en vue d’un usage en tant que granulats les rend compétitifs par rapport aux autres granulats vierges et permet ainsi une résorption des stocks. De plus, la Commission a précisé lors de l’audience que le calcaire pouvait être extrait sans produire beaucoup de déchets, à la différence de l’ardoise, fragile, dont l’extraction produit inévitablement des déchets en quantité très importante.

133    Dans ce contexte, l’argument de la requérante relatif à l’impact sur l’environnement de l’extraction d’ardoise, de schiste, d’argile, de kaolin et de ball clay ne suffit pas à conclure que l’exonération de ces matériaux contrevient aux objectifs environnementaux poursuivis et qu’elle confère ainsi un avantage sélectif aux secteurs d’activité concernés. À cet égard, la requérante n’avance aucun élément convaincant permettant de mettre en doute la légitimité, au regard des objectifs avancés, du choix du législateur national d’assujettir à l’AGL la commercialisation des seuls granulats dont l’extraction est considérée comme la principale source de dégradation de l’environnement, ainsi qu’il ressort de la lettre du 19 février 2002, susmentionnée.

134    Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’exonération de certains matériaux vierges employés en tant que granulats, prévue par la loi telle que modifiée, ne contrevient pas aux objectifs environnementaux avancés et peut raisonnablement se justifier par la nature et l’économie de l’AGL.

135    En troisième lieu, il convient d’examiner les arguments de la requérante relatifs au caractère incohérent de l’assujettissement à l’AGL, notamment des granulats à hautes spécifications techniques (matériaux employés pour le revêtement des chaussées, granit employé pour le ballast, granulats employés pour la fabrication de béton à faible rétrécissement ou de haute solidité) et des gravillons rouges (employés en tant que revêtement de voies piétonnières ou de pistes cyclables), qui ne seraient pas susceptibles d’être remplacés par des produits de substitution. Certes, comme l’allègue la requérante, la taxation de ces matériaux – qui ne sont pas employés comme remblais en raison de leur prix plus élevé – ne saurait en principe avoir pour effet de déplacer la demande vers des produits de substitution tels que les granulats recyclés, de manière à réduire l’extraction de granulats vierges. Toutefois, force est de constater que cette taxation pouvait raisonnablement répondre à l’un des objectifs de l’AGL, visant à internaliser les coûts environnementaux liés à la production des granulats vierges.

136    À cet égard, il y a lieu de relever que, en l’espèce, le montant de la taxe, égal à 1,60 GBP par tonne de granulats assujettis, correspond approximativement aux coûts environnementaux moyens liés à l’extraction des granulats au Royaume-Uni, évalués à 1,80 GBP par tonne, selon les indications fournies dans le rapport du mois d’avril 2001 établi par l’Ecotec Research & Consulting, « Study on the Economic and Environmental Implications of the use of Environmental Taxes and Charges in the European Union and its Member States » (Étude relative aux incidences économiques et environnementales de l’application de taxes et de prélèvements environnementaux dans l’Union européenne et ses États membres), produit par la requérante. Ce rapport souligne d’ailleurs l’importance d’un montant suffisant de la taxe. Les indications susvisées confirment ainsi que la taxation des matériaux concernés peut être considérée comme légitime au regard des exigences du principe du pollueur-payeur.

137    Le principe du pollueur-payeur permettait également de justifier l’assujettissement des produits dérivés de l’extraction de matériaux non remplaçables par des produits de substitution, en particulier l’assujettissement des granulats de qualité inférieure que sont les produits dérivés de l’extraction du calcaire destiné à la production de ciment et de chaux, des pierres de taille et du sable siliceux employé dans la fabrication du verre, ainsi qu’il ressort de la lettre des autorités du Royaume-Uni du 19 février 2002. En outre, la taxation de ces produits peut aussi se justifier par l’objectif – également invoqué par l’intervenante dans la lettre susvisée – visant à encourager une extraction et un traitement plus rationnels des granulats, de manière à réduire la proportion de granulats de qualité inférieure. En effet, cette proportion, variable d’une carrière à l’autre, ainsi que le souligne la requérante, peut cependant être modifiée pour une même carrière. Or, la Commission a souligné à cet égard, notamment dans son mémoire en défense, sans être contredite par la requérante, la différence de prix relativement faible entre les granulats de qualité inférieure et les matériaux non remplaçables dont ils sont les sous-produits.

138    Il en résulte clairement que l’ensemble de l’argumentation de la requérante, relative à de prétendues incohérences dans la définition du champ d’application matériel de l’AGL, au regard des objectifs environnementaux poursuivis, est privé de tout fondement.

139    Il s’ensuit que la requérante n’a pas établi que la décision attaquée était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’elle constate que la définition du champ d’application matériel de l’AGL ne comporte pas d’éléments d’aide d’État.

140    Il convient d’examiner, à ce stade, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée, en ce qui concerne l’appréciation du champ d’application matériel de l’AGL. La requérante reproche à cet égard à la Commission de s’être abstenue de motiver les différences de traitement concernant l’assujettissement à l’AGL qui viennent d’être examinées.

141    Selon une jurisprudence bien établie, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 63, et arrêt du Tribunal du 13 janvier 2004, Thermenhotel Stoiser Franz e.a./Commission, T-158/99, Rec. p. II-1, point 94).

142    Il en découle que l’exigence de motivation d’une décision prise en matière d’aides d’État ne saurait être déterminée en fonction de l’intérêt d’information du seul État membre auquel cette décision est adressée (arrêt du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a. et British Midland Airways/Commission, T‑371/94 et T‑394/94, Rec. p. II‑2405, point 92). En particulier, il incombe à la Commission, lorsqu’elle approuve une mesure à l’issue de la phase préliminaire d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE, d’exposer de manière sommaire les principaux motifs de cette décision d’approbation, afin de permettre aux tiers intéressés de connaître sa justification et d’apprécier l’opportunité de former un recours contre ladite décision en vue de se prévaloir des droits procéduraux qui leur sont conférés par l’article 88, paragraphe 2, CE.

143    S’agissant plus particulièrement d’une décision de la Commission de clore la procédure préliminaire d’examen qui conclut à l’inexistence d’une aide d’État dénoncée par un plaignant, la Commission est en tout état de cause tenue d’exposer de manière suffisante au plaignant les raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués dans la plainte n’ont pas suffi à démontrer l’existence d’une aide d’État. Toutefois, la Commission n’est pas tenue de prendre position sur des éléments qui sont manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires (arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 64).

144    En l’occurrence, il ressort notamment des considérants 31, 32 et 34 de la décision attaquée que la Commission a conclu que le champ d’application de l’AGL était justifié par la logique et la nature de ce régime fiscal, au motif que l’AGL constituait une écotaxe spécifique, dont le champ d’application très limité avait été défini par l’État membre concerné, libre de déterminer son régime fiscal national, en fonction des caractéristiques propres au secteur d’activité considéré. La Commission a souligné, en substance, que la différenciation établie entre les secteurs taxés et ceux qui sont exonérés se justifiait par le souci, d’une part, de réduire l’extraction de granulats qui entraîne des conséquences indésirables pour l’environnement et de promouvoir une utilisation rationnelle de ces granulats et, d’autre part, de favoriser l’emploi de granulats recyclés ou d’autres matériaux de substitution, de manière à réduire l’emploi de ressources non renouvelables et ses conséquences dommageables sur l’environnement.

145    La Commission a ainsi exposé de manière synthétique mais claire les motifs pour lesquels elle a écarté les griefs – dont la substance est reprise de manière très succincte aux considérants 14 et 15 de la décision attaquée – développés par la requérante dans sa plainte. La requérante avait en effet critiqué la différenciation établie entre, d’une part, les matériaux assujettis à l’AGL, tels que certains produits dérivés de qualité inférieure (comme les produits dérivés du calcaire extrait pour produire de la chaux ou du ciment) ou le grès, qui selon la requérante, est taxé bien qu’il ne soit pas destiné à être utilisé en tant que granulats, et, d’autre part, certains produits dérivés exonérés (tels que les déchets d’ardoise et de kaolin, employés en tant que granulats, mentionnés au considérant 11 de la décision attaquée). Elle avait soutenu qu’une telle différenciation était de nature à fausser la concurrence entre ces diverses catégories de matériaux et ne se justifiait pas par la nature ou la logique du système.

146    Dans ces conditions, eu égard, d’une part, à la liberté des États membres – relevée dans la décision attaquée (considérants 31 et 32) – de déterminer leur politique fiscale et environnementale en recourant comme en l’espèce à l’instauration d’une écotaxe sectorielle (voir points 115, 116, 128 et 130, ci-dessus) et, d’autre part, à la circonstance que la requérante est une association regroupant des opérateurs économiques avertis, la décision attaquée, qui expose succinctement les considérations essentielles sur lesquelles elle se fonde, ne peut être considérée comme entachée d’un défaut de motivation.

–       Exonération des exportations

147    La requérante soutient que l’exonération des exportations de granulats est également en contradiction avec les finalités environnementales prétendument poursuivies par l’AGL. Cette exonération viserait uniquement à préserver la compétitivité des producteurs britanniques sur les marchés d’exportation.

148    Il convient de rappeler à titre liminaire que l’AGL est prélevée sur l’utilisation ou la commercialisation des granulats vierges au Royaume-Uni. L’importation de granulats vierges est taxée et l’exportation de tels matériaux est exonérée, afin, selon les autorités du Royaume-Uni, « d’assurer une égalité de traitement entre les granulats vierges produits au Royaume-Uni et ceux produits dans d’autres États membres » (considérant 22 de la décision attaquée). La Commission justifie cette exonération, dans la décision attaquée (considérant 33), par le fait que les autorités du Royaume-Uni ne peuvent exercer de contrôle sur l’emploi des matériaux en tant que granulats en dehors de leur territoire.

149    Devant le Tribunal, la Commission et l’intervenante ont précisé cette motivation. La Commission a souligné notamment que l’AGL constituait une taxe indirecte à la consommation, en principe applicable dans les États membres dans lesquels la consommation a lieu, afin d’éviter une éventuelle double imposition des produits exportés. L’intervenante a relevé pour sa part que l’article 91 CE autorisait l’exemption d’une taxe interne, à l’exportation, pourvu que le montant exempté ne dépasse pas le montant de la taxe payée.

150    Cette motivation fondée sur la nature de taxe indirecte de l’AGL doit être prise en considération, dans la mesure où, contrairement à la thèse de la requérante, elle se rattache aux motifs exposés par la Commission dans la décision attaquée et ne saurait dès lors être considérée comme une motivation supplémentaire avancée après l’adoption de cette décision. En effet, l’accent mis sur le contrôle de l’emploi des matériaux concernés en tant que granulats indique que la Commission s’est référée, dans la décision attaquée, au fait que la mesure considérée constituait une taxe indirecte grevant les produits eux-mêmes et non les entreprises.

151    En l’occurrence, force est de constater que l’AGL, qui s’applique, contrairement à l’analyse de la requérante, à la commercialisation des granulats, et frappe ainsi les produits et non les revenus des producteurs, constitue bien une taxe indirecte, régie par le principe de la taxation dans le pays de destination, conformément à l’article 91 CE.

152    Or, selon la jurisprudence, une mesure fiscale spécifique qui est justifiée par la logique interne du système fiscal échappe à l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE (arrêts Diputación Foral de Álava e.a./Commission, précité, point 164, et Diputación Foral de Guipúzcoa e.a./Commission, précité, point 61).

153    En l’espèce, l’exonération des exportations ne saurait dès lors être considérée comme conférant un avantage sélectif aux exportateurs dans la mesure où elle se justifie par la nature de taxe indirecte de l’AGL. Il était en effet loisible à l’État membre concerné de privilégier les considérations liées à la structure du régime fiscal considéré, par rapport aux objectifs environnementaux poursuivis. La circonstance, alléguée par la requérante, que d’autres États membres effectuent des choix différents est privée de pertinence.

154    Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en constatant, dans la décision attaquée, que l’exonération des exportations n’était pas constitutive d’une aide d’État.

155    Par ailleurs, s’agissant de la motivation de la décision attaquée, la Commission, en se fondant sur la structure de l’AGL, a justifié à suffisance de droit le rejet des griefs avancés par la requérante dans sa plainte, en ce qui concerne l’avantage sélectif prétendument conféré aux exportateurs du fait de l’exonération des exportations.

156    Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, les moyens tirés de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE et du défaut de motivation doivent être rejetés.

 Sur le moyen tiré de la violation de l’obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen

 Arguments des parties

157    La requérante soutient que les incohérences alléguées dans la délimitation du champ d’application de l’AGL conduisent inévitablement à la conclusion que la qualification de l’AGL soulevait des difficultés sérieuses. Ces difficultés auraient également été corroborées par les développements importants qui y ont été consacrés par la High Court of Justice, dans son jugement du 19 avril 2002 susvisé, ainsi que par les déclarations des autorités du Royaume-Uni selon lesquelles le champ d’application de l’AGL aurait été déterminé de manière à protéger la compétitivité internationale des secteurs exonérés. En outre, l’exonération du schiste et de l’ardoise, ainsi que des exportations, aurait été contraire au principe du pollueur-payeur. La Commission aurait d’ailleurs elle-même admis, dans son mémoire en défense, que la qualification de l’AGL au regard de l’article 87, paragraphe 1, CE, soulevait un grand nombre de questions complexes, notamment en ce qui concerne la délimitation du marché concerné.

158    De plus, le document de consultation publié le 9 décembre 2002 par les autorités du Royaume-Uni montrerait que celles-ci éprouvaient des difficultés en ce qui concerne la cohérence du champ d’application de l’AGL avec les objectifs environnementaux poursuivis.

159    Par ailleurs, l’invocation dans le mémoire en défense de l’intérêt de l’État membre concerné à obtenir rapidement une décision, ainsi que du risque de dysfonctionnement du système de contrôle des aides d’État, montrerait que la Commission s’est fondée sur d’autres critères que celui relatif aux « difficultés sérieuses ».

160    Dans ces circonstances, à supposer même que la décision attaquée ne soit pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, ce que la requérante conteste, celle-ci n’en serait pas moins entachée d’une violation de l’article 88, paragraphe 3, CE qui aurait imposé à la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen.

161    La Commission objecte qu’il était clair que l’AGL constituait une charge fiscale exceptionnelle ne relevant pas des règles relatives aux aides d’État, que l’exclusion des substituts de la catégorie des granulats vierges était justifiée par la nature ou l’économie générale du système, et que le mécanisme habituel applicable aux taxes indirectes à la consommation ne relevait pas du domaine des aides d’État.

162    L’intervenante précise que la consultation sur les granulats provenant des déchets, lancée le 9 décembre 2002, visait à collecter des informations concernant les granulats, afin d’examiner s’il y avait lieu de les exonérer, et si une telle exonération était profitable à l’industrie et pouvait être effectuée sans charge excessive pour les entreprises ni risque d’abus. Le document de consultation invoqué par la requérante ne suggérerait pas que le traitement des déchets est incompatible avec les objectifs de la taxe.

 Appréciation du Tribunal

163    Il convient d’examiner au préalable l’argument de la Commission selon lequel, contrairement à la thèse de la requérante, fondée sur la jurisprudence antérieure à l’entrée en vigueur du règlement n° 659/1999, en avril 1999, la présence de difficultés sérieuses d’appréciation d’une mesure d’aide ne lui impose plus d’ouvrir la procédure formelle d’examen. La Commission fait valoir en particulier que, dans le cas d’une aide non notifiée, elle est en droit, sans ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, d’obtenir au préalable les informations nécessaires auprès de l’État membre concerné, en vertu de l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999.

164    En l’espèce, le Tribunal relève que la mesure étatique litigieuse avait uniquement été notifiée en ce qu’elle prévoyait une exemption en faveur de l’Irlande du Nord, et non pour ce qui est de la définition du champ d’application de l’AGL, seule en cause dans le cas présent.

165    À cet égard, il convient de souligner que l’obligation de la Commission d’examiner au préalable une éventuelle aide illégale avec l’État membre concerné, le cas échéant en lui demandant des informations (arrêt de la Cour du 10 mai 2005, Italie/Commission, C‑400/99, Rec. p. I‑3657, points 29 et 30), ne saurait exonérer cette institution de son obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen notamment si, à la lumière des renseignements obtenus, elle reste confrontée à des difficultés sérieuses d’appréciation de la mesure considérée. Une telle obligation résulte en effet directement de l’article 88, paragraphe 3, CE, tel qu’il a été interprété par la jurisprudence, et est d’ailleurs expressément confirmée par les dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, lorsque la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure illégale suscite des doutes quant à sa compatibilité (arrêt du Tribunal du 30 avril 2002, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 et T‑207/01, Rec. p. II‑2309, points 69 et 72).

166    En effet, selon une jurisprudence constante, la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE revêt un caractère indispensable dès lors que la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier si une aide est compatible avec le marché commun. La Commission ne peut donc s’en tenir à la phase préliminaire de l’article 88, paragraphe 3, pour prendre une décision favorable à une mesure étatique que si elle est à même d’acquérir la conviction, au terme d’un premier examen, que cette mesure soit ne constitue pas une aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, soit, si elle est qualifiée d’aide, est compatible avec le marché commun. En revanche, si ce premier examen conduit la Commission à acquérir la conviction contraire, ou s’il ne lui permet pas de surmonter toutes les difficultés soulevées par l’appréciation de la compatibilité de la mesure considérée avec le marché commun, la Commission a le devoir de s’entourer de tous les avis nécessaires et d’ouvrir, à cet effet, la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE (arrêts Matra/Commission, précité, point 33, et Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 39 ; arrêts du Tribunal du 10 mai 2000, SIC/Commission, T‑46/97, Rec. p. II‑2125, point 71, et du 15 mars 2001, Prayon-Rupel/Commission, T‑73/98, Rec. p. II‑867, point 42).

167    Cette obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen s’impose en particulier lorsque la Commission, après avoir procédé, sur la base des informations communiquées par l’État membre concerné, à un examen suffisant de la mesure étatique litigieuse, conserve des doutes sur l’existence d’éléments d’aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, ainsi que sur leur compatibilité avec le marché commun (arrêt du 10 mai 2005, Italie/Commission, précité, points 47 et 48).

168    En l’espèce, il y a lieu de relever que, contrairement aux allégations de la requérante, la circonstance que la Commission ait tenu compte de l’intérêt de l’État membre concerné à obtenir une décision rapidement ne permet pas à elle seule de présumer que cette institution s’est fondée sur des critères autres que celui relatif à l’absence de difficultés sérieuses d’appréciation, pour décider de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen.

169    Quant au document de consultation du 9 décembre 2002, postérieur à l’adoption de la décision attaquée, il ne saurait être pris en considération aux fins de l’appréciation de la légalité de cette décision. En effet, selon une jurisprudence bien établie, dans le cadre d’un recours en annulation, les appréciations complexes portées par la Commission ne doivent être examinées qu’en fonction des seuls éléments dont celle-ci disposait au moment où elle les a effectuées (arrêts du Tribunal du 6 octobre 1999, Kneissl Dachstein/Commission, T‑110/97, Rec. p. II‑2881, point 47, et Salomon/Commission, T‑123/97, Rec. p. II‑2925, point 48).

170    Il en résulte que les seuls arguments utilement invoqués par la requérante à l’appui du présent moyen, relatifs aux incohérences alléguées dans la délimitation du champ d’application de l’AGL, recoupent ceux qu’elle avait avancés dans le cadre du moyen tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE.

171    Or, comme le Tribunal l’a déjà jugé, la délimitation du champ d’application matériel d’une écotaxe, telle que l’AGL, relevait de la compétence de l’État membre concerné, libre de fixer ses priorités en matière de politique environnementale (voir points 115 et 116 ci-dessus). Dans ce contexte, il découle des considérations qui précèdent (voir points 138 et 139 ci-dessus) que la Commission a pu estimer, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, qu’il ne faisait aucun doute que la délimitation du champ d’application matériel de l’AGL ne comportait pas d’élément d’aide d’État. Par ailleurs, l’exonération des exportations pouvait incontestablement se justifier par la nature de taxe indirecte de l’AGL (voir points 152 et 153 ci-dessus). Dans ces conditions, ni les développements contenus dans le jugement de la High Court of Justice du 19 avril 2002, ni les déclarations de l’intervenante expliquant son choix de ne pas soumettre certains matériaux à l’AGL par le souci de préserver la compétitivité internationale des secteurs concernés, ni la complexité alléguée de la délimitation du marché concerné, invoqués par la requérante, ne révélaient l’existence de difficultés sérieuses en ce qui concerne la qualification de l’AGL au regard du critère de la sélectivité.

172    Dans ces conditions, force est de constater que la Commission n’a pas excédé les limites de son pouvoir d’appréciation en estimant que le contrôle, au regard de l’article 87, paragraphe 1, CE, tant de la délimitation du champ d’application matériel de l’AGL que de l’exonération des exportations, ne présentait aucune difficulté sérieuse lui imposant l’obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen.

173    Il s’ensuit que le moyen tiré de la violation de l’obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen doit être rejeté.

 Sur le moyen tiré de la violation par la Commission de ses obligations lors de l’examen préliminaire

 Arguments des parties

174    La requérante soutient que la Commission n’a pas procédé à un examen diligent et impartial de sa plainte. La Commission aurait d’ailleurs admis, dans son mémoire en défense, avoir adopté rapidement la décision attaquée, à la demande de l’intervenante.

175    Par ailleurs, dans la décision attaquée, la Commission aurait omis d’exposer de manière suffisante les motifs du rejet de sa plainte. Elle n’aborderait pas les incohérences mises en évidence par la requérante dans sa plainte, telles que la taxation des matériaux secondaires issus de la production de calcaire non taxé, et la non-taxation du schiste extrait en vue d’un emploi en tant que granulat. Par ailleurs, pour ce qui est des exportations, la décision attaquée n’examinerait pas la question de l’exonération des exportations des matériaux de qualité inférieure.

176    La Commission rejette cette argumentation. Elle objecte que toutes les questions soulevées dans cette plainte, d’ailleurs identiques à celles qui avaient été évoquées dans la première plainte, ont été examinées dans la décision attaquée. Seul le calendrier expliquerait l’absence de mention de la plainte de la requérante, au considérant 3 de la décision attaquée faisant état de la première plainte.

 Appréciation du Tribunal

177    Selon la jurisprudence, lorsque les tiers intéressés ont soumis à la Commission des plaintes relatives à des mesures étatiques n’ayant pas fait l’objet d’une notification conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, cette institution est tenue, dans le cadre de la phase préliminaire prévue par cette disposition, de procéder, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité relatives aux aides d’État, à un examen diligent et impartial de ces plaintes (arrêts Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 62, et SIC/Commission, précité, point 105).

178    En l’espèce, la requérante n’avance aucun élément sérieux permettant de supposer que la Commission n’a pas procédé à une instruction suffisante du dossier. Au contraire, il ressort des pièces du dossier que cette institution a invité les autorités du Royaume-Uni à présenter leurs observations sur les principaux griefs énoncés dans la première plainte – pour l’essentiel semblables aux griefs figurant dans la plainte de la requérante, et qu’elle leur a demandé des compléments d’information, lesquels ont été fournis dans la lettre du 19 février 2002, susvisée. Dans ce contexte, en l’absence de tout autre indice, la seule circonstance que la décision attaquée a été adoptée rapidement ne permet pas de conclure à une insuffisance de l’instruction.

179    Par ailleurs, il convient de relever que la Commission a communiqué la décision attaquée, destinée à l’État membre concerné, à la requérante conformément au principe de bonne administration. Or, cette décision expose de manière suffisante les raisons du rejet des griefs énoncés dans la plainte de la requérante, ainsi qu’il a déjà été jugé (voir points 144, 145 et 155 ci-dessus).

180    Il s’ensuit que le moyen tiré de la violation par la Commission de ses obligations lors de l’examen préliminaire doit être rejeté.

181    Pour l’ensemble de ces motifs, le recours doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

182    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

183    En vertu de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus à un litige supportent leurs dépens. Il s’ensuit que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La partie requérante supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

3)      L’intervenante supportera ses propres dépens.

Pirrung

Meij

Forwood

Pelikánová

 

       Papasavvas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 septembre 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. Pirrung

Table des matières

Faits à l’origine du litige

Finance Act 2001

Procédure administrative et contentieux devant le juge national

Décision attaquée

Procédure

Conclusions des parties

Sur la recevabilité

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le fond

Sur les moyens tirés de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE et du défaut de motivation

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

– Champ d’application matériel de l’AGL

– Exonération des exportations

Sur le moyen tiré de la violation de l’obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le moyen tiré de la violation par la Commission de ses obligations lors de l’examen préliminaire

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur les dépens



* Langue de procédure : l’anglais.


1 – Données confidentielles occultées