Language of document : ECLI:EU:T:2005:333

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

21 septembre 2005 (*)

« Concurrence – Concentration – Règlement (CEE) n° 4064/89 – Décision déclarant une concentration incompatible avec le marché commun – Marchés portugais de l’électricité et du gaz – Acquisition de GDP par EDP et Eni – Directive 2003/55/CE – Libéralisation des marchés du gaz – Engagements »

Dans l’affaire T-87/05,

EDP – Energias de Portugal, SA, établie à Lisbonne (Portugal), représentée par Mes C. Botelho Moniz, R. García-Gallardo, A. Weitbrecht et J. Ruiz Calzado, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. A. Bouquet et M. Schneider, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

Gas Natural SDG, SA, établie à Barcelone (Espagne), représentée par MJ. Perez-Bustamante Köster et P. Suárez Fernández, avocats,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2004) 4715 final de la Commission, du 9 décembre 2004, déclarant incompatible avec le marché commun l’opération de concentration par laquelle EDP – Energias de Portugal, SA et Eni Portugal Investment, SpA se proposent d’acquérir le contrôle conjoint de Gás de Portugal SGPS, SA (affaire COMP/M.3440 – EDP/ENI/GDP),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. J. Pirrung, président, N. J. Forwood et S. Papasavvas, juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 juillet 2005,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1       L’article 2, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1), tel que rectifié (JO 1990, L 257, p. 13), et tel que modifié par le règlement (CE) n° 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1) (ci-après le « règlement n° 4064/89 »), dispose :

« Les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui‑ci doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun. »

2       L’article 18, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 447/98 de la Commission, du 1er mars 1998, relatif aux notifications, aux délais et aux auditions prévus par le règlement n° 4064/89 (JO L 61, p. 1), dispose :

« Les engagements que les entreprises concernées proposent à la Commission conformément à l’article 8, paragraphe 2, du [règlement n° 4064/89] et que les parties veulent faire prendre en considération dans une décision fondée sur cet article doivent être communiqués à la Commission dans un délai de trois mois à compter de la date d’engagement de la procédure. La Commission peut, dans des cas exceptionnels, prolonger ce délai. »

3       Le point 43 de la communication de la Commission concernant les mesures correctives recevables conformément au règlement n° 4064/89 et au règlement n° 447/98 (JO 2001, C 68, p. 3, ci-après la « communication concernant les mesures correctives ») dispose :

« […] Lorsque les parties modifient les engagements proposés, la Commission ne peut accepter ces engagements modifiés que si elle peut établir clairement – sur la base de son appréciation des informations déjà obtenues dans le cadre de l’enquête, notamment des résultats de la consultation antérieure des acteurs du marché et sans avoir recours à une autre consultation du même type – que, une fois mis en œuvre, de tels engagements élimineront les problèmes de concurrence constatés et qu’ils laissent suffisamment de temps pour la consultation des États membres. »

4       L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE (JO L 176, p. 57, ci‑après la « seconde directive gaz ») dispose :

« Les États membres, sur la base de leur organisation institutionnelle et dans le respect du principe de subsidiarité, veillent à ce que les entreprises de gaz naturel […] soient exploitées conformément aux principes de la présente directive, en vue de réaliser un marché du gaz naturel concurrentiel, sûr et durable pour l’environnement, et s’abstiennent de toute discrimination pour ce qui est des droits et des obligations de ces entreprises. »

5       L’article 1er, paragraphe 31, de la seconde directive gaz définit le marché émergent comme étant « un État membre dans lequel la première fourniture commerciale relevant de son premier contrat de fourniture de gaz naturel à long terme a été effectuée il y a moins de dix ans ».

6       L’article 28, paragraphes 2 et 3, de la seconde directive gaz dispose :

« 2. Un État membre qui a droit au statut de marché émergent et qui, en raison de la mise en œuvre de la présente directive, connaîtrait d’importants problèmes peut déroger à l’article 4, à l’article 7, à l’article 8, paragraphes 1 et 2, à l’article 9, à l’article 11, à l’article 12, paragraphe 5, à l’article 13, à l’article 17, à l’article 18, à l’article 23, paragraphe 1, et/ou à l’article 24 de la présente directive. Cette dérogation vient automatiquement à expiration au moment où l’État membre n’a plus droit au statut de marché émergent. Une telle dérogation est notifiée à la Commission.

3. À la date d’expiration de la dérogation visée au paragraphe 2, la définition de clients éligibles aura pour effet d’ouvrir le marché à 33 % minimum de la consommation annuelle de gaz du marché gazier national. Deux ans après, l’article 23, paragraphe 1, [sous] b), s’applique, et trois ans après, l’article 23, paragraphe 1, [sous] c). Jusqu’à l’application de l’article 23, paragraphe 1, [sous] b), les États membres visés au paragraphe 2 peuvent décider de ne pas appliquer l’article 18 en ce qui concerne les services auxiliaires et le stockage temporaire pour le processus de regazéification et la fourniture ultérieure aux réseaux de transport. »

 Antécédents du litige

7       La requérante, EDP – Energias de Portugal, SA (ci-après « EDP » ou la « requérante »), est la compagnie historique portugaise d’électricité. Elle a pour principales activités la production, la distribution et la fourniture d’électricité au Portugal. EDP est cotée à la bourse Euronext de Lisbonne (Portugal). L’État portugais en est l’actionnaire le plus important, avec, directement ou indirectement, 30 % des parts, le reste de l’actionnariat étant très diversifié. EDP contrôle Hydrocantábrico, compagnie active dans les secteurs de l’électricité et du gaz en Espagne. EDP détient des participations dans Turbogás (20 %) et dans Tejo Energia (10 %), compagnies actives dans la production d’électricité au Portugal. EDP possède également 30 % de Rede Eléctrica Nacional, SA, gestionnaire du réseau électrique portugais.

8       Eni SpA est une compagnie italienne présente à tous les niveaux dans la chaîne de fourniture et de distribution d’énergie.

9       Gás de Portugal SGPS, SA (ci-après « GDP ») est la compagnie historique portugaise de gaz. GDP est une filiale à 100 % de la compagnie portugaise Galp Energia SGPS, SA (ci-après « Galp »). Galp est actuellement contrôlée par l’État portugais et par Eni et a des intérêts tant dans le secteur pétrolier que dans le secteur du gaz. GDP et ses filiales couvrent tous les niveaux de la chaîne de fourniture du gaz au Portugal. GDP, à travers sa filiale Transgás, importe du gaz naturel au Portugal par un gazoduc et par le terminal LNG (« Liquefied Natural Gas », gaz naturel liquéfié) de Sinès et est responsable du transport, du stockage, de la distribution et de la fourniture par des gazoducs à haute pression (ci-après le « réseau de gaz »). GDP est également active dans la fourniture de gaz naturel aux gros clients industriels et dans le développement et la gestion future du premier site de stockage souterrain de gaz naturel. GDP, à travers sa filiale GDP Distribuição Energia, SA, contrôle également cinq des six compagnies locales de distribution de gaz.

10     Rede Eléctrica Nacional SA (ci-après « REN ») est une compagnie portugaise résultant de l’autonomisation (« spin-off »), en 1994, du réseau électrique portugais appartenant précédemment à EDP. REN gère actuellement le réseau électrique portugais et agit en tant qu’« acheteur unique », au sens des directives communautaires, achetant l’électricité aux producteurs et la revendant aux distributeurs/fournisseurs pour la fourniture aux clients « non éligibles », c’est‑à‑dire aux clients ne pouvant pas choisir leurs fournisseurs. L’État portugais contrôle directement ou indirectement 70 % de REN.

11     En 2003, le gouvernement portugais a établi sa politique de restructuration du secteur de l’énergie au Portugal au regard de la prochaine libéralisation complète de ce secteur, exigée par les directives communautaires pertinentes. Telle que prévue originellement par le gouvernement portugais, cette restructuration devait consister dans les phases suivantes :

–       la séparation des activités de Galp relatives au gaz et au pétrole en trois parties séparées : a) le transport de gaz (Transgás), b) la distribution et la fourniture de gaz (GDP) et c) le raffinage et la distribution des produits pétroliers (Petrogal) ;

–       la promotion de l’intégration des activités relatives au gaz et à l’électricité au sein du même groupe économique ;

–       l’acquisition des activités de transport de gaz (en particulier le réseau de gaz et, potentiellement, d’autres éléments faisant l’objet d’une régulation) par REN.

12     Conformément à un accord d’achat d’actions du 31 mars 2004, EDP, Eni (à travers sa filiale à 100 % Eni Portugal Investment, SpA) et REN devaient acheter conjointement l’entièreté du capital de GDP à Galp. Un autre accord a été conclu le même jour concernant la participation temporaire de REN dans GDP et la vente future du réseau de gaz à REN en échange de ses parts dans GDP. L’achèvement de l’ensemble de la transaction était conditionné par son autorisation dans son entièreté par les autorités de concurrence compétentes.

13     Le 9 juillet 2004, la Commission a reçu notification de l’ensemble de la transaction, conformément à l’article 4 du règlement n° 4064/89. Considérant que l’ensemble de la transaction menait à deux opérations distinctes, l’une visant au contrôle exclusif du réseau de gaz par REN et l’autre visant à l’acquisition du contrôle conjoint de GDP par EDP et Eni (ci-après les « Parties ») par voie d’achat de parts, la Commission a considéré que cette dernière opération (ci-après la « Concentration ») avait une dimension communautaire (JO C 185, p. 3).

14     À la même date, l’acquisition par REN du contrôle exclusif du réseau de gaz a été notifiée à l’autorité portugaise de la concurrence.

15     Au terme d’un examen préliminaire, la Commission a conclu que la Concentration faisait naître des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun. Dès lors, le 12 août 2004, la Commission a ouvert une procédure à son égard conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4064/89.

16     Le 12 octobre 2004, la Commission a envoyé aux Parties une communication des griefs dans laquelle il était conclu, sur une base provisoire, que la Concentration était incompatible avec le marché commun.

17     Le 27 octobre 2004, les Parties ont répondu à la communication des griefs.

18     Le 28 octobre 2004, les Parties ont offert des engagements destinés à résoudre les problèmes concurrentiels identifiés par la Commission dans la communication des griefs.

19     Le 29 octobre et le 4 novembre 2004, la Commission a envoyé un questionnaire, conformément à l’article 11 du règlement n° 4064/89, aux concurrents potentiels de l’entité fusionnée, aux autorités de régulation espagnole et portugaise et à l’opérateur du réseau de gaz espagnol (ci-après le « test de marché »).

20     Le 17 novembre 2004, les Parties ont soumis des modifications de leurs engagements précédents.

21     Le 26 novembre 2004, les Parties ont soumis de nouvelles modifications de leurs engagements relatifs au secteur de l’électricité et ont annoncé de nouvelles modifications de leurs engagements relatifs au secteur du gaz. Le 3 décembre 2004 au soir, elles ont communiqué à la Commission la version définitive des modifications relatives au secteur du gaz.

22     Par décision du 9 décembre 2004 [affaire COMP/M.3440 – EDP/ENI/GDP C (2004) 4715 final] (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a déclaré la Concentration incompatible avec le marché commun.

23     Pour les besoins de la présente espèce, la décision attaquée peut être résumée comme suit.

24     Premièrement, la Commission a identifié les huit marchés suivants, comme pouvant être affectés par la Concentration :

–       pour l’électricité :

–       le marché de la fourniture d’électricité en gros au Portugal ;

–       le marché de la fourniture d’électricité au détail aux gros clients industriels au Portugal ;

–       le marché de la fourniture d’électricité au détail aux petits clients industriels, commerciaux et domestiques au Portugal ;

–       le marché de l’ajustement de l’offre et de la demande en électricité (« balancing power », ci-après l’« ajustement ») et des services auxiliaires au Portugal ;

–       pour le gaz :

–       le marché de la fourniture de gaz aux producteurs d’électricité par centrales à gaz (« Combined Cycle Gas Turbine », ci-après les « CCGT ») au Portugal ;

–       le marché de la fourniture de gaz aux compagnies locales de distribution (« Local Distribution Companies », ci-après les « LDC ») au Portugal ;

–       le marché de la fourniture de gaz aux gros clients industriels au Portugal ;

–       le marché de la fourniture de gaz aux petits clients industriels, commerciaux et domestiques au Portugal ou sur une échelle locale.

25     Deuxièmement, la Commission a estimé, lors de son appréciation concurrentielle, que la Concentration :

–       sur les marchés de l’électricité :

–       éliminerait la concurrence potentielle significative de GDP sur le marché de gros en électricité (effet horizontal) ;

–       éliminerait la concurrence potentielle significative de GDP sur chaque marché de détail en électricité (effet horizontal) ;

–       éliminerait la concurrence potentielle significative de GDP sur le marché de l’ajustement et des services auxiliaires (effet horizontal) ;

–       donnerait à EDP la connaissance des coûts d’achat et des besoins journaliers de gaz de ses concurrents actuels et dissuaderait ou retarderait l’entrée des concurrents potentiels désirant gérer une nouvelle CCGT (effet non horizontal) ;

–       donnerait à EDP un accès privilégié et préférentiel aux ressources de gaz naturel disponibles au Portugal (effet non horizontal) ;

–       donnerait à EDP la possibilité et l’incitation d’exclure de façon significative ses concurrents en augmentant le niveau des prix du gaz et/ou en diminuant la qualité de la fourniture (effet non horizontal) ;

–       verrouillerait la demande sur le marché de fourniture de gaz aux producteurs d’électricité (effet non horizontal) ;

–       sur les marchés du gaz :

–       verrouillerait la demande sur le marché de fourniture de gaz aux LDC (effet non horizontal) ;

–       éliminerait la concurrence potentielle significative d’EDP sur le marché de fourniture de gaz aux gros clients (effet horizontal) ;

–       éliminerait la concurrence potentielle significative d’EDP sur le marché de fourniture de gaz aux petits clients (effet horizontal).

26     Ainsi qu’indiqué ci-dessus, les Parties ont proposé à la Commission plusieurs engagements, le 28 octobre 2004 (A – P), le 17 novembre 2004 (EDP.1 – EDP.5 ; ENI.II – ENI.XIV), le 26 novembre 2004 et le 3 décembre 2004. Ces engagements contenaient les mesures correctives suivantes :

–       vente du terminal de regazéification de Sinès à REN (A/ENI.II) ;

–       vente des installations de stockage souterrain de Carriço à REN (B/ENI.III) ;

–       vente anticipée du réseau de gaz à REN (ENI.IV) ;

–       garanties d’accès au réseau de gaz en attendant la publication du code d’accès au réseau pour les tiers ou la vente du réseau à REN (C/ENI.V) ;

–       libération de capacités de gaz à Campo Maior, point d’entrée du gazoduc au Portugal, actuellement réservées et inutilisées par Transgás (D/ENI.VI) ;

–       engagement de ne pas réserver de capacités supplémentaires à Campo Maior (E/ENI.VII) ;

–       engagement de ne pas réserver de capacités supplémentaires du gazoduc d’Extremadura (F/ENI.VIII) ;

–       engagement de rendre disponibles des capacités du gazoduc d’Extremadura et/ou à Campo Maior sous certaines conditions (ENI.IX) ;

–       amendement de l’accord d’achat du 31 mars 2004 concernant les droits de GDP dits « mécanisme d’alignement sur la meilleure offre » concernant les offres d’approvisionnement à court terme en gaz d’EDP sur le marché (G/ENI.X) ;

–       mesures destinées à éliminer les préoccupations relatives à un possible accès privilégié aux informations concernant les prix (H/ENI.XI) ;

–       mesures destinées à assurer une libéralisation effective de la demande des gros clients (I/ENI.XII) ;

–       engagement de vendre une ou plusieurs LDC contrôlées par l’une des Parties (J/ENI.XIV) ;

–       engagement de ne pas réaliser d’offres duales de gaz naturel et d’électricité aux gros et aux petits clients jusqu’à ce que ces marchés soient libéralisés (K/ENI.XIII) ;

–       réduction de la participation d’EDP dans le capital de REN de 30 % à, environ, 5 % (L/EDP.1) ;

–       moratoire sur la construction de nouvelles CCGT (M/EDP.3) ;

–       engagement de louer temporairement la capacité d’une des trois CCGT d’EDP situées à Ribatejo (« TER ») (N/EDP.4) ;

–       engagement de vendre la participation d’EDP dans Tejo Energia (O/EDP.2) ;

–       engagement de suspendre temporairement certains droits de vote d’EDP au sein de Turbogás et de nommer des membres indépendants au directoire (P/EDP.5).

27     Troisièmement, la Commission a procédé à l’appréciation des effets de la série d’engagements du 28 octobre 2004 puis des effets de la série d’engagements modifiée du 17 novembre 2004 et a conclu qu’aucun engagement ne résolvait les problèmes concurrentiels identifiés par elle. La Commission a considéré que la série d’engagements modifiée proposée le 26 novembre 2004 n’éliminait pas entièrement et sans ambiguïté les problèmes concurrentiels, sauf pour le marché de la fourniture de gaz aux LDC et que lesdits engagements étaient, en partie, simplement intentionnels. Elle a également rejeté la série d’engagements modifiée proposée le 3 décembre 2004 et visant à confirmer celle du 26 novembre 2004 au double motif, d’une part, qu’elle lui avait été soumise trop tardivement et, d’autre part, qu’elle ne faisait que mettre en œuvre les engagements soumis le 26 novembre 2004.

28     En définitive, pour les raisons susmentionnées, considérées individuellement ou ensemble, la Commission est arrivée à la conclusion que, malgré les engagements proposés par les Parties, la Concentration renforcerait les positions dominantes d’EDP sur les marchés de gros en électricité, de l’ajustement et des services auxiliaires ainsi que de détail en électricité pour les gros et les petits clients au Portugal et également les positions dominantes de GDP sur les marchés de fourniture de gaz aux CCGT, aux gros et aux petits clients, avec pour résultat que la concurrence serait significativement empêchée dans une partie substantielle du marché commun. La Concentration devait, dès lors, être déclarée incompatible avec le marché commun, conformément à l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89.

 Procédure et conclusions des parties

29     Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 25 février 2005, la requérante a introduit le présent recours à l’encontre de la décision attaquée.

30     Par acte séparé déposé le même jour, la requérante a également demandé l’octroi d’une procédure accélérée, conformément à l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal.

31     Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, les parties requérante et défenderesse ont été invitées à assister à une réunion informelle le 6 avril 2005 avec le juge rapporteur afin d’examiner la possibilité d’accueillir la demande de procédure accélérée. Au terme de cette réunion informelle, la requérante s’est engagée à déposer sa requête sous une forme abrégée, conformément aux exigences des instructions pratiques du Tribunal aux parties, et la Commission a demandé une prolongation de délai pour préparer sa défense. Un calendrier prévisionnel de la procédure a été fourni par le juge rapporteur. Le 22 avril 2005, la requérante a déposé sa requête abrégée, qui diffère principalement de l’originale par l’abandon des premier et deuxième moyens. La Commission a déposé son mémoire en défense le 14 mai 2005.

32     Le 25 mai 2005, la deuxième chambre du Tribunal, à laquelle l’affaire a été attribuée, a décidé d’accorder le bénéfice de la procédure accélérée dans la présente affaire.

33     Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 13 juin 2005, les parties principales entendues, Gas Natural a été autorisée à intervenir dans la présente affaire, lors de l’audience, conformément à l’article 76 bis du règlement de procédure, au soutien des conclusions de la Commission, et la demande de confidentialité des parties principales a également été acceptée sous réserve des observations de l’intervenante. Cette dernière a confirmé ne pas avoir d’objection à l’égard de cette demande de confidentialité.

34     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale et, au titre de mesures d’organisation de la procédure, a invité l’intervenante à fournir, par avance, le plan détaillé de son intervention lors de l’audience. À la suite d’une demande de la requérante, le Tribunal a invité la Commission et l’intervenante à produire le procès-verbal d’une réunion qui s’est tenue entre ces deux dernières parties à Madrid le 27 août 2004, ce qu’elles ont fait. Enfin, le Tribunal a posé par écrit des questions aux parties principales, en les invitant à y répondre lors de l’audience. La requérante a fourni une réponse écrite à toutes les questions posées la veille de l’audience (ci‑après la « réponse pour l’audience »). Cette réponse a été communiquée aux autres parties le même jour.

35     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 5 juillet 2005. Les documents produits par la requérante à l’audience n’ont pas été joints au dossier de l’affaire.

36     La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler la décision attaquée ;

–       condamner la Commission aux dépens.

37     La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours ;

–       condamner la requérante aux dépens.

38     L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

 Sur le fond

39     Il convient de noter, au préalable, que, en raison des contraintes de la procédure accélérée accordée en l’espèce, d’ailleurs en l’accord des parties principales, seule, en principe, la substance des arguments de la partie qui succombe sur le grief considéré est mentionnée et uniquement en tant que de besoin. À cet égard, tous les arguments des parties susceptibles d’influer sur la solution du litige, y compris ceux non repris expressément dans le rapport d’audience, approuvé par les parties sous réserve de modifications mineures, ont été pris en compte. Dès lors, l’exposé du raisonnement du Tribunal est limité à la motivation nécessaire au soutien plein et entier du dispositif de la présente décision (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil et Commission, C‑237/98 P, Rec. p. I‑4549, point 51).

40     Le Tribunal constate que la requérante a expressément accepté d’abandonner, sous réserve de l’octroi de la procédure accélérée, ses deux premiers moyens ainsi que la troisième branche de son troisième moyen de la requête initiale, afin de contribuer à l’adoption rapide d’une décision juridictionnelle. Cet abandon a été motivé par le fait que, dans l’hypothèse d’une annulation de la décision attaquée en raison de ces deux premiers moyens de forme, tirés d’un défaut d’accès au dossier et d’un défaut de motivation, ou en raison de la troisième branche du troisième moyen, tirée d’une violation du principe de bonne administration, la Commission n’aurait pas été tenue, a priori, d’adopter une approche concurrentielle différente de celle adoptée dans la décision attaquée lors de l’adoption d’une éventuelle nouvelle décision. La procédure accélérée ayant été accordée en l’espèce, le Tribunal prend acte de l’abandon de ces deux moyens et de la troisième branche du troisième moyen.

41     Selon la requête abrégée, la requérante invoque quatre moyens. Premièrement, la requérante invoque la méconnaissance par la Commission de la dérogation dont bénéficie la République portugaise en vertu de l’article 28, paragraphe 2, de la seconde directive gaz. Deuxièmement, la requérante invoque la violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 en ce que la Commission n’a pas établi qu’il était satisfait au second critère posé par cet article. Troisièmement, la requérante invoque des violations formelles et/ou procédurales de l’article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 4064/89. Quatrièmement, la requérante invoque des erreurs d’appréciation de la Commission au regard des engagements déposés au titre de l’article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 4064/89.

42     Il convient de relever au préalable que certains moyens d’ordre général, c’est‑à‑dire non spécifiquement liés à l’un des marchés en cause, sont susceptibles d’aboutir, à eux seuls, à l’annulation de la décision attaquée. En conséquence, il convient d’examiner, tout d’abord, ces moyens d’ordre général, à savoir les deuxième et troisième moyens, puis le premier moyen relatif, principalement, aux marchés du gaz et, enfin, le quatrième moyen.

43     Lors de l’audience, la Commission a émis des réserves sur le fait que la requérante avait fourni sa réponse pour l’audience par écrit. Il doit être rappelé, à cet égard, que, sur les 23 questions posées aux parties principales, seules deux réponses de la requérante avaient été requises par écrit par le Tribunal. Néanmoins, cette dernière a fourni l’intégralité de ses réponses par écrit la veille de l’audience et s’est bornée, lors de l’audience, à se référer à cet écrit. Pour autant que la Commission entende faire valoir une violation de ses droits de la défense, il convient de souligner que cet écrit lui a été transmis en fin d’après-midi la veille de l’audience et qu’il lui a été matériellement possible de commenter cet écrit à l’audience. La brièveté certaine du délai ainsi offert à la Commission reste néanmoins de l’ordre de l’acceptable dans le cadre de la procédure accélérée caractérisant la présente affaire, procédure durant laquelle des délais extrêmement brefs ont été imposés à toutes les parties ainsi qu’au Tribunal. En outre, la possibilité donnée à la Commission de connaître l’essentiel des réponses de la requérante à la veille de l’audience au lieu du jour même a garanti un meilleur déroulement de la procédure contradictoire.

I –  Sur le deuxième moyen, relatif à la violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89

44     Par le présent moyen, la requérante allègue, en substance, premièrement, que l’article 2, paragraphe 3, du règlement nº 4064/89 contient deux critères distincts et, deuxièmement, que la Commission n’a pas apprécié, dans la décision attaquée, s’il était satisfait au second de ces critères.

45     Le Tribunal rappelle que l’article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 4064/89 pose en effet deux critères cumulatifs tenant, le premier, à la création ou au renforcement d’une position dominante et, le second, au fait qu’une concurrence effective sera entravée de manière significative dans le marché commun par la création ou le renforcement d’une telle position (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 19 mai 1994, Air France/Commission, T‑2/93, Rec. p. II‑323, point 79 ; du 27 novembre 1997, Kaysersberg/Commission, T-290/94, Rec. p. II-2137, point 156, et du 25 octobre 2002, Tetra Laval/Commission, T‑5/02, Rec. p. II‑4381, point 146).

46     Toutefois, dans certains cas, la création ou le renforcement d’une position dominante peut avoir comme conséquence, en elle-même ou lui-même, une entrave significative à la concurrence.

47     Ainsi, le fait, pour une entreprise en position dominante, de renforcer cette position par l’acquisition d’un concurrent, au point que le degré de domination ainsi atteint entraverait substantiellement la concurrence, est susceptible de constituer un abus de position dominante (arrêt de la Cour du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, Rec. p. 215, point 26). La pertinence de cette jurisprudence est renforcée par le fait que la situation analysée par la Cour dans cet arrêt, à une époque où le règlement n° 4064/89 n’existait pas, s’avère très proche de la situation pouvant résulter d’une opération de concentration au sens dudit règlement.

48     De même, en matière de concentration, une position dominante est caractérisée par une situation de puissance économique détenue par une ou plusieurs entreprises qui leur donnerait le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en leur fournissant la possibilité de comportements indépendants, dans une mesure appréciable, vis-à-vis de leurs concurrents, de leurs clients et, finalement, des consommateurs (arrêt du Tribunal du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T‑102/96, Rec. p. II‑753, point 200).

49     Il en résulte que la démonstration de la création ou du renforcement d’une position dominante, au sens de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, peut correspondre, dans certains cas, à la démonstration d’une entrave significative à une concurrence effective. Cette constatation ne signifie aucunement que le second critère se confond juridiquement avec le premier, mais uniquement qu’il peut ressortir d’une même analyse factuelle d’un marché donné que les deux critères sont remplis.

50     Il s’ensuit que, dans la mesure où il ressort des considérants d’une décision constatant l’incompatibilité d’une opération de concentration avec le marché commun, y compris ceux consacrés formellement à une analyse de la création ou du renforcement d’une position dominante, que cette opération produira des effets anticoncurrentiels significatifs, il n’y a pas lieu de considérer cette décision comme entachée d’illégalité au seul motif que la Commission n’a pas explicitement et spécifiquement rattaché sa description de ces éléments au second critère de l’article 2 du règlement n° 4064/89, que ce soit au regard de l’obligation de motivation, prévue à l’article 253 CE, ou sur le fond. En effet, l’approche inverse consisterait à imposer à la Commission une obligation purement formelle la contraignant à invoquer deux fois certaines considérations identiques, premièrement dans son analyse de la création ou du renforcement d’une position dominante sur un marché donné et, une seconde fois, par rapport à l’entrave significative de la concurrence dans le marché commun.

51     En l’espèce, il y a lieu, à titre liminaire, de rejeter la thèse de la Commission selon laquelle le présent moyen serait fondé sur un défaut de motivation. À supposer qu’il ressorte de la décision attaquée que la Commission n’a pas examiné s’il était satisfait au second critère de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 ou n’a pas démontré qu’il l’était, il conviendrait de conclure qu’elle ne s’est pas conformée à cette disposition. En effet, dans le cadre de ce règlement, l’absence de motivation à cet égard ne saurait traduire que l’absence ou l’insuffisance de l’examen de la satisfaction de ce second critère et non pas que cet examen aurait été mené mais que son exposé aurait été omis.

52     S’agissant du grief principal de la requérante, il y a lieu de constater que la Commission a pris soin de conclure, dans la décision attaquée, pour chacun des marchés concernés, à la satisfaction des deux critères de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89. Ainsi, la Commission a conclu que la Concentration renforcerait les positions dominantes préexistantes d’EDP et de GDP avec pour conséquence qu’une concurrence effective serait significativement entravée pour le marché de gros en électricité (considérants 364, 379, 410, 428 et 429), pour le marché de l’ajustement et des services auxiliaires (considérant 432), pour les marchés de détail de l’électricité (considérant 473), pour les marchés de fourniture de gaz aux producteurs d’électricité (considérant 528), aux LDC (considérant 538), aux gros clients (considérant 550), aux petits clients (considérant 602) et en général (considérant 609), y compris après l’examen de tous les engagements (considérant 914).

53     Il convient, certes, de constater également que la Commission, dans la décision attaquée, a examiné ensemble et sans distinction les éléments l’amenant à conclure au renforcement des positions dominantes préexistantes d’EDP et de GDP et ceux l’amenant à conclure que la Concentration aurait, en outre, pour conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative.

54     Toutefois, eu égard au fait que les éléments démontrant le renforcement significatif des positions dominantes d’EDP et de GDP et ceux démontrant l’entrave significative à la concurrence à la suite de la Concentration avancés dans la décision attaquée sont souvent les mêmes, le simple fait que la Commission n’ait pas consacré de sections spécifiques à l’analyse de l’entrave significative à la concurrence n’emporte pas la conclusion que la Commission a méconnu le second critère de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89. Ainsi, en l’espèce, la plupart, voire toutes les considérations de la Commission l’amenant à conclure à un renforcement des positions dominantes préexistantes sont fondées sur une restriction effective de la concurrence telle que cette dernière pourrait exister en l’absence de la Concentration et, donc, visent également à démontrer la satisfaction du second critère de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89. En particulier, dans la mesure où la Concentration ne mène pas, ou seulement accessoirement, à une augmentation des parts de marché des Parties sur l’un des marchés en cause, les effets anticoncurrentiels de la Concentration résultent principalement, voire essentiellement, selon la Commission, de restrictions effectives à la concurrence sur chacun des marchés en cause. Par exemple, la démonstration du renforcement des positions dominantes d’EDP et de GDP du fait de la disparition d’un concurrent potentiel important ou significatif sur la plupart des marchés considérés dans la décision attaquée repose sur la démonstration d’une entrave significative à la concurrence, qui aurait été effective selon la Commission, comme conséquence de la Concentration (voir, par exemple, s’agissant de la disparition de GDP comme concurrent potentiel important le plus probable sur le marché de gros en électricité, considérants 335 à 364, sur les marchés de détail de l’électricité, considérants 450 à 473, ou, s’agissant de la disparition d’EDP comme concurrent potentiel le plus significatif sur le marché de détail du gaz, considérants 559 à 599).

55     Il en découle également que, contrairement à ce qu’avance la requérante, la Commission, dans la décision attaquée, n’a pas traité la question de savoir s’il était satisfait au second critère de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 comme une conséquence automatique du premier critère, mais a, à l’inverse, assis son raisonnement sur le fait que les entraves significatives apportées à la concurrence renforçaient les positions dominantes d’EDP ou de GDP.

56     Par voie de conséquence, l’analyse des engagements par la Commission, fondée sur ce raisonnement, n’est pas non plus affectée du vice reproché par la requérante. Ainsi, lorsque la Commission a conclu que les engagements étaient insuffisants pour résoudre les problèmes concurrentiels préalablement identifiés, elle a considéré que le renforcement des positions dominantes d’EDP ou de GDP demeurait en raison de la subsistance des entraves significatives à la concurrence (voir, par exemple, s’agissant de la disparition de GDP comme concurrent potentiel important le plus probable sur le marché de gros en électricité, considérants 650 à 675, sur les marchés de détail de l’électricité, considérants 708 à 714, ou, s’agissant de la disparition d’EDP comme concurrent potentiel le plus significatif sur le marché de détail du gaz, considérants 735 à 738).

57     Enfin, il y a lieu de relever que le grief de la requérante ne va pas au‑delà d’une critique de principe. En particulier, dans le cadre de ce moyen, la requérante n’allègue pas, ni a fortiori ne démontre, que, sur l’un des marchés concernés, les considérations concurrentielles avancées par la Commission seraient inaptes à démontrer matériellement l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective.

58     Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas méconnu le second critère de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89. En conséquence, le présent moyen doit être rejeté.

II –  Sur le troisième moyen, relatif à la violation de l’article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 4064/89

59     La requérante invoque quatre branches à l’appui de son moyen concernant les engagements, relatives, premièrement, à une méconnaissance de la charge de la preuve, deuxièmement, à la méconnaissance du caractère global des engagements, troisièmement, à un détournement de pouvoir et, quatrièmement, à l’exagération des difficultés de contrôle du respect de certains engagements comportementaux.

A –  Sur la première branche du troisième moyen, relative à la charge de la preuve

60     Selon la requérante, d’une part, la Commission s’est fondée erronément sur la présomption selon laquelle il appartenait aux Parties de prouver que leurs engagements éliminaient les préoccupations concurrentielles identifiées par la Commission. Ce faisant, la Commission aurait appliqué un standard de contrôle erroné exposé au point 6 de la communication concernant les mesures correctives.

61     Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89, la Commission se « doit » de déclarer compatible une opération de concentration qui ne crée pas ou ne renforce pas une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun. Il en résulte qu’il appartient à la Commission de démontrer qu’une opération de concentration ne peut être déclarée compatible avec le marché commun.

62     Ensuite, en vertu de l’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89, la Commission adopte une décision déclarant l’opération de concentration compatible avec le marché commun, lorsqu’elle constate qu’une opération de concentration notifiée, « le cas échéant après modifications apportées par les entreprises concernées », répond au critère défini à l’article 2, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89. Il en découle qu’une opération de concentration modifiée par des engagements répond aux mêmes critères, en ce qui concerne la charge de la preuve, qu’une opération non modifiée.

63     Dès lors, d’une part, la Commission a l’obligation d’examiner une opération de concentration telle qu’elle a été modifiée par les engagements valablement proposés par les parties à l’opération (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, ARD/Commission, T‑158/00, Rec. p. II‑3825, point 280) et, d’autre part, la Commission ne peut la déclarer incompatible avec le marché commun que si ces engagements sont insuffisants pour empêcher la création ou le renforcement d’une position dominante ayant pour conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative. À cet égard, il convient néanmoins de rappeler que, s’agissant d’appréciations économiques complexes, la charge de la preuve incombant à la Commission est sans préjudice de son large pouvoir d’appréciation en ce domaine (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 3 avril 2003, Petrolessence et SG2R/Commission, T‑342/00, p. II‑1161, point 101, et la jurisprudence citée, et arrêt de la Cour du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, non encore publié au Recueil, point 38).

64     Par ailleurs, le fait que le point 6 de la communication concernant les mesures correctives indique que « c’est aux parties qu’il incombe de démontrer que les engagements proposés […] élimineront le problème de création ou de renforcement d’une position dominante soulevé par la Commission » ne saurait modifier cet état du droit. À supposer même que la Commission entende ainsi faire peser sur les parties à une opération notifiée la démonstration de l’efficacité des engagements proposés, démonstration qui est conforme à leurs intérêts, la Commission ne pourrait pas conclure que, dans le doute, elle se doit d’interdire cette opération. Tout au contraire, au final, la Commission se doit de démontrer que cette opération, telle que modifiée, le cas échéant, par des engagements, doit être déclarée incompatible avec le marché commun en raison de la persistance de la création ou du renforcement d’une position dominante entravant significativement une concurrence effective.

65     Il en résulte qu’il appartient à la Commission de démontrer que les engagements valablement soumis par les parties à une opération de concentration ne rendent pas cette opération, ainsi modifiée par ces engagements, compatible avec le marché commun.

66     La Commission prétend qu’il convient de distinguer à cet égard entre les engagements soumis avant ou après la date limite prévue par l’article 18, paragraphe 2, du règlement n° 447/98 pour soumettre des engagements. En l’espèce, il est constant que les Parties ont soumis des modifications à leur première série d’engagements tant avant l’expiration de cette date limite, le 17 novembre 2004, qu’après, le 26 novembre 2004, voire le 3 décembre 2004. Or, le point 43 de la communication concernant les mesures correctives, lu à la lumière de ses points 41 et 42, ne fait pas de distinction selon que la modification de ces engagements est soumise avant ou après la date limite. Néanmoins, ce point 43 dispose que les engagements modifiés doivent, notamment, permettre à la Commission d’établir clairement, sans besoin d’enquête supplémentaire et en lui laissant suffisamment de temps pour consulter les États membres, que, une fois mis en œuvre, de tels engagements élimineront les problèmes concurrentiels constatés.

67     À cet égard, d’une part, le texte du point 43 de la communication sur les mesures correctives ne dispose pas qu’il appartiendrait aux parties à une opération de concentration de prouver que leurs engagements modifiés éliminent clairement les problèmes concurrentiels constatés. D’autre part, la Commission s’étant obligée à accepter, sous certaines conditions, des engagements modifiés, elle ne dispose néanmoins pas du pouvoir de modifier la charge de la preuve instaurée par le règlement n° 4064/89 en ce qui concerne l’adoption d’une décision finale, en vertu de l’article 8, paragraphes 2 ou 3, de ce règlement, au motif que l’opération de concentration répond aux critères posés à l’article 2, paragraphes 2 ou 3, de ce règlement. Dès lors, selon les conditions spéciales instaurées par le point 43 de la communication sur les mesures correctives, il appartient également à la Commission de démontrer que les engagements modifiés ne suffisent pas à établir clairement, sans besoin d’enquête supplémentaire ou en l’absence d’un délai utile pour consulter les États membres, qu’ils élimineront les problèmes concurrentiels constatés.

68     Enfin, il convient de souligner que, selon la logique de la procédure administrative en matière de concentration, la Commission identifie, sur une base provisoire, les problèmes concurrentiels posés, selon elle, par l’opération de concentration, premièrement, en expliquant pourquoi elle considère nécessaire d’ouvrir la procédure en vertu de l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89 puis, deuxièmement, en adressant une communication des griefs aux parties à l’opération. À ce stade, les parties à l’opération peuvent contester l’existence même de ces problèmes concurrentiels et/ou offrir des engagements susceptibles de les résoudre, que ce soit lors de leur réponse à la communication des griefs ou à un stade ultérieur des discussions. Il est ainsi évident que, en proposant des engagements, les parties à l’opération entendent convaincre la Commission de ce que ces engagements résolvent pleinement et entièrement les problèmes concurrentiels préalablement identifiés. À l’inverse, en considérant des engagements comme insuffisants, la Commission estime obligatoirement que ces parties à l’opération ne l’ont pas convaincue de la valeur de leurs engagements en vue d’éliminer le ou les problèmes anticoncurrentiels provoqués par l’opération en cause.

69     Il en résulte que le fait pour la Commission de considérer des engagements valablement soumis, c’est-à-dire soit en première proposition soit, conformément au point 43 de la communication concernant les mesures correctives, en tant que modification des premiers engagements, comme insuffisants ne constitue un renversement indu de la charge de la preuve que si la Commission fonde cette appréciation de leur insuffisance, non pas sur une appréciation de ces engagements basée sur des critères objectifs et vérifiables, mais plutôt sur l’assertion selon laquelle les parties sont restées en défaut de fournir des preuves suffisantes pour effectuer une appréciation sur le fond. En effet, dans ce dernier cas, le doute ne profiterait pas aux parties à cette opération et il conviendrait de conclure que la charge de la preuve de la compatibilité d’une telle opération avec le marché commun a été renversée.

70     En l’espèce, la requérante avance un exemple unique tiré du considérant 833 de la décision attaquée, relatif aux engagements du 17 novembre 2004 soumis avant la date limite, selon lequel « des doutes et des incertitudes considérables demeurent quant à la question de savoir si l’effet combiné [des mesures proposées] compensera, à suffisance, la disparition d’EDP comme concurrent potentiel majeur » sur le marché de la fourniture de gaz aux gros clients. Dans la décision attaquée, la Commission fonde explicitement cette appréciation sur la communication concernant les mesures correctives.

71     Il convient de relever que la Commission a conclu le considérant en cause de manière très affirmative, en soutenant que les mesures proposées par les Parties n’empêcheraient pas le renforcement de la position dominante de GDP sur le marché considéré en tant que résultat de la Concentration. Ainsi, la Commission a assumé le constat selon lequel les engagements en cause étaient insuffisants pour permettre l’autorisation de la Concentration.

72     De plus, les doutes et les incertitudes dont fait état la Commission concernent la question de savoir si les engagements étaient, notamment, inconditionnels et certains. Elle a relevé, dans le considérant 832 de la décision attaquée, cinq raisons pour lesquelles elle considérait que les engagements en cause étaient insuffisants pour garantir que des capacités additionnelles de gaz seraient rendues effectivement disponibles pour des tiers (exclusion des filiales espagnoles des Parties de l’engagement de ne pas réserver de capacités supplémentaires ; absence d’approbation obligatoire du code d’accès des tiers par le régulateur espagnol ; droit des Parties de réserver des capacités dites « stratégiques » ; efficacité réduite de l’engagement de libérer des capacités à Campo Maior en raison des capacités actuelles limitées du gazoduc et des conséquences négatives sur les capacités disponibles au terminal LNG de Sinès ; droits spéciaux des Parties vis-à-vis de l’opérateur de ce terminal et possibilité de construire un lieu de stockage du gaz naturel). Dès lors, les doutes exprimés font référence non pas à l’éventualité des atteintes à la concurrence résultant de la Concentration, mais bien à l’impossibilité de s’assurer que les engagements en cause soient pleinement opérationnels. Or, la Commission est en droit d’écarter des engagements non contraignants ou, ce qui revient au même, des engagements dont les effets peuvent être amoindris, voire éliminés par les Parties. Ce faisant, la Commission n’a pas transféré la charge de la preuve sur les Parties mais a nié le caractère certain et mesurable des engagements que ces derniers devaient posséder. Il convient enfin de relever que, dans le cadre de ce moyen, la requérante n’a pas contesté devant le Tribunal le caractère incertain des effets des engagements en cause.

73     Au vu de ce qui précède, il convient de constater que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas renversé la charge de la preuve qui pesait sur elle quant à son obligation d’établir que la Concentration était incompatible avec le marché commun. Elle a, au contraire, tenté de démontrer pourquoi la Concentration devait être interdite malgré les engagements proposés.

74     Dès lors, la première branche du troisième moyen doit être rejetée.

B –  Sur la deuxième branche du troisième moyen, relative à l’appréciation globale de la Concentration telle que modifiée

75     La requérante prétend, en substance, que la Commission n’a pas apprécié la situation telle qu’elle existerait après la Concentration, compte tenu des engagements, au regard de celle qui existerait sans que la Concentration se réalise. Dans sa réponse écrite pour l’audience, la requérante a précisé son argument en ce sens qu’elle reproche à la Commission d’avoir apprécié les faiblesses pouvant être attribuées aux engagements, plutôt que d’apprécier les effets probables de la Concentration telle que modifiée sur un marché donné, ce qui aboutirait à un résultat différent. En outre, la Commission aurait apprécié les engagements en considérant chacun d’eux de manière isolée. Dans sa réponse écrite, elle a cité pour exemple l’examen distinct des engagements visant à résoudre le problème horizontal sur le marché de gros en électricité et de ceux relatifs aux problèmes non horizontaux sur ce marché.

76     Il y a lieu de relever que la décision attaquée est formellement structurée de telle manière que sont présentées, successivement, l’identification des problèmes concurrentiels provoqués par la Concentration, telle que notifiée, sur chacun des marchés (considérants 280 à 609), puis l’appréciation concurrentielle des engagements du 28 octobre 2004 (considérants 650 à 738), puis de ceux du 17 novembre 2004 (considérants 741 à 841) et, enfin, de ceux du 26 novembre 2004 (considérants 860 à 912). Lors de son appréciation, la Commission a examiné successivement chacun des engagements jugés pertinents pour chacun des marchés en cause. Lorsque, sur un marché, plusieurs problèmes concurrentiels ont été identifiés, la Commission a examiné successivement les engagements dans le cadre de chacun de ces problèmes. Elle a conclu, dans tous les cas, sauf pour le marché de la fourniture de gaz aux LDC, que les engagements étaient insuffisants pour éliminer le problème concurrentiel identifié et/ou le renforcement de la position dominante en cause (voir, s’agissant du marché de gros en électricité choisi comme exemple par la requérante, en ce qui concerne le problème horizontal, considérants 675, 767 et 868 ou, en ce qui concerne les problèmes non horizontaux, considérants 700, 702, 703, 801, 874 et 875).

77     Il doit être rappelé que la Commission a l’obligation d’examiner une opération de concentration telle qu’elle a été modifiée par les engagements valablement proposés par les Parties (voir point 63 ci‑dessus). Toutefois, comme l’a reconnu la requérante à l’audience, un tel postulat n’interdit pas un examen successif des problèmes concurrentiels provoqués par cette opération, puis des engagements offerts par les parties à cette opération en vue d’éliminer ces problèmes, ni un examen successif de chacun des engagements pertinents au regard de ces problèmes, pour autant que la Commission aboutisse, in fine, à une appréciation globale de l’opération de concentration telle que modifiée, c’est-à-dire des effets de cette opération sur chacun des marchés identifiés au regard de l’ensemble des engagements pertinents sur ce marché.

78     Par ailleurs, il appartient à la Commission d’examiner tous les engagements pertinents au regard d’un problème concurrentiel identifié sur l’un des marchés en cause, y compris ceux non explicitement désignés comme tels par les parties à une opération de concentration. Toutefois, la Commission ne commet pas d’erreur de droit en n’appréciant que les engagements spécifiques à un seul marché ou à un seul problème concurrentiel au regard de ce marché ou de ce problème, si les autres engagements ne sont pas pertinents et n’ont pas de signification économique réelle dans ce cadre.

79     En l’espèce, le grief de la requérante procède d’un postulat non réaliste et d’une lecture erronée de la décision attaquée.

80     En premier lieu, il convient de rappeler que les engagements offerts par les parties à une opération de concentration sont destinés spécifiquement à résoudre les problèmes concurrentiels préalablement identifiés. Il est dès lors inévitable, pour la Commission, lorsqu’elle est confrontée à un engagement, de s’interroger d’abord sur la portée de cet engagement et, en particulier, sur ses faiblesses intrinsèques éventuelles, puis de vérifier si cet engagement est apte, en tout ou en partie, à résoudre le problème identifié. En effet, l’analyse des effets probables de l’opération de concentration modifiée suppose d’apprécier tout d’abord la portée de cette modification. À cet égard, il importe de noter que la requérante, dans sa requête et dans les annexes de celle-ci, a également procédé à cette démarche successive, amenant le Tribunal, au demeurant, à procéder de même. Par ailleurs, il est irréaliste d’imaginer que la Commission pourrait, dans les contraintes de temps qui lui sont imposées par le règlement n° 4064/89, recommencer entièrement son analyse d’une opération de concentration, au vu de la présentation d’engagements, comme si cette opération avait été nouvellement notifiée sous sa forme amendée par les engagements. Une telle démarche se heurterait à l’impératif de célérité qui caractérise l’économie générale du règlement n° 4064/89 (arrêt du Tribunal du 28 avril 1999, Endemol/Commission, T‑221/95, Rec. p. II‑1299, point 68). Le caractère irréaliste de la démarche proposée implicitement par la requérante est renforcé, en l’espèce, par le fait que trois, voire quatre séries d’engagements ont été proposées successivement, la ou les dernières à une date tardive, alors que s’achevait la procédure. À cet égard, l’argument de la requérante selon lequel ces séries successives ne sont que des modifications des précédents engagements et non de nouveaux engagements ne modifie pas cette analyse. Dans cette situation, la Commission est obligée, à chaque fois, de confronter ces nouveaux éléments à son analyse, afin d’examiner si ces modifications sont aptes à infirmer ses conclusions précédentes.

81     En second lieu, dans la décision attaquée, la Commission a pris soin d’expliquer en quoi les faiblesses de chacun des engagements ne permettaient pas à celui-ci, à lui seul, de résoudre le problème concurrentiel en cause. Elle a toutefois systématiquement fait suivre cette analyse ponctuelle de la conclusion selon laquelle l’ensemble des engagements pertinents au regard de ce problème était également insuffisant pour résoudre ledit problème. Pour les engagements du 18 octobre et du 17 novembre 2004, elle a précisé que le renforcement de la position dominante en cause demeurait (voir, par exemple, s’agissant du marché de gros en électricité avancé par la requérante, en ce qui concerne le problème horizontal, considérants 675 et 767 ou, en ce qui concerne les problèmes non horizontaux, considérants 700, 702, 703 et 801). Lorsqu’elle l’a jugé nécessaire, elle a également examiné des engagements autres que ceux proposés spécifiquement par les Parties en vue de résoudre un problème concurrentiel donné (considérants 809 à 812). Ce faisant, l’analyse de la Commission a été équivalente à l’analyse de la Concentration telle que modifiée par les engagements. Si, s’agissant des engagements du 26 novembre 2004, la Commission s’est bornée à conclure que les engagements en cause étaient insuffisants pour résoudre les problèmes concurrentiels en cause, elle a néanmoins procédé à une appréciation globale de ces engagements au regard desdits problèmes (voir, s’agissant du problème horizontal sur le marché de gros en électricité, considérant 868 ou, s’agissant des problèmes non horizontaux sur ce marché, considérants 874 et 875). De plus, l’examen des engagements tardifs répondant à des conditions spéciales inscrites dans la communication concernant les mesures correctives, il ne saurait être déduit du fait que la Commission n’a pas conclu explicitement au renforcement des positions dominantes examinées qu’elle n’a pas procédé à une analyse globale de la Concentration telle que modifiée.

82     Il en résulte que la Commission a procédé effectivement à une analyse globale de la Concentration telle que modifiée par les engagements proposés par les Parties.

83     S’agissant de l’exemple d’examen isolé des engagements relatifs au problème horizontal et aux problèmes non horizontaux sur le marché de gros en électricité avancé par la requérante, il convient de constater que cet argument se confond entièrement avec l’argument exposé dans le cadre du quatrième moyen, selon lequel les engagements relatifs aux problèmes non horizontaux permettraient l’entrée sur le marché d’un certain nombre de concurrents, alors que GDP n’était qu’un concurrent potentiel. À supposer que la Commission ait considéré à tort qu’elle pouvait se permettre de négliger l’examen de la portée indirecte de certains engagements au regard d’un problème concurrentiel ou d’un marché pour lesquels ils n’étaient pas directement pertinents, la Commission n’aurait pas commis une erreur de droit mais une erreur d’appréciation. En effet, si la Commission est tenue d’examiner tous les engagements pertinents au regard d’un problème concurrentiel identifié sur l’un des marchés en cause, y compris ceux non explicitement désignés comme tels par les parties à une opération de concentration, la question de savoir si tel ou tel engagement est pertinent au regard d’un problème spécifique posé par une opération de concentration relève de l’appréciation économique de l’opération en cause et doit être examiné dans ce cadre.

84     La requérante ayant également soulevé cet argument dans le cadre de son quatrième moyen relatif à l’existence d’erreurs d’appréciation de la Commission à l’égard de la Concentration telle que modifiée, il convient de le traiter lors de l’examen de ce moyen.

85     Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la deuxième branche du troisième moyen.

C –  Sur la troisième branche du troisième moyen, relative à l’existence d’un détournement de pouvoir

86     La requérante prétend, en substance, que la Commission a méconnu les pouvoirs qui lui ont été conférés par le règlement n° 4064/89 en exigeant que les engagements visent à la libéralisation des marchés de l’électricité et du gaz.

87     Selon une jurisprudence constante, la notion de détournement de pouvoir se réfère au fait, pour une autorité administrative, d’avoir usé de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés. Une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise à une telle fin (arrêts de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, Rec. p. I‑4023, point 24, et du 10 mai 2005, Italie/Commission, C‑400/99, non encore publié au Recueil, point 38). En cas de pluralité de buts poursuivis, même si un motif non justifié se joint aux motifs valables, la décision ne serait pas pour autant entachée de détournement de pouvoir, dès lors qu’elle ne sacrifie pas le but essentiel (arrêt de la Cour du 21 décembre 1954, Italie/Haute Autorité, 2/54, Rec. p. 73, 103, et, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 juillet 1999, Vlaamse Televisie Maatschappij/Commission, T‑266/97, Rec. p. II‑2329, point 131).

88     Il convient de relever au préalable qu’il est constant que la Concentration entre dans le champ d’application du règlement n° 4064/89 (considérants 12 et 13 de la décision attaquée). Il doit également être relevé que la requérante ne prétend pas que la Concentration ne pouvait pas faire l’objet d’une décision d’ouverture de la procédure d’examen au titre de l’article 6 du règlement n° 4064/89 et, donc, d’une décision finale au titre de l’article 8 du règlement n° 4064/89. À cet égard, la requérante reconnaît, notamment dans sa réponse écrite pour l’audience, que la Concentration telle que notifiée renforçait les positions dominantes d’EDP sur les marchés de l’électricité. Dès lors, la présentation d’engagements par les Parties en vue d’obtenir une décision déclarant la Concentration compatible avec le marché commun était inévitable.

89     Force est donc de constater que la Commission, en prenant en compte les engagements proposés aux fins de l’adoption de la décision attaquée, a pleinement inscrit son action dans le cadre du règlement n° 4064/89. La Commission a ainsi poursuivi l’objectif de ce règlement, qui vise à interdire la création ou le renforcement d’une position dominante ayant pour conséquence une entrave significative à une concurrence effective.

90     La requérante prétend toutefois que la Commission a exigé plus desdits engagements, allant au-delà de ce qui était nécessaire pour assurer l’absence de renforcement des positions dominantes d’EDP ou de GDP. En particulier, la Commission aurait exigé un degré d’ouverture du marché allant au-delà de la solution au problème concurrentiel provoqué par la Concentration.

91     Les nombreux exemples avancés par la requérante – selon lesquels, en substance, la Commission a jugé les engagements insuffisants pour assurer l’entrée de nouveaux concurrents sur les marchés en cause (voir, notamment, considérants 659, 665, 707, 714, 725, 749, 805, 812, 862, 879 et 888 de la décision attaquée) – démontrent simplement que l’objectif du règlement n° 4064/89, à savoir empêcher la création ou le renforcement de positions dominantes ayant pour effet qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative par une opération de concentration, a été poursuivi par la Commission. En effet, l’entrée de nouveaux concurrents sur des marchés où il est constant qu’EDP et GDP détiennent des positions dominantes très fortes constitue une préoccupation concurrentielle essentielle dans le cadre de l’application de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89. Dès lors, l’objectif essentiel poursuivi par la Commission dans son refus de modifier sa position au vu des engagements s’est pleinement inscrit dans le cadre du règlement n° 4064/89.

92     À cet égard, il doit être noté que, dans le cadre de son moyen relatif à l’appréciation concurrentielle de la Concentration telle que modifiée, la requérante se prévaut du fait que la Concentration constituerait une avancée importante en vue de l’ouverture des marchés du gaz et de l’électricité à la concurrence. En conséquence, sauf à être en contradiction avec elle-même, la requérante reconnaît que la résolution, par les engagements, des problèmes concurrentiels posés par la Concentration et la poursuite d’une ouverture des marchés à la concurrence peuvent coexister.

93     À supposer même, ce qui sera examiné ci-dessous, que le constat de l’insuffisance d’un des engagements proposés ou l’exigence d’un engagement particulier de la part de la Commission soient considérés comme excessifs au regard de la résolution des problèmes concurrentiels identifiés par la Commission dans la décision attaquée, une telle erreur constituerait une violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 et non pas un détournement de pouvoir.

94     Par ailleurs, la requérante considère que la Commission semble avoir été attirée par la thèse exposée dans un rapport réalisé par Cambridge Economic Policy Associates à la demande de l’autorité de la concurrence portugaise, intitulé « Rapport sur les marchés de l’électricité et du gaz au Portugal », selon laquelle, d’après la requérante, la Commission devrait utiliser activement la Concentration pour améliorer les conditions de concurrence. Toutefois, il convient de constater que, dans les passages de la décision attaquée citant ce rapport (voir, notamment, considérants 137, 172, 333 et 573), la Commission ne s’est aucunement approprié l’objectif éventuellement proposé par ce rapport, mais s’est bornée à en tirer des appréciations économiques objectives. Les références à ce rapport ne peuvent donc constituer l’indice d’un détournement de pouvoir.

95     Quant aux autres éléments avancés par la requérante, notamment les déclarations de M. Monti, alors membre de la Commission en charge de la concurrence, ou d’autres décisions de la Commission en matière de concentration dans le secteur de l’énergie (décision de la Commission du 7 février 2001, affaire COMP/M.1853 – EDF/EnBW ; décision de la Commission du 19 mars 2002, affaire COMP/M.2684.1853 – EnBW/EDP/Gastajur/Hidrocantábrico), ils ne sauraient constituer des indices pertinents pour établir l’existence d’un détournement de pouvoir en l’espèce, dès lors que ces éléments ne fondent pas la décision attaquée. En outre, même si ces deux décisions intervenues en matière de concentration étaient affectées du vice prétendu par la requérante, à savoir exiger une ouverture des marchés non nécessaire au regard des problèmes concurrentiels identifiés dans ces décisions, cela ne signifierait pas que la décision attaquée, fondée sur une situation concurrentielle propre à l’affaire, est affectée du même vice.

96     La circonstance alléguée par la requérante selon laquelle la Commission poursuivait en réalité l’accomplissement des objectifs de la seconde directive gaz alors que cette directive est fondée sur l’article 47, paragraphe 2, CE (droit d’établissement), l’article 55 CE (libre prestation de services) et l’article 95 CE (rapprochement des législations) ne démontre pas que la Commission ait entendu, à tort, poursuivre lesdits objectifs. D’une part, la base juridique de cette directive tendrait plutôt à démontrer que la Commission n’a pu poursuivre que très indirectement les buts de cette directive en privilégiant l’entrée de nouveaux concurrents, notamment nationaux, sur les marchés en cause. D’autre part, il convient de constater que la directive 98/30/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (JO L 204, p. 1, ci-après la « première directive gaz »), et la seconde directive gaz ont pour effet, si ce n’est pour objet, notamment, d’introduire une concurrence dans un secteur jusque-là traditionnellement non assujetti à celle-ci [voir considérants 2, 6, 21, 22, 26 et, particulièrement, 31 de la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE (JO L 176, p. 37, ci-après la « seconde directive électricité »), et considérants 2, 7, 19, 21, 25, 27 et, particulièrement, 30 de la seconde directive gaz ; voir également, s’agissant de la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 décembre 1996, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (JO L 27, p. 20), arrêt de la Cour du 7 juin 2005, VEMW e.a., C‑17/03, non encore publié au Recueil, point 62]. Il en résulte que l’un des buts de la seconde directive gaz est clairement concurrentiel. Dès lors, il n’est pas surprenant que l’objectif concurrentiel du règlement n° 4064/89 soit également assumé par un de ceux de la seconde directive électricité et de la seconde directive gaz. En conséquence, la poursuite de l’accomplissement de la seconde directive gaz ne peut constituer un indice de détournement de pouvoir dès lors que son objectif est également celui pour lequel ce règlement a conféré ses pouvoirs à la Commission.

97     La requérante prétend, enfin, que la libéralisation des secteurs de l’énergie aurait dû être mise en œuvre par la voie de l’application de l’article 86 CE. Sans qu’il y ait lieu de trancher la question de savoir si la Commission pouvait encore employer les pouvoirs qui lui sont octroyés par cet article, nonobstant l’existence de la seconde directive électricité et de la seconde directive gaz, l’argument de la requérante est sans pertinence dans le cadre de la présente branche. En effet, à supposer même que l’article 86 CE permette de réaliser la libéralisation des marchés concernés, une telle supposition ne pourrait conduire qu’à la constatation que cette disposition de concurrence et le règlement n° 4064/89, dont il a été vu que ses objectifs avaient été correctement poursuivis par la Commission, peuvent être applicables concomitamment.

98     Au vu de ce qui précède, la troisième branche du troisième moyen doit être rejetée.

D –  Sur la quatrième branche du troisième moyen, relative aux difficultés de contrôle de certains engagements comportementaux

99     La requérante avance que la Commission a rejeté certains engagements en raison de leur nature comportementale et de la nécessité de procéder à un contrôle ex post de ceux-ci. Ce faisant, elle aurait violé la jurisprudence et sa pratique administrative récente et n’aurait pas pris en compte la possibilité de faire procéder à ce contrôle ex post par les autorités portugaises compétentes.

100   Il convient de rappeler, au préalable, que les engagements comportementaux ne sont pas insuffisants de par leur nature pour empêcher la création ou le renforcement d’une position dominante et doivent être appréciés au cas par cas au même titre que les engagements structuraux (arrêts Gencor/Commission, point 48 supra, point 319, et Tetra Laval/Commission, point 45 supra, point 161, confirmé à cet égard par arrêt de la Cour du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, point 63 supra, point 85).

101   Toutefois, le grief de la requérante procède d’une lecture erronée de la décision attaquée, dès lors que, dans les trois exemples avancés par elle, la Commission n’a pas rejeté les engagements en cause uniquement en raison de leur nature comportementale ou en raison des difficultés de contrôle de ces engagements, mais en raison de leur insuffisance globale au regard des problèmes concurrentiels identifiés.

102   Ainsi, au considérant 663, la Commission a, certes, conclu que l’engagement relatif à la location de la capacité de production équivalente à une CCGT du TER était loin de procurer les avantages d’un engagement structurel et qu’il nécessitait des vérifications extensives ultérieures de sa part. Toutefois, la Commission entendait ainsi souligner que les Parties avaient prévu la fin anticipée de cet engagement dès la survenance de conditions complexes et qu’elles lui avaient demandé de vérifier la réalité de la survenance de l’une de ces conditions. Ainsi, la Commission a principalement considéré que ces conditions affectaient cet engagement de graves incertitudes. En premier lieu, ce n’est donc pas sa nature comportementale qui a fondé le rejet de cet engagement par la Commission. En second lieu, la difficulté de contrôle de ces conditions résultait de la complexité et de l’absence de caractère approprié de ces conditions et non d’un refus de la Commission de procéder à un contrôle ex post. En troisième et dernier lieu, les considérants 662 et 664 font état de plusieurs autres facteurs, tels que, notamment, le fait que le locataire ne serait pas en mesure de gérer la CCGT de façon autonome, qu’il deviendrait dépendant d’EDP, ou que les conditions de fin anticipée de l’engagement sont fondées sur des considérations transnationales alors que le marché demeurera national, qui justifiaient également, aux yeux de la Commission, le rejet de cet engagement.

103   Au considérant 678, la Commission n’a avancé qu’en tant que raison supplémentaire et marginale le fait que l’engagement relatif à la vente du terminal LNG de Sinès demandait un contrôle extensif ultérieur de la part de la Commission. Elle ne s’est aucunement fondée sur la nature comportementale de cet engagement et la quasi-totalité du considérant est consacrée à d’autres raisons, telles que, notamment, la date du désinvestissement, les faiblesses relatives à l’accès des tiers aux capacités de gaz et le maintien d’une participation minoritaire de GDP dans l’opérateur gérant le terminal, amenant la Commission à conclure, au considérant suivant, que les effets positifs de cet engagement risquaient d’être sérieusement amoindris.

104   Au considérant 719, la Commission a, certes, considéré que l’engagement relatif à la suspension des droits de vote d’EDP au directoire Turbogás sur les questions relatives à la fourniture de gaz et aux investissements et relatif à la nomination de membres indépendants au directoire de Turbogás était purement comportemental et serait difficile à contrôler. Toutefois, cet aspect n’a été souligné qu’à titre supplémentaire et fait suite à trois raisons principales pour lesquelles la Commission a considéré cet engagement insuffisant, à savoir le fait que l’indépendance des membres nommés n’était pas garantie, le fait qu’EDP conserverait ses droits de vote sur des questions importantes et pourrait indirectement peser sur le choix du fournisseur de gaz et le fait que la suspension des droits de vote serait limitée à trois ans.

105   Enfin, s’agissant du reproche selon lequel la Commission aurait omis de prendre en compte la possibilité que les autorités portugaises compétentes procèdent aux contrôles nécessaires pour vérifier la survenance des conditions mettant fin de façon anticipée aux engagements en cause, il convient de relever, en premier lieu, que, s’agissant de la location du TER, ce sont les Parties elles-mêmes qui ont explicitement prévu de demander à la Commission de vérifier la survenance de ces conditions. La Commission n’était donc pas en mesure, sauf à modifier d’elle‑même l’engagement proposé, ce qui n’est pas de sa compétence, de confier ce contrôle aux autorités nationales. De même, s’agissant des deux autres engagements invoqués par la requérante, la Commission n’était pas obligée, même si elle en avait la possibilité dans le cadre des discussions avec les Parties, d’instaurer une méthode de surveillance particulière, notamment déléguée aux autorités nationales compétentes. Il appartenait, en revanche, aux Parties de proposer des engagements complets et efficaces à tous points de vue, en particulier si ces engagements comportementaux avaient des faiblesses intrinsèques quant à leur caractère contraignant justifiant une surveillance ex post.

106   Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la quatrième branche du troisième moyen.

107   En conséquence, le troisième moyen doit être rejeté dans son ensemble.

III –  Sur le premier moyen, relatif à la dérogation dont bénéficie la République portugaise en vertu de la seconde directive gaz

108   La requérante considère, en substance, que la Commission, en appréciant la situation concurrentielle sur des marchés non ouverts à la concurrence a méconnu, premièrement, la dérogation temporaire au calendrier de libéralisation dont bénéficie la République portugaise en vertu de la seconde directive gaz et, deuxièmement, l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 en projetant son analyse concurrentielle plus de cinq ans après la Concentration.

A –  Observations liminaires

109   Il convient de rappeler, au préalable, que les marchés de l’électricité et du gaz dans la Communauté étaient de facto des marchés non obligatoirement ouverts à la concurrence avant l’adoption de la première et de la seconde directive gaz en raison des monopoles nationaux existant dans certains États membres. Toutefois, la Cour a eu l’occasion de rappeler que les dispositions de concurrence contenues dans le traité CE étaient applicables aux décisions d’entreprises agissant dans ces secteurs (arrêt de la Cour du 27 avril 1994, Almelo e.a., C‑393/92, Rec. p. I‑1477, points 34 à 51). Néanmoins, la première directive gaz, puis la seconde directive gaz, qui est venue accélérer le calendrier prévu par la première, sont fondées sur le postulat selon lequel les États membres n’étaient pas immédiatement obligés, dès la date de mise en œuvre de ces directives, d’ouvrir les marchés du gaz à la concurrence. Il y a donc lieu d’admettre que les différents marchés du gaz ne sont pas obligatoirement soumis à la concurrence avant les échéances fixées dans la seconde directive gaz.

110   La seconde directive gaz vise à établir un marché intérieur du gaz dans lequel une concurrence loyale existe (considérant 30 de la seconde directive gaz), c’est-à-dire à donner la possibilité aux consommateurs de choisir librement leur fournisseur et aux fournisseurs de délivrer librement leur produit à leurs clients (considérant 4 de la seconde directive gaz). L’un des axes principaux de cette libéralisation des marchés du gaz consiste en l’établissement d’un calendrier d’ouverture progressive de ces marchés fondé sur l’augmentation progressive du nombre de clients éligibles, c’est-à-dire des clients libres d’acheter du gaz chez le fournisseur de leur choix. En vertu de la seconde directive gaz, tous les clients non domestiques devaient être éligibles au 1er juillet 2004, et l’ensemble des clients devront être éligibles au 1er juillet 2007.

111   Toutefois, en vertu de l’article 28, paragraphe 2, de la seconde directive gaz, les États membres qui ont le statut de marché émergent sont soumis à un calendrier dérogatoire. Jusqu’aux dates prévues par ce calendrier, les États membres concernés peuvent déroger aux obligations suivantes : autorisation non discriminatoire pour la construction ou l’exploitation d’installations de gaz, désignation des gestionnaires de réseau, définition des tâches de ces gestionnaires, séparation juridique des gestionnaires de réseau de transport, désignation des gestionnaires de réseau de distribution, définition des tâches d’équilibrage du réseau de distribution par le gestionnaire de réseau, séparation juridique des gestionnaires de réseau de distribution, séparation des comptabilités, instauration d’un accès des tiers au réseau de gaz naturel et aux installations LNG, instauration du calendrier de libéralisation et instauration d’un régime pour les conduites directes (voir point 6 ci-dessus).

112   Il en résulte clairement que cette dérogation exonère l’État membre concerné de l’obligation d’appliquer les principales dispositions de la seconde directive gaz assurant l’ouverture des différents marchés à la concurrence et garantissant une concurrence effective. Il doit donc être conclu que, en vertu de cette dérogation, les marchés du gaz concernés ne sont pas ouverts à la concurrence tant que l’État membre concerné n’a pas ouvert ces marchés.

B –  Sur la première branche du premier moyen, relative à la méconnaissance de la dérogation accordée à la République portugaise

113   Par la première branche de son moyen, la requérante prétend que la Commission, en appréciant les effets de la Concentration sur des marchés non ouverts à la concurrence, a violé le droit de la République portugaise de restructurer le secteur du gaz durant le temps accordé par la dérogation octroyée par l’article 28 de la seconde directive gaz. En revanche, premièrement, la Commission considère que la Concentration résulte uniquement de décisions émanant d’entreprises et qu’elle doit être examinée avant tout au regard du règlement n° 4064/89. Deuxièmement, elle estime avoir sauvegardé la cohérence nécessaire entre ce règlement et la seconde directive gaz en n’appréciant pas les effets de la Concentration durant la période couverte par la dérogation. Troisièmement, elle considère que cette dérogation ne donne pas le droit à un État membre de favoriser une opération de concentration qui affectera significativement la concurrence après l’expiration de cette dérogation.

114   Il est constant que la République portugaise bénéficie de la dérogation prévue à l’article 28, paragraphe 2, de la seconde directive gaz et que cette dérogation prendra fin en 2007, ce qui entraînera la mise en place du calendrier d’ouverture progressive des marchés du gaz à la concurrence.

115   La République portugaise a mis à profit cette dérogation pour établir une industrie gazière nationale agissant sous monopole dans tous les secteurs du gaz (transport, stockage, distribution, fourniture). Il doit être remarqué que la création de ces monopoles n’a fait l’objet d’aucune contestation concurrentielle de la part de la Commission. De même, en l’espèce, le gouvernement portugais n’a encore officiellement ouvert aucun des marchés concernés à la concurrence. La Commission prétend, notamment, que l’ouverture du marché de la fourniture de gaz aux producteurs d’électricité avait été envisagée pour 2004 et a été reportée à 2005 (considérant 211 de la décision attaquée). Toutefois, aucune preuve documentaire de l’ouverture effective de ce marché n’a été apportée. De plus, au dire même de la Commission, ce marché n’était pas ouvert à la concurrence à la date d’adoption de la décision attaquée. Par ailleurs, la Commission s’appuie sur le fait que la République portugaise envisage très sérieusement d’avancer la libéralisation de tous les marchés du gaz. Toutefois, même à supposer une telle accélération du calendrier de libéralisation au Portugal, avant toute libéralisation effective, tous les marchés concernés du gaz restent couverts par la dérogation. De plus, rien n’indique que la République portugaise accepterait d’avancer le calendrier de libéralisation sans voir la Concentration se réaliser.

116   Il en résulte que les marchés du gaz au Portugal n’étaient pas ouverts à la concurrence à la date de l’adoption de la décision attaquée. Or, cette circonstance affecte directement et inévitablement l’application de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 à ces marchés.

117   D’une part, s’agissant du premier critère de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, à savoir la création ou le renforcement d’une position dominante, ce critère ne peut trouver à s’appliquer, puisque GDP possède actuellement une situation monopolistique sur les marchés de la fourniture de gaz aux producteurs d’électricité, aux LDC et aux gros clients (considérant 475 de la décision attaquée). En effet, sur un marché précis, un monopole représente la position dominante absolue, qui ne peut, de ce fait, être renforcée sur ce marché. Le seul marché sur lequel la position dominante de GDP pourrait être renforcée est celui de la fourniture de gaz par les LDC aux petits clients dans la mesure où GDP ne possède que cinq des six LDC existantes. Néanmoins, il convient de relever que chacune de ces LDC possède un monopole géographique qui empêche toute concurrence actuelle entre elles.

118   D’autre part, s’agissant du second critère de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, à savoir l’entrave significative à une concurrence effective, dont il a été vu ci-dessus qu’il constituait un critère autonome, il ne peut pas non plus être satisfait dans le cadre d’un marché non concurrentiel. En effet, en l’absence de toute concurrence, aucune concurrence effective ne saurait être entravée de manière significative par la Concentration, à la date d’adoption de la décision attaquée.

119   Cette analyse est pleinement corroborée par la jurisprudence générale en matière de concurrence. Ainsi, en matière d’entente et d’abus de position dominante, il a été jugé que, si une législation nationale crée un cadre juridique éliminant toute possibilité de comportement concurrentiel de la part des entreprises, les articles 81 CE et 82 CE ne sont pas d’application (arrêts de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 71 et 72, et du 11 novembre 1997, Commission et France/Ladbroke Racing, C‑359/95 P et C‑379/95 P, Rec. p. I‑6265, point 33 ; arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 1130). De même, le Tribunal a jugé, en matière d’aide d’État, qu’« un régime d’aides institué dans un marché initialement fermé à la concurrence doit être considéré, lors de la libéralisation de ce marché, comme un régime d’aides existant, dans la mesure où il ne relevait pas, au moment de son institution, du champ d’application de l’article 92, paragraphe 1, du traité, uniquement applicable dans les secteurs ouverts à la concurrence, eu égard aux conditions énoncées par ce texte, relatives à l’affectation des échanges entre les États membres et aux répercussions sur la concurrence » (arrêt du Tribunal du 15 juin 2000, Alzetta e.a./Commission, T‑298/97, T‑312/97, T‑313/97, T‑315/97, T‑600/97 à T‑607/97, T‑1/98, T‑3/98 à T‑6/98 et T‑23/98, Rec. p. II‑2319, point 143, confirmé indirectement sur pourvoi par arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑298/00 P, Rec. p. I‑4087, points 66 à 68).

120   Il convient de relever que cette situation n’affecte que la satisfaction des conditions posées par l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 et non son application ou l’applicabilité de l’ensemble dudit règlement à la Concentration. En effet, dès lors qu’une opération de concentration entre dans le champ d’application de ce règlement, conformément à son article 1er, cette opération est soumise audit règlement, mais ne peut être interdite en raison de ses effets sur des marchés non concurrentiels.

121   À cet égard, il y a lieu de constater que la Commission prétend avoir respecté la dérogation en projetant son analyse concurrentielle, dans la décision attaquée, à une date à laquelle les marchés du gaz devraient être ouverts à la concurrence, soit au regard du calendrier envisagé par les autorités portugaises soit au regard du calendrier, plus tardif mais contraignant, de la dérogation. Ce faisant, la Commission confirme, en partie, l’analyse faite ci-dessus sur l’impossibilité de satisfaire aux critères de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 s’agissant de marchés non ouverts à la concurrence.

122   L’argument de la Commission doit être rejeté. En effet, le fait de reporter l’objet de l’analyse concurrentielle à une date postérieure à celle de la fin de la dérogation ne signifie pas que cette dérogation a été prise en compte. En interdisant à l’opérateur monopolistique sur le marché du gaz de procéder immédiatement à des opérations économiques conduisant à la modification de sa position concurrentielle, alors que la dérogation reconnue à la République portugaise l’exonère des règles communes de concurrence, la Commission a méconnu la possibilité pour cet État de structurer librement son marché du gaz durant l’existence de la dérogation. En d’autres termes, la Commission a interdit aux Parties de bénéficier des effets de la Concentration sur les marchés du gaz pendant la période durant laquelle la Concentration ne pouvait être interdite en application du règlement n° 4064/89 et de la seconde directive gaz.

123   De plus, en appréciant uniquement les effets futurs de la Concentration sur les marchés du gaz à la date à laquelle ils seront susceptibles de rencontrer les conditions de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, à savoir lorsque ces marchés seront ouverts à la concurrence, la Commission s’est délibérément abstenue de prendre en compte les effets immédiats de la Concentration sur ces marchés.

124   Or, lorsque, dans le cadre de l’application de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, la Commission examine une opération de concentration, elle doit déterminer si la création ou le renforcement d’une position dominante, de nature à entraver de manière significative et durable la concurrence effective existant dans le ou les marchés en cause, serait la conséquence directe et immédiate de la concentration. En l’absence d’une telle modification de la concurrence actuelle, l’opération devrait a priori être autorisée (arrêt du Tribunal du 6 juin 2002, Airtours/Commission, T‑342/99, Rec. p. II‑2585, point 58, et la jurisprudence citée). Il est vrai que la Commission peut, le cas échéant, prendre en compte les effets d’une opération de concentration dans un avenir proche (arrêt du Tribunal du 25 octobre 2002, Tetra Laval/Commission, T‑5/02, Rec. p. II‑4381, point 153), voire fonder son interdiction d’une opération de concentration sur de tels effets futurs. Toutefois, cela ne l’autorise pas à s’abstenir d’analyser les effets immédiats d’une telle opération s’ils existent et de les prendre en compte dans son appréciation globale de cette opération.

125   En l’espèce, la Commission n’a pas examiné la période comprise entre la date de la Concentration et la date de l’ouverture des marchés du gaz à la concurrence, c’est-à-dire une période allant, selon les marchés, de trois à six ou huit ans après la Concentration. Or, la Concentration telle que modifiée par les engagements engendrait des effets immédiats significatifs sur les marchés du gaz, principalement constitués par une avancée de l’ouverture de ces marchés de deux à trois ans environ par rapport au calendrier prévu par la dérogation. En effet, si l’ouverture légale de ces marchés à la concurrence devait être opérée par le gouvernement portugais conformément aux assurances qu’il avait données en ce sens, de nombreux engagements garantissaient l’effectivité même de cette ouverture, en particulier en ce qui concerne l’accès des tiers aux capacités de gaz. Cette abstention de la Commission est loin d’être neutre d’un point de vue concurrentiel dans la mesure où le passage anticipé d’une situation de monopole à une situation dans laquelle l’existence de concurrents est rendue possible, notamment par l’accès non ou moins discriminatoire des tiers aux ressources de gaz et la possibilité pour ces derniers d’intervenir sur des marchés précédemment fermés, ne peut être complètement ignoré.

126   Il convient, à cet égard, d’écarter l’argument de la Commission selon lequel les entreprises en cause seraient soumises au seul règlement n° 4064/89 et ne pourraient bénéficier de la dérogation accordée à l’État membre concerné par la seconde directive gaz. Il est certain que ce règlement et cette directive ont des bases juridiques différentes et des destinataires différents. Il doit être également admis que la Concentration résulte de décisions d’entreprises, même s’il ressort du dossier que l’État portugais est partie prenante à cette Concentration en ce qu’il l’a visiblement escomptée, si ce n’est organisée (voir point 11 ci-dessus). Toutefois, contrairement à la prémisse de la Commission, le règlement n° 4064/89 et la seconde directive gaz ne peuvent pas être analysés séparément. Ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, l’absence de concurrence sur les marchés du gaz en vertu de la dérogation accordée conformément à la seconde directive gaz empêche l’application de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89. En effet, il ne saurait être reproché à des entreprises de restreindre de façon significative une concurrence effective lorsque cette concurrence n’existe pas du fait des législations nationale et communautaire.

127   Certes, comme le souligne la Commission dans la décision attaquée (considérants 210 à 214), si elle ne peut apprécier les effets concurrentiels futurs de la Concentration sur des marchés actuellement non encore ouverts à la concurrence, cela l’empêche totalement d’apprécier les effets de la Concentration sur les marchés du gaz. En particulier, alors que les marchés en cause doivent être ouverts à la concurrence selon un calendrier strict et contraignant conformément à la seconde directive gaz, elle ne peut apprécier si la Concentration empêche l’introduction d’une concurrence effective dans le cadre de ce calendrier.

128   Si la conséquence de cette analyse, comme le souligne la Commission, est que des entreprises ne soient pas pleinement soumises aux règles habituelles de concurrence, y compris celles promues par la seconde directive gaz, juste avant que celles-ci ne leur soient applicables, un tel résultat est, en l’espèce, le fruit de la volonté du législateur telle que formalisée dans la dérogation ouverte par l’article 28, paragraphe 2, de cette directive.

129   De plus, la Commission ne saurait se prévaloir du fait que les Parties ont notifié la Concentration pour conclure qu’elles ont ainsi reconnu l’applicabilité du règlement n° 4064/89. D’une part, ce n’est pas l’applicabilité du règlement dans son ensemble, mais l’application de sa principale disposition d’interdiction à une partie de la Concentration qui est en cause en l’espèce. D’autre part, cette notification demeurait obligatoire en vertu de l’article 1er de ce règlement. De plus, l’applicabilité du règlement nº 4064/89 ne saurait dépendre de la volonté des parties à une opération de concentration.

130   Force est donc de conclure que, en fondant l’interdiction de la Concentration sur le renforcement de positions dominantes ayant comme conséquence une entrave significative à la concurrence sur des marchés du gaz non ouverts à la concurrence en vertu de la dérogation octroyée par l’article 28, paragraphe 2, de la seconde directive gaz, la Commission a méconnu les effets et donc la portée de cette dérogation.

131   Il convient néanmoins de relever que l’erreur commise par la Commission réside uniquement dans le fait qu’elle a considéré comme satisfaites les conditions d’application de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 à l’égard de marchés non ouverts à la concurrence. En revanche, ses appréciations concurrentielles fondées sur le règlement n° 4064/89 relatives à la situation des marchés du gaz antérieurement à la Concentration, celles relatives à la situation des marchés du gaz à la date prévisible de l’ouverture de ces marchés et celles relatives à la situation des marchés de l’électricité avant et après la Concentration ne sont pas affectées par cette erreur. En effet, la situation concurrentielle existant à la date d’adoption de la décision attaquée ou à la date d’ouverture à la concurrence des marchés en cause constitue une donnée objective qui n’est pas affectée par l’absence d’application d’un critère juridique.

132   Il doit également être noté que l’impossibilité de satisfaire aux conditions posées par l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 est limitée au seul secteur dans lequel la concurrence est absente et cet article demeure pleinement applicable aux autres secteurs éventuellement concernés par l’opération notifiée. À cet égard, il y a lieu de rappeler que le règlement n° 4064/89 s’attache à l’analyse d’une ou de plusieurs positions dominantes sur le ou les marchés affectés par une opération de concentration. Il est tout à fait possible, voire fréquent, qu’une opération de concentration ne produise des effets anticoncurrentiels significatifs que sur l’un ou quelques-uns des marchés en cause sans provoquer de tels effets sur les autres marchés. Dans cette hypothèse, l’opération doit néanmoins être interdite, conformément à l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89. Dès lors, l’application de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 aux marchés de l’électricité n’est pas affectée par l’erreur commise en ce qui concerne les marchés du gaz.

133   Au vu de ce qui précède, il y a lieu de juger que la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit pour autant qu’elle conclut au renforcement des positions dominantes préexistantes de GDP sur les marchés de fourniture de gaz aux producteurs d’électricité, aux gros et aux petits clients ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative.

C –  Sur la seconde branche du premier moyen, relative à une projection excessive dans l’avenir

134   La requérante considère que la Commission a violé l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 en projetant son analyse concurrentielle des marchés du gaz au-delà de cinq ans après la Concentration.

135   Il convient de rappeler tout d’abord qu’il a été jugé que la décision attaquée était entachée d’une erreur de droit en ce qui concerne l’application de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 aux marchés du gaz. Dès lors, il n’y a plus lieu de statuer sur la présente branche du présent moyen en ce qui concerne le renforcement des positions dominantes de GDP sur ces marchés.

136   Cependant, la Commission s’est appuyée, dans son analyse des marchés de l’électricité, sur son analyse concurrentielle des marchés du gaz, sans que cette démarche soit affectée par l’erreur de droit constatée ci‑dessus. Interrogée sur la question de savoir quelles étaient les interactions entre les marchés du gaz et de l’électricité qui avaient été exposées dans la décision attaquée, la requérante a cité de nombreux considérants qui sont tous relatifs à la fourniture de gaz aux CCGT, soit directement (considérants 336, 340, 365 et 506) soit indirectement dans le cadre des effets non horizontaux de la Concentration, à savoir la possibilité pour l’entité fusionnée d’utiliser sa nouvelle position de force sur le gaz pour nuire aux producteurs d’électricité concurrents (considérants 367 à 429).

137   Dès lors, il n’y pas lieu de statuer sur la présente branche du premier moyen en ce qui concerne les appréciations concurrentielles de la Commission à l’égard des marchés autres que celui de la fourniture de gaz aux CCGT, à savoir les marchés de fourniture de gaz aux LDC, aux gros et aux petits clients.

138   S’agissant du marché de la fourniture de gaz aux CCGT, son ouverture à la concurrence devait se faire en 2004, selon les résolutions du Conseil des ministres portugais n° 63/2003 et n° 68/2003, mais cette ouverture aurait été reportée à 2005 (considérants 203 et 505). Cette dernière date n’a pas été contestée par la requérante. En toute hypothèse, en raison de la taille et de la nature de ce marché, représentant actuellement presque la moitié de la consommation totale au Portugal et ayant une finalité industrielle, celui-ci serait l’un des premiers marchés soumis à l’obligation d’ouverture à la concurrence en 2007 en vertu de la dérogation, c’est-à-dire, au plus tard, trois ans après la Concentration.

139   Or, la requérante ne reproche à la Commission que le fait d’avoir dépassé la période maximale habituelle d’examen de trois à cinq ans après la Concentration.

140   En conséquence, il n’y a pas lieu non plus de statuer sur la présente branche du premier moyen en ce qui concerne le marché de la fourniture de gaz aux CCGT.

141   Au vu de ce qui précède, il n’y a pas lieu de statuer sur la présente branche du premier moyen.

IV –  Sur le quatrième moyen, relatif à l’existence d’erreurs d’appréciation en ce qui concerne les engagements

A –  Observations liminaires

142   Au préalable, il convient de rappeler que les conditions posées par l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 ne pouvaient être satisfaites en ce qui concerne les marchés du gaz. Il n’y a dès lors plus lieu de statuer sur la seconde branche du quatrième moyen, relative à d’éventuelles erreurs d’appréciation en ce qui concerne l’insuffisance des engagements au regard des problèmes concurrentiels identifiés dans le secteur du gaz.

143   La Commission prétend qu’il suffit qu’un seul des problèmes concurrentiels identifiés dans la décision attaquée demeure non résolu par l’un des engagements du 26 novembre 2004 pour que la décision attaquée soit maintenue.

144   Selon une jurisprudence bien établie, dans la mesure où certains motifs d’une décision sont, à eux seuls, de nature à justifier, à suffisance de droit, celle-ci, les vices dont pourraient être entachés d’autres motifs de l’acte sont, en tout état de cause, sans influence sur son dispositif (voir, par analogie, arrêts de la Cour du 12 juillet 2001, Commission et France/TF1, C‑302/99 P et C‑308/99 P, Rec. p. I‑5603, points 26 à 29 ; arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Dalmine/Commission, T‑50/00, non encore publié au Recueil, points 134 et 146, sous pourvoi).

145   En matière de concentration, la Commission se doit d’interdire une opération de concentration dès lors que les critères de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 sont satisfaits, ne fût-ce qu’à l’égard d’un des marchés en cause.

146   Dès lors, selon une jurisprudence désormais établie, il y a lieu de considérer qu’une décision en matière de concentration déclarant l’incompatibilité de l’opération de concentration avec le marché commun ne saurait être annulée que s’il y a lieu de constater que les éventuels motifs qui ne sont pas entachés d’illégalités, en particulier ceux concernant l’un des marchés en cause, ne suffisent pas à justifier son dispositif (arrêt du Tribunal du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission, T‑310/01, Rec. p. II‑4071, point 412).

147   Néanmoins, ce constat n’écarte pas la nécessité, lors de l’examen d’un marché particulier, d’examiner également la situation concurrentielle sur les autres marchés si la décision en cause s’appuie, soit de façon globale sur les effets de l’opération de concentration sur les différents marchés en cause, soit sur le renforcement mutuel de certains effets concurrentiels de l’opération sur ces différents marchés.

148   En l’espèce, dans la décision attaquée, la Commission a conclu son analyse de chacun des marchés considérés par la considération selon laquelle la Concentration amènerait au renforcement de la position dominante en cause sur ce marché, sans faire référence aux autres marchés. Toutefois, la Commission s’étant appuyée sur la situation concurrentielle sur différents marchés de l’électricité et sur la situation concurrentielle sur différents marchés du gaz pour constater des problèmes concurrentiels sur l’un ou l’autre des marchés de l’électricité, il convient d’examiner, pour autant que de besoin, le bien-fondé de toutes ces appréciations concurrentielles sur les marchés concernés. Il doit être rappelé à cet égard que, conformément au point 131 ci-dessus, l’appréciation de la situation concurrentielle sur les marchés du gaz n’est pas affectée, en elle-même, par le fait que les critères de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 ne peuvent y trouver satisfaction.

149   En particulier, la prétention de la Commission de voir rejeter le présent moyen au seul motif que la requérante n’a pas sérieusement contesté le renforcement des positions dominantes d’EDP sur les marchés de l’électricité concernant l’ajustement ou les services auxiliaires et les marchés de détail doit être rejetée au motif que la motivation de la décision attaquée à l’égard de ces marchés s’appuie effectivement, comme le prétend la requérante, à tout le moins en partie, sur les appréciations concurrentielles relatives au marché de gros en électricité et que l’invalidation de l’appréciation relative à ce dernier marché pourrait emporter l’invalidation de l’appréciation relative aux marchés concernés.

150   Il convient encore de rejeter la thèse de la Commission selon laquelle la requérante aurait reconnu que les engagements des 28 octobre et 17 novembre 2004 n’étaient pas suffisants pour résoudre les problèmes concurrentiels identifiés par la Commission. Si la requérante a admis dans sa requête, pour les besoins du présent moyen, que la Concentration telle que notifiée renforcerait les positions dominantes de GDP et, dans sa réponse pour l’audience, que la Concentration telle que notifiée renforcerait les positions dominantes d’EDP, elle n’a cependant pas admis que les engagements proposés soit le 28 octobre, soit le 17 novembre, soit le 26 novembre 2004, étaient insuffisants pour résoudre les problèmes concurrentiels identifiés.

151   Selon une jurisprudence constante, le contrôle exercé par le juge communautaire sur les appréciations économiques complexes effectuées par la Commission dans l’exercice du pouvoir d’appréciation que lui confère le règlement n° 4064/89 doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (voir arrêt Petrolessence et SG2R/Commission, point 63 supra, point 101, ainsi que la jurisprudence citée et, en ce sens, arrêt Commission/Tetra Laval, point 63 supra, point 38).

152   À cet égard, en soulignant le fait que la requérante n’a jamais explicitement invoqué une erreur manifeste d’appréciation, la Commission prétend implicitement que cette omission rend le présent moyen inopérant. Cette thèse doit être rejetée. Dès lors que la requérante invoque une erreur d’analyse et que la jurisprudence exige le caractère manifeste d’une telle erreur, il serait déraisonnable de tirer d’une telle imprécision formelle un motif de rejet d’un moyen essentiel au présent recours et il convient donc de considérer que la requérante a entendu invoquer des erreurs manifestes d’appréciation. Il n’empêche que les erreurs invoquées par la requérante doivent revêtir un caractère manifeste pour conduire à l’annulation de la décision attaquée.

153   Enfin, la requérante, dans sa requête, fait de nombreuses références à un rapport économique effectué par Lexecon à sa demande (ci-après le « rapport Lexecon »), intitulé « EDP-Eni/GDP : une appréciation économique de la thèse en faveur de l’interdiction de la Concentration telle que modifiée », de février 2005.

154   Il y a lieu d’accueillir à cet égard la critique de la Commission en vertu de laquelle certains renvois généraux au rapport Lexecon doivent être déclarés irrecevables.

155   En effet, selon une jurisprudence constante, afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit, sur lesquels celui-ci se fonde, ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 décembre 1961, Société Fives Lille Cail e.a./Haute Autorité, 19/60, 21/60, 2/61 et 3/61, Rec. p. 561, 588, et arrêt du Tribunal du 16 mars 2004, Danske Busvognmænd/Commission, T-157/01, non encore publié au Recueil, point 45). À cet égard, si le corps de la requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des extraits de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui, en vertu des dispositions pertinentes, doivent figurer dans la requête (ordonnance du Tribunal du 21 mai 1999, Asia Motor France e.a./Commission, T‑154/98, Rec. p. II‑1703, point 49, et, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, non encore publié au Recueil, points 94 à 101).

156   Ainsi, dans la mesure où la requérante ne fait pas spécifiquement référence à un point précis du rapport Lexecon, en particulier lorsqu’il est fait référence à la conclusion générale de ce rapport, ou lorsqu’elle fait référence à un passage qui ne trouve pas sa substance dans la requête, les références à ce rapport doivent être déclarées irrecevables.

157   En raison de leur brièveté et des difficultés engendrées par le renvoi au rapport Lexecon, les arguments de la requérante exposés dans le cadre du quatrième moyen et relatifs aux erreurs d’appréciation économique de la Commission sont reproduits dans leur quasi-intégralité.

158   Enfin, la Commission ne saurait invoquer, de façon générale, la jurisprudence selon laquelle la légalité de l’acte attaqué doit être appréciée en fonction des éléments de droit et de fait existant à la date à laquelle l’acte a été adopté (arrêt Kaysersberg/Commission, point 45 supra, point 140) à l’égard du rapport Lexecon. En effet, la constitution d’un argumentaire, postérieurement à la date d’adoption de la décision attaquée, en vue de faire constater par le Tribunal des erreurs d’appréciation économique dans ladite décision, relève de la simple mise en œuvre des droits de la défense et non d’une tentative de modifier le cadre juridique et factuel précédemment soumis à la Commission en vue de l’adoption de ladite décision. Toutefois, la Commission est habilitée à faire valoir en défense, sur des points précis, le fait que ce rapport méconnaît les déclarations expresses ou les omissions des Parties lors de la procédure administrative.

B –  Sur la première branche du quatrième moyen, relative à la prise en compte des engagements du 26 novembre 2004

159   En vue de faire examiner la légalité de l’appréciation par la Commission de la Concentration telle que modifiée, la requérante présente cette Concentration, telle que modifiée par les engagements du 26 novembre 2004, et prétend que ceux-ci ont été soumis à temps pour être pris en compte en vue de l’adoption de la décision finale. La Commission conteste que ces engagements aient été soumis en temps utile et considère qu’ils ne résolvaient pas clairement, sans besoin d’enquête supplémentaire, tous les problèmes concurrentiels identifiés. Pour ces raisons, le présent moyen devrait être rejeté.

160   Il convient de relever au préalable que les engagements soumis, en partie, le 26 novembre 2004, l’ont été après la date limite du 17 novembre 2004.

161   Il résulte de la lecture combinée de l’article 8 du règlement n° 4064/89 et de l’article 18 du règlement n° 447/98 que les règlements en matière de concentration ne font aucune obligation à la Commission d’accepter des engagements soumis après la date limite. Cette date limite s’explique principalement par l’impératif de célérité qui caractérise l’économie générale du règlement n° 4064/89 (arrêt Endemol/Commission, point 80 supra, point 68).

162   Néanmoins, par la communication concernant les mesures correctives, qui l’engage de manière volontaire, la Commission a accepté d’examiner des engagements modifiés, notamment lorsqu’ils lui sont soumis après la limite prévue par le règlement n° 447/98, « si elle peut établir clairement – sur la base de son appréciation des informations déjà obtenues dans le cadre de l’enquête, notamment des résultats de la consultation antérieure des acteurs du marché et sans avoir recours à une autre consultation du même type – que, une fois mis en œuvre, de tels engagements élimineront les problèmes de concurrence constatés et qu’ils laissent suffisamment de temps pour la consultation des États membres » (point 43).

163   Il en résulte que les parties à une opération de concentration notifiée peuvent voir pris en compte leurs engagements soumis tardivement à deux conditions cumulatives, à savoir, d’une part, que ces engagements résolvent clairement et sans besoin d’enquête supplémentaire les problèmes concurrentiels préalablement identifiés et, d’autre part, qu’il existe un temps suffisant pour consulter les États membres sur ces engagements.

164   En l’espèce, les Parties ont soumis les engagements en cause le matin même de la réunion du comité consultatif prévue dans l’après-midi du 26 novembre 2004. En outre, s’agissant des engagements relatifs au secteur du gaz, les engagements du 26 novembre 2004 constituaient une simple annonce de l’intention des Parties de procéder à des modifications de leurs précédents engagements (considérant 859 de la décision attaquée). Le texte définitif des engagements annoncés relatifs au secteur du gaz a été fourni le 3 décembre 2004 au soir.

165   S’agissant des engagements du 26 novembre 2004 relatifs au secteur de l’électricité, la Commission n’a pas prétendu, dans la décision attaquée, qu’ils devaient être rejetés au motif qu’elle ne disposait pas de suffisamment de temps pour consulter les État membres. Elle a, au contraire, accepté d’examiner ces engagements au regard de la première condition du point 43 de la communication sur les mesures correctives (considérants 855 à 881). La Commission ayant en l’espèce, dans la décision attaquée, librement accepté de prendre en considération ces engagements, il convient d’admettre d’examiner la Concentration telle que modifiée par ces engagements, sous réserve, toutefois, de la qualité particulière qu’ils doivent avoir au regard dudit point 43.

166   S’agissant des engagements du 26 novembre 2004 relatifs au secteur du gaz, visant à résoudre tant certains problèmes concurrentiels sur les marchés du gaz que certains problèmes sur les marchés de l’électricité, ils ne sont devenus complets et inconditionnels que le 3 décembre 2004. En conséquence, il y a lieu de considérer que leur date utile est le 3 décembre 2004. Dans la décision attaquée, la Commission a analysé sommairement le projet du 26 novembre 2004 relatif à ces engagements en soulignant que leur caractère provisoire suffisait à les rejeter (considérant 882). Elle a, de plus, expressément invoqué le fait que la version définitive de ces engagements avait été soumise trop tardivement pour être prise en compte en vue de l’adoption de la décision finale (considérant 913). Il convient de considérer que la Commission était en droit de rejeter les engagements du 3 décembre 2004 au seul motif de leur extrême tardiveté. En effet, d’une part, ces engagements ont été soumis sept jours après la consultation du comité consultatif et trois jours ouvrables seulement avant l’adoption de la décision finale. D’autre part, la communication concernant les mesures correctives ne garantit pas que des engagements soumis après la date de consultation du comité consultatif puissent être pris en compte. À cet égard, il doit être rappelé que la Commission a l’obligation, sauf circonstances exceptionnelles non avancées en l’espèce, de fixer la date de la réunion du comité consultatif quatorze jours avant sa tenue (article 19, paragraphe 5, du règlement n° 4064/89). En conséquence, dès lors que ce comité a accepté que la Commission ne lui soumette pas ces engagements si elle les jugeait insuffisants, la Commission n’avait aucune obligation et, au vu de ce qui précède, n’avait pas le temps matériel de réunir à nouveau ce comité.

167   La circonstance avancée par la requérante selon laquelle les derniers engagements ne constituaient que la modification des engagements précédents et s’inscrivaient dans le cadre de discussions intensives avec la Commission ne saurait renverser cette conclusion. En effet, à supposer que les engagements du 3 décembre 2004 n’aient comporté que des modifications mineures par rapport aux précédents engagements, ils n’ont néanmoins pas été fournis à temps pour être soumis au comité consultatif.

168   En conséquence, seuls les engagements du 26 novembre 2004 relatifs au secteur de l’électricité doivent être pris en compte dans le cadre de la présente procédure.

169   S’agissant de l’examen de ces derniers engagements au regard de la première des conditions prévues par le point 43 de la communication sur les mesures correctives, la requérante souligne la distorsion existante entre celle-ci et sa traduction dans la décision attaquée, selon laquelle les engagements soumis tardivement doivent « répondre entièrement et sans ambiguïté, c’est-à-dire d’une manière directe, aux problèmes concurrentiels identifiés durant l’enquête » (considérant 859 de la décision attaquée). Toutefois, la requérante se borne à constater cette différence, sans en tirer de conséquences, et à prétendre que les engagements du 26 novembre 2004 éliminaient pleinement les problèmes concurrentiels préalablement identifiés. Il n’y a dès lors pas lieu d’examiner si ce changement de termes emporte des conséquences réelles en l’espèce.

170   Par ailleurs, il convient de rejeter, à ce stade, l’argument de la Commission selon lequel, les engagements lui ayant été soumis tardivement et ne résolvant pas clairement les problèmes concurrentiels préalablement identifiés, le quatrième moyen de la requérante doit être rejeté pour cette seule raison. En effet, la seconde prémisse de la Commission, selon laquelle les derniers engagements seraient insuffisants, ne peut être examinée que dans le cadre de la dernière branche du quatrième moyen.

C –  Sur la troisième branche du quatrième moyen, relative à l’existence d’erreurs d’appréciation de la Concentration telle que modifiée en ce qui concerne le secteur de l’électricité

171   Dans la décision attaquée, la Commission a constaté qu’EDP détient de fortes ou de très fortes positions dominantes sur les quatre marchés problématiques de la fourniture d’électricité en gros, de l’ajustement et les services auxiliaires, de la fourniture d’électricité au détail aux gros clients et aux petits clients.

172   En premier lieu, selon la décision attaquée, EDP détient une position dominante sur le marché de gros en électricité, en raison de ses positions du côté de l’offre [avec 70 % de la capacité totale de production, le reste étant détenu par Turbogás (8,6 %), dans laquelle EDP possède une part minoritaire de 20 %, Tejo Energia (5,1 %), dans laquelle EDP possède une part minoritaire de 10 % et d’autres producteurs non significatifs opérant sous le régime spécial accordé notamment aux énergies renouvelables ; considérants 283 à 289], et du côté de la demande (90 à 100 % de la consommation nationale totale ; considérants 299 à 301 et 433 à 443), en raison du système « CMEC » visant à compenser la disparition des accords d’achat garanti conclus sous le système non libéralisé (considérants 294 à 298), en raison du nombre et de la diversité de ses moyens de production d’électricité (considérants 292 et 293), en raison de ses futures capacités de production [trois unités CCGT (TER) ; considérants 302 à 304], en raison du fait que la construction de nouvelles CCGT indépendantes prévues pour 2007 est douteuse et n’interviendrait en toute hypothèse que trois ans après la Concentration (considérants 305 à 331) et, enfin, en raison de l’insuffisance des interconnexions entre les réseaux espagnols et portugais afin de garantir des importations d’électricité suffisantes (considérants 332 à 334). En deuxième lieu, EDP détient une position dominante sur le ou les marchés émergents de l’ajustement et des services auxiliaires qui ne peuvent être fournis que par un producteur d’électricité au Portugal. EDP est la seule à même d’assurer ces services (considérants 430 à 432). En troisième lieu, EDP détient des positions dominantes sur le marché de détail aux gros clients, ce dernier ayant été ouvert à la concurrence en 2003, avec une part de marché de 90 à 100 %, et sur celui de détail aux petits clients. Ces positions dominantes résultent également du fait qu’EDP ne fait face qu’à deux concurrents mineurs devant subir les aléas affectant la satisfaction de leurs besoins par des importations depuis l’Espagne, du fait qu’elle restera le fournisseur attitré dans le système public régulé, du fait que 70 à 80 % des clients qui passent du système public au système libre restent chez EDP, du fait qu’elle détient en concession le réseau électrique secondaire (bas voltage) et du fait que, en tant qu’ancien monopole, elle détient toutes les informations relatives au profil de consommation de la clientèle (considérants 433 à 443).

173   Dans la décision attaquée, la Commission a estimé que la Concentration renforcerait les positions dominantes d’EDP, ayant pour conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative en raison, d’une part, d’un effet horizontal sur les quatre marchés de l’électricité, consistant dans la disparition de GDP en tant que concurrent potentiel important le plus probable (considérants 335 à 364 ; voir particulièrement considérant 363 ; considérants 431 et 450 à 473) et, d’autre part, d’effets non horizontaux sur le marché de gros en électricité, consistant dans l’accès aux informations confidentielles de ses concurrents, l’accès privilégié et préférentiel aux ressources de gaz disponibles au Portugal ainsi que la possibilité et l’intention d’augmenter les coûts de production de ses concurrents (considérants 365 à 428).

174   Il convient de relever au préalable que la requérante n’a pas remis en cause la définition des marchés de l’électricité (voir point 24 ci-dessus). Dans sa réponse écrite pour l’audience, elle admet également l’existence des problèmes concurrentiels identifiés sur ces marchés, même si elle en nie l’intensité.

175   La requérante avance deux griefs tendant à remettre en cause la persistance tant de l’effet horizontal que des effets non horizontaux sur les marchés de l’électricité au regard des engagements. Elle prétend par ailleurs, de manière transversale dans le cadre de ces deux griefs, que la Concentration telle que modifiée aura un impact positif sur les marchés de l’électricité portugais. Elle privilégie à cet égard, de façon quasi exclusive, l’examen du marché de gros en électricité.

176   Il convient, en premier lieu, d’examiner ces arguments au regard de l’effet horizontal de la Concentration sur les marchés de l’électricité.

177   Selon la décision attaquée, le seul effet horizontal de la Concentration sur tous les marchés de l’électricité réside dans la disparition de GDP comme concurrent potentiel important le plus probable d’EDP. S’agissant, en premier lieu, du marché de gros en électricité, la Commission a exposé plusieurs facteurs généraux démontrant qu’il est économiquement rationnel et intéressant pour un fournisseur de gaz d’entrer sur le marché de gros en électricité (considérants 335 à 344). Cette incitation générale est confirmée par le test de marché et par l’exemple d’autres États membres dans lesquels la libéralisation de ces marchés a abouti à un tel résultat, en particulier en Espagne et au Royaume-Uni. En outre, la Commission a fourni, lors de la procédure devant le Tribunal, les motifs occultés dans la décision attaquée, pour des raisons de confidentialité, démontrant l’intérêt individuel de GDP à entrer sur le marché de la production d’électricité (considérants 345 à 361). S’agissant, en deuxième lieu, du ou des marchés émergents de l’ajustement et des services auxiliaires, la Commission estime que la disparition de GDP en tant qu’entrant potentiel sur le marché de gros fait également disparaître un entrant potentiel significatif sur les marchés en cause, alors que l’entrée de GDP sur le marché de gros affaiblirait la position d’EDP sur ces marchés (considérants 430 à 432). S’agissant, en troisième lieu, des marchés de détail en électricité, la Commission considère que GDP était le concurrent potentiel significatif en raison de sa présence commerciale existante, de la renommée de sa marque nationale et de sa capacité à faire des offres duales (électricité + gaz). La Commission s’est largement appuyée à cet égard sur le test de marché et sur des exemples tirés de la situation d’autres États membres (considérants 449 à 473).

178   La requérante admet que la Concentration telle que notifiée renforcerait les positions dominantes d’EDP sur les marchés en cause ayant pour conséquence une entrave significative à une concurrence effective. En revanche, elle affirme, en premier lieu, qu’il est hautement douteux que GDP ait, en l’absence de la Concentration, une forte incitation à entrer sur le marché de gros en électricité. Elle prétend, en second lieu, que les conséquences favorables sur la structure de la concurrence, qui résulteraient, selon toute probabilité, des engagements offerts, font plus que compenser toute perte de concurrence potentielle provenant de GDP.

179   Il convient de souligner que, si, à plusieurs endroits de la décision attaquée, la Commission fait référence à la disparition de « GDP » comme concurrent potentiel important le plus probable sur les marchés de l’électricité, il ressort de la décision, lue dans son ensemble, et, en particulier, de la section consacrée à la démonstration de l’intérêt particulier de GDP à entrer sur le marché de gros de l’électricité (considérants 345 à 364), que la Commission a considéré qu’une telle entrée serait effectuée « à travers le groupe Galp » en tant qu’entité économique unique, comprenant GDP et d’autres filiales de Galp, sans que la Commission ait jugé nécessaire de distinguer précisément quelle filiale du groupe Galp exercerait quelles fonctions. Dans l’analyse qui suit, le Tribunal ne fera référence explicite à Galp, ou au groupe Galp y compris GDP (ci-après « Galp/GDP »), qu’en tant que de besoin.

1.     Sur la disparition de GDP en tant que concurrent potentiel important le plus probable

180   S’agissant de l’incitation de GDP à entrer sur le marché de gros en électricité, la requérante critique la pertinence des exemples tirés d’autres États membres, l’importance de l’actuelle participation de GDP dans deux centrales de cogénération (requête abrégée, point 119, note 105), l’absence de prise en compte des liens structurels existant entre EDP et GDP et l’absence d’intérêt de GDP à concurrencer EDP (requête abrégée, point 127). S’agissant de l’incitation de GDP à entrer sur les marchés de l’ajustement et de détail de l’électricité, la requérante se borne à prétendre que ces marchés bénéficieraient de l’amélioration des conditions concurrentielles sur le marché de gros en électricité (requête abrégée, point 129).

181   Dans la requête abrégée aux fins de la procédure accélérée, identique dans sa substance à la requête originale sur ce point, la requérante renvoie, dans des notes de bas de page, à plusieurs parties du rapport Lexecon intitulées « la perspective de voir une forte concurrence se matérialiser sur le secteur de l’électricité en provenance de GDP est exagérée » et « un modèle formel des incitations à l’investissement dans le marché de gros de l’électricité au Portugal ». Conséquemment, la Commission se borne à renvoyer au rapport de son économiste en chef visant à renverser les assertions faites dans le rapport Lexecon.

182   Il convient de rappeler qu’un renvoi général aux annexes des écrits des parties doit être déclaré irrecevable pour autant qu’il ne vient pas appuyer des arguments déjà présents dans les écrits principaux des parties (voir la jurisprudence citée au point 155 ci-dessus). En effet, il appartenait, en premier lieu, à la requérante de fournir dans sa requête les arguments démontrant que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation. Or, les seuls arguments à l’appui de l’affirmation selon laquelle l’entrée de GDP était douteuse, existant tant dans la requête que dans la requête abrégée, sont ceux exposés au point 180 ci-dessus. En revanche, le rapport Lexecon contient plusieurs autres arguments tendant à démontrer l’absence d’incitation pour GDP à entrer sur les marchés de l’électricité qui ne trouvent aucune trace dans la requête. Le renvoi au rapport Lexecon n’est donc acceptable que par rapport aux arguments existant dans la requête et les autres arguments doivent être écartés.

183   Il doit encore être relevé que le fait que le présent recours soit traité de façon accélérée renforce la pertinence de la jurisprudence citée au point 155 ci-dessus plutôt que de l’affaiblir. En effet, une procédure accélérée, dans laquelle il n’est pas procédé à un second tour de mémoire écrit, suppose que les arguments de la requérante soient clairement et définitivement établis dès l’origine dans la requête ou, le cas échéant, dans sa version abrégée. En outre, la nécessaire limitation du volume des écrits des parties, conformément aux instructions pratiques du Tribunal aux parties (point VI, paragraphes 2 et 3), et donc, implicitement, la limitation du nombre et de la complexité des arguments avancés ne sauraient être contournées par le renvoi systématique à des rapports volumineux et/ou complexes.

184   S’agissant, en premier lieu, de la pertinence des exemples de libéralisation espagnol et britannique, la requérante soutient que la Commission aurait dû démontrer la pertinence de ces exemples sur le marché portugais et fait valoir les exemples contraires allemand et français.

185   Il y a lieu de relever que ces exemples tendaient à démontrer l’intérêt, en général, pour un important fournisseur de gaz de procéder à une intégration verticale en fournissant ses propres CCGT. Or, d’une part, la requérante n’a donné aucune raison pour laquelle ces exemples ne seraient pas pertinents au Portugal. De même, elle n’a fourni aucun motif précis expliquant pourquoi les exemples contraires tirés des marchés français ou allemand seraient plus pertinents en ce qui concerne le Portugal. De plus, contrairement à la requête, le rapport Lexecon s’appuie sur ces exemples nationaux pour démontrer la faible part de centrales construites par des nouveaux entrants sur le marché de gros en électricité [rapport Lexecon, 3.3 (b)]. En outre, cet intérêt général pour les fournisseurs de gaz est confirmé par les réponses au test de marché qui s’appuient sur ces exemples britannique et surtout espagnol.

186   D’autre part, et principalement, la Commission a démontré, dans la décision attaquée, en s’appuyant sur le test de marché, les avantages économiques pour un fournisseur de gaz de procéder à une intégration verticale dans la production d’électricité en raison du fait que les nouvelles centrales électriques construites sont généralement alimentées par gaz, qu’un tel fournisseur pourrait ainsi bénéficier de ses conditions économiques favorables pour l’accès au gaz, que l’opérateur historique en matière de gaz chercherait à gagner de nouveaux marchés en compensation de la réduction de ses parts de marchés dans le secteur du gaz après la libéralisation de celui-ci et, enfin, que cette intégration pourrait se poursuivre avec l’entrée d’un tel fournisseur sur les marchés de détail de l’électricité. Or, la requérante n’a allégué aucune erreur, a fortiori manifeste, à l’égard de ces facteurs supplémentaires d’incitation.

187   S’agissant, en second lieu, de l’intérêt de GDP à l’égard d’une entrée sur les marchés de l’électricité, la Commission a exposé, dans la décision attaquée, que Galp, qui possède l’entièreté du capital de GDP, est entrée sur le marché de production d’électricité depuis l’an 2000, par le biais d’une filiale, Galp Power, en participant à deux projets de centrales électriques de cogénération, d’une puissance de 44 MW et de 30 MW (considérant 347 de la décision attaquée, note de bas de page n° 236). Comme le souligne la Commission, cette participation démontre l’intérêt de Galp, préalable à la Concentration, envers la production d’électricité. La circonstance avancée par la requérante dans sa requête – selon laquelle Galp participe à ces deux projets non pas en concurrence avec EDP, mais en collaboration avec cette dernière – n’est pas susceptible de remettre en cause la démonstration d’intérêt de Galp envers la production d’électricité manifestée par cette participation. De plus, la Commission a fait état de la déclaration du président de Galp reproduite dans un article de presse d’AFX News selon laquelle sa compagnie désirait entrer sur les marchés de l’électricité, en particulier ceux de la production, sans que ses actionnaires, dont EDP, y trouvent à redire. Cet article vient confirmer la conclusion de la Commission exposée à cet égard dans la décision attaquée. Enfin, cette même circonstance n’est plus significative au regard des autres projets examinés ci-après.

188   Il résulte de la décision attaquée, [omissis], que les projets de Galp/GDP dans la production d’électricité dépassent sa simple participation dans les deux centrales de cogénération de 44 et 30 MW. Galp, à travers sa filiale Galp Power, a demandé officiellement l’autorisation administrative, en 2002, de construire deux CCGT de 400 MW chacune à Sinès. Ce projet de centrales électriques à gaz est beaucoup plus ambitieux que la simple participation à deux centrales de cogénération et démontre un intérêt important à pénétrer en force le marché de la production d’électricité. De plus, selon la décision attaquée, une étude de faisabilité relative à la construction de CCGT au sein du groupe Galp analysait en détail la possibilité pour GDP d’être active sur le marché de gros en électricité et/ou de gérer une partie de la centrale. La Commission a également considéré que, si ce projet n’avait pas dépassé l’étude de faisabilité, c’était en raison de l’annonce de la Concentration par le gouvernement portugais. Toutefois, la réalisation de ce projet ferait de GDP l’un des premiers entrants sur le marché de gros en électricité. À cet égard, il convient de noter que, à la suite de l’audience, il est désormais constant que Galp Power a effectivement obtenu une autorisation administrative pour la construction d’une CCGT de 500 MW. Enfin, la confidentialité demandée par Eni à l’égard d’EDP du passage de la décision décrivant ces projets, confidentialité levée dans la présente procédure, indique que ce projet est mené en dehors de toute collaboration avec EDP. Il en résulte que Galp/GDP a des projets très sérieux d’entrée sur le marché de la production d’électricité au moyen du type de centrale le plus performant à l’heure actuelle, les CCGT. 

189   Lors de l’audience, la requérante a souligné que ces licences avaient été demandées par Galp Power, qui ne faisait pas partie, en tant que filiale directe de Galp, de la Concentration. Cette circonstance n’a pas d’incidence réelle sur l’analyse de la Commission. Lorsque la demande de licences a été faite, Galp Power et GDP faisaient partie du même groupe. Dès lors, l’objectif de procéder à une intégration verticale entre gaz et électricité, ce qui est exposé par la Commission dans la décision attaquée, était pleinement assuré au sein du groupe Galp. En l’absence de la Concentration, Galp/GDP conserverait ses licences et la possibilité de concurrencer EDP. À supposer que la Concentration se fasse, l’éventuelle perte des licences ne poserait pas problème à l’entité fusionnée, qui s’est déjà engagée par le moratoire à ne pas construire de CCGT avant un certain temps. Lors de l’audience, la requérante a également exposé que Galp Power, avec ses licences, était un concurrent potentiel de l’entité fusionnée. Bien que la Commission n’ait pas expressément analysé, dans la décision attaquée, le maintien de la capacité et de l’intérêt de Galp, à travers Galp Power, à entrer sur le marché de gros en électricité à la suite de la Concentration, cette circonstance ne saurait constituer une erreur manifeste d’appréciation dès lors qu’elle n’entraîne aucune conséquence importante sur l’analyse de la situation concurrentielle postérieure à la Concentration. D’une part, le maintien d’un intérêt de Galp à entrer sur ce marché malgré la perte de l’incitation majeure constituée par l’intégration verticale demeure de l’ordre de l’hypothèse. D’autre part, à supposer même que cette hypothèse se réalise, Galp Power serait un concurrent sans commune mesure au regard de celui qu’il représentait lorsqu’il était adossé à GDP au sein du groupe Galp. Dès lors, la requérante n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que la Concentration provoquerait la disparition de GDP, à travers le groupe Galp, en tant que concurrent potentiel important le plus probable d’EDP.

190   S’agissant, en troisième lieu, de l’argument de la requérante selon lequel GDP serait moins bien placée que d’autres concurrents potentiels d’EDP en raison de ses liens structurels avec cette dernière, par le biais de l’actionnariat d’EDP dans Galp, qui possède l’entièreté du capital de GDP, et l’actionnariat de l’État portugais dans EDP et GDP, il convient de rappeler que, selon la décision attaquée (considérant 7, note de bas de page n° 6), l’État portugais contrôle directement 30 % et indirectement 18,3 % du capital de Galp, Eni en possède 33,34 % et EDP 14 %. Il convient de constater que, selon ces chiffres, EDP ne possède pas le contrôle de GDP. À cet égard, la Commission souligne à juste titre qu’EDP a toujours prétendu que les 20 % qu’elle possède dans Turbogás ne lui donnaient pas le contrôle de cette dernière. Toutefois, l’argument est parfaitement réversible dans la mesure où la Commission, pour sa part, a toujours considéré que, malgré l’engagement d’EDP de ne pas utiliser ses droits de vote dans certains domaines et de nommer des membres indépendants au conseil de direction de Turbogás, cela n’empêcherait pas EDP de conserver une influence négative sur le comportement de Turbogás. Selon la Commission, EDP a toujours prétendu que l’État n’avait pas le contrôle d’EDP. Toutefois, il convient de constater que le gouvernement portugais semble être l’architecte réel de la Concentration. En effet, le fait que la Concentration se conforme exactement au scénario annoncé par le gouvernement portugais en 2003 (voir point 11 ci-dessus), tant pour EDP que pour GDP, est probant à cet égard.

191   Cependant, même à supposer qu’EDP, seule ou à travers l’État portugais, conserve une influence sur GDP, la Concentration transformerait cette influence en contrôle pur et simple, avec, in fine, 51 % des parts sociales. Or, en l’absence de la Concentration, comme le démontre la décision attaquée, l’intérêt économique de GDP peut convaincre ses actionnaires, et en particulier l’État portugais et Eni, majoritaires, d’abandonner une stratégie de protection des intérêts d’EDP pour privilégier les intérêts de GDP.

192   À cet égard, la Commission rappelle à juste titre que Galp/GDP a déjà pris la décision de construire deux CCGT et a déjà obtenu une licence. La déclaration du président de Galp – selon laquelle aucun actionnaire n’a exprimé le moindre doute sur l’idée que Galp entre sur les marchés de l’électricité, bien que cela amène la compagnie à entrer en compétition avec son actionnaire à 14 %, EDP – confirme avec force la décision attaquée sur ce point.

193   S’agissant, en quatrième lieu, de l’argument selon lequel GDP avait une incitation limitée à entrer sur le marché de la production d’électricité ou à faciliter l’entrée de nouveaux entrants afin de maintenir ses profits en favorisant EDP comme seul client en aval, il repose sur l’hypothèse selon laquelle, en augmentant la concurrence sur le marché de la production d’électricité, GDP perdrait plus sur le marché de la fourniture de gaz à EDP ou aux producteurs indépendants que ce qu’elle pourrait gagner sur le marché de la production [directement rapport Lexecon, 3.3 (d) et, indirectement, 3.3 (c)]. Cet argument est fondé sur la prémisse selon laquelle, en cas de dilution de la position dominante d’EDP sur ce marché, soit en raison de l’entrée de GDP, soit en raison de l’entrée de nouveaux concurrents, la « bonne volonté » (willingness) d’EDP de payer ses fournitures de gaz à un tarif aussi élevé qu’actuellement diminuerait.

194   En dehors du fait que la prémisse de cet argument n’est aucunement démontrée, la Commission se réfère à juste titre à l’argument présenté par son économiste en chef selon lequel cette prémisse méconnaît la structure des contrats en matière de fourniture de gaz, notamment le principe « prendre ou payer » ou le caractère à long terme des contrats de fourniture de gaz. En outre, à supposer même que cet argument ne concerne que les besoins à court terme d’EDP et que la concurrence sur le marché de gros en électricité provoque des tensions sur les prix du gaz en tant que matière première, ni la requérante ni le rapport Lexecon n’expliquent en quoi ou dans quelle mesure la différence entre le prix de vente du gaz par GDP et le coût interne pour GDP en autofourniture serait moindre qu’une perte éventuelle sur le marché de la fourniture de gaz.

195   En conséquence, la requérante n’a démontré aucune erreur manifeste de la Commission lorsque cette dernière a considéré que GDP possédait de fortes incitations à entrer sur le marché de gros en électricité et que la Concentration ferait disparaître le concurrent potentiel important le plus probable d’EDP sur ce marché (considérants 344 et 868).

196   Enfin, s’agissant de l’effet horizontal sur les marchés de l’ajustement et de détail de l’électricité, la requérante se borne à considérer que l’amélioration des conditions de concurrence au sein du marché de gros en électricité serait également ressentie sur ces marchés dérivés. D’une part, cette prémisse n’ayant pas été démontrée et, d’autre part, les facteurs exposés par la Commission tendant à la démonstration de l’existence de l’effet horizontal sur ces marchés n’ayant pas été contestés, il convient de constater que la requérante n’a démontré aucune erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne ces marchés. En conséquence, il convient d’admettre l’existence d’un effet horizontal sur les marchés de l’ajustement et de détail de l’électricité. Par ailleurs, cet effet étant acquis sur ces marchés, il doit être relevé que l’incitation de GDP à entrer sur ceux-ci, en particulier sur ceux de détail, est susceptible de renforcer considérablement son intérêt à entrer sur le marché de production d’électricité en ce que cela offre un débouché direct à sa production d’électricité.

197   Dès lors, force est de constater que la requérante n’a aucunement démontré l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission quant aux fortes incitations de GDP à entrer sur tous les marchés de l’électricité, y compris les marchés de l’ajustement et des services auxiliaires et les marchés de détail en électricité (considérants 432, 473, 876 et 881), et à la disparition de GDP en tant que concurrent potentiel important le plus probable d’EDP sur ces marchés.

2.     Sur la compensation concurrentielle relative aux engagements

198   Il doit être rappelé que la Commission se doit d’interdire une opération de concentration dès lors que les critères de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 sont satisfaits à l’égard de l’un au moins des marchés en cause (voir points 144 à 146 ci-dessus).

199   La requérante estime que l’effet combiné des différents engagements relatifs au secteur de l’électricité fait plus que compenser la perte de la concurrence potentielle de GDP. Elle prétend également que les engagements concernant les marchés du gaz auraient également amélioré les conditions concurrentielles sur le marché de gros en électricité.

200   Il convient d’admettre, à cet égard, que, si les engagements procuraient, sur l’un des marchés en cause, une compensation concurrentielle supérieure à l’entrave significative à la concurrence provoquée par la Concentration telle que notifiée, le bilan concurrentiel de la Concentration sur le marché en cause serait positif. En conséquence, la Concentration ne pourrait pas être interdite pour ce marché en vertu de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89.

201   Dans sa réponse écrite pour l’audience, et lors de cette dernière, la requérante a fortement affirmé que, en raison des interconnexions fortes existant entre les marchés du gaz et de l’électricité et entre les différents marchés de chacun de ces secteurs, une appréciation correcte de la situation concurrentielle sur chacun des marchés supposait la prise en compte de la situation concurrentielle sur les autres marchés. La Commission estime, pour sa part, qu’il suffit qu’un des problèmes concurrentiels identifiés sur l’un des marchés en cause dans la décision attaquée ne soit pas résolu par les engagements proposés pour que cette décision soit maintenue.

202   Il y a lieu de constater, au préalable, que les deux thèses ne sont pas incompatibles. En effet, la requérante a reconnu à l’audience que la Concentration, telle que modifiée, ne pouvait pas faire l’objet d’un bilan concurrentiel global dans lequel le bénéfice concurrentiel sur l’un des marchés pourrait compenser le déficit concurrentiel existant sur un autre marché. Par ailleurs, la Commission n’a pas non plus prétendu que la situation concurrentielle sur un des marchés en cause était complètement indépendante de celle des autres marchés.

203   Il doit être considéré que, lorsqu’une opération de concentration met en jeu plusieurs marchés distincts, mais liés, et que la situation concurrentielle sur un ou plusieurs de ces marchés influence la situation sur l’un ou l’autre marché, il convient de tenir compte de ces autres marchés afin de pouvoir apprécier correctement et pleinement si l’opération en cause crée ou renforce une position dominante sur un des marchés concernés ayant comme conséquence une entrave significative à la concurrence. En revanche, il n’est pas nécessaire de constater que l’opération en cause emportera cette conséquence sur chacun des marchés en jeu afin de conclure à l’interdiction de cette opération.

204   En l’espèce, il apparaît à l’évidence que les situations concurrentielles sur chacun des marchés de l’électricité sont liées, même si elles ne dépendent pas exclusivement l’une de l’autre. Ainsi, comme le constate la Commission dans la décision attaquée, les incitations à entrer sur le marché de gros en électricité sont renforcées par l’entrée sur les marchés de détail de l’électricité (considérants 338, 342, 343 et 362) et vice-versa (considérants 456 et 472). De même, la Commission a considéré que seuls des producteurs d’électricité au Portugal étaient à même de participer au marché de l’ajustement et des services auxiliaires en électricité (considérants 430 et 431).

205   Il apparaît également que les situations concurrentielles sur chacun des marchés de l’électricité sont liées à celles existant sur les marchés du gaz. Ainsi, notamment, l’entrée de concurrents sur le marché de gros en électricité dépend en partie de la possibilité de se fournir indépendamment en gaz en raison des freins à l’entrée sur ce marché exposés par la Commission lorsqu’elle a identifié les effets non horizontaux de la Concentration (considérants 365 à 428). De même, l’incitation de GDP à entrer sur le marché de la production d’électricité repose en partie sur les prix du gaz qu’elle obtient en tant que fournisseur (considérants 340, 341 et 343). Par ailleurs, la Commission a considéré que l’une des incitations principales de GDP à entrer sur les marchés de détail de l’électricité était sa capacité à faire des offres duales (considérants 453 à 458), ce qui suppose obligatoirement une influence sur la capacité des concurrents à faire des offres semblables, et donc sur la libéralisation des marchés du gaz.

206   En conséquence, l’appréciation des problèmes concurrentiels sur les marchés de l’électricité doit obligatoirement tenir compte de la situation concurrentielle sur les autres marchés de l’électricité ou du gaz telle qu’elle résulte de la Concentration, telle que modifiée par les engagements.

a)     Sur les engagements relatifs au secteur de l’électricité

207   En ce qui concerne l’effet combiné des différents engagements portant sur le secteur de l’électricité, la requérante cite le désinvestissement d’EDP dans REN et dans Tejo Energia, le moratoire concernant la construction de nouvelles CCGT, la location du TER et la suspension des droits de vote dans Turbogás en renvoyant, à titre principal, à la partie du rapport Lexecon intitulée « Les engagements améliorent probablement les incitations pour les tiers à entrer sur le marché de l’électricité ». Par ailleurs, elle présente des arguments relatifs au moratoire, à la location du TER et à Tejo Energia dans le cadre de sa critique relative aux effets non horizontaux sur le marché de gros en électricité. La Commission souligne l’absence d’argument et d’éléments factuels en ce qui concerne l’effet combiné de ces engagements et renvoie également à deux parties du rapport de son économiste en chef. Néanmoins, la Commission prend soin de rejeter de façon détaillée les arguments de la requérante exposés dans la requête.

208   Il convient de rappeler que le renvoi au rapport Lexecon n’est acceptable que par rapport aux arguments existant dans la requête et que les autres arguments doivent être écartés.

209   S’agissant du moratoire et de l’engagement de louer le TER, il doit être relevé que, en l’absence de la Concentration, EDP mènerait à bien son projet TER de construire trois centrales CCGT, dont la dernière doit démarrer sa production en 2006, pour un total de production de [1000 à 1500] MW comptant pour près de 20 % de la consommation actuelle au Portugal (considérant 302 de la décision attaquée). Avec la Concentration, les Parties s’engagent à ne pas construire d’autres CCGT et à louer la capacité de production d’une ou de deux CCGT du TER jusqu’au 30 juin 2010 ou plus tôt si des conditions suspensives se réalisent, dont la principale tient à l’octroi de licences de construction de CCGT données par le gouvernement à une ou deux entités non contrôlées par EDP.

210   Dans la décision attaquée, en premier lieu, la Commission a constaté que la construction de CCGT était seule à même d’ouvrir significativement le marché de gros en électricité en raison des limites structurelles des importations, du retard du marché ibérique et de l’avantage procuré par les CMEC aux producteurs actuels (considérants 292 à 334). En deuxième lieu, la Commission a souligné la durée limitée du moratoire et de la location, le fait qu’il pouvait y être mis fin de façon anticipée avant même la construction effective ou la mise en production de nouvelles CCGT, le fait que cette fin anticipée en raison de l’octroi de licences à des entités non contrôlées par EDP n’empêchait pas cette dernière d’avoir un lien avec ces entités et le fait que ces engagements n’empêchaient pas EDP de demander des licences pour elle-même. S’agissant de la location du TER, la Commission a considéré, en outre, que les incertitudes quant à sa durée allaient peser lourdement sur le locataire, que ce locataire n’acquerrait aucune compétence de production et qu’EDP aurait connaissance des informations essentielles relatives au locataire dès lors que ce dernier ne louait que de la capacité sans gestion des moyens de production (voir, s’agissant des engagements du 17 novembre 2004, considérants 743 à 753 et, s’agissant des engagements du 26 novembre 2004, considérant 868). La Commission en a conclu qu’il était loin d’être certain que ces engagements amèneraient à l’entrée effective de nouveaux producteurs.

211   Or, la requérante n’a pas avancé, dans sa requête, de critiques sérieuses à l’encontre des facteurs identifiés par la Commission aux fins de conclure à l’insuffisance de ces deux engagements au regard du problème concurrentiel identifié.

212   Force est donc de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que le moratoire et la location de CCGT du TER étaient inaptes à résoudre, en eux-mêmes, le problème horizontal sur le marché de gros en électricité.

213   La requérante prétend, par ailleurs, que, sans la Concentration, EDP continuerait d’être en position de construire de nouvelles CCGT (absence du moratoire), ne laissant qu’une place extrêmement limitée pour l’entrée de tiers.

214   Il est certain que, en l’absence de la Concentration, il existe un frein réel à l’entrée de nouveaux producteurs d’électricité, résultant de l’intention et de la capacité d’EDP de construire de nouvelles centrales dans un marché déjà largement approvisionné. Toutefois, en l’absence de la Concentration, ce frein à l’entrée n’affectait visiblement pas GDP ou le groupe Galp, puisque la Commission a démontré, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation (voir points 184 à 196 ci-dessus), que GDP ou le groupe Galp avait l’intention d’entrer sur le marché de la production d’électricité. Or, avec la Concentration, la Commission a considéré, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation (voir points 210 à 212 ci-dessus), que les engagements étaient insuffisants pour permettre l’entrée probable de nouveaux concurrents sur le marché de gros en électricité alors que GDP disparaîtrait en tant que concurrent potentiel important le plus probable. Dès lors, l’argument de la requérante ne fait apparaître aucune erreur manifeste de la Commission à l’égard de l’effet horizontal de la Concentration telle que modifiée sur le marché de gros en électricité.

215   La requérante prétend que la vente de ses parts sociales dans Tejo Energia aurait rompu le lien structurel existant entre EDP et un producteur d’électricité concurrent, et aurait certainement eu un effet structurel positif sur la concurrence, alors que l’entrée de GDP était loin d’être certaine [rapport Lexecon, 4.4 (c)].

216   Dans la décision attaquée, la Commission reconnaît volontiers que le désinvestissement d’EDP dans Tejo Energia est positif. Néanmoins, la Commission a affirmé, sans être contredite, que beaucoup d’autres facteurs empêchent Tejo Energia de construire une CCGT, en particulier les vues contradictoires à cet égard entre actionnaires et le fait que les principaux actionnaires, International Power et Endesa, sont liés à EDP par d’autres accords concernant la production d’électricité au Portugal (considérants 669, 756 à 758, et 867 de la décision attaquée). À défaut pour la requérante d’avoir démontré que Tejo Energia constituait un concurrent aussi important que GDP, il doit être retenu que l’engagement relatif à Tejo Energia est insuffisant en lui-même pour résoudre le problème horizontal identifié sur le marché de gros.

217   La requérante fait également valoir son engagement relatif à la limitation de ses droits de vote dans Turbogás en ce qui concerne les décisions relatives à l’acquisition de gaz naturel et aux nouveaux investissements et le remplacement des représentants d’EDP au directoire par des membres indépendants.

218   Dans la décision attaquée (considérants 759 à 766 et 861), la Commission a considéré qu’EDP gardait une influence sur Turbogás en raison du maintien de ses droits de vote dans les domaines non couverts par l’engagement et du caractère temporaire de cet engagement. La Commission souligne également le fait qu’EDP s’est réservé le droit de donner des instructions à ses représentants indépendants pour préserver la valeur de sa participation. À cet égard, elle fait mention de l’intérêt pour les autres actionnaires de Turbogás, notamment International Power, de garder de bonnes relations avec EDP. Enfin, la Commission relève qu’EDP a récemment acquis un droit d’option sur une part additionnelle de 20 % sur Turbogás et sur la gestion de l’entière capacité de production de Turbogás. Dans ses écrits, la Commission a avancé, sans être contestée, qu’EDP […] (1). À défaut pour la requérante d’avoir démontré une erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission lorsqu’elle a estimé que Turbogás ne constituait pas un concurrent significatif, il doit être retenu que l’engagement relatif à Turbogás est insuffisant en lui-même pour résoudre le problème horizontal identifié sur le marché de gros.

219   La requérante prétend également que la réduction de sa participation de 30 à 5 % dans REN aurait un clair effet positif sur la concurrence [rapport Lexecon, 4.4 (c)]. Dans la décision attaquée, la Commission n’a pas examiné cet engagement au regard de l’effet horizontal sur les marchés de l’électricité, mais au regard des effets non horizontaux sur ces marchés, comme indiqué par les Parties dans leur lettre du 2 novembre 2004. Sans autres indications supplémentaires que l’existence de cet engagement, la requérante ne démontre aucune erreur manifeste de la Commission quant à cet engagement.

220   En conclusion, il doit encore être relevé que la requérante n’a pas démontré que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation lorsqu’elle a considéré que la Concentration, telle que modifiée par tous les engagements directement relatifs au problème horizontal, pris ensemble, devait être déclarée incompatible avec le marché commun en raison de son effet horizontal sur les marchés de l’électricité. En particulier, si l’ensemble de ces engagements améliore sans conteste la possibilité d’entrer sur le marché de gros en électricité, la requérante n’a pas renversé la conclusion de la Commission fondée sur le test de marché, selon laquelle l’ensemble de ces engagements ne créaient pas un environnement concurrentiel suffisant pour rendre une telle entrée probable. En outre, à supposer même qu’une telle entrée soit prévisible sur l’un des marchés de l’électricité, rien n’indique que ce nouveau concurrent posséderait la force et les avantages détenus par GDP en vue de son entrée sur tous ou sur certains des marchés de l’électricité (considérants 362 à 364, 675, 767 et 868 de la décision attaquée).

b)     Sur les engagements relatifs au secteur du gaz

221   La requérante se limite à affirmer qu’un certain nombre d’engagements relatifs aux marchés du gaz permettront à un nouvel entrant sur le marché de gros en électricité de se procurer du gaz de façon indépendante par rapport à l’entité fusionnée. Toutefois, elle n’indique pas quels engagements seraient pertinents, ni dans quelle mesure, mais se réfère, de façon générale, à la partie de sa requête consacrée à l’examen des marchés du gaz. La Commission souligne cette carence et n’identifie, dans la partie des écrits de la requérante consacrée aux marchés du gaz, qu’une seule affirmation d’ordre général selon laquelle « ces engagements [relatifs aux gaz] créeront un environnement manifestement plus concurrentiel sur le secteur de l’électricité ». 

222   Il ressort du dossier que les engagements portant sur le secteur du gaz sont de deux ordres, selon qu’ils visent a priori, d’une part, à résoudre les problèmes non horizontaux identifiés sur le marché de gros en électricité, en substance en améliorant les conditions de fourniture de gaz pour les producteurs d’électricité concurrents de l’entité fusionnée (A/ENI.II à F/ENI.IX, H/ENI.XI, et L/EDP.1) ou, d’autre part, à résoudre les problèmes horizontaux et non horizontaux sur les marchés du gaz (G/ENI.X, I/ENI.XII et J/ENI.XIV).

223   Il convient de relever, au préalable, que la Commission, dans la décision attaquée, a identifié l’effet horizontal sur tous les marchés de l’électricité, ainsi que les engagements visant directement à résoudre ce problème concurrentiel, indépendamment des effets non horizontaux sur le marché de gros en électricité et des engagements visant à résoudre ces derniers problèmes concurrentiels (considérants 362 à 364, 675, 767 et 868 de la décision attaquée). Elle a ainsi nécessairement considéré que la Concentration telle que modifiée devait être interdite, éventuellement au seul motif qu’elle renforçait la position dominante d’EDP ayant comme conséquence une entrave significative à la concurrence sur le marché de gros en électricité du fait de la disparition de GDP comme concurrent potentiel important le plus probable. Il convient donc d’examiner si, comme le prétend la requérante dans le cadre de la deuxième branche de son troisième moyen (voir point 84 ci-dessus) et dans le cadre du présent moyen, la Commission aurait dû examiner l’ensemble des engagements afin de constater que leurs effets combinés faisaient plus que compenser la disparition de la concurrence potentielle en provenance de GDP.

224   En premier lieu, il y a lieu de constater que les engagements relatifs aux effets non horizontaux sur le marché de gros en électricité (A/ENI.II à F/ENI.IX, H/ENI.XI, et L/EDP.1) n’ont qu’une très faible incidence sur le problème horizontal identifié sur tous les marchés de l’électricité, à savoir la disparition de GDP comme concurrent potentiel important le plus probable du fait de la Concentration telle que modifiée.

225   D’une part, ces engagements n’affectent pas l’analyse de la Commission relative à GDP. En effet, GDP n’était pas concernée par les problèmes non horizontaux visés par ces engagements, puisqu’elle disposait, pour elle-même en l’absence de la Concentration, de son accès privilégié au gaz. De ce fait, tant l’incitation propre de GDP à entrer sur les marchés de l’électricité que la force de cette entrée demeurent inchangées au regard de ces engagements.

226   D’autre part, ces engagements n’affectent que marginalement l’analyse de la Commission relative à la force de l’entrée de GDP sur le marché de gros en électricité par rapport à celles des autres concurrents de l’entité fusionnée. En effet, la Commission a considéré que GDP possédait des avantages concurrentiels importants sur les autres concurrents potentiels de l’entité fusionnée sur les marchés de l’électricité, à savoir, principalement, une intégration verticale entre les activités relatives au gaz et à l’électricité au sein du groupe Galp, un accès privilégié au gaz, la renommée de sa marque et la connaissance de la clientèle au Portugal. Or, même à supposer que les engagements visant à résoudre les problèmes non horizontaux soient pleinement efficaces, la situation concurrentielle sur le marché de gros de l’électricité demeurerait moins favorable avec la Concentration que sans elle. Tout d’abord, les engagements en cause ne tendaient, essentiellement, qu’à faire disparaître le problème concurrentiel créé par la Concentration elle-même, à savoir mettre au service de l’entreprise ayant une forte position dominante sur le marché de gros en électricité la position dominante de l’autre entreprise possédant une position dominante sur le marché de la fourniture de gaz aux producteurs d’électricité. Ensuite, même si ces engagements sont aptes à favoriser la concurrence sur le marché de la production d’électricité au moyen de CCGT, ils n’aboutiraient qu’à garantir un accès au gaz moins discriminatoire et plus confidentiel aux concurrents de l’entité fusionnée. Toutefois, la Commission n’a pas fait de l’accès au gaz, en l’absence de la Concentration, un frein réel à l’entrée sur le marché de concurrents autres que GDP mais s’est appuyée sur son test de marché pour démontrer qu’il était peu probable que les concurrents actuels ou potentiels identifiés entrent ou se développent réellement sur ce marché (voir considérants 305 à 331). Enfin, la requérante n’a pas prétendu, ce qui, d’ailleurs, aurait été difficile, que ces engagements donnaient à ces concurrents un accès au gaz aussi aisé et aussi économiquement favorable que celui que possédait GDP en l’absence de la Concentration. En conséquence, tous les avantages concurrentiels de GDP par rapport aux autres concurrents de l’entité fusionnée demeuraient. En d’autres termes, la nette amélioration de la fourniture en gaz des concurrents de l’entité fusionnée ne pouvait venir compenser dans une mesure significative la disparition de GDP d’un point de vue concurrentiel.

227   Il résulte de ce qui précède que les engagements visant à résoudre les problèmes non horizontaux sur le marché de gros n’avaient qu’une influence marginale sur l’analyse, par la Commission, du problème horizontal sur tous les marchés de l’électricité. Dès lors, la Commission pouvait, à bon droit et sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, s’abstenir de prendre en compte ces engagements afin de conclure que la Concentration telle que modifiée renforçait la position dominante d’EDP ayant comme conséquence une entrave significative à la concurrence sur le marché de gros en électricité du fait de la disparition de GDP comme concurrent potentiel important le plus probable.

228   En second lieu, s’agissant des engagements entièrement relatifs au secteur du gaz (G/ENI.X, I/ENI.XII et J/ENI.XIV), la requérante n’a aucunement indiqué dans quelle mesure ils amélioreraient la capacité concurrentielle de concurrents éventuels d’EDP. Or, il n’appartient pas au juge de rechercher par lui-même quels effets ces engagements pourraient avoir sur les marchés de l’électricité ni, surtout, de juger de lui-même de l’intensité de ces effets aux fins de constater une erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission.

c)     Conclusion sur le bilan concurrentiel global de la Concentration telle que modifiée sur les marchés de l’électricité

229   Il convient de rappeler que la requérante n’a pas démontré d’erreur manifeste d’appréciation de la Commission en ce qui concerne la conclusion de cette dernière selon laquelle GDP était un concurrent potentiel important très probable d’EDP sur les marchés de l’électricité.

230   De même, la requérante n’a pas démontré d’erreur manifeste au regard de l’appréciation de la Commission selon laquelle les engagements relatifs au problème horizontal identifié par la Commission sur les marchés de l’électricité étaient inaptes à favoriser l’entrée d’un concurrent important d’EDP autre que GDP.

231   Par ailleurs, la requérante n’a pas démontré d’erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission du fait que celle-ci n’a pas pris en compte l’effet des engagements proposés en vue de résoudre les problèmes concurrentiels non horizontaux sur les marchés de l’électricité ou en vue de résoudre les problèmes concurrentiels sur les marchés du gaz pour apprécier l’effet horizontal sur le marché de gros en électricité à la suite de la Concentration telle que modifiée.

232   En particulier, l’amélioration sensible de la situation concurrentielle sur les marchés du gaz en vertu de la Concentration telle que modifiée ne résout pas les problèmes concurrentiels sur les marchés de l’électricité.

233   Il est certain que la situation sur les marchés du gaz serait nettement bonifiée par la Concentration telle que modifiée. Au lendemain de la Concentration, un accès concurrentiel au gaz pour les tiers avec des garanties réelles d’accès non discriminatoire au gaz, même si elles demeurent incomplètes d’après la Commission, serait créé par les engagements au regard de la situation monopolistique actuelle de GPD avant la Concentration. De même, les propositions soumises par les autorités portugaises, notamment en ce qui concerne l’accélération de la libéralisation des marchés du gaz, créent une situation concurrentielle nouvelle sur les marchés du gaz. Cette situation est susceptible de faire naître de nouveaux entrants sur les marchés du gaz, nouveaux entrants qui, pour les mêmes raisons que GDP, sont à leur tour susceptibles d’entrer sur les marchés de l’électricité. Cette situation sur les marchés du gaz est également susceptible d’améliorer la situation concurrentielle sur le marché dérivé de la production d’électricité par des CCGT en ce que les concurrents potentiels d’EDP peuvent espérer un approvisionnement plus compétitif et non ou moins discriminatoire.

234   Toutefois, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste en considérant que les avantages procurés par ces engagements et par ces propositions n’amèneraient pas à une situation concurrentielle sur les marchés de l’électricité équivalente à ou meilleure que celle résultant de l’entrée potentielle de GDP sur ces marchés en l’absence de la Concentration. D’une part, ni un nouvel entrant éventuel sur les marchés du gaz ni un nouvel entrant éventuel sur le marché de gros en électricité ne serait, durant au moins un certain temps, susceptible de détenir la force dont GDP peut se prévaloir sans la Concentration pour entrer sur les marchés de l’électricité. En particulier, la Commission a souligné les nombreux avantages particuliers de GDP tenant, notamment, à son accès au gaz, à la renommée de sa marque, à sa connaissance de la clientèle et à ses projets déjà établis en matière d’électricité. D’autre part, la simple potentialité de concurrence sur les marchés du gaz et, partant, la diminution corrélative d’un des freins à l’entrée sur le marché de la production d’électricité ne permettent pas de renverser l’analyse de la Commission selon laquelle l’entrée d’autres concurrents aussi importants que GDP sur ce marché demeurait peu probable.

235   En conséquence, même si la Commission a négligé, à tort, d’apprécier les avantages induits par la Concentration sur les marchés du gaz (voir point 123 ci‑dessus), la comparaison entre la situation concurrentielle actuelle, avant la Concentration, sur les marchés de l’électricité, principalement caractérisée par le monopole de GDP dans la fourniture de gaz aux producteurs d’électricité et les fortes positions dominantes d’EDP sur tous les marchés de l’électricité, et la situation concurrentielle après la Concentration, principalement caractérisée, d’une part, par une ouverture significative du marché de fourniture de gaz aux producteurs d’électricité et, d’autre part, par la disparition d’un concurrent potentiel important sur tous les marchés de l’électricité, à savoir GDP, ne démontre pas que la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que le bilan concurrentiel sur chacun des marchés de l’électricité était négatif à la suite de la Concentration.

236   Il convient de noter, à titre surabondant, que, dès lors que l’amélioration concurrentielle générale sur les marchés du gaz à la suite de la Concentration, telle que modifiée, ne produit pas d’effets suffisamment conséquents sur les marchés de l’électricité pour éliminer les problèmes concurrentiels préalablement identifiés sur ces derniers marchés, la Commission ne saurait accepter de déclarer la Concentration compatible avec le marché commun en raison des effets bénéfiques pour la concurrence sur l’un des secteurs en cause au mépris des effets négatifs sur l’autre secteur. À cet égard, il importe de prendre en considération le fait que la plupart des bénéfices concurrentiels attendus sur le secteur du gaz en raison de la Concentration, voire tous, constituent des bénéfices à court ou à moyen terme dans la mesure où tous ces avantages, ou la plupart d’entre eux, seront en toute hypothèse obtenus deux à trois ans après la date prévue avec la Concentration, par le simple respect du calendrier de libéralisation instauré par la dérogation de la seconde directive gaz dont bénéficie la République portugaise.

237   Il doit donc être conclu que la requérante n’a démontré aucune erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission lorsque celle-ci a conclu que la Concentration, telle que modifiée, aurait pour effet de renforcer la position dominante d’EDP sur les marchés de l’électricité, ayant comme conséquence une entrave significative à une concurrence effective.

V –  Conclusion

238   Il doit être rappelé que la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit en ce qu’elle porte sur les marchés du gaz au Portugal.

239   En revanche, la décision attaquée n’est affectée d’aucune des erreurs de droit alléguées dans le cadre des deuxième et troisième moyens ni d’aucune des erreurs manifestes d’appréciation alléguées dans le cadre de la deuxième branche du quatrième moyen, relative au secteur de l’électricité.

240   En vertu de la jurisprudence exposée aux points 144 à 146 ci-dessus, il doit être constaté que les motifs non annulés de la décision attaquée suffisent à fonder son dispositif selon lequel la Concentration doit être déclarée incompatible avec le marché commun.

241   Dès lors, il convient de rejeter le recours.

 Sur les dépens

242   Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission en ce sens.

243   L’intervenante n’ayant pas conclu à ce que la requérante supporte les dépens, il y a lieu de décider que chacune des parties supportera ses propres dépens relatifs à l’intervention.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La requérante est condamnée aux dépens.

3)      Chacune des parties supportera ses propres dépens relatifs à l’intervention.

Pirrung

Forwood

Papasavvas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 septembre 2005.

Le greffier

 

       Le président

H. Jung

 

      J. Pirrung

Table des matières


Cadre juridique

Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

Sur le fond

I –  Sur le deuxième moyen, relatif à la violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89

II –  Sur le troisième moyen, relatif à la violation de l’article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 4064/89

A –  Sur la première branche du troisième moyen, relative à la charge de la preuve

B –  Sur la deuxième branche du troisième moyen, relative à l’appréciation globale de la Concentration telle que modifiée

C –  Sur la troisième branche du troisième moyen, relative à l’existence d’un détournement de pouvoir

D –  Sur la quatrième branche du troisième moyen, relative aux difficultés de contrôle de certains engagements comportementaux

III –  Sur le premier moyen, relatif à la dérogation dont bénéficie la République portugaise en vertu de la seconde directive gaz

A –  Observations liminaires

B –  Sur la première branche du premier moyen, relative à la méconnaissance de la dérogation accordée à la République portugaise

C –  Sur la seconde branche du premier moyen, relative à une projection excessive dans l’avenir

IV –  Sur le quatrième moyen, relatif à l’existence d’erreurs d’appréciation en ce qui concerne les engagements

A –  Observations liminaires

B –  Sur la première branche du quatrième moyen, relative à la prise en compte des engagements du 26 novembre 2004

C –  Sur la troisième branche du quatrième moyen, relative à l’existence d’erreurs d’appréciation de la Concentration telle que modifiée en ce qui concerne le secteur de l’électricité

1.  Sur la disparition de GDP en tant que concurrent potentiel important le plus probable

2.  Sur la compensation concurrentielle relative aux engagements

a)  Sur les engagements relatifs au secteur de l’électricité

b)  Sur les engagements relatifs au secteur du gaz

c)  Conclusion sur le bilan concurrentiel global de la Concentration telle que modifiée sur les marchés de l’électricité

V –  Conclusion

Sur les dépens



* Langue de procédure : l’anglais.


1 – Données confidentielles occultées.