Language of document : ECLI:EU:T:2005:374

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
25 octobre 2005


Affaire T-43/04


Mohammad Reza Fardoom et Marie-José Reinard

contre

Commission des Communautés européennes

« Fonctionnaires – Rapport d’évolution de carrière – Exercice d’évaluation 2001/2002 »

Objet : Recours ayant pour objet une demande d’annulation, à titre principal, de l’exercice d’évaluation 2001/2002 en ce qui concerne les requérants et, à titre subsidiaire, des rapports d’évolution de carrière des requérants pour cet exercice.

Décision : La décision portant adoption du rapport d’évolution de carrière de Mme Marie‑José Reinard pour la période allant du 1er juillet 2001 au 31 décembre 2002 est annulée. Le recours est rejeté pour le surplus. La Commission est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Mme Reinard. M. Mohammad Reza Fardoom supportera ses propres dépens.


Sommaire


1.      Fonctionnaires – Recours – Acte faisant grief – Notion – Exercice d’évaluation du personnel – Exclusion – Rapport d’évolution de carrière – Inclusion

(Statut des fonctionnaires, art. 90 et 91)

2.      Fonctionnaires – Notation – Directive interne d’une institution – Effets juridiques – Limites – Respect de la hiérarchie des normes

(Statut des fonctionnaires, art. 110)

3.      Droit communautaire – Principes – Égalité de traitement – Discrimination – Notion

4.      Fonctionnaires – Notation – Rapport d’évolution de carrière – Notation par référence à une moyenne cible – Atteinte à la liberté de jugement des évaluateurs – Absence

(Statut des fonctionnaires, art. 43)

5.      Fonctionnaires – Notation – Rapport d’évolution de carrière – Notation par référence à des fourchettes indicatives en relation avec le rythme de progression des carrières – Atteinte à la liberté de jugement des évaluateurs – Absence

(Statut des fonctionnaires, art. 43)

6.      Fonctionnaires – Notation – Rapport d’évolution de carrière – Intervention d’un validateur dans la procédure d’évaluation – Atteinte à la liberté de jugement des évaluateurs – Absence

7.      Procédure – Requête introductive d’instance – Exigences de forme – Exposé sommaire des moyens invoqués

[Statut de la Cour de justice, art. 21, alinéa 1, et 53, alinéa 1 ; règlement de procédure du Tribunal, art. 44, § 1, sous c)]

8.      Fonctionnaires – Notation – Rapport d’évolution de carrière – Établissement – Fonctionnaires exerçant des fonctions de représentation du personnel – Système mis en place par la Commission – Obligations des évaluateurs – Prise en compte des avis du groupe ad hoc de notation et du comité paritaire ad hoc d’appel


1.      Constituent des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours les seules mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de celui‑ci et qui fixent définitivement la position de l’institution.

Un exercice d’évaluation ne constitue pas un acte faisant grief au sens des articles 90 et 91 du statut, dès lors qu’il ne produit aucun effet de droit susceptible d’affecter directement les intérêts d’un fonctionnaire. Un exercice constitue une série d’actes préparatoires aboutissant à un rapport d’évolution de carrière, mais qui, par rapport au rapport d’évolution de carrière, ne produisent pas d’effets juridiques à l’égard du requérant.

En revanche, le rapport d’évolution de carrière d’un fonctionnaire pour une période de référence constitue, comme l’ancien rapport de notation qu’il remplace dans le cadre du nouveau système de notation instauré par les dispositions générales d’exécution de l’article 43 du statut, adoptées par la Commission, le rapport périodique sur le rendement, la compétence et la conduite dans le service de chaque fonctionnaire, prévu par l’article 43 du statut. À ce titre, il constitue un acte faisant grief.

(voir points 26, 27 et 29)

Référence à : Tribunal 24 juin 1993, Seghers/Conseil, T‑69/92, Rec. p. II‑651, point 28 ; Tribunal 28 septembre 1993, Yorck von Wartenburg/Parlement, T‑57/92 et T‑75/92, Rec. p. II‑925, point 36 ; Tribunal 1er décembre 1994, Schneider/Commission, T‑54/92, RecFP p. I‑A‑281 et II‑887, point 21, et la jurisprudence citée


2.      Rien n’interdit, en principe, à l’autorité investie du pouvoir de nomination d’établir, par la voie d’une directive interne de caractère général, des règles pour l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire que lui confère le statut. La faculté de recourir à de telles directives est également ouverte aux institutions même dans un domaine, tel que celui de la notation, pour lequel le statut prévoit l’adoption de dispositions générales d’exécution au sens de son article 110.

Toutefois, les directives internes prises par les institutions communautaires ne sauraient légalement, en aucun cas, poser des règles qui dérogeraient aux dispositions hiérarchiquement supérieures, telles que les dispositions du statut ou les principes généraux de droit.

(voir points 35 et 36)

Référence à : Tribunal 24 janvier 1991, Latham/Commission, T‑63/89, Rec. p. II‑19, point 25 ; Tribunal 5 octobre 1995, Alexopoulou/Commission, T‑17/95, RecFP p. I‑A‑227 et II‑683, point 23, et la jurisprudence citée, ainsi que point 24 ; Tribunal 9 juillet 1997, Monaco/Parlement, T‑92/96, RecFP p. I‑A‑195 et II‑573, point 47 ; Tribunal 30 septembre 2003, Tatti/Commission, T‑296/01, RecFP p. I‑A‑225 et II‑1093, point 43


3.      Il y a violation du principe d’égalité de traitement lorsque deux catégories de personnes, dont les situations juridiques et factuelles ne présentent pas de différence essentielle, se voient appliquer un traitement différent ou lorsque des situations différentes sont traitées de manière identique.

(voir point 41)

Référence à : Tribunal 7 février 1991, Tagaras/Cour de justice, T‑18/89 et T‑24/89, Rec. p. II‑53, point 68 ; Tribunal 5 février 1997, Ibarra Gil/Commission, T‑207/95, RecFP p. I‑A‑13 et II‑31, point 68 ; Tribunal 17 décembre 1997, Eiselt/Commission, T‑208/96, RecFP p. I‑A‑445 et II‑1179, point 41


4.      Le fait que, dans le cadre de l’établissement des rapports d’évolution de carrière, les évaluateurs tiennent compte de la moyenne cible qui leur est indiquée ne signifie nullement que leur liberté de jugement est limitée dans une mesure contraire à l’article 43 du statut. Au contraire, le système de la moyenne cible, tel que mis en œuvre dans les dispositions générales d’exécution de l’article 43 du statut, adoptées par la Commission, est de nature à favoriser la liberté des notateurs dans l’évaluation des fonctionnaires notés et de promouvoir l’expression d’une notation représentative des mérites de ces fonctionnaires.

En effet, et en premier lieu, cette moyenne, qui exprime, d’une façon mathématique, l’appréciation des prestations d’un fonctionnaire moyen, ne limite pas la possibilité offerte aux évaluateurs de différencier les appréciations portées individuellement sur les prestations de chaque fonctionnaire selon le degré dont ses prestations s’écartent, vers le haut ou vers le bas, de cette moyenne.

En deuxième lieu, l’indication d’une moyenne cible de 14, sur une échelle de points allant de 0 à 20, permet de prévenir le risque d’inflation de la notation moyenne, laquelle aurait pour effet de réduire la plage de points effectivement utilisée par les notateurs et, partant, porterait atteinte à la fonction de la notation qui est de refléter aussi fidèlement que possible les mérites des fonctionnaires notés et d’en permettre une comparaison effective.

En troisième lieu, l’indication d’une moyenne cible permet également de réduire le risque d’une disparité dans les moyennes des notations pratiquées par les différentes directions générales qui ne serait pas motivée par des considérations objectives liées aux mérites des fonctionnaires notés.

En quatrième lieu, le système de la moyenne cible tient compte de la réalité la plus communément observée, à savoir une ventilation homogène des fonctionnaires notés autour du niveau moyen de mérite représenté par la moyenne cible. En outre, le système instauré par les dispositions générales d’exécution de l’article 43 du statut et celles de l’article 45 du statut permet aux notateurs, lorsque la situation particulière d’un service s’écarte de cette réalité commune, de s’écarter également de la moyenne cible. En effet, ainsi qu’il résulte de l’article 6, paragraphe 1, des dispositions générales d’exécution de l’article 46 du statut, aucune conséquence n’est attachée à un dépassement d’un point de la moyenne cible.

(voir points 51 à 56)


5.      Ne limitent pas la liberté de jugement des évaluateurs d’une façon contraire à l’article 43 du statut des directives internes relatives à l’établissement des rapports d’évolution de carrière prévoyant trois fourchettes de référence qui correspondent aux pourcentages indicatifs des effectifs et qui autorisent différents rythmes de progression de carrière, avec une fourchette de 17 à 20 points (carrière rapide) pour un maximum de 15 % de fonctionnaires, une fourchettes de 12 à 16 points (carrière normale) pour environ 75 % et une fourchette de 10 à 11 points (carrière lente) pour un maximum de 10 % de fonctionnaires.

En effet, les fourchettes de référence sont fournies à titre indicatif, résultent de l’observation des notations passées et leur non‑respect n’est assorti d’aucune sanction. L’indication de fourchettes de référence ne fait que rendre compte de la réalité la plus communément observée, sans préjudice de la liberté de l’évaluation de s’en écarter lorsque la situation particulière des fonctionnaires notés le justifie.

(voir points 59 et 61)


6.      La liberté de jugement de l’évaluateur, dans le cadre de l’établissement d’un rapport d’évolution de carrière, n’est pas restreinte par l’intervention du validateur dans la procédure d’évaluation.

Le validateur est un évaluateur au sens plein du terme. En effet, conformément à l’article 7, paragraphe 4, des dispositions générales d’exécution de l’article 43 du statut, adoptées par la Commission, ce sont l’évaluateur et le validateur qui établissent le rapport d’évolution de carrière. En outre, selon l’article 7, paragraphe 5, de ces dispositions générales d’exécution, dans le cas où le fonctionnaire fait état de son souhait de s’entretenir avec le validateur, ce dernier a la faculté soit de modifier soit de confirmer le rapport. Il est donc établi que, dans la méthode d’évaluation que la Commission a jugée la plus appropriée, la liberté de jugement des évaluateurs pour apprécier à leur juste valeur les fonctionnaires en fonction des trois critères d’évaluation prévus n’est nullement restreinte. Par conséquent, la faculté du validateur de modifier l’appréciation de l’évaluateur – tout comme d’ailleurs la faculté de l’évaluateur d’appel de modifier l’appréciation du validateur – ne constitue pas une violation de l’article 43 du statut.

(voir points 63 et 64)


7.      En vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, la requête doit notamment contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Elle doit, de ce fait, expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est basé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du statut de la Cour et du règlement de procédure du Tribunal.

(voir point 73)

Référence à : Tribunal 12 janvier 1995, Viho/Commission, T‑102/92, Rec. p. II‑17, point 68


8.      Les activités de représentation du personnel au sein de la Commission, même pour les fonctionnaires qui ne sont pas détachés à temps plein, doivent, en application des dispositions générales d’exécution de l’article 43 du statut, adoptées par la Commission, être prises en compte dans le cadre de l’évaluation opérée en application dudit article, par la consultation préalable du groupe ad hoc d’évaluation et, en cas d’appel, par celle du comité paritaire d’évaluation.

L’objectif de la consultation du groupe ad hoc est de fournir à l’évaluateur les informations nécessaires à l’appréciation des fonctions que le fonctionnaire évalué exerce en tant que représentant du personnel, étant donné que ces fonctions sont considérées comme faisant partie des services qu’un tel fonctionnaire est tenu d’assurer dans son institution. De plus, en vertu de l’article 5, paragraphe 5, sous c), desdites dispositions générales d’exécution, l’évaluateur doit consulter le groupe ad hoc avant d’établir le premier projet de rapport.

Il s’ensuit que l’évaluateur est tenu de prendre en compte l’avis du groupe ad hoc dans l’établissement du rapport d’évolution de carrière d’un fonctionnaire exerçant des activités de représentation du personnel. Toutefois, il n’est pas tenu de suivre cet avis. S’il ne le suit pas, il doit expliquer les raisons qui l’ont amené à s’en écarter. En effet, la simple jonction de l’avis au rapport d’évolution de carrière ne suffit pas, à cet égard, à considérer comme satisfaite l’exigence de motivation en question.

(voir points 85 à 87)

Référence à : Tribunal 5 novembre 2003, Lebedef/Commission, T‑326/01, RecFP p. I‑A‑273 et II‑1317, points 53 à 55