Language of document : ECLI:EU:T:2014:608

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre élargie)

3 juillet 2014 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire – Gel des fonds – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Modulation dans le temps des effets d’une annulation »

Dans l’affaire T‑565/12,

National Iranian Tanker Company, établie à Téhéran (Iran), représentée par Mme R. Chandrasekera, M. S. Ashley, Mme C. Murphy, solicitors, Mme M. Lester, barrister, et M. D. Wyatt, QC,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Boelaert et M. M. Bishop, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation, d’une part, de la décision 2012/635/PESC du Conseil, du 15 octobre 2012, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 282, p. 58), en ce que le nom de la requérante a été inscrit sur la liste figurant dans l’annexe II de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO L 195, p. 39), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) no 945/2012 du Conseil, du 15 octobre 2012, mettant en œuvre le règlement (UE) no 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 282, p. 16), en ce que ce règlement concerne la requérante,

LE TRIBUNAL (septième chambre élargie),

composé de M. M. van der Woude (rapporteur), président, Mmes I. Wiszniewska-Białecka, M. Kancheva, MM. C. Wetter et I. Ulloa Rubio, juges,

greffier : M. N. Rosner, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 31 janvier 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, National Iranian Tanker Company, est une société iranienne spécialisée dans le transport de cargaisons de pétrole brut et de gaz. Elle exploite une des plus grandes flottes au monde de pétroliers à double coque.

2        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives instaurées en vue de faire pression sur la République islamique d’Iran afin que cette dernière mette fin aux activités nucléaires présentant un risque de prolifération et à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires.

3        Le 9 juin 2010, le Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après le « Conseil de sécurité ») a adopté la résolution 1929 (2010) (ci-après la « résolution 1929 ») destinée à élargir la portée des mesures restrictives instituées par les résolutions 1737 (2006), 1747 (2007) et 1803 (2008) du Conseil de sécurité et à instaurer des mesures restrictives supplémentaires à l’encontre de la République islamique d’Iran.

4        Le 17 juin 2010, le Conseil européen a souligné qu’il était de plus en plus préoccupé par le programme nucléaire iranien et il s’est félicité de l’adoption de la résolution 1929. Rappelant sa déclaration du 11 décembre 2009, le Conseil européen a invité le Conseil de l’Union européenne à adopter des mesures mettant en œuvre celles prévues dans la résolution 1929 ainsi que des mesures d’accompagnement, en vue de contribuer à répondre, par la voie des négociations, à l’ensemble des préoccupations que continuait de susciter le développement par la République islamique d’Iran de technologies sensibles à l’appui de ses programmes nucléaire et balistique. Ces mesures devaient porter sur le secteur du commerce, le secteur financier, le secteur des transports iraniens et les grands secteurs de l’industrie gazière et pétrolière ainsi que sur des désignations supplémentaires, en particulier le Corps des gardiens de la révolution islamique.

5        Le 26 juillet 2010, le Conseil a adopté la décision 2010/413/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO L 195, p. 39), dont l’annexe II énumère les personnes, et les entités – autres que celles désignées par le Conseil de sécurité ou par le comité des sanctions créé par la résolution 1737 (2006), mentionnées à l’annexe I – dont les avoirs sont gelés. Son considérant 22 se réfère à la résolution 1929 et mentionne que cette résolution relève le lien potentiel entre les recettes que l’Iran tire de son secteur de l’énergie et le financement de ses activités nucléaires posant un risque de prolifération.

6        Le 23 janvier 2012, le Conseil a adopté la décision 2012/35/PESC modifiant la décision 2010/413 (JO L 19, p. 22). Son considérant 8 rappelle le lien potentiel entre les recettes que l’Iran tire de son secteur de l’énergie et le financement de ses activités nucléaires posant un risque de prolifération et le fait que le matériel et les matières utilisés par les procédés chimiques de l’industrie pétrochimique sont très semblables à ceux qui sont employés dans certaines activités sensibles du cycle du combustible nucléaire, comme souligné dans la résolution 1929.

7        L’article 1er, paragraphe 7, sous a), ii), de la décision 2012/35 a ajouté le point suivant à l’article 20, paragraphe 1, de la décision 2010/413, prévoyant le gel des fonds appartenant aux personnes et entités ci-après :

« c)      les autres personnes et entités non mentionnées à l’annexe I qui fournissent un appui au gouvernement iranien et les personnes et entités qui leur sont associées, telles qu’énumérées à l’annexe II. »

8        En conséquence, dans le cadre du traité FUE, le Conseil a adopté, le 23 mars 2012, le règlement (UE) no 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (UE) no 961/2010 (JO L 88, p. 1). En vue de mettre en œuvre l’article 1er, paragraphe 7, sous a), ii), de la décision 2012/35, l’article 23, paragraphe 2, de ce règlement prévoit le gel des fonds des personnes, entités et organismes énumérés à son annexe IX, qui ont été reconnus :

« d)       comme étant d’autres personnes, entités ou organismes qui fournissent un appui au gouvernement iranien, notamment un soutien matériel, logistique ou financier, ou qui lui sont associés. »

9        Par lettres des 10 août, 14 septembre et 10 octobre 2010 à la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la requérante a notamment fait part de ses inquiétudes quant aux répercussions sur sa flotte de l’interdiction de fourniture de services d’assurance ou de réassurance au gouvernement iranien, prévue par l’article 12 de la décision 2010/413. Dans sa lettre du 10 août 2010, susmentionnée, elle a précisé qu’elle avait été privatisée en 2000.

10      En outre, dans une lettre du 19 janvier 2012 à la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la requérante a contesté les éléments rapportés dans un article du quotidien spécialisé dans l’industrie maritime, le Lloyd’s List, diffusé sur Internet la veille, intitulé « NITC to be targeted by sanctions » (National Iranian Tanker Company sur le point d’être visée par des sanctions). À cet égard, la requérante a nié tout lien avec le programme nucléaire iranien. Ses pétroliers ne seraient pas utilisés pour le transport de matériel prohibé en relation avec ce programme. De plus, ni la requérante, ni son président, ni ses actionnaires n’entretiendraient des liens avec le Corps des gardiens de la révolution islamique.

11      Le 15 octobre 2012, le Conseil a adopté la décision 2012/635/PESC modifiant la décision 2010/413 (JO L 282, p. 58, ci-après la « décision attaquée »). Selon le considérant 16 de cette décision, il convient d’inscrire les noms d’autres personnes et entités sur la liste des noms des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives qui figure dans l’annexe II de la décision 2010/413, en particulier les entités détenues par l’État iranien se livrant à des activités dans le secteur du pétrole et du gaz, étant donné qu’elles fournissent une source de revenus substantielle au gouvernement iranien.

12      L’article 1er, paragraphe 8, sous a), de la décision 2012/635 a modifié l’article 20, paragraphe 1, sous c), de la décision 2010/413, qui prévoit dès lors que feront l’objet de mesures restrictives :

c)      d’autres personnes et entités non mentionnées à l’annexe I qui fournissent un appui au gouvernement iranien et aux entités qui sont leur propriété ou qui sont sous leur contrôle ou les personnes et entités qui leur sont associées, telles qu’énumérées à l’annexe II.

13      L’article 2 de la décision 2012/635 a inscrit le nom de la requérante dans le tableau de l’annexe II de la décision 2010/413 contenant la liste des noms des « Personnes et entités concourant au programme nucléaire ou de missiles balistiques et [des] personnes et entités appuyant le gouvernement de l’Iran ».

14      En conséquence, le même jour, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) no 945/2012 mettant en œuvre le règlement no 267/2012 (JO L 282, p. 16, ci-après le « règlement attaqué »). L’article 1er de ce règlement a inscrit le nom de la requérante dans le tableau de l’annexe IX contenant la liste des noms des « Personnes et entités concourant au programme nucléaire ou de missiles balistiques et [des] personnes et entités appuyant le gouvernement de l’Iran ».

15      Le nom de la requérante a été inscrit sur les listes aux motifs suivants : « Effectivement contrôlée par le gouvernement iranien. Fournit un soutien financier au gouvernement iranien par l’intermédiaire de ses actionnaires qui entretiennent des liens avec le gouvernement. »

16      La décision et le règlement attaqués ont été communiqués à la requérante par lettre du 16 octobre 2012, dans laquelle le Conseil a attiré son attention sur la possibilité de présenter des observations et de lui demander de revoir sa position.

17      Par lettre du 13 décembre 2012, la requérante a contesté l’inscription de son nom sur les listes par la décision et le règlement attaqués et a demandé au Conseil de lui communiquer des informations plus précises sur les motifs de cette inscriptionainsi que les preuves sur lesquelles il s’était fondé.

18      Le Conseil a répondu par une lettre du 12 mars 2013, à laquelle des copies des pièces de son dossier avaient été annexées. Dans cette lettre, le Conseil a précisé qu’il ne détenait pas d’autres documents ou informations concernant la requérante.

 Procédure et conclusions des parties

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 décembre 2012, la requérante a introduit le présent recours.

20      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la septième chambre à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée. Sur proposition de la septième chambre, le Tribunal a décidé de renvoyer l’affaire à une formation élargie.

21      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision et le règlement attaqués avec effet immédiat, dans la mesure où ils la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

22      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

23      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 23 juillet 2013, la requérante a présenté une demande de mesures d’organisation de la procédure ou d’instruction. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 septembre 2013, le Conseil a présenté ses observations sur cette demande.

 En droit

 Sur la recevabilité

24      Le Conseil, sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, invoque l’irrecevabilité du présent recours. Il soutient que, dans la mesure où la requérante est entièrement contrôlée par l’État iranien, elle doit être considérée comme une entité publique. En tant qu’émanation de l’État iranien, la requérante n’aurait dès lors pas qualité pour former un recours afin d’invoquer une violation du droit de propriété ou d’autres droits fondamentaux. À cet égard, le Conseil distingue entre, d’une part, certains droits procéduraux reconnus aux États et, d’autre part, les droits fondamentaux, dont les États ne sauraient bénéficier.

25      Cette fin de non-recevoir s’appliquerait à l’ensemble des moyens invoqués, car le présent recours vise en réalité à obtenir l’annulation du gel des fonds, lequel constituerait une atteinte – justifiée – au droit de propriété. Peu importerait dès lors que tous les moyens ne se réfèrent pas spécifiquement à ce droit.

26      À l’appui de cette fin de non-recevoir, le Conseil se réfère notamment à l’article 34 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), qui détermine les personnes autorisées à introduire une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, et qui exclut les organisations gouvernementales du prétoire de cette juridiction. Selon le Conseil, la ratio legis de l’article 34 de la CEDH réside dans la nature même des droits fondamentaux, dont le respect doit être garanti par l’État à l’égard de personnes physiques et morales relevant de sa juridiction au sens de la CEDH. Un État ou une émanation d’un État ne pourraient dès lors pas bénéficier des droits fondamentaux, car un État souverain ne relève pas de la juridiction d’un autre État.

27      La requérante estime que son recours et l’ensemble des moyens qu’elle invoque sont recevables.

28      À cet égard, il suffit d’observer que l’argument du Conseil selon lequel la requérante, en tant qu’émanation de l’État iranien, ne saurait se prévaloir du droit de propriété, relève de l’examen du bien-fondé du quatrième moyen, tiré notamment de la violation du droit de propriété, et non de la recevabilité du présent recours, ou de la recevabilité dudit moyen (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, point 51).

29      Partant, le présent recours doit être déclaré recevable.

 Sur le fond

30      À l’appui du recours, la requérante invoque quatre moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation. Le deuxième moyen est tiré d’une violation de l’obligation de motivation. Le troisième moyen est tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Le quatrième moyen est tiré de la violation du principe de proportionnalité, ainsi que des droits fondamentaux de la requérante, notamment son droit à la protection de sa propriété, de son entreprise et de sa réputation.

31      Le Tribunal estime opportun d’examiner d’abord le deuxième moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

32      La requérante soutient que son inscription n’est pas suffisamment motivée. Elle allègue que les motifs énoncés dans la décision et le règlement attaqués sont vagues et ne répondent pas à l’exigence d’une motivation spécifique et concrète. En outre, la requérante reproche au Conseil d’invoquer, dans le mémoire en défense, des motifs nouveaux d’inscription qui seraient sans lien avec le critère juridique relatif à la fourniture d’un soutien financier.

33      Le Conseil fait valoir, pour sa part, que, dans le contexte général bien connu de la requérante, les motifs énoncés dans la décision et le règlement attaqués lui permettaient de comprendre les raisons spécifiques et concrètes de son inscription et répondaient ainsi aux exigences de l’obligation de motivation. Depuis le 1er juillet 2012, il serait notoire que les autorités de l’Union européenne surveillaient les activités de la requérante, à la suite de l’interdiction d’importer du pétrole iranien dans les États membres de l’Union et de fournir une assurance maritime, en relation notamment avec le transport de pétrole brut iranien, introduite par la décision 2012/35. Au cours des mois précédant l’inscription du nom de la requérante, une série d’articles de presse aurait mis en évidence les liens entre le gouvernement iranien et la requérante, ainsi que les activités de la requérante visant à tourner les mesures restrictives, notamment en obtenant, auprès de sociétés de pays tiers, des services d’assurance, grâce à l’enregistrement de ses pétroliers sous pavillons de pays tiers.

34      Les lettres que la requérante a adressées, avant l’inscription de son nom sur les listes, à la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, en particulier celle du 19 janvier 2012 (voir point 10 ci-dessus), confirmeraient que l’intéressée avait connaissance de ce contexte général.

35      Tout d’abord, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir arrêt de la Cour du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, point 49, et la jurisprudence citée).

36      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications des mesures prises et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt Conseil/Bamba, précité, point 50).

37      Ensuite, en ce qui concerne les mesures restrictives adoptées dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, il y a lieu de souligner que, dans la mesure où la personne concernée ne dispose pas d’un droit d’audition préalable à l’adoption d’une décision initiale d’inscription, le respect de l’obligation de motivation est d’autant plus important, puisqu’il constitue l’unique garantie permettant à l’intéressé, à tout le moins après l’adoption de cette décision, de se prévaloir utilement des voies de recours à sa disposition pour contester la légalité de ladite décision (arrêt Conseil/Bamba, précité, point 51, et arrêt du Tribunal du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, dit « OMPI I », T‑228/02, Rec. p. II‑4665, point 140).

38      Partant, la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive ne doit pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure (voir, en ce sens, arrêts Conseil/Bamba, précité, point 52 ; OMPI I, précité, point 146, et du Tribunal du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, Rec. p. II‑3967, point 83).

39      Cependant, la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêts Conseil/Bamba, précité, points 53 et 54 ; OMPI I, précité, point 141, et Bank Melli Iran/Conseil, précité, point 82).

40      En l’espèce, l’inscription du nom de la requérante sur les listes se fonde sur les deux motifs suivants. La requérante serait « effectivement contrôlée par le gouvernement iranien ». Elle « [fournirait] un soutien financier au gouvernement iranien par l’intermédiaire de ses actionnaires qui entretiennent des liens avec le gouvernement ».

41      S’agissant de la question de savoir si cette motivation identifie la base juridique de la mesure prise par le Conseil à l’encontre de la requérante, conformément à la jurisprudence citée au point 38 ci-dessus, il ressort du second des deux motifs invoqués par le Conseil que celui-ci s’est fondé sur le critère juridique relatif à la fourniture d’un soutien financier au gouvernement iranien, défini à l’article 20, paragraphe 1, sous c), de la décision 2010/413, et précisé à l’article 23, paragraphe 2, sous d), du règlement no 267/2012 (voir points 7 et 8 ci-dessus). En outre, ce motif indique clairement que, selon le Conseil, un tel soutien financier résulte des liens qu’entretiendraient les actionnaires de la requérante avec le gouvernement iranien.

42      En revanche, ainsi que le relève la requérante, le premier motif, selon lequel elle serait effectivement contrôlée par le gouvernement iranien, envisagé isolément, ne permet pas d’identifier le critère juridique sur lequel il se fonde. Ce motif doit dès lors être examiné conjointement avec le second motif.

43      S’agissant de la question de savoir si l’examen conjoint des deux motifs fait appaître à suffisance de droit le raisonnement du Conseil, premièrement, il y a lieu d’observer que ces motifs doivent être appréciés dans le contexte général des mesures prises par le Conseil à l’encontre de la République islamique d’Iran (voir point 39 ci-dessus). À cet égard, tant le considérant 22 de la décision 2010/413 (point 5 ci-dessus) que le considérant 16 de la décision 2012/635 (point 11 ci-dessus) font apparaître que le Conseil a établi un lien entre les recettes en provenance du secteur gazier et pétrolier, d’une part, et le financement des activités de prolifération nucléaire, d’autre part. Dans la mesure où la requérante est active dans ce secteur en tant que transporteur de pétrole et de gaz, elle pouvait comprendre que le soutien financier visé par la motivation de la décision et du règlement attaqués concernait ce lien particulier.

44      Ainsi que l’observe le Conseil à juste titre, la requérante était tout à fait consciente de l’intention du Conseil d’inscrire son nom sur la liste des personnes et entités sanctionnées. En effet, dès avant l’adoption de la décision et du règlement attaqués, la requérante s’est adressée au Conseil afin de lui faire part de ses inquiétudes quant aux répercussions d’une éventuelle inscription (voir points 9 et 10 ci-dessus). Il en découle que la requérante suivait de près la politique mise en œuvre par le Conseil à l’encontre de la République islamique d’Iran et qu’elle devait donc être informée du lien que le Conseil avait établi entre les recettes en provenance du secteur gazier et pétrolier, d’une part, et le financement du programme nucléaire iranien, d’autre part.

45      Deuxièmement, s’il est vrai que les raisons spécifiques données par le Conseil pour justifier l’inscription du nom de la requérante sont lapidaires en ce qu’elles ne précisent ni le type de soutien financier que la requérante est censée avoir fourni au gouvernement iranien, ni la nature des liens qui existeraient entre celui-ci et ses actionnaires, il n’en demeure pas moins que ces explications permettaient à la requérante de comprendre qu’il s’agissait d’un soutien s’effectuant à travers ses actionnaires.

46      Certes, la requérante fait valoir que, en raison de sa privatisation en 2000, ses actionnaires n’entretenaient plus de liens avec le gouvernement iranien. Cet argument concerne cependant l’appréciation du bien-fondé des motifs mis en avant par le Conseil et non la question de savoir si ces motifs répondent aux exigences de l’article 296 TFUE. En effet, la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle, est distincte de celle de la preuve du comportement allégué, laquelle relève de la légalité au fond de l’acte en cause et implique de vérifier la réalité des faits mentionnés dans cet acte ainsi que la qualification de ces faits comme constituant des éléments justifiant l’application de mesures restrictives à l’encontre de la personne concernée (arrêt Conseil/Bamba, précité, point 60).

47      Il convient dès lors de conclure que, eu égard au contexte général dans lequel la décision et le règlement attaqués ont été adoptés, les motifs invoqués par le Conseil pour justifier l’inscription du nom de la requérante sur les listes des personnes et des entités sanctionnées, sont conformes aux exigences de l’article 296 TFUE et, partant, que le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le premier moyen, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation

48      La requérante fait valoir qu’elle n’est pas contrôlée par le gouvernement iranien et qu’elle ne lui fournit pas de soutien financier. Elle allègue que ses actionnaires, des fonds de pension privés, dont les noms n’ont d’ailleurs pas été inscrits sur les listes lors de sa propre inscription, n’ont, à sa connaissance, aucun lien avec le gouvernement iranien. La requérante aurait été privatisée en 2000, et ses propriétaires réels (beneficial owners) seraient cinq millions de pensionnés iraniens. En tout état de cause, elle réaliserait des pertes et n’aurait pas distribué de dividendes à ses actionnaires depuis 2010.

49      Quant aux articles de presse que le Conseil invoque en tant qu’« informations provenant de sources ouvertes », ils ne pourraient pas être pris en considération par le Tribunal, dans la mesure où, selon la requérante, il ressort de la lettre du Conseil du 12 mars 2013 qu’ils n’ont pas été pris en compte par le Conseil lors de l’inscription de son nom sur les listes.

50      Le Conseil estime, pour sa part, que la requérante remplit le critère relatif à la fourniture d’un soutien au gouvernement iranien. Premièrement, il rappelle que la décision de l’Union d’interdire l’importation de pétrole iranien vise à priver la République islamique d’Iran de recettes pétrolières, lesquelles représentent 70 % des recettes de cet État, afin de faire pression sur lui pour qu’il mette un frein à son programme nucléaire. Or, la requérante aurait transporté près de la moitié du pétrole brut produit en Iran en 2011, ainsi que l’attesteraient en particulier un article de l’Institute for the Study of War (Institut pour l’étude de la guerre) du 16 avril 2012 et un rapport du 10 janvier 2013 établi par le service des recherches du Congrès des États-Unis d’Amérique (annexes 3 et 18 à la défense).

51      Deuxièmement, en ce qui concerne la structure du capital de la requérante, le Conseil explique qu’il s’est fondé sur des informations fournies par les États membres, corroborées par des données provenant de sources ouvertes, selon lesquelles 33 % de ce capital seraient détenus par le State Pension Fund, 33 % par le Social Security Retirement Fund, et 33 % par la NIOC Pension and Savings Fund. Les explications fournies par la requérante, notamment dans la note d’expert jointe à la requête (annexe 3), ne permettraient pas de réfuter que la requérante est effectivement contrôlée par l’État iranien. En effet, cette note indiquerait uniquement que 66 % du capital de la requérante ont été transférés à deux entités privées en 2000, et que, depuis, la requérante a été entièrement privatisée, sans mentionner les noms des acquéreurs. La véritable structure de propriété de la requérante serait ainsi délibérément opaque. En tout état de cause, les actionnaires de la requérante seraient des fonds de pension de l’État, lequel contrôlerait ainsi la requérante et tirerait des bénéfices de cette société par le biais de ses actionnaires.

52      De surcroît, en janvier 2012, le président de la requérante, M. S., aurait été soudainement remplacé par M. B., ancien ministre des Routes et des Transports iranien, qui entretiendrait des liens étroits avec le président iranien. Par ailleurs, la requérante aurait tenté de dissimuler la propriété des navires de sa flotte en changeant leur nom et leur pavillon.

53      S’agissant des éléments de preuve, le Conseil souligne que ses allégations sont étayées à suffisance de droit par les documents de son dossier communiqués à la requérante à sa demande, et par les informations, connues de la requérante, provenant de sources ouvertes, constituées par les rapports et les articles de presse annexés au mémoire en défense.

54      À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer au cas par cas si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 mars 2012, Melli Bank/Conseil, C‑380/09 P, non publié au Recueil, point 41, et arrêt du Tribunal du 6 septembre 2013, Bateni/Conseil, T‑42/12 et T‑181/12, non publié au Recueil, point 45).

55      Cependant, les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, y compris lorsque de tels actes visent à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies (arrêt de la Cour du 18 juillet 2013, Commission/Kadi, dit « Kadi II », C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, point 97).

56      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur les listes, le juge de l’Union s’assure que cette décision repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt Kadi II, précité, point 119).

57      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêt Kadi II, précité, points 121 et 122).

58      En deuxième lieu, s’agissant de l’argument développé par le Conseil lors de l’audience, selon lequel l’implication de la requérante dans le secteur iranien du pétrole et du gaz, par son activité de transport de pétrole brut et de gaz produit en Iran, permettrait à elle seule de prouver que la requérante fournit un appui financier au gouvernement iranien, il suffit de rappeler que l’inscription du nom de la requérante sur les listes se fonde sur la fourniture d’un appui financier au gouvernement iranien, grâce aux liens qu’entretiendraient les actionnaires de la requérante avec le gouvernement iranien. Or, le transport de pétrole n’a aucun rapport avec l’existence alléguée de liens entre les actionnaires de la requérante et le gouvernement. Selon la jurisprudence, la légalité des actes attaqués ne peut être appréciée que sur le fondement des éléments de fait et de droit sur la base desquels ils ont été adoptés. En effet, le Tribunal ne saurait souscrire à l’invitation faite par le Conseil de procéder, en définitive, à une substitution des motifs sur lesquels ces actes se fondent (voir arrêt du Tribunal du 12 novembre 2013, North Drilling/Conseil, T‑552/12, non publié au Recueil, point 25, et la jurisprudence citée).

59      Il convient également d’écarter les explications données par le Conseil lors de l’audience, selon lesquelles la requérante, qui est une ancienne filiale de la National Iranian Oil Company ( NIOC), serait restée après sa privatisation sous le contrôle de cette entreprise publique, entièrement détenue par l’État iranien et dont le nom est inscrit sur la liste des entités sanctionnées en raison du soutien financier apporté au gouvernement iranien. En effet, ce raisonnement qui consiste à affirmer que le soutien financier apporté au gouvernement iranien par la requérante s’effectuerait par l’intermédiaire d’une société tierce, à savoir la NIOC, ne saurait être accepté. Les motifs d’inscription du nom de la requérante ne se réfèrent pas à un soutien financier indirect résultant des liens entre la requérante et la NIOC, mais à un soutien financier de la requérante au gouvernement iranien par l’intermédiaire des liens entre les actionnaires de la requérante et le gouvernement iranien.

60      En outre, et en tout état de cause, dans la mesure où les arguments susmentionnés du Conseil visent à établir que la requérante apporte un soutien financier indirect au gouvernement iranien, grâce à son activité de transport maritime de gaz et de pétrole, il y a lieu de constater que la réglementation applicable prévoit le critère relatif à la fourniture d’un appui financier au gouvernement iranien, et non celui de la fourniture d’un appui financier indirect. Or, contrairement aux allégations du Conseil, la seule circonstance que, par son activité de transport, la requérante soit impliquée dans le secteur du pétrole et du gaz iranien, lequel représente l’une des principales sources de revenus du gouvernement iranien, ne saurait être considérée comme couverte par le critère juridique relatif à la fourniture d’un appui financier à ce gouvernement.

61      En troisième lieu, s’agissant de la structure de son capital, la requérante relève à bon droit que le dossier du Conseil ne contient aucun élément de preuve. En particulier, ni les propositions d’inscrire son nom sur la liste présentées par trois États membres, datées des 19, 24 et 28 septembre 2012, ni les autres documents contenus dans ce dossier n’identifient les actionnaires de la requérante et ne renferment le moindre indice susceptible d’étayer les allégations selon lesquelles la requérante serait contrôlée par le gouvernement iranien ou fournirait un appui financier à ce dernier par l’intermédiaire de ses actionnaires, qui entretiendraient des liens avec le gouvernement. Les seuls éléments du dossier concernant la requérante sont constitués par les allégations reprises en substance dans la décision et le règlement attaqués.

62      En conséquence, pour étayer ces allégations, reprises dans les motifs de l’inscription du nom de la requérante, le Conseil ne saurait invoquer utilement, devant le Tribunal, les arguments factuels résumés aux points 51 et 52 ci-dessus, dans la mesure où ces arguments ne figuraient pas dans son dossier et où, partant, ils n’ont pas non plus été communiqués à la requérante, à sa demande, dans la réponse du Conseil du 12 mars 2013. En effet, la prise en considération de tels arguments porterait atteinte, d’une part, au principe selon lequel la légalité des actes attaqués ne peut être appréciée que sur le fondement des éléments de fait et de droit sur la base desquels ils ont été adoptés et, d’autre part, aux droits de la défense de la requérante (arrêt Bateni/Conseil, précité, point 57). En effet, la requérante n’ayant pas reçu communication des motifs nouveaux en temps utile, elle serait, d’une part, privée de la possibilité de faire valoir utilement son point de vue à leur sujet dans le cadre de la procédure administrative. D’autre part, la requérante ne serait pas en mesure d’apprécier le bien-fondé de l’inscription de son nom ainsi que l’opportunité de former un recours. Le principe d’égalité des parties devant le juge de l’Union s’en trouverait ainsi affecté (voir arrêt North Drilling/Conseil, précité, point 26, et la jurisprudence citée).

63      De même, l’argumentation du Conseil, selon laquelle le nouveau remplacement, en mars 2013, du président de la requérante confirmerait les liens étroits entre les actionnaires de cette dernière et le gouvernement iranien, est inopérante dans la mesure où elle se fonde sur des faits postérieurs à l’adoption de la décision et du règlement attaqués.

64      Par conséquent, les éléments susceptibles d’être pris en considération par le Tribunal ne contiennent aucun indice permettant d’étayer les allégations du Conseil selon lesquelles la requérante serait contrôlée par le gouvernement iranien et apporterait un soutien financier au gouvernement iranien.

65      Il s’ensuit que l’inscription du nom de la requérante sur les listes est dépourvue de justification.

66      Il convient dès lors d’accueillir le premier moyen.

67      Pour l’ensemble de ces raisons, il y a lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner les troisième et quatrième moyens, d’annuler la décision et le règlement attaqués, en ce qu’ils concernent la requérante.

 Sur les effets dans le temps de l’annulation de la décision et du règlement attaqués

68      La requérante conclut à ce que l’annulation de la décision et du règlement attaqués prenne effet immédiatement. Elle fait valoir que la décision du Conseild’inscrire son nom sur les listes présente la nature d’une décision individuelle, et non celle d’un règlement, comme en attesterait l’obligation du Conseil de communiquer individuellement les mesures restrictives aux personnes ou aux entités concernées. La requérante invoque l’arrêt Bank Melli Iran/Conseil, précité (points 86 et 87), dans lequel le Tribunal a estimé qu’une décision mettant en œuvre l’article 7 du règlement (CE) no 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 103, p. 1), ne revêtait pas une nature exclusivement générale, mais présentait la nature d’un acte individuel à l’égard des personnes ou des entités dont les noms étaient inscrits par cette décision à l’annexe V dudit règlement.

69      Selon la requérante, l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne prévoit uniquement le maintien en vigueur d’un règlement, et non celui d’une décision, à la suite de son annulation par le Tribunal, jusqu’à l’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, jusqu’au rejet de celui-ci par la Cour, afin de limiter l’effet perturbateur de l’annulation par le Tribunal de règles générales applicables dans l’ensemble de l’Union, lorsque ces règles sont susceptibles d’être finalement validées dans le cadre d’un pourvoi.

70      Le Conseil soutient que l’article 60 du statut de la Cour s’oppose à l’annulation avec effet immédiat du règlement attaqué. Il estime, dès lors, que le Tribunal devrait également ordonner que les effets de l’annulation éventuelle de la décision attaquée soient suspendus pendant le même délai.

71      Le Conseil s’appuie ainsi sur une jurisprudence constante, selon laquelle l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour est applicable en ce qui concerne les effets dans le temps de l’annulation par le Tribunal d’un règlement, tel que le règlement no 267/2012, imposant des mesures restrictives. En effet, le juge de l’Union a, jusqu’à présent, considéré que le règlement no 267/2012, en ce compris son annexe IX, a la nature d’un règlement, dès lors que son article 51, second alinéa, prévoit qu’il est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre, ce qui correspond aux effets d’un règlement tels que prévus par l’article 288 TFUE (arrêts du Tribunal Bateni/Conseil, précité, point 83, et Iranian Offshore Engineering & Constructions/Conseil, T‑110/12, point 74 ; voir également, par analogie, arrêt de la Cour du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil, C‑548/09 P, Rec. p. I‑11381, point 45).

72      L’argumentation de la requérante ne saurait prospérer.

73      En effet, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la question de savoir si la décision d’inscrire le nom de la requérante sur les listes litigieuses a une nature réglementaire au sens de l’article 60, deuxième alinéa, du statut, il suffit de relever que l’article 264, second alinéa, TFUE permet, en tout état de cause, au juge de l’Union d’indiquer, s’il l’estime nécessaire, ceux des effets de l’acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs. À cet égard, il ressort de la jurisprudence que le Tribunal peut décider, sur la base de cette disposition, de la date de prise d’effet de ses arrêts en annulation (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 décembre 2013, Nabipour e.a./Conseil, T‑58/12, non publié au Recueil, points 250 et 251).

74      Dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal considère, pour les raisons exposées ci-après, qu’il est nécessaire de suspendre la prise d’effet du présent arrêt jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, jusqu’au rejet de celui-ci.

75      Le programme nucléaire mis en œuvre par la République islamique d’Iran est une source de préoccupations vives tant sur le plan international que sur le plan européen. C’est dans ce contexte que le Conseil a graduellement élargi le nombre de mesures restrictives prises à l’encontre de cet État, en vue de faire obstacle au développement d’activités mettant en péril la paix et la sécurité internationale, dans le cadre de la mise en œuvre de résolutions du Conseil de sécurité.

76      Dès lors, l’intérêt de la requérante à obtenir une prise d’effet immédiate du présent arrêt en annulation doit être mis en balance avec l’objectif d’intérêt général poursuivi par la politique de l’Union en matière de mesures restrictives à l’encontre de la République islamique d’Iran. La modulation des effets dans le temps de l’annulation d’une mesure restrictive peut ainsi se justifier par la nécessité d’assurer l’efficacité des mesures restrictives et, en définitive, par des considérations impérieuses touchant à la sûreté ou à la conduite des relations internationales de l’Union et de ses États membres (voir, par analogie avec l’absence d’obligation de communication préalable à l’intéressé des motifs de son inscription initiale sur les listes, arrêt de la Cour du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, Rec I‑13427, point 67).

77      Or, l’annulation avec effet immédiat des actes attaqués en ce qu’ils concernent la requérante permettrait à cette dernière de transférer tout ou partie de ses actifs hors de l’Union, sans que le Conseil puisse le cas échéant appliquer en temps utile l’article 266 TFUE en vue de remédier aux irrégularités constatées dans le présent arrêt, de sorte qu’une atteinte sérieuse et irréversible risquerait d’être causée à l’efficacité de tout gel d’avoirs susceptible d’être, à l’avenir, décidé par le Conseil à l’égard de la requérante. En effet, s’agissant de l’application de l’article 266 TFUE dans le cas d’espèce, il y a lieu de relever que l’annulation par le présent arrêt de l’inscription du nom de la requérante sur les listes découle du fait que les motifs de cette inscription ne sont pas étayés par des preuves suffisantes (voir point 65 ci-dessus). Bien qu’il appartienne au Conseil de décider des mesures d’exécution de cet arrêt, une nouvelle inscription du nom de la requérante ne saurait être exclue d’emblée. En effet, dans le cadre de ce nouvel examen, le Conseil a la possibilité de réinscrire le nom de la requérante sur la base de motifs étayés à suffisance de droit.

78      Il s’ensuit que les effets de la décision et du règlement attaqués doivent être maintenus à l’égard de la requérante, jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet du pourvoi.

 Sur les dépens

79      L’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé en l’essentiel de ses conclusions, il y a lieu de le condamner aux dépens de la présente instance, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision 2012/635/PESC du Conseil, du 15 octobre 2012, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, est annulée en ce qu’elle a inscrit le nom de National Iranian Tanker Company dans l’annexe II de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC.

2)      Le règlement d’exécution (UE) no 945/2012 du Conseil, du 15 octobre 2012, mettant en œuvre le règlement (UE) no 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, est annulé en ce qu’il a inscrit le nom de National Iranian Tanker Company dans l’annexe IX du règlement (UE) no 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (UE) no 961/2010.

3)      Les effets de la décision 2012/635 et du règlement d’exécution no 945/2012 sont maintenus en ce qui concerne National Iranian Tanker Company, jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, jusqu’au rejet du pourvoi.

4)      Le Conseil de l’Union européenne supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par National Iranian Tanker Company.

van der Woude

Wiszniewska-Białecka

Kancheva

Wetter

 

Ulloa Rubio

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 juillet 2014.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.