Language of document : ECLI:EU:T:2005:328

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

19 septembre 2005 (*)

« Aides d’État – Décision de ne pas soulever d’objections – Recours en annulation – Délai de recours – Publication d’une communication succincte – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T-321/04,

Air Bourbon SAS, établie à Sainte-Marie, île de la Réunion (France), représentée par Me S. Vaisse, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. C. Giolito et J. Buendía Sierra, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission du 16 décembre 2003 [C (2003) 4708 fin], de ne pas soulever d’objections à l’encontre de l’aide N 427/2003 accordée par les autorités françaises à Air Austral,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. H. Legal, président, Mme P. Lindh et M. V. Vadapalas, juges,

greffier : M. H. Jung,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1       Le 28 novembre 2001, la Commission a autorisé, au regard des dispositions des lignes directrices concernant les aides à finalité régionale, un régime d’aides français consistant à octroyer des réductions d’impôt aux contribuables qui entreprennent des investissements productifs dans les départements d’outre-mer.

2       L’objectif de ce régime était d’inciter à l’investissement dans des régions connaissant des handicaps structurels comme l’insularité, l’étroitesse des marchés locaux et la faible productivité des entreprises.

3       Par lettre du 28 juillet 2003, les autorités françaises ont notifié à la Commission une aide fiscale à l’investissement outre-mer qu’elles se proposaient d’octroyer à la compagnie aérienne Air Austral.

4       Par la décision C (2003) 4708 fin, du 16 décembre 2003 (ci-après la « Décision »), prise au terme de la phase d’examen préliminaire prévue par l’article 88, paragraphe 3, CE, la Commission a considéré que la compatibilité de cette mesure avec le marché commun ne suscitait pas de doutes et, en conséquence, qu’il n’y avait pas lieu de soulever d’objections à son sujet.

5       La Décision a été notifiée au gouvernement français le 17 décembre 2003.

6       Le 12 février 2004, la Commission a publié au Journal officiel de l’Union européenne, une communication succincte informant les tiers, sous la forme d’un résumé des données essentielles de la mesure d’aide notifiée, qu’elle ne soulevait pas d’objections à son encontre (JO C 38, p. 4). Dans cette communication, la Commission a précisé :

« Le texte de la décision dans la ou les langue(s) faisant foi, expurgé des données confidentielles, est disponible sur le site :

http://europa.eu.int/comm/secretariat_general/sgb/state_aids. »

7       Par lettre du 7 juin 2004, la requérante a demandé à la Commission le texte intégral de la Décision.

8       Par lettre du 9 juin 2004, reçue le 11 juin 2004, la Commission a transmis à la requérante un exemplaire du texte intégral de la Décision.

 Procédure

9       Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 juillet 2004, la requérante a introduit le présent recours.

10     Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 12 octobre 2004, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

11     La requérante a présenté ses observations sur cette exception le 12 novembre 2004.

12     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 décembre 2004, Air Austral a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

13     La Commission a présenté ses observations sur cette demande en intervention le 12 janvier 2005.

 Conclusions des parties

14     La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       déclarer le recours recevable ;

–       annuler la Décision ;

–       enjoindre à la Commission et à la République française de prendre les mesures nécessaires afin qu’Air Austral rembourse les aides indûment perçues ;

–       condamner la Commission aux dépens.

15     La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours comme irrecevable ;

–       condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

16     En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par l’examen des pièces du dossier et décide qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

 Arguments des parties

17     La Commission fait valoir que le recours est tardif. Le délai de recours aurait commencé à courir dès le 12 février 2004, date de la publication de la communication succincte de la Décision au Journal officiel de l’Union européenne. La Décision aurait été ainsi disponible au plus tard le jour de la publication du Journal officiel de l’Union européenne sur Internet.

18     Selon la Commission, la requérante avait même connaissance de la Décision dès avant cette date. En effet, la signification de la Décision au seul gouvernement français n’empêcherait pas de considérer que la requérante, en qualité de principale concurrente d’Air Austral, devait avoir pleinement connaissance de la Décision dès le 16 décembre 2003, car celle-ci avait été commentée dans la presse et avait fait l’objet d’un communiqué de presse de la part de la Commission le jour de son adoption. La requérante n’aurait pu ignorer l’existence de la Décision jusqu’au 7 juin 2004, date de sa demande de communication de la version intégrale de la Décision.

19     La Commission indique que le délai de recours commence à courir à compter de la date de la publication au Journal officiel de l’Union européenne des décisions en matière d’aides d’État, telle que prévue par le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1). Ainsi, dans la mesure où la communication succincte indiquait clairement la possibilité de se procurer un exemplaire de la Décision dans la langue faisant foi, la mise à disposition de ladite Décision, au plus tard le jour de la publication du Journal officiel de l’Union européenne sur Internet, équivaudrait à une publication intégrale. Par conséquent, le dies a quo serait en l’espèce le 12 février 2004, date de la publication de la communication succincte et de la mise à disposition du texte intégral sur Internet. Dans ces conditions, le recours, déposé le 29 juillet 2004, serait manifestement tardif et devrait donc être déclaré irrecevable.

20     La requérante ne pourrait déroger aux délais de recours d’ordre public et prétendre bénéficier d’un nouveau délai de recours en se prévalant de sa demande du 7 juin 2004. La lettre de la Commission du 9 juin 2004, transmettant à la requérante le texte de la Décision, n’ouvrirait pas un nouveau délai de recours. La Commission aurait d’ailleurs pris soin de rappeler dans cette lettre que ce texte était déjà disponible sur Internet.

21     En outre, la requérante ne pourrait pas non plus se prévaloir d’une erreur excusable, en l’absence d’un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de bonne foi et faisant la preuve de toute la diligence requise d’un opérateur normalement averti. En l’espèce, le comportement de la Commission, qui répond à une obligation légale, connue de tous, n’aurait pas pu créer de confusion et être la cause de l’erreur commise par la requérante.

22     La requérante relève que la lettre de la Commission du 9 juin 2004 lui transmettant le texte de la Décision n’indiquait pas que celle-ci avait fait l’objet d’une publication succincte dans la série C du Journal officielde l’Union européenne ni que celle-ci aurait fait courir le délai de recours en annulation. Ainsi, la Commission n’aurait pas considéré que cette publication succincte était opposable aux tiers.

23     En effet, la publication d’une communication succincte dans la série C du Journal officiel de l’Union européenne ne serait pas opposable aux tiers. Il ne pourrait raisonnablement être exigé des justiciables la consultation quotidienne de la série C (Communications et informations) du Journal officiel de l’Union européenne pour s’assurer que les institutions communautaires n’ont pas adopté une décision, dont ils ne sont ni destinataires ni même informés, qui soit susceptible d’affecter leurs droits et/ou leurs intérêts.

24     Il en serait d’autant plus ainsi que la publication était faite sous la forme d’une communication très succincte reprenant seulement la date d’adoption de la décision, l’État membre concerné, le titre, la base juridique, le budget de l’aide en cause et son objectif en quelques mots-clés. Celle-ci ne permettrait pas de connaître le contenu et la portée de l’acte et nécessiterait la consultation du site Internet.

25     Le Conseil n’aurait pas entendu rendre opposable aux tiers la publication d’une communication succincte des décisions de la Commission dans la série C du Journal officiel de l’Union européenne effectuée en application de l’article 26 du règlement n° 659/1999. Si le Conseil avait considéré cette publication comme étant opposable aux tiers, il n’aurait pas réservé expressément dans l’article 20, paragraphe 3, dudit règlement le droit des parties intéressées à obtenir, à leur demande, copie de telles décisions, qui sont uniquement notifiées aux États concernés.

26     La requérante soutient que, à défaut de publication intégrale au Journal officiel de l’Union européenne ou de notification, le délai de recours court à partir de la date de la prise de connaissance du contenu et des motifs de l’acte en cause, pour autant que sa communication ait été demandée dans un délai raisonnable. Or, en l’espèce, la requérante n’aurait à aucun moment été informée de la décision de la Commission à intervenir et elle n’aurait donc eu aucune raison de consulter le Journal officiel de l’Union européenne et encore moins la série C.

27     À l’argument de la Commission selon lequel la requérante aurait dû avoir connaissance de la Décision dès le 16 décembre 2003, la requérante oppose sa constitution récente (en novembre 2002), le début de ses activités en juin 2003, le nombre limité de ses salariés (139) et l’absence de service juridique en son sein.

28     La Commission aurait omis, en violation de l’article 88, paragraphes 2 et 3, CE, d’inviter les trois compagnies aériennes présentes sur la ligne reliant Paris à Saint-Denis (île de la Réunion), dont faisait partie la requérante, à présenter leurs observations sur le projet d’aide au profit d’Air Austral, lequel est, comme le reconnaît la Commission dans la Décision, susceptible d’affecter les concurrents sur la ligne en cause. Il en résulterait que la requérante pouvait légitimement ignorer que la Décision était susceptible d’affecter ses droits et ses intérêts.

29     En outre, la requérante fait valoir qu’elle n’était nullement tenue de connaître les articles de presse parus lors de l’adoption de la Décision ni le communiqué de presse de la Commission.

30     Ce ne serait qu’après avoir constaté qu’elle subissait des préjudices importants du fait qu’Air Austral se livrait à des actes créant de graves distorsions de concurrence que la requérante se serait interrogée sur la légalité des concours financiers accordés à sa concurrente par Sematra (une société d’économie mixte locale détenue majoritairement par la Région et le Département de l’île de la Réunion). Ce serait précisément, dans le cadre de ces recherches, que la requérante aurait effectué sa demande du 7 juin 2004.

31     Enfin, la requérante remarque qu’elle peut également se prévaloir d’une erreur excusable qui ne saurait entraîner la forclusion en la privant de son droit de recours.

 Appréciation du Tribunal

32     En premier lieu, il découle du libellé même de l’article 230, cinquième alinéa, CE que le critère de la date de la prise de connaissance de l’acte en tant que point de départ du délai de recours présente un caractère subsidiaire par rapport à ceux de la publication ou de la notification de l’acte (arrêt de la Cour du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil, C‑122/95, Rec. p. I‑973, point 35 ; arrêts du Tribunal du 12 décembre 2000, Alitalia/Commission, T‑296/97, Rec. p. II‑3871, point 61, et du 27 novembre 2003, Regione Siciliana/Commission, T‑190/00, non encore publié au Recueil, point 30).

33     En l’espèce, conformément à l’obligation lui incombant en vertu de l’article 26, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 659/1999, la Commission a publié au Journal officiel de l’Union européenne une communication succincte informant les intéressés de l’existence de la Décision et indiquant, notamment, sa date d’adoption, l’État membre concerné, le numéro de l’aide, son titre, son objectif, sa base juridique et le budget qui lui est consacré. En outre, cette communication succincte a mentionné la possibilité de se procurer le texte intégral de la Décision dans la langue faisant foi sur le site Internet de la Commission et le lien permettant d’y accéder.

34     Le fait pour la Commission de donner aux tiers un accès intégral au texte d’une décision placée sur son site Internet, combiné à la publication d’une communication succincte au Journal officiel de l’Union européenne permettant aux intéressés d’identifier la décision en question et les avisant de cette possibilité d’accès par Internet, doit être considéré comme valant publication au sens de l’article 230, cinquième alinéa, CE.

35     La possibilité pour l’intéressé d’obtenir copie d’une telle décision, prévue par l’article 20, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, n’infirme pas cette conclusion.

36     En effet, cette disposition permet aux intéressés d’obtenir copie de toute décision prise au titre de l’article 4 du règlement n° 659/1999, c’est-à-dire non seulement des décisions selon lesquelles une mesure ne constitue pas une aide (paragraphe 2) et des décisions de ne pas soulever d’objections (paragraphe 3), qui sont publiées sous la forme d’une communication succincte, mais aussi des décisions d’ouvrir la procédure formelle d’examen (paragraphe 4), qui sont publiées intégralement. Cette possibilité existe donc indépendamment de la publication de ces décisions au Journal officiel de l’Union européenne et, dès lors, indépendamment du point de départ du délai de recours prévu par l’article 230, cinquième alinéa, CE.

37     En l’espèce, il n’est pas contesté que le texte intégral de la Décision était disponible sur Internet le 12 février 2004, jour de la publication de la communication succincte. Au demeurant, la requérante n’a nullement soutenu avoir été dans l’impossibilité, pour des raisons techniques ou autres, d’accéder, par ce moyen, au texte intégral de la Décision. Le 12 février 2004 constitue par conséquent le point de départ du délai de recours sans que la Commission ait été tenue d’indiquer dans sa lettre du 9 juin 2004 que la décision avait fait l’objet d’une publication succincte, ni que celle-ci faisait courir le délai de recours.

38     En deuxième lieu, la notion d’erreur excusable doit être interprétée de façon restrictive et ne peut viser que des circonstances exceptionnelles où, notamment, l’institution concernée a adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de bonne foi et faisant preuve de toute la diligence requise d’un opérateur normalement averti (arrêt du Tribunal du 29 mai 1991, Bayer/Commission, T‑12/90, Rec. p. II‑219, point 29, confirmé par l’arrêt de la Cour du 15 décembre 1994, Bayer/Commission, C‑195/91 P, Rec. p. I‑5619, point 26).

39     En l’espèce, les arguments factuels tirés par la requérante de sa constitution récente, du nombre limité de ses salariés et de l’absence de juristes au sein de son personnel ne permettent pas, en eux-mêmes, de conclure à l’existence d’une erreur excusable.

40     En troisième et dernier lieu, l’opposabilité de la publication succincte à la requérante est conforme à l’exigence de sécurité juridique qui doit présider à toute interprétation des dispositions relatives aux voies de recours (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 janvier 1987, Misset/Conseil, 152/85, Rec. p. 223, point 11 ; arrêt du Tribunal du 18 septembre 1997, Mutual Aid Administration Services/Commission, T‑121/96 et T‑151/96, Rec. p. II‑1355, point 38). En effet, la prise en compte de la date de publication de la communication succincte avec renvoi au site Internet en tant que date de publication de l’acte attaqué permet d’établir de manière certaine la date exacte du point de départ du délai de recours de deux mois prévu par l’article 230, cinquième alinéa, CE.

41     La prise en compte de la date de publication de la communication succincte avec renvoi au site Internet en tant que date de publication de l’acte attaqué garantit en outre l’égalité de traitement entre tous les tiers en assurant que le délai pour introduire les recours contre les décisions en matière d’aides d’État est calculé de la même manière que la décision soit publiée intégralement au Journal officiel de l’Union européenne ou de manière succincte avec renvoi au site Internet de la Commission.

42     Dès lors, la Décision ayant été publiée le 12 février 2004, le délai de recours, en application de l’article 230, cinquième alinéa, CE et de l’article 102, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure, a expiré le 6 mai 2004. Par conséquent, le recours, introduit le 29 juillet 2004, est manifestement tardif. 

43     Eu égard à tout ce qui précède, le recours doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur la demande en intervention

44     Le recours étant irrecevable, il n’y a pas lieu de statuer sur la demande présentée par Air Austral aux fins d’être admise à intervenir au litige au soutien des conclusions de la Commission.

 Sur les dépens

45     Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter les dépens de l’instance, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande en intervention présentée par Air Austral.

3)      La partie requérante est condamnée aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 19 septembre 2005.



Le greffier

 

       Le président



H. Jung

 

       H. Legal


* Langue de procédure : le français.