Language of document : ECLI:EU:T:2014:1004

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

13 novembre 2014 (*)

« Recours en indemnité – Aides accordées par les autorités hongroises en faveur de certains producteurs d’électricité – Décision déclarant les aides incompatibles avec le marché intérieur et ordonnant leur récupération – Délai de prescription – Inapplicabilité de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal – Notion de dommage continu – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑40/14,

Electrabel SA, établie à Bruxelles (Belgique),

Dunamenti Erőmű Zrt, établie à Százhalombatta (Hongrie),

représentées par Me J. Philippe, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mme L. Armati, M. L. Flynn et Mme K. Talabér-Ritz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en indemnité, fondé sur l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, visant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi en raison de la décision 2009/609/CE de la Commission, du 4 juin 2008, concernant les aides d’État C 41/05 accordées par la Hongrie dans le cadre d’accords d’achat d’électricité (JO 2009, L 225, p. 53),

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, O. Czúcz et A. Popescu, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Dunamenti Erőmű Zrt (ci-après « Dunamenti ») est un producteur d’électricité intervenant sur le marché de l’électricité hongrois et qui exploite une centrale électrique située à environ 30 km au sud de Budapest (Hongrie). Il s’agit d’une ancienne entreprise publique qui a été privatisée au milieu des années 90. Elle est détenue à environ 75 % par Electrabel SA, qui fait à présent elle-même partie du groupe de sociétés dont GDF Suez SA est la société mère, et à environ 25 % par Magyar Villamos Művek Zrt (ci-après « MVM »), une entreprise publique active dans la production d’électricité ainsi que dans le commerce de gros, la transmission et la revente sur le marché en cause.

2        Le 10 octobre 1995, peu de temps avant sa privatisation, Dunamenti a conclu un accord d’achat d’électricité à long terme (ci-après « AAE ») avec MVM pour les unités « blocs F » et « bloc G2 » (ci-après, respectivement, les « blocs F » et le « bloc G2 ») de la centrale électrique qu’elle exploite. L’AAE devait expirer en décembre 2010 pour les blocs F et en décembre 2015 pour le bloc G2.

3        En décembre 1995, soit deux mois après la conclusion de l’AAE, Electrabel a fait l’acquisition de Dunamenti au terme d’un processus d’appel d’offres ouvert. Outre son investissement dans l’entreprise, Electrabel s’est engagée à investir dans la modernisation des deux unités de production d’électricité couvertes par l’AAE.

4        De même que Dunamenti, d’autres producteurs d’électricité du marché hongrois ont conclu des AAE avec MVM dans les années 1990. Les principes directeurs de ces AAE présentaient certes des similarités, mais les conditions spécifiques de chaque AAE étaient différentes et ceux-ci n’avaient pas tous été conclus avant la phase de privatisation.

5        Les AAE se caractérisent principalement par deux éléments. D’une part, ils réservent à MVM la totalité ou la majeure partie de la capacité de production des centrales électriques visées par l’accord. D’autre part, les AAE obligent MVM à acheter auprès de chaque centrale électrique exploitée dans leur cadre une quantité d’électricité minimale déterminée. Ils prévoient ainsi un niveau de prélèvement minimal pour chaque centrale électrique, que MVM est tenue d’acheter chaque année.

6        Par sa décision 2009/609/EC, du 4 juin 2008, concernant les aides d’État C 41/20005 accordées par la Hongrie dans le cadre d’accords d’achat d’électricité (JO L 225, p. 53), la Commission a conclu que les AAE constituaient une aide d’État incompatible avec le marché intérieur (ci-après « la décision AAE »). Par conséquent, les AAE, y compris celui conclu avec Dunamenti, ont été résiliés et le montant de l’aide illégale et incompatible déjà perçu par ses bénéficiaires à compter du 1er mai 2004 a dû être récupéré.

7        Pour mettre en œuvre la décision AAE, le parlement hongrois a adopté le 10 novembre 2008 une loi qui prévoyait la résiliation anticipée des AAE pour le 31 décembre 2008, date de son entrée en vigueur (ci-après la « loi de résiliation des AAE »).

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 avril 2009, Dunamenti a introduit un recours en annulation contre la décision AAE, enregistré sous la référence T-179/09. Ce recours a été rejeté par un arrêt de la neuvième chambre du Tribunal (arrêt du 30 avril 2014, Dunamenti Erőmű/Commission, T‑179/09, EU:T:2014:236).

9        Le 21 juillet 2014, Dunamenti a formé un pourvoi contre ledit arrêt du Tribunal, ce pourvoi ayant été enregistré sous la référence C‑357/14 P.

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 janvier 2014, les requérantes, Dunamenti et Electrabel, concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        constater que la responsabilité non contractuelle de la Commission est engagée pour avoir illégalement adopté la décision AAE ;

–        condamner la Commission à réparer intégralement le dommage qu’elles ont subi par en raison de la résiliation anticipée de l’AAE en application de la décision AAE, ledit dommage ayant été évalué à la somme de 250 millions d’euros, sous réserve de modification en fonction de données futures ;

–        ordonner le paiement d’intérêts sur la somme sollicitée à titre de réparation, à compter de la date de la décision à intervenir établissant l’obligation d’indemniser le dommage, à un taux annuel de 8 % ou à un taux que le Tribunal pourrait fixer au titre de son pouvoir d’appréciation ;

–        condamner la Commission aux dépens.

11      La Commission a, par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 17 mars 2014, soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal. Elle conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner les requérantes aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où l’exception d’irrecevabilité serait rejetée, fixer de nouveaux délais pour lui permettre de déposer son mémoire en défense, conformément à l’article 114, paragraphe 4, du règlement de procédure.

12      Les requérantes ont présenté leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 2 mai 2014, par lesquelles elles concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité de la Commission ;

–        à titre subsidiaire, s’il était fait droit à l’exception d’irrecevabilité de la Commission :

–        déclarer que le délai de prescription n’entraînerait l’irrecevabilité du recours en indemnisation que s’agissant du préjudice intervenu entre le 1er et le 10 janvier 2009 ;

–        partant, ne pas rendre une ordonnance d’irrecevabilité, mais statuer, dans la décision au fond sur la demande d’indemnisation introduite le 10 janvier 2014, sur la recevabilité de ladite demande s’agissant du préjudice intervenu entre le 1er et le 10 janvier 2009 ;

–        condamner la Commission aux dépens afférents à l’exception d’irrecevabilité ou, le cas échéant, répartir les dépens entre elles et la Commission en fonction des durées respectives à l’égard desquelles la demande d’indemnisation du préjudice aura été déclarée recevable ou non.

 En droit

13      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. Le Tribunal estime que, en l’espèce, il est suffisamment éclairé par les pièces du dossier et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

14      La Commission fait valoir, en substance, que l’action en indemnité est prescrite, étant donné qu’elle a été introduite en dehors du délai de cinq ans prévu à l’article 46, paragraphe 1, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

15      Elle considère que, même à supposer que tous les éléments engageant sa responsabilité non contractuelle aient pris naissance le 31 décembre 2008, au moment de l’entrée en vigueur de la loi de résiliation des AAE en Hongrie, le recours des requérantes, fondé sur sa prétendue responsabilité non contractuelle, est prescrit depuis le 1er janvier 2014 et est donc irrecevable.

16      La Commission estime en effet que la disposition de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, en vertu de laquelle « [l]es délais de procédure sont augmentés d’un délai de distance forfaitaire de dix jours », s’applique seulement aux délais de procédure et non au délai de prescription prévu par l’article 46, paragraphe 1, du statut de la Cour.

17      À cet égard, la Commission fait valoir que les délais de procédure et les délais de prescription sont intrinsèquement différents. Ainsi, les premiers seraient prévus en vue d’assurer une bonne administration de la justice, la clarté ainsi que la sécurité juridique, alors que les seconds entraineraient l’extinction de l’action en justice en affectant la possibilité de faire valoir judiciairement un droit subjectif dont la personne concernée ne peut plus se prévaloir effectivement en justice. En outre, le respect du délai de prescription ne pourrait pas être examiné d’office par le juge de l’Union, mais devrait être soulevé par la partie concernée, à la différence des délais de procédure, qui sont d’ordre public.

18      Par conséquent, selon la Commission, le recours formé par les requérantes le 10 janvier 2014 et tendant à obtenir réparation du préjudice qu’elles auraient subi le 31 décembre 2008 est prescrit.

19      Les requérantes contestent ces allégations et estiment quant à elles que leur recours est recevable.

20      En premier lieu, elles soutiennent que, même à supposer que le délai de distance prévu par l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure ne trouve pas à s’appliquer pas dans le cas d’espèce, le recours serait en tout état de cause recevable du fait que le préjudice qu’elles ont subi est continu et causé par un acte illégal maintenu dans le temps.

21      À cet égard, elles précisent que le dommage subi résulte de la résiliation anticipée de l’AAE à la suite de l’entrée en vigueur, le 31 décembre 2008, de la loi de résiliation des AAE et que leur situation est comparable à celle ayant donné lieu à l’arrêt du 11 janvier 2002, Biret et Cie/Conseil (T‑210/00, Rec, EU:T:2002:3).

22      Selon les requérantes, les deux conditions requises par la jurisprudence pour qu’un préjudice puisse être qualifié de continu, à savoir, premièrement, le fait qu’il se poursuive quotidiennement pendant une certaine période et, deuxièmement, que ce soit en raison de la persistance d’un acte illégal, sont remplies dans le cas d’espèce.

23      Elles considèrent en effet avoir subi un préjudice continu du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2015 en raison de l’inapplicabilité de l’AAE à compter de la date de sa résiliation jusqu’aux dates d’expiration prévues dans cet AAE, à savoir le mois de décembre 2010 pour les blocs F et le mois de décembre 2015 pour le bloc G2.

24      À cet égard, elles font valoir plus spécifiquement que la nature « quotidienne » du préjudice n’est pas déterminante pour autant que le préjudice soit continu, c’est-à-dire renouvelé au cours de périodes successives et augmentant à proportion du temps écoulé (ordonnance du 4 septembre 2009, Inalca et Cremonini/Commission T‑174/06, EU:T:2009:306, point 57).

25      Elles estiment que la deuxième condition est également satisfaite, dans la mesure où le préjudice a été provoqué par l’entrée en vigueur de la loi de résiliation de l’AAE, qui est un acte du Parlement hongrois, généralement considérée comme un type d’instrument juridique maintenu dans le temps.

26      Il s’ensuit, selon elles, que, même si le Tribunal devait souscrire à l’argumentation de la Commission en ce qui concerne l’applicabilité de l’article 102, paragraphe 2 du règlement de procédure, le délai de prescription n’entraînerait l’irrecevabilité du recours en indemnité qu’en ce qui concerne le préjudice survenu entre le 1er et le 10 janvier 2009.

27      En deuxième lieu, les requérantes font valoir, contrairement à ce que soutient la Commission, que le délai de prescription visé à l’article 46 du statut de la Cour est également un délai de procédure, au sens de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, et que le délai de distance forfaitaire de dix jours prévu par cet article est donc pleinement applicable en l’espèce.

28      Ceci découlerait non seulement d’une lecture attentive du règlement de procédure, qui ne distingue pas entre les différents délais de procédure aux fins de l’application de son article 102, paragraphe 2, mais également de l’article 101 dudit règlement, où l’expression « les délais de procédure » est traduite par « any period of time (…) for the taking of any procedural step » dans la version anglaise dudit règlement, et qui ferait référence aux délais de procédure exprimés en jours, en semaines, en mois ou en années, alors que seul le délai de prescription prévu à l’article 46 du statut de la Cour est exprimé en années. Il ne ferait aucun doute, dès lors, que l’article 46 est un « délai de procédure » au sens du règlement de procédure.

29      Les requérantes contestent également la pertinence de l’arrêt du 8 novembre 2012, Evropaïki Dynamiki/Commission (C‑469/11 P, Rec, EU:C:2012:705), invoqué par la Commission au soutien de ses arguments.

30      En effet, premièrement, le respect de certains délais de procédure ne pourrait être soulevé que par la partie lésée et non par le juge pour des raisons d’ordre public, le délai de distance trouvant néanmoins à s’appliquer à leur égard. Deuxièmement, il n’existerait aucun principe général de droit ni d’élément textuel permettant de soutenir l’interprétation selon laquelle le délai de distance ne s’appliquerait qu’aux délais d’ordre public. Troisièmement, si les délais de prescription ne sauraient, selon la Cour, être fondés sur des critères autres que strictement objectifs, un délai supplémentaire de dix jours n’enlèverait rien à ce caractère objectif.

31      Par conséquent, les requérantes estiment que, s’agissant de leur demande d’indemnisation, aucun des motifs avancés par la Cour dans l’arrêt Evropaïki Dynamiki/Commission, point 29 supra (EU:C:2012:705), pour refuser d’appliquer le délai de distance prévu par l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure au délai de prescription prévu par l’article 46, paragraphe 1, du statut de la Cour ne saurait s’appliquer dans la présente affaire.

32      Il y a lieu d’examiner, en premier lieu, la question de l’applicabilité en l’espèce du délai de distance de dix jours prévu par l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, avant d’examiner si le dommage prétendument subi par les requérantes est un dommage continu, au sens de la jurisprudence.

 Sur l’applicabilité de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal en l’espèce

33      Il convient de rappeler à cet égard que, par l’arrêt Evropaïki Dynamiki/Commission, point 29 supra (EU:C:2012:705), la Cour a confirmé l’ordonnance du Tribunal du 22 juin 2011, Evropaïki Dynamiki/Commission (T‑409/09, Rec, EU:T:2011:299), qui avait écarté l’applicabilité de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure au délai de prescription visé par l’article 46 du statut de la Cour, dans les termes suivants :

« 48      En vertu de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le délai de distance s’applique aux délais de procédure et est destiné à tenir compte des difficultés auxquelles se trouvent confrontées les parties en raison de leur plus ou moins grand éloignement du siège de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, Rec. p. I‑2555, point 40).

49      Le délai de prescription, prévu à l’article 46, paragraphe 1, du statut de la Cour, ne constitue, toutefois, pas un délai de procédure. Ces deux délais sont, comme l’a constaté à juste titre le Tribunal, différents par nature.

50      Les délais de procédure ont été institués en vue d’assurer une bonne administration de la justice, la clarté ainsi que la sécurité des situations juridiques (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 1984, Moussis/Commission, 227/83, Rec. p. 3133, point 12, ainsi que du 7 mai 1986, Barcella e.a./Commission, 191/84, Rec. p. 1541, point 12). Ainsi, notamment, les délais de recours, tels que celui prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, et les délais de pourvoi, tels que celui prévu à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour, visent à assurer que les décisions administratives et juridictionnelles acquièrent un caractère définitif, et ainsi à protéger des intérêts publics. En conséquence, les délais de procédure sont d’ordre public et ne sont, dès lors, ni à la disposition des parties ni encore à celle du juge, leur respect devant être examiné d’office par le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 23 janvier 1997, Coen, C‑246/95, Rec. p. I‑403, point 21 et jurisprudence citée).

51      En revanche, la Cour a déjà jugé que le respect du délai de prescription ne peut être examiné d’office par le juge de l’Union, mais doit être soulevé par la partie concernée (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 1989, Roquette frères/Commission, 20/88, Rec. p. 1553, point 12).

52      En effet, à la différence des délais de procédure, le délai de prescription en cause, en entraînant l’extinction de l’action en justice, se rapporte au droit matériel puisqu’il affecte l’exercice d’un droit subjectif dont la personne concernée ne peut plus se prévaloir effectivement en justice.

53      En outre, le délai de prescription, prévu à l’article 46, paragraphe 1, du statut de la Cour, a notamment pour fonction, d’une part, d’assurer la protection des droits de la personne lésée, celle-ci devant disposer de suffisamment de temps pour rassembler des informations appropriées en vue d’un recours éventuel, et, d’autre part, d’éviter que la personne lésée puisse retarder indéfiniment l’exercice de son droit à dommages et intérêts. Ce délai protège, dès lors, en définitive, la personne lésée et la personne responsable du dommage.

54      La prescription constitue donc une fin de non-recevoir qui, à la différence des délais de procédure, n’est pas d’ordre public, mais éteint l’action en responsabilité uniquement sur demande de la partie défenderesse.

55      À cette fin, l’article 46, paragraphe 1, du statut de la Cour détermine, à sa première phrase, la durée du délai de prescription. À sa deuxième phrase, cette disposition prévoit les événements qui entraînent l’interruption dudit délai, à savoir le recours en indemnité formé devant la Cour mettant en cause la responsabilité non contractuelle de l’Union, ou la demande préalable adressée à l’institution compétente de l’Union. Si, certes, cette deuxième phrase désigne les effets procéduraux des événements interruptifs qu’elle énumère, parmi lesquels figure, notamment, un acte de procédure, elle ne vise pas à imposer à la partie lésée un délai de recours et ainsi un délai de procédure, celle-ci pouvant également interrompre le délai de prescription, prévu à l’article 46, paragraphe 1, première phrase, du statut de la Cour, par une demande préalable adressée à l’institution compétente de l’Union.

56      En outre, le calcul du délai de prescription ne saurait […] être fondé sur des critères autres que strictement objectifs ni, comme l’a constaté à juste titre le Tribunal, différer selon que l’interruption de ce délai est occasionnée par l’introduction d’un recours ou la présentation d’une demande préalable. L’application du délai de distance au délai de prescription aurait pour conséquence que la prescription serait acquise au bout d’une durée différente selon que la partie lésée a choisi d’introduire une requête devant le Tribunal ou de s’adresser par une demande préalable à l’institution compétente de l’Union, ce qui serait en contradiction avec l’exigence de sécurité juridique nécessaire pour l’application des délais de prescription (arrêt Commission/Cantina sociale di Dolianova e.a., précité, point 60).

57      S’agissant de l’incidence éventuelle du point 26 de l’arrêt Lefebvre e.a/Commission, précité et invoqué par Evropaïki Dynamiki au soutien de son premier moyen, il convient de relever que, si, dans cet arrêt, il a été fait application du délai de distance pour aboutir à la conclusion que le recours en cause était recevable, cette application n’était pas assortie d’une quelconque motivation susceptible d’influer sur l’appréciation qui précède.

58      Enfin, il convient de constater que la durée du délai de prescription, prévu à l’article 46, paragraphe 1, du statut de la Cour, n’apparaît pas comparable à celle des délais relatifs à l’introduction d’un recours ou d’un pourvoi, de sorte qu’il ne saurait être soutenu que l’application du délai de distance à ce délai de prescription soit nécessaire afin d’assurer une jouissance effective du droit à dommages et intérêts visé à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE.

59      Dans ces conditions, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal ne s’applique pas au délai de prescription, prévu à l’article 46, paragraphe 1, du statut de la Cour […] »

34      Les arguments des requérantes, qui sont essentiellement basés sur une lecture textuelle du règlement de procédure et de l’article 46 du statut de la Cour, ne sauraient, dès lors, remettre en cause cette jurisprudence selon laquelle le délai de distance prévu à l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure ne s’applique pas au délai de prescription prévu par l’article 46 du statut de la Cour, que ce dernier puisse être formellement qualifié de « délai de procédure » ou non.

35      Par ailleurs, l’arrêt du 14 septembre 1995, Lefebvre e.a./Commission (T‑571/93, Rec, EU:T:1995:163), invoqué par les requérantes, constitue un cas isolé qui a été explicitement écarté par le Tribunal dans l’ordonnance Evropaïki Dynamiki/Commission, point 29 supra (EU:T:2011:299), elle-même confirmée sur ce point par la Cour au point 57 de l’arrêt Evropaïki Dynamiki/Commission, point 29 supra (EU:C:2012:705), tel que rappelé ci-dessus.

36      Partant, il y a lieu de considérer que le recours en indemnité, déposé le 10 janvier 2014, est prescrit, dans la mesure où il a été formé plus de cinq ans après la survenance du dommage prétendument subi par les requérantes, du fait de la résiliation des AAE.

37      Il convient toutefois d’examiner, dans un deuxième temps, les arguments des requérantes visant à démontrer que le dommage qu’ils ont prétendument subi serait un dommage continu, dont ils pourraient obtenir réparation au titre des cinq années précédant l’introduction du recours dans la présente instance, conformément à la jurisprudence.

 Sur la concrétisation du dommage et le point de départ du délai de prescription prévu à l’article 46 du statut de la Cour

38      En vertu de l’article 46 du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal, les actions contre l’Union européenne en matière de responsabilité non contractuelle se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait qui y donne lieu.

39      Il ressort, par ailleurs, de l’article 268 TFUE et de l’article 46 du statut de la Cour que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union et la mise en œuvre du droit à la réparation du préjudice subi dépendent de la réunion d’un ensemble de conditions relatives à l’existence d’un acte illicite des institutions de l’Union, d’un dommage réel et d’un lien de causalité entre eux.

40      Il en résulte, selon une jurisprudence bien établie, que le délai de prescription de l’action en responsabilité non contractuelle de l’Union commence à courir lorsque sont réunies toutes les conditions auxquelles se trouve subordonnée l’obligation de réparation, notamment lorsque le dommage à réparer s’est concrétisé [ordonnance du 18 juillet 2002, Autosalone Ispra dei Fratelli Rossi/Commission, C‑136/01 P, Rec, EU:C:2002:458 point 30, et arrêt du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, Rec, EU:C:2007:226, point 29].

41      Il s’ensuit que, dans les cas où la responsabilité de l’Union trouve sa source dans un acte normatif, le délai de prescription commence à courir lorsque les effets dommageables de cet acte se sont produits [arrêt Holcim (Deutschland)/Commission, point 40 supra, EU:C:2007:226, point 29].

42      Dans ce contexte, il y a lieu de déterminer le moment précis où les effets dommageables allégués dans la requête se sont effectivement produits à l’égard des requérantes.

43      En l’occurrence, à la suite de la décision AAE, le parlement hongrois a adopté la loi de résiliation des AEE, entrée en vigueur le 31 décembre 2008 et prévoyant la résiliation anticipée de l’AAE concernant les requérantes.

44      Celles-ci soutiennent que le préjudice prétendument subi serait continu du fait qu’il a commencé à se produire à la date de la résiliation de l’AAE, mais qu’il a continué et continue à se produire parce qu’elles auraient pu bénéficier quotidiennement des revenus produits par l’AAE jusqu’à la date à laquelle l’accord aurait expiré. Elles invoquent ainsi la perte des flux futurs de trésorerie qu’aurait dû générer l’AAE entre janvier 2009 et les dates d’expiration de l’AAE initialement prévues.

45      Il y a lieu de constater toutefois que le préjudice lié à résiliation de l’AAE s’est réalisé de manière certaine au plus tard le 31 décembre 2008, date à laquelle la loi de résiliation des AAE est entrée en vigueur, à la suite de l’adoption, par la Commission, de la décision AAE.

46      En effet, c’est à partir de cette date que l’AAE, qui réservait à MVM la majeure partie de la capacité de production des unités de Dunamenti en cause et l’obligeait à acheter auprès de celle-ci des quantités d’électricité minimales à un certain prix pour approvisionner le marché des consommateurs en Hongrie, a été résilié.

47      Partant, les requérantes étaient en mesure, dès cette date, d’introduire un recours en responsabilité non contractuelle contre la Commission, puisque le préjudice lié à la résiliation pouvait être apprécié avec une certitude suffisante, même s’il ne pouvait pas encore être chiffré avec précision (voir, en ce sens, arrêts du 2 juin 1976, Kampffmeyer e.a./CEE, 56/74 à 60/74, Rec, EU:C:1976:78, point 6 ; du 8 juin 2000, Camar et Tico/Commission et Conseil, T‑79/96, T‑260/97 et T‑117/98, Rec, EU:T:2000:147, points 192 à 196, et du 23 novembre 2004, Cantina sociale di Dolianova e.a./Commission, T‑166/98, Rec, EU:T:2004:337, point 129 et jurisprudence citée).

48      C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les requérantes en formant le présent recours, puisqu’elles demandaient, initialement, la réparation du dommage passé et futur résultant de la résiliation anticipée de l’AEE les concernant jusqu’à la date à laquelle l’accord aurait expiré, en évaluant ce dommage, provisoirement, à environ 250 millions d’euros.

49      Ce n’est qu’en réponse à l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission que les requérantes ont invoqué la jurisprudence selon laquelle, lorsque les dommages n’ont pas été causés instantanément, mais se sont poursuivis pendant une certaine période du fait du maintien en vigueur d’un acte illégal, la prescription de l’article 46 du statut de la Cour s’applique, en fonction de la date de l’acte interruptif, à la période antérieure de plus de cinq ans à cette date, sans affecter les droits nés au cours des périodes postérieures [arrêts du 31 janvier 2001, Jansma/Conseil et Commission, T‑76/94, Rec, EU:T:2001:26 point 78 ; Biret et Cie/Conseil, point 49 supra, EU:T:2002:3, points 44 à 45, et du 21 avril 2005, Holcim (Deutschland)/Commission, T‑28/03, Rec, EU:T:2005:139, point 70].

50      Il convient de noter, toutefois, que la situation des requérantes n’est pas, comme elles le soutiennent, comparable aux faits ayant donné lieu aux affaires qu’elles invoquent au soutien de leur argumentation. Dans ces affaires, en effet, le préjudice s’est produit à intervalles réguliers et augmentait en raison du maintien d’un acte illégal.

51      À titre d’exemple, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Holcim (Deutschland)/Commission, point 49 supra (EU:T:2005:139), qui portait sur des garanties bancaires, les frais bancaires augmentaient au prorata du nombre de jours écoulés durant lesquels les garanties bancaires étaient en vigueur. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance Inalca et Cremonini/Commission, point 49 supra (EU:T:2009:306, point 57), que les requérantes citent au soutien de leur thèse selon laquelle un préjudice pourrait être continu même s’il ne se renouvèle pas quotidiennement, il s’agissait de frais liés à la constitution de polices fidéjussoires, qui étaient reconduites annuellement de manière tacite et qui, contrairement aux autres frais d’assistance et de conseils juridiques occasionnés par la gestion des dossier en cause, présentaient un caractère continu du fait que leur montant augmentait en proportion du nombre de jours écoulés (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2013, Inalca et Cremonini/Commission, C‑460/09 P, Rec, EU:C:2013:111, point 81).

52      De même, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Biret et Cie/Conseil, point 49 supra (EU:T:2002:3), que les requérantes invoquent également, les effets dommageables de l’embargo sur la viande de bœuf d’origine américaine traitée avec certaines hormones avaient continué à se produire pour la société Biret International, qui était légalement empêchée d’exercer l’une de ses activités depuis sa constitution, et augmentaient proportionnellement de jour en jour en raison de la persistance de cet embargo.

53      En outre, dans les affaires dites des « quotas laitiers » invoquées par les requérantes (arrêt du 16 avril 1997, Hartmann/Conseil et Commission, T‑20/94, EU:T:1997:55), le dommage n’était pas suffisamment quantifiable et prévisible dès l’adoption de l’acte générateur de ce dommage, dès lors que celui-ci dépendait de la quantité de lait qui aurait pu être produite et commercialisée si une quantité de référence n’avait pas illégalement été refusée aux producteurs de lait.

54      En revanche, en l’espèce, c’est au moment de la résiliation de l’AAE, qui était censé expirer en décembre 2010 pour les blocs F et en décembre 2015 pour le bloc G2, que les requérantes ont cessé de bénéficier des revenus produits par le contrat.

55      De toute évidence, le préjudice constitué par la non-perception des revenus en cause a un caractère instantané parce qu’il se rattache à un fait générateur unique, à savoir la résiliation de l’AAE, et il n’augmente pas à proportion du temps écoulé étant donné que la durée de l’accord, les prix et la quantité d’électricité fournie étaient établis à l’avance.

56      En effet, même si, comme le soutiennent les requérantes, le préjudice en cause ne pouvait pas être quantifié de manière définitive, il s’est matérialisé de manière certaine dès le moment de la résiliation de l’AAE et était, compte tenu des accords et de leur durée prédéterminée, suffisamment prévisible dès cette date. C’est d’ailleurs sur la base de ces éléments que ce préjudice a été évalué par les requérantes elles-mêmes à hauteur d’environ 250 millions d’euros.

57      Dès lors, en application de la jurisprudence mentionnée au point 47 ci-dessus, il y a lieu de constater que le préjudice s’est matérialisé de manière certaine à l’égard des requérantes au plus tard le 31 décembre 2008, le délai de prescription quinquennale ayant commencé à courir à compter de cette date.

58      En outre, il convient de souligner que, à la différence des affaires mentionnées ci-dessus, où le préjudice a augmenté en raison de la persistance d’un acte illégal, il n’existe en l’espèce aucun acte dont l’illégalité ait été constatée et qui ait été à l’origine du dommage prétendument subi par les requérantes. Bien que ces dernières aient formé un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal dans l’affaire T-179/09 ayant rejeté leur recours en annulation contre la décision AAE, celle-ci bénéficie encore, à ce jour, de la présomption de légalité qui s’attache aux actes des institutions de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 1979, Granaria, 101/78, Rec, EU:C:1979:38, point 5 ; du 20 septembre 2007, Commission/Espagne, C‑177/06, Rec, EU:C:2007:538, point 36, et du 5 septembre 2014, Éditions Odile Jacob/Commission, T‑471/11, Rec, EU:T:2014:739, point 117).

59      En conclusion, l’argument des requérantes selon lequel le préjudice relatif à la résiliation de l’AAE présente un caractère continu, en application de la jurisprudence mentionnée aux points 49 à 53 ci-dessus, parce qu’il se serait produit jusqu’à la date à laquelle l’AAE aurait dû expirer, ne saurait être retenu.

60      Pour l’ensemble de ces motifs, et compte tenu du fait que le présent recours en indemnité a été introduit le 10 janvier 2014, alors que le dommage allégué par les requérantes s’est concrétisé, au plus tard, le 31 décembre 2008, il y a lieu de constater que le recours est prescrit.

61      Il en résulte que le présent recours doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

62      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Electrabel SA et Dunamenti Erőmű Zrt sont condamnées aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 13 novembre 2014.

Le greffier

 

      Le président

E.  Coulon

 

      G. Berardis


* Langue de procédure : l’anglais.