Language of document : ECLI:EU:T:2024:135

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

28 février 2024 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque figurative Compton – Causes de nullité absolue – Absence de caractère descriptif – Article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement (UE) 2017/1001] – Caractère distinctif – Article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 [devenu article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑747/22,

BIW Invest AG, établie à Appenzell (Suisse), représentée par Mes E. Mielke, U. Stelzenmüller et J. Weiser, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme E. Nicolás Gómez, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

New Yorker Marketing & Media International GmbH, établie à Braunschweig (Allemagne), représentée par Mes M. Hartmann, S. Fröhlich et H. Lerchl, avocats,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de Mme K. Kowalik‑Bańczyk (rapporteure), présidente, M. G. Hesse et Mme B. Ricziová, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, BIW Invest AG, demande l’annulation de la décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 16 septembre 2022 (affaire R 1913/2021-2) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 27 juin 2016, la requérante a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne, en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

3        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

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4        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 18 et 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 18 : « Malles et valises ; sacs de tous les jours ; sacs de gymnastique ; pochettes (sacs) » ;

–        classe 25 : « Vêtements ; chaussures ; chapellerie ; ceintures ; foulards de cou ; foulards pour la tête ».

5        La marque a été enregistrée le 18 octobre 2016 pour les produits visés au point 4 ci-dessus.

6        Le 10 septembre 2020, l’intervenante, New Yorker Marketing & Media International GmbH, a présenté à l’EUIPO une demande de nullité de ladite marque.

7        Les causes invoquées à l’appui de la demande en nullité étaient celles visées à l’article 59, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, en lien avec l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), de ce même règlement.

8        Le 12 novembre 2021, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité.

9        Le 16 novembre 2021, l’intervenante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.

10      Par la décision attaquée, la chambre de recours a accueilli le recours et déclaré la nullité de la marque contestée. Elle a estimé, en substance, que cette marque, d’une part, indiquait l’origine géographique des produits en cause et, par suite, présentait un caractère descriptif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001 et, d’autre part, n’indiquait pas l’origine commerciale de ces produits et, par suite, était dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du même règlement.

 Conclusions des parties

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO et l’intervenante aux dépens, y compris ceux exposés devant la chambre de recours.

12      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens si une audience est fixée.

13      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

14      À titre liminaire, il convient de préciser que, compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 27 juin 2016, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009 (voir, en ce sens, ordonnance du 5 octobre 2004, Alcon/OHMI, C‑192/03 P, EU:C:2004:587, points 39 et 40, et arrêt du 23 avril 2020, Gugler France/Gugler et EUIPO, C‑736/18 P, non publié, EU:C:2020:308, point 3 et jurisprudence citée). Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001.

15      La requérante invoque, en substance, cinq moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 95, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement 2017/1001, le deuxième, de la violation de l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du même règlement, le troisième, de la violation des dispositions combinées de l’article 52, paragraphe 1, sous a), et de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 [devenus, respectivement, article 59, paragraphe 1, sous a), et article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001], le quatrième, de la violation des dispositions combinées de l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 et de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ce même règlement [devenu article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001] et, le cinquième, de la violation de l’obligation de motivation. 

16      Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’examiner d’emblée les troisième et quatrième moyens, lesquels portent, respectivement, sur le bien-fondé des deux causes de nullité retenues par la chambre de recours dans la décision attaquée et tirées, la première, du caractère descriptif de la marque contestée et, la seconde, de l’absence de caractère distinctif de cette marque.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 52, paragraphe 1, sous a), et de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009

17      La requérante soutient que la décision attaquée viole les dispositions combinées de l’article 52, paragraphe 1, sous a), et de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009. En effet, cette décision serait entachée de plusieurs erreurs consistant, en substance, premièrement, en l’application de critères excessivement stricts en ce qui concerne la protection des noms géographiques, deuxièmement, en une définition trop étroite des produits en cause et du public pertinent, troisièmement, en une appréciation erronée de la connaissance de la ville de Compton (États-Unis) par ce public et, quatrièmement, en une appréciation erronée de l’existence d’un lien entre le nom géographique « Compton » et les produits en cause.

18      L’EUIPO et l’intervenante contestent l’argumentation de la requérante.

 Considérations liminaires

19      En vertu de l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, la nullité de la marque de l’Union européenne est déclarée, sur demande présentée auprès de l’EUIPO ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, lorsque cette marque a été enregistrée contrairement aux dispositions de l’article 7 du même règlement.

20      Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009, sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci. En vertu de l’article 7, paragraphe 2, du même règlement, l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement est applicable même si les motifs de refus n’existent que dans une partie de l’Union européenne.

21      Ces signes ou indications sont réputés incapables d’exercer la fonction essentielle de la marque, à savoir celle d’identifier l’origine commerciale du produit ou du service [arrêts du 23 octobre 2003, OHMI/Wrigley, C‑191/01 P, EU:C:2003:579, point 30, et du 27 février 2002, Eurocool Logistik/OHMI (EUROCOOL), T‑34/00, EU:T:2002:41, point 37].

22      Pour qu’un signe tombe sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009, il faut qu’il présente avec les produits ou les services en cause un rapport suffisamment direct et concret de nature à permettre au public pertinent de percevoir immédiatement, et sans autre réflexion, une description des produits et des services en cause ou d’une de leurs caractéristiques [voir arrêts du 12 janvier 2005, Deutsche Post EURO EXPRESS/OHMI (EUROPREMIUM), T‑334/03, EU:T:2005:4, point 25 et jurisprudence citée, et du 22 juin 2005, Metso Paper Automation/OHMI (PAPERLAB), T‑19/04, EU:T:2005:247, point 25 et jurisprudence citée].

23      En interdisant l’enregistrement en tant que marque de tels signes ou indications, l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 poursuit un but d’intérêt général, lequel exige que les signes ou les indications descriptives des caractéristiques de produits ou de services pour lesquels l’enregistrement est demandé puissent être librement utilisés par tous. Cette disposition empêche, dès lors, que de tels signes ou indications soient réservés à une seule entreprise en raison de leur enregistrement en tant que marque (voir arrêt du 23 octobre 2003, OHMI/Wrigley, C‑191/01 P, EU:C:2003:579, point 31 et jurisprudence citée).

24      S’agissant plus particulièrement des signes ou des indications pouvant servir pour désigner la provenance ou la destination géographique de catégories de produits ou le lieu de prestation de catégories de services pour lesquelles une marque de l’Union européenne est demandée, en particulier les noms géographiques, il existe un intérêt général à préserver leur disponibilité en raison notamment de leur capacité non seulement de révéler éventuellement la qualité et d’autres propriétés des catégories de produits ou de services concernées, mais également d’influencer diversement les préférences des consommateurs, par exemple en rattachant les produits ou services à un lieu qui peut susciter des sentiments positifs (arrêt du 6 septembre 2018, Bundesverband Souvenir – Geschenke – Ehrenpreise/EUIPO, C‑488/16 P, EU:C:2018:673, point 37 ; voir également, par analogie, arrêt du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, C‑108/97 et C‑109/97, EU:C:1999:230, point 26).

25      À cet égard, il convient de rappeler que sont exclus, d’une part, l’enregistrement des noms géographiques en tant que marques lorsqu’ils désignent des lieux géographiques déterminés qui sont déjà réputés ou connus pour la catégorie de produits ou de services concernés et qui, dès lors, présentent un lien avec celle-ci aux yeux des milieux intéressés et, d’autre part, l’enregistrement des noms géographiques susceptibles d’être utilisés par les entreprises qui doivent également être laissés disponibles pour celles-ci en tant qu’indications de provenance géographique de la catégorie de produits ou de services concernés (voir, par analogie, arrêt du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, C‑108/97 et C‑109/97, EU:C:1999:230, points 29, 30 et 37).

26      Dès lors, un signe ne saurait être refusé à l’enregistrement sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 que si le nom géographique pour lequel l’enregistrement est demandé en tant que marque désigne un lieu qui présente, au moment de la demande, aux yeux des milieux intéressés, un lien avec la catégorie de produits concernée ou s’il est raisonnable d’envisager que, dans l’avenir, un tel lien puisse être établi (arrê du 6 septembre 2018, Bundesverband Souvenir – Geschenke – Ehrenpreise/EUIPO, C‑488/16 P, EU:C:2018:673, point 38 ; voir également, par analogie, arrêt du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, C‑108/97 et C‑109/97, EU:C:1999:230, point 31).

27      Pour apprécier si un nom géographique est susceptible, aux yeux des milieux intéressés, de désigner la provenance de la catégorie de produits dont il s’agit, il convient plus particulièrement de prendre en compte la connaissance plus ou moins grande que ces derniers ont d’un tel nom ainsi que des caractéristiques du lieu que celui-ci désigne et de la catégorie de produits concernée [arrêt du 25 octobre 2005, Peek & Cloppenburg/OHMI (Cloppenburg), T‑379/03, EU:T:2005:373, point 38 ; voir également, par analogie, arrêt du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, C‑108/97 et C‑109/97, EU:C:1999:230, point 32].

28      À cet égard, l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 ne s’oppose pas, en principe, à l’enregistrement des noms géographiques qui sont inconnus dans les milieux intéressés ou, à tout le moins, inconnus en tant que désignation d’un lieu géographique ou encore des noms pour lesquels, en raison des caractéristiques du lieu désigné, il n’est pas vraisemblable que les milieux intéressés puissent envisager que la catégorie de produits concernée provienne de ce lieu (arrêt du 6 septembre 2018, Bundesverband Souvenir – Geschenke – Ehrenpreise/EUIPO, C‑488/16 P, EU:C:2018:673, point 39 ; voir également, par analogie, du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, C‑108/97 et C‑109/97, EU:C:1999:230, point 33).

29      Il ressort également de la jurisprudence que, même si le public pertinent connaît un lieu géographique, il n’en découle pas automatiquement que le signe peut servir, dans le commerce, comme indication de provenance géographique [arrêt du 2 juin 2021, Franz Schröder/EUIPO – RDS Design (MONTANA), T‑854/19, EU:T:2021:309, point 94 (non publié) ; voir également, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2005, Cloppenburg, T‑379/03, EU:T:2005:373, point 49].

30      Par ailleurs, dans le cadre d’une procédure de nullité fondée sur un motif absolu de refus, la marque de l’Union européenne enregistrée étant présumée valide, il appartient à la personne ayant présenté la demande en nullité d’invoquer devant l’EUIPO les éléments concrets qui mettraient en cause sa validité [arrêt du 13 septembre 2013, Fürstlich Castell’sches Domänenamt/OHMI – Castel Frères (CASTEL), T‑320/10, EU:T:2013:424, point 28].

31      Il s’ensuit, en résumé, que, afin de démontrer le caractère descriptif d’une marque enregistrée composée d’un nom géographique, le demandeur en nullité est tenu d’établir, premièrement, que ce nom est connu dans les milieux intéressés en tant que désignation d’un lieu et, deuxièmement, que le nom en cause présente actuellement, ou est susceptible de présenter dans l’avenir, aux yeux des milieux intéressés, un lien avec la catégorie de produits ou de services concernés [voir, en ce sens, arrêts du 25 octobre 2005, Cloppenburg, T‑379/03, EU:T:2005:373, point 38 et jurisprudence citée, et du 25 octobre 2018, Devin/EUIPO – Haskovo (DEVIN), T‑122/17, EU:T:2018:719, point 24 et jurisprudence citée].

32      Enfin, la seule date pertinente aux fins de l’examen d’une demande de nullité fondée sur l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 est celle du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée (voir, en ce sens, ordonnances du 23 avril 2010, OHMI/Frosch Touristik, C‑332/09 P, non publiée, EU:C:2010:225, points 41 à 45 et jurisprudence citée, et du 4 octobre 2018, Safe Skies/EUIPO, C‑326/18 P, non publiée, EU:C:2018:800, points 5 et 6 et jurisprudence citée). En l’espèce, la date pertinente pour analyser la conformité à l’article 7 du règlement no 207/2009 de la marque contestée est donc celle du dépôt de la demande d’enregistrement, soit le 27 juin 2016.

33      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner le troisième moyen de la requérante.

34      Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’examiner d’emblée les griefs de la requérante relatifs, premièrement, à la définition des produits en cause et du public pertinent et, deuxièmement, à la connaissance de la ville de Compton par ce public.

 Sur la définition des produits en cause et du public pertinent

35      La requérante soutient que la chambre de recours a défini trop étroitement les produits en cause, d’une part, et le public pertinent, d’autre part.

36      Il y a lieu d’emblée de rappeler que l’enregistrement d’un signe en tant que marque est toujours demandé au regard de produits ou de services mentionnés dans la demande d’enregistrement. Ainsi, le caractère descriptif d’un signe doit être apprécié, d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement de la marque a été demandé ou obtenu et, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent (voir arrêt du 25 octobre 2005, Cloppenburg, T‑379/03, EU:T:2005:373, point 37 et jurisprudence citée ; voir également, par analogie, arrêt du 6 mai 2003, Libertel, C‑104/01, EU:C:2003:244, point 75).

37      De plus, selon la jurisprudence, le public pertinent est constitué par le consommateur moyen de la catégorie de produits concernée (arrêts du 12 février 2004, Koninklijke KPN Nederland, C‑363/99, EU:C:2004:86, point 34, et du 8 octobre 2020, Aktiebolaget Östgötatrafiken, C‑456/19, EU:C:2020:813, point 32).

38      En premier lieu, s’agissant des produits en cause, tout d’abord, la chambre de recours a relevé que les intitulés de ces produits étaient de nature générale et couvraient un grand nombre de produits particuliers (voir point 28 de la décision attaquée). Ensuite, elle a fait état de la nécessité, en présence d’indications globales de produits, de se fonder sur des « produits concrets » ou, en tout cas, sur des « groupes de produits définissables » (voir point 29 de cette décision). Enfin, elle a constaté que les « articles de streetwear » devaient être distingués des « vêtements conventionnels ». En effet, ces articles s’adresseraient principalement à un jeune public, seraient normalement vendus dans des magasins spéciaux ou des rayons distincts des magasins de vêtements et exprimeraient par certaines caractéristiques extérieures l’appartenance à un groupe (voir point 30 de ladite décision).

39      Par ailleurs, la chambre de recours a également envisagé l’hypothèse selon laquelle les produits en cause seraient principalement des « vêtements conventionnels » (voir point 31 de la décision attaquée). De plus, elle s’est référée à plusieurs reprises aux « produits enregistrés » (voir points 39, 44 et 47 de cette décision).

40      Il convient d’ajouter qu’il résulte d’une lecture globale de la décision attaquée ainsi que des explications apportées par les parties dans le cadre des trois premiers moyens que la chambre de recours a utilisé le terme « streetwear » dans une acception étroite, à savoir au sens de « street fashion » (mode de rue), également dénommée « mode hip-hop » ou « urban fashion » (mode urbaine), et non dans une acception large incluant d’autres styles vestimentaires.

41      La requérante reproche à la chambre de recours d’avoir conduit son examen non par rapport aux produits enregistrés, lesquels seraient des produits courants et notamment des vêtements, mais par rapport à des produits dits de « street fashion », prétendument plus spécifiques et commercialisés par elle.

42      À cet égard, l’EUIPO est, certes, en droit de tenir compte de la présence, parmi les catégories de produits enregistrés, d’une sous-catégorie de produits spécifiques pour lesquels une marque est susceptible de présenter un caractère descriptif (voir, en ce sens, ordonnance du 14 mars 2011, Ravensburger/OHMI, C‑369/10 P, non publiée, EU:C:2011:148, point 41). Dans une telle hypothèse, la reconnaissance du caractère descriptif de la marque s’applique non seulement à cette sous-catégorie de produits spécifiques pour lesquels ladite marque est directement descriptive, mais également à la catégorie plus large à laquelle appartiennent ces produits en l’absence de limitation adéquate opérée par le demandeur de marque [voir arrêt du 21 novembre 2018, PepsiCo/EUIPO – Intersnack Group (Exxtra Deep), T‑82/17, EU:T:2018:814, point 43 et jurisprudence citée].

43      Cependant, il a également été jugé que le critère de la finalité ou de la destination était un critère primordial dans la définition d’une sous-catégorie de produits ou de services (voir arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C‑714/18 P, EU:C:2020:573, point 44 et jurisprudence citée). En revanche, la nature des produits en cause ainsi que leurs caractéristiques ne sont pas, en tant que telles, pertinentes pour la définition de sous-catégories de produits ou de services [voir arrêt du 13 septembre 2018, ACTC/EUIPO – Taiga (tigha), T‑94/17, non publié, EU:T:2018:539, point 32 et jurisprudence citée].

44      En l’espèce, d’une part, les produits en cause relevant de la classe 25 sont tous des produits vestimentaires. De tels produits présentent la même destination, car ils visent à couvrir le corps humain, à le cacher, à le parer et à le protéger contre les éléments (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, tigha, T‑94/17, non publié, EU:T:2018:539, point 34). D’autre part, les produits en cause relevant de la classe 18 sont tous des bagages et des sacs. Ces produits présentent également une même destination, à savoir ranger, protéger et transporter différents objets personnels.

45      En revanche, un style vestimentaire, tel que le style « street fashion », constitue une simple caractéristique des produits en cause et, par suite, n’est pas pertinent aux fins de définir, au sein de ces produits, une sous-catégorie spécifique.

46      De même, à la supposer établie, la circonstance selon laquelle les articles de street fashion s’adresseraient à un public spécialisé et seraient vendus dans des magasins spéciaux ou des rayons distincts n’est pas pertinente pour définir une sous-catégorie autonome de produits et pourrait uniquement être prise en compte lors de la définition du public pertinent (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C‑714/18 P, EU:C:2020:573, point 53 et jurisprudence citée).

47      Dans ces conditions, et ainsi que le fait valoir la requérante, l’appréciation du caractère descriptif de la marque contestée ne pouvait, en l’espèce, être effectuée qu’au regard de l’ensemble des produits en cause, tels qu’enregistrés.

48      C’est donc à tort que la chambre de recours a tenté de limiter son examen aux seuls articles de street fashion. En revanche, c’est à juste titre que cette instance a procédé, à titre subsidiaire, à un examen au regard des « vêtements conventionnels » ou, plus généralement, des « produits enregistrés » (voir point 39 ci-dessus).

49      En second lieu, s’agissant du public pertinent, la chambre de recours a défini celui-ci comme étant celui des « acheteurs d’articles de streetwear » (voir point 30 de la décision attaquée) ou encore le « public ciblé intéressé par le streetwear, lequel est inspiré par le mouvement hip-hop ou rap » (voir point 34 de cette décision) et le « public allemand pertinent intéressé par le streetwear » (point 36 de ladite décision). Cela étant, il convient de constater que la chambre de recours a, en pratique, pris en compte le seul public intéressé par la street fashion et non le public plus large s’intéressant au streetwear dans son ensemble. Ainsi, la chambre de recours a, en réalité, fondé son appréciation sur le public intéressé par la street fashion et influencé par la culture hip-hop et par la musique rap.

50      Par ailleurs, dans la mesure où les éléments de preuve produits par l’intervenante concernaient principalement des publications dans des pays germanophones, et notamment en Allemagne, la chambre de recours a choisi de prendre en considération le public situé en Allemagne (voir point 32 de la décision attaquée).

51      La requérante ne conteste pas la limitation géographique du public pertinent. En revanche, elle reproche à la chambre de recours d’avoir pris en considération non le public pertinent dans sa globalité, à savoir le grand public, mais un public plus restreint comprenant, en réalité, les seules personnes qui s’intéressent à la street fashion et, plus spécialement, au gangsta rap. Or, ce public, d’une part, serait indéterminé et fictif et, d’autre part, ne constituerait pas une partie significative de l’ensemble du public pertinent.

52      À cet égard, il convient de constater que les produits en cause relèvent des classes 18 et 25 et consistent, en substance, en des vêtements, des chaussures, des bagages et des sacs. De tels produits étant des articles de la vie quotidienne et de consommation courante, ils s’adressent à l’ensemble des consommateurs. Par conséquent, et ainsi que le fait valoir la requérante, le public pertinent est constitué par le grand public [voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2008, REWE-Zentral/OHMI (Port Louis), T‑230/06, non publié, EU:T:2008:443, point 37].

53      Cela étant, contrairement à ce que prétend la requérante, en vue de garantir l’effet utile de l’interdiction d’enregistrement des marques descriptives édictée à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009, l’EUIPO est en droit de tenir compte de la présence, au sein du grand public, d’une catégorie plus restreinte, composée de personnes auxquelles les produits ou services concernés sont particulièrement destinés [voir arrêts du 21 novembre 2013, Heede/OHMI (Matrix-Energetics), T‑313/11, non publié, EU:T:2013:603, point 42 et jurisprudence citée, et du 4 mai 2022, Sturz/EUIPO – Clatronic International (STEAKER), T‑261/21, non publié, EU:T:2022:269, point 31 et jurisprudence citée] et notamment de personnes qui ont de bonnes connaissances dans un domaine particulier et qui, de ce fait, sont plus à même de comprendre la signification de certains termes ou concepts [voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2008, Prana Haus/OHMI (PRANAHAUS), T‑226/07, non publié, EU:T:2008:381, points 26, 27 et 29]. En effet, afin qu’un signe tombe sous le coup de l’interdiction prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009, il est suffisant que ce motif de refus ou cette cause de nullité existe à l’égard d’une partie non négligeable du public pertinent et il n’est pas nécessaire d’examiner si les autres consommateurs appartenant à ce public perçoivent également ce signe comme descriptif (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2018, DEVIN, T‑122/17, EU:T:2018:719, point 18 et jurisprudence citée).

54      Or, en l’espèce, d’une part, la requérante ne conteste pas réellement l’existence, parmi le grand public, d’une catégorie plus restreinte, composée de personnes s’intéressant à la street fashion et ayant des connaissances particulières dans le domaine de la culture hip-hop et de la musique rap et qui, de ce fait, sont davantage susceptibles de connaître la ville de Compton. Bien que cette catégorie plus restreinte de personnes ne puisse être délimitée de façon très précise, elle existe néanmoins et ne peut donc être qualifiée de fictive.

55      D’autre part, quant à la question de savoir si la catégorie plus restreinte de personnes prise en compte par la chambre de recours constitue une partie non négligeable de l’ensemble du public pertinent, elle se chevauche en l’espèce avec celle consistant à déterminer si une partie non négligeable du public pertinent connaît la ville de Compton.

56      Dans ces conditions, alors même que le public pertinent dans son ensemble est le grand public, il était, en principe, loisible à la chambre de recours de tenir plus particulièrement compte de la perception de la partie de ce public qui s’intéressait à la street fashion et était influencée par la culture hip-hop et par la musique rap.

 Sur la connaissance de la ville de Compton par le public pertinent

57      La requérante soutient que la chambre de recours n’a pas correctement apprécié le degré de connaissance de la ville de Compton par le public pertinent.

58      Il convient de constater que l’élément verbal de la marque contestée est un nom géographique désignant la ville de Compton, laquelle est située dans les environs de Los Angeles (États-Unis) et compte environ 96 000 habitants.

59      La chambre de recours a admis qu’il n’était pas démontré que, en Allemagne, le grand public, pris dans son ensemble, connaissait cette ville en juin 2016. Elle a toutefois considéré que le public allemand intéressé par la street fashion et influencé par la culture hip-hop et par la musique rap, ou au moins une partie non négligeable de ce public, connaissait ladite ville à cette même date (voir point 34 de la décision attaquée).

60      À cet égard, la chambre de recours a expliqué, en substance, aux points 33 à 38 de la décision attaquée, que la ville de Compton était étroitement liée à l’histoire de la culture hip-hop et de la musique rap. En effet, c’est dans cette ville, caractérisée par des guerres de gangs et un niveau élevé de criminalité, que se serait développé le gangsta rap de la côte Ouest des États-Unis. Ainsi, de nombreux rappeurs à succès seraient originaires de Compton (Ice Cube, Dr. Dre, Coolio et, plus tard, Kendrick Lamar) et auraient abordé le style et les conditions de vie prévalant à Compton. Le gangsta rap aurait surtout été popularisé par le groupe N.W.A, notamment grâce à l’album « Straight Outta Compton » (1988). Ainsi, la ville de Compton aurait attiré l’attention des médias à la fin des années 80 et au début des années 90 et serait devenue le « lieu de référence » du gangsta rap et un « mythe » du hip-hop américain, ce que la requérante elle-même aurait confirmé dans sa publicité. De plus, cette ville aurait ultérieurement retrouvé une grande notoriété grâce au film « Straight Outta Compton » sorti en Allemagne en août 2015, soit quelques mois avant le dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée. La chambre de recours a également relevé, d’une part, que le « mouvement rap », et notamment le gangsta rap, avait eu une influence significative sur la street fashion et, d’autre part, que le public intéressé par cette dernière cherchait à exprimer une certaine attitude dans le choix de ses vêtements, de ses chaussures, de ses bagages et de ses sacs voire à s’identifier aux protagonistes d’un mouvement. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, elle a considéré que le public intéressé par la street fashion connaissait, dans une large mesure, les principales caractéristiques du « mouvement rap », et notamment du gangsta rap et du style de vie associé, et, par conséquent, connaissait l’importance de la ville de Compton pour le développement de ces derniers. Elle a donc conclu que le nom géographique « Compton » était largement connu dudit public en tant qu’indication de lieu à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée. 

61      La requérante ne conteste pas que la ville de Compton pourrait être connue des personnes particulièrement intéressées par le gangsta rap. En revanche, elle fait valoir que ni le grand public, ni même le public restreint pris en compte par la chambre de recours, ne connaissent cette ville. En effet, la grande majorité des personnes intéressées par la street fashion n’auraient pas un intérêt particulier pour le hip-hop et la musique rap, et encore moins une connaissance particulière de l’histoire du gangsta rap.

62      À cet égard, en premier lieu, il convient de constater que, pour apprécier le degré de connaissance de la ville de Compton, la chambre de recours a pris en compte une partie du public pertinent particulièrement restreinte, limitée aux personnes qui s’intéressaient à la street fashion et qui étaient influencées par la culture hip-hop et par la musique rap (voir point 49 ci-dessus).

63      En deuxième lieu, il y a lieu d’observer, à l’instar de la requérante, que la chambre de recours s’est focalisée sur une catégorie particulière de musique rap, à savoir le gangsta rap de la côte Ouest des États-Unis de la fin des années 80 et du début des années 90. S’il est vrai que la ville de Compton est étroitement associée à la naissance de ce style musical, cette ville n’occupe pas, par définition, un rôle aussi central à l’échelle de la culture hip-hop et de la musique rap dans leur ensemble, a fortiori à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, environ un quart de siècle plus tard. Ainsi, même au sein de la partie, déjà restreinte, du public pertinent prise en compte par la chambre de recours, l’importance de la ville de Compton dans l’histoire du gangsta rap ne suffit pas, à elle seule, à établir que cette ville était nécessairement connue, en juin 2016, au-delà du cercle, encore plus restreint, des personnes intéressées par le gangsta rap lui-même.

64      En troisième lieu, les différents éléments de preuve produits par l’intervenante et pris en compte par la chambre de recours montrent, certes, que le gangsta rap originaire de la ville de Compton et les conditions de vie associées à cette ville ont connu une certaine audience et suscité un certain intérêt non seulement aux États-Unis, mais également en Europe et notamment en Allemagne.

65      Toutefois, ces éléments de preuve, qui consistent surtout en des articles de la presse écrite et de médias en ligne spécialisés, se bornent généralement à faire état du caractère « mythique » de la ville de Compton dans le contexte du gangsta rap, ce qui ne permet pas d’évaluer concrètement le degré de connaissance de la ville de Compton par le public pertinent, au-delà du cercle des personnes intéressées par le gangsta rap lui-même.

66      En pratique, seuls deux éléments de preuve fournissent des indications concrètes permettant d’évaluer, très grossièrement, la part du public pertinent qui connaît la ville de Compton. D’une part, l’album « Straight Outta Compton » du groupe de musique N.W.A, sorti en 1988 et particulièrement représentatif du genre musical « gangsta rap », a de nouveau été classé en 2015 au hit-parade dans différents pays dont l’Allemagne (36e place). D’autre part, le film « Straight Outta Compton » racontant l’histoire de ce groupe de musique a réalisé, également en 2015, plus de 2 675 000 entrées au cinéma dans l’Union, dont plus de 547 000 entrées en Allemagne.

67      Néanmoins, sur la base de ces données, l’ensemble des personnes ayant acquis ou écouté l’album « Straight Outta Compton », ou vu le film « Straight Outta Compton », ou encore entendu parler de cet album ou de ce film en 2015, ne représenterait encore qu’une très faible part du grand public allemand, de l’ordre d’un ou de quelques pourcents tout au plus, le nombre d’entrées dudit film atteignant à peine 0,67 % de la population totale de l’Allemagne en 2015. Ainsi, il n’est pas établi que la partie du public pertinent connaissant la ville de Compton constituait une partie significative et représentative de l’ensemble du public pertinent situé en Allemagne [voir, en ce sens, arrêts du 25 octobre 2018, DEVIN, T‑122/17, EU:T:2018:719, points 48, 57, 58 et 94, et du 10 mars 2021, Kerry Luxembourg/EUIPO – Ornua (KERRYMAID), T‑693/19, non publié, EU:T:2021:124, point 66].

68      En quatrième lieu, la circonstance, relevée au point 36 de la décision attaquée et invoquée par l’EUIPO et l’intervenante, selon laquelle la requérante a parfois promu ses produits portant la marque contestée en faisant référence à la culture hip-hop, à la musique rap, à l’image du gangster ou à la ville de Compton elle-même est, certes, susceptible de révéler un usage descriptif de la marque contestée. Un tel usage descriptif constituerait alors un indice du caractère descriptif de cette marque [voir, en ce sens, arrêt du 13 février 2019, Nemius Group/EUIPO (DENTALDISK), T‑278/18, non publié, EU:T:2019:86, point 70].

69      Cependant, un éventuel usage descriptif de la marque contestée pour quelques produits et auprès de certains consommateurs particulièrement visés par la requérante ne permet pas, en lui-même, de démontrer que, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement de cette marque, la ville de Compton était déjà connue par une partie significative du public pertinent, au-delà du cercle des personnes intéressées par le gangsta rap.

70      De plus, le contenu explicatif et pédagogique des messages publicitaires de la requérante révèle davantage un souci de développer la connaissance de cette ville par le public visé qu’une simple exploitation d’une renommée préexistante de ladite ville, ce qui ne plaide pas en faveur d’une large connaissance préalable de la ville de Compton.

71      Dans ces conditions, d’une part, les éléments dont disposait la chambre de recours n’étaient pas suffisants pour établir que, en juin 2016, l’ensemble du public allemand intéressé par la street fashion et influencé par la culture hip-hop et par la musique rap, ou du moins une large partie de ce public, connaissait la ville de Compton. D’autre part, ces éléments ne permettaient pas non plus d’établir que, à cette même date, les consommateurs connaissant la ville de Compton représentaient une partie significative du grand public allemand.

72      Il s’ensuit que l’intervenante, qui supporte la charge de preuve, n’a pas démontré qu’une partie non négligeable de l’ensemble du public pertinent connaissait la ville de Compton à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

73      Partant, la chambre de recours ne pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, conclure que le nom géographique « Compton » était connu par une partie non négligeable du public pertinent en tant que désignation d’un lieu.

 Conclusion sur le troisième moyen

74      Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée est entachée de plusieurs erreurs relatives, premièrement, à la définition des produits en cause (voir point 48 ci-dessus) et, deuxièmement, à l’appréciation de la connaissance de la ville de Compton par le public pertinent (voir point 73 ci-dessus).

75      En particulier, il découle de la seconde erreur mentionnée au point 74 ci-dessus qu’une des deux conditions cumulatives énoncées par la jurisprudence résumée au point 31 ci-dessus n’est pas remplie en l’espèce.

76      Partant, sans qu’il soit besoin d’examiner les griefs de la requérante tirés, d’une part, de l’application de critères excessivement stricts en ce qui concerne la protection des noms géographiques et, d’autre part, d’une appréciation erronée de l’existence d’un lien entre le nom géographique « Compton » et les produits en cause, le troisième moyen doit être accueilli.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 52, paragraphe 1, sous a), et de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009

77      La requérante soutient que la décision attaquée viole les dispositions combinées de l’article 52, paragraphe 1, sous a), et de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

78      L’EUIPO et l’intervenante contestent l’argumentation de la requérante.

79      Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif. En vertu de l’article 7, paragraphe 2, du même règlement, l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement est applicable même si les motifs de refus n’existent que dans une partie de l’Union.

80      Le caractère distinctif d’une marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 signifie que cette marque permet d’identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises (voir arrêt du 21 janvier 2010, Audi/OHMI, C‑398/08 P, EU:C:2010:29, point 33 et jurisprudence citée).

81      Un minimum de caractère distinctif suffit à faire obstacle à l’application du motif absolu de refus prévu à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 (arrêt du 27 février 2002, EUROCOOL, T‑34/00, EU:T:2002:41, point 39).

82      Par ailleurs, les signes descriptifs visés à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 sont, également, dépourvus de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ce règlement. À l’inverse, un signe peut être dépourvu de caractère distinctif au sens dudit article pour des raisons autres que son éventuel caractère descriptif (arrêt du 10 mars 2011, Agencja Wydawnicza Technopol/OHMI, C‑51/10 P, EU:C:2011:139, point 46).

83      En l’espèce, pour constater l’absence de caractère distinctif de la marque contestée, la chambre de recours a relevé, en substance, au point 55 de la décision attaquée, que le public allemand qui s’intéressait à la street fashion percevrait la marque contestée non comme un message indiquant l’origine commerciale des produits en cause, mais comme une simple information matérielle indiquant que ces produits reprenaient le style de vie de la ville de Compton développé dans les années 80 et 90, diffusé par le biais de la musique rap et imitant l’apparence des gangsters et des prisonniers. Elle a ajouté que les arguments développés à cet égard dans le cadre du motif de la décision attaquée tiré du caractère descriptif de la marque contestée s’appliquaient par analogie.

84      La requérante soutient que l’affirmation de la chambre de recours selon laquelle le public intéressé par la street fashion perçoit la marque contestée comme une simple information matérielle, neutre quant à l’origine commerciale des produits en cause, est inexacte et contraire à la jurisprudence et à la pratique décisionnelle en matière de protection des indications de provenance géographique. Elle renvoie à son argumentation développée dans le cadre du troisième moyen à l’encontre du motif de la décision attaquée tiré du caractère descriptif de la marque contestée.

85      En premier lieu, s’agissant du contenu de la décision attaquée et de la portée du présent moyen, l’EUIPO fait valoir que cette décision, en tant qu’elle conclut au caractère non distinctif de la marque contestée, ne repose pas uniquement sur le caractère descriptif de cette marque, mais comporte un motif supplémentaire et distinct tiré de ce que le terme « Compton » serait perçu par le public pertinent comme une indication neutre quant à l’origine commerciale des produits en cause. Or, selon l’EUIPO, la requérante ne contesterait pas réellement ce motif.

86      À cet égard, d’une part, il y a lieu de relever que la chambre de recours n’a pas directement fondé l’absence de caractère distinctif de la marque contestée sur le caractère descriptif de cette marque. Toutefois, pour conclure que le public intéressé par la street fashion percevrait cette marque comme une simple information matérielle, neutre quant à l’origine commerciale des produits en cause, la chambre de recours a expressément renvoyé aux motifs de la décision attaquée relatifs au caractère descriptif de ladite marque. En particulier, pour parvenir à ladite conclusion, elle s’est nécessairement fondée sur les motifs de cette décision selon lesquels ce public, représentant une partie non négligeable de l’ensemble du public pertinent, connaissait la ville de Compton et associait cette ville à un style de vie spécifique.

87      D’autre part, contrairement à ce que prétend l’EUIPO, la requérante conteste expressément le motif de la décision attaquée tiré de ce que le public intéressé par la street fashion perçoit la marque contestée comme une simple information matérielle, neutre quant à l’origine commerciale des produits en cause, en renvoyant à l’ensemble de son argumentation développée dans le cadre du troisième moyen.

88      En second lieu, s’agissant du bien-fondé du présent moyen, il résulte de ce qui a été relevé dans le cadre du troisième moyen que les motifs de la décision attaquée relatifs au caractère descriptif de la marque contestée sont entachés de plusieurs erreurs d’appréciation, notamment en ce qui concerne la connaissance de la ville de Compton par une partie non négligeable du public pertinent (voir point 73 ci-dessus).

89      Or, en l’absence d’une telle connaissance, le public pertinent n’est pas susceptible de percevoir la marque contestée comme une simple information matérielle, neutre quant à l’origine commerciale des produits en cause.

90      Par ailleurs, la chambre de recours ne s’est fondée sur aucun autre élément pour conclure que la marque contestée n’indiquait pas l’origine commerciale des produits en cause.

91      Dans ces conditions, la chambre de recours n’a pas légalement fondé sa conclusion relative à l’absence de caractère distinctif de la marque contestée.

92      Partant, le quatrième moyen doit lui aussi être accueilli.

 Conclusion générale

93      Les troisième et quatrième moyens étant fondés, les deux motifs fondant la décision attaquée et relatifs, le premier, au caractère descriptif de la marque contestée et, le second, à l’absence de caractère distinctif de cette marque sont tous deux entachés d’illégalité.

94      Partant, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, il y a lieu d’annuler la décision attaquée.

 Sur les dépens

95      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Par ailleurs, aux termes de l’article 134, paragraphe 2, du même règlement, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens.

96      L’EUIPO et l’intervenante ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière. À cet égard, l’EUIPO et l’intervenante supporteront chacun la moitié des dépens de la requérante.

97      En outre, la requérante a conclu à la condamnation de l’EUIPO et de l’intervenante aux dépens qu’elle a exposés devant la chambre de recours. À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure, les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme dépens récupérables. Partant, il y a également lieu de condamner l’EUIPO et l’intervenante à supporter, chacun, la moitié des dépens indispensables exposés par la requérante aux fins de la procédure devant la chambre de recours.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 16 septembre 2022 (affaire R 1913/2021-2) est annulée.

2)      L’EUIPO et New Yorker Marketing & Media International GmbH supporteront, chacun, outre leurs propres dépens, la moitié de ceux exposés par BIW Invest AG, y compris les frais indispensables exposés aux fins de la procédure devant la chambre de recours.

Kowalik-Bańczyk

Hesse

Ricziová

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 février 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.