Language of document : ECLI:EU:T:2006:137

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

31 mai 2006 (*)

« Aides d’État – Communication de la Commission sur les aides de minimis – Augmentation des droits d’accises sur les carburants – Aides aux stations-service – Compagnies pétrolières – Risque de cumul des aides – Clause de gestion de prix – Principe de bonne administration »

Dans l’affaire T-354/99,

Kuwait Petroleum (Nederland) BV, établie à Rotterdam (Pays-Bas), représentée par Me P. Mathijsen, avocat,

partie requérante,

soutenue par

Royaume des Pays-Bas, représenté initialement par M. M. Fierstra, puis par Mme H. Sevenster, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. G. Rozet et H. Speyart, puis par MM. Rozet et H. van Vliet, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande en annulation partielle de la décision 1999/705/CE de la Commission, du 20 juillet 1999, concernant l’aide d’État des Pays-Bas en faveur de 633 stations-service néerlandaises situées à proximité de la frontière allemande (JO L 280, p. 87),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de MM. J. Pirrung, président, A. W. H. Meij, N. J. Forwood, Mme I. Pelikánová et M. S. Papasavvas, juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 novembre 2005,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        À partir du 1er juillet 1997, les droits d’accises perçus aux Pays-Bas sur l’essence, le diesel et le gaz liquéfié ont été augmentés à concurrence de, respectivement, 0,11 florin néerlandais (NLG), 0,05 NLG et 0,08 NLG par litre. Toutefois, conscient que cette augmentation aurait des conséquences préjudiciables pour les exploitants néerlandais de stations-service situées, notamment, le long de la frontière allemande, le législateur néerlandais a prévu, à l’article VII de la Wet tot wijziging van enkele belastingwetten c.a. (loi modifiant certaines lois fiscales, Stbl. 1996, p. 654) du 20 décembre 1996, la possibilité d’adopter des mesures temporaires afin de réduire, dans la zone frontalière, l’écart entre les tarifs des droits d’accises découlant de l’augmentation susvisée et la charge d’accises sur les huiles légères existant en Allemagne.

2        Ainsi, le Royaume des Pays-Bas a adopté, le 21 juillet 1997, la Tijdelijke regeling subsidie tankstations grensstreek Duitsland (réglementation temporaire sur les subventions aux stations-service situées à proximité de la frontière allemande, Stcrt. 1997, p. 138), modifiée par décret ministériel du 15 décembre 1997 (Stcrt. 1997, p. 241, ci-après la « réglementation temporaire »). Cette réglementation, entrée en vigueur rétroactivement le 1er juillet 1997, prévoyait l’octroi d’une subvention de 0,10 NLG par litre d’essence livrée au profit des exploitants situés jusqu’à 10 km de la frontière entre les Pays-Bas et l’Allemagne et de 0,05 NLG par litre d’essence livrée au profit des exploitants situés entre 10 et 20 km de cette frontière.

3        Afin de satisfaire aux critères de la communication 96/C 68/06 de la Commission relative aux aides de minimis (JO 1996, C 68, p. 9 ; ci‑après la « communication de minimis »), la réglementation temporaire fixait un plafond de subvention correspondant, sur une période de trois ans (du 1er juillet 1997 au 30 juin 2000 inclus), à 100 000 écus, c’est-à-dire le plafond fixé par la communication. En outre, l’aide prévue par la réglementation temporaire était une aide par demandeur, ce terme visant toute personne physique ou morale pour le compte et aux risques de laquelle une ou plusieurs stations-service sont exploitées, ainsi que ses ayants droit.

4        Une modification de la réglementation temporaire, ayant pour objet la fixation de la subvention non plus par demandeur, mais par station-service, a ensuite été envisagée par le gouvernement néerlandais.

5        Voulant s’assurer de la validité, au regard de la communication de minimis, du projet de modification de la réglementation temporaire, le gouvernement néerlandais a, par lettre du 14 août 1997, informé la Commission de ce projet en précisant que, « au cas où la Commission serait d’avis que le régime [proposé] doit néanmoins être notifié, conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, le gouvernement néerlandais demande que la présente lettre soit considérée comme une telle notification. »

6        Après plusieurs échanges avec les autorités néerlandaises, craignant que la réglementation temporaire et le projet de modification de celle-ci ne puissent empêcher des situations de cumul d’aides prohibées par la communication de minimis, la Commission a décidé, en juin 1998, d’engager la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE (JO 1998, C 307, p. 10 ; ci‑après la « communication d’ouverture de la procédure »).

7        À l’issue de cette procédure, la Commission a adopté la décision 1999/705/CE, du 20 juillet 1999, concernant l’aide d’État des Pays‑Bas en faveur de 633 stations‑service néerlandaises situées à proximité de la frontière allemande (JO L 280, p. 87, ci‑après la « décision attaquée »), par laquelle elle a déclaré qu’une partie des aides litigieuses était incompatible avec le marché commun et qu’une autre partie relevait de la règle de minimis.

8        Dans la décision attaquée, la Commission a classé les stations-service en six catégories :

–        celle des revendeurs propriétaires (« dealer-owned/dealer-operated », ci‑après les « Do/Do »), le revendeur étant propriétaire de la station-service qu’il exploite à ses propres risques, tout en étant lié à la compagnie pétrolière par un accord d’achat exclusif qui ne contient pas de clause de gestion de prix ;

–        celle des revendeurs locataires (« company-owned/dealer operated », ci‑après les « Co/Do »), le revendeur étant locataire de la station-service qu’il exploite à ses propres risques, tout en étant lié, en tant que locataire, à la compagnie pétrolière par un accord d’achat exclusif sans clause de gestion de prix ;

–        celle des stations-service pour lesquelles les autorités néerlandaises n’ont pas fourni d’informations ou n’ont communiqué que des informations partielles ;

–        celle des revendeurs salariés (« company owned/company operated », ci‑après les « Co/Co »), la station-service étant exploitée par des salariés ou des filiales de la compagnie pétrolière, ne supportant pas les risques de l’exploitation et ne pouvant pas librement choisir leurs fournisseurs ; la Commission a subdivisé cette catégorie en deux sous-catégories : celle des stations-service Co/Co « pures », où la station-service est la propriété de la compagnie pétrolière et est exploitée par elle, et celle des stations-service Co/Co « de fait », où un même exploitant présente plusieurs fois une demande d’aides et apparaît, de la sorte, sur la liste des bénéficiaires à plusieurs reprises ;

–        celle des stations-service Do/Do, liées par une clause de gestion de prix, selon laquelle la compagnie pétrolière prend à sa charge, le cas échéant, une partie des réductions de prix pratiqués à la pompe par l’exploitant, et, enfin,

–        celle des stations-service Co/Do, liées par une clause de gestion de prix.

9        S’agissant des deux premières catégories, la Commission a estimé qu’il n’y avait pas de risque de cumul et a considéré que la règle de minimis était applicable (article 1er de la décision attaquée).

10      En ce qui concerne la troisième catégorie, la Commission a estimé qu’un cumul d’aides prohibé ne pouvait être exclu. Dès lors, selon elle, l’aide octroyée aux stations-service en cause était incompatible avec le marché commun et avec le fonctionnement de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), dans la mesure où elle pouvait excéder 100 000 euros par bénéficiaire sur une période de trois ans [article 2, premier alinéa, sous a), de la décision attaquée].

11      S’agissant de la quatrième catégorie, la Commission a estimé qu’il n’était pas exclu non plus qu’il y eût des aides incompatibles avec le marché commun et avec le fonctionnement de l’accord EEE en faveur de compagnies possédant et exploitant plusieurs stations-service, dans la mesure où, en tenant compte du cumul, les aides pouvaient excéder 100 000 euros par bénéficiaire sur une période de trois ans [article 2, premier alinéa, sous b), de la décision attaquée].

12      S’agissant, enfin, des deux dernières catégories, la Commission a estimé qu’il existait également, dans les mêmes conditions, un risque de cumul d’aides en faveur des compagnies pétrolières concernées. Selon elle, le fournisseur profitait en tout ou en partie de l’aide accordée aux exploitants, puisque ces derniers ne pouvaient invoquer la clause de gestion de prix ou ne pouvaient le faire que dans une moindre mesure [article 2, premier alinéa, sous c) et d), et second alinéa, de la décision attaquée].

13      La Commission a considéré que les mesures ne relevant pas de la règle de minimis prises par le gouvernement néerlandais constituaient des aides au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE (considérants 88 à 93 de la décision attaquée) et que ces aides n’étaient pas justifiées par une des dérogations prévues à l’article 87, paragraphes 2 et 3, CE (considérants 94 à 102 de la décision attaquée). En conséquence, elle a déclaré ces aides incompatibles avec le marché commun (article 2 de la décision attaquée) et a ordonné leur récupération (article 3 de la décision attaquée).

14      Dans l’annexe de la décision attaquée, la Commission a établi la liste des 769 demandeurs de subvention en application de la réglementation temporaire et a fait figurer, au regard de chacun d’eux, le cas échéant, le nom d’une compagnie pétrolière sous l’intitulé « Compagnie pétrolière/Contrat de marque » et le nom d’une compagnie pétrolière sous l’intitulé « Compagnie pétrolière/Groupe ». Le nom de la requérante figure sous les deux intitulés au regard de 16 stations‑service.

15      Par lettre du 6 octobre 1999, le ministère des Finances néerlandais a communiqué à la requérante une liste de treize stations‑service, parmi les seize stations-service au regard desquelles figurait la double mention « Q8 » dans l’annexe de la décision attaquée, ainsi que le montant des subventions reçues par chacune de ces treize stations au titre de la réglementation provisoire, en précisant que ces « données [étaient] suffisantes pour donner [à la requérante] un aperçu des conséquences de la décision [attaquée] qui l’intéressent ». Dans la décision attaquée, deux de ces stations-service, identifiées sous les numéros 333 et 347, sont classées dans la catégorie Co/Co de fait [article 2, sous b), troisième alinéa], quatre stations-service, identifiées sous les numéros 419, 454, 459 et 483, sont classées dans la catégorie Do/Do avec clause de gestion de prix [article 2, sous c)] et sept stations-service, identifiées sous les numéros 127, 211, 230, 271, 387, 494 et 519, sont classées dans la catégorie Co/Do avec clause de gestion de prix [article 2, sous d)].

 Procédure et conclusions des parties

16      Entre le 20 septembre 1999 et le 19 janvier 2000, 74 recours ont été introduits devant le Tribunal à l’encontre de la décision attaquée.

17      Le 9 octobre 1999, le Royaume des Pays-Bas a introduit un recours devant la Cour à l’encontre de la décision attaquée, enregistré sous le numéro C‑382/99.

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 décembre 1999, la requérante a introduit le présent recours à l’encontre de la décision attaquée, dont elle n’aurait eu une connaissance complète que le 6 octobre 1999.

19      Par ordonnance du 9 mars 2000, le président de la première chambre élargie du Tribunal, les parties entendues, a suspendu la procédure dans la présente affaire, conformément à l’article 77, sous a), du règlement de procédure du Tribunal, dans l’attente de la décision de la Cour dans l’affaire C‑382/99.

20      Le 13 juin 2002, la Cour a rendu l’arrêt Pays‑Bas/Commission dans l’affaire C‑382/99 (Rec. p. I‑5163), par lequel elle a rejeté le recours. La procédure a par conséquent repris son cours dans la présente affaire.

21      Sur invitation du Tribunal, la requérante a déposé ses observations sur les conséquences à tirer de l’arrêt Pays‑Bas/Commission, point 20 supra, dans la présente affaire.

22      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à partir de la nouvelle année judiciaire, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre élargie, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

23      Par ordonnance du 25 septembre 2003, les parties entendues, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a admis l’intervention du Royaume des Pays-Bas au soutien de la requérante.

24      Par lettre du 20 février 2003, la Commission a informé le Tribunal de la situation concernant le recouvrement de l’aide en cause. Il ressort de cette lettre que, s’agissant des compagnies pétrolières, les autorités néerlandaises, en accord avec la Commission, ont fixé un mode de calcul général pour déterminer le montant des subventions à récupérer. Il appartenait à ces compagnies de présenter leurs observations sur ce mode de calcul.

25      Sur invitation du Tribunal, la requérante a déposé, par lettre du 27 août 2003, ses observations à l’égard de la lettre de la Commission du 20 février 2003.

26      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

27      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 22 novembre 2005.

28      Le Royaume des Pays-Bas a renoncé à déposer un mémoire en intervention et à intervenir lors de l’audience.

29      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision ;

–        condamner la Commission aux dépens.

30      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme partiellement irrecevable ;

–        le rejeter comme non fondé pour le surplus ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la portée du recours

 Sur les stations-service concernées

31      Le Tribunal constate que les moyens d’annulation présentés par la requérante au soutien de ses conclusions concernent exclusivement les treize stations-service identifiées dans la lettre des autorités néerlandaises du 6 octobre 1999 (voir point 15 ci-dessus), à savoir les stations-service nos 127, 211, 230, 271, 333, 347, 387, 419, 454, 459, 483, 494 et 519. Il en résulte que la requérante demande l’annulation partielle de la décision attaquée uniquement dans la mesure où cette dernière porte sur ces treize stations-service.

32      Il est toutefois apparu comme établi, lors de l’audience, que les autorités néerlandaises, après accord de la Commission, ne demandent plus à la requérante le remboursement, en vertu de la décision attaquée, des subventions reçues pour sept stations-service, à savoir les stations nos 230, 333, 347, 419, 454, 459 et 519.

33      Or, selon une jurisprudence constante, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où le requérant a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué (arrêts du Tribunal du 14 septembre 1995, Antillean Rice Mills e.a./Commission, T‑480/93 et T‑483/93, Rec. p. II‑2305, point 59, et du 14 avril 2005, Sniace/Commission, T‑141/03, non encore publié au Recueil, point 25). Pour qu’un requérant puisse poursuivre un recours tendant à l’annulation d’une décision, il faut qu’il conserve un intérêt personnel à l’annulation de la décision attaquée (voir ordonnance du Tribunal du 17 octobre 2005, First Data e.a./Commission, T‑28/02, points 36 et 37, et la jurisprudence citée).

34      En l’espèce, dans la mesure où le gouvernement néerlandais ne réclame plus à la requérante le remboursement des subventions reçues pour ces sept stations‑service, la requérante n’est plus soumise à une quelconque obligation juridique tirée de la décision attaquée – lue à la lumière de l’accord entre le gouvernement néerlandais et la Commission à la suite de leur coopération en vue de résoudre les difficultés d’exécution de cette décision – en ce qui concerne ces sept stations. N’étant plus soumise à une obligation de restitution, l’annulation de la décision attaquée ne procurerait à ce titre aucun bénéfice à la requérante. Celle‑ci n’a donc plus d’intérêt à agir en ce qui concerne lesdites stations.

35      En conséquence, le présent recours doit être déclaré irrecevable pour autant qu’il porte sur les stations-service nos 230, 333, 347, 419, 454, 459 et 519.

 Sur la portée de l’arrêt de la Cour

36      La Commission, tout en s’en remettant à la sagesse du Tribunal, estime irrecevables les moyens et arguments de la requérante qui ont déjà été avancés devant la Cour dans l’affaire C‑382/99 et ont été rejetés dans l’arrêt Pays‑Bas/Commission, point 20 supra.

37      Cette thèse doit être rejetée à double titre. Premièrement, la suspension de la procédure devant le Tribunal, en vertu de l’article 54, troisième alinéa, du statut de la Cour, dans l’attente de la résolution d’une affaire devant la Cour mettant en cause, comme en l’espèce, la validité d’un même acte, ne dessaisit aucunement le Tribunal de l’affaire suspendue devant lui et il demeure pleinement et exclusivement compétent pour en connaître, de nouveau, à la date de l’évènement mettant fin à la suspension. Deuxièmement, le respect des droits de la défense interdit que des moyens et arguments contenus dans un recours valablement introduit devant une juridiction soient rejetés par une autre juridiction devant laquelle l’auteur de ce recours n’a pu ni comparaître ni argumenter.

38      Si le principe de bonne administration de la justice, à la manifestation duquel les parties contribuent par leur comportement, peut conduire ces dernières à limiter leur recours et leur défense aux questions présentant de réelles différences par rapport à celles tranchées par la Cour, il n’appartient pas au Tribunal d’effectuer d’autorité cette limitation en lieu et place de ces parties en rejetant comme irrecevables certains moyens déjà présentés devant la Cour. En revanche, l’attitude non constructive d’une partie est susceptible d’entraîner des frais non nécessaires à la solution du litige et peut être prise en compte lors de la répartition des dépens.

39      Cependant, si le Tribunal a jugé qu’une suspension était nécessaire au vu du fait qu’était mise en cause, tant devant la Cour que devant lui, la validité d’un même acte et s’il est évident que la réponse apportée par la Cour dans ce cadre doit être respectée, il appartient néanmoins au Tribunal, juge du fait, de vérifier si la solution donnée par la Cour est transposable en l’espèce au regard d’éventuelles différences de fait ou de droit (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 décembre 2001, Emesa Sugar/Conseil, T‑43/98, Rec. p. II‑3519, point 73). En cas de différences, il lui appartient de trancher la question de savoir si ces différences amènent à une solution différente de celle retenue par la Cour. En l’absence de telles différences et face à la persistance d’une partie à se fonder sur des moyens identiques à ceux déjà rejetés par la Cour, le Tribunal peut être conduit à rejeter ces moyens, par ordonnance motivée, comme étant manifestement non fondés.

 Sur le fond

40      La requérante a présenté initialement quatre moyens, tirés, premièrement, de l’existence d’erreurs de fait, deuxièmement, de la méconnaissance de la notion d’aide d’État, troisièmement, de l’application incorrecte de la règle de minimis et, quatrièmement, de la violation du principe de bonne administration.

41      Le Tribunal prend acte du fait que la requérante, dans ses observations présentées à la suite de l’arrêt Pays‑Bas/Commission, point 20 supra, a renoncé à son moyen relatif à l’application erronée de la règle de minimis.

42      Le Tribunal constate que le premier moyen de la requérante concerne exclusivement les stations-service nos 230, 333, 347, 419, 454, 459 et 519. Le recours ayant été jugé irrecevable en ce qu’il porte sur ces stations (voir point 35 ci-dessus), cette irrecevabilité emporte celle du présent moyen.

43      Il n’y a donc lieu d’examiner que les deux moyens restants, tirés, premièrement, de la méconnaissance de la notion d’aide d’État et, deuxièmement, de la violation du principe de bonne administration.

 Sur la méconnaissance de la notion d’aide d’État

–       Arguments des parties

44      La requérante allègue que la Commission a méconnu la notion d’aide d’État en considérant comme établies l’existence d’un avantage à son profit, l’utilisation de ressources étatiques et une distorsion de la concurrence.

45      Elle reconnaît que les gérants des cinq stations-service nos 127, 211, 371, 387 et 494 lui appartenant, et le propriétaire de la station-service n° 483 ont conclu avec elle un contrat d’approvisionnement exclusif avec une clause de gestion de prix.

46      Par la première branche de son moyen, la requérante avance que la Commission a mal interprété sa clause de gestion de prix. Dans la décision attaquée, la Commission aurait considéré que l’intervention des compagnies pétrolières en raison des clauses de gestion de prix était obligatoire. La requérante affirme que, en ce qui la concerne, elle décide tout à fait librement si elle intervient, ou non, au profit de l’exploitant. Ainsi, l’article 6 de son « Price management systeem » (système de gestion de prix) prévoirait les conditions dans lesquelles la requérante a « la possibilité » de prendre en charge une partie de la réduction du prix à la pompe. En outre, le dernier alinéa de cet article prévoirait que la requérante peut, à tout moment, modifier « unilatéralement » sa clause. Elle avance qu’elle utilise librement cette clause lorsqu’elle l’estime utile afin de défendre ses intérêts commerciaux. La Commission prétendrait donc à tort que la requérante avait l’obligation d’appliquer ce système.

47      La requérante demande au Tribunal de laisser de côté les considérations générales de la Cour concernant les clauses de gestion de prix et de se pencher sur la clause spécifique de la requérante. D’ailleurs, la Cour se serait contentée, dans l’arrêt Pays-Bas/Commission, point 20 supra, d’indiquer que la Commission avait présumé l’existence d’aides indirectes aux compagnies pétrolières du seul fait de l’existence de pareilles clauses. La requérante demande au Tribunal d’enjoindre à la Commission de produire le texte des clauses de gestion de prix sur lesquelles elle s’est fondée.

48      Par la seconde branche de son moyen, la requérante fait valoir qu’elle n’a pas été avantagée par l’aide. Elle aurait volontairement octroyé diverses compensations aux six stations-service concernées sur la base de sa clause de gestion de prix, pour un montant total de 1 083 058 NLG, ainsi que le prouveraient les documents annexés à sa requête. Au lieu de déclarer que la requérante a profité de l’aide en cause, il conviendrait de constater que les stations-service en cause ont reçu à la fois l’aide et la compensation prévue par la clause mise en œuvre par la requérante. Même si le raisonnement de la Commission était correct, quod non, les autorités néerlandaises ne pourraient être contraintes, en cas de compensation partielle, que de récupérer une partie de la compensation « de fait ».

49      La requérante rejette le raisonnement de la Commission selon lequel les arguments factuels seraient irrecevables au motif qu’ils n’ont pas été avancés lors de la procédure administrative. Elle rappelle que cette procédure se déroule en premier lieu entre la Commission et l’État membre concerné. Les autres parties concernées n’entreraient en ligne de compte que si elles avaient fait l’objet d’une information particulière, ce qui ne serait pas son cas.

50      Par la troisième branche du moyen, la requérante fait valoir que, l’aide en cause n’ayant eu aucune conséquence en ce qui la concerne, aucune ressource étatique n’existerait dans son cas. De plus, il ne pourrait y avoir distorsion de concurrence, puisque, même à supposer exact le raisonnement de la Commission, tous les fournisseurs seraient avantagés de la même façon, tant au sein des Pays-Bas qu’au regard de leurs filiales opérant en Allemagne. Enfin, en raison de la règle de minimis, les échanges entre les États membres n’auraient pas été influencés.

51      La Commission se prévaut du bien-fondé de l’analyse développée dans la décision attaquée, telle que confirmée par l’arrêt Pays‑Bas/Commission, point 20 supra.

–       Appréciation du Tribunal

52      Par la première branche de son moyen, la requérante fait valoir, en substance, que sa clause de gestion de prix est dépourvue de caractère obligatoire et ne correspondrait donc pas à la clause décrite dans la décision attaquée.

53      Il convient, au préalable, de constater que la Commission avait connaissance de façon certaine de la clause de gestion de prix de la requérante aux fins de l’adoption de la décision attaquée. Ainsi, la Commission disposait de 574 accords d’achat exclusif liant les stations-service concernées aux compagnies pétrolières (considérant 7 de la décision attaquée), comprenant généralement une clause de gestion de prix. De plus, dans le cas de la requérante, la clause de cette dernière a fait l’objet d’une mention particulière dans la décision attaquée (considérants 28, 31, 49 et 50). En outre, la Commission a fourni à l’annexe de son mémoire en défense quatre contrats d’achat exclusif conclus entre la requérante et certaines des six stations-service avec lesquelles la requérante reconnaît avoir conclu une clause de gestion de prix (stations-service nos 127, 211, 371 et 387). Il n’y a, dès lors, pas lieu de faire droit à la demande de la requérante visant à ce que la Commission produise le texte des clauses de gestion de prix sur lequel elle se serait fondée.

54      Dans la décision attaquée, la Commission a décrit les clauses de gestion de prix en énonçant ce qui suit :

« [l]a clause de gestion de prix stipule le plus souvent que la compagnie pétrolière assume une partie des coûts de la réduction du prix à la pompe consenti par l’exploitant, dans la mesure où les conditions du marché intérieur et/ou international rendent souhaitable ou nécessaire une adaptation provisoire ou durable de ces réductions. Une concertation entre les parties est souvent nécessaire avant de procéder à une telle diminution des prix » (considérant 84 de la décision attaquée).

Elle a considéré que cette clause « oblige[ait] le fournisseur à accorder au revendeur une compensation au moins partielle pour les pertes qu’il a[vait] subies en raison [...] [de] l’augmentation des accises » (considérant 85 de la décision attaquée). Elle en a conclu que, « en accordant une aide aux exploitants pour compenser les pertes de revenus provoquées par l’augmentation des accises sur les huiles légères aux Pays-Bas, on [pouvait] considérer que le gouvernement néerlandais assum[ait] en fait une partie ou la totalité des obligations du fournisseur au titre [de cette clause] » (considérant 85 de la décision attaquée).

55      Il ressort ainsi de la décision attaquée que la clause de gestion de prix fait partie des obligations contractuelles liant les stations-service et les compagnies pétrolières, sans, toutefois, que cette clause ait obligatoirement un caractère impérieux et/ou automatique.

56      Dans son arrêt Pays‑Bas/Commission, point 20 supra, malgré l’argument du requérant selon lequel les clauses de gestion de prix, dans la majorité des cas, ne créent pas d’obligation inconditionnelle, à la charge des compagnies pétrolières, de contribuer aux réductions des prix à la pompe (point 57), la Cour a conclu que l’aide aux stations-service avait pour effet d’exonérer les compagnies pétrolières de leur obligation d’assumer tout ou partie des coûts de la réduction du prix à la pompe pratiquée par leur distributeur, afin d’éviter des pertes de parts de marché (point 66). Il en ressort que la Cour a considéré que les clauses de gestion de prix analysées par la Commission avaient un caractère obligatoire, sans que la Cour ait pris directement position sur le caractère inconditionnel de cette obligation.

57      Cette analyse rejoint celle de l’avocat général M. Léger qui a employé la même formule que la Cour dans ses conclusions sous l’arrêt Pays‑Bas/Commission, point 20 supra (Rec. p. I‑5167). Il a démontré le bien-fondé de cette formule en exposant que, en l’absence d’aide, il lui paraissait « hautement probable » que les compagnies fassent jouer les clauses de gestion de prix à la demande de leurs distributeurs pour éviter de perdre des parts de marché (point 129 des conclusions).

58      Ensuite, il convient d’examiner la clause de la requérante. Selon le texte de cette clause de gestion de prix, dite « SPG », fourni par la requérante :

« Le SGP donne la possibilité à [la requérante], dans des conditions précisées [ci‑après], de prendre en charge une partie de la réduction du prix à la pompe accordée par le concessionnaire [...]

Les conditions auxquelles [la requérante] est disposée à prendre en charge la participation visée dans les tableaux du SGP sont les suivantes :

a)      Probabilité réelle de perte de chiffre d’affaires.

b)      Il doit nettement exister une bonne concertation avec [la requérante], c’est‑à‑dire que [la requérante] participe uniquement après concertation avec l’inspecteur de [la requérante] chargé de la zone du concessionnaire et si cet inspecteur est d’accord avec la participation de [la requérante].

c)      Le concessionnaire peut uniquement revendiquer la participation de [la requérante] après qu’elle a été établie par écrit, voir annexe.

[...]

[La requérante] a le droit à tout moment en cours de contrat de modifier à titre temporaire le SGP unilatéralement (en tout ou en partie). »

59      Il en ressort que la requérante se réserve le droit de ne pas faire jouer sa clause de gestion de prix. Ainsi, cette clause ne fait que donner à la requérante la « possibilité » de compenser une partie de la réduction des prix à la pompe. De même, seul l’établissement par écrit de la participation de la requérante à la compensation de la réduction des prix à la pompe permet à l’exploitant de « revendiquer » l’application de cette clause. De plus, le fait que la requérante se donne le droit de modifier unilatéralement ladite clause renforce l’impression que la requérante est entièrement maîtresse de celle-ci. Il en résulte essentiellement que cette clause ne peut être appliquée qu’avec l’accord de la requérante.

60      Toutefois, il ressort des documents fournis par la requérante qu’elle a appliqué, à tout le moins durant la période allant du 1er janvier au 15 octobre 1997, la clause de gestion de prix dans tous les contrats dans lesquels cette clause existait. Il en résulte que la requérante entendait appliquer effectivement sa clause de gestion de prix.

61      Il convient également de relever que, ainsi que le reconnaît la requérante, sa clause correspond bien à la description qui est faite au considérant 84 de la décision attaquée. Par ailleurs, la clause de la requérante oblige effectivement cette dernière à accorder une compensation au moins partielle pour les pertes que le cocontractant a subies en raison de l’augmentation des accises, tel que l’expose la Commission au considérant 85 de la décision attaquée. En effet, comme la requérante l’a admis lors de l’audience, il est certain que la clause de gestion de prix a vocation à s’appliquer en cas de perte de parts de marché, notamment due à une augmentation des accises. Cela est également démontré par la mise en œuvre de cette clause par la requérante dans le cas d’espèce. Il résulte de ce qui précède que la clause de gestion de prix de la requérante doit être considérée comme obligatoire au sens de la décision attaquée.

62      Ainsi, la Commission était donc en droit de conclure, au vu de la clause de la requérante, que, « en accordant une aide aux exploitants pour compenser les pertes de revenus provoquées par l’augmentation des accises sur les huiles légères aux Pays-Bas, on [pouvait] considérer que le gouvernement néerlandais assum[ait] en fait une partie ou la totalité des obligations du fournisseur au titre [de cette clause] » (considérant 85 de la décision attaquée). Dès lors, la Commission a inscrit, à juste titre, les stations-service nos 127, 211, 371, 387, 483 et 494 à l’article 2, sous c), ou à l’article 2, sous d), de la décision attaquée, faisant ainsi porter l’obligation de récupération de l’aide auprès de la requérante.

63      En conséquence, la première branche du présent moyen doit être rejetée comme non fondée.

64      Par la deuxième branche de son moyen, la requérante prétend, en substance, ne pas avoir bénéficié personnellement d’un avantage en raison de l’octroi de subventions aux stations-service en cause, ou seulement d’un avantage partiel, puisqu’elle aurait volontairement fait jouer sa clause de gestion de prix.

65      En premier lieu, il convient de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle la légalité d’une décision en matière d’aide d’État doit être appréciée en fonction des éléments d’informations dont la Commission disposait au moment où elle l’a arrêtée (arrêts de la Cour Pays-Bas/Commission, point 20 supra, point 49, et du 14 septembre 2004, Espagne/Commission, C‑276/02, Rec. p. I‑8091, point 31).

66      Or, il n’est pas prétendu que la Commission ait eu connaissance, lors de l’adoption de la décision attaquée, du fait que la requérante aurait continué à faire jouer sa clause de gestion de prix malgré l’instauration de la réglementation provisoire. En conséquence, à le supposer exact, ce fait n’est pas de nature à affecter la légalité de la décision attaquée.

67      En second lieu, il doit être noté que la Commission, lorsqu’elle est confrontée à un régime d’aide, tel que celui de l’espèce, n’est généralement pas en mesure, ni obligée, d’identifier précisément le montant d’aide perçu par chacun des bénéficiaires individuels. Dès lors, les circonstances particulières propres à l’un des bénéficiaires d’un régime d’aide ne peuvent être appréciées qu’au stade de la récupération de l’aide (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 7 mars 2002, Italie/Commission, C‑310/99, Rec. p. I‑2289, points 89 à 91, et la jurisprudence citée). Cette approche a été confirmée en l’espèce par la Cour dans son arrêt Pays‑Bas/Commission, point 20 supra, dans lequel elle a considéré que « l’obligation pour un État membre de calculer le montant précis des aides à récupérer, particulièrement lorsque, comme en l’espèce, s’agissant d’un grand nombre de stations-service, ce calcul dépend d’éléments d’information qui n’ont pas été communiqués par lui à la Commission, s’inscrit dans le cadre plus large de l’obligation de coopération loyale liant mutuellement la Commission et les États membres dans la mise en œuvre des règles du traité en matière d’aides d’État » (point 91).

68      En conséquence, à supposer les faits allégués par la requérante exacts, ils ne pourraient pas affecter la validité de la décision attaquée, mais seulement les modalités de récupération de l’aide. Or, selon une jurisprudence constante, « en l’absence de dispositions communautaires en la matière, la récupération d’une aide déclarée incompatible avec le marché commun doit être effectuée selon les modalités prévues par le droit national » (voir arrêt Pays-Bas/Commission, point 20 supra, point 90, et la jurisprudence citée). Le contentieux relatif à cette exécution relève du seul juge national (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 24 juillet 2003, Sicilcassa e.a., C‑297/01, Rec. p. I‑7849, points 41 et 42, et arrêt du Tribunal du 8 juin 1995, Siemens/Commission, T‑459/93, Rec. p. II‑1675, point 104).

69      Lorsque, comme en l’espèce, l’État membre concerné a invoqué des difficultés d’exécution de la décision de la Commission en matière d’aide et a résolu ces difficultés dans le cadre de la coopération loyale avec la Commission, les mesures d’exécution finalement adoptées par cet État membre restent du ressort du juge national. Cet état de fait demeure même dans le cas où la Commission a donné son agrément à l’exécution proposée par l’État membre concerné. Cet agrément ne fait qu’exprimer l’opinion de la Commission quant au caractère acceptable de cette exécution d’un point de vue communautaire, au regard des difficultés d’exécution rencontrées par cet État membre, mais il n’altère en rien la responsabilité de l’État membre concerné quant à l’identification et au mode de résolution de ces difficultés. S’il devait exister un contentieux relatif à la récupération de l’aide après cet agrément, notamment au regard des constatations factuelles contenues dans la décision attaquée ou au regard de la quantification exacte de l’avantage réel devant être récupéré, il incomberait au juge national de résoudre ces difficultés d’exécution persistantes au moyen de ses règles nationales, au vu de la décision attaquée et, en tant que de besoin, au vu de ces difficultés persistantes, en tenant compte de l’agrément de la Commission. En cas de doute, le juge national a toujours la possibilité d’interroger la Commission en vertu du principe de coopération loyale (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C‑39/94, Rec. p. I‑3547, points 49 et 50, et la jurisprudence citée, ainsi que, par analogie, arrêt Pays-Bas/Commission, point 20 supra, points 91 et 92) ou de poser une question préjudicielle à la Cour (voir arrêt Siemens/Commission, point 68 supra, point 104, et la jurisprudence citée).

70      Dès lors, la deuxième branche du présent moyen doit être rejetée comme inopérante.

71      Par la troisième branche de son moyen, la requérante prétend que l’aide n’a entraîné aucune distorsion de concurrence et n’a pas affecté les échanges entre les États membres, notamment en raison de la règle de minimis.

72      Ces arguments ont été présentés à la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Pays‑Bas/Commission, point 20 supra (point 30, in fine). La Cour les a rejetés de façon globale (points 37 à 39), en renvoyant notamment, s’agissant des compagnies pétrolières telles que la requérante, aux points 60 à 66 de son arrêt. La Cour a ainsi considéré que l’aide visait à éviter que, du fait de la majoration du prix des carburants consécutive à l’augmentation des droits d’accises aux Pays‑Bas, les stations-service situées à proximité de la frontière allemande ne subissent une baisse de leur chiffre d’affaires, compte tenu des tarifs plus compétitifs pratiqués en Allemagne (point 63). Elle a ajouté qu’un tel objectif était également poursuivi par les clauses de gestion de prix (point 64). Elle a constaté que les aides versées aux stations-service liées aux compagnies pétrolières par des clauses de gestion de prix entraînaient des conséquences économiques pour les compagnies concernées, puisqu’elles avaient pour effet, en tout état de cause, d’exonérer ces compagnies de leur obligation d’assumer tout ou partie des coûts de la réduction du prix à la pompe pratiquée par leur distributeur, afin d’éviter des pertes de parts de marché. Elle en a conclu que la réglementation temporaire constituait donc une aide en faveur des compagnies pétrolières, puisqu’elle avait pour effet d’alléger les charges qui auraient normalement grevé le budget des compagnies soucieuses de maintenir leur position concurrentielle au regard de l’évolution du marché intérieur ou international (point 66).

73      Il en ressort clairement que, pour la Cour, s’agissant notamment des compagnies pétrolières, l’aide en cause entraînait des distorsions de concurrence et affectait les échanges entre les États membres.

74      Or, la requérante n’a fait état d’aucun élément particulier, tenant notamment à sa position personnelle, qui serait susceptible d’invalider dans son cas les appréciations générales de la Cour.

75      Le Tribunal constate, dès lors, que la décision attaquée est valide en ce qu’elle constate une distorsion de concurrence et une affectation des échanges entre les États membres. En conséquence, la troisième branche du présent moyen doit être rejetée comme manifestement non fondée.

76      Toutes les branches du présent moyen ayant été rejetées, ledit moyen doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur le moyen tiré de la violation du principe de bonne administration

–       Arguments des parties

77      Par le présent moyen, la requérante avance que la Commission a violé le principe général de bonne administration en négligeant d’informer les intéressés des mesures qu’elle comptait prendre à leur encontre et en ne leur offrant pas la possibilité de faire connaître leur point de vue. Elle fait valoir la jurisprudence selon laquelle le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constituerait un principe fondamental de droit communautaire et devrait être assuré même en l’absence de toute réglementation concernant la procédure en cause (arrêt du Tribunal du 6 décembre 1994, Lisrestal e.a./Commission, T‑450/93, Rec. p. II‑1177, point 42).

78      La requérante serait condamnée à rembourser l’aide en cause à l’État néerlandais. Or, elle n’aurait pas été informée à l’avance de cette obligation. D’une part, elle n’aurait pas été impliquée dans la procédure administrative au niveau national. Cela montrerait que les autorités néerlandaises ne la considéraient pas comme une bénéficiaire de l’aide. D’autre part, la Commission ne se serait aucunement adressée aux compagnies pétrolières durant cette procédure. La communication d’ouverture de la procédure – qui précise que « la Commission ne peut exclure que les bénéficiaires directs de l’aide soient les compagnies pétrolières » – serait trop vague pour pouvoir être considérée comme une invitation à faire valoir son point de vue. La requérante souligne que la communication a seulement évoqué le fait que la propriété des stations-service concernées pourrait avoir pour conséquence que la compagnie pétrolière concernée soit considérée comme « bénéficiaire » de l’aide et devrait donc la rembourser. Si un tel mécanisme est imaginable, la décision attaquée reposerait sur un élément tout à fait nouveau, à savoir les clauses de gestion de prix. Or, la requérante n’aurait pas eu l’occasion de faire connaître son point de vue à cet égard.

79      La Commission estime suffisant de rappeler que la requérante a présenté des observations lors de la procédure administrative, notamment en évoquant le fait que les stations-service lui demandaient d’accroître leur marge, et a elle-même fait parvenir à la Commission son contrat type contenant sa clause de gestion de prix. Il serait paradoxal d’estimer aujourd’hui que la Commission n’aurait pas dû utiliser cet élément, parce qu’elle aurait dû entendre auparavant la requérante à ce sujet. La requérante aurait donc connu parfaitement les tenants et les aboutissants de l’affaire. La Commission souligne également le fait qu’il lui a fallu adopter une injonction envers les autorités néerlandaises, le 20 janvier 1999, afin d’obtenir des informations complémentaires sur les clauses de gestion de prix.

–       Appréciation du Tribunal

80      Il convient de rappeler, au préalable, que la procédure administrative en matière d’aides d’État est seulement ouverte à l’encontre de l’État membre concerné (arrêt de la Cour du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869, point 81). Les entreprises bénéficiaires des aides sont uniquement considérées comme étant des intéressés dans cette procédure (arrêt du Tribunal du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T‑228/99 et T‑233/99, Rec. p. II‑435, point 122). Il s’ensuit que les intéressés, loin de pouvoir se prévaloir des droits de la défense reconnus aux personnes à l’encontre desquelles une procédure est ouverte, disposent du seul droit d’être associés à la procédure administrative dans une mesure adéquate tenant compte des circonstances du cas d’espèce (arrêt Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, précité, point 83, et arrêt du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a. et British Midland Airways/Commission, T‑371/94 et T‑394/94, Rec. p. II‑2405, point 60).

81      En vertu de l’article 88, paragraphe 2, CE, la Commission a le devoir de mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations lors de la phase d’examen formel. En ce qui concerne ce devoir, selon une jurisprudence constante, la publication d’un avis au Journal officiel constitue un moyen adéquat en vue de faire connaître à tous les intéressés l’ouverture d’une procédure (arrêt de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323/82, Rec. p. 3809, point 17), et « cette communication vise exclusivement à obtenir, de la part des intéressés, toutes informations destinées à éclairer la Commission dans son action future » (arrêts de la Cour du 12 juillet 1973, Commission/Allemagne, 70/72, Rec. p. 813, point 19, et du Tribunal du 22 octobre 1996, Skibsværftsforeningen e.a./Commission, T‑266/94, Rec. p. II‑1399, point 256).

82      En conséquence, la requérante ne saurait invoquer une violation du principe de bonne administration en ce que la Commission n’aurait pas sollicité personnellement les observations de la requérante quant à la procédure d’examen de l’aide.

83      En revanche, il est vrai que la Commission a pour obligation de mettre utilement les intéressés en mesure de présenter leurs observations dans le cadre d’une procédure formelle d’examen en matière d’aide d’État (arrêt Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, point 80 supra, point 170, et arrêt du Tribunal du 14 janvier 2004, Fleuren Compost/Commission, T‑109/01, Rec. p. II‑127, points 45 et 46).

84      La requérante prétend, à cet égard, que la communication d’ouverture de la procédure était trop vague pour qu’elle puisse se considérer comme intéressée en tant que compagnie pétrolière.

85      Il convient de rappeler, au préalable, que la Commission doit ouvrir une procédure formelle d’examen, prévoyant l’information des intéressés, dès lors que, au terme d’un examen préliminaire, elle possède des doutes sérieux sur la compatibilité de la mesure financière en cause avec le marché commun. Il en résulte que la Commission ne peut pas être tenue de présenter une analyse aboutie à l’égard de l’aide en cause dans sa communication relative à l’ouverture de cette procédure. En revanche, il est nécessaire que la Commission définisse suffisamment le cadre de son examen afin de ne pas vider de son sens le droit des intéressés de présenter leurs observations.

86      En l’espèce, dans sa décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen invitant notamment les intéressés à présenter leurs observations, la Commission a exposé qu’il n’était pas exclu, s’agissant des compagnies pétrolières, que ces compagnies soient considérées comme bénéficiaires de l’aide et doivent éventuellement la rembourser. La Commission a fondé cette possibilité sur le fait que la liberté des exploitants indépendants pouvait être à ce point restreinte par les accords d’achat exclusif ou de location (contrôle de fait) qu’ils devaient être considérés, de facto, comme relevant de la catégorie des revendeurs employés par la compagnie pétrolière, à savoir ceux qui ne supportent pas les risques afférents à l’exploitation de la station-service (septième et huitième considérants de la communication).

87      Certes, il convient d’admettre que la Commission a abandonné, dans la décision attaquée, sa théorie du contrôle de fait des compagnies pétrolières sur les stations‑service par le biais des accords d’achat exclusif, sur laquelle reposaient ses doutes dans la décision d’ouverture de la procédure (considérant 75 de la décision attaquée). De même, dans cette décision d’ouverture, elle n’a pas exposé la circonstance selon laquelle la simple existence d’une clause de gestion de prix suffisait à considérer les compagnies pétrolières comme bénéficiaires de fait de l’aide. Il était donc difficile, pour la requérante, de prendre position sur ce point précis. Toutefois, il ressort de ladite décision d’ouverture que la Commission n’avait pas encore, à ce stade de sa réflexion et au vu du peu d’éléments dont elle disposait, identifié ce mécanisme particulier du transfert du bénéfice de l’aide.

88      En revanche, la Commission, dès le stade de la communication, a utilement exposé ses interrogations quant au bénéficiaire réel de l’aide, en particulier au regard du contrôle que les compagnies pétrolières exercent à travers les contrats d’approvisionnement exclusif. Si ces interrogations, à ce stade précoce de la réflexion de la Commission, étaient essentiellement centrées sur l’indépendance des stations-service en vue de leur classement dans la catégorie des stations‑service Co/Co, il n’en demeure pas moins que le concept fondamental, selon lequel les compagnies pétrolières pouvaient être les bénéficiaires réels de l’aide au regard des contrats d’approvisionnement exclusif, était présent dans la communication.

89      Il doit être constaté, par ailleurs, que la requérante a compris avec suffisamment de pertinence ce concept pour, d’une part, fournir à la Commission son contrat type ainsi que sa clause de gestion de prix et, d’autre part, l’informer de ce qu’elle considérait l’aide comme nécessaire, car les stations-service lui demandaient d’accroître leur marge. Paradoxalement, la qualité de l’intervention de la requérante, qui a fourni sa clause de gestion de prix, démontre qu’elle était en mesure de comprendre quels éléments essentiels pouvaient être pertinents en vue de l’adoption de la décision finale. Le fait que la Commission a utilisé, notamment, les éléments fournis par la requérante pour étayer un raisonnement qui aboutit à faire peser sur elle le remboursement de l’aide est conforme à l’esprit de la procédure formelle d’examen, qui attribue aux intéressés le rôle de source d’information de la Commission.

90      À cet égard, il convient de rejeter l’argument de la requérante présenté à l’audience, selon lequel son intervention auprès de la Commission ne correspondrait en aucun cas à une participation à la procédure formelle d’examen de l’aide. Il suffit de constater que, postérieurement à la publication de la communication relative à l’ouverture de la procédure formelle d’examen, la requérante a fourni à la Commission des observations directement relatives à l’aide sous examen et particulièrement pertinentes. Cette intervention de la requérante doit donc être considérée, de facto sinon de jure, comme une participation à la procédure formelle d’examen en tant qu’intéressée.

91      En conséquence, la Commission, loin d’avoir violé le principe de bonne administration, s’est correctement acquittée, dans les limites de ses moyens, de sa tâche consistant à mettre les intéressés en mesure de présenter utilement leurs observations lors de la procédure formelle d’examen de l’aide.

92      Au vu de ce qui précède, le présent moyen est rejeté comme non fondé.

 Sur les dépens

93      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

94      Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Le Royaume des Pays-Bas supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La requérante supportera ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission.

3)      Le Royaume des Pays-Bas supportera ses propres dépens.

Pirrung

Meij

Forwood

Pelikánová

 

      Papasavvas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 31 mai 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. Pirrung


* Langue de procédure : le néerlandais.