Language of document : ECLI:EU:T:2019:756

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

24 octobre 2019 (*)

« Aides d’État – Concession d’une autoroute à péage – Loi prévoyant une exonération de péages pour certains véhicules – Compensation octroyée au concessionnaire par l’État membre au titre de la perte de recettes – Péage virtuel – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Droits procéduraux des parties intéressées – Obligation pour la Commission d’exercer une vigilance particulière – Notion d’aide d’État – Avantage – Amélioration de la situation financière attendue du concessionnaire – Critère de l’opérateur privé en économie de marché – Article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE – Aide d’État à finalité régionale »

Dans l’affaire T‑778/17,

Autostrada Wielkopolska S.A., établie à Poznań (Pologne), représentée par Mes O. Geiss, D. Tayar et T. Siakka, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes L. Armati, K. Herrmann et M. S. Noë, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République de Pologne, représentée par MM. B. Majczyna et M. Rzotkiewicz, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (UE) 2018/556 de la Commission, du 25 août 2017, relative à l’aide d’État SA.35356 (2013/C) (ex 2013/NN, ex 2012/N) octroyée par la Pologne à Autostrada Wielkopolska (JO 2018, L 92, p. 19),

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni (rapporteur), président, L. Madise et R. da Silva Passos, juges,

greffier : Mme E. Artemiou, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 6 juin 2019,

rend le présent

Arrêt (1)

 Antécédents du litige

 Contexte

1        Le 10 mars 1997, à l’issue d’un appel d’offres, la République de Pologne a attribué à la requérante, Autostrada Wielkopolska S.A., une concession pour construire et exploiter la section de l’autoroute A 2 située entre Nowy Tomyśl (Pologne) et Konin (Pologne) (ci-après la « section concernée de l’autoroute A 2 ») pour une période de quarante ans.

2        En vertu du contrat de concession signé le 12 septembre 1997, la requérante s’engageait à obtenir, à ses frais et risques, des financements extérieurs pour construire et exploiter la section concernée de l’autoroute A 2 et bénéficiait, en contrepartie, du droit de percevoir les péages acquittés par les utilisateurs de l’autoroute. Ce contrat lui permettait également d’augmenter les tarifs de péage pour maximiser ses recettes dans la limite de tarifs maximaux définis par catégorie de véhicules.

3        Après son adhésion à l’Union européenne en 2004, la République de Pologne a dû transposer en droit polonais la directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 1999, relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures (JO 1999, L 187, p. 42). L’article 7, paragraphe 3, de cette directive prévoit que les péages et droits d’usage ne sont pas perçus cumulativement pour l’utilisation d’un même tronçon de route.

4        En conséquence, le Parlement polonais a adopté l’ustawa o zmianie ustawy o autostradach płatnych oraz o Krajowym Funduszu Drogowym oraz ustawy o transporcie drogowym (loi modifiant la loi sur les autoroutes à péage et le Fonds routier national et la loi sur le transport routier), du 28 juillet 2005 (Dz. U. no 155, position 1297) (ci-après la « loi du 28 juillet 2005 »). Cette loi a éliminé la double taxation des poids lourds pour l’utilisation d’un même tronçon de route. Ainsi, à compter du 1er septembre 2005, les poids lourds titulaires d’une vignette (redevance d’usage des routes) pour emprunter les routes nationales en Pologne ont été exonérés de péages sur les autoroutes faisant l’objet de contrats de concession.

5        En vertu de la loi du 28 juillet 2005, les concessionnaires devaient être indemnisés par le Fonds routier national pour la perte de recettes engendrée par l’exonération de péages. Cette loi disposait que les concessionnaires avaient droit au remboursement d’un montant équivalant à 70 % du produit obtenu en multipliant le nombre réel de passages de poids lourds munis de vignette par le tarif du péage virtuel négocié avec les concessionnaires pour chaque catégorie de poids lourds. La réduction à 70 % fixée par ladite loi était destinée à compenser la hausse prévue du trafic de poids lourds sur les autoroutes concédées à la suite de l’exonération de péages. La loi en cause prévoyait également que les tarifs du péage virtuel ne pouvaient excéder les tarifs réels appliqués à la catégorie de véhicules correspondante. Elle précisait enfin que la méthode de compensation devait être déterminée dans chacun des contrats de concession.

6        En ce qui concerne la requérante, la méthode de compensation et les tarifs du péage virtuel ont été fixés, après négociation avec les autorités polonaises, dans l’annexe 6 du contrat de concession (ci-après l’ « annexe 6 »), adoptée le 14 octobre 2005.

[omissis]

14      Par lettre du 28 novembre 2007, la Generalna Dyrekcja dróg krajowych i autostrad (Direction générale des routes nationales et des autoroutes, Pologne) a informé la requérante que, en raison de doutes concernant l’exactitude des hypothèses retenues pour les besoins de l’annexe 6, elle n’acceptait pas la proposition de révision des tarifs du péage virtuel. Nonobstant ce courrier, la requérante a continué à percevoir des versements mensuels au titre du péage virtuel, conformément aux stipulations de ladite annexe. Puis, le 13 novembre 2008, le ministre des Infrastructures polonais a déclaré se soustraire à l’effet de cette annexe, affirmant notamment avoir conclu celle-ci par erreur.

15      Selon la République de Pologne, la requérante a surestimé le TRI du modèle de perception effective du péage en utilisant des prévisions de trafic et de recettes obsolètes. La requérante aurait utilisé une étude sur le trafic et les recettes réalisée par la société de conseil Wilbur Smith Associates (WSA) en 1999 (ci-après l’« étude WSA de 1999 ») alors qu’une étude plus récente, datant de juin 2004 (ci-après l’« étude WSA de 2004 »), était disponible. Selon le rapport du 24 septembre 2010 commandé par le ministère des Infrastructures polonais et réalisé par la société PricewaterhouseCoopers (ci-après le « rapport PwC »), l’application des hypothèses de trafic et de recettes figurant dans l’étude WSA de 2004 plutôt que de celles figurant dans l’étude WSA de 1999 avait pour effet de diminuer le TRI dans le modèle de perception effective du péage de 10,77 % à 7,42 %.

16      Ainsi, de l’avis du ministre des Infrastructures polonais, la requérante aurait perçu un montant de compensation excessif au titre du péage virtuel. La requérante ayant refusé de rembourser le trop-perçu réclamé par la République de Pologne, ledit ministre a sollicité l’ouverture d’une procédure judiciaire tendant à la récupération de ce trop-perçu.

17      Simultanément, la requérante a contesté le refus d’exécution de l’annexe 6 en portant l’affaire devant un tribunal arbitral. Par une sentence du 20 mars 2013, le tribunal arbitral a donné raison à la requérante en constatant que ladite annexe était valide et que la République de Pologne devait respecter les stipulations de cette annexe. Par un jugement du 26 janvier 2018, le Sąd Okręgowy w Warszawie, I Wydział Cywilny (tribunal régional de Varsovie, première division civile, Pologne) a rejeté le recours du ministre des Infrastructures polonais contre la sentence du tribunal arbitral du 20 mars 2013. Ce jugement a fait l’objet d’une procédure en appel, qui est pendante devant le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie, Pologne).

[omissis]

 Procédure administrative et décision attaquée

19      Le 31 août 2012, la République de Pologne a notifié à la Commission européenne une mesure consistant en l’octroi à la requérante d’une compensation financière, sous la forme d’un péage virtuel, en raison de la perte de recettes causée par la loi du 28 juillet 2005.

[omissis]

21      Le 25 août 2017, la Commission a adopté la décision (UE) 2018/556 de la Commission, du 25 août 2017, relative à l’aide d’État SA.35356 (2013/C) (ex 2013/NN, ex 2012/N) octroyée par la Pologne à Autostrada Wielkopolska (JO 2018, L 92, p. 19, ci-après la « décision attaquée »).

[omissis]

38      Le dispositif de la décision attaquée est le suivant :

« Article premier

La compensation excessive octroyée par la [République de] Pologne à [la requérante] sur la base d[e la loi du 28 juillet 2005] pour la période allant du 1er septembre 2005 au 30 juin 2011, qui s’élève à [223,74 millions d’euros], constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE.

Article 2

L’aide d’État visée à l’article 1er est illégale, car elle a été accordée en violation des obligations de notification et d’interdiction de mise à exécution établies à l’article 108, paragraphe 3, du TFUE.

Article 3

L’aide visée à l’article 1er est incompatible avec le marché intérieur.

Article 4

1.      La [République de] Pologne procède à la récupération de l’aide visée à l’article 1er auprès du bénéficiaire […] »

[omissis]

 En droit

[omissis]

 Sur le premier moyen, tiré de la violation du droit d’être associé à la procédure administrative

46      La requérante soutient que la Commission a méconnu son droit à une procédure équitable, les principes de bonne administration et de protection de ses attentes légitimes. Plus précisément, elle estime avoir été privée de la possibilité de participer à la procédure formelle d’examen dans une mesure adéquate tenant compte des circonstances de l’espèce.

[omissis]

51      Selon une jurisprudence bien établie, le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle‑ci constitue un principe fondamental du droit de l’Union européenne et doit être assuré même en l’absence d’une réglementation spécifique (voir arrêt du 16 mars 2016, Frucona Košice/Commission, T‑103/14, EU:T:2016:152, point 51 et jurisprudence citée).

52      Toutefois, la procédure administrative en matière d’aides d’État est seulement ouverte à l’encontre de l’État membre concerné. Par conséquent, les entreprises bénéficiaires des aides sont uniquement considérées comme étant des « intéressées » dans cette procédure et ne sauraient prétendre elles‑mêmes à un débat contradictoire avec la Commission, tel que celui ouvert au profit dudit État membre (voir arrêt du 16 mars 2016, Frucona Košice/Commission, T‑103/14, EU:T:2016:152, point 52 et jurisprudence citée). Cette conclusion s’impose même si l’État membre concerné et les entreprises bénéficiaires des aides peuvent avoir des intérêts divergents dans le cadre d’une telle procédure (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2016, Frucona Košice/Commission, T‑103/14, EU:T:2016:152, point 54 et jurisprudence citée).

53      C’est ainsi que la jurisprudence impartit essentiellement aux intéressés le rôle de sources d’information pour la Commission dans le cadre de la procédure administrative engagée au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Il s’ensuit que les intéressés, loin de pouvoir se prévaloir des droits de la défense reconnus aux personnes à l’encontre desquelles une procédure est ouverte, disposent du seul droit d’être associés à la procédure administrative dans une mesure adéquate tenant compte des circonstances du cas d’espèce (voir arrêt du 16 mars 2016, Frucona Košice/Commission, T‑103/14, EU:T:2016:152, point 53 et jurisprudence citée).

54      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), lorsque la Commission décide d’ouvrir la procédure formelle d’examen au sujet d’un projet d’aide, elle doit mettre les intéressés en mesure de présenter leurs observations. Cette règle a le caractère d’une formalité substantielle au sens de l’article 263 TFUE (arrêt du 11 décembre 2008, Commission/Freistaat Sachsen, C‑334/07, EU:C:2008:709, point 55). En ce qui concerne ce devoir, la Cour a jugé que la publication d’un avis au Journal officiel constituait un moyen adéquat en vue de faire connaître à tous les intéressés l’ouverture d’une procédure, tout en précisant que cette communication visait exclusivement à obtenir, de la part des intéressés, toutes informations destinées à éclairer la Commission dans son action future (voir arrêt du 16 mars 2016, Frucona Košice/Commission, T‑103/14, EU:T:2016:152, point 56 et jurisprudence citée).

55      Par ailleurs, en application de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, la décision d’ouverture récapitule les éléments pertinents de fait et de droit, inclut une évaluation préliminaire de la Commission et expose les raisons qui incitent à douter de la compatibilité de la mesure avec le marché intérieur. La procédure formelle d’examen ayant pour objet de permettre à la Commission d’approfondir et d’éclaircir les questions soulevées dans la décision d’ouvrir cette procédure, notamment en recueillant les observations de l’État membre concerné et des autres parties intéressées, il peut arriver que, au cours de ladite procédure, la Commission soit mise en possession d’éléments nouveaux ou que son analyse évolue. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la décision finale de la Commission peut présenter certaines divergences avec sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, sans que celles‑ci vicient pour autant cette décision finale (arrêt du 2 juillet 2015, France et Orange/Commission, T‑425/04 RENV et T‑444/04 RENV, EU:T:2015:450, point 134).

56      Néanmoins, il est nécessaire que la Commission, sans être tenue de présenter une analyse aboutie à l’égard de l’aide en cause, définisse suffisamment le cadre de son examen dans la décision d’ouverture, afin de ne pas vider de son sens le droit des intéressés de présenter leurs observations [arrêt du 31 mai 2006, Kuwait Petroleum (Nederland)/Commission, T‑354/99, EU:T:2006:137, point 85]. La Cour a notamment jugé que, lorsque le régime juridique sous l’empire duquel un État membre avait procédé à la notification d’une aide projetée venait à changer avant que la Commission ne prenne sa décision, celle-ci devait, en vue de statuer, comme elle y était obligée, sur la base des règles nouvelles, demander aux intéressés de prendre position sur la compatibilité de cette aide avec ces dernières (voir arrêt du 11 décembre 2008, Commission/Freistaat Sachsen, C‑334/07 P, EU:C:2008:709, point 56 et jurisprudence citée). Il a également été jugé que ce n’est que dans l’hypothèse où la Commission s’apercevrait, après l’adoption d’une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, que cette dernière est fondée soit sur des faits incomplets, soit sur une qualification juridique erronée de ces faits, qu’elle devrait avoir la possibilité, voire l’obligation d’adapter sa position, en adoptant une décision de rectification ou une nouvelle décision d’ouverture, afin de permettre aux parties intéressées de présenter utilement des observations (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2019, UPF/Commission, T‑747/17, EU:T:2019:271, point 76 et jurisprudence citée). En effet, ce n’est que lorsque la Commission modifie son raisonnement, à la suite de la décision d’ouverture d’une enquête, sur des faits ou une qualification juridique de ces faits qui s’avèrent déterminants dans son appréciation quant à l’existence d’une aide ou de sa compatibilité avec le marché intérieur, qu’elle se doit de rectifier la décision d’ouverture ou d’étendre celle-ci, afin de permettre aux parties intéressées de présenter utilement des observations (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2019, UPF/Commission, T‑747/17, EU:T:2019:271, point 77).

57      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner le premier moyen du recours.

58      Il convient de souligner d’emblée que, comme le fait valoir à juste titre la requérante, la présente affaire se distingue de la plupart des affaires relatives aux aides accordées par les États, dans la mesure où la République de Pologne, qui avait des intérêts non seulement divergents, mais également opposés à ceux de la requérante, a soutenu durant la procédure administrative que la mesure notifiée, en tant qu’elle avait permis à la requérante de bénéficier d’une compensation excessive, constituait une aide d’État incompatible avec le marché intérieur. Dans ce contexte, il était particulièrement important que la Commission mette la requérante en mesure de présenter utilement des observations afin de garantir que les informations susceptibles de démontrer que la mesure notifiée n’était pas une aide d’État ou n’était pas une aide d’État incompatible avec le marché intérieur puissent être portées à la connaissance de la Commission. Cette obligation procédurale s’imposait d’autant plus que la requérante avait le droit de bénéficier d’une indemnisation en raison de l’exonération de péages sur la section concernée de l’autoroute A 2 et qu’un litige l’opposant à la République de Pologne sur l’étendue de cette indemnisation était pendant devant les juridictions nationales. Dans une telle situation, il incombait à la Commission de faire preuve d’une vigilance particulière en ce qui concerne le respect du droit de la requérante d’être associée à la procédure administrative.

59      Or, si la Commission a publié la décision d’ouverture au Journal officiel  et invité la requérante à présenter des observations à cette occasion, elle n’a, par la suite, plus mis la requérante en mesure de présenter des observations durant les quelque trois années qui ont précédé la décision attaquée. En revanche, il ressort des considérants 8 à 13 de ladite décision que, après avoir reçu les observations de la requérante le 7 octobre 2014, la Commission a échangé à plusieurs reprises avec la République de Pologne sans que la requérante soit associée à la procédure. En particulier, la Commission a transmis les observations de la requérante à la République de Pologne le 26 novembre 2014 et reçu les observations de cette dernière le 23 février 2015. Elle a ensuite demandé des informations complémentaires à la République de Pologne par lettres des 26 juin 2015 et 20 avril 2016, auxquelles cette dernière a répondu par courriers des 10 et 17 juillet 2015 et du 18 mai 2016. Enfin, le 7 décembre 2016, les services de la Commission et les autorités polonaises ont participé à une téléconférence, à la suite de laquelle la Commission a de nouveau demandé à la République de Pologne des informations complémentaires, que cette dernière a transmises le 23 mai 2017.

60      Dans les circonstances particulières rappelées au point 58 ci-dessus, compte tenu de la durée et de l’intensité des échanges intervenus avec la République de Pologne après la décision d’ouverture, la Commission aurait dû mettre à nouveau la requérante en mesure de présenter des observations. En n’associant pas la requérante à la procédure administrative dans une mesure adéquate après avoir reçu ses observations du 7 octobre 2014, la Commission n’a pas fait preuve de la vigilance particulière à laquelle elle était tenue en l’espèce.

61      Toutefois, la circonstance que la Commission a omis d’associer la requérante aux échanges intervenus avec la République de Pologne postérieurement à la décision d’ouverture, pour regrettable qu’elle puisse être, n’est pas de nature à entraîner l’annulation de la décision attaquée dans la mesure où, dans les circonstances de l’espèce, en l’absence d’une telle omission, l’analyse juridique retenue par la Commission dans cette dernière décision n’aurait pas pu être différente.

62      En effet, il convient de relever, premièrement, que, le 20 septembre 2014, la Commission a publié au Journal officiel  la décision d’ouverture et a invité les parties intéressées à présenter leurs observations sur la mesure notifiée, ce que la requérante a fait le 7 octobre 2014.

63      Il convient de constater, à cet égard, que la décision d’ouverture mentionne, de façon suffisamment précise, les éléments de fait et de droit pertinents en l’espèce, inclut une évaluation préliminaire et expose les raisons qui incitent la Commission à douter de la méthode de calcul de la compensation accordée à la requérante, du niveau de ladite compensation et de la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur. La décision d’ouverture indique en particulier, en ses considérants 76 à 78, premièrement, que les doutes de la Commission concernaient notamment le TRI du modèle de perception effective du péage, deuxièmement, que, selon la République de Pologne, la requérante avait utilisé une étude sur les prévisions de trafic et de recettes de 1999 plutôt qu’une étude plus récente de 2004 et, troisièmement, que, si le TRI du modèle de perception effective du péage était plus élevé que le TRI du projet avant l’introduction du système de péage virtuel, il en résulterait une surcompensation.

64      Deuxièmement, il ressort des pièces du dossier que la Commission ne s’est pas fondée, dans la décision attaquée, sur des faits ou une qualification juridique de ces faits, déterminants pour son analyse juridique au sens de la jurisprudence rappelée au point 56 ci-dessus, qui n’auraient pas été mentionnés dans la décision d’ouverture ou qui auraient été communiqués par la République de Pologne postérieurement à la décision d’ouverture.

65      Troisièmement, l’argument de la requérante selon lequel les éléments de preuve soumis dans le cadre de l’arbitrage auraient mérité d’être examinés par la Commission lors de la phase administrative de la procédure doit être écarté, dès lors que la requérante ne précise pas la nature des éléments en cause et que, au surplus, la Commission était dûment informée de l’existence et du contenu de la sentence du tribunal arbitral, ainsi qu’il ressort du considérant 46 de la décision attaquée et des observations de la requérante du 7 octobre 2014.

[omissis]

69      Il résulte de ce qui précède que la Commission a suffisamment défini le cadre de son examen dans la décision d’ouverture et a, ce faisant, mis la requérante en mesure de lui transmettre toutes les informations utiles sur les faits et la qualification juridique de ces faits, qui s’avèrent déterminants dans la décision attaquée. Il en résulte également que, contrairement à ce que soutient la requérante, il n’est pas établi que, si la Commission avait permis à celle-ci de présenter à nouveau des observations en raison des échanges avec la République de Pologne intervenus postérieurement à la décision d’ouverture, cela aurait pu avoir une incidence sur l’analyse juridique retenue dans la décision attaquée, de sorte qu’une telle omission n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette dernière décision.

70      Partant, le premier moyen doit être écarté.

[omissis]

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Autostrada Wielkopolska S.A. est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      La République de Pologne supportera ses propres dépens.

Gervasoni

Madise

da Silva Passos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 octobre 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.