Language of document : ECLI:EU:T:2019:756

Affaire T778/17

(publication par extraits)

Autostrada Wielkopolska S.A.

contre

Commission européenne

 Arrêt du Tribunal (neuvième chambre) du 24 octobre 2019

« Aides d’État – Concession d’une autoroute à péage – Loi prévoyant une exonération de péages pour certains véhicules – Compensation octroyée au concessionnaire par l’État membre au titre de la perte de recettes – Péage virtuel – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Droits procéduraux des parties intéressées – Obligation pour la Commission d’exercer une vigilance particulière – Notion d’aide d’État – Avantage – Amélioration de la situation financière attendue du concessionnaire – Critère de l’opérateur privé en économie de marché – Article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE – Aide d’État à finalité régionale »

1.      Aides accordées par les États – Examen par la Commission – Procédure administrative – Obligation de la Commission de mettre les intéressés en demeure de présenter leurs observations – Droit du bénéficiaire de l’aide d’être associé à la procédure dans une mesure adéquate – Portée – État membre soutenant la thèse de l’incompatibilité de l’aide avec le marché intérieur – Obligation pour la Commission d’exercer une vigilance particulière pour assurer le respect des droits procéduraux du bénéficiaire de l’aide

(Art. 108, § 2, TFUE ; règlement du Conseil no 659/1999, art. 6, § 1)

(voir points 51-60)

2.      Aides accordées par les États – Examen par la Commission – Procédure administrative – Obligation de la Commission de mettre les intéressés en demeure de présenter leurs observations – Droit du bénéficiaire de l’aide d’être associé à la procédure dans une mesure adéquate – Violation – Annulation de la décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Condition – Possibilité pour la procédure administrative d’aboutir à un résultat différent en l’absence de ladite violation

(Art. 108, § 2, et 263 TFUE ; règlement du Conseil no 659/1999, art. 6, § 1)

(voir points 61-65, 69)

Résumé

Par l’arrêt du 24 octobre 2019, Autostrada Wielkopolska/Commission (T‑778/17), le Tribunal a rejeté le recours en annulation introduit par la société Autostrada Wielkopolska S.A. contre la décision de la Commission constatant que la Pologne lui avait octroyé une aide d’État incompatible avec le marché intérieur (1).

Cette affaire trouve son origine dans un contrat de concession signé en 1997, en exécution duquel Autostrada Wielkopolska a construit une section de l’autoroute A2 en Pologne. En contrepartie, elle bénéficiait du droit de percevoir les péages acquittés par les utilisateurs de l’autoroute.

À la suite de son adhésion à l’Union européenne en 2004, la Pologne a transposé en droit polonais la directive relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures (2), aux termes de laquelle les péages et les droits d’usage ne sont pas perçus cumulativement pour l’utilisation d’un même tronçon de route. Ainsi, le parlement polonais a adopté une loi prévoyant que les poids lourds titulaires d’une vignette pour emprunter les routes nationales seraient exonérés de péages sur les autoroutes faisant l’objet de contrats de concession. En vertu de cette loi, les concessionnaires comme Autostrada Wielkopolska devaient, toutefois, être indemnisés pour la perte de recettes engendrée par cette exonération.

Après avoir commencé à verser une indemnisation à Autostrada Wielkopolska, les autorités polonaises, estimant que cette compensation présentait un caractère excessif, l’ont notifiée à la Commission. Dans la décision attaquée, la Commission a estimé que, si Autostrada Wielkopolska avait en principe le droit d’être indemnisée en contrepartie de la perte de recettes causée par la modification de la législation polonaise, elle avait bénéficié d’une compensation excessive, constitutive d’une aide incompatible avec le marché intérieur.

Dans son recours en annulation de cette décision, Autostrada Wielkopolska a notamment invoqué la méconnaissance de son droit d’être associée à la procédure administrative menée par la Commission.

Le Tribunal a rappelé qu’Autostrada Wielkopolska, en tant que bénéficiaire de l’aide en cause, ne pouvait pas se prévaloir de la garantie des droits de la défense reconnus aux personnes à l’encontre desquelles une procédure avait été ouverte, mais disposait seulement du droit d’être associée à la procédure administrative dans une mesure adéquate tenant compte des circonstances du cas d’espèce. À cet égard, le Tribunal a rappelé que, afin de ne pas vider de son sens le droit d’Autostrada Wielkopolska de présenter des observations, il était nécessaire que la Commission définisse suffisamment le cadre de son examen dans la décision d’ouvrir une procédure formelle concernant la compensation financière mise en cause. Si la Commission modifiait son raisonnement, après l’adoption de la décision d’ouverture de l’enquête, sur des faits ou une qualification juridique de ces faits qui s’avéraient déterminants dans son appréciation, elle se devait de rectifier la décision d’ouverture afin de permettre aux intéressés de présenter utilement des observations.

Ensuite, le Tribunal a souligné que la présente affaire se distinguait de la plupart des affaires relatives aux aides d’État, dans la mesure où la Pologne, État membre dispensateur de l’aide, avait des intérêts opposés à ceux d’Autostrada Wielkopolska et avait elle-même soutenu que la mesure notifiée constituait une aide d’État incompatible avec le marché intérieur. Dans ce contexte, il était particulièrement important que la Commission mette Autostrada Wielkopolska en mesure de présenter utilement ses observations. Cette obligation procédurale s’imposait d’autant plus qu’Autostrada Wielkopolska avait le droit de bénéficier d’une indemnisation en raison de l’exonération de péages et qu’un litige l’opposant à la Pologne sur l’étendue de cette indemnisation était pendant devant les juridictions nationales. Le Tribunal a conclu que, dans une telle situation, il incombait à la Commission de faire preuve d’une vigilance particulière s’agissant du respect du droit d’Autostrada Wielkopolska d’être associée à la procédure administrative.

À cet égard, le Tribunal a relevé que, si la Commission avait publié la décision d’ouvrir une procédure formelle au Journal officiel et invité Autostrada Wielkopolska à présenter des observations à cette occasion, elle n’avait, par la suite, plus mis Autostrada Wielkopolska en mesure de présenter des observations durant les quelque trois années qui avaient précédé la décision attaquée, alors qu’elle avait, en revanche, échangé à plusieurs reprises avec la Pologne. Le Tribunal a estimé que, compte tenu de la durée et de l’intensité des échanges intervenus avec la Pologne après la décision d’ouverture, la Commission aurait dû mettre à nouveau Autostrada Wielkopolska en mesure de présenter des observations. Il en a déduit que la Commission n’avait pas fait preuve de la vigilance particulière à laquelle elle était tenue en l’espèce.

Eu égard aux circonstances de l’espèce, le Tribunal a néanmoins considéré que cette omission de la Commission d’associer Autostrada Wielkopolska aux échanges intervenus avec la Pologne postérieurement à la décision d’ouvrir une procédure formelle, n’était pas de nature à entraîner l’annulation de la décision attaquée. À cet égard, le Tribunal a constaté que la Commission avait suffisamment défini le cadre de son examen dans la décision d’ouverture et avait, ce faisant, mis Autostrada Wielkopolska en mesure de lui transmettre toutes les informations utiles sur les faits et qualifications juridiques de ces faits, qui s’avéraient déterminants dans la décision attaquée. Il a également estimé qu’il n’était pas établi que, si Autostrada Wielkopolska avait été associée aux échanges susmentionnés entre la Commission et la Pologne, l’analyse juridique retenue par la Commission dans cette dernière décision aurait pu être différente.


1      Décision (UE) 2018/556 de la Commission, du 25 août 2017, relative à l’aide d’État SA.35356 (2013/C) (ex 2013/NN, ex 2012/N) octroyée par la Pologne à Autostrada Wielkopolska SA (JO 2018, L 92, p. 19).


2      Directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 1999, relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures (JO 1999, L 187, p. 42).