Language of document : ECLI:EU:C:2022:852

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

28 octobre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération judiciaire en matière pénale – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 50 – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Principe ne bis in idem – Accord entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique en matière d’extradition – Extradition d’un ressortissant d’un État tiers vers les États-Unis en vertu d’un traité bilatéral conclu par un État membre – Ressortissant ayant été définitivement condamné pour les mêmes faits et ayant purgé l’entièreté de sa peine dans un autre État membre »

Dans l’affaire C‑435/22 PPU,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich, Allemagne), par décision du 21 juin 2022, parvenue à la Cour le 1er juillet 2022, dans la procédure pénale contre

HF,

en présence de :

Generalstaatsanwaltschaft München,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, M. A. Arabadjiev, Mme A. Prechal, MM. E. Regan, P. G. Xuereb, Mme L. S. Rossi, M. D. Gratsias et Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), présidents de chambre, MM. S. Rodin, F. Biltgen, N. Piçarra, N. Wahl, Mme I. Ziemele et M. J. Passer, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 septembre 2022,

considérant les observations présentées :

–        pour HF, par Mes S. Schomburg et M. Weber, Rechtsanwälte,

–        pour la Generalstaatsanwaltschaft München, par M. F. Halabi, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, P. Busche, M. Hellmann et U. Kühne, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. L. Baumgart et M. Wasmeier, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 octobre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995 (ci-après la « CAAS »), telle que modifiée par le règlement (UE) n° 610/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013 (JO 2013, L 182, p. 1), ainsi que de l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une demande d’extradition adressée par les autorités des États-Unis d’Amérique aux autorités de la République fédérale d’Allemagne en vue de poursuites pénales contre HF, un ressortissant serbe.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La CAAS

3        La CAAS a été conclue en vue d’assurer l’application de l’accord entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signé à Schengen le 14 juin 1985 (JO 2000, L 239, p. 13).

4        L’article 20 de la CAAS, qui figure au chapitre 4, intitulé « Conditions de circulation des étrangers », du titre II de celle-ci, dispose, à son paragraphe 1 :

« Les étrangers non soumis à l’obligation de visa peuvent circuler librement sur les territoires des [p]arties [c]ontractantes pendant une durée maximale de 90 jours sur toute période de 180 jours, pour autant qu’ils remplissent les conditions d’entrée visées à l’article 5, paragraphe 1, [sous] a), c), d) et e). »

5        L’article 54 de la CAAS, figurant au chapitre 3, intitulé « Application du principe ne bis in idem », du titre III de celle-ci, prévoit :

« Une personne qui a été définitivement jugée par une [p]artie [c]ontractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre [p]artie [c]ontractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la [p]artie [c]ontractante de condamnation. »

 Le protocole intégrant l’acquis de Schengen dans le cadre de l’Union européenne

6        La CAAS a été incluse dans le droit de l’Union par le protocole intégrant l’acquis de Schengen dans le cadre de l’Union européenne, annexé au traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne par le traité d’Amsterdam (JO 1997, C 340, p. 93), au titre de l’« acquis de Schengen », tel que défini à l’annexe de ce protocole.

7        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, deuxième alinéa, dudit protocole :

« Le Conseil [de l’Union européenne] [...] détermine, conformément aux dispositions pertinentes des traités, la base juridique pour chacune des dispositions ou décisions qui constituent l’acquis de Schengen. »

8        En application de cette disposition, le Conseil a, le 20 mai 1999, adopté la décision 1999/436/CE déterminant, conformément aux dispositions pertinentes du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, la base juridique de chacune des dispositions ou décisions constituant l’acquis de Schengen (JO 1999, L 176, p. 17). Il ressort de l’article 2 de cette décision et de l’annexe A de celle-ci que le Conseil a désigné les articles 34 et 31 UE comme bases juridiques de l’article 54 de la CAAS.

 L’accord UE-USA

9        L’article 1er de l’accord entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique en matière d’extradition, du 25 juin 2003 (JO 2003, L 181, p. 27, ci-après l’« accord UE-USA »), se lit comme suit :

« Les parties contractantes s’engagent, conformément aux dispositions du présent accord, à renforcer leur coopération dans le cadre des relations en vigueur entre les États membres et les États-Unis d’Amérique, en matière d’extradition des délinquants. »

10      L’article 3 de l’accord UE-USA, intitulé « Champ d’application par rapport aux traités bilatéraux d’extradition conclus par les États membres », prévoit les conditions et les modalités selon lesquelles les dispositions figurant aux articles 4 à 14 de cet accord remplacent ou complètent les dispositions des traités bilatéraux d’extradition conclus par les États membres avec les États-Unis.

11      L’article 16 dudit accord, intitulé « Application dans le temps », dispose :

« 1.      Le présent accord s’applique aux infractions commises tant avant qu’après son entrée en vigueur.

2.      Le présent accord s’applique aux demandes d’extradition formulées après son entrée en vigueur. [...] »

12      L’article 17 du même accord, intitulé « Non-dérogation », énonce :

« 1.      Le présent accord est sans préjudice de la possibilité reconnue à l’État requis par un traité d’extradition bilatéral en vigueur entre un État membre et les États-Unis d’Amérique d’invoquer des motifs de refus se rapportant à une question non régie par le présent accord.

2.      Si les principes constitutionnels de l’État requis ou des décisions judiciaires définitives ayant un caractère contraignant sont de nature à faire obstacle à l’exécution de son obligation d’extradition et que ni le présent accord ni le traité bilatéral applicable ne permettent de résoudre la question, l’État requis et l’État requérant procèdent à des consultations. »

 Le code frontières Schengen

13      L’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2018/1240 du Parlement européen et du Conseil, du 12 septembre 2018, portant création d’un système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages (ETIAS) et modifiant les règlements (UE) nº 1077/2011, (UE) nº 515/2014, (UE) 2016/399, (UE) 2016/1624 et (UE) 2017/2226 (JO 2018, L 236, p. 1) (ci-après le « code frontières Schengen »), dispose :

« Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d’une durée n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, ce qui implique d’examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes :

a)      être en possession d’un document de voyage en cours de validité autorisant son titulaire à franchir la frontière qui remplisse les critères suivants :

i)      sa durée de validité est supérieure d’au moins trois mois à la date à laquelle le demandeur a prévu de quitter le territoire des États membres. Toutefois, en cas d’urgence dûment justifiée, il peut être dérogé à cette obligation ;

ii)      il a été délivré depuis moins de dix ans ;

b)      être en possession d’un visa en cours de validité si celui-ci est requis en vertu du [règlement (UE) 2018/1806 du Parlement européen et du Conseil, du 14 novembre 2018, fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation (JO 2018, L 303, p. 39),] ou d’une autorisation de voyage en cours de validité si celle-ci est requise en vertu [du règlement 2018/1240], sauf s’ils sont titulaires d’un titre de séjour ou d’un visa de long séjour en cours de validité ;

[...] »

14      Cette disposition a remplacé l’article 5, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2006, L 105, p. 1), qui s’était lui-même substitué à l’article 5, paragraphe 1, de la CAAS. Ainsi, l’article 20, paragraphe 1, de la CAAS doit être compris comme renvoyant désormais à cet article 6, paragraphe 1, du code frontières Schengen.

 Le règlement 2018/1806

15      Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2018/1806 :

« Les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l’annexe I sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres. »

16      L’article 4, paragraphe 1, de ce règlement est libellé comme suit :

« Les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l’annexe II sont exemptés de l’obligation prévue à l’article 3, paragraphe 1, pour des séjours dont la durée n’excède pas 90 jours sur toute période de 180 jours. »

17      Au nombre des pays tiers inclus dans la liste de ladite annexe II figure la République de Serbie.

 Le droit allemand

18      L’article 1er de l’Auslieferungsvertrag zwischen der Bundesrepublik Deutschland und den Vereinigten Staaten von Amerika (traité d’extradition entre la République fédérale d’Allemagne et les États-Unis d’Amérique), du 20 juin 1978 (BGBl. 1980 II, p. 647, ci-après le « traité d’extradition Allemagne-USA »), intitulé « Obligation d’extradition », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les parties contractantes s’engagent à se livrer réciproquement, conformément aux dispositions du présent traité, les personnes qui sont poursuivies pour une infraction commise sur le territoire de l’État requérant ou aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté, et qui se trouvent sur le territoire de l’autre partie contractante. »

19      L’article 2 de ce traité, intitulé « Infractions pouvant donner lieu à extradition », tel que modifié par le Zusatzvertrag zum Auslieferungsvertrag zwischen der Bundesrepublik Deutschland und den Vereinigten Staaten von Amerika (traité additionnel au traité d’extradition entre la République fédérale d’Allemagne et les États-Unis d’Amérique), du 21 octobre 1986 (BGBl. 1988 II, p. 1087), stipule :

« (1)      Les infractions pouvant donner lieu à extradition en vertu du présent traité sont celles qui sont punissables selon le droit des deux parties contractantes. [...]

(2)      L’extradition est accordée pour une infraction pouvant donner lieu à extradition

a)      aux fins des poursuites pénales, lorsque, en vertu du droit des deux parties contractantes, l’infraction est passible d’une peine privative de liberté d’une durée maximale supérieure à un an [...]

[...] »

20      L’article 8 dudit traité, intitulé « Ne bis in idem », se lit comme suit :

« L’extradition n’est pas accordée si la personne poursuivie a déjà été définitivement acquittée ou condamnée par les autorités compétentes de l’État requis pour l’infraction pour laquelle l’extradition est demandée. »

21      Selon la juridiction de renvoi, le traité d’extradition Allemagne-USA a été adapté à l’accord UE-USA par le Zweiter Zusatzvertrag zum Auslieferungsvertrag zwischen der Bundesrepublik Deutschland und den Vereinigten Staaten von Amerika (deuxième traité additionnel au traité d’extradition entre la République fédérale d’Allemagne et les États-Unis d’Amérique), du 18 avril 2006 (BGBl. 2007 II, p. 1634, ci-après le « deuxième traité additionnel »).

 Le litige au principal et la question préjudicielle

22      Le 20 janvier 2022, HF, ressortissant serbe, a été placé en état d’arrestation provisoire en Allemagne sur le fondement d’une notice rouge publiée par l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) à la demande des autorités des États-Unis d’Amérique, ces dernières sollicitant l’extradition de HF en vue de poursuites pénales pour des infractions commises entre le mois de septembre 2008 et le mois de décembre 2013. Cette notice rouge avait été publiée sur la base d’un mandat d’arrêt délivré le 4 décembre 2018 par l’United States District Court for the District of Columbia (tribunal fédéral des États-Unis pour le district de Columbia).

23      HF se trouve ainsi, depuis le 20 janvier 2022, sous écrou extraditionnel en Allemagne aux fins de cette procédure d’extradition.

24      Les infractions visées par la demande d’extradition consistent, selon la description figurant dans la décision de renvoi, en une entente en vue de participer à des organisations corrompues sous influence criminelle et en une entente en vue de commettre des fraudes bancaires et des fraudes au moyen d’installations de télécommunication, conformément au Title 18, U. S. Code, sections 1962 (d) et 1349.

25      Par lettre du 25 janvier 2022, les autorités des États-Unis ont transmis aux autorités allemandes le mandat d’arrêt du 4 décembre 2018, accompagné de l’acte d’accusation du grand jury de l’United States Court of Appeals for the District of Columbia (cour d’appel des États-Unis pour le district de Columbia) du même jour.

26      Lors de son arrestation, HF a indiqué qu’il résidait en Slovénie et a présenté un passeport serbe délivré le 11 juillet 2016 et valable jusqu’au 11 juillet 2026, un titre de séjour slovène délivré le 3 novembre 2017 et ayant expiré le 3 novembre 2019 ainsi qu’une carte d’identité kosovare. Selon la décision de renvoi, au cours de l’année 2020, les autorités slovènes ont rejeté une demande de HF visant à la prolongation de ce titre de séjour.

27      À la demande de l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich, Allemagne), la juridiction de renvoi, appelée à statuer sur la demande d’extradition de HF vers les États-Unis, et de la Generalstaatsanwaltschaft München (parquet général de Munich, Allemagne), les autorités slovènes ont transmis les informations suivantes.

28      En premier lieu, HF aurait été condamné par jugement de l’Okrožno sodišče v Mariboru (tribunal régional de Maribor, Slovénie), du 6 juillet 2012, ayant acquis force de chose jugée le 19 octobre 2012, à une peine privative de liberté d’un an et trois mois pour l’infraction d’« attaque contre le système d’information », au sens de l’article 221, paragraphe IV, lu en combinaison avec le paragraphe II, du Kazenski zakonik (code pénal slovène), commise entre les mois de décembre 2009 et de juin 2010.

29      En deuxième lieu, cette peine privative de liberté aurait été commuée en 480 heures de travail d’intérêt général, que HF aurait accomplies dans leur intégralité jusqu’au 25 juin 2015.

30      En troisième lieu, par décision du 23 septembre 2020, l’Okrožno sodišče v Kopru (tribunal régional de Koper, Slovénie) aurait rejeté une demande d’extradition de HF adressée aux autorités slovènes par les autorités des États-Unis aux fins de poursuites pénales, au motif que les faits antérieurs au mois de juillet 2010 visés dans cette demande auraient fait l’objet du jugement de l’Okrožno sodišče v Mariboru (tribunal régional de Maribor), cité au point 28 du présent arrêt. Concernant les autres faits décrits dans ladite demande d’extradition, postérieurs au mois de juin 2010, il n’y aurait pas de soupçon d’infraction.

31      En quatrième et dernier lieu, cette décision de l’Okrožno sodišče v Kopru (tribunal régional de Koper) aurait été confirmée par décision du Višje sodišče v Kopru (cour d’appel de Koper, Slovénie), du 8 octobre 2020, et serait passée en force de chose jugée.

32      La juridiction de renvoi affirme, d’une part, que la demande d’extradition antérieurement adressée aux autorités slovènes et la demande d’extradition en cause au principal concernent les mêmes infractions et, d’autre part, que les faits jugés par l’Okrožno sodišče v Mariboru (tribunal régional de Maribor), dans son jugement cité au point 28 du présent arrêt, sont identiques à ceux visés par cette dernière demande d’extradition, dans la mesure où y sont décrites des infractions commises jusqu’au mois de juin 2010.

33      Ainsi, selon la juridiction de renvoi, la licéité de la demande d’extradition, en tant qu’elle concerne des faits antérieurs au mois de juillet 2010, dépend du point de savoir si le principe ne bis in idem, tel qu’il est consacré à l’article 54 de la CAAS, lu en combinaison avec l’article 50 de la Charte, s’applique au litige au principal.

34      Or, cette juridiction fait observer que l’arrêt du 12 mai 2021, Bundesrepublik Deutschland (Notice rouge d’Interpol) (C‑505/19, ci‑après l’« arrêt Notice rouge d’Interpol », EU:C:2021:376), ne permettrait pas de trancher cette question, eu égard aux différences entre l’affaire au principal et celle ayant donné lieu audit arrêt.

35      En effet, premièrement, cette juridiction relève que HF n’est pas un citoyen de l’Union.

36      Deuxièmement, le litige au principal aurait pour objet une demande formelle d’extradition et non la seule publication d’une notice rouge d’Interpol en vue d’une arrestation provisoire à des fins éventuelles d’extradition.

37      Troisièmement, si la République fédérale d’Allemagne devait refuser l’extradition de HF en raison de l’obligation de respecter le principe ne bis in idem, au sens de l’article 50 de la Charte, elle violerait l’obligation d’extrader prévue à l’article 1er, paragraphe 1, du traité d’extradition Allemagne-USA, puisque l’infraction imputée à HF remplirait les conditions prévues à l’article 2, paragraphes 1 et 2, de ce traité.

38      La circonstance que HF a déjà été définitivement condamné par le jugement de l’Okrožno sodišče v Mariboru (tribunal régional de Maribor), du 6 juillet 2012, pour une partie des infractions qui font l’objet de la demande d’extradition en cause au principal, à savoir celles commises jusqu’au mois de juin 2010, et que la peine prononcée a déjà été définitivement exécutée ne ferait pas obstacle à l’extradition de HF. En effet, ainsi qu’il ressortirait clairement de son libellé, l’article 8 du traité d’extradition Allemagne‑USA n’interdirait à l’État requis d’accorder une extradition en raison du principe ne bis in idem que dans le cas où la personne poursuivie a été définitivement condamnée par les autorités compétentes de cet État, à savoir, en l’occurrence, la République fédérale d’Allemagne. Il ne serait pas possible d’interpréter cet article comme visant également les condamnations prononcées dans les autres États membres.

39      En outre, la République fédérale d’Allemagne et les États-Unis auraient expressément convenu, dans le cadre des négociations relatives au traité d’extradition Allemagne‑USA, que les décisions prononcées dans des États tiers ne font pas obstacle à l’extradition.

40      Enfin, cette interprétation de l’article 8 du traité d’extradition Allemagne-USA résulterait également du fait que le deuxième traité additionnel, par lequel le traité d’extradition Allemagne-USA a été adapté à l’accord UE-USA, n’a pas prévu de disposition particulière pour étendre l’interdiction de la double peine à tous les États membres.

41      Toutefois, la juridiction de renvoi se demande si l’article 50 de la Charte, lu en combinaison avec l’article 54 de la CAAS, n’impose pas à la République fédérale d’Allemagne de refuser l’extradition de HF pour les infractions qui ont été jugées définitivement par l’Okrožno sodišče v Mariboru (tribunal régional de Maribor).

42      À cet égard, en premier lieu, cette juridiction affirme que les conditions pour appliquer le principe ne bis in idem consacré à l’article 50 de la Charte et à l’article 54 de la CAAS sont remplies dans l’affaire au principal.

43      En effet, tout d’abord, HF aurait été condamné définitivement par une juridiction d’un État membre et la peine prononcée aurait été entièrement exécutée.

44      Ensuite, le bénéfice des dispositions visées au point 42 du présent arrêt ne serait pas réservé aux seuls citoyens de l’Union.

45      En outre, selon les points 94 et 95 de l’arrêt Notice rouge d’Interpol, l’arrestation provisoire, par l’un des États membres, d’une personne faisant l’objet d’une notice rouge émise par Interpol à la demande d’un État tiers constituerait une poursuite pénale, au sens de l’article 54 de la CAAS. Dès lors, une décision sur la licéité d’une extradition telle que celle en cause au principal, aboutissant à la remise de la personne concernée à l’État tiers requérant en vue de poursuites pénales, devrait aussi être considérée comme une poursuite pénale.

46      Enfin, une décision sur la licéité de l’extradition vers les États-Unis d’un ressortissant d’un État tiers arrêté dans un État membre constituerait une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51 de la Charte. En effet, une telle décision concernerait en tout état de cause l’accord UE-USA, lors de l’application duquel il conviendrait de tenir compte des droits fondamentaux consacrés par la Charte. En outre, selon la juridiction de renvoi, au moment de son arrestation, HF avait le droit de circuler librement en vertu de l’article 20, paragraphe 1, de la CAAS, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du code frontières Schengen, ainsi qu’avec l’article 4, paragraphe 1, du règlement 2018/1806, étant donné que, en tant que ressortissant serbe, il était exempté de l’obligation de visa. Ainsi, dans le cadre de l’application de l’article 20 de la CAAS, lesdits droits fondamentaux devraient être pris en compte.

47      Cela étant, en second lieu, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la question de savoir si l’article 50 de la Charte, lu en combinaison avec l’article 54 de la CAAS, peut avoir pour conséquence qu’un ressortissant d’un État tiers ne puisse pas être extradé vers les États-Unis.

48      À cet égard, elle indique que, dans l’arrêt Notice rouge d’Interpol, la Cour s’est référée au droit à la libre circulation, au sens de l’article 21 TFUE, de la personne visée par une notice rouge, à savoir un ressortissant allemand, avant de conclure que cette personne bénéficiait du principe ne bis in idem, tel que garanti à l’article 54 de la CAAS, dans le contexte de la publication d’une notice rouge d’Interpol visant à l’arrestation provisoire de cette personne en vue de son éventuelle extradition vers un État tiers.

49      Or, HF, en tant que ressortissant serbe, ne bénéficierait pas du droit à la libre circulation au sens de l’article 21, paragraphe 1, TFUE. En revanche, étant exempté de l’obligation de visa, il bénéficierait du droit à la libre circulation au sens de l’article 20 de la CAAS. Il conviendrait ainsi d’examiner si le droit à la libre circulation au sens de cette dernière disposition peut être limité dans des circonstances telles que celles en cause dans l’affaire au principal.

50      À cet égard, la juridiction de renvoi inclinerait plutôt à considérer que les dispositions combinées de l’article 54 de la CAAS et de l’article 50 de la Charte ne s’opposent pas à l’extradition de HF vers les États-Unis, étant donné que cette juridiction est tenue de respecter l’obligation d’extradition prévue par le traité d’extradition Allemagne‑USA.

51      Pour parvenir à cette conclusion, la juridiction de renvoi prend appui sur une interprétation de l’article 351, premier alinéa, TFUE en vertu de laquelle celui-ci viserait également les conventions qui, bien qu’ayant été conclues après le 1er janvier 1958, concernent un domaine pour lequel l’Union n’est devenue compétente que postérieurement à la conclusion desdites conventions, en raison d’une extension des compétences de l’Union qui n’était objectivement pas prévisible pour l’État membre concerné lors de la conclusion de ces conventions.

52      Or, le traité d’extradition Allemagne‑USA est entré en vigueur le 30 juillet 1980, soit antérieurement à la conclusion, le 14 juin 1985, de l’accord entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, et, a fortiori, antérieurement à la conclusion, le 19 juin 1990, de la CAAS et, le 2 octobre 1997, du protocole, annexé au traité d’Amsterdam, ayant intégré l’acquis de Schengen dans le cadre de l’Union. Ainsi, la République fédérale d’Allemagne n’aurait pas pu prévoir, lors de la conclusion du traité d’extradition Allemagne-USA, qu’un principe ne bis in idem à l’échelle européenne ou que la coopération judiciaire en matière pénale seraient intégrés dans les domaines de compétence de l’Union.

53      De plus, comme l’accord UE-USA ne prévoirait pas un tel principe ne bis in idem à l’échelle européenne, il pourrait en être déduit a contrario qu’un traité bilatéral d’extradition qui se borne à énoncer une interdiction nationale de la double peine devrait continuer à être respecté.

54      Dans ces conditions, l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 54 de la [CAAS], lu en combinaison avec l’article 50 de la [Charte], doit-il être interprété en ce sens que ces dispositions s’opposent à l’extradition d’un ressortissant d’un État tiers qui n’est pas un citoyen de l’Union au sens de l’article 20 TFUE par les autorités d’un État partie à cette convention et d’un État membre de l’Union européenne vers un État tiers, lorsque la personne concernée a déjà été définitivement jugée par un autre État membre de l’Union européenne pour les mêmes faits que ceux visés par la demande d’extradition, que ce jugement a été exécuté et que la décision de refuser l’extradition de cette personne vers l’État tiers ne serait possible qu’au prix d’une violation d’un traité bilatéral d’extradition existant avec cet État tiers ? »

 Sur la demande d’application de la procédure préjudicielle d’urgence

55      La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 23 bis, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

56      À l’appui de sa demande, la juridiction de renvoi a invoqué le fait que HF se trouve, depuis le 20 janvier 2022, sous écrou extraditionnel en Allemagne aux fins de la procédure d’extradition en cause au principal et que la réponse à la question posée est susceptible d’avoir des conséquences sur ledit écrou extraditionnel.

57      Il convient de relever, en premier lieu, que la présente demande de décision préjudicielle porte, notamment, sur l’interprétation de l’article 54 de la CAAS et que, ainsi qu’il ressort de l’article 2 de la décision 1999/436 et de l’annexe A de celle-ci, le Conseil a désigné les articles 34 et 31 UE comme bases juridiques de l’article 54 de la CAAS.

58      Si l’article 34 UE a été abrogé par le traité de Lisbonne, les dispositions de l’article 31 UE ont été reprises aux articles 82, 83 et 85 TFUE. Ces dernières dispositions relèvent du titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. La présente demande est, partant, susceptible de faire l’objet de la procédure préjudicielle d’urgence, conformément à l’article 23 bis, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 107, paragraphe 1, du règlement de procédure.

59      En second lieu, s’agissant du critère relatif à l’urgence, il résulte d’une jurisprudence constante que ce critère est satisfait lorsque la personne concernée dans l’affaire au principal est, à la date d’introduction de la demande de décision préjudicielle, privée de liberté et que son maintien en détention dépend de la solution du litige au principal [arrêt du 28 avril 2022, C et CD (Obstacles juridiques à l’exécution d’une décision de remise), C‑804/21 PPU, EU:C:2022:307, point 39 ainsi que jurisprudence citée].

60      En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que HF est actuellement placé en état d’arrestation provisoire et que, en fonction de la réponse apportée à la question posée, la juridiction de renvoi pourrait être amenée à ordonner la remise en liberté de HF.

61      Dans ces conditions, la deuxième chambre de la Cour a décidé, le 15 juillet 2022, sur proposition de la juge rapporteure, l’avocat général entendu, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence.

62      Elle a, par ailleurs, décidé, sur le fondement de l’article 113, paragraphe 2, du règlement de procédure, de renvoyer la présente affaire devant la Cour, aux fins de son attribution à la grande chambre.

 Sur la question préjudicielle

63      Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 54 de la CAAS, lu à la lumière de l’article 50 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’extradition, par les autorités d’un État membre, d’un ressortissant d’un État tiers vers un autre État tiers lorsque, d’une part, ce ressortissant a été définitivement condamné dans un autre État membre pour les mêmes faits que ceux visés dans la demande d’extradition et a subi la peine qui y a été prononcée et, d’autre part, la demande d’extradition se fonde sur un traité bilatéral d’extradition limitant la portée du principe ne bis in idem aux jugements prononcés dans l’État membre requis.

64      À titre liminaire, il convient de rappeler que le principe ne bis in idem constitue un principe fondamental du droit de l’Union, qui est désormais consacré à l’article 50 de la Charte (arrêts du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 22, ainsi que du 22 mars 2022, Nordzucker e.a., C‑151/20, EU:C:2022:203, point 28).

65      En outre, ce principe, consacré également à l’article 54 de la CAAS, résulte des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Il convient donc d’interpréter ce dernier article à la lumière de l’article 50 de la Charte, dont il assure le respect du contenu essentiel (voir, en ce sens, arrêt Notice rouge d’Interpol, point 70 et jurisprudence citée).

66      Eu égard aux doutes exprimés par la juridiction de renvoi et exposés aux points 47 à 53 du présent arrêt, il convient d’examiner, dans un premier temps, les éléments d’interprétation relatifs à l’article 54 de la CAAS, avant de se pencher sur l’incidence éventuelle, pour l’application de cet article dans le litige au principal, du traité d’extradition Allemagne-USA ainsi que de l’article 351, premier alinéa, TFUE.

 Sur l’article 54 de la CAAS

67      Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt Notice rouge d’Interpol, point 77 et jurisprudence citée).

68      Ainsi qu’il ressort de son libellé, l’article 54 de la CAAS s’oppose à ce qu’un État membre poursuive une personne pour les mêmes faits que ceux pour lesquels elle a déjà été définitivement jugée par un autre État membre, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de ce dernier État.

69      En l’occurrence, la juridiction de renvoi interroge spécifiquement la Cour, d’une part, sur l’application de cette disposition en ce qui concerne une demande formelle d’extradition et, d’autre part, sur le point de savoir si la notion de « personne », visée à cette disposition, inclut un ressortissant d’un États tiers.

70      À cet égard, premièrement, il y a lieu de considérer que la notion de « poursuite », au sens de l’article 54 de la CAAS, couvre une demande d’extradition. En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a constaté, en substance, au point 46 de ses conclusions, si l’arrestation provisoire d’une personne faisant l’objet d’une notice rouge d’Interpol, dont l’objectif est de permettre l’éventuelle extradition de cette personne vers un État tiers, relève de cette notion, il en va a fortiori de même s’agissant de l’exécution d’une demande d’extradition, dès lors qu’une telle exécution constitue un acte d’un État membre contribuant à l’exercice effectif de poursuites pénales dans l’État tiers concerné.

71      Deuxièmement, s’agissant du point de savoir si la notion de « personne », visée à l’article 54 de la CAAS, inclut un ressortissant d’un État tiers, il convient de relever que cet article garantit la protection du principe ne bis in idem lorsqu’« [u]ne personne » a été définitivement jugée par un État membre.

72      Ainsi, force est de constater, tout d’abord, que le libellé de l’article 54 de la CAAS n’établit pas de condition relative au fait de posséder la nationalité d’un État membre.

73      Ensuite, cette conclusion est confortée par le contexte de cette disposition.

74      En effet, l’article 50 de la Charte, à la lumière duquel doit être interprété l’article 54 de la CAAS, dispose que « nul » ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi. Dès lors, l’article 50 de la Charte n’établit pas non plus de lien avec la qualité de citoyen de l’Union. Par ailleurs, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 49 de ses conclusions, cet article 50 figure non pas sous le chapitre V de la Charte, relatif à la « [c]itoyenneté », mais sous le chapitre VI de celle-ci, relatif à la « [j]ustice ».

75      Enfin, l’interprétation de l’article 54 de la CAAS selon laquelle la notion de « personne » visée à cette disposition inclut un ressortissant d’un État tiers est également confortée par les objectifs que poursuit ladite disposition.

76      En effet, d’une part, il ressort de la jurisprudence que le principe ne bis in idem énoncé audit article vise à éviter, dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice, qu’une personne définitivement jugée ne soit, par le fait d’exercer son droit de libre circulation, poursuivie pour les mêmes faits sur le territoire de plusieurs États membres, afin de garantir la sécurité juridique par le respect des décisions des organes publics devenues définitives (voir, en ce sens, arrêt Notice rouge d’Interpol, point 79).

77      D’autre part, la Cour a jugé que, en tant que corollaire du principe de l’autorité de la chose jugée, le principe ne bis in idem a pour objet de garantir la sécurité juridique et l’équité en assurant que, lorsqu’elle a été poursuivie et, le cas échéant, condamnée, la personne concernée a la certitude qu’elle ne sera pas de nouveau poursuivie pour la même infraction (arrêt du 22 mars 2022, Nordzucker e.a., C‑151/20, EU:C:2022:203, point 62). L’article 54 de la CAAS assure ainsi la paix civique des personnes qui, après avoir été poursuivies, ont été définitivement jugées (arrêt du 28 septembre 2006, Gasparini e.a., C‑467/04, EU:C:2006:610, point 27).

78      Ainsi, au regard des objectifs poursuivis par l’article 54 de la CAAS, il y a lieu de considérer que l’application de cette disposition ne saurait être limitée aux seuls ressortissants d’un État membre, cette disposition visant, plus largement, à garantir que quiconque a été condamné et a purgé sa peine ou, le cas échéant, a été définitivement acquitté dans un État membre peut se déplacer à l’intérieur de l’espace Schengen sans avoir à craindre des poursuites, pour les mêmes faits, dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2016, Kossowski, C‑486/14, EU:C:2016:483, point 45).

79      Il convient encore d’ajouter que, lors de l’audience, la question a été soulevée de savoir si le caractère régulier ou non du séjour de HF lors de son arrestation était pertinent aux fins de déterminer si celui-ci relève ou non de l’article 54 de cette convention.

80      Or, un tel élément est dépourvu d’incidence sur l’application de l’article 54 de la CAAS. En effet, quand bien même le séjour de la personne concernée ne serait pas ou plus régulier lors de son arrestation, cette circonstance n’entraînerait pas son exclusion du bénéfice de la protection conférée par cet article.

81      Certes, ainsi qu’il a été relevé au point 76 du présent arrêt, le principe ne bis in idem énoncé à l’article 54 de la CAAS a, notamment, pour but de garantir à une personne qui a été définitivement jugée dans un État membre qu’elle puisse se déplacer à l’intérieur de l’espace Schengen sans avoir à craindre des poursuites, pour les mêmes faits, dans un autre État membre.

82      Cependant, il ne ressort aucunement de cette disposition que le bénéfice du droit fondamental qui y est prévu serait subordonné, en ce qui concerne les ressortissants d’États tiers, au respect de conditions relatives au caractère régulier de leur séjour ou au bénéfice d’un droit à la libre circulation au sein de l’espace Schengen. En effet, la seule exigence établie par ladite disposition et applicable dans tous les cas de figure est celle d’avoir été définitivement jugé dans l’un des États membres, étant entendu que, en cas de condamnation, la sanction doit avoir été subie, ou être actuellement en cours d’exécution ou ne plus pouvoir être exécutée selon les lois de l’État de condamnation.

83      Il convient également de souligner qu’aucune autre disposition de la CAAS ne subordonne l’application de l’article 54 de celle-ci à des conditions relatives au caractère régulier du séjour de l’intéressé ou au bénéfice d’un droit à la libre circulation au sein de l’espace Schengen. En outre, alors que cette disposition relève du titre III de la CAAS, intitulé « Police et sécurité », les dispositions relatives aux conditions de circulation des étrangers figurent dans le titre II de cette convention, intitulé « Suppression des contrôles aux frontières intérieures et circulation des personnes ».

84      Par ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé aux points 76 et 77 du présent arrêt, le principe ne bis in idem énoncé à l’article 54 de la CAAS vise également à garantir la sécurité juridique au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, par le respect des décisions des organes publics des États membres devenues définitives.

85      Or, la protection de toute personne définitivement jugée dans un État membre, indépendamment de sa nationalité et de la régularité de son séjour, contre de nouvelles poursuites pour les mêmes faits dans un autre État membre contribue à la réalisation de cet objectif.

86      Il en résulte que, dans une affaire telle que celle au principal, indépendamment du point de savoir si la personne concernée se trouvait ou non en séjour régulier lors de son arrestation, et donc du fait de savoir si elle bénéficiait ou non d’un droit à la libre circulation au titre de l’article 20, paragraphe 1, de la CAAS, elle doit être considérée comme relevant de l’article 54 de celle-ci.

87      Ce constat n’est pas remis en cause par le fait que, ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, dans l’arrêt Notice rouge d’Interpol, la Cour s’est référée à plusieurs reprises au droit à la libre circulation, au sens de l’article 21 TFUE.

88      En effet, il découle de cet arrêt, en particulier des points 89 à 93 et 106 de celui-ci, que la Cour, dans ledit arrêt, a interprété l’article 54 de la CAAS à la lumière du seul article 50 de la Charte, et non de l’article 21 TFUE. Par ailleurs, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 52 de ses conclusions, les références à l’article 21 TFUE contenues dans cet arrêt s’expliquent par les circonstances de l’affaire ayant donné lieu à celui-ci, dans laquelle un ressortissant allemand se plaignait du fait que la publication d’une notice rouge d’Interpol le visant l’empêchait d’exercer son droit à la libre circulation au titre de cet article, en ce qu’il ne pouvait pas, sans s’exposer à un risque d’arrestation, se rendre dans un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne.

89      La Cour n’a d’ailleurs, dans l’arrêt du 27 mai 2014, Spasic (C‑129/14 PPU, EU:C:2014:586, points 61 à 63), pas émis de réserve quant à l’applicabilité dans le litige au principal de l’article 54 de la CAAS, lu à la lumière de l’article 3, paragraphe 2, TUE, alors que ce litige concernait, à l’instar de l’affaire au principal, un ressortissant serbe ne bénéficiant pas du droit à la libre circulation garanti à l’article 21 TFUE.

90      Il s’ensuit que l’article 54 de la CAAS, lu à la lumière de l’article 50 de la Charte, s’oppose à l’extradition, par les autorités d’un État membre, d’un ressortissant d’un État tiers vers un autre État tiers lorsque, d’une part, ce ressortissant a déjà été définitivement jugé par un autre État membre pour les mêmes faits que ceux visés dans la demande d’extradition et, d’autre part, en cas de condamnation, la peine a été subie, est actuellement en cours d’exécution ou ne peut plus être exécutée selon les lois de cet autre État membre.

91      Cette interprétation de l’article 54 de la CAAS ne saurait être remise en cause par les arguments, soulevés par le parquet général de Munich et le gouvernement allemand aussi bien dans leurs observations écrites que lors de l’audience, selon lesquels il y aurait lieu, en cas de demande d’extradition d’un ressortissant d’un État tiers vers un autre État tiers, d’interpréter ledit article de façon restrictive afin de garantir le bon fonctionnement de la justice et l’efficacité des poursuites pénales. Dans ce contexte, ces intéressés émettent des réserves quant au point de savoir si la procédure qui s’est déroulée devant les juridictions slovènes a pris en compte l’ensemble des éléments pertinents pour juger les actes commis par HF pendant la période considérée par lesdites juridictions, en particulier certaines informations dont auraient disposé les autorités des États-Unis.

92      À cet égard, il y a lieu de rappeler que tant le principe de confiance mutuelle entre les États membres que le principe de reconnaissance mutuelle, qui repose lui-même sur la confiance réciproque entre ces derniers, ont, dans le droit de l’Union, une importance fondamentale, étant donné qu’ils permettent la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures (arrêt du 15 octobre 2019, Dorobantu, C‑128/18, EU:C:2019:857, point 46 et jurisprudence citée).

93      S’agissant, en particulier, de l’article 54 de la CAAS, la Cour a jugé que celui-ci implique nécessairement qu’il existe une confiance mutuelle des États membres dans leurs systèmes respectifs de justice pénale et que chacun de ceux-ci accepte l’application du droit pénal en vigueur dans les autres États membres, quand bien même la mise en œuvre de son propre droit national conduirait à une solution différente. Cette confiance mutuelle nécessite que les autorités compétentes concernées du second État membre acceptent une décision définitive qui a été rendue sur le territoire du premier État membre telle qu’elle a été communiquée à ces autorités (voir, en ce sens, arrêt Notice rouge d’Interpol, point 80 et jurisprudence citée).

94      Or, une interprétation de l’article 54 de la CAAS telle que celle préconisée par le parquet général de Munich et le gouvernement allemand, en ce qu’elle reviendrait à permettre l’exercice de poursuites pénales multiples contre une même personne pour les mêmes faits que ceux pour lesquels elle a été définitivement condamnée ou acquittée dans un autre État membre, remettrait en question, dans les rapports entre les États membres, le fondement même de l’espace de liberté, de sécurité et de justice en tant qu’espace sans frontières intérieures et méconnaîtrait les principes de confiance mutuelle et de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale sur lesquels cette disposition repose.

 Sur le traité d’extradition Allemagne-USA et sur l’accord UE-USA

95      La juridiction de renvoi cherche également à savoir si le fait, d’une part, que l’accord UE-USA ne prévoit pas un motif de refus fondé sur le principe ne bis in idem et, d’autre part, que le traité d’extradition Allemagne-USA limite la portée du principe ne bis in idem aux jugements prononcés dans l’État requis est susceptible d’avoir une incidence sur la réponse à apporter à la question préjudicielle.

96      À cet égard, il découle de l’article 1er de l’accord UE-USA que l’Union et les États-Unis se sont engagés, conformément aux dispositions de cet accord, à renforcer leur coopération « dans le cadre des relations en vigueur entre les États membres et les États-Unis d’Amérique en matière d’extradition des délinquants ».

97      Par ailleurs, il résulte de son article 3, intitulé « Champ d’application par rapport aux traités bilatéraux d’extradition conclus par les États membres », que les dispositions de l’accord UE-USA figurant aux articles 4 à 14 de celui-ci remplacent ou complètent, selon les conditions et les modalités prévues à cet article 3, les dispositions des traités bilatéraux d’extradition conclus entre les États membres et les États-Unis.

98      Dès lors, l’accord UE-USA s’applique aux relations existant entre les États membres et les États-Unis en matière d’extradition, à savoir aux relations régies par des traités bilatéraux d’extradition en vigueur, tels que le traité d’extradition Allemagne-USA. Comme le fait valoir la Commission européenne, ledit accord fournit ainsi un cadre commun applicable aux procédures d’extradition vers les États-Unis, dans lequel s’insèrent les traités bilatéraux d’extradition existants.

99      En outre, l’article 16 de l’accord UE‑USA stipule, à son paragraphe 1, que celui-ci s’applique aux infractions commises tant avant qu’après son entrée en vigueur, à savoir le 1er février 2010, et, à son paragraphe 2, qu’il s’applique aux demandes d’extradition formulées après cette entrée en vigueur.

100    Or, dans la mesure où cet accord ne prévoit pas directement de procédure d’extradition, mais s’appuie sur les procédures d’extradition prévues dans les traités bilatéraux d’extradition en vigueur, les demandes d’extradition visées à son article 16, paragraphe 2, doivent nécessairement être formulées sur le fondement d’un traité bilatéral d’extradition entre un État membre et les États-Unis, tel que le traité d’extradition Allemagne-USA.

101    Il s’ensuit que l’accord UE-USA est applicable à une procédure d’extradition telle que celle en cause au principal, dès lors que la demande d’extradition a été formulée, sur le fondement du traité d’extradition Allemagne-USA, postérieurement à l’entrée en vigueur de cet accord (voir, par analogie, arrêt du 10 avril 2018, Pisciotti, C‑191/16, EU:C:2018:222, point 32).

102    Certes, l’accord UE‑USA ne prévoit pas explicitement que l’applicabilité du principe ne bis in idem permettrait aux autorités des États membres de refuser une extradition demandée par les États-Unis (arrêt Notice rouge d’Interpol, point 97).

103    Cependant, l’article 17, paragraphe 2, de l’accord UE-USA vise les situations dans lesquelles les principes constitutionnels de l’État requis ou des décisions judiciaires définitives ayant un caractère contraignant sont de nature à faire obstacle à l’exécution de son obligation d’extradition et où ni l’accord UE-USA ni le traité bilatéral applicable ne permettent de résoudre la question, en prévoyant que, dans de telles situations, l’État requis et l’État requérant procèdent à des consultations (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2018, Pisciotti, C‑191/16, EU:C:2018:222, point 40).

104    Cet article 17, paragraphe 2, permet donc, en principe, qu’un État membre réserve, sur le fondement soit des règles de son droit constitutionnel, soit de décisions judiciaires définitives ayant un caractère contraignant, un sort particulier aux personnes ayant déjà été définitivement jugées pour la même infraction pour laquelle l’extradition est demandée, en interdisant celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2018, Pisciotti, C‑191/16, EU:C:2018:222, point 41). Il constitue ainsi une base juridique autonome et subsidiaire pour l’application du principe ne bis in idem dans le cadre d’une demande d’extradition adressée par les États-Unis à un État membre, lorsque le traité bilatéral applicable ne permet pas de résoudre cette question.

105    La juridiction de renvoi fait toutefois observer que, si l’article 8 du traité d’extradition Allemagne-USA prévoit que l’extradition n’est pas accordée si la personne poursuivie a déjà été définitivement jugée par les autorités compétentes de l’État requis pour l’infraction pour laquelle l’extradition est demandée, il n’envisage pas une telle possibilité en présence d’un jugement définitif intervenu dans un autre État.

106    Le pouvoir dont disposent les États membres d’adopter des règles relatives aux procédures d’extradition doit néanmoins être exercé conformément au droit de l’Union, dont relèvent l’article 54 de la CAAS et l’article 50 de la Charte, applicable au litige au principal eu égard aux constats posés aux points 86 et 101 du présent arrêt. En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, si, en l’absence de règles du droit de l’Union régissant les procédures d’extradition vers un État tiers, les États membres demeurent compétents pour adopter de telles règles, ces mêmes États membres sont tenus d’exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Notice rouge d’Interpol, point 100 et jurisprudence citée).

107    Or, dans la décision de renvoi, la juridiction de renvoi indique que l’article 8 du traité d’extradition Allemagne-USA doit être interprété comme excluant les jugements prononcés dans les autres États membres.

108    À défaut de pouvoir procéder à une interprétation conforme, le principe de primauté impose au juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union l’obligation d’assurer le plein effet des exigences de ce droit dans le litige dont il est saisi en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute réglementation nationale, même postérieure, qui est contraire à une disposition du droit de l’Union qui est d’effet direct, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de cette réglementation nationale par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel [voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2022, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Effet direct), C‑205/20, EU:C:2022:168, point 37 et jurisprudence citée].

109    À cet égard, la Cour a jugé, s’agissant du principe ne bis in idem consacré à l’article 50 de la Charte, que cette disposition est dotée d’un effet direct (arrêts du 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a., C‑537/16, EU:C:2018:193, point 68, ainsi que du 24 octobre 2018, XC e.a., C‑234/17, EU:C:2018:853, point 38). Eu égard à la jurisprudence rappelée au point 65 du présent arrêt, il en va de même de l’article 54 de la CAAS.

110    Par conséquent, ainsi que l’exige la jurisprudence citée au point 108 du présent arrêt, il incombe à la juridiction de renvoi d’assurer le plein effet de l’article 54 de la CAAS et de l’article 50 de la Charte dans le litige au principal, en laissant inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition du traité d’extradition Allemagne‑USA qui est incompatible avec le principe ne bis in idem consacré à ces articles, sans qu’elle ait à attendre que la République fédérale d’Allemagne procède à une éventuelle renégociation dudit traité.

111    Il est sans pertinence à cet égard que, comme l’avance la juridiction de renvoi, la République fédérale d’Allemagne et les États-Unis aient convenu, dans le cadre des négociations de ce traité d’extradition ayant eu lieu au cours de l’année 1978, que les décisions prononcées dans des États tiers ne feraient pas obstacle à l’extradition. En effet, sans préjudice de l’examen de l’article 351 TFUE aux points 115 à 127 du présent arrêt, un tel engagement ne saurait primer sur les obligations découlant, pour cet État membre, des dispositions du droit de l’Union citées au point précédent du présent arrêt à compter de leur entrée en vigueur.

112    Il convient d’ajouter que, dans l’hypothèse où est exclue une interprétation des dispositions pertinentes du traité d’extradition Allemagne-USA qui soit conforme à l’article 54 de la CAAS et à l’article 50 de la Charte, tels qu’interprétés au point 90 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que ledit traité ne permet pas de résoudre une question relative à l’application du principe ne bis in idem telle que celle soulevée dans le litige au principal, de sorte que cette question doit être résolue sur le fondement de l’article 17, paragraphe 2, de l’accord UE-USA, lu à la lumière dudit article 50.

113    En effet, eu égard au constat posé au point 104 du présent arrêt et ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 67 et 68 de ses conclusions, une décision judiciaire telle que le jugement de l’Okrožno sodišče v Mariboru (tribunal régional de Maribor), du 6 juillet 2012, peut relever de l’article 17, paragraphe 2, de l’accord UE-USA, dès lors qu’il découle du libellé même de cette disposition qu’une décision judiciaire définitive ayant un caractère contraignant est susceptible de faire obstacle à l’obligation d’extradition pesant sur l’État requis dans une situation où le traité bilatéral d’extradition conclu entre l’État membre concerné et les États-Unis ne permet pas de résoudre la question de l’application du principe ne bis in idem.

114    Il s’ensuit que la circonstance que le traité d’extradition Allemagne-USA limite la portée du principe ne bis in idem aux jugements prononcés dans l’État requis ne saurait remettre en cause l’applicabilité de l’article 54 de la CAAS dans un litige tel que celui au principal, découlant de l’interprétation de cette disposition opérée au point 90 du présent arrêt.

 Sur l’article 351 TFUE

115    Il convient encore d’examiner si, comme le fait valoir la juridiction de renvoi, l’article 351, premier alinéa, TFUE peut être interprété en ce sens que le traité d’extradition Allemagne-USA n’est pas affecté par les dispositions du droit de l’Union, de sorte que les autorités allemandes pourraient faire droit à la demande d’extradition en cause au principal sans violer le droit de l’Union.

116    Aux termes de l’article 351, premier alinéa, TFUE, les droits et les obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions des traités.

117    Il convient de constater que, ainsi que le reconnaît la juridiction de renvoi elle-même, cette disposition, à s’en tenir à son libellé, n’est pas applicable au litige au principal, dès lors que le traité d’extradition Allemagne-USA a été signé le 20 juin 1978 et est entré en vigueur le 30 juillet 1980, soit postérieurement au 1er janvier 1958.

118    La juridiction de renvoi se demande, néanmoins, s’il n’y a pas lieu d’interpréter cette disposition de façon large, comme visant également les conventions conclues par un État membre postérieurement au 1er janvier 1958 ou à la date de son adhésion, mais antérieurement à la date à laquelle l’Union est devenue compétente dans le domaine concerné par ces conventions.

119    À cet égard, il importe de constater que l’article 351, premier alinéa, TFUE est une règle qui peut, lorsque ses conditions d’application sont réunies, permettre des dérogations à l’application du droit de l’Union, y compris du droit primaire (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 301 ainsi que jurisprudence citée).

120    Or, il est de jurisprudence constante que les exceptions sont d’interprétation stricte afin que les règles générales ne soient pas vidées de leur substance (arrêt du 26 février 2015, Wucher Helicopter et Euro-Aviation Versicherung, C‑6/14, EU:C:2015:122, point 24 ainsi que jurisprudence citée).

121    Une telle interprétation stricte s’impose tout particulièrement s’agissant de l’article 351, premier alinéa, TFUE, dès lors que cette disposition permet de déroger non pas à un principe concret, mais à l’application de n’importe laquelle des dispositions des traités.

122    En outre, une telle interprétation stricte s’impose également au regard de l’obligation incombant aux États membres, en vertu de l’article 351, deuxième alinéa, TFUE de recourir à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités existantes entre une convention et les traités (voir, en ce sens, arrêts du 3 mars 2009, Commission/Autriche, C‑205/06, EU:C:2009:118, point 45 ; du 3 mars 2009, Commission/Suède, C‑249/06, EU:C:2009:119, point 45, ainsi que du 22 octobre 2020, Ferrari, C‑720/18 et C‑721/18, EU:C:2020:854, point 67).

123    De surcroît, la référence, dans l’article 351, premier alinéa, TFUE, à la date du 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, à la date de leur adhésion, a été insérée par le traité d’Amsterdam, entré en vigueur le 1er mai 1999. En effet, l’article 234 du traité CE utilisait, jusqu’alors, la formule « antérieurement à l’entrée en vigueur du présent traité ».

124    Ainsi, lorsque, au cours de la négociation du traité d’Amsterdam, les États membres ont modifié ce qui est désormais l’article 351, premier alinéa, TFUE, ils ont décidé de fixer comme dates pertinentes le 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, la date de leur adhésion. Ce texte n’a pas fait l’objet de modifications lors de l’adoption des traités de Nice et de Lisbonne.

125    Alors qu’ils étaient déjà conscients, lors de la conclusion de ces traités, de ce que les compétences de l’Union peuvent évoluer de façon significative dans le temps, y compris dans des domaines qui faisaient l’objet de conventions qu’ils avaient conclues avec des États tiers, les États membres n’ont pas prévu la possibilité de prendre en compte, aux fins de l’article 351, premier alinéa, TFUE, la date à laquelle l’Union est devenue compétente dans un domaine donné.

126    Il s’ensuit que cette disposition dérogatoire doit être interprétée en ce sens qu’elle ne vise que les conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion.

127    Par conséquent, l’article 351, premier alinéa, TFUE n’est pas applicable au traité d’extradition Allemagne-USA.

 Sur l’identité des faits

128    Afin de fournir une réponse qui soit la plus utile possible à la juridiction de renvoi, il y a encore lieu de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie de la Cour, le critère pertinent aux fins d’apprécier l’existence d’une même infraction, au sens de l’article 50 de la Charte, est celui de l’identité des faits matériels, compris comme l’existence d’un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles qui ont conduit à l’acquittement ou à la condamnation définitive de la personne concernée. Ainsi, cet article interdit d’infliger, pour des faits identiques, plusieurs sanctions de nature pénale à l’issue de différentes procédures menées à ces fins (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 33 et jurisprudence citée).

129    Dès lors, la condition tenant à l’existence d’une même infraction requiert que les faits matériels soient identiques. En revanche, le principe ne bis in idem n’a pas vocation à s’appliquer lorsque les faits en cause sont non pas identiques, mais seulement similaires (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 36).

130    En effet, l’identité des faits matériels s’entend comme un ensemble de circonstances concrètes découlant d’événements qui sont, en substance, les mêmes, en ce qu’ils impliquent le même auteur et sont indissociablement liés entre eux dans le temps et dans l’espace (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 37).

131    En l’occurrence, d’une part, il ressort de la décision de renvoi que la demande d’extradition en cause au principal vise des infractions que HF aurait commises entre le mois de septembre 2008 et le mois de décembre 2013. D’autre part, la juridiction de renvoi souligne que les faits pour lesquels HF a été définitivement jugé en Slovénie sont identiques à ceux visés par cette demande d’extradition, dans la mesure où y sont décrites des infractions commises jusqu’au mois de juin 2010. Ainsi, elle relève que la condamnation prononcée par les juridictions slovènes ne couvre qu’une partie des faits qui font l’objet de ladite demande d’extradition.

132    Or, la question posée dans la présente affaire repose sur la prémisse selon laquelle les faits visés par une demande d’extradition sont les mêmes que ceux pour lesquels la personne poursuivie a déjà été définitivement condamnée par les juridictions d’un autre État membre.

133    À cet égard, c’est à la juridiction de renvoi, seule compétente pour statuer sur les faits, et non à la Cour, qu’il incombe de déterminer si les faits faisant l’objet de la demande d’extradition en cause au principal sont les mêmes que ceux qui ont été définitivement jugés par les juridictions slovènes (voir, par analogie, arrêts du 28 septembre 2006, Gasparini e.a., C‑467/04, EU:C:2006:610, point 56, ainsi que du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 38). Cela étant, la Cour peut fournir à ladite juridiction des éléments d’interprétation du droit de l’Union dans le cadre de l’appréciation de l’identité des faits (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, Nordzucker e.a., C‑151/20, EU:C:2022:203, point 42).

134    À ce titre, eu égard à la jurisprudence rappelée aux points 128 à 130 du présent arrêt, il convient de préciser, d’une part, que le principe ne bis in idem, au sens de l’article 54 de la CAAS, lu à la lumière de l’article 50 de la Charte, ne saurait faire obstacle à l’extradition en ce qui concerne les infractions prétendument commises par la personne concernée dont les éléments factuels se situeraient, selon les appréciations de la juridiction de l’État membre requis au vu du dossier dont elle dispose, en dehors de la période prise en compte aux fins de la condamnation par les juridictions d’un autre État membre.

135    D’autre part, le principe ne bis in idem ne saurait couvrir d’éventuelles infractions visées par la demande d’extradition qui, bien qu’ayant été commises au cours de la période prise en compte aux fins de cette condamnation, concerneraient des faits matériels autres que ceux ayant fait l’objet de ladite condamnation (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2010, Mantello, C‑261/09, EU:C:2010:683, point 50).

136    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 54 de la CAAS, lu à la lumière de l’article 50 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’extradition, par les autorités d’un État membre, d’un ressortissant d’un État tiers vers un autre État tiers lorsque, d’une part, ce ressortissant a été définitivement condamné dans un autre État membre pour les mêmes faits que ceux visés dans la demande d’extradition et a subi la peine qui y a été prononcée et, d’autre part, la demande d’extradition se fonde sur un traité bilatéral d’extradition limitant la portée du principe ne bis in idem aux jugements prononcés dans l’État membre requis.

 Sur les dépens

137    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

L’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995, telle que modifiée par le règlement (UE) n° 610/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, lu à la lumière de l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à l’extradition, par les autorités d’un État membre, d’un ressortissant d’un État tiers vers un autre État tiers lorsque, d’une part, ce ressortissant a été définitivement condamné dans un autre État membre pour les mêmes faits que ceux visés dans la demande d’extradition et a subi la peine qui y a été prononcée et, d’autre part, la demande d’extradition se fonde sur un traité bilatéral d’extradition limitant la portée du principe ne bis in idem aux jugements prononcés dans l’État membre requis.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.