Language of document : ECLI:EU:T:2018:937

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

13 décembre 2018 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Sanction disciplinaire – Révocation – Droits de la défense – Devoir de sollicitude – Article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut – Articles 41 et 52 de la charte des droits fondamentaux – Responsabilité – Réalité du préjudice – Lien de causalité »

Dans l’affaire T‑743/16 RENV,

CX, fonctionnaire de la Commission européenne, représenté par Me É. Boigelot, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes F. Simonetti et C. Ehrbar, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du 16 octobre 2013 dans laquelle la Commission a constaté que le requérant s’était rendu coupable de deux fautes lourdes et lui a, en conséquence, infligé la sanction de la révocation sans réduction de ses droits à pension ainsi que, d’autre part, à la réparation des préjudices que le requérant aurait prétendument subis en raison de cette décision,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Frimodt Nielsen (rapporteur), président, I. S. Forrester et E. Perillo, juges,

greffier : Mme M. Marescaux, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 3 mai 2018,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

1        Le requérant, CX, est entré au service de la Commission européenne en qualité de fonctionnaire stagiaire de grade A 8 le 1er septembre 1996. Il a occupé différents postes d’administrateur dans le domaine de la communication et était affecté, en dernier lieu, à la direction générale (DG) « Communication », direction « Citoyens », au sein de l’unité « Information des citoyens et communication interne », en tant que fonctionnaire de grade AD 9.

2        En 2001, la Commission a lancé, sous le nom d’« Eurobaromètre [p]ays [c]andidats », une série de sondages dans les États qui étaient alors candidats à l’adhésion à l’Union européenne. La mise en œuvre de ces sondages a été confiée à la société G., dans le cadre d’un contrat-cadre également dénommé « Eurobaromètre [p]ays [c]andidats ». De 2001 à 2003, le requérant était chargé de ce contrat-cadre.

3        Le 30 octobre 2009, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a ouvert une enquête portant sur les activités du requérant, soupçonné de se trouver dans une « situation de conflit d’intérêts/corruption dans le cadre de marchés de communication ». Le requérant en a été informé le 15 avril 2010.

4        Le requérant a été entendu par l’OLAF le 3 mai 2011. Le 18 avril 2012, l’OLAF a adopté son rapport d’enquête final, dans lequel il a estimé qu’une série d’irrégularités était imputable au requérant (ci-après le « rapport d’enquête de l’OLAF »).

5        Par une note du 23 avril 2012 intitulée « Recommandation en vue de l’ouverture d’une procédure disciplinaire à la suite d’une enquête de l’OLAF », l’OLAF a remis son rapport d’enquête à la secrétaire générale de la Commission et l’a invitée à ouvrir une procédure disciplinaire à l’égard du requérant. En outre, dans sa note, l’OLAF a précisé à la secrétaire générale de la Commission que le rapport d’enquête était également transmis au procureur fédéral de Bruxelles (Belgique), en vue d’éventuelles poursuites judiciaires.

6        Le 5 juin 2012, à la suite d’une première procédure disciplinaire, qui avait été ouverte le 21 mai 2010 pour des manquements différents de ceux en cause dans la présente affaire, commis en 2007 et en 2008, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») a infligé au requérant la sanction de la rétrogradation, dans le même groupe de fonctions, du grade AD 9 au grade AD 8 (ci-après la « décision de rétrogradation »).

7        À partir du mois de juin 2012, le requérant a été en congé de maladie sans discontinuer jusqu’à sa révocation, à l’exception de deux jours, au cours du mois de février 2013.

8        Le 31 juillet 2012, au vu du rapport d’enquête de l’OLAF (voir point 4 ci-dessus), l’AIPN a confié à l’Office d’investigation et de discipline de la Commission (IDOC) un mandat afin de procéder à l’audition du requérant au titre de l’article 3 de l’annexe IX du statut des fonctionnaires de l’Union européenne dans sa version applicable au litige (ci-après le « statut »). Par note du 7 septembre 2012, l’IDOC a communiqué au requérant une copie du rapport d’enquête de l’OLAF ainsi que d’autres documents et l’a convié à une audition pour le 10 octobre 2012.

9        Le requérant a introduit, le 9 octobre 2012, une réclamation contre le mandat d’audition et ne s’est pas présenté à l’audition prévue le lendemain.

10      Le requérant ne s’est pas rendu à une nouvelle audition devant l’IDOC, prévue le 19 novembre 2012, à laquelle il avait été convoqué par lettre de l’IDOC du 30 octobre 2012.

11      Par décision du 13 décembre 2012, l’AIPN a rejeté comme irrecevable la réclamation mentionnée au point 9 ci-dessus, à défaut d’acte faisant grief.

12      Le 7 février 2013, sur la base du rapport d’enquête de l’OLAF, l’AIPN a décidé d’ouvrir une deuxième procédure disciplinaire à l’égard du requérant et a transmis à cette fin un rapport au conseil de discipline au titre de l’article 12 de l’annexe IX du statut.

13      Dans un courriel du 19 février 2013 adressé à l’IDOC, le requérant a indiqué qu’il se trouvait, au moment de sa convocation à l’audition mentionnée au point 10 ci-dessus, « dans une situation médicale grave » et dans « l’incapacité médicale la plus totale, attestée par [s]es médecins traitants [ainsi que, à plusieurs reprises,] par le médecin-conseil de la Commission, de répondre […] aux convocations ». Dans ce courriel, le requérant a également indiqué que « la multiplication et la simultanéité de[s] procédures [disciplinaires étaient], dans [s]on état de santé, de nature à [l]’empêcher d’exercer correctement [s]es droits de [la] défense ».

14      Par courriel du 20 mars 2013, le secrétariat du conseil de discipline a contacté le requérant pour fixer une date d’audition devant ledit conseil, en lui indiquant qu’il « a[vait] bien noté [son] congé de maladie, mais [que] la procédure [disciplinaire] d[evait] se poursuivre […], l’avis du [c]onseil de discipline d[evant] normalement être rendu deux mois après la saisine par l’AIPN, soit le 7 avril 2013 ». Par courriel du même jour, le requérant a répondu que, dans son état de santé actuel, il n’était pas en mesure de se défendre et a demandé un report de l’audition devant le conseil de discipline.

15      Le 27 mars 2013, le requérant a introduit un recours contre la décision de rétrogradation (voir point 6 ci-dessus), lequel a été enregistré au greffe du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne sous le numéro d’affaire F‑27/13.

16      Le 19 avril 2013, le service médical de la Commission a convoqué le requérant à une visite médicale fixée au 21 mai suivant, au titre de l’article 78 du statut relatif à l’invalidité.

17      Le 2 mai 2013, le requérant a pris connaissance de son dossier dans les locaux de l’IDOC.

18      Le 13 mai 2013, le service médical de la Commission a reporté le rendez-vous relatif à l’ouverture éventuelle d’une procédure d’invalidité mentionné au point 16 ci-dessus à une date ultérieure.

19      Le 16 mai 2013, le requérant a adressé des conclusions écrites au conseil de discipline. L’audition du requérant devant le conseil de discipline a eu lieu le 21 mai 2013. Le 5 juin 2013, le conseil de discipline a rendu son avis, dans lequel il s’est prononcé en faveur de la sanction disciplinaire de la révocation sans réduction pro tempore de la pension.

20      Le 6 juin 2013, l’AIPN a convoqué le requérant à une audition au titre de l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut (ci-après l’« audition disciplinaire »), fixée au 1er juillet 2013, devant l’AIPN tripartite, composée de la directrice générale de la DG « Ressources humaines et sécurité », du directeur général de la DG « Communication » et du directeur général de la DG « Environnement ».

21      Par courriel du 12 juin 2013, l’avocat du requérant a indiqué au directeur de l’IDOC qu’il n’était pas disponible le 1er juillet 2013, date prévue pour l’audition disciplinaire, mais qu’il le serait, le cas échéant, le 8 juillet suivant.

22      Par courriel du 13 juin 2013, le requérant a demandé au directeur de l’IDOC une suspension de la procédure disciplinaire en expliquant que « [s]on état de santé [lui] interdi[sait] de déférer à une convocation » à une audition disciplinaire et qu’il « n[’était] pas davantage en état de transmettre des observations écrites ». Il lui a également demandé quelles démarches il devait accomplir si l’AIPN n’accédait pas à sa demande de suspension de la procédure disciplinaire. Il a joint à ce courriel un certificat médical en date du 10 juin 2013 (ci-après le « certificat médical du 10 juin 2013 »), dont il avait occulté les informations à caractère médical, en demandant dans son courriel à qui et comment il devait communiquer le document complet contenant les informations médicales.

23      Dans le certificat médical du 10 juin 2013, le médecin traitant du requérant précisait qu’il envisageait une hospitalisation et que le requérant « n’a[vait] plus [alors] la capacité de faire face à la succession d’étapes administratives[, qu’il] ne compren[ait] pas ce qui lui [était] reproché et [qu’il] n’[était] clairement pas en mesure d’assurer son droit à se défendre, et ce au moins depuis septembre 2012 ». Le médecin traitant du requérant concluait qu’il « [lui] parai[ssai]t donc nécessaire de suspendre [momentanément] tous [les] actes […] concernant [le requérant] jusqu’à ce qu’une amélioration sensible de son état puisse être constatée ».

24      En réponse au courriel du requérant du 13 juin 2013, le directeur de l’IDOC a, par lettre du 14 juin 2013, informé le requérant que l’AIPN « décidera[it] des suites à réserver à [sa] demande [de suspension de la procédure disciplinaire] au vu de l’avis médical qui sera[it] rendu par le [d]octeur [A.-G., médecin-conseil de la Commission] ».

25      Le 26 juin 2013, le requérant a été examiné par le docteur S. à la demande de la Commission.

26      Par lettre du 27 juin 2013, l’AIPN a indiqué au requérant que, après l’avoir examiné le 26 juin 2013, le docteur A.-G. avait estimé que son état de santé n’empêchait pas le bon déroulement de la procédure disciplinaire. Selon l’AIPN, il n’y avait donc pas lieu de suspendre ladite procédure.

27      Ni le requérant ni son conseil ne se sont présentés à l’audition disciplinaire du 1er juillet 2013.

28      Par courriel du même jour, le requérant a contesté avoir fait l’objet d’un examen médical le 26 juin 2013 par le docteur A.-G. Il a, en outre, demandé à l’AIPN, au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut :

–        « [premièrement,] de suspendre, dans [la] procédure [disciplinaire], tous [les] actes [le] concernant jusqu’à ce que [sa] situation médicale se soit sensiblement améliorée, ainsi qu’établi par [son médecin traitant] ;

–        [deuxièmement,] le cas échéant, de réunir une commission médicale ad hoc pour trancher la question ;

–        [troisièmement,] de [lui] permettre l’accès, que ce soit directement ou par l’entremise de l’un de [s]es médecins traitants, à l’ensemble de [son] dossier médical, et notamment aux notes du [d]octeur [F., médecin-conseil de la Commission qui avait suivi son dossier avant le docteur A.-G.] ;

–        [quatrièmement,] de [lui] expliquer pourquoi la procédure d’invalidité […] a[vait] été ouverte puis suspendue sine die et de [lui] transmettre tous les documents, instructions et décisions portant sur ce point. »

29      Par lettre du 2 juillet 2013, l’AIPN a convoqué une nouvelle fois le requérant à une audition disciplinaire, pour le 19 juillet 2013, en précisant qu’il pouvait faire parvenir des observations écrites jusqu’au 17 juillet 2013. Dans cette lettre, il était mentionné qu’il s’agissait de la seconde et dernière convocation à l’audition disciplinaire devant l’AIPN tripartite.

30      Par courriel du 3 juillet 2013, le docteur A.-G., en sa qualité de médecin-conseil de la Commission chargé du contrôle des absences pour maladie, a indiqué à l’IDOC que le requérant lui avait précisé par téléphone qu’il « avait ou allait contester [la lettre du 27 juin 2013 et] qu’il avait [fait ou] allait [faire] une demande d’arbitrage, puisque son médecin ne voulait pas qu’il soit entendu [par l’AIPN tripartite, alors] que [lui-même, le docteur A.-G.,] [à la ]suite [de] l’expertise [du docteur S., avait dit] qu’il pouvait se présenter [devant celle-ci] ». Dans ce courriel, le docteur A.-G. précisait également que, à la « suite [de] cet échange téléphonique, [il] a[vait] contacté [l’IDOC] pour savoir s[’il fallait] tenir compte de [la] demande [du requérant] ou [non] ».

31      Par courriel du 17 juillet 2013, l’avocat du requérant a indiqué que celui-ci avait été examiné, le 26 juin 2013, par le docteur S., médecin extérieur à la Commission, et non par le docteur A.-G. L’avocat du requérant a également dénoncé la « précipitation » de l’AIPN et le report sine die et sans justification de l’ouverture de la procédure d’invalidité. Il a demandé à nouveau une suspension de la procédure disciplinaire en raison de l’état de santé du requérant. Il a, en outre, déploré le fait que la date de l’audition disciplinaire avait été fixée pendant la période des vacances judiciaires et a indiqué que lui-même, étant à l’étranger, ne pourrait pas y assister. Il a constaté que le service médical de la Commission n’avait pas pris connaissance des informations d’ordre médical figurant dans le certificat médical du 10 juin 2013, lesquelles avaient été occultées dans la version transmise à l’administration le 13 juin 2013, car elles relevaient du secret médical. Enfin, il a souligné qu’il n’avait reçu ni l’avis du médecin extérieur à la Commission, le docteur S., dont il avait demandé une copie, ni celui du docteur A.-G.

32      Par courriel du 18 juillet 2013, le directeur de l’IDOC a informé le requérant que l’AIPN avait décidé de confirmer son refus de suspendre la procédure disciplinaire et l’a invité à contacter directement le service médical pour lui indiquer les coordonnées du médecin qu’il désignait pour recevoir copie de l’expertise médicale du docteur S.

33      Le 19 juillet 2013, ni le requérant ni son conseil n’étaient présents à l’audition disciplinaire devant l’AIPN tripartite.

34      Par certificat médical du 26 juillet 2013, le médecin traitant du requérant a constaté que l’état de santé de celui-ci se dégradait.

35      Au cours de l’été 2013, le requérant a introduit une demande de reconnaissance de maladie professionnelle au titre de l’article 73 du statut.

36      Par décision du 16 octobre 2013 (ci-après la « décision attaquée »), l’AIPN a considéré que le requérant avait commis entre 2001 et 2004 deux « fautes lourdes en violation de [l’]article 11[, paragraphe] 1, [des articles] 12 et 21 du statut, des articles 52 et 79 du règlement financier et de l’article 98 des modalités d’exécution, tels qu’en vigueur à l’époque ». Il s’agissait, selon l’AIPN, de manquements d’une « particulière gravité », à savoir, d’une part, « la négociation non autorisée et clandestine d[’un] marché », laquelle avait consisté en l’envoi d’un courriel confidentiel, le 6 septembre 2001, à la société G., par lequel le requérant proposait à cette société d’inclure dans son offre des dépenses supplémentaires, de l’ordre de 2 000 euros, sous couvert de 0,5 unité de questions, pour la préparation des questionnaires du sondage, et, d’autre part, « la création et l’aggravation d’une situation de conflit d’intérêts ». À cet égard, l’AIPN faisait notamment référence à un courriel du 24 juin 2003 par lequel le requérant avait proposé au consortium E., prestataire désigné pour assurer la traduction en français du rapport final établi par la société G., de sous-traiter le travail de traduction à « une société de traduction “amie” », la société N., créée par la personne qui se trouvait être, à cette époque, la compagne du requérant. Après avoir estimé, dans ses observations finales, que « la sanction recommandée par le [c]onseil de discipline [était] la sanction appropriée », l’AIPN a décidé d’infliger au requérant la sanction disciplinaire de la révocation sans réduction pro tempore de la pension, au titre de l’article 9, paragraphe 1, sous h), de l’annexe IX du statut.

37      Par note du 16 octobre 2013, le directeur général de la DG « Ressources humaines et sécurité » a transmis au requérant la décision attaquée, en l’informant également qu’il avait ouvert une troisième procédure disciplinaire à son égard, portant sur les « faits actuellement soumis à l’appréciation des juridictions belges », et qu’il avait décidé de suspendre cette procédure disciplinaire « dans l’attente du résultat de la procédure pénale ».

38      Le 3 décembre 2013, le requérant a introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision attaquée.

II.    Procédure et conclusions des parties

A.      Procédures devant le Tribunal de la fonction publique

1.      Procédures principales

39      Par requête enregistrée au greffe du Tribunal de la fonction publique le 17 janvier 2014 sous le numéro F‑5/14, le requérant a introduit le présent recours.

40      Le requérant a présenté une demande d’anonymat, à laquelle il a été fait droit.

41      Par décision du 31 mars 2014, l’AIPN a rejeté la réclamation du requérant.

42      L’audience devant le Tribunal de la fonction publique a eu lieu le 18 septembre 2014.

43      Lors de l’audience, le Tribunal de la fonction publique a décidé de verser au dossier deux documents concernant la procédure pénale en cours devant les juridictions belges. Les parties ont présenté des observations sur l’incidence de ces documents au regard de l’article 25 de l’annexe IX du statut dans les délais qui leur avaient été impartis.

44      La procédure orale a été close le 21 novembre 2014.

45      Par lettre du greffe du Tribunal de la fonction publique du 10 décembre 2014, les parties ont été informées que le prononcé de la décision mettant fin à l’instance, initialement prévu le 11 décembre suivant, avait été repoussé à une date ultérieure.

46      Par mesure d’organisation de la procédure du 6 février 2015, le Tribunal de la fonction publique, après avoir rouvert la procédure orale, a demandé aux parties de prendre position sur l’application en l’espèce de l’article 59, paragraphe 1, du statut et sur les conséquences qui en découlaient, en particulier quant à l’obligation d’entendre le requérant conformément à l’article 22 de l’annexe IX du statut.

47      La procédure orale a été close le 19 mai 2015.

48      Par arrêt du 18 juin 2015, CX/Commission (F‑5/14, ci-après l’« arrêt initial », EU:F:2015:61), le Tribunal de la fonction publique, faisant droit à la première branche du deuxième moyen, a annulé la décision attaquée. Considérant, en outre, que l’annulation de la décision attaquée constituait une réparation suffisante du préjudice moral allégué par le requérant et que la nature et la réalité des autres chefs de préjudice n’avaient pas été établies, le Tribunal de la fonction publique a, par ailleurs, rejeté la demande indemnitaire présentée par le requérant.

49      Par un autre arrêt du 18 juin 2015, CX/Commission (F‑27/13, EU:F:2015:60), le Tribunal de la fonction publique a rejeté le recours introduit par le requérant contre la décision de rétrogradation (voir point 15 ci-dessus).

2.      Procédure de référé

50      Par requête enregistrée au greffe du Tribunal de la fonction publique le 17 janvier 2014, soit le même jour que la requête au fond dans la présente affaire, sous le numéro F‑5/14 R, le requérant a demandé la suspension de l’exécution de la décision attaquée.

51      Par ordonnance du 13 février 2014, CX/Commission (F‑5/14 R, EU:F:2014:21), le président du Tribunal de la fonction publique a rejeté cette demande et a réservé les dépens.

B.      Pourvoi

52      Le 26 août 2015, la Commission a introduit un pourvoi contre l’arrêt initial.

53      Les parties ont été autorisées à déposer une réplique et une duplique.

54      Le Tribunal (chambre des pourvois) a décidé de statuer sans phase orale de la procédure.

55      Par son pourvoi, la Commission concluait à l’annulation de l’arrêt initial, à ce que l’affaire soit renvoyée devant le Tribunal de la fonction publique pour qu’il statue sur les autres moyens du recours et à ce que les dépens soient réservés.

56      Le requérant concluait au rejet du pourvoi et à la condamnation de la Commission aux dépens.

57      Par arrêt du 27 octobre 2016, Commission/CX (T‑493/15 P, non publié, ci-après l’« arrêt sur pourvoi », EU:T:2016:636), le Tribunal (chambre des pourvois) a fait droit aux premier et deuxième moyens du pourvoi, qu’il a examinés conjointement. En conséquence, il a annulé l’arrêt initial et renvoyé l’affaire devant une autre formation de jugement du Tribunal, afin qu’il soit statué sur l’intégralité du recours.

C.      Procédure de renvoi

58      Les 23 décembre 2016 et 5 janvier 2017, respectivement, la Commission et le requérant ont déposé les observations prévues à l’article 217, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, applicable par analogie à la présente procédure de renvoi.

59      Les parties, à leur demande, ont été autorisées à déposer les mémoires complémentaires prévus à l’article 217, paragraphe 3, du règlement de procédure. La Commission et le requérant ont chacun déposé un mémoire complémentaire, respectivement les 6 et 7 mars 2017.

60      La phase écrite de la procédure a été close le 7 mars 2017.

61      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

62      Par lettre du 5 mars 2018, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a attiré l’attention des parties sur les conséquences, au regard du secret médical protégeant le requérant, qu’entraînerait sa décision éventuelle de faire droit à la mesure d’organisation de la procédure sollicitée par le requérant, tendant à demander à la Commission de produire le certificat d’expertise médicale rédigé à la suite de l’examen du requérant par le docteur S., intervenu le 26 juin 2013 (voir point 25 ci-dessus). Les parties ont également été invitées à se prononcer sur l’éventualité d’un huis clos.

63      Les parties ont présenté des observations dans le délai qui leur avait été imparti. Le requérant a joint de nouvelles preuves à ses observations.

64      Par décision du 26 mars 2018, le président de la troisième chambre du Tribunal a décidé de verser au dossier les preuves nouvelles mentionnées au point 63 ci-dessus, sans préjudice de l’appréciation de leur recevabilité par le Tribunal. La Commission a été invitée à présenter ses observations éventuelles sur ces preuves nouvelles.

65      Par lettre du même jour, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a demandé à la Commission de produire le rapport d’expertise médicale mentionné au point 62 ci-dessus.

66      Par décision du 10 avril 2018, en application de l’article 109, paragraphe 1, du règlement de procédure, le Tribunal, les parties entendues, a décidé le huis clos.

67      La Commission a déféré à la mesure d’organisation de la procédure mentionnée au point 65 ci-dessus dans le délai qui lui avait été imparti.

68      Par courrier enregistré au greffe du Tribunal le 19 avril 2018, la Commission a présenté une preuve nouvelle.

69      Par décision du 23 avril 2018, le président de la troisième chambre du Tribunal a décidé de verser au dossier la preuve nouvelle mentionnée au point 68 ci-dessus, sans préjudice de l’appréciation de sa recevabilité par le Tribunal. Le requérant a été invité à présenter ses observations éventuelles sur cette preuve nouvelle lors de l’audience.

70      Les parties ont été entendues, à huis clos, en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 3 mai 2018.

71      À l’issue de l’audience, la phase orale de la procédure a été laissée ouverte pour une période d’un mois, dans l’attente éventuelle d’une communication commune de la part des parties dans ce délai informant le Tribunal que celles-ci se sont mises d’accord pour mettre fin au litige par un règlement amiable.

72      Par lettre du 25 mai 2018, la Commission a demandé la prorogation, pour un délai supplémentaire de trois semaines, du délai mentionné au point 71 ci-dessus, laquelle lui a été accordée par décision du président de la troisième chambre du Tribunal du 29 mai 2018.

73      En l’absence d’accord des parties sur le règlement du litige, la phase orale de la procédure a été close le 5 juillet 2018.

D.      Conclusions des parties

74      Dans le dernier état de ses conclusions, le requérant demande à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission à lui verser une somme de 3 652 000 euros, en réparation des préjudices moral, médical, familial, professionnel et matériel qu’il estime avoir subis ;

–        condamner la Commission aux dépens.

75      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

III. En droit

A.      Sur la demande d’annulation

76      À l’appui de son recours, le requérant invoque quatre moyens. Le premier d’entre eux est tiré de l’absence de matérialité des faits qui lui sont reprochés, de ce que la décision attaquée se fonderait sur une base juridique erronée, serait entachée d’erreurs manifestes d’appréciation et insuffisamment motivée. Ce moyen est également pris de la violation des droits de la défense. Le deuxième moyen se divise en six branches et est tiré de vices de forme et de procédure entachant la procédure disciplinaire ainsi que d’un détournement de procédure et d’un détournement de pouvoir. Le troisième moyen est pris, d’une part, de la violation, premièrement, de l’article 10 de l’annexe IX du statut et, deuxièmement, des principes de sécurité juridique, de proportionnalité et de protection de la confiance légitime ainsi que, d’autre part, d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’adéquation entre les faits qui lui sont reprochés et la sanction qui a été retenue. Le quatrième moyen, enfin, est tiré de la violation du principe du délai raisonnable quant à l’ouverture de la procédure disciplinaire, de l’ancienneté des faits ainsi que de la prescription de l’action disciplinaire.

77      Le Tribunal estime approprié en l’espèce d’examiner d’abord la première branche du deuxième moyen du recours, tirée de la violation de l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, de l’article 4, paragraphe 4, des dispositions générales d’exécution relatives aux enquêtes administratives et aux procédures disciplinaires (ci-après les « DGE »), de l’obligation de motivation, du devoir de sollicitude, du principe du respect des droits de la défense ainsi que du principe de protection de la confiance légitime.

1.      Arguments des parties

a)      Arguments du requérant

78      En premier lieu, le requérant fait valoir que, en violation de l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, il n’a pas été entendu par l’AIPN avant l’adoption de la décision attaquée.

79      En deuxième lieu, le requérant soutient que la convocation qui lui a été adressée pour l’audition disciplinaire devant l’AIPN tripartite qui s’est tenue le 19 juillet 2013 révèle une violation des droits de la défense ainsi que du devoir de sollicitude.

80      Premièrement, il rappelle qu’une première audition devant l’AIPN tripartite a été fixée et maintenue au 1er juillet 2013, une date à laquelle la Commission avait été prévenue que ni lui ni son conseil ne pouvaient être présents. À cet égard, d’une part, le requérant fait valoir qu’il avait produit un certificat médical indiquant que son état de santé ne lui permettait pas de se défendre et que ce certificat médical a été écarté pour des motifs erronés. En effet, la Commission prétend qu’il aurait été « examiné » par le docteur A.-G., alors que tel n’a pas été le cas. Il aurait été examiné par un expert, lequel lui aurait confirmé oralement le diagnostic posé par ses propres médecins, et l’administration aurait décidé dès le lendemain de cet examen que son état de santé ne justifiait pas le report de son audition devant l’AIPN. D’autre part, le conseil du requérant aurait également averti l’administration de son impossibilité à assister à une réunion le jour prévu pour raisons professionnelles. Le requérant est d’avis que cette précipitation et le maintien de la réunion à la date prévue révèlent l’acharnement de l’administration.

81      Deuxièmement, le requérant fait valoir que la Commission n’a pas donné suite à sa proposition de réunir une commission médicale pour statuer sur le désaccord entre ses propres médecins et le médecin de la Commission, le docteur A.-G., en ce qui concerne son aptitude à se défendre dans le cadre de la procédure disciplinaire. Or, le requérant s’estime fondé à nourrir des doutes en ce qui concerne l’impartialité du service médical de la Commission en l’espèce, compte tenu, notamment, des suites qui ont été réservées à la procédure d’examen de sa mise en invalidité. Dans sa réponse à la question adressée aux parties par le Tribunal de la fonction publique après la réouverture de la procédure orale (voir point 46 ci-dessus), le requérant soutient que la Commission ne pouvait remettre en cause la régularité de son absence et, partant, le convoquer à une audition disciplinaire sans réunir la commission d’arbitrage prévue à l’article 59 du statut, lequel était applicable en l’espèce au moins par analogie. De plus, la Commission ne l’aurait pas fait examiner par un médecin indépendant aux fins d’établir s’il était en mesure de faire utilement valoir ses droits lors d’une audition disciplinaire.

82      Troisièmement, le requérant soutient que le maintien de la réunion à laquelle il avait été convoqué pour le 19 juillet 2013, alors qu’il avait produit des certificats médicaux attestant son incapacité à se défendre et que son conseil avait averti la Commission qu’il se trouvait à l’étranger et que la convocation intervenait en période de vacances judiciaires, constitue une violation de l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, particulièrement caractérisée en raison, d’une part, de son état de faiblesse et, d’autre part, de la gravité de la sanction qu’il encourait. En effet, selon le requérant, l’AIPN a délibérément adopté la décision attaquée sans lui permettre d’être utilement entendu. À tout le moins, il aurait été nécessaire que le service médical de la Commission transmette à un médecin désigné par lui l’avis de l’expert sur lequel l’administration s’était fondée pour écarter les certificats médicaux qu’il avait produits et lui laisse un délai suffisant pour présenter une réclamation.

83      En troisième lieu, le requérant soutient qu’il n’a ni été entendu par l’IDOC ni été mis en mesure de se prononcer sur les faits retenus lors de l’enquête administrative, et ce en violation de l’article 4, paragraphe 4, des DGE.

84      En quatrième lieu, le requérant fait valoir que l’administration, bien qu’elle fût au courant de la gravité de son état de santé, a délibérément choisi de l’ignorer.

85      Premièrement, le requérant rappelle que, par courrier du 19 avril 2013, la Commission a décidé d’ouvrir une procédure d’invalidité, dans le cadre de laquelle il a été convoqué le 21 mai 2013, soit le jour même où il devait comparaître devant le conseil de discipline. Sans qu’il lui soit fourni d’explications à cet égard, le requérant aurait reçu un second courrier, daté du 13 mai 2013, l’informant que son rendez-vous avec le service médical était reporté à une date ultérieure. Aucun autre rendez-vous ne lui aurait été fixé depuis lors, en violation du devoir de sollicitude et du principe de protection de la confiance légitime.

86      Deuxièmement, le requérant fait valoir que, le 24 juillet 2013, il a introduit, s’appuyant sur deux certificats médicaux indiquant que son état était « lié directement à ses conditions professionnelles », une demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie. Depuis lors, il n’aurait reçu qu’une lettre d’attente, qui lui aurait été adressée le 8 novembre 2013, soit postérieurement à l’adoption de la décision attaquée.

87      Troisièmement, la Commission aurait été informée que le requérant avait eu un grave accident en août 2007 et qu’il avait contracté des infections nosocomiales à la suite des opérations qu’il avait subies en raison de cet accident. Il en aurait été fortement perturbé et aurait dû recourir à des médications importantes, ce dont l’administration aurait été tenue informée par des certificats médicaux dûment validés par le service médical de la Commission.

88      Quatrièmement, le requérant fait valoir que la Commission l’a mis volontairement dans un état de faiblesse procédurale. En effet, alors même qu’il avait fourni des certificats médicaux attestant son incapacité à se défendre dans la procédure disciplinaire, la Commission aurait prétendu erronément qu’il avait été examiné par le médecin-conseil pour soutenir le contraire. Bien plus, la Commission aurait refusé de repousser la date de son audition disciplinaire devant l’AIPN tripartite, alors que ni lui-même ni son représentant ne pouvaient y assister. Or, la décision attaquée n’aurait été adoptée que près de trois mois après cette réunion. Étant donné l’ancienneté des faits qui lui étaient reprochés et le temps mis pour adopter la décision attaquée, le requérant est d’avis que le refus de lui accorder un report supplémentaire de l’audition devant l’AIPN tripartite traduit le refus de l’administration de prendre en compte ses intérêts légitimes.

89      Au total, le requérant rappelle qu’il n’a été entendu sur le fond du dossier ni par l’OLAF, ni par l’IDOC, ni par l’AIPN tripartite et que, en raison de son arrêt de longue durée pour maladie, il n’a pu, depuis le mois de juin 2012 et jusqu’à l’adoption de la décision attaquée, avoir accès ni à son bureau, ni à ses dossiers, ni à ses archives informatiques, en totale violation des droits de la défense, de l’égalité des armes et du devoir de sollicitude, alors que les faits sur lesquels il serait appelé à s’exprimer remontaient à plus de dix ans. Pour l’ensemble de ces raisons, il estime que la décision attaquée viole l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, l’obligation de motivation, le devoir de sollicitude, le principe du respect des droits de la défense ainsi que le principe de protection de la confiance légitime et que, par suite, elle doit être annulée.

90      Dans les observations qu’il a présentées à la suite du renvoi de l’affaire devant le Tribunal, le requérant considère qu’il ne résulte pas de l’arrêt sur pourvoi que la première branche du deuxième moyen doive être écartée.

91      En premier lieu, en effet, en ce qui concerne l’article 59, paragraphe 1, du statut, le Tribunal aurait simplement jugé que le Tribunal de la fonction publique avait commis une erreur de droit en soulevant l’applicabilité d’office de cette disposition, alors qu’il n’était pas nécessaire d’y recourir pour constater que la limitation de son droit d’être entendu par l’AIPN tripartite n’était pas objectivement justifiée.

92      En second lieu, le requérant estime qu’il existe un faisceau d’indices concordants corroborant la conclusion du certificat médical du 10 juin 2013 (voir points 22 et 23 ci-dessus) selon laquelle, aux dates où il a été convoqué à des auditions disciplinaires, il n’était pas en mesure d’assurer sa défense.

93      Premièrement, depuis plus d’un an à la date de l’adoption de la décision attaquée et postérieurement à cette adoption, le requérant aurait été en congé de maladie. Ses absences auraient été dûment justifiées par des certificats médicaux que le service médical de la Commission n’aurait pas remis en cause. Ces certificats médicaux mentionneraient tous une interdiction de sortie pour raisons médicales et comporteraient chacun une date probable de fin d’affection, laquelle aurait été régulièrement repoussée. L’ensemble de ces circonstances ne serait pas contesté par la Commission.

94      Deuxièmement, le requérant, en produisant le certificat médical du 10 juin 2013, aurait, en outre, fourni une expertise ad hoc, dont la Commission n’aurait pas estimé utile de prendre connaissance. En effet, la Commission ne lui aurait jamais communiqué les coordonnées d’un médecin auquel il aurait pu transmettre la version intégrale du certificat médical du 10 juin 2013, la version adressée à la Commission ayant été expurgée de toutes les données relevant du secret médical. Dans ces conditions, la Commission ne pourrait pas prétendre que les termes de ce certificat étaient « vagues », étant donné qu’elle n’avait pas pris la peine d’en connaître le contenu. De plus, l’examen réalisé par le docteur S. le 26 juin 2013 ne pourrait être considéré comme une contre-expertise, étant donné qu’il n’avait pas connaissance du contenu intégral du certificat médical du 10 juin 2013. Le certificat médical du 10 juin 2013 ne viserait pas à se substituer aux certificats médicaux attestant l’incapacité de travail du requérant, mais porterait précisément sur son incapacité à assurer sa défense lors d’une audition disciplinaire. Dans le certificat médical du 10 juin 2013, il était, en outre, précisé que l’hospitalisation du requérant était envisagée.

95      Troisièmement, le requérant fait valoir que, mis à part le fait qu’il s’était présenté lui-même dans les bureaux de l’IDOC pour prendre connaissance de son dossier, les « autres arguments » retenus par la Commission pour estimer qu’il n’avait pas justifié son incapacité à assurer sa défense lors d’une audition disciplinaire avaient été écartés par le Tribunal de la fonction publique.

96      Dès lors, selon le requérant, il convient que le Tribunal, faisant droit à la première branche du deuxième moyen, constate que la privation de son droit d’être entendu par l’AIPN tripartite n’a pas été objectivement justifiée et, en conséquence, annule la décision attaquée.

b)      Arguments de la Commission

97      En premier lieu, la Commission fait valoir que l’absence du requérant et de son conseil lors de l’audition organisée par l’AIPN tripartite est imputable aux intéressés et ne saurait, dès lors que le requérant n’a pas démontré qu’il était dans l’incapacité de se déplacer et de se défendre, entacher d’irrégularité la procédure disciplinaire.

98      Premièrement, la Commission fait observer que le requérant a bénéficié de 24 jours entre la lettre de la première convocation et la date fixée pour cette convocation (voir point 20 ci-dessus), soit plus que les quinze jours habituellement accordés.

99      Deuxièmement, la Commission rappelle que la teneur du certificat médical du 13 juin 2013, lequel, au demeurant, ne mentionne pas d’interdiction de sortie, a été contredite par le médecin spécialiste qui a examiné le requérant à la demande de la Commission.

100    Troisièmement, la Commission fait valoir que les allégations du requérant selon lesquelles il était dans l’incapacité de comprendre ce qui lui était reproché et de présenter utilement sa défense depuis le mois de septembre 2012 sont peu plausibles au regard, notamment, de sa contestation structurée et circonstanciée du mandat d’audition établi par l’IDOC et des commentaires circonstanciés qu’il a présentés devant le conseil de discipline.

101    Quatrièmement, la Commission rappelle que, en raison de l’absence annoncée du conseil du requérant, elle a reporté l’audition devant l’AIPN tripartite, initialement prévue pour le 1er juillet 2013, au 19 juillet 2013. Le requérant aurait ainsi disposé de 17 jours supplémentaires pour préparer sa défense. Or, le conseil du requérant n’aurait averti la Commission de son absence à cette seconde audition que le 17 juillet 2013. Au total, le requérant aurait ainsi bénéficié d’un mois et treize jours entre la date de la première convocation qui lui a été adressée et l’audition disciplinaire devant l’AIPN tripartite à laquelle ni lui-même ni son conseil ne se sont présentés. La Commission rappelle également qu’il était loisible au requérant de déposer des conclusions écrites, ce dont il s’est abstenu.

102    Cinquièmement, la Commission fait valoir que le requérant sollicitait un report sine die de la procédure disciplinaire, alors que le certificat médical dont il se prévalait avait été contesté par un spécialiste indépendant. Le requérant n’aurait d’ailleurs pas pris la peine de désigner un médecin par l’intermédiaire duquel il aurait pu prendre connaissance du rapport médical établi par ce spécialiste. La Commission estime, quant à elle, avoir tout mis en œuvre pour tenir compte, conformément à son devoir de sollicitude, de la situation médicale du requérant. C’est ainsi qu’elle aurait estimé que le requérant était en mesure de se défendre et que la réunion d’une commission médicale ad hoc, laquelle n’était pas prévue par le statut, était en l’espèce injustifiée et présentait un caractère purement dilatoire.

103    Sixièmement, la Commission relève que, dans sa requête, le requérant n’a présenté aucun élément qu’il n’ait déjà soumis lors de la procédure disciplinaire, si bien que le moyen qu’il tire de la violation des droits de la défense en ce qu’il n’a pas été entendu par l’AIPN tripartite ne présente qu’un caractère théorique.

104    En deuxième lieu, premièrement, la Commission soutient que le requérant n’est pas fondé à se plaindre que l’IDOC n’ait pas tenu compte de la situation médicale dans laquelle il prétendait s’être trouvé depuis le mois de juin 2012, dès lors que le premier certificat médical justifiant son arrêt de travail n’a été présenté qu’en février 2013. Selon la Commission, le fait pour un fonctionnaire de se trouver en arrêt de maladie ou l’ouverture d’une procédure d’invalidité à son égard ne permet pas de conclure que l’intéressé se trouve dans l’incapacité de se déplacer ou de suivre le déroulement d’une procédure disciplinaire.

105    Deuxièmement, le requérant ne serait pas davantage fondé à se plaindre de ne pas avoir été entendu à l’issue de l’enquête de l’IDOC, dès lors que cet organisme n’a pas mené d’enquête administrative, mais a directement proposé l’ouverture d’une procédure disciplinaire sur le fondement de l’enquête de l’OLAF dans le cadre de laquelle le requérant avait été entendu.

106    En troisième lieu, dans sa réponse à la question adressée aux parties par le Tribunal de la fonction publique après la réouverture de la procédure orale (voir point 46 ci-dessus), la Commission fait valoir que la procédure prévue à l’article 59, paragraphe 1, du statut n’est pas applicable pour déterminer si un fonctionnaire se prévaut à juste titre d’une incapacité médicale pour ne pas se présenter à une audition disciplinaire. À cet égard, la Commission est d’avis qu’elle peut renverser la présomption simple qui résulte de la présentation d’un certificat médical par le fonctionnaire intéressé en le soumettant à un examen médical contradictoire, en se fondant sur un faisceau d’indices concordants, ou encore en contactant le médecin du fonctionnaire, auteur du certificat médical litigieux, pour vérifier la signification et les conséquences exactes de cette attestation.

107    En l’espèce, la Commission fait valoir qu’elle disposait d’un solide faisceau d’indices concordants pour estimer que, en dépit du certificat médical du 10 juin 2013, le requérant était en mesure de participer à l’audition disciplinaire. En effet, le certificat médical du 10 juin 2013 ne contenait aucune date indicative de fin de la prétendue incapacité du requérant à comprendre ce qui lui était reproché et à présenter utilement sa défense et faisait remonter cette prétendue incapacité « au moins » à septembre 2012. Or, depuis le mois de septembre 2012, le requérant aurait, au contraire, démontré sa capacité à comprendre ce qui lui était reproché et à exercer les droits de la défense : en mars 2013, le requérant aurait introduit le recours dans l’affaire F‑27/13 (voir point 15 ci-dessus) ; le 25 avril 2013, le requérant aurait demandé l’audition de trois témoins à décharge par le conseil de discipline ; le 2 mai 2013, le requérant aurait consulté son dossier dans les locaux de l’IDOC (voir point 17 ci-dessus) ; le 16 mai 2013, le requérant aurait déposé des conclusions longues et circonstanciées à l’attention du conseil de discipline (voir point 19 ci-dessus) ; le 21 mai 2013, le requérant aurait été auditionné par le conseil de discipline (voir point 19 ci-dessus) et, à cette occasion, aurait participé à l’interrogation d’un témoin ; le courriel du 13 juin 2013, auquel était joint le certificat médical du 10 juin 2013, contiendrait des développements détaillés et structurés et demanderait à l’AIPN de prendre une décision sur un certain nombre de questions (voir point 22 ci-dessus) ; le requérant aurait subi un examen médical le 26 juin 2013, lequel aurait conclu à sa capacité à participer à l’audition disciplinaire ; enfin, le 1er juillet 2013, date initialement prévue de l’audition disciplinaire, le requérant aurait adressé à l’AIPN un courriel particulièrement argumenté et comportant plusieurs demandes (voir point 28 ci-dessus).

108    La Commission estime que, dans ces conditions, elle aurait été en droit de considérer comme suffisante, pour le respect de l’article 22 de l’annexe IX du statut, la première convocation à l’audition disciplinaire adressée au requérant pour le 1er juillet 2013. Elle fait observer qu’elle est allée au-delà de ses obligations en convoquant le requérant une seconde fois et en lui rappelant qu’il lui était possible de se faire représenter ou de présenter à l’AIPN tripartite des observations écrites.

109    En outre, la Commission relève que, le 18 juillet 2013, le requérant et son conseil ont échangé des courriels produits en annexe à la requête, lesquels démontreraient que le requérant avait une pleine capacité à mettre au point une stratégie contentieuse. Par ailleurs, peu après la date de la seconde convocation à l’audition disciplinaire, le requérant aurait été en mesure de présenter une demande tendant à faire reconnaître l’origine professionnelle de sa maladie et de déposer la réplique dans l’affaire F‑27/13.

110    Enfin, la Commission soutient que, dès lors qu’il ne prévoyait pas, même à titre provisoire, de date de fin de l’incapacité dans laquelle se trouvait prétendument le requérant, le certificat médical du 10 juin 2013 ne satisfaisait pas aux conditions de régularité et présentait un caractère manifestement dilatoire. En outre, selon la Commission, dès lors qu’il n’a pas présenté un nouveau certificat médical, postérieur à son examen par un médecin spécialiste le 26 juin 2013 avant le 19 juillet 2013, date fixée dans sa seconde convocation à l’audition disciplinaire, le requérant ne peut être considéré comme ayant valablement été excusé lors de l’audition disciplinaire prévue à cette dernière date.

111    Dans les observations qu’elle a présentées à la suite du renvoi de l’affaire devant le Tribunal, en premier lieu, la Commission relève que, dans l’arrêt sur pourvoi, le Tribunal a, selon elle à juste titre, considéré que la valeur probante du certificat médical du 10 juin 2013 pouvait être remise en cause, premièrement, en raison de son caractère vague, deuxièmement, parce qu’il était rétroactif et empêchait de ce fait toute contre-expertise et, troisièmement, parce qu’il ne fixait aucun terme prévisible à l’incapacité du requérant, si bien que le cours de la procédure aurait dû se trouver interrompu jusqu’à ce que le requérant lui-même prenne l’initiative de retourner consulter son médecin. De plus, aucune des autres circonstances avancées par le requérant n’aurait été de nature à établir qu’il était incapable d’assurer sa défense. Dans ces conditions, la Commission est d’avis que le requérant n’a pas démontré, alors que la charge de la preuve lui en incombait, qu’il ne pouvait se présenter aux auditions des 10 octobre et 19 novembre 2012 et aux auditions disciplinaires des 1er et 19 juillet 2013 dans des conditions lui permettant d’assurer sa défense.

112    En deuxième lieu, la Commission fait valoir qu’elle a été en mesure de produire un grand nombre d’indices de la capacité continue du requérant à présenter sa défense au cours de la procédure disciplinaire et à comprendre les faits qui lui étaient reprochés ainsi que le déroulement des étapes de la procédure disciplinaire.

113    Premièrement, la Commission rappelle qu’il résulte du point 75 de l’arrêt sur pourvoi qu’elle n’est tenue à aucune procédure particulière pour contester la validité d’un certificat médical attestant l’incapacité d’un fonctionnaire à participer à la procédure disciplinaire dont il fait l’objet.

114    Deuxièmement, en vue d’apprécier la plausibilité du certificat médical du 10 juin 2013 en ce que celui-ci énonce que le requérant n’était « clairement pas en mesure d’assurer son droit à se défendre, et ce au moins depuis septembre 2012 », les faits intervenus entre juin 2012 et avril 2013 présenteraient une pertinence particulière. Or, la Commission estime que le requérant était en mesure d’assurer sa défense et l’a fait en plusieurs occasions. Elle rappelle que son service médical a estimé qu’il était en état de se défendre et relève au moins sept éléments illustrant, selon elle, cette capacité durant cette période : le 10 octobre 2012, alors que le requérant ne s’est pas présenté, sans justification, à l’audition organisée par l’IDOC, il a envoyé une réclamation de sept pages, datée de la veille, contre le mandat d’audition, dans laquelle il développait un raisonnement structuré, revenant longuement sur une affaire disciplinaire antérieure et sur la procédure menée par l’OLAF relative à la présente procédure disciplinaire ; le requérant serait revenu travailler pendant deux jours au cours du mois de février 2013 ; le courriel adressé le 19 février 2013 à l’IDOC, dans lequel le requérant prétendait que son état de santé l’empêchait d’assurer correctement sa défense, serait particulièrement structuré, démontrerait la compréhension par le requérant de l’état de la procédure et témoignerait de la capacité du requérant à assurer sa défense, puisqu’il demandait à l’IDOC de lui accorder un délai pour répondre à un questionnaire et de lui indiquer les conditions dans lesquelles il pouvait faire parvenir des commentaires au conseil de discipline ; les nombreux courriels échangés entre le requérant et le conseil de discipline démontreraient sa parfaite compréhension des étapes de la procédure ainsi que son intention d’utiliser toutes les voies possibles pour obtenir une suspension de la procédure ; le 5 avril 2013, ce que le requérant reconnaîtrait au point 98, mais contesterait au point 118 de la requête, il aurait été examiné par le docteur A.-G., lequel aurait conclu à sa capacité à être entendu par le conseil de discipline ; le 11 avril 2013, le requérant aurait d’ailleurs consenti à se rendre devant le conseil de discipline à une audition prévue le 21 mai suivant ; enfin, le 25 avril 2013, le requérant aurait lui-même demandé l’audition de trois témoins par le conseil de discipline.

115    En troisième lieu, premièrement, s’agissant de la période allant de mai à juillet 2013, la Commission soutient qu’elle disposait également d’indices lui permettant de considérer que le requérant était en mesure d’assurer utilement sa défense : le 2 mai 2013, le requérant serait venu lui-même prendre connaissance de son dossier à l’IDOC ; le 16 mai 2013, le requérant aurait présenté douze pages de conclusions écrites en vue de son audition par le conseil de discipline le 21 mai suivant ; durant cette audition, à laquelle le requérant aurait pleinement participé, il aurait procédé lui-même à l’interrogation d’un témoin et se serait montré circonstancié et légitimement combatif ; le courriel communiquant le certificat médical du 10 juin 2013 serait particulièrement éloquent et structuré et démontrerait, par sa teneur, la capacité du requérant à comprendre les enjeux de la procédure et à assurer sa défense ; le requérant aurait demandé à être examiné par un autre médecin que celui qui avait été désigné par la Commission pour éviter tout conflit d’intérêts potentiel ; le 26 juin 2013, le requérant aurait été examiné par le docteur S., psychiatre, qui aurait conclu à sa capacité à être entendu lors de l’audition disciplinaire initialement prévue pour le 1er juillet 2013 ; le 1er juillet 2013, jour prévu pour l’audition disciplinaire, le requérant aurait adressé à l’IDOC un courriel particulièrement minutieux et offensif, dans lequel il articulait différents moyens, citait le code pénal français, réfutait l’extrait de la note de l’AIPN mentionnant par erreur qu’il avait été examiné par le docteur A.-G., alors qu’il l’avait été par le docteur S., rappelait des correspondances antérieures, précisait les dates auxquelles son conseil était disponible, exigeait l’envoi par l’AIPN de documents en recommandé sous peine de nullité et présentait plusieurs demandes au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut ; enfin, malgré la contre-expertise du docteur S., le requérant n’aurait pas produit de nouveau certificat médical.

116    Deuxièmement, s’agissant de la possibilité pour la Commission de retenir les conclusions du rapport d’expertise établi par le docteur S. à la suite de son examen du requérant du 26 juin 2013, la Commission rappelle que, contrairement à ce que prétend le requérant, ce rapport lui était accessible, pour peu qu’il eût désigné un médecin auquel il aurait été communiqué. La Commission ajoute que le requérant, auquel le médecin-conseil, le docteur A.-G., avait en outre proposé de prendre directement connaissance dudit rapport en se rendant à son bureau, a été averti de cette possibilité, dont il n’a pas usé. La Commission, relevant que le requérant n’avait pas entendu lever le secret médical durant la procédure disciplinaire et durant la procédure devant le Tribunal de la fonction publique, se déclare néanmoins prête à communiquer ce rapport au Tribunal à sa demande. La Commission précise, enfin, que la régularité de l’expertise menée par le docteur S., psychiatre, ne dépendait pas de la consultation préalable par celui-ci du médecin généraliste du requérant, qui avait rédigé le certificat médical du 10 juin 2013, dont le docteur S. n’était pas non plus tenu de prendre connaissance.

117    La Commission soutient que l’ensemble de ces circonstances démontre que le requérant n’était pas dans l’incapacité d’assurer sa défense lors d’une audition disciplinaire, mais qu’il a choisi de ne pas se présenter aux convocations qui lui ont été adressées, ainsi qu’il l’avait d’ailleurs annoncé dans le courriel du 13 juin 2013 transmettant le certificat médical du 10 juin 2013. La Commission estime donc avoir, conformément à son devoir de sollicitude, effectué les vérifications nécessaires pour clarifier l’état de santé du requérant et que, dans ces conditions, elle n’était pas tenue de suspendre la procédure disciplinaire.

118    En quatrième lieu, la Commission rappelle que l’avocat du requérant, malgré la demande d’éclaircissement qui lui avait été adressée, n’a pas précisé les raisons pour lesquelles il ne pouvait se présenter à l’audition disciplinaire prévue le 1er juillet 2013. La Commission fait valoir qu’il était, en tout état de cause, loisible à l’avocat du requérant de se faire remplacer par un confrère ou d’adresser des observations écrites à l’AIPN tripartite, bien que les convocations lui aient été envoyées suffisamment à l’avance, le 6 juin précédent. Dès lors, l’absence du requérant et celle de son représentant leur seraient entièrement imputables.

119    En cinquième lieu, la Commission soutient que l’absence du requérant et celle de son conseil lors de la nouvelle audition disciplinaire fixée au 19 juillet 2013, dont elle estime qu’elle n’était pas tenue de l’organiser, leur sont également entièrement imputables.

120    Premièrement, le requérant n’aurait pas justifié son absence le 19 juillet 2013, alors qu’il savait que le certificat médical du 10 juin 2013 était remis en cause.

121    Deuxièmement, le certificat médical produit par le requérant le 26 juillet 2013 serait tardif et encourrait les mêmes reproches que le certificat médical du 10 juin 2013.

122    Troisièmement, l’affirmation unilatérale par l’avocat du requérant, le 17 juillet 2013, selon laquelle le requérant était dans l’incapacité de préparer sa défense, et ce « depuis plusieurs mois », serait dépourvue de l’objectivité suffisante et démentie tant par les autres éléments du dossier mentionnés aux points 114 et 115 ci-dessus que par l’échange de courriels entre le requérant et son conseil intervenu les jours précédant la seconde convocation, échange de courriels que le requérant a lui-même versé au dossier en annexe à sa requête.

123    Le requérant et son conseil seraient donc entièrement responsables de leur absence à l’audition devant l’AIPN tripartite et leurs échanges écrits entre eux et avec l’administration démontreraient que, en tout état de cause, ils étaient en mesure de présenter des observations écrites qui auraient pu être prises en compte.

124    En sixième lieu, la Commission fait valoir que, dès lors que l’IDOC n’a réalisé aucune enquête mais s’est exclusivement fondée sur le rapport d’enquête de l’OLAF, tous les arguments tirés par le requérant de la violation des règles de procédure par l’IDOC sont inopérants.

2.      Arrêt initial

125    Dans l’arrêt initial, le Tribunal de la fonction publique a fait droit à la première branche du deuxième moyen.

126    Tout d’abord, après avoir rappelé les faits pertinents (arrêt initial, points 68 et 69) et relevé que, à aucun moment de la procédure disciplinaire, l’AIPN ne s’était prévalue de l’irrégularité formelle du certificat médical du 10 juin 2013 (arrêt initial, points 68 et 72), le Tribunal de la fonction publique a considéré que l’incapacité du requérant à présenter sa défense utilement lors d’une audition disciplinaire avait été attestée par le certificat médical en cause (arrêt initial, point 70).

127    Puis, le Tribunal de la fonction publique a estimé que la circonstance que le requérant ait pu rédiger des écritures dans le cadre de procédures précontentieuses ou contentieuses, se présenter devant le conseil de discipline et rédiger des courriels au cours de la période couverte par le certificat médical du 10 juin 2013 n’était pas de nature à infirmer le contenu dudit certificat, dès lors qu’elle ne suffisait pas à prouver que le requérant aurait été capable de se défendre efficacement, de répondre aux questions qui auraient pu lui être posées par l’AIPN tripartite, ou de formuler des observations écrites (arrêt initial, point 71).

128    Ensuite, le Tribunal de la fonction publique a estimé que la circonstance que le certificat médical du 10 juin 2013 ne mentionnait aucune interdiction de sortie ni aucune incapacité à se déplacer ne permettait pas, en tant que telle, de conclure que le requérant pouvait utilement assurer sa défense lors d’une audition disciplinaire, compte tenu de la rédaction très claire dudit certificat, qui attestait le contraire, et de la durée prévisible de l’incapacité constatée par le médecin, laquelle couvrait au minimum les dates d’audition fixées par les deux convocations dont le requérant avait fait l’objet (arrêt initial, point 74). Dans ces conditions, le Tribunal de la fonction publique a conclu que l’incapacité du requérant à assurer sa propre défense avait été dûment attestée (arrêt initial, point 75).

129    De plus, le Tribunal de la fonction publique a estimé que, dans ces conditions, il incombait à la Commission de démontrer, en produisant un avis médical contraire ou au moyen d’un solide faisceau d’indices, que le requérant pouvait se rendre à l’audition disciplinaire et utilement défendre sa cause (point 76). Le Tribunal de la fonction publique a également relevé que le requérant avait contesté l’avis médical contraire du docteur S. et demandé la réunion d’une commission médicale ad hoc (arrêt initial, points 77 à 79).

130    En outre, sans se prononcer sur la régularité du certificat médical du 10 juin 2013 au regard des règles internes adoptées par la Commission, le Tribunal de la fonction publique a considéré que le requérant, dès lors qu’il était en congé de maladie, relevait du champ d’application de l’article 59 du statut. Le Tribunal de la fonction publique en a déduit que la Commission était tenue de donner suite à la demande de réunion d’une commission médicale d’arbitrage qui lui avait été présentée par le requérant, laquelle ne pouvait être considérée comme purement dilatoire (arrêt initial, points 80 à 83).

131    Enfin, le Tribunal de la fonction publique a estimé que, en ne proposant qu’un seul report de l’audition disciplinaire, à une date proche de la première convocation, alors que les faits sanctionnés remontaient à plus de dix ans, la Commission avait manqué à son devoir de sollicitude et avait limité le droit du requérant d’être entendu, garanti à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et à l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, pour des raisons non objectivement justifiables au regard des conditions de proportionnalité et de nécessité prévues à l’article 52 de la Charte (arrêt initial, points 84 à 87). Relevant que la comparution du requérant ou de son conseil aurait permis à l’AIPN de mieux apprécier, notamment, la question de savoir si les faits qui faisaient l’objet de la procédure disciplinaire faisaient ou non également l’objet de poursuites pénales, alors que le rapport d’enquête de l’OLAF sur le fondement duquel la procédure disciplinaire en cause en l’espèce avait été ouverte avait également été transmis au parquet fédéral belge, le Tribunal de la fonction publique a considéré que la violation du droit du requérant d’être entendu ne présentait pas un caractère purement théorique (arrêt initial, points 88 à 90).

132    Par conséquent, le Tribunal de la fonction publique a accueilli la première branche du deuxième moyen et, par suite, annulé la décision attaquée, sans se prononcer sur les autres branches dudit moyen et les autres moyens du recours (arrêt initial, point 91).

3.      Arrêt sur pourvoi

a)      Première branche du premier moyen et deuxième moyen du pourvoi

133    Saisi du pourvoi introduit par la Commission contre l’arrêt initial, le Tribunal a d’abord examiné ensemble la première branche du premier moyen du pourvoi, tirée, notamment, d’une erreur de droit relative à l’application des règles de la charge de la preuve qui s’attachent aux certificats médicaux, ainsi que le deuxième moyen du pourvoi, lequel se divisait en trois branches : premièrement, la Commission soutenait que le Tribunal de la fonction publique n’avait pas examiné de manière globale et concrète l’ensemble des preuves pertinentes, mais qu’il s’était contenté d’en retenir certaines seulement, en méconnaissance de la notion de faisceau d’indices concordants et du principe de libre administration des preuves ; deuxièmement, la Commission faisait valoir que le Tribunal de la fonction publique n’avait pas étayé à suffisance de droit la prétendue incapacité du requérant à se défendre et avait dénaturé certains éléments de preuve ; troisièmement, enfin, l’arrêt initial serait entaché d’une contradiction de motifs, d’un défaut de motivation et d’un examen incomplet des faits.

134    En premier lieu, le Tribunal a écarté la fin de non-recevoir opposée au pourvoi par le requérant, estimant que le pourvoi ne tendait pas à ce que le Tribunal réapprécie les faits, mais à ce qu’il constate que le Tribunal de la fonction publique avait effectué un examen incomplet des faits, s’était fondé sur des constatations matériellement inexactes et avait dénaturé certains éléments de preuve, l’ensemble de ces arguments étant recevable à l’appui d’un pourvoi.

135    En second lieu, premièrement, le Tribunal a considéré que le Tribunal de la fonction publique n’avait pas examiné à suffisance de droit si le certificat médical du 10 juin 2013, compte tenu des courriels que le requérant avait adressés les 19 février (voir point 13 ci-dessus) et 20 mars 2013 (voir point 14 ci-dessus), permettait de considérer que le requérant avait dûment justifié son incapacité à se défendre lors des auditions disciplinaires auxquelles il avait été convoqué successivement le 1er et le 19 juillet 2013. En particulier, le Tribunal a estimé que le Tribunal de la fonction publique avait commis une erreur de droit en se fondant sur les affirmations non étayées faites par le requérant dans les courriels des 19 février et 20 mars 2013 pour conclure à son incapacité à se défendre et à faire valoir ses droits dans le cadre d’une procédure disciplinaire (arrêt sur pourvoi, points 47 à 49).

136    Deuxièmement, le Tribunal a relevé qu’il ne lui semblait pas que le requérant eût invoqué avoir subi une dégradation de son état de santé à la suite de la réception de l’avis du conseil de discipline recommandant sa révocation (voir point 19 ci-dessus) et qu’une telle dégradation ne paraissait pas ressortir des pièces du dossier. Dès lors, le Tribunal a considéré que le Tribunal de la fonction publique avait dénaturé, à cet égard, les éléments de preuve soumis à son appréciation (arrêt sur pourvoi, point 50).

137    Troisièmement, le Tribunal a estimé que le Tribunal de la fonction publique, en ne se prononçant pas sur les conséquences qui devaient être tirées de la contre-expertise médicale réalisée le 26 juin 2013 par le docteur S., n’avait pas tenu compte de l’ensemble des indices pertinents pour apprécier l’existence d’un faisceau d’indices concordants permettant de remettre en cause les conclusions du certificat médical du 10 juin 2013 (arrêt sur pourvoi, points 51 et 52).

138    Ainsi, de même, il ressort des points 53 à 55 de l’arrêt sur pourvoi que le Tribunal de la fonction publique n’a pas, à tort, tenu compte des faits suivants, intervenus durant la période de prétendue incapacité couverte par le certificat médical du 10 juin 2013 : le requérant s’est rendu en personne dans les locaux de l’IDOC le 2 mai 2013 ; le 16 mai 2013, le requérant ou son conseil ont présenté des conclusions écrites au conseil de discipline ; le 21 mai 2013, le requérant s’est présenté devant le conseil de discipline ; le 13 juin 2013, le requérant a adressé un courriel au directeur de l’IDOC ; l’avocat du requérant n’a pas donné suite à la demande d’éclaircissement qui lui avait été adressée concernant les raisons de son impossibilité de participer le 1er juillet 2013 à une audition disciplinaire ; le requérant a refusé, sans raison objective, de se rendre à la convocation du médecin-conseil pour que celui-ci lui communique en personne les résultats du contrôle médical réalisé par le docteur S. le 26 juin 2013 ; le 1er juillet 2013, première date à laquelle l’audition disciplinaire avait été fixée, le requérant a adressé à l’AIPN un courriel très élaboré ; le requérant et son conseil ont échangé des courriels le 18 juillet 2013.

139    Quatrièmement, enfin, le Tribunal de la fonction publique a commis une erreur de droit et a dénaturé les pièces du dossier en estimant que la Commission avait été régulièrement saisie par le requérant d’une demande d’arbitrage au sens de l’article 59, paragraphe 1, du statut. Par suite, c’est également à tort que le Tribunal de la fonction publique a estimé que la Commission était tenue de donner suite à sa demande et qu’elle s’en est illégalement abstenue (arrêt sur pourvoi, points 56 à 58).

140    En se fondant sur les motifs qui précèdent, le Tribunal a conclu que le Tribunal de la fonction publique avait fondé sa constatation selon laquelle le droit du requérant d’être entendu par l’AIPN tripartite avait été méconnu sur un examen incomplet des faits et une dénaturation de certains éléments de preuve et qu’il avait commis des erreurs de droit. En conséquence, le Tribunal a accueilli la première branche du premier moyen et le deuxième moyen du pourvoi, sans estimer nécessaire de se prononcer sur la totalité des arguments avancés par la Commission dans ce cadre.

b)      Seconde branche du premier moyen du pourvoi

141    Le Tribunal a également accueilli la seconde branche du premier moyen du pourvoi, relevant que c’était à tort que le Tribunal de la fonction publique avait considéré que la procédure d’arbitrage prévue à l’article 59, paragraphe 1, du statut était applicable en matière disciplinaire et s’imposait à l’administration dans les cas dans lesquels celle-ci, comme en l’espèce, entendait remettre en cause la valeur probante d’un certificat médical produit aux fins d’attester l’incapacité d’un fonctionnaire poursuivi à assurer sa défense lors d’une audition disciplinaire (arrêt sur pourvoi, points 62 à 78).

142    En conséquence, le Tribunal a accueilli les deux premiers moyens du pourvoi et annulé l’arrêt initial sans se prononcer sur les troisième et quatrième moyens du pourvoi. Estimant que le litige n’était pas en état d’être jugé, le Tribunal a renvoyé la présente affaire afin qu’il soit, de nouveau, statué sur l’intégralité du recours.

4.      Appréciation du Tribunal

a)      Portée du renvoi de l’affaire devant le Tribunal

143    En ce qui concerne la portée du renvoi de la présente affaire, il convient d’observer que, si le Tribunal a censuré l’appréciation de la première branche du deuxième moyen contenue dans l’arrêt initial, il n’a, en revanche, pas lui-même écarté celle-ci (arrêt sur pourvoi, point 78). Il s’ensuit que le Tribunal, statuant à présent en tant que juge de première instance, est de nouveau entièrement saisi de cet aspect du litige.

144    Il convient également de rappeler que, à l’appui de la première branche du deuxième moyen qu’il invoque, le requérant présente quatre griefs, dont le premier est relatif à la violation par l’AIPN de l’obligation de l’entendre qui lui incombait avant l’adoption de la décision attaquée.

b)      Sur le respect du droit du requérant d’être entendu par l’AIPN tripartite avant l’adoption de la décision attaquée

145    Aux termes de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, toute personne a le droit d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard.

146    Dans le cadre de la procédure disciplinaire telle que régie par le statut, le droit d’être entendu est mis en œuvre, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, notamment par l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, qui précise que, « [a]près avoir entendu le fonctionnaire, l’[AIPN] prend sa décision conformément aux articles 9 et 10 de la présente annexe, dans un délai de deux mois à compter de la réception de l’avis du conseil [de discipline] », et, d’autre part, par l’article 4 de cette même annexe. Cette dernière disposition prévoit en effet que, « [s]i, pour des raisons objectives, le fonctionnaire ne peut être entendu au titre des dispositions de la présente annexe, il peut être invité à formuler ses observations par écrit ou peut se faire représenter par une personne de son choix » (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2014, de Brito Sequeira Carvalho/Commission, F‑107/13, EU:F:2014:232, point 100).

147    Aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés[ ; d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ». Tel est d’ailleurs aussi le sens donné au droit d’être entendu et à l’étendue de ce droit par la jurisprudence de la Cour (arrêt du 3 juillet 2014, Kamino International Logistics et Datema Hellmann Worldwide Logistics, C‑129/13 et C‑130/13, EU:C:2014:2041, point 42). Il y a lieu d’ajouter que, en matière disciplinaire, l’obligation de l’AIPN d’entendre l’intéressé doit être entendue strictement en raison notamment de la gravité des sanctions auxquelles peut conduire une procédure disciplinaire (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 1968, Van Eick/Commission, 35/67, EU:C:1968:39, p. 503 et 504).

148    Selon la jurisprudence, le fait de ne pas avoir entendu l’intéressé conformément à l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut n’entraîne pas l’annulation de la décision lui imposant une sanction disciplinaire lorsque l’intéressé lui-même doit être tenu pour responsable de ce manquement. En effet, l’AIPN n’est pas tenue de repousser indéfiniment la date de la dernière audition disciplinaire jusqu’à ce que l’intéressé soit en mesure d’y participer. Au contraire, tant dans l’intérêt du fonctionnaire que de celui de l’administration, l’adoption d’une décision mettant fin à la procédure disciplinaire ne peut être retardée sans justification. Tel est d’ailleurs l’objet du délai de deux mois prévu à l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, qui constitue en effet une « règle de bonne administration » (voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2002, Stevens/Commission, T‑277/01, EU:T:2002:302, point 41 et jurisprudence citée).

149    En outre, afin d’apprécier la légalité d’une décision de l’AIPN de procéder à l’adoption d’une sanction disciplinaire sans entendre l’intéressé lorsque celui-ci a produit un certificat médical permettant de justifier valablement son absence, il appartient au Tribunal de vérifier si les éléments apportés à cet égard par l’administration démontrent que l’intéressé pouvait être tenu pour responsable de ce défaut d’audition (voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2002, Stevens/Commission, T‑277/01, EU:T:2002:302, point 42, et du 15 octobre 2014, de Brito Sequeira Carvalho/Commission, F‑107/13, EU:F:2014:232, point 111).

150    C’est à l’aune de ces dispositions de la Charte et du statut ainsi que de la jurisprudence précitée qu’il convient d’examiner la première branche du deuxième moyen, compte tenu des appréciations du Tribunal dans l’arrêt sur pourvoi.

151    En l’espèce, il convient de rappeler que, en application de l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, le requérant a été convoqué à une première audition disciplinaire le 1er juillet 2013 (voir point 20 ci-dessus). Le requérant ayant produit, le 13 juin 2013, le certificat médical du 10 juin 2013, attestant son incapacité à présenter utilement sa défense lors d’une telle audition (voir point 22 ci-dessus), la Commission a décidé de soumettre le requérant à une contre-expertise médicale, dont elle a chargé le docteur S., psychiatre extérieur à l’institution. Cette contre-expertise a eu lieu le 26 juin 2013 (voir point 25 ci-dessus). Selon la Commission, l’expert a considéré que le requérant était en mesure d’assurer sa défense et d’être entendu lors d’une audition disciplinaire.

152    Il est par ailleurs constant que ni le requérant ni son conseil ne se sont présentés à l’audition du 1er juillet 2013. Le requérant n’a pas non plus déposé de conclusions écrites. L’AIPN a alors décidé, à titre exceptionnel, de convoquer le requérant à une nouvelle audition disciplinaire, dont la date a été fixée au 19 juillet 2013 (voir point 29 ci-dessus).

153    Par un courriel daté du 17 juillet 2013, le conseil du requérant a informé la Commission que, se trouvant à l’étranger, il ne pourrait assister à l’audition disciplinaire. Il a également rappelé que le requérant ne se trouvait pas en état de se défendre et a demandé une suspension de la procédure disciplinaire (voir point 31 ci-dessus).

154    Ni le requérant ni son conseil ne se sont présentés à l’audition disciplinaire que la Commission avait décidé de maintenir comme prévu le 19 juillet 2013. Le requérant n’a pas non plus fait usage de la possibilité de présenter des observations écrites.

155    Les parties s’opposent donc sur le point de savoir si le requérant était ou non en mesure d’assurer utilement sa défense au moment où il a été convoqué à l’audition disciplinaire. Estimant que tel était le cas, la Commission considère qu’il doit être tenu pour entièrement responsable de son absence à l’audition préalable à l’adoption de la décision attaquée. Le requérant, quant à lui, fait valoir qu’il avait suffisamment établi son incapacité à assurer sa défense et que la Commission n’est pas parvenue à démontrer le contraire.

156    Il convient par ailleurs de rappeler que, en application des dispositions combinées de l’article 4 et de l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, le droit d’être entendu du fonctionnaire par l’AIPN peut s’exercer selon trois modalités différentes, dont chacune est a priori suffisante, les deux dernières modalités étant prévues pour les cas dans lesquels, pour des raisons objectives, le fonctionnaire ne peut personnellement être entendu : par la comparution personnelle du fonctionnaire devant l’AIPN ; par la représentation du fonctionnaire poursuivi par le conseil de son choix ; par la présentation d’observations écrites.

157    Il est établi par les pièces du dossier que le requérant ne s’est présenté à aucune des deux auditions disciplinaires auxquelles il avait été convoqué. La question de savoir si ces absences étaient justifiées – et, partant, si l’AIPN pouvait légalement adopter la décision attaquée sans l’entendre – dépend du point de savoir si la Commission est parvenue, au vu des circonstances de fait qui prévalaient à l’époque, à écarter la présomption d’incapacité établie par le certificat médical du 10 juin 2013. Ce certificat, en effet, comporte les indications suivantes :

« [Le requérant] n’a plus actuellement la capacité à faire face à la succession d’étapes administratives [données occultées] Par ailleurs, il ne comprend pas ce qui lui est reproché et n’est clairement pas en mesure d’assurer son droit à se défendre, et ce au moins depuis septembre 2012.

Il me paraît donc nécessaire de suspendre pour l’instant tous actes le concernant jusqu’à ce qu’une amélioration sensible de son état puisse être constatée. »

158    Tout d’abord, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, il appartient au fonctionnaire poursuivi d’établir son incapacité à assurer sa défense. Lorsqu’il le fait en produisant un certificat médical en ce sens, il établit à cet égard une présomption qui n’est pas irréfragable. L’administration peut alors utiliser tous moyens de preuve pour tenter de renverser cette présomption (voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2002, Stevens/Commission, T‑277/01, EU:T:2002:302, point 42, et du 15 octobre 2014, de Brito Sequeira Carvalho/Commission, F‑107/13, EU:F:2014:232, point 111).

159    Trois des arguments avancés par la Commission pour contester le certificat médical du 10 juin 2013 doivent être écartés d’emblée. Premièrement, le seul fait que ledit certificat médical a été établi par un médecin généraliste ne suffit pas à en discréditer le contenu. Deuxièmement, l’absence d’indication, dans le certificat médical du 10 juin 2013, d’une date de fin prévisible de l’état d’incapacité du requérant ne constitue pas non plus une circonstance de nature à permettre de considérer ce certificat comme une attestation de complaisance dont la portée serait purement dilatoire. Troisièmement, il convient d’observer que ledit certificat médical portait exclusivement sur la capacité du requérant à assurer sa défense dans le cadre de la procédure disciplinaire et que cette question est indépendante de celle de savoir si le requérant pouvait ou non être autorisé à s’absenter de son domicile en bénéficiant d’autorisations de sortie.

160    Il convient donc de vérifier si, comme elle le soutient, la Commission, d’une part, a accompli des diligences suffisantes et, d’autre part, disposait d’un faisceau d’indices lui permettant de remettre en cause la réalité de l’incapacité alléguée par le requérant à assurer sa défense aux dates auxquelles il avait été convoqué.

161    En premier lieu, en réponse à la demande présentée par le requérant et tendant à la suspension de l’action disciplinaire le concernant, la Commission a décidé de soumettre celui-ci à la contre-expertise d’un psychiatre extérieur à l’institution, le docteur S. Elle a ensuite déduit du rapport d’expertise du docteur S. que le requérant pouvait participer à une audition disciplinaire.

162    Force est cependant de constater, à la lecture de ce rapport d’expertise, lequel a été versé aux débats avant l’audience, que le docteur S. a corroboré le diagnostic de [confidentiel](1) évoluant depuis plusieurs mois, dans un contexte [confidentiel]. Se contentant de relever que les troubles dont le requérant était atteint n’interféraient pas de manière significative avec sa participation à « un examen médical ou à un entretien comparable », le docteur S. n’a cependant nullement émis l’avis que le requérant avait la capacité de participer utilement à une audition disciplinaire devant l’AIPN tripartite, susceptible d’aboutir à sa révocation. Un tel entretien, en effet, ne saurait être considéré comme « comparable » à un examen médical. Il s’ensuit que, en considérant que le rapport d’expertise médicale établi par le docteur S. le 27 juin 2013 infirmait le contenu du certificat médical du 10 juin 2013, la Commission en a dénaturé la teneur.

163    A fortiori, il ne saurait être reproché au requérant, comme la Commission tente de le faire, de ne pas avoir produit un nouveau certificat médical avant les deux dates auxquelles il a été convoqué. En effet, le requérant s’estimait couvert par le certificat médical du 10 juin 2013 et il avait expressément contesté les raisons pour lesquelles la Commission entendait écarter ledit certificat.

164    En second lieu, la Commission fait valoir que, entre le mois de septembre 2012 et le 19 juillet 2013, date de la seconde audition disciplinaire, le requérant a manifesté par son comportement qu’il avait la capacité de comprendre ce qui lui était reproché et d’argumenter en sa faveur, c’est-à-dire d’assurer utilement sa propre défense. Les éléments invoqués par la Commission, également relevés par le Tribunal dans l’arrêt sur pourvoi et dont l’exactitude matérielle n’est pas contestée par le requérant, sont notamment les suivants.

165    Premièrement, le 10 octobre 2012, alors que le requérant ne s’était pas présenté, sans justification, à l’audition organisée par l’IDOC (voir point 8 ci-dessus), il a envoyé une réclamation de sept pages, datée de la veille, contre le mandat d’audition (voir point 9 ci-dessus). Force est de constater, à l’instar de la Commission, que cette réclamation, produite en annexe A.7 de la requête, comporte un raisonnement structuré, revenant de manière circonstanciée sur l’affaire disciplinaire antérieure ayant abouti à la décision de rétrogradation (voir point 6 ci-dessus) et sur la procédure menée par l’OLAF ayant abouti à la présente procédure disciplinaire.

166    Deuxièmement, le 19 février 2013 (voir point 13 ci-dessus), le requérant a adressé à l’IDOC un courriel produit en annexe B.3 du mémoire en défense. Comme le fait valoir la Commission, ce courriel est particulièrement structuré, démontre la parfaite compréhension par le requérant de l’état de la procédure et témoigne d’une certaine capacité à argumenter. En effet, le requérant demande à l’IDOC de lui accorder un délai pour répondre à un questionnaire et de lui indiquer les conditions dans lesquelles il peut faire parvenir des commentaires au conseil de discipline.

167    Troisièmement, il est constant que, le 2 mai 2013, le requérant est venu lui-même prendre connaissance de son dossier à l’IDOC (voir point 17 ci-dessus).

168    Quatrièmement, le 16 mai 2013, le requérant a présenté douze pages d’observations écrites en vue de son audition par le conseil de discipline, le 21 mai suivant (voir point 19 ci-dessus).

169    Cinquièmement, il résulte de l’avis du conseil de discipline du 5 juin 2013 que le requérant a demandé l’audition de deux témoins par le conseil de discipline et qu’il a lui-même procédé au contre-interrogatoire de l’un des témoins lors de la séance du conseil de discipline qui s’est tenue le 21 mai 2013, au cours duquel il a tenté d’établir que ce témoin avait des raisons personnelles de lui nuire.

170    Sixièmement, le courriel du 13 juin 2013 lui-même, par lequel le requérant a communiqué le certificat médical du 10 juin 2013, produit en annexe B.6 du mémoire en défense, est, ainsi que la Commission le relève, particulièrement éloquent et structuré et démontre, par sa teneur, la capacité du requérant à comprendre les enjeux de la procédure.

171    Septièmement, le 1er juillet 2013, jour prévu pour l’audition disciplinaire, le requérant a adressé à l’IDOC un courriel particulièrement détaillé (voir point 28 ci-dessus), dans lequel il articule différents moyens, cite le code pénal français, conteste l’extrait de la note de l’AIPN mentionnant par erreur qu’il avait été examiné par le docteur A.-G. alors qu’il l’avait été par le docteur S., rappelle des correspondances antérieures, précise les dates auxquelles son conseil était disponible, exige l’envoi par l’AIPN de documents en recommandé sous peine de nullité et présente plusieurs demandes au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut.

172    Huitièmement, le requérant et son conseil ont échangé des courriels le 18 juillet 2013 relatifs à leur stratégie contentieuse.

173    L’ensemble de ces éléments, qui s’inscrivent, d’ailleurs, parmi d’autres faits comparables ressortant des pièces du dossier, constituent, il est vrai, des indices susceptibles de démontrer la capacité du requérant à comprendre les enjeux des différentes étapes de la procédure disciplinaire. Pour autant, de tels éléments ne sauraient infirmer les constatations du certificat médical du 10 juin 2013 selon lesquelles le requérant n’était pas en mesure de se défendre utilement lors d’une audition disciplinaire. En effet, il convient de replacer ces éléments dans le contexte [confidentiel] évoqué dans le certificat médical du 10 juin 2013 et dans le rapport d’expertise du docteur S. du 27 juin 2013. Il convient également d’avoir égard au fait que le requérant s’est trouvé contraint, par le calendrier de la procédure disciplinaire dont il a fait l’objet, de répondre aux griefs qui lui ont été opposés à chaque étape de la procédure. Dans ces conditions, sa participation, même active, à la procédure ne saurait, par elle-même, et à l’encontre des avis médicaux dont il a fait l’objet, suffire à démontrer qu’il était dans un état lui permettant d’assurer utilement sa défense.

174    Par suite, c’est à tort que la Commission a considéré que les absences du requérant aux deux auditions disciplinaires auxquelles il avait été convoqué n’étaient pas justifiées et que, en conséquence, il devait être tenu pour entièrement responsable du défaut d’audition préalable à l’adoption de la décision attaquée. Compte tenu de son incapacité établie à assurer sa défense, il ne saurait davantage être reproché au requérant de ne pas s’être fait représenter et de n’avoir pas fait usage de la possibilité de présenter des observations écrites lors des auditions disciplinaires (voir point 156 ci-dessus).

175    Enfin, il suffit de relever que l’argument de la Commission selon lequel l’incidence du défaut d’audition préalable du requérant sur le contenu de la décision attaquée serait théorique est, lui-même, purement conjecturel et qu’il n’est étayé d’aucun commencement de preuve de nature à en établir le bien-fondé.

176    Il s’ensuit que l’AIPN n’a pu adopter la décision attaquée sans méconnaître les dispositions de l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut et le droit du requérant d’être entendu. Par conséquent, la décision attaquée doit être annulée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres arguments allégués par le requérant.

B.      Sur les demandes indemnitaires

1.      Sur la recevabilité des demandes indemnitaires

177    La Commission conteste la recevabilité des demandes indemnitaires présentées par le requérant dans le cadre de la procédure de renvoi, au motif pris de ce que celles-ci seraient tardives et n’auraient pas fait l’objet de demandes préalables. Ces fins de non-recevoir, toutefois, ne sauraient être accueillies.

178    En effet, d’une part, selon la jurisprudence de la Cour, la compétence de pleine juridiction prévue à l’article 91, paragraphe 1, du statut dans les litiges de caractère pécuniaire entre l’Union et l’une des personnes visées audit statut investit le juge de l’Union de la mission de donner aux litiges dont il est saisi une solution complète. Elle lui permet, même en l’absence de conclusions régulières à cet effet, non seulement d’annuler, mais encore, s’il y a lieu, de condamner d’office la partie défenderesse au paiement d’une indemnité pour le dommage moral causé par sa faute de service (voir arrêt du 17 décembre 2009, Réexamen M/EMEA, C‑197/09 RX‑II, EU:C:2009:804, points 55 et 56 et jurisprudence citée). Il s’ensuit qu’aucune irrecevabilité pour tardiveté ne saurait être opposée sur une question que le juge est amené à soulever, le cas échéant, d’office.

179    D’autre part, force est de constater que les conclusions indemnitaires présentées par le requérant dans la requête présentaient un caractère explicitement provisoire et que la survenue des dommages allégués dans le cadre du renvoi est postérieure à l’introduction de celle-ci. Par ailleurs, et sans préjudice, à ce stade, de l’appréciation du lien de causalité existant entre les chefs de préjudice allégués et l’illégalité de la décision attaquée, laquelle relève de l’examen du bien-fondé du recours indemnitaire et non de celui de sa recevabilité, il convient d’observer que le requérant soutient que l’illégalité dont est entachée la décision attaquée constitue le fait générateur exclusif des dommages qu’il allègue. Dès lors, contrairement à ce que fait valoir la Commission, le requérant n’était pas tenu de présenter en l’espèce une demande préalable distincte au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut.

180    Par suite, il convient d’écarter les fins de non-recevoir opposées par la Commission à la demande indemnitaire présentée par le requérant.

2.      Sur le bien-fondé de la demande indemnitaire

a)      Arguments des parties

1)      Arguments du requérant

181    Le requérant soutient que l’annulation de la décision attaquée ne saurait constituer une réparation adéquate de son préjudice matériel, médical, familial, professionnel et moral. Dans la requête, il évaluait provisoirement l’ensemble de ces chefs de préjudice confondus à une somme forfaitaire de 33 000 euros. Dans les observations qu’il a présentées dans le cadre de la procédure de renvoi, le requérant a par la suite précisé la portée de sa demande indemnitaire et a chiffré son préjudice, tous chefs confondus, à la somme de 3 652 000 euros.

182    En premier lieu, le requérant fait valoir que, à la date de la décision attaquée, il était propriétaire d’une maison à Enghien (Belgique), qui était son domicile familial. Ce bien aurait été vendu en vente publique forcée, le 26 mai 2015, à la suite d’une décision judiciaire. Alors qu’il était estimé à 580 000 euros, la vente aurait rapporté 310 000 euros, montant qui aurait été immédiatement reversé aux créanciers du requérant. De plus, la banque Record Bank réclamerait au requérant la somme de 305 000 euros, augmentée des intérêts de retard, correspondant au solde du crédit hypothécaire qu’il avait pris sur la maison, que la banque a dénoncé. En outre, la banque AXA exigerait le remboursement immédiat d’une somme de 37 000 euros, majorés des intérêts de retard. Le requérant estime ainsi le préjudice matériel lié à la perte de son domicile à un montant d’au moins 652 000 euros.

183    En deuxième lieu, le requérant soutient que, à la date de la décision attaquée, trois enfants étaient à sa charge. Les deux aînés auraient dû interrompre leurs études pour s’insérer dans la vie active et le troisième quitter l’école européenne pour rejoindre le système scolaire belge. Le requérant estime que les perspectives salariales que les enfants à sa charge pouvaient espérer ont été fortement compromises par ces changements de situation. Se fondant sur une étude du journal en ligne Le Parisien selon laquelle « le titulaire d’un bac +5 peut espérer 572 492 euros de plus au cours de sa carrière qu’un bac +2 », le requérant évalue ce chef de préjudice à plus de 1 100 000 euros.

184    En troisième lieu, l’épouse du requérant, qui tenait un commerce de proximité, aurait été financièrement contrainte de cesser son activité. Selon le requérant, son chiffre d’affaires mensuel était de plus de 2 500 euros. Sur une « espérance de vie professionnelle utile » estimée à 20 ans, la décision attaquée aurait entraîné pour elle un préjudice de 600 000 euros.

185    En quatrième lieu, le requérant aurait perdu le bénéfice de quatre années de salaire au grade AD 10 ainsi que des chances réelles de promotion durant les huit années pendant lesquelles a duré la procédure. Sous réserve d’un calcul plus favorable par le Tribunal, le requérant évalue cette perte financière à 500 000 euros.

186    En cinquième lieu, le requérant estime avoir subi un préjudice moral constitué par la privation de toute couverture du risque de maladie, laquelle, compte tenu de son état de santé qui le privait de toute activité professionnelle et exigeait une hospitalisation, pourrait relever de la mise en danger d’autrui. Il évalue ce préjudice moral à 300 000 euros.

187    En sixième lieu, enfin, le requérant soutient que la décision attaquée est la cause de la dislocation de sa famille et de son divorce, prononcé le 30 décembre 2014. Le domicile familial aurait été immédiatement vendu et les anciens époux seraient pourchassés par les huissiers et « frappés d’interdits en tout genre ». Il évalue le préjudice constitué par la situation financière catastrophique dans laquelle il se trouve ainsi que sa famille à 500 000 euros.

188    Au total, le requérant évalue donc le préjudice qu’il prétend avoir subi, tous chefs confondus, à la somme de 3 652 000 euros.

2)      Arguments de la Commission

189    Au cas où le Tribunal ne rejetterait pas la demande en annulation, la Commission soutient que le requérant n’a pas démontré qu’elle avait méconnu de manière grave et manifeste les limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation. La Commission fait valoir, de plus, que le requérant n’a présenté aucun élément relatif aux conditions tenant à la réalité du préjudice et à l’existence d’un lien de causalité entre les fautes et le préjudice allégués.

190    En outre, pour les raisons exposées ci-après également, la Commission considère que la demande indemnitaire est dépourvue de fondement.

191    Premièrement, s’agissant du préjudice matériel lié à la perte de revenus professionnels alléguée par le requérant, la demande serait prématurée, étant donné que la Commission serait en tout état de cause, comme elle l’a d’ailleurs fait à la suite de l’arrêt initial, tenue de tirer rétroactivement toutes les conséquences d’une annulation de la décision attaquée. La Commission fait à cet égard observer que le requérant n’a pas remboursé les sommes qui lui ont été versées à la suite de l’arrêt initial et qui sont devenues indues en raison de l’annulation de cet arrêt par l’arrêt sur pourvoi.

192    De plus, le requérant ne démontrerait pas qu’il n’a pas perçu de revenus de substitution depuis son licenciement. Or, la Commission estime qu’il y aurait lieu de tenir compte de tels revenus pour évaluer le préjudice.

193    Deuxièmement, s’agissant du préjudice lié à la vente forcée du domicile du requérant, la Commission soutient que le prix définitif de la vente n’est pas certain, étant donné que la vente évoque une possibilité de surenchère. De plus, la circonstance que le produit de la vente a été affecté au règlement des dettes du requérant ne constituerait pas en soi un préjudice, puisque cette affectation libérerait le requérant de ses dettes à hauteur du montant en cause. Enfin, la Commission fait observer que le montant réclamé par le requérant au titre de ce chef de préjudice (652 000 euros) est supérieur à la valeur alléguée de la maison (580 000 euros) et que le prix auquel la vente s’est réalisée est en tout état cause lui-même encore inférieur (310 000 euros).

194    Troisièmement, s’agissant du préjudice réclamé pour le compte d’autres membres de la famille du requérant, la Commission fait valoir que celui-ci reconnaît lui-même que sa famille s’est disloquée, ce qui le prive de toute capacité à demander réparation du préjudice subi par son ancienne épouse et par les enfants de celle-ci. À cet égard, la Commission indique que le requérant n’est plus considéré administrativement comme ayant des enfants à charge. La Commission soutient également qu’aucun lien de causalité ne peut être établi entre la décision attaquée et le divorce du requérant.

195    Quatrièmement, s’agissant de la perte de revenus professionnels prétendument subie par son ancienne épouse, la Commission soutient que celle-ci n’est pas justifiée et que le lien de causalité entre la perte d’activité en cause et la décision attaquée ne peut pas être établi. En outre, la Commission fait valoir que, dans l’affaire F‑5/14 R (voir point 50 ci-dessus), il a déclaré et fourni des preuves attestant que son épouse ne disposait d’aucun revenu.

196    Cinquièmement, la Commission soutient que le préjudice lié à l’interruption de la scolarité des enfants de l’ancienne épouse du requérant est purement hypothétique et qu’un tel préjudice serait, en tout état de cause, dépourvu de tout lien de causalité avec la décision attaquée.

197    Sixièmement, la Commission fait valoir que la situation financière du requérant ne saurait intégralement résulter de la décision attaquée, étant donné qu’il ressortirait des pièces qu’il a déposées dans le cadre du référé qu’il était déjà fortement endetté, notamment auprès de la banque AXA, alors même qu’il disposait encore d’un revenu mensuel de 9 000 euros.

198    Septièmement, la Commission estime que le requérant n’a pas démontré en quoi le préjudice moral qui résulterait de la décision attaquée ne serait pas réparé par l’annulation de celle-ci.

199    Huitièmement, enfin, la Commission soutient que le préjudice médical n’est ni démontré ni chiffré. En outre, aucun lien de causalité entre le préjudice médical et la décision attaquée ne pourrait être établi, dès lors que les premiers actes de la procédure préalable à la procédure disciplinaire, intervenus le 31 juillet 2012, sont postérieurs à la mise en congé pour maladie du requérant. Par ailleurs, le requérant ne démontrerait pas qu’il a été privé de protection sociale, d’autant plus qu’il a été réintégré rétroactivement dans ses fonctions, à la suite de l’arrêt initial, pour la période allant de l’adoption de la décision attaquée à la date de l’arrêt sur pourvoi.

b)      Appréciation du Tribunal

200    Selon une jurisprudence constante, le bien-fondé d’un recours en indemnité introduit au titre de l’article 270 TFUE est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage allégué et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêts du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C‑136/92 P, EU:C:1994:211, point 42, et du 21 février 2008, Commission/Girardot, C‑348/06 P, EU:C:2008:107, point 52). Ces trois conditions sont cumulatives, si bien que l’absence de l’une d’entre elles suffit pour rejeter un recours indemnitaire.

201    En outre, la responsabilité non contractuelle des institutions, lorsqu’elle est mise en jeu sur le fondement des dispositions de l’article 270 TFUE, peut être engagée en raison de la seule illégalité d’un acte faisant grief ou d’un agissement non décisionnel, et ce sans qu’il soit besoin de s’interroger sur la question de savoir s’il s’agit d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (voir arrêts du 16 décembre 2010, Commission/Petrilli, T‑143/09 P, EU:T:2010:531, point 46 et jurisprudence citée, et du 11 mai 2010, Nanopoulos/Commission, F‑30/08, EU:F:2010:43, point 131 et jurisprudence citée).

202    De surcroît, selon une jurisprudence constante, le dommage dont il est demandé réparation dans le cadre d’une action en responsabilité non contractuelle de l’Union doit être réel et certain, ce qu’il appartient à la partie requérante de prouver (voir arrêt du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, EU:C:2006:708, point 27 et jurisprudence citée). Il incombe à cette dernière d’apporter des preuves concluantes tant de l’existence que de l’étendue du préjudice qu’elle invoque (voir arrêt du 16 septembre 1997, Blackspur DIY e.a./Conseil et Commission, C‑362/95 P, EU:C:1997:401, point 31 et jurisprudence citée).

203    L’illégalité de la décision attaquée ayant été constatéedans le présent arrêt, il convient donc de vérifier si le requérant a établi tant la réalité de chacun des chefs de préjudice qu’il invoque que l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct entre lesdits chefs de préjudice, d’une part, et la décision attaquée, d’autre part.

1)      Sur le préjudice moral allégué

204    Selon une jurisprudence constante, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité, tel que la décision attaquée, constitue, en elle-même, la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé. Tel ne saurait toutefois être le cas lorsque la partie requérante démontre avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et n’étant pas susceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir, en ce sens, arrêts du 6 juin 2006, Girardot/Commission, T‑10/02, EU:T:2006:148, point 131 ; du 16 mai 2017, CW/Parlement, T‑742/16 RENV, non publié, EU:T:2017:338, point 64, et du 19 mai 2015, Brune/Commission, F‑59/14, EU:F:2015:50, point 80).

205    Force est de constater, en l’espèce, que le requérant ne précise pas dans quelle mesure il aurait subi un préjudice moral détachable de l’illégalité de la décision attaquée établie dans le présent arrêt et distinct des autres chefs de préjudice au titre desquels il demande réparation. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, dans l’hypothèse où le requérant invoquerait un préjudice moral indépendant des autres chefs de préjudice dont il demande l’indemnisation, ledit préjudice se trouverait, en tout état de cause, suffisamment réparé par l’annulation de la décision attaquée, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence rappelée au point 204 ci-dessus.

2)      Sur le préjudice matériel constitué par la vente forcée du domicile familial du requérant

206    Le requérant fait valoir que, à la date de la décision attaquée, il était propriétaire d’une maison à Enghien, qui était son domicile familial. La vente forcée de ce bien aurait rapporté 310 000 euros, montant qui aurait été immédiatement reversé aux créanciers du requérant. De plus, la banque Record Bank lui réclamerait la somme de 305 000 euros, augmentée des intérêts de retard, correspondant au solde du crédit hypothécaire qu’il avait pris sur la maison, que la banque a dénoncé. En outre, la banque AXA exigerait le remboursement immédiat d’une somme de 37 000 euros, majorée des intérêts de retard. Faisant somme de ces trois montants, le requérant estime ainsi à au moins 652 000 euros le préjudice matériel lié à la perte de son domicile.

207    Cependant, le requérant reste en défaut d’établir que la vente forcée de son domicile et les dettes bancaires qu’il allègue devoir rembourser sont la conséquence directe de sa révocation. En effet, si l’incidence de la révocation du requérant sur sa situation financière est incontestable, en ce qu’elle a pour effet de le priver de sa rémunération, il n’en demeure pas moins que la réalisation de l’hypothèque qui pesait sur le domicile du requérant ne saurait trouver sa cause déterminante dans ladite révocation, mais résulte plutôt du niveau de son endettement, lequel, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission, résultait de choix économiques opérés par le requérant avant sa révocation. En tout état de cause, le requérant ne saurait être fondé à soutenir que le montant qu’il a effectivement retiré de la vente forcée de son domicile constitue un préjudice indemnisable.

208    Il s’ensuit que le requérant n’a pas démontré que le préjudice d’au moins 652 000 euros qu’il allègue au titre de la vente forcée de son domicile présente un caractère indemnisable et certain et qu’il demeure en défaut d’établir le lien de causalité existant entre ledit préjudice et l’illégalité de la décision attaquée. Par suite, la demande indemnitaire qu’il présente à ce titre doit être rejetée.

3)      Sur le préjudice constitué par la baisse des perspectives de rémunération des trois enfants de l’ancienne épouse du requérant

209    Le requérant évalue à plus de 1 100 000 euros le préjudice constitué, selon lui, par les moindres perspectives de rémunération des trois enfants de son ancienne épouse, en raison de la nécessité dans laquelle ceux-ci se sont trouvés d’interrompre leurs études supérieures ou leur scolarité à l’école européenne.

210    Il suffit toutefois de constater, à cet égard, que le préjudice allégué par le requérant présente une nature purement hypothétique. Par ailleurs, le requérant ne saurait se prévaloir d’un dommage prétendument subi par les enfants de son ancienne épouse qui, depuis son divorce, ne sont, en tout état de cause, plus à sa charge. Il s’ensuit que la demande indemnitaire présentée à ce titre doit également être rejetée.

4)      Sur le préjudice commercial subi par l’ancienne épouse du requérant

211    Le requérant évalue à 600 000 euros le préjudice subi par son ancienne épouse, laquelle, selon ses dires, tenait un commerce de proximité et aurait été « financièrement contrainte » de cesser son activité. Le requérant a calculé le préjudice réclamé sur la base d’un chiffre d’affaires mensuel de plus de 2 500 euros et sur une « espérance de vie professionnelle utile » estimée à 20 ans.

212    Force est de constater que le requérant ne saurait prétendre à la réparation d’un dommage prétendument subi par son ancienne épouse. De plus, le requérant, qui s’est borné à faire état d’un chiffre d’affaires mensuel non étayé, n’a établi ni la réalité du bénéfice dont son ancienne épouse aurait été privée, ni l’existence du lien de causalité entre sa révocation et la prétendue nécessité dans laquelle son ancienne épouse se serait trouvée de mettre fin à ses activités. Dès lors, la demande indemnitaire présentée à ce titre doit également être rejetée.

5)      Sur la perte de rémunération entraînée par la procédure disciplinaire et la révocation du requérant

213    Le requérant demande au Tribunal de condamner la Commission à lui verser une somme minimale de 500 000 euros, au titre de la perte de rémunération entraînée par sa révocation et des moindres chances de promotion qu’aurait entraînées la procédure disciplinaire.

214    Force est cependant de rappeler que, en raison de l’annulation de la décision attaquée prononcée dans le présent arrêt, la Commission sera tenue, comme elle l’a d’ailleurs fait à la suite de l’arrêt initial, de reconstituer la carrière du requérant. Par ailleurs, il convient également de préciser que l’annulation prononcée par le Tribunal dans le présent arrêt, dès lors qu’elle concerne un vice procédural dont la décision attaquée a été entachée, ne fait pas obstacle à la reprise d’une procédure disciplinaire visant le requérant pour les mêmes faits. Par suite, la demande indemnitaire présentée au titre de la perte de rémunération alléguée par le requérant présente un caractère prématuré et ne saurait être accueillie.

6)      Sur le « préjudice médical »

215    Le requérant évalue à 300 000 euros le préjudice médical constitué par la privation de toute couverture du risque de maladie, laquelle, compte tenu de son état de santé qui le privait de toute activité professionnelle et exigeait une hospitalisation, pourrait relever de la mise en danger d’autrui.

216    À cet égard, le requérant ni n’établit avoir été effectivement privé de toute couverture du risque de maladie à la suite de sa révocation ni ne fait état de factures médicales qui lui auraient été adressées et pour lesquelles il n’aurait pu bénéficier d’aucune prise en charge. Il s’ensuit que la réalité de ce chef de préjudice n’est pas prouvée à suffisance de droit et que, sur ce point également, la demande indemnitaire doit être rejetée.

7)      Sur le « préjudice familial »

217    Le requérant évalue à 500 000 euros le « préjudice familial » qu’il prétend avoir subi. À cet égard, il soutient que la décision attaquée est la cause de la dislocation de sa famille et de son divorce, prononcé le 30 décembre 2014. Le domicile familial aurait été immédiatement vendu et les anciens époux seraient pourchassés par les huissiers et « frappés d’interdits en tout genre ».

218    Force est cependant de constater que le requérant ne présente aucun élément de nature à établir que sa révocation est la cause de son divorce. Par ailleurs, pour les mêmes motifs que ceux qui ont été exposés au point 207 ci-dessus, il convient également d’observer que les difficultés financières auxquelles le requérant a dû faire face ne sauraient trouver leur cause déterminante dans sa révocation, mais qu’elles résultent plutôt du niveau de son endettement à la date de ladite révocation. Il s’ensuit que la demande liée au « préjudice familial » doit être écartée et, par suite, la demande indemnitaire dans son ensemble.

 Sur les dépens

219    Aux termes de l’article 134, paragraphe 2, du règlement de procédure, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens. En l’espèce, la demande en annulation ayant été accueillie et la demande indemnitaire rejetée, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens, ceux-ci comprenant les dépens afférents à la présente instance de renvoi ainsi que ceux afférents aux procédures devant le Tribunal de la fonction publique, y compris la procédure de référé, et à la procédure de pourvoi.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du 16 octobre 2013 par laquelle la Commission européenne a infligé à CX la sanction de la révocation sans réduction pro tempore de ses droits à pension est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Chaque partie supporte ses propres dépens.

Frimodt Nielsen

Forrester

Perillo

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2018.

Signatures


Table des matières


I. Antécédents du litige

II. Procédure et conclusions des parties

A. Procédures devant le Tribunal de la fonction publique

1. Procédures principales

2. Procédure de référé

B. Pourvoi

C. Procédure de renvoi

D. Conclusions des parties

III. En droit

A. Sur la demande d’annulation

1. Arguments des parties

a) Arguments du requérant

b) Arguments de la Commission

2. Arrêt initial

3. Arrêt sur pourvoi

a) Première branche du premier moyen et deuxième moyen du pourvoi

b) Seconde branche du premier moyen du pourvoi

4. Appréciation du Tribunal

a) Portée du renvoi de l’affaire devant le Tribunal

b) Sur le respect du droit du requérant d’être entendu par l’AIPN tripartite avant l’adoption de la décision attaquée

B. Sur les demandes indemnitaires

1. Sur la recevabilité des demandes indemnitaires

2. Sur le bien-fondé de la demande indemnitaire

a) Arguments des parties

1) Arguments du requérant

2) Arguments de la Commission

b) Appréciation du Tribunal

1) Sur le préjudice moral allégué

2) Sur le préjudice matériel constitué par la vente forcée du domicile familial du requérant

3) Sur le préjudice constitué par la baisse des perspectives de rémunération des trois enfants de l’ancienne épouse du requérant

4) Sur le préjudice commercial subi par l’ancienne épouse du requérant

5) Sur la perte de rémunération entraînée par la procédure disciplinaire et la révocation du requérant

6) Sur le « préjudice médical »

7) Sur le « préjudice familial »

Sur les dépens


*      Langue de procédure : le français.


1      Données confidentielles occultées.