Language of document : ECLI:EU:T:2002:49

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

28 février 2002 (1)

«Concurrence - Conférences maritimes - Règlement (CEE) n° 4056/86 - Champ d'application - Exemption par catégorie - Règlement (CEE) n° 1017/68 - Exemption individuelle»

Dans l'affaire T-395/94,

Atlantic Container Line AB, établie à Göteborg (Suède),

Cho Yang Shipping Co. Ltd, établie à Séoul (Corée du Sud),

DSR-Senator Lines GmbH, établie à Brême (Allemagne),

Hapag Lloyd AG, établie à Hambourg (Allemagne),

Mediterranean Shipping Company SA, établie à Genève (Suisse),

A. P. Møller-Mærsk Line, établie à Copenhague (Danemark),

Nedlloyd Lijnen BV, établie à Rotterdam (Pays-Bas),

Neptune Orient Lines Ltd, établie à Singapour (Singapour),

Nippon Yusen Kaisha (NYK Line), établie à Tokyo (Japon),

Orient Overseas Container Line (UK) Ltd, établie à Levington (Royaume-Uni),

P & O Containers Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni),

Polish Ocean Lines (POL), établie à Gdynia (Pologne),

Sea-Land Service Inc., établie à Jersey City, New Jersey (États-Unis d'Amérique),

Tecomar SA de CV, établie à Mexico (Mexique),

Transportación Marítima Mexicana SA de CV, établie à Mexico,

représentées par MM. J. Pheasant, N. Bromfield et, initialement, par M. S. Kim, puis par M. M. Levitt, solicitors, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties requérantes,

soutenues par

The European Community Shipowners' Associations ASBL, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Me D. Waelbroeck, avocat,

et par

The Japanese Shipowners' Association, établie à Tokyo (Japon), représentée initialement par MM. N. Forwood, QC, et P. Rutley, solicitor, puis par Me F. Murphy, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. B. Langeheine et R. Lyal, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

The Freight Transport Association Ltd, établie à Tunbridge Wells (Royaume-Uni), comprenant The British Shipping Council,

Association des utilisateurs de transport de fret, établie à Paris (France), comprenant le Conseil des chargeurs français,

et par

The European Council of Transport Users ASBL, établie à Bruxelles, comprenant The European Shippers Council,

représentés par M. M. Clough, solicitor-advocate QC, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 94/980/CE de la Commission, du 19 octobre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/34.446 - Trans Atlantic Agreement) (JO L 376, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. K. Lenaerts, président, J. Azizi et M. Jaeger, juges,

greffier: M. Y. Mottard, référendaire,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 8 juin 2000,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204) s'appliquait, à l'origine, à l'ensemble des activités couvertes par le traité CEE. Toutefois, considérant que, dans le cadre de la politique commune des transports et compte tenu des aspectsspéciaux de ce secteur, il se révélait nécessaire d'arrêter une réglementation de la concurrence différente de celle prise pour les autres secteurs économiques, le Conseil a adopté le règlement n° 141, du 26 novembre 1962, portant non-application du règlement n° 17 du Conseil au secteur des transports (JO 1962, 124, p. 2751).

2.
    Les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité CE (devenus articles 81 CE et 82 CE) au secteur des transports terrestres sont définies par le règlement (CEE) n° 1017/68 du Conseil, du 19 juillet 1968, portant application de règles de concurrence aux secteurs des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO L 175, p. 1).

3.
    Le 22 décembre 1986, le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 4056/86 déterminant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (JO L 378, p. 4).

4.
    À l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86, il est précisé que ce dernier «ne vise que les transports maritimes internationaux au départ ou à destination d'un ou de plusieurs ports de la Communauté, autres que les services de tramp [c'est-à-dire le transport de marchandises en vrac au moyen de navires affrétés à la demande]».

5.
    Par conférence maritime, il faut entendre, selon l'article 1er, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 4056/86, «un groupe d'au moins deux transporteurs exploitants de navires qui assure des services internationaux réguliers pour le transport de marchandises sur une ligne ou des lignes particulières dans des limites géographiques déterminées et qui a conclu un accord ou un arrangement, quelle qu'en soit la nature, dans le cadre duquel ces transporteurs opèrent en appliquant des taux de fret uniformes ou communs et toutes autres conditions de transport concertées pour la fourniture des services réguliers».

6.
    Le huitième considérant du règlement n° 4056/86 est libellé comme suit:

«considérant qu'il est opportun de prévoir une exemption de groupe en faveur des conférences maritimes; que ces conférences exercent un rôle stabilisateur de nature à garantir des services fiables aux chargeurs; qu'elles contribuent généralement à assurer une offre de services de transport maritime réguliers, suffisants et efficaces et cela en prenant en considération les intérêts des usagers dans une mesure équitable; que ces résultats ne peuvent être obtenus sans la coopération que les compagnies maritimes développent au sein desdites conférences en matière de tarifs et, le cas échéant, d'offre de capacité ou de répartition des tonnages à transporter, voire des recettes; que, le plus souvent, les conférences restent soumises à une concurrence effective de la part tant des services réguliers hors conférence que, dans certains cas, de services de tramp et d'autres modes de transport; que la mobilité des flottes, qui caractérise la structure de l'offre dans le secteur des services de transports maritimes, exerce une pression concurrentiellepermanente sur les conférences, lesquelles n'ont normalement pas la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des services de transport maritime en cause».

7.
    L'article 3 du règlement n° 4056/86 prévoit une exemption par catégorie en faveur des «accords, décisions et pratiques concertés de tout ou partie des membres d'une ou plusieurs conférences maritimes, ayant comme objectif la fixation des prix et des conditions du transport et, selon le cas, un ou plusieurs des objectifs suivants:

a)    coordination des horaires des navires ou de leurs dates de voyage ou d'escale;

b)    détermination de la fréquence des voyages ou des escales;

c)    coordination ou répartition des voyages ou des escales entre membres de la conférence;

d)    régulation de la capacité de transport offerte par chacun des membres;

e)    répartition entre ces membres du tonnage transporté ou de la recette».

8.
    Afin de prévenir de la part des conférences maritimes des pratiques incompatibles avec les dispositions de l'article 85, paragraphe 3, du traité, et, notamment, des restrictions de concurrence qui ne seraient pas indispensables pour atteindre les objectifs justifiant l'octroi de l'exemption, le règlement n° 4056/86 a assorti l'exemption par catégorie de certaines conditions et charges. D'une part, l'article 4 dudit règlement prévoit que, sous peine de nullité de l'accord ou de la partie concernée de celui-ci, l'exemption est soumise à la condition impérative que ledit accord ne puisse pas porter préjudice à certains ports, usagers ou transporteurs du fait de l'application de conditions différenciées. D'autre part, l'article 5 du règlement n° 4056/86 assortit l'exemption au respect de certaines obligations relatives, notamment, aux accords de fidélité et aux services non couverts par le fret.

9.
    En outre, il est rappelé au treizième considérant qu«'une exemption ne peut être acquise lorsque les conditions énumérées à l'article 85, paragraphe 3, [du traité] ne sont [pas] réunies; que la Commission doit donc avoir la faculté de prendre les mesures appropriées au cas où un accord ou une entente exemptés révèlent, en raison de circonstances particulières, certains effets incompatibles» avec ce même article.

10.
    À cette fin, l'article 7 du règlement n° 4056/86 prévoit un mécanisme de contrôle des ententes exemptées. Lorsque les intéressés manquent à une obligation inscrite à l'article 5 dudit règlement ou lorsque, en raison de circonstances particulières, des accords bénéficiant d'une exemption ont des effets incompatibles avec lesconditions prévues à l'article 85, paragraphe 3, du traité, la Commission peut prendre certaines mesures. Parmi les circonstances particulières figure expressément celle résultant de «tout acte d'une conférence ou toute modification des conditions du marché dans un trafic donné, entraînant l'absence ou l'élimination d'une concurrence effective ou potentielle». Dans ce cas, l'article 7 du règlement n° 4056/86 prévoit que la Commission retirera le bénéfice de l'exemption de groupe.

11.
    Aux fins de l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité et en vertu de l'article 12 du règlement n° 4056/86, les entreprises qui désirent se prévaloir des dispositions de l'article 85, paragraphe 3, du traité, en faveur des accords, décisions et pratiques concertées visés à l'article 85, paragraphe 1, du traité, auxquels elles participent, adressent une demande à la Commission. Si cette dernière ne fait pas savoir auxdites entreprises, dans un délai de 90 jours à partir de la publication au Journal officiel des Communautés européennes du contenu essentiel de la demande, qu'il existe des doutes sérieux quant à l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 3, du traité, l'accord, la décision ou la pratique concertée, tels que décrits dans la demande, sont réputés exemptés pour six années au maximum, à compter du jour de cette publication (article 12, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 4056/86). Si la Commission constate, après l'expiration du délai de 90 jours, mais avant l'expiration du délai de six ans, que les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, ne sont pas réunies, elle rend une décision déclarant l'interdiction prévue à l'article 85, paragraphe 1, du traité applicable (article 12, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement n° 4056/86). Enfin, si la Commission constate que les conditions de l'article 85, paragraphes 1 et 3, du traité sont remplies, elle rend une décision d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité (article 12, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement n° 4056/86).

Faits à l'origine du litige

12.
    Le présent recours en annulation est dirigé contre la décision 94/980/CE de la Commission, du 19 octobre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/34.446 - Trans Atlantic Agreement) (JO L 376, p. 1, ci-après la «décision TAA» ou la «décision attaquée»). Par cette décision, la Commission a estimé que certaines dispositions du Trans Atlantic Agreement (ci-après le «TAA»), un accord, auquel étaient parties les quinze compagnies maritimes requérantes, relatif au transport régulier (ci-après le «transport de ligne») de conteneurs à travers l'Atlantique, entre l'Europe du Nord et les États-Unis ainsi qu'au transport terrestre de pré- et de postacheminement des conteneurs, constituaient des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité. La Commission a refusé de reconnaître à ces dispositions le bénéfice d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. La Commission n'a pas imposé d'amendes pour les infractions constatées.

13.
    Les faits non contestés, tels qu'ils ressortent de la décision TAA et des écritures des parties, peuvent être résumés comme suit.

14.
    Le trafic transatlantique constitue le troisième trafic mondial derrière le trafic transpacifique et le trafic Europe-Extrême-Orient. En 1984, les neuf conférences maritimes jusqu'alors présentes sur la route transatlantique ont cédé la place à deux conférences: North Europe-USA Rate Agreement (Neusara) pour le trafic à destination des États-Unis et USA-North Europe Rate Agreement (Usanera) pour celui à destination de l'Europe. En 1992, les sept compagnies maritimes qui appartenaient à chacune de ces conférences (Atlantic Container Line, Compagnie générale maritime, Hapag Lloyd, Maersk, Nedlloyd, P & O et Sea-Land) détenaient conjointement 52,9 %, dans le sens est-ouest (Westbound), et 55,7 % dans le sens ouest-est (Eastbound) du marché des services de transport de ligne de conteneurs. Leurs principaux concurrents étaient, à l'époque, Orient Overseas Container Line (ci-après «OOCL»), Cho Yang, DSR-Senator Lines, Mediterranean Shipping Company (ci-après «MSC»), Polish Ocean Line (POL), Atlantic Cargo Shipping, Evergreen, Independent Container, Lykes et Star Shipping. Toutes les autres compagnies indépendantes des conférences maritimes détenaient des parts de marché inférieures à 1 %.

15.
    Les conférences Neusara et Usanera obéissaient à des principes de fonctionnement identiques. Les prix des services de transports offerts étaient établis sur la base d'un tarif publié, valable pour chacun des membres de la conférence. Pour un voyage donné, le prix de transport prévu au tarif était fonction de la nature de la marchandise transportée. Ainsi, pour un même trajet, le prix pouvait varier de 1 à 5 selon la marchandise transportée. Les chargeurs pouvaient faire transporter leurs marchandises par n'importe quel membre de la conférence en s'acquittant du prix indiqué dans le tarif de celle-ci.

16.
    Afin de bénéficier d'une réduction de prix par rapport au tarif de la conférence, deux possibilités s'offraient aux chargeurs. D'une part, ils pouvaient obtenir une réduction tarifaire de la part de l'un des membres de la conférence par le biais d'une «action tarifaire indépendante». Cette expression se réfère au mécanisme prévu par certaines dispositions de la législation pertinente des États-Unis, l'US Shipping Act 1984, afin de garantir à tous les membres d'une conférence desservant les ports de ce pays la possibilité d'octroyer unilatéralement une réduction de prix par rapport au tarif de la conférence. Dans les conférences Usanera et Neusara, une compagnie maritime qui décidait d'avoir recours à une action tarifaire indépendante était tenue d'en informer les autres membres.

17.
    D'autre part, les chargeurs disposaient de la faculté de conclure un «contrat de service» avec la conférence. Dans le cadre d'un tel contrat, le chargeur s'engageait à faire transporter par la conférence une quantité minimale de marchandises au cours d'une durée déterminée. En contrepartie de cet engagement, la conférenceaccordait aux chargeurs un rabais par rapport à son tarif. Aucune conférence ne permettait à ses membres de passer des contrats de service à titre individuel.

18.
    Les marchés des services de transport maritime de ligne de conteneurs sont généralement soumis à des conditions économiques qui diffèrent selon le sens du trafic. Ainsi, sur la route transatlantique, il existe un important déséquilibre entre la demande de services à destination de l'Europe et celle à destination des États-Unis. En 1987 et 1988, le volume du trafic à destination des États-Unis excédait largement celui à destination de l'Europe. Toutefois, à partir de 1991, la situation s'est inversée, le volume du trafic à destination de l'Europe dépassant légèrement celui à destination des États-Unis. Les taux d'utilisation des navires - le rapport entre le volume de la demande et la capacité de transport disponible - étaient estimés, en 1992, à 72,4 % pour le trafic à destination de l'Europe et à 62,6 % pour celui vers les États-Unis. Enfin, au cours de l'année 1993, le trafic à destination des États-Unis a augmenté de manière nette, alors que le trafic en direction de l'Europe connaissait un repli important.

19.
    Les prix des services de transport maritime, ou «taux de fret», sur la route transatlantique ont baissé de manière significative entre 1980 et 1992. C'est ainsi que, entre 1988 et 1992, la diminution du volume du trafic à destination des États-Unis a été suivie d'une baisse continue des taux de fret. De 1988 à 1991, les taux pratiqués dans le sens est-ouest ont chuté de plus de 23 %, alors que, à destination de l'Europe, ils augmentaient de 10 à 13 %.

20.
    Dans ce contexte économique, les armateurs ont subi d'importantes pertes financières.

21.
    Dès 1985, confrontés à la détérioration des conditions du marché, les membres des conférences et certaines compagnies indépendantes (Evergreen, POL, MSC, OOCL et Lykes) ont conclu des accords dits «de discussion» leur permettant d'évoquer, notamment, leurs prix, leurs tarifs et conditions de transport. Ces accords, nommés Eurocorde et Gulfway, étaient dépourvus de mécanismes décisionnels contraignants. À partir de 1990, certains armateurs, estimant que les accords Eurocorde et Gulfway ne permettaient pas d'imposer des augmentations des taux de fret qui puissent satisfaire à la fois les membres des conférences et les indépendants, ont émis le souhait d'adopter un nouveau cadre de coopération allant au-delà des accords de discussion et des structures traditionnelles des conférences maritimes.

22.
    Des négociations se sont engagées entre les armateurs en vue de la conclusion d'un accord d'un type encore inconnu dans le cadre du trafic transatlantique afin de combattre la chute des taux de fret. Pour atteindre cet objectif, les armateurs considéraient qu'il était impératif de se doter d'un cadre de coopération qui régisse à la fois la fixation des taux de fret et la limitation des capacités de transport offertes.

23.
    Selon les explications fournies par les requérantes, un tel accord ne pouvait réussir à enrayer l'instabilité du marché qu'en rassemblant un nombre suffisant de compagnies maritimes. Pour ramener les taux de fret à un niveau assurant une rentabilité suffisante, les armateurs estimaient qu'il était nécessaire de regrouper, au sein d'une même structure, à la fois les membres des conférences Usanera et Neusara et des compagnies indépendantes. Cependant, la réalisation d'un tel objectif se heurtait à un obstacle majeur. Les armateurs indépendants refusaient d'adhérer à des conférences qui, à l'instar de Usanera et Neusara, fonctionnaient sur la base d'un tarif unique, car ils ne pouvaient imposer à leurs clients des taux de fret aussi élevés que ceux pratiqués par ces conférences.

24.
    Le 6 mai 1992, les compagnies membres des conférences Usanera et Neusara, d'une part, et cinq compagnies maritimes indépendantes (DSR-Senator Lines, Cho Yang, OOCL, POL et MSC), d'autre part, ont conclu le TAA.

25.
    Après la conclusion du TAA, quatre autres compagnies maritimes indépendantes, ont adhéré à cet accord, à savoir Nyppon Yusen Kaisha (NYK), Neptune Orient Lines (NOL) et Transportación Marítima Mexicana et Tecomar. Après avoir mis un terme à ses activités sur la route transatlantique, la Compagnie générale maritime s'est retirée du TAA, de telle sorte que le nombre de parties au TAA s'établissait à quinze.

26.
    Le TAA régissait plusieurs aspects du transport de ligne de conteneurs, dont l'«affrètement de slots ou d'espace» et l'échange d'équipement, la fixation des prix des services de transport et de manutention portuaire ainsi que la gestion commune des capacités de transport maritime. Aux fins de l'examen du présent recours, les dispositions du TAA concernées sont celles relatives à la fixation des prix des services de transport et au programme de gestion des capacités de transport.

27.
    S'agissant des prix, le TAA prévoyait la fixation en commun des tarifs applicables au transport maritime et au transport combiné. Ce dernier, également appelé par les parties «multimodal» ou «de bout en bout», comprend, outre le transport maritime, l'acheminement terrestre de conteneurs maritimes, à partir ou vers des côtes, à destination ou en provenance d'un point à l'intérieur des terres. Le prix d'un service de transport combiné est composé de deux éléments, l'un relatif au service maritime, l'autre au service terrestre. Ainsi, le TAA instaurait, outre un tarif maritime, un tarif pour les services de transport terrestre effectués sur le territoire de la Communauté dans le cadre d'une opération de transport combiné.

28.
    Les dispositions du TAA relatives aux accords de prix des services de transport maritime et terrestre sont rappelées aux considérants 11 à 15 de la décision TAA dans les termes suivants:

«(11) Les membres du TAA établissent des tarifs, tant pour le segment maritime que pour le segment terrestre, et, ensemble, ils publient ces deux types de tarifs.Toute action indépendante de l'un des membres (offre de taux [de fret] inférieurs aux tarifs [...]) doit être signalée dix jours avant au secrétariat du TAA, qui en informe les autres membres (article 13 tel que modifié).

(12) Un 'comité des taux' permanent veille à l'application des objectifs de l'accord en ce qui concerne les tarifs (article 13). Il est constitué des anciens membres des conférences maritimes établies sur le trafic entre l'Europe du Nord et la côte est des États-Unis (à savoir [Atlantic Container Line], Hapag Lloyd, P & O, Nedlloyd, Sea-Land, Maersk], plus OOCL et NYK. L'application de ces accords de conférences a été suspendue à la suite de l'entrée en vigueur du TAA (voir considérants 117 et suivants).

[...] Contrats de service

(13) Les contrats de service conclus par les membres du TAA doivent obéir à certaines règles, dont les principales sont les suivantes:

-    la durée des contrats ne doit pas être supérieure à un an; tous les contrats doivent avoir pour limite le 31 décembre de l'année en cours,

-    aucun contrat ne pouvait être signé pour des volumes annuels inférieurs à 250 conteneurs EVP ou TEU (équivalents de vingt pieds ou Twenty Foot Equivalent Units). En date du 16 septembre 1993, la Commission a été informée par les parties qu'elles avaient déposé auprès de la Federal Maritime Commission [autorité administrative indépendante chargée, notamment de la mise en oeuvre de l'US Shipping Act 1984] un amendement de l'accord visant à abaisser cette limite à 200 TEU à partir du 1er janvier 1994.

(14) Un 'comité des contrats' permanent, composé des mêmes membres que le comité des taux, c'est-à-dire principalement les anciens membres des conférences, veille à la mise en oeuvre de la politique du TAA en ce qui concerne les contrats de service (article 14).

(15) Les membres du comité des contrats peuvent négocier et signer conjointement des contrats de service collectifs, mais ne sont pas autorisés à signer des contrats de service individuels. Les armateurs non membres de ce comité peuvent négocier et signer des contrats individuellement et/ou conjointement entre eux sans notification préalable. Ces derniers armateurs ne peuvent participer à des contrats de service de membres du comité des contrats qu'au cas par cas, et ce sous réserve d'un accord mutuel.»

29.
    S'agissant des capacités de transport, l'article 18 du TAA définissait un programme de gestion desdites capacités (Capacity Management Program (ci-après le «CMP»). Selon cette disposition, l'objet du TAA ne pouvait être atteint sans que les parties n'étendent leur coopération à la gestion de leur offre de capacité de transport.Pour ce faire, les armateurs s'entendaient pour ne pas utiliser une partie substantielle (jusqu'à 25 %) de leurs capacités de transport disponibles. Les membres du TAA avaient déterminé pour deux ans, par périodes de trois mois, d'une part, les capacités de transport réellement disponibles pour chacun d'entre eux et, d'autre part, les quantités de chargement que chacun était autorisé à transporter. L'armateur qui dépassait au cours d'une période de trois mois donnée son quota de chargement autorisé s'engageait à payer une amende de 500 dollars des États-Unis (USD) par conteneur de 20 pieds. Il pouvait cependant louer des espaces de chargement auprès d'autres membres du TAA si ceux-ci n'avaient pas atteint leurs propres quotas. Les volumes définis par le programme étaient révisables. Toutes les parties au TAA participaient au CMP. À la date de la décision TAA, le CMP n'était mis en oeuvre que dans le cadre du trafic à destination des États-Unis.

30.
    Le 28 août 1992, le TAA a été notifié à la Commission. Ses signataires ont sollicité, sur la base de l'article 12, paragraphe 1, du règlement n° 4056/86, une décision d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

31.
    Par lettre du 24 septembre 1992, la Commission a informé les compagnies maritimes membres du TAA qu'elle examinerait aussi l'accord à la lumière des dispositions du règlement n° 1017/68.

32.
    Entre le 13 octobre 1992 et le 19 juillet 1993, la Commission a reçu de nombreuses plaintes concernant la mise en oeuvre du TAA. Ces plaintes émanaient d'exportateurs et d'associations d'exportateurs établis dans différents États membres de la Communauté et opérant vers les États-Unis, des administrations de plusieurs ports européens ainsi que de transitaires et d'associations de transitaires. Dans ces plaintes étaient formulées diverses accusations de violation des articles 85 et 86 du traité en rapport avec le caractère inéquitable des conditions contractuelles imposées par les membres du TAA et la limitation artificielle de l'offre de transport.

33.
    Par lettre du 10 décembre 1993, la Commission a notifié aux requérantes une communication des griefs. Les entreprises destinataires ont présenté des observations écrites et ont, en outre, été entendues les 28 et 29 avril 1994.

34.
    À la suite de discussions qui ont eu lieu au cours de la procédure précontentieuse, les requérantes ont notifié à la Commission, le 5 juillet 1994, un nouvel accord, le Trans Atlantic Conference Agreement (ci-après le «TACA»), présenté comme une version amendée du TAA. Après l'introduction de plusieurs amendements, ce nouvel accord est entré en vigueur le 24 octobre 1994, se substituant au TAA.

35.
    C'est dans ces circonstances que, le 19 octobre 1994, la Commission a adopté la décision TAA, après avoir recueilli l'avis du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes dans les domaines des transports terrestreset maritimes. La décision attaquée est divisée en quatre parties. La Commission a, dans une première partie, exposé les principales dispositions du TAA. La deuxième partie est consacrée à l'analyse du marché et du contexte économique des services de transport sur la route transatlantique. Dans la troisième partie, relative au rôle du TAA, la Commission examine successivement l'origine de cet accord, la puissance économique de la structure qu'il instaure, son impact sur le marché et les plaintes dont il a fait l'objet. La quatrième et dernière partie contient l'analyse juridique des dispositions du TAA relatives au CMP et à la fixation des prix des services maritimes et terrestres.

36.
    Au terme de son analyse, la Commission a arrêté ce qui suit:

«Article premier

Les dispositions de l'accord TAA relatives aux accords de prix et de capacité sur le transport maritime constituent des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité CE.

Article 2

L'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CE et de l'article 5 du règlement (CEE) n° 1017/68 aux dispositions de l'accord TAA visées par l'article 1er est refusée.

Article 3

Les entreprises destinataires de la présente décision sont tenues de mettre fin immédiatement aux infractions constatées à l'article 1er.

Article 4

Les entreprises destinataires de la présente décision sont tenues de s'abstenir à l'avenir de tout accord ou pratique concertée pouvant avoir un objet ou un effet identique ou similaire à des accords et pratiques visées par l'article 1er.

Article 5

Les entreprises destinataires de la présente décision sont tenues d'informer, dans un délai de deux mois à compter de la date de la notification de la présente décision, les clients avec lesquels ils ont conclu des contrats de service ou d'autres contrats dans le cadre du TAA, qu'ils peuvent, s'ils le souhaitent, renégocier les clauses de ces contrats ou [...] les résilier immédiatement.»

37.
    Le 21 décembre 1994, la Commission a adopté la décision 94/985/CE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/33.218 - Far EastenFreight Conference) (JO L 378, p. 17, ci-après la «décision FEFC»). Le 16 mars 1995, des compagnies destinataires de cette décision ont, en application de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE), déposé au greffe du Tribunal une requête tendant à l'annulation de la décision FEFC (affaire T-86/95).

38.
    Le 27 janvier 1997, les parties à l'accord TACA ont, en application de l'article 173 du traité, déposé au greffe une requête tendant à l'annulation de la décision C (96) 3414 final de la Commission, du 26 novembre 1996, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité (affaire IV/35.134 - Trans Atlantic Conference Agreement), destinée à retirer le bénéfice de l'immunité concernant les amendes résultant, le cas échéant, de la notification du TACA (affaire T-18/97).

39.
    Le 16 septembre 1998, la Commission a adopté la décision 1999/243/CE, relative à une procédure d'application des articles 85 et 86 du traité CE (affaire IV/35.134 - Trans-Atlantic Conference Agreement) (JO 1999, L 95, p. 1, ci-après la «décision TACA»). Par requêtes déposées les 7, 29 et 30 décembre 1998, les parties à l'accord TACA ont introduit des recours en annulation contre la décision TACA, enregistrés sous les n° T-191/98, T-212/98, T-213/98 et T-214/98.

Procédure

40.
    Le 23 décembre 1994, les requérantes ont, en application de l'article 173 du traité, déposé au greffe du Tribunal une requête tendant à l'annulation de la décision TAA. Par acte séparé, elles ont également demandé, en vertu des articles 185 et 186 du traité CE (devenus articles 242 CE et 243 CE), qu'il soit sursis à l'exécution de la décision TAA.

41.
    Par ordonnance du président du Tribunal du 10 mars 1995, Atlantic Container Line e.a./Commission (T-395/94 R, Rec. p. II-595), l'exécution des articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision TAA a été suspendue, jusqu'au prononcé de l'arrêt du Tribunal mettant fin à l'instance dans l'affaire au principal, dans la mesure où ils interdisent aux requérantes d'exercer conjointement le pouvoir de fixer les prix applicables aux segments terrestres, sur le territoire de la Communauté, dans le cadre des services de transport combiné. Le pourvoi formé par la Commission contre cette ordonnance a été rejeté par une ordonnance du président de la Cour, rendue le 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a. [C-149/95 P(R), Rec. p. I-2165].

42.
    Par ordonnance du 8 juin 1995, le président de la quatrième chambre élargie du Tribunal a admis les interventions de The Japanese Shipowners' Association (ci-après la «JSA») et de The European Community Shipowners' Association ASBL (ci-après l'«ECSA») au soutien des conclusions des requérantes, ainsi que de The Freight Transport Association Limited (ci-après la «FTA»), comprenant The British Shipping Council, de l'association des utilisateurs de transport de fret(ci-après l'«AUTF»), comprenant le conseil des chargeurs français et de The European Council of Transport Users ASBL (ci-après l'«ECTU»), comprenant The European Shippers Council au soutien des conclusions de la Commission.

43.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 octobre 1995, les requérantes ont présenté une seconde demande de mesures provisoires, au titre de l'article 186 du traité, en vue d'obtenir que le président du Tribunal ordonne que «la Commission ne (puisse), le cas échéant, rendre effective une décision visant à [leur] retirer le bénéfice de l'immunité d'amendes, en ce qui concerne l'exercice du pouvoir de fixer les taux des services de transport combiné en Europe, qu'après que le Tribunal ... aura statué définitivement sur un recours visant à l'annulation de cette décision, fondé sur les articles 173 et 174 du traité CE, que les requérantes introduiront d'urgence» (point 1.26 de la requête en référé). Par ordonnance du 22 novembre 1995, Atlantic Container Line e.a/Commission (T-395/94 R II, Rec. p. II-2893), le président du Tribunal a rejeté cette demande comme irrecevable.

44.
    Le 30 octobre 1995, la High Court of Justice (England & Wales) a, sur la base de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), posé à la Cour plusieurs questions préjudicielles relatives, notamment, à l'application de l'article 85 du traité et à l'interprétation des règlements n° 4056/86 et n° 1017/68 en matière de transport maritime de ligne (affaire C-339/95, Compagnia di Navigazione Marittima e.a, JO 1995, C 351, p. 4). Par ordonnance du 26 juin 1996, le Tribunal a prononcé la suspension de la procédure dans l'affaire T-395/94 jusqu'au prononcé de l'arrêt dans l'affaire C-339/95, conformément à l'article 47, troisième alinéa, du statut CE de la Cour de justice et aux articles 77, sous a), et 78 du règlement de procédure du Tribunal. Juste avant la date prévue pour le dépôt, par l'avocat général, de ses conclusions dans l'affaire C-339/95, la Cour a été informée qu'un accord avait été conclu entre les parties au litige et que l'affaire serait radiée du rôle de la juridiction nationale, laquelle a dès lors informé la Cour qu'elle retirait sa demande de décision à titre préjudiciel. En conséquence, par ordonnance du président de la Cour en date du 11 mars 1998, l'affaire C-339/95 a été radiée et la procédure dans l'affaire T-395/94 a repris son cours sans qu'aucune réponse n'ait pu être apportée par la Cour aux différentes questions préjudicielles posées.

45.
    Eu égard au caractère particulièrement volumineux des requêtes déposées dans les quatre recours contre la décision TACA et à la connexité des questions de fond qui y sont soulevées avec la présente affaire, ainsi qu'avec l'affaire T-86/95 et avec l'affaire T-18/97, une réunion informelle a été organisée le 18 janvier 1999 avec les parties, afin d'examiner les mesures envisageables pour assurer un traitement efficace des affaires. Il ne s'est, toutefois, pas avéré possible de procéder à un regroupement des affaires relatives aux décisions TAA et TACA ni d'obtenir des requérantes un résumé des écritures dans les affaires concernant la décision TACA.

46.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure,invité les parties à produire certaines pièces et à répondre à des questions écrites. Les parties ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.

47.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales lors de l'audience publique du 8 juin 2000.

Conclusions des parties

48.
    Les requérantes, soutenues par la JSA et l'ECSA, parties intervenantes, concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision TAA;

-    subsidiairement,

    -    annuler les articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision TAA, dans la mesure où ils ont pour effet de leur interdire de fixer les prix applicables au transport terrestre, en ce qu'il fait partie du transport combiné dans le cadre de tout accord de coopération concernant la fourniture de service de transport maritime de ligne;

    -    annuler l'article 5 de la décision TAA;

    -    annuler les articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision TAA, dans la mesure où ils ont pour effet de leur interdire de conclure en commun des contrats de service, des accords aux termes desquels elles s'abstiennent, d'une part, de conclure individuellement des contrats de service et, d'autre part, d'exercer une action indépendante concernant les contrats de service conclus en commun;

-    condamner la Commission aux dépens.

49.
    La Commission, soutenue par la FTA, l'AUTF et l'ECTU, parties intervenantes, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner les requérantes aux dépens.

Sur l'intérêt à statuer

50.
    Les parties intervenantes, la FTA, l'AUTF et l'ECTU, se sont interrogées sur la permanence d'un intérêt à statuer dans la mesure où la décision TAA porte sur un accord qui n'est plus en vigueur.

51.
    Selon l'article 113 du règlement de procédure, le Tribunal peut à tout moment, d'office, examiner les fins de non-recevoir d'ordre public ou constater qu'il n'y a plus lieu de statuer. Il n'y a pas lieu de statuer sur un recours en annulation dirigé contre une décision qui n'a pas eu et ne peut plus avoir d'effets préjudiciables pour les requérantes et qui est ainsi devenu sans objet (arrêt de la Cour du 10 février 1982, Flender e.a./Commission, 74/81, Rec. p. 395, point 9).

52.
    Le Tribunal relève que la décision attaquée produit des effets juridiques à l'égard des requérantes. Tout d'abord, la Commission a constaté que les dispositions du TAA relatives à la fixation des prix des services de transport et à la gestion commune des capacités de transport maritime constituaient des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité, puis a enjoint aux requérantes de mettre un terme à ces infractions et de s'abstenir à l'avenir de tout accord ou pratique concertée pouvant avoir un objet ou un effet similaire ou identique à ces dispositions et, enfin, a exigé qu'elles informent les clients avec lesquels elles ont conclu des contrats de service ou d'autres contrats dans le cadre du TAA qu'ils peuvent, s'ils le souhaitent, renégocier les clauses de ces contrats ou les résilier immédiatement.

53.
    Ces effets n'ont pas nécessairement disparu en raison de la résiliation du TAA, laquelle, au demeurant, est intervenue en raison de l'appréciation négative du TAA portée par la Commission au regard des règles de concurrence du traité. En outre, l'annulation de la décision attaquée pourrait s'opposer à la constatation ultérieure par la Commission du caractère infractionnel de dispositions similaires ou identiques à celles incriminées dans la décision TAA.

54.
    Il s'ensuit que, nonobstant la résiliation du TAA, la décision attaquée demeure préjudiciable aux requérantes et produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter leurs intérêts, de telle sorte qu'elles conservent un intérêt à en demander l'annulation. Les circonstances pouvant justifier un non-lieu à statuer ne sont donc pas remplies en l'espèce.

Sur le fond

55.
    Au soutien de la demande principale d'annulation de la décision attaquée, les requérantes invoquent, à titre principal, en substance, trois moyens. Le premier moyen est pris de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Le deuxième moyen est tiré de la violation de l'article 3 du règlement n° 4056/86 en raison de la non-application au TAA de l'exemption par catégorie. Le troisième moyen est pris du refus d'octroi d'une exemption individuelle. Les parties intervenantes au soutien des requérantes invoquent une violation de l'accord sur l'Espaceéconomique européen (ci-après l'«accord EEE»). À titre subsidiaire, les requérantes présentent trois demandes d'annulation partielle de la décision attaquée. En premier lieu, elles demandent l'annulation des articles 1er, 2, 3 et 4 de ladite décision, dans la mesure où ils interdisent la fixation des prix du transport combiné. En deuxième lieu, elles demandent l'annulation de l'article 5 de la décision attaquée. En troisième lieu, elles demandent l'annulation des articles 1er, 2, 3 et 4 de ladite décision, dans la mesure où ils interdisent les contrats de service communs.

Sur la demande principale d'annulation de la décision attaquée

I - Sur le premier moyen, pris de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité

A - Arguments des parties

56.
    Après avoir rappelé que le TAA ne s'appliquait qu'aux services de transport de marchandises entre la Communauté et des pays tiers, les requérantes reprochent à la Commission de s'être contentée d'affirmations générales non conformes à l'obligation de motivation et de ne pas avoir, ainsi, satisfait à son obligation d'établir, d'une part, que le TAA restreignait la concurrence à l'intérieur du marché commun et d'autre part, qu'il affectait sensiblement le commerce entre États membres.

57.
    Au soutien de leurs griefs, les requérantes insistent sur le fait que le TAA était un accord relatif au commerce international. À l'égard de tels accords, la Commission serait tenue de procéder à un examen particulièrement approfondi des deux conditions précitées. À ce titre, les requérantes rappellent que tant la Cour (arrêt de la Cour du 18 février 1986, Bulk Oil, 174/84, Rec. p. 559) que la Commission [(décision 77/100/CEE de la Commission, du 21 décembre 1976, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/5715 - Junghans) (JO 1977, L 30, p. 10)] auraient admis qu'une interdiction d'exporter de la Communauté vers des pays tiers n'entre pas dans le champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, à défaut d'affecter la concurrence à l'intérieur de la Communauté. Par ailleurs, se référant au sixième considérant du règlement n° 4056/86, les requérantes estiment que les accords concernant les transports maritimes internationaux au départ ou à destination de pays tiers ne peuvent avoir qu'un effet indirect sur la concurrence à l'intérieur du marché commun. Elles en déduisent que la Commission est tenue de démontrer, à l'égard d'accords relatifsau commerce international, l'existence de l'effet requis sur la concurrence dans le marché commun.

58.
    Les requérantes soutiennent également que, en présence d'un accord relatif au commerce international, la Commission est tenue de prouver l'existence d'un effet sur les échanges entre les États membres (voir, en particulier, conclusions de l'avocat général M. Lenz dans les affaires ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour du 30 avril 1986, Asjes e.a., 209/84 à 213/84, Rec. p. 1425, et arrêt de la Cour du 11 avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro, 66/86, Rec. p. 803).

59.
    Sur la base de ces critiques d'ordre général, les requérantes développent plusieurs griefs spécifiques visant l'analyse, dans la décision TAA, des conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

60.
    En premier lieu, s'agissant des dispositions du TAA relatives à la fixation des prix du transport maritime, les requérantes prétendent que la décision attaquée ne comporte aucune preuve de ce que, en l'absence du TAA, un plus grand nombre de chargeurs expédieraient des marchandises au départ de ports situés dans un État membre différent de celui dans lequel ils sont établis et recourraient aux services d'entreprises de transport établies dans d'autres États membres. En outre, rien ne prouverait que le TAA ait un effet sensible sur le commerce des marchandises, le prix du transport maritime arrêté dans le cadre du TAA ne représentant qu'une partie du coût total du transport et donc une proportion négligeable du prix de vente final des marchandises.

61.
    En deuxième lieu, s'agissant du CMP, les requérantes estiment que la Commission s'est méprise sur la nature de cette disposition, dont le but n'est pas de réduire le volume des services de transport, mais de réguler la capacité de réserve nécessaire pour assurer une offre de services réguliers, fiables, suffisants et efficaces. Elles font valoir que, sur les lignes transatlantiques, l'offre a toujours excédé la demande. Rien ne permettrait donc d'affirmer objectivement l'existence d'une restriction de concurrence dans le marché commun ou d'un effet sensible sur le commerce entre États membres.

62.
    En troisième lieu, les requérantes avancent une série de griefs concernant l'analyse des dispositions relatives à la fixation des prix du transport terrestre.

63.
    Les requérantes font valoir que la Commission a omis de définir le marché pertinent et a, sans fournir aucune motivation, identifié simplement les services auxquels s'applique l'accord en question. La Commission aurait dû analyser les services de transport terrestre de conteneurs maritimes dans le contexte du marché des services de transport maritime auxquels ils se rattachent, et ce à la lumière du règlement n° 4056/86. À supposer que les services de transport terrestre fournis par les requérantes doivent s'apprécier au regard du règlement n° 1017/68, le marché pertinent devrait comprendre tous les transports terrestres d'un type analogue, ou substituable, aux transports offerts par les membres du TAA. Le transport terrestrede conteneurs maritimes assuré dans le cadre du TAA représenterait moins de 0,5 % de l'ensemble du marché ainsi défini. Dès lors, tout effet sensible sur la concurrence serait exclu.

64.
    Les requérantes soutiennent que la Commission a omis de démontrer cet effet sensible sur le commerce entre États membres et que la décision attaquée est, de ce fait, entachée d'un défaut de motivation.

65.
    Les requérantes soulignent que les affirmations de la Commission selon lesquelles la fixation commune des prix du transport terrestre affectait la concurrence entre ports européens et influait sur l'acheminement du fret sont dépourvues de motivation et résultent d'une méprise sur la façon dont sont assurés les services de transport terrestre. Elles font valoir que le TAA, comme la plupart des conférences maritimes, fixait un tarif pour le transport combiné, basé sur le tarif du transport maritime, majoré des frais de manutention portuaire et des frais de transport terrestre calculés en fonction d'un transport fictif entre un point à l'intérieur des terres et le plus proche des ports desservis par la conférence. Si les compagnies maritimes ont naturellement tendance à «chercher du fret» dans la zone d'attraction du port à partir duquel elles opèrent, elles seraient néanmoins disposées à supporter les frais supplémentaires qu'implique le transport de la marchandise vers un port éloigné. Cette pratique ancienne, dénommée «port equalization», tient au fait qu'une compagnie ne peut desservir qu'un nombre limité de ports. Même en l'absence des conférences maritimes, les compagnies adopteraient ladite pratique de sorte que le détournement de fret résultant de l'application du tarif pour le transport terrestre serait minime. En réalité, le détournement de fret aurait pour origine la recherche d'une certaine commodité par la compagnie maritime et non l'existence du TAA et serait souvent circonscrit au territoire d'un État membre. Les requérantes doutent que ce phénomène de détournement relève de la notion de «commerce» entre États membres, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, les marchandises détournées ne faisant pas, en réalité, l'objet d'échanges entre États membres, mais entre la Communauté et des pays tiers. Ces opérations de transport relèveraient, par définition, du commerce extérieur de la Communauté.

66.
    Les requérantes contestent l'affirmation, non motivée, de la Commission, au considérant 309 de la décision attaquée, selon laquelle le TAA a affecté les échanges entre États membres dans le secteur des services de transport terrestre entre États membres en modifiant les relations entre les armateurs et les transporteurs terrestres. Elles soulignent que le tarif du transport terrestre ne visait pas à réguler les prix ou d'autres conditions sur la base desquels elles achètent les services de transport terrestre ni à limiter leur liberté de négocier individuellement avec les entreprises de transport terrestre.

67.
    Les requérantes relativisent l'impact du TAA sur le prix final des marchandises transportées. Elles soulignent, à cet égard, que la partie du tarif TAA concernantle transport terrestre européen ne représentait qu'une faible partie du coût total du transport et, donc, une partie négligeable du prix de vente des marchandises. Dès lors, toute affectation du commerce interétatique ou de la concurrence serait exclue.

68.
    La Commission soutient que les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité au TAA étaient réunies. Elle conteste s'être fondée sur de simples spéculations pour aboutir à la conclusion précitée et renvoie aux motifs énoncés aux considérants 286 à 296, 300 à 303 et 307 à 312 de la décision TAA, en considération desquels elle a conclu que le TAA a eu une incidence sur la concurrence et les échanges entre les États membres.

B - Appréciation du Tribunal

69.
    Le TAA, en ce qu'il comportait des accords portant fixation des prix des services concernant le transport tant maritime que terrestre et des accords de non-utilisation de la capacité de transport maritime, constituait, ainsi qu'il est exposé dans la décision attaquée, respectivement aux considérants 286, 298 et 306, un accord qui restreignait manifestement la concurrence. Il s'agit de restrictions de la concurrence explicitement visées à l'article 85, paragraphe 1, sous a) et b), du traité.

70.
    Les requérantes ne contestent d'ailleurs pas le caractère restrictif de concurrence des dispositions incriminées du TAA, mais soutiennent que la Commission n'a pas établi, alors qu'elle en avait plus particulièrement l'obligation en l'espèce, s'agissant d'un accord se rapportant au commerce international, qu'il y a eu une restriction appréciable de la concurrence à l'intérieur du marché commun ainsi qu'une affectation sensible du commerce entre États membres.

71.
    À titre liminaire, il y a lieu de relever que cette argumentation ne peut être admise eu égard à la teneur du règlement n° 4056/86. En effet, les transports maritimes internationaux et notamment ceux avec les pays tiers apparaissent comme étant les premiers visés par ledit règlement. En effet, selon l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86, ce dernier «ne vise que les transports maritimes internationaux au départ ou à destination d'un ou de plusieurs ports de la Communauté» et il est précisé au sixième considérant que «le commerce entre États membres risque d'être affecté lorsque ces ententes ou pratiques abusives concernent des transports maritimes internationaux, y compris intracommunautaires, au départ ou à destination de ports de la Communauté». De même, le quinzième considérant du règlement n° 4056/86 prévoit qu'«il y a lieu de tenir compte de ce que l'application du présent règlement à certaines ententes ou pratiques peut conduire à des conflits avec les législations et réglementations de certains pays tiers». Enfin et surtout, il serait dépourvu de sens de prévoir une exemption par catégorie en faveur des conférences maritimes, dont la quasi-totalité ne concernent que des lignes avec les pays tiers, si lesdites conférences ne pouvaient entrer dans le champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

72.
    S'agissant, en premier lieu, des griefs généraux relatifs à l'absence de démonstration par la Commission de l'existence de restrictions de concurrence à l'intérieur du marché commun, il convient de souligner que le TAA portait sur des services de transport, maritime et terrestre, entre l'Europe et les États-Unis. Ainsi que le Tribunal l'a déjà jugé, les marchés en cause directement affectés étaient ceux des services de transport et non celui de l'exportation des marchandises à destination des États-Unis (voir arrêt du Tribunal du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge de transports e.a./Commission, T-24/93 à T-26/93 et T-28/93, Rec. p. II-1201, point 205). Les affaires ayant donné lieu à l'arrêt Bulk Oil et à la décision Junghans, précités, sont donc dépourvues de pertinence dans le cas présent, puisqu'elles concernaient des restrictions à l'exportation de marchandises hors de la Communauté et non la vente de services à l'intérieur de celle-ci. En l'espèce, les restrictions de concurrence intervenaient bien à l'intérieur du marché commun, car c'est là que les compagnies maritimes membres du TAA, dont plusieurs sont établies dans la Communauté, étaient en concurrence pour vendre leurs services aux clients, c'est-à-dire les chargeurs, implantés dans la Communauté. La circonstance que certaines des compagnies membres du TAA ne sont pas établies dans la Communauté n'est, en outre, pas de nature à infirmer cette conclusion. À cet égard, la Cour a jugé que, lorsque des producteurs établis en dehors de la Communauté effectuent des ventes directement à des acheteurs résidant dans cette dernière et lorsqu'ils se livrent à une concurrence sur les prix pour obtenir les commandes de ces clients, il y a concurrence à l'intérieur du marché commun, de sorte qu'une concertation entre ces producteurs sur les prix qu'ils consentiront à leurs clients établis dans la Communauté a pour objet et pour effet de restreindre la concurrence à l'intérieur du marché commun au sens de l'article 85 du traité (arrêt de la Cour du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, dit «Pâte de bois», 89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, Rec. p. 5193, points 12 et 13).

73.
    La décision attaquée est suffisamment motivée à cet égard, puisqu'il est notamment expliqué au considérant 289 que «le TAA comprend des compagnies maritimes de ligne actives dans plusieurs États membres et restreint la concurrence entre ces compagnies en ce qui concerne les services et les prix offerts par chacune d'elles [...] L'élimination ou la diminution de la concurrence sur les services ou les prix de ces compagnies est susceptible de réduire de manière significative les avantages que les armateurs les plus efficaces pourraient tirer en la matière. Cela peut affecter à son tour le jeu normal de gains et de pertes de parts de marché qui auraient lieu en l'absence du TAA». La Commission a également exposé, au considérant 67 de la décision attaquée, que le marché géographique, à l'intérieur duquel les services de transport maritime du TAA, c'est-à-dire les services de transport de ligne de conteneurs entre l'Europe du Nord et les États-Unis, par les routes maritimes entre les ports d'Europe du Nord et ceux des États-Unis et du Canada, étaient commercialisés, était constitué des zones d'attraction de ces ports d'Europe du Nord. Au considérant 68 de la décision TAA, la Commission a précisé ce qui suit: «Les zones d'attraction en question dépendent à la fois des distances à parcourirjusqu'aux ports et des coûts d'acheminement terrestre. En l'occurrence, on peut considérer que les zones d'attraction des ports d'Europe du Nord couvrent, en particulier, l'Irlande, le Royaume-Uni, le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, la majeure partie de l'Allemagne et le Nord et le Centre de la France.» Il est donc exposé à suffisance de droit dans la décision attaquée que le TAA comprenait des restrictions de concurrence en ce qui concerne les prix et les capacités des services de transport que les compagnies membres du TAA commercialisaient à l'intérieur de la Communauté.

74.
    En outre, la Commission a relevé dans la décision attaquée que le TAA engendrait, à d'autres égards, des restrictions de concurrence à l'intérieur du marché commun. Ainsi qu'il est exposé aux considérants 290 à 293, 301 et 305 de ladite décision, les accords relatifs aux prix et aux capacités de transport exerçaient également une influence sur la concurrence entre les ports de différents États membres en étendant ou en réduisant artificiellement leur zone d'attraction respective. Il convient de relever à cet égard que, dans le sixième considérant du règlement n° 4056/86, il est indiqué que les «ententes ou pratiques abusives sont susceptibles d'influencer la concurrence, d'une part, entre les ports des différents États membres en modifiant leurs zones d'attraction respectives et, d'autre part, entre les activités se situant dans ces zones d'attraction et de perturber les courants d'échanges à l'intérieur du marché commun».

75.
    Il y a lieu de constater, ensuite, que le caractère sensible de ces restrictions a été établi à suffisance de droit dans la décision attaquée. D'une part, la Commission a souligné la gravité des restrictions de concurrence en cause et elle a mis en évidence, aux considérants 189 à 263 de ladite décision, l'impact du TAA sur la structure et le niveau des prix ainsi que son effet sur le marché. D'autre part, la Commission a souligné, sans être contredite, l'importance économique considérable des services sur lesquels portait le TAA. La défenderesse a ainsi relevé aux considérants 83, 84 et 438 que le trafic transatlantique constitue le troisième trafic mondial, qu'une partie substantielle des échanges commerciaux entre l'Europe et les États-Unis, lesquels s'élèvent à quelque 80 milliards d'euros dans chaque sens, est assurée par voie de transport maritime de ligne et que les membres du TAA disposaient d'une part de marché de l'ordre de 75 % en 1991 et 1992, ou, à tout le moins, de 50 % selon leur propre conception du marché.

76.
    En tout état de cause, pour autant que les griefs des requérantes puissent être compris comme exigeant la démonstration d'effets anticoncurrentiels réels, alors même que l'objet anticoncurrentiel des dispositions incriminées est manifestement établi, ils ne sauraient être accueillis. En effet, il résulte d'une jurisprudence constante que, aux fins de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, la prise en considération des effets concrets d'un accord est superflue dès lors qu'il apparaît qu'il a pour objet de restreindre, d'empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429, et particulièrement p. 496; voir, également, en ce sens, arrêts de la Cour du 17 juillet 1997, FerriereNord/Commission, C-219/95 P, Rec. p. I-4411, points 14 et 15, et du 8 juillet 1999, Montecatini/Commission, C-235/92 P, Rec. p. I-4539, point 122).

77.
    Enfin, dans la mesure où l'argumentation des requérantes viserait à contester le caractère restrictif de concurrence du CMP, il suffit de constater que ce dernier avait clairement pour objet et pour effet de limiter l'offre des membres du TAA envisagée sous l'aspect de la capacité de transport afin d'augmenter ou, à tout le moins, de maintenir les taux de fret. En outre, l'affirmation des requérantes selon laquelle l'offre a toujours excédé la demande sur la route transatlantique ne vaut que pour l'offre globale sur le marché et non pour l'offre, exprimée en termes de capacité de transport, de chaque compagnie membre du TAA, que le CMP a d'ailleurs précisément pour objet de limiter. Il ne saurait donc être contesté que le CMP constituait une restriction de concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, sous b), du traité. Par ailleurs, cette restriction de concurrence était sensible et affectait le commerce entre États membres pour les mêmes motifs que les dispositions du TAA portant fixation des prix des services du transport maritime.

78.
    Il s'ensuit que la Commission a établi à suffisance de droit dans la décision attaquée que le TAA restreignait la concurrence à l'intérieur du marché commun au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

79.
    S'agissant, en deuxième lieu, de l'affectation du commerce entre États membres, il convient de rappeler, d'abord, que, selon une jurisprudence constante, un accord entre entreprises, pour être susceptible d'affecter le commerce entre États membres, doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre États (arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, dit «Pâte de bois II», C-89/85, C-104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, Rec. p. I-1307, point 143). En particulier, il n'est pas nécessaire que le comportement incriminé ait effectivement affecté le commerce entre États membres de manière sensible, mais il suffit d'établir que ce comportement est de nature à avoir un tel effet (voir, pour l'article 85 du traité, arrêt du Tribunal du 21 février 1995, SPO e.a./Commission, T-29/92, Rec. p. II-289, point 235, et, pour l'article 86 du traité, arrêt de la Cour du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C-241/91 P et C-242/91 P, Rec. p. I-743, point 69).

80.
    Force est de constater ensuite que le TAA était un accord, conclu entre des compagnies maritimes dont plusieurs sont établies dans la Communauté, portant sur les conditions de vente de services de transport, maritime et terrestre, à des chargeurs établis dans différents États membres de la Communauté. Un tel accord était susceptible d'affecter le commerce entre États membres au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. La condition d'affectation du commerce entre États membres ayant, d'ailleurs, pour but de déterminer le domaine du droitcommunautaire par rapport à celui du droit des États membres (arrêts Consten et Grundig/Commission, précité, et SPO e.a./Commission, précité, point 227), il ne saurait être contesté que le TAA, qui imposait les conditions de vente des services de transport à une grande partie des chargeurs de la Communauté, relève du droit communautaire de la concurrence.

81.
    En outre, le TAA était susceptible de modifier les flux de marchandises transitant par les ports desservis par les compagnies maritimes membres du TAA. De ce fait, il doit être considéré que le commerce entre États membres était affecté par le TAA au-delà du seul commerce constitué par les services de transport maritime, les services portuaires et auxiliaires liés aux transport des marchandises étant également affectés.

82.
    Enfin, quoique de manière plus indirecte, le TAA avait ou, à tout le moins, était susceptible d'avoir un effet sur le commerce des marchandises entre États membres, dans la mesure où les prix du transport fixés par le TAA représentaient une part du prix de vente final des marchandises transportées. L'intensité de la concurrence dans le secteur du transport maritime semble d'ailleurs indiquer que le prix de celui-ci est un élément du coût des marchandises ainsi convoyées de nature à avoir une incidence sur leur vente.

83.
    S'agissant, en troisième lieu, des griefs formulés par les requérantes au regard de l'analyse de la Commission des services de transport terrestre, il convient de rappeler tout d'abord que, dans le cadre de l'application de l'article 85 du traité, c'est pour déterminer si l'accord en cause est susceptible d'affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun qu'il faut définir le marché en cause. C'est pourquoi, dans le cadre de l'application de l'article 85 du traité, les griefs formulés par les requérantes à l'encontre de la définition du marché retenue par la Commission ne sauraient revêtir une dimension autonome par rapport à ceux relatifs à l'affectation du commerce entre États membres et à l'atteinte à la concurrence (arrêts du Tribunal SPO e.a./Commission, précité, points 74 et 75, et du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Rec. p. II-491, point 1093).

84.
    Il convient de relever, ensuite, que, aux considérants 71 et 72 de la décision attaquée, la Commission a clairement identifié les services de transport terrestre concernés. À juste titre, elle a considéré que les services de transport terrestre pertinents étaient ceux de pré- et de postacheminement des conteneurs offerts aux chargeurs, entre ports du nord de l'Europe et points intérieurs de l'Europe, dans le cadre d'un transport multimodal transatlantique (voir l'arrêt Compagnie générale maritime e.a./Commission, T-86/95, non encore publié au Recueil, points 117 à 130, rendu par le Tribunal ce même jour).

85.
    Les griefs des requérantes tirés d'un défaut ou d'une erreur de définition du marché pertinent doivent donc être rejetés.

86.
    Au surplus, la thèse des requérantes selon laquelle le marché pertinent devrait comprendre tous les transports terrestres d'un type analogue ou substituable aux transports des conteneurs effectués dans le cadre du TAA est dépourvue de tout fondement. En effet, ainsi que l'ont d'ailleurs souligné les requérantes elles-mêmes, dans le cadre d'un autre moyen: «Le problème qui se pose ici concerne non pas le transport terrestre en lui-même, mais bien le transport terrestre en tant qu'élément du service de transport combiné [...] Le tarif terrestre arrêté dans le cadre du TAA est destiné à être utilisé exclusivement dans le cadre des services transatlantiques de transport maritime combiné et n'a d'incidence sur aucun autre marché (par exemple le marché des transport purement terrestre).» (Voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, T-30/89, Hilti/Commission, Rec. p. II-1439, confirmé par arrêt de la Cour du 2 mars 1994, C-53/92, Rec. p. I-667.) Le transport terrestre concerné ne comprenait que le transport de préacheminement ou de postacheminement terrestre de conteneurs en connexion avec les services de transport maritime transatlantique.

87.
    En ce qui concerne le grief selon lequel la Commission n'aurait pas établi que les accords portant fixation des prix du transport terrestre constituaient une restriction de concurrence à l'intérieur du marché commun et affectaient le commerce entre États membres, il suffit de rappeler qu'il a été constaté ci-dessus que les compagnies maritimes membres du TAA se faisaient concurrence pour la vente de leurs services de transport à l'intérieur du marché commun. Cela était également valable pour les services de transport terrestre de pré- ou de postacheminement fournis avec d'autres services dont le transport maritime proprement dit des conteneurs dans le cadre d'une opération de transport multimodal. Les prix de ces services de transport terrestre représentaient un élément important du prix du transport multimodal vendu par les membres du TAA. Les accords de fixation des prix des services du transport terrestre réduisaient dès lors sensiblement la concurrence entre ces compagnies et affectaient le commerce entre États membres à l'instar de ceux concernant le transport maritime. S'agissant des services de transport terrestre, l'affectation du commerce interétatique et la localisation à l'intérieur du marché commun de la restriction de concurrence sauraient d'autant moins être contestées qu'une partie desdits services de transports sont précisément effectués sur le territoire des différents États membres. L'affirmation, contenue au considérant 306 de la décision attaquée, selon laquelle les accords portant fixation des prix et des conditions des services du transport terrestre, dans le cadre d'un transport multimodal, constituaient une restriction de concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité ne saurait donc être contestée valablement.

88.
    En outre, ainsi qu'il est exposé au considérant 309 de la décision attaquée, les accords portant fixation des prix des services du transport terrestre influaient sur les relations entre armateurs et transporteurs terrestres, ce qui était susceptibled'affecter les échanges entre États membres dans le secteur des services de transport terrestre. En effet, la fixation du prix de vente des services du transport terrestre pouvait, notamment, avoir une incidence sur la décision des chargeurs de confier l'acheminement terrestre de leurs conteneurs aux membres du TAA ou à un transporteur terrestre, faussant ainsi la concurrence existant sur le segment terrestre entre les compagnies maritimes membres du TAA et les transporteurs terrestres présents dans différents États membres.

89.
    De même, la Commission a encore constaté, à juste titre, au considérant 310 de la décision attaquée, que la fixation en commun du prix des services du transport terrestre modifiait les zones d'attraction naturelle des ports situés dans les différents États. En effet, la fixation desdits prix en fonction d'un transport fictif entre un point à l'intérieur des terres et le plus proche des ports desservis par l'un quelconque des membres du TAA, et donc quels que soient les ports effectivement desservis par les différentes compagnies membres du TAA, neutralisait l'avantage économique que pouvait constituer une distance plus courte par rapport à un port donné. Les requérantes n'ont d'ailleurs pas contesté l'existence d'un tel détournement de fret résultant de l'application du tarif relatif aux services du transport terrestre, mais se sont bornées à en relativiser l'importance. La circonstance, au demeurant non établie, selon laquelle, même en l'absence du TAA, les compagnies maritimes prendraient en charge les frais supplémentaires qu'implique l'acheminement des marchandises vers un port plus lointain, ne supprime pas le fait que l'objet ou à tout le moins l'effet de la pratique dite de «port équalization» était de drainer des marchandises vers des ports qui, autrement, n'en auraient pas été destinataires et que cette modification des flux des marchandises était une conséquence des accords de fixation du prix des services du transport terrestre.

90.
    En tout état de cause, il convient de rappeler qu'il est de jurisprudence constante que la condition relative à l'affectation du commerce entre États membres est remplie lorsque, sur la base d'un ensemble d'éléments de droit et de fait, l'accord en cause permet d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres (voir, en ce sens, notamment, arrêt de la Cour du 10 juillet 1980, Lancôme et Coparfrance, 99/79, Rec. p. 2511, point 23; arrêt du Tribunal du 15 décembre 1999, Kesko/Commission, T-22/97, Rec. p. II-3775, point 103). Dès lors, la Commission n'a pas l'obligation de démontrer l'existence réelle d'une telle affectation (arrêt Ferriere Nord/Commission, précité, points 19 et 20), preuve qui, dans la plupart des cas, serait d'ailleurs difficilement administrée à suffisance de droit, mais demande qu'il soit établi que cet accord était de nature à avoir un tel effet (arrêt de la Cour du 1er février 1978, Miller/Commission, 19/77, Rec. p. 131, point 15, et Ferriere Nord/Commission, précité, point 19). Ainsi, il convient d'écarter les griefs des requérantes en ce qu'ils peuvent être compris comme exigeant de la part de la Commission la preuve de l'existence actuelle de l'affectation du commerce entre États membres, sur chacun des marchés ou sous-marchés qu'elles estiment pertinents.

91.
    Enfin, s'agissant du caractère sensible des restrictions de concurrence résultant de l'accord de fixation du prix des services du transport terrestre, il convient de rappeler, d'une part, que, selon le considérant 146 de la décision attaquée, lequel n'a pas été contredit par les requérantes, les membres du TAA ont, en 1992, transporté plus de 1,5 million de conteneurs de 20 pieds sur les 2 millions ou presque transportés dans le cadre du trafic transatlantique et, d'autre part, que selon les réponses des requérantes aux questions écrites du Tribunal entre 40 et 50 % des conteneurs transportés par les membres du TAA ont été acheminés vers les ports ou vers des points à l'intérieur des terres dans le cadre de contrats de transport multimodal. Par conséquent, les accords de fixation du prix des services du transport terrestre concernaient au moins 600 000 conteneurs, soit 30 % des conteneurs transportés entre l'Europe et les États-Unis.

92.
    Il ressort de ce qui précède, d'une part, que, de par son objet anticoncurrentiel et eu égard à la puissance économique de ses membres, le TAA était susceptible d'affecter sensiblement le commerce entre États membres et modifiait de manière appréciable les conditions de la concurrence sur le territoire de plusieurs États membres et, d'autre part, que la décision attaquée contient une motivation adéquate de cette appréciation.

93.
    Le premier moyen, tiré d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, doit donc être rejeté.

II - Sur le deuxième moyen, pris de la non-application au TAA de l'exemption par catégorie prévue à l'article 3 du règlement n° 4056/86

94.
    La Commission a décidé que le TAA n'était pas couvert par l'exemption par catégorie consentie aux conférences maritimes par l'article 3 du règlement n° 4056/86, premièrement, parce qu'il ne constituait pas une conférence maritime au sens dudit règlement, en ce qu'il établissait au moins deux niveaux de tarifs et, deuxièmement, parce que, même si le TAA était considéré comme une conférence maritime, le CMP n'était pas une action visée par l'exemption de l'article 3 précité. La Commission a également considéré dans la décision TAA que, quelle que soit l'interprétation de la notion de conférence maritime retenue, le règlement n° 4056/86 était, en tout état de cause, inapplicable aux accords portant fixation du prix des services du transport terrestre, dans le cadre du transport combiné.

A - Arguments des requérantes

95.
    Les requérantes insistent sur l'importance primordiale que revêt, en l'espèce, l'analyse économique du transport maritime de ligne. Selon elles, il appartient au Tribunal de déterminer si la Commission a appliqué les règles de concurrence conformément à l'analyse économique du Conseil et à sa politique sectorielle à l'égard du transport maritime de ligne. Elles considèrent que les pouvoirs du Tribunal s'étendent à la définition de la notion de stabilité sur laquelle laCommission a fondé son opposition à la reconnaissance d'une exemption au bénéfice du TAA. La Commission ne saurait prétendre que le contrôle juridictionnel des questions économiques posées par la présente affaire est limité à l'erreur manifeste au motif qu'elle dispose d'une large marge d'appréciation.

1. Sur l'appréciation erronée des caractéristiques économiques du transport maritime de ligne

a) Sur l'irrecevabilité partielle du mémoire en défense de la Commission

96.
    Les requérantes soutiennent que le mémoire en défense est partiellement irrecevable en ce qu'il contient des allégations factuelles nouvelles. Selon elles, l'argumentation développée par la Commission au cours de la présente instance ne peut aller au-delà d'une défense de la décision TAA, axée sur les conclusions factuelles et la motivation de cette dernière. De ce fait, la Commission ne pourrait produire de nouveaux éléments de preuve, énoncer de nouvelles allégations ou indiquer de nouveaux motifs qui ne figuraient pas dans la décision TAA. En l'espèce, la Commission se fonderait sur des rapports économiques de MM. Lévêque et Reitzes pour corriger la motivation et la substance de la décision TAA. Les requérantes font remarquer que ces rapports ont été établis sur la base d'allégations factuelles qui ne leur ont jamais été présentées au cours de la procédure administrative et qui ne figurent pas dans la décision attaquée.

b) Caractéristiques économiques du marché des services réguliers de transport maritime

97.
    Les requérantes font grief à la Commission d'avoir négligé le caractère intrinsèquement instable du marché du transport maritime de ligne. Cette négligence affecterait la décision TAA dans son ensemble.

98.
    Après avoir décrit les avantages du transport combiné, les requérantes soulignent les caractéristiques suivantes du transport maritime de ligne.

99.
    En premier lieu, l'offre ne pourrait être «stockée» et serait indivisible. Quel que soit leur taux de remplissage, les navires doivent appareiller aux dates prévues; de ce fait, la capacité de transport non utilisée serait définitivement perdue. La compagnie maritime offrirait ainsi un service de transport régulier et fiable pour lequel le chargeur paie uniquement lorsqu'il choisit de faire transporter des marchandises. En outre, les augmentations de capacité de transport se feraient par «paliers» et ne pourraient être ajustées finement à la demande.

100.
    En deuxième lieu, pour être efficaces, les services réguliers de transport maritime requièrent en permanence, selon les requérantes, la disponibilité d'une capacité de transport supérieure aux volumes effectivement transportés. Cette «capacité de réserve» permettrait de répondre aux fortes poussées de la demande dans le cadre des cycles connus par ce secteur d'activité et de faire face à la croissance du trafic.

101.
    En troisième lieu, le transport maritime de ligne se caractériserait par d'importants coûts fixes mais évitables, qui ne sont pas proportionnels au volume transporté. Ces coûts seraient engendrés par l'offre d'un service dont la périodicité est fixée indépendamment de la demande. Ils pourraient être considérés comme communs à tous les utilisateurs. Ces coûts seraient fixes mais évitables, car les navires peuvent être retirés et faire l'objet d'un redéploiement sur une autre route ou d'une affectation à un autre usage.

102.
    En quatrième lieu, en raison de l'existence de la capacité de réserve, la concurrence sur les prix à court terme ferait descendre les taux de fret au niveau du coût marginal, c'est-à-dire en dessous du seuil de rentabilité.

103.
    Sur la base de ces quatre caractéristiques et du caractère inélastique de la demande, les requérantes soutiennent que le marché des services réguliers de transport maritime est intrinsèquement instable. En l'absence de mesures stabilisatrices, la concurrence sur les prix à court terme ferait descendre ces prix au niveau du coût marginal et les compagnies maritimes réduiraient les capacités de transport pour éviter les coûts fixes. Cette réaction entraîne, selon les requérantes, la disparition de la capacité de réserve et, lorsque, par la suite, la demande excède la capacité de transport disponible, les prix montent rapidement, générant ainsi des profits anormaux pour les compagnies demeurées sur le marché. Ces niveaux de profit attireraient alors de nouveaux entrants et la capacité de transport s'accroîtrait au moins jusqu'à ce qu'il y ait une capacité de réserve suffisante pour assurer aux chargeurs des services de transport maritime réguliers, fiables, suffisants et efficaces. Du fait de l'existence de cette capacité de réserve et en l'absence de mesures stabilisatrices, la concurrence sur les prix à court terme ferait de nouveau descendre les prix au niveau du coût marginal, ce qui provoquerait une nouvelle diminution des capacités de transport suivie d'une brusque majoration des prix.

104.
    Pour les requérantes, ces caractéristiques:

a)    imposent que la concurrence sur les prix à court terme soit réduite, de manière à permettre au marché de trouver son équilibre à un niveau efficace et, aux compagnies maritimes, de rentabiliser leur capital pour financer les investissements futurs dans les terminaux, les navires, les conteneurs, etc.;

b)    imposent, dans le cas du transport combiné, l'extension du contrôle exercé sur la concurrence sur les prix à court terme à la totalité des prix appliqués dans le transport combiné;

c)    impliquent que, dans certaines circonstances, les compagnies maritimes ne puissent se contenter d'une coopération en matière de fixation des prix etqu'elles aient besoin de réguler les capacités de transport et de se répartir les tonnages transportés ou les recettes;

d)    ont pour conséquence que la concurrence potentielle (la concurrence à «long terme») discipline la politique des prix des compagnies présentes sur le marché et les incite à adopter un comportement efficace.

105.
    Les requérantes font valoir que, compte tenu des avantages qu'elles procurent au marché et aux utilisateurs, les conférences maritimes bénéficient d'une exemption des règles de concurrence dans tous les ordres juridiques du monde.

c) Effets stabilisateurs du TAA sur la route transatlantique

106.
    Accessible à tout moment par tout opérateur, sans aucune restriction gouvernementale, la route transatlantique connaîtrait une concurrence acharnée. À la fin des années 80, les capacités de transport disponibles sur cette route transatlantique auraient crû plus vite que la demande, entraînant un profond déséquilibre. En 1991, les capacités de transport excédentaires totales sur la route transatlantique auraient atteint 30 % dans le sens est-ouest et 19 % dans le sens ouest-est. La concurrence destructrice suscitée par ce profond déséquilibre aurait fait baisser les prix et les compagnies maritimes auraient subi de lourdes pertes. Pour les seules années 1991 et 1992, les requérantes auraient enregistré des pertes cumulées de 450 millions d'euros.

107.
    Les conférences Neusara et Usanera n'auraient pas permis de générer un effet stabilisateur. Le redressement de la situation aurait exigé d'urgence la conclusion d'un nouvel accord, compatible avec le règlement n° 4056/86 et avec la législation américaine et étendu à un nombre suffisant de compagnies maritimes. Des différences quant à la qualité du service existeraient entre les compagnies maritimes ayant antérieurement appartenu à Neusara ou à Usanera et celles - les «indépendantes» - demeurées hors conférence, qui, en pratique, ne pouvaient prétendre au même niveau de prix que les premières. Les différences de prix entre compagnies membres du TAA refléteraient cette réalité du marché, tout en permettant d'atteindre l'effet stabilisateur recherché.

108.
    En 1991, durant les travaux préparatoires du TAA, les compagnies concernées auraient analysé les possibilités de réduction des capacités de transport sur les lignes transatlantiques. Les douze premières compagnies membres du TAA auraient supprimé 11 % de la capacité collective de transport sur ces lignes au 1er septembre 1992 et rationalisé les autres services. Les requérantes indiquent avoir voulu contribuer à la stabilité en coopérant à la fois en matière de prix et de capacité disponible. Le CMP visait à réguler la capacité de transport sur le trafic est-ouest, où la demande de services était considérablement moins importante que sur le trafic ouest-est.

109.
    Les requérantes font valoir que les mesures stabilisatrices introduites par le TAA ont eu pour effet de permettre à ses membres de ramener les prix à un niveau rentable, tout en étant, en 1994, d'un niveau inférieur à ceux de 1989.

d) Reconnaissance par le droit communautaire de l'instabilité intrinsèque du marché des services réguliers de transport maritime

110.
    La route transatlantique serait régie à ses deux extrémités par les législations respectives de la Communauté européenne et des États-Unis, à savoir le règlement n° 4056/86 et l'US Shipping Act 1984. Le TAA s'appliquerait au trafic transatlantique depuis septembre 1992 et aurait toujours été valide en droit américain.

111.
    Le traité CE et le règlement n° 4056/86 accorderaient un traitement exceptionnel au secteur du transport maritime, compte tenu de ses particularités économiques. Le titre IV du traité CE et, en particulier, les articles 78 du traité CE (devenu article 74 CE) et 84, paragraphe 2, du traité CE (devenu, après modification, article 80, paragraphe 2, CE) réserveraient au secteur des transports un traitement distinct de tous les autres secteurs économiques. Le règlement n° 4056/86 aurait pour base juridique l'article 84, paragraphe 2, du traité, relatif aux transports, et l'article 87 du traité CE (devenu, après modification, article 83 CE), relatif à la concurrence. Ce caractère exceptionnel expliquerait que certains comportements restrictifs de concurrence généralement prohibés dans d'autres secteurs puissent bénéficier, dans le cas du transport maritime de ligne, d'une exemption, individuelle ou par catégorie.

112.
    Selon les requérantes, le règlement n° 4056/86 traduit la politique sectorielle du Conseil et se distingue de tous les autres règlements d'exemption. Il serait fondé sur le constat de l'instabilité intrinsèque du marché des services réguliers de transport maritime et de l'effet stabilisateur des conférences maritimes, auquel se réfère son huitième considérant. L'exemption par catégorie consentie par l'article 3 du règlement n° 4056/86 s'appliquerait lorsque les compagnies adhérant à une conférence maritime coopèrent en vue de la fixation des prix et, «le cas échéant», de la «régulation de la capacité de transport offerte par chacun des membres [de la conférence]» [article 3, sous d), du règlement n° 4056/86] et de la «répartition entre ces membres du tonnage transporté ou de la recette» [article 3, sous e), du règlement n° 4056/86]. La coopération dans ces domaines serait en rapport direct avec l'effet stabilisateur des conférences maritimes. Il ressortirait implicitement de cette disposition que les problèmes de prix et de capacité sont inextricablement liés à l'instabilité intrinsèque du secteur du transport maritime de ligne qui donne lieu à des «ratés de concurrence». En l'absence de mesures stabilisatrices, le marché serait inefficace et instable. La Commission aurait expressément reconnu l'importance des problèmes de prix et de capacité dans son exposé des motifs de sa proposition de règlement (CEE) du Conseil déterminant les modalitésd'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (JO 1981, C 282, p. 4).

113.
    Les requérantes font valoir que la Commission n'a pas le pouvoir de substituer son appréciation économique à celle du Conseil, mais est tenue d'interpréter la notion d'effet stabilisateur d'une manière compatible avec la politique du Conseil à l'égard du transport maritime de ligne, afin d'assurer sa pleine efficacité au règlement n° 4056/86. Conformément à la hiérarchie des normes communautaires, lorsque, dans une affaire donnée, la Commission exerce son pouvoir d'appréciation dans le cadre du règlement n° 4056/86, elle devrait se conformer à la politique du Conseil et à la finalité de ce règlement.

114.
    En l'espèce, elles font grief à la Commission d'avoir méconnu la politique sectorielle du Conseil. À cet égard, les requérantes formulent essentiellement deux critiques.

115.
    En premier lieu, la Commission aurait indûment limité la notion de stabilité à la stabilité des prix. La Commission semblerait considérer que le bénéfice de la stabilité se limite, pour le chargeur, à connaître à l'avance les prix des services réguliers et, pour la compagnie maritime, à la faculté de prévoir de manière précise son revenu, ce qui, à son tour, facilite l'organisation de services fiables, suffisants et efficaces. Selon les requérantes, ce raisonnement méconnaît la spécificité du transport maritime de ligne et contredit le considérant 388 de la décision TAA, selon lequel «la régularité est dans la nature même des services [du transport maritime] de ligne et [constitue] leur caractéristique particulière par rapport aux services irréguliers de tramp».

116.
    Ce serait en raison de sa conception étroite de la notion de stabilité, entendue comme la stabilité des prix, que la Commission a conclu, aux considérants 324 à 326 de la décision attaquée, que la stabilité est atteinte uniquement lorsque les compagnies maritimes pratiquent des prix uniformes et que l'expression «taux de fret uniformes ou communs» signifie que les prix doivent être identiques pour tous les membres d'une conférence.

117.
    Les requérantes reprochent à la Commission d'avoir considéré qu'un système de prix différenciés ne peut limiter la concurrence destructrice sur les prix. Économiquement, les prix différenciés favoriseraient la stabilité pour autant qu'ils demeurent constants au fil du temps. L'approche économique erronée de la Commission expliquerait en partie l'erreur juridique fondamentale qu'elle a commise en estimant que, puisque c'est l'effet stabilisateur des conférences maritimes qui justifie l'exemption par catégorie, des compagnies maritimes ne pourraient constituer une conférence maritime que si elles pratiquent des prix identiques. L'analyse économique du secteur du transport maritime révélerait qu'une conférence maritime peut avoir un effet stabilisateur en appliquant des prix qui ne sont pas identiques pour chacun de ses membres. La Commission le reconnaîtrait, d'ailleurs, lorsqu'elle expose, au considérant 354 de la décision TAA,qu'un accord intervenu entre armateurs prévoyant deux niveaux de tarifs pourrait bénéficier d'une exemption au titre de l'article 3 du règlement n° 4056/86 et, aux considérants 350 à 352 de ladite décision, que les conférences maritimes ont un effet stabilisateur même si leurs membres appliquent des prix différents, et ce lors de l'exercice des actions indépendantes prévues à l'US Shipping Act 1984 ou dans le cadre d'accords de fidélité.

118.
    En second lieu, la Commission aurait rejeté la proposition des requérantes selon laquelle l'effet stabilisateur ne peut être obtenu sans coopération sur les prix et, le cas échéant, sans régulation de la capacité de transport et répartition des chargements ou des recettes. Or, la Commission aurait rejeté cette proposition, aux motifs suivants:

«Il ne s'agit pas là d'une stabilité de nature à garantir des services réguliers, fiables, suffisants et efficaces.

[...]

[L]a stabilité à laquelle le TAA fait référence va beaucoup plus loin que cela. Elle vise le maintien des services et la survie des entreprises en place sur le trafic, et la garantie dans la mesure du possible de leurs bénéfices, plus encore que la stabilité des taux [de fret] et l'offre de services réguliers, fiables, adéquats et efficaces.»

119.
    Selon les requérantes, ce raisonnement de la Commission méconnaît les caractéristiques économiques du secteur du transport maritime de ligne.

120.
    En outre, l'argumentation de la Commission présupposerait que toute concurrence sur les prix dans le secteur du transport maritime de ligne est «effective», puisqu'elle considère qu'une réduction de la concurrence exercée par les «indépendants» (les compagnies n'adhérant pas à la conférence) réduit la «concurrence effective». Or, les requérantes font remarquer que la concurrence exercée par les compagnies indépendantes peut être «destructrice», en ce sens qu'elle entraîne une baisse des prix jusqu'au niveau du coût marginal, pour les membres de la conférence et pour les compagnies indépendantes elles-mêmes. Dans ces circonstances, elles considèrent que, pour parvenir à la stabilité, il faut réduire la concurrence sur les prix à court terme, ce qui est le cas lorsque des compagnies indépendantes rejoignent la conférence, et relever les prix au moins au niveau du coût moyen. Selon les requérantes, si une concurrence destructrice a entraîné une baisse considérable des prix, le retour de ces derniers au niveau du coût moyen impliquera nécessairement une majoration sensible desdits prix eu égard à leur niveau consécutif à cet effondrement.

121.
    Ce serait également la définition étroite de la notion de stabilité retenue par la Commission qui l'aurait conduite à considérer que le TAA ne constituait pas une conférence maritime bénéficiant de l'exemption par catégorie consentie par l'article3 du règlement n° 4056/86 et à refuser d'accorder une exemption individuelle au TAA.

2. Sur la définition de la conférence maritime au sens du règlement n° 4056/86 et sur la structure tarifaire duale du TAA

122.
    En premier lieu, les requérantes reprochent à la Commission de considérer les mots «uniformes» et «communs» figurant dans la définition de la conférence maritime inscrite à l'article 1er, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 4056/86, comme synonymes du mot «identiques». Cette interprétation de deux mots qui ne sont pas habituellement considérés comme des synonymes et qui sont séparés dans le texte de l'article précité par la conjonction «ou», serait la conséquence de la définition erronée de la notion de stabilité adoptée par la Commission.

123.
    En deuxième lieu, l'interprétation de la Commission méconnaîtrait l'intention qu'a eu le Conseil lors de la rédaction de l'article 1er, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 4056/86, étant observé que la définition de la conférence maritime figurant dans cet article a été littéralement reprise de la convention des Nations unies relative à un code de conduite des conférences maritimes (ci-après le «code de conduite»). Selon les requérantes, les travaux préparatoires dudit code révèlent que la formule finalement retenue («taux de fret uniformes ou communs») n'a été adoptée qu'après une longue période de concertation au cours de laquelle ont été successivement proposés le terme «uniformes» seul, l'expression «arrêtés en commun», les termes «uniformes ou arrêtés en commun» et, enfin, «uniformes ou communs». Si les auteurs du code de conduite avaient souhaité que la fixation des prix dans le cadre des conférences maritimes signifie seulement l'application de prix identiques, ils auraient retenu la première et la plus simple de ces formules, à savoir «taux de fret uniformes». La circonstance qu'ils ne l'ont pas fait confirmerait que cette formule ne reflétait pas la pratique des conférences maritimes en matière de fixation des prix et explique l'ajout des mots «ou communs».

124.
    En troisième lieu, le raisonnement de la Commission serait empreint d'incohérences. Après avoir, au considérant 322 de la décision TAA, déclaré que «l'uniformité des taux de fret facturés par les membres de chaque conférence maritime est essentielle pour qu'il y ait une conférence au sens du code [de conduite] et par conséquent du règlement [...] n° 4056/86», elle précise, au considérant 354 de ladite décision, que cette dernière «ne s'attache pas à déterminer sous quelles conditions d'autres accords de fixation des prix entre armateurs, prévoyant des tarifs à deux niveaux, pourraient bénéficier d'une exemption au titre de l'article 3 du règlement [...] n° 4056/86». La Commission admettrait ainsi que les membres d'une conférence maritime ne doivent pas nécessairement pratiquer des prix identiques. Elle reconnaîtrait également que l'exercice de l'action indépendante, prévue par l'US Shipping Act 1984, ne compromet pas nécessairement le rôle stabilisateur de la conférence. Ainsi, la Commission admettrait que l'application de prix identiques ne constitue pas une condition économique préalable à l'effet stabilisateur des conférences maritimes.Par ailleurs, elle reconnaîtrait que les accords de fidélité, tels que définis à l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86, bénéficient de l'exemption par catégorie consentie par l'article 6 de ce règlement, quoique, lorsqu'ils concluent de tels accords, les membres d'une conférence n'appliquent plus des prix identiques à tous les chargeurs pour la même marchandise.

125.
    Les requérantes considèrent que ces incohérences et contradictions se retrouvent dans une lettre adressée aux conseils des requérantes le 15 décembre 1994 par la direction générale de la concurrence, dont la page 6 est ainsi libellée:

«L'exemption par catégorie contenue dans le règlement [...] n° 4056/86 n'autorise pas:

(i)    la conclusion en commun de contrats de service arrêtant des taux [de fret] spéciaux (étant donné qu'ils constituent des accords de fixation des prix conclus entre les compagnies de transport maritime de ligne et qu'ils fixent des taux [de fret] qui ne sont pas 'communs ou uniformes'),

(ii)    l'interdiction de la conclusion de contrats de service individuels,

(iii)    l'interdiction d'une action indépendante par rapport à des contrats de service conclus en commun.»

126.
    Dans cette lettre, la Commission considèrerait qu'une conférence maritime bénéficiant d'une exemption par catégorie peut prévoir (en plus des accords de fidélité) des prix dégressifs en fonction de la durée ou du volume ou d'autres types de prix faisant référence au volume, bien que, pour chaque marchandise, les prix mentionnés dans le tarif, ceux prévus par les accords de fidélité et ceux arrêtés par référence au volume ne soient pas identiques. De surcroît, les membres des conférences maritimes pourraient s'écarter de ces prix repris dans le tarif commun en concluant des contrats de service individuels ou en exerçant une action indépendante. Ce constat, contraire à la position de la Commission quant à la nécessité de l'application de prix identiques, confirmerait l'ampleur de la confusion du raisonnement de l'institution.

127.
    Les requérantes soutiennent, par ailleurs, que l'exemption par catégorie prévue par l'article 3 du règlement n° 4056/86 couvre également le CMP et les accords portant fixation des prix du transport terrestre dans le cadre du transport combiné.

B - Arguments de l'ECSA et de la JSA

128.
    Reprenant l'analyse économique des requérantes, l'ECSA et la JSA soulignent l'importance des bouleversements induits par l'introduction du transport multimodal quant au fonctionnement des conférences maritimes. La Commission aurait reconnu, à propos des accords Eurocorde, la nécessité de la coopération entreconférences maritimes et compagnies indépendantes afin de conforter la stabilité d'un marché soumis à des pressions déstabilisatrices (communication Eurocorde, du 3 juillet 1990, JO C 162, p. 13).

129.
    L'ECSA fait observer que la définition de la conférence maritime, énoncée à l'article 1er, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 4056/86, doit être interprétée de manière compatible avec les dispositions du code de conduite. La distinction sémantique évidente entre les termes «uniformes» et «communs» serait confirmée par l'intention du Conseil lors de la rédaction de l'article précité ainsi que par la doctrine [Ruttley, International Shipping and EEC Competition Law (1991) 2 ECLR, p. 5].

C - Arguments de la Commission

130.
    La Commission rejette l'analyse économique des requérantes et estime que c'est à juste titre qu'elle a considéré que le TAA n'était pas une conférence maritime, que le CMP n'était pas une action visée par l'exemption prévue à l'article 3 du règlement n° 4056/86 et que l'exemption ne pouvait s'étendre aux accords portant fixation des prix du transport terrestre.

D - Arguments de la FTA, de l'AUTF et de l'ECTU

131.
    La FTA et l'ECTU se rallient pleinement aux arguments de la Commission. Ils contestent que les membres du TAA aient subi des pertes sur le trafic transatlantique et estiment que la cause de l'abaissement des taux de fret tient à l'existence de surcapacités. Le véritable objectif du TAA aurait été de mettre un terme à cette diminution des prix. Afin d'éliminer la concurrence sur le marché en cause, certains armateurs auraient tenté à plusieurs reprises d'entraîner les compagnies indépendantes vers les conférences maritimes par le biais d'accords tels qu'Eurocorde. Ces accords, pas plus que le TAA, ne constitueraient des conférences maritimes. En effet, seules les conférences maritimes visées par le code de conduite, qui exclut, en son article 13, toute structure tarifaire duale, seraient susceptibles de bénéficier de l'exemption prévue par le règlement n° 4056/86. Le règlement (CEE) n° 4055/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et États membres et pays tiers (JO L 378, p. 1), se rapporterait également aux conférences maritimes visées par le code de conduite.

132.
    Quand bien même le TAA pourrait être qualifié de conférence maritime, il ne satisfairait pas aux conditions d'exemption requises par le règlement n° 4056/86. Toute forme de coopération sur les prix entre les compagnies maritimes ne serait pas susceptible de bénéficier de l'exemption prévue par le règlement n° 4056/86 parce qu'elle permet d'atteindre la stabilité des prix. La notion de stabilité, dans le code de conduite et dans le règlement n° 4056/86, se rapporterait exclusivementà la collaboration en matière de prix. Un accord de fixation des prix n'exigerait aucune autre discipline, puisqu'il suffit pour stabiliser ces derniers.

133.
    L'interdiction d'éliminer toute concurrence effective prévue par l'article 85, paragraphe 3, du traité constituerait une limite au système d'autoréglementation prévu par le code de conduite. Le TAA, en ce qu'il viserait à éliminer toute concurrence sur la route transatlantique, ne pourrait donc bénéficier de l'exemption par catégorie, d'une durée illimitée, prévue par le règlement n° 4056/86 au bénéfice des conférences visées par le code de conduite.

E - Appréciation du Tribunal

134.
    Les requérantes soutiennent, en substance, que, en raison d'une conception excessivement restrictive de la notion de stabilité, la Commission a considéré à tort dans la décision attaquée que le TAA n'était pas couvert par l'exemption par catégorie prévue par l'article 3 du règlement n° 4056/86, ladite décision étant fondée sur le fait, premièrement, que le TAA n'était pas une conférence maritime parce que ses membres n'appliquaient pas des taux de fret uniformes ou communs, deuxièmement, que le CMP n'était pas visé par l'exemption par catégorie et, troisièmement, que les accords portant fixation des prix pour le transport terrestre, dans le cadre des services de transports multimodaux, n'entraient pas dans le champ d'application du règlement n° 4056/86.

135.
    Selon le considérant 319 de la décision attaquée:

«Le TAA n'est pas un accord de conférence exempté par l'article 3 du règlement n° 4056/86 principalement parce que:

-    d'une part, il établit au moins deux niveaux de tarifs,

-    d'autre part, il prévoit une non-utilisation des capacités.»

136.
    Il doit être constaté que, selon la décision attaquée, la structure tarifaire duale empêche le TAA d'être considéré comme une conférence maritime au sens du règlement n° 4056/86, tandis que le CMP est considéré comme une action qui ne pouvait être exemptée par l'article 3 dudit règlement. En effet, selon le considérant 359 de la décision attaquée, «même si le TAA était un accord de conférence au sens de l'article 1er du règlement [...] n° 4056/86, le programme de gestion des capacités mis en place par les membres du TAA ne serait pas exempté par l'article 3 de ce règlement».

137.
    Il ressort également des considérants 320 à 358 de la décision attaquée, et cela est d'ailleurs confirmé par la Commission dans son mémoire en défense et dans sa duplique, ainsi que lors de l'audience, que le refus de considérer que le TAA était couvert par l'exemption de groupe prévue par l'article 3 du règlement n° 4056/86repose, en premier lieu, sur le motif que le TAA n'était pas une conférence maritime au sens de l'article 1er du règlement n° 4056/86, car il ne prévoyait pas des taux de fret uniformes ou communs.

138.
    Selon l'article 3 du règlement n° 4056/86, sont exemptés de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité les «accords, décisions ou pratiques concertées de tout ou partie des membres d'une ou de plusieurs conférences maritimes ayant comme objectif la fixation des prix et des conditions de transport».

139.
    L'exemption de groupe, prévue par l'article 3 du règlement n° 4056/86, vise ainsi les accords portant fixation des prix prévus dans le cadre des conférences maritimes. Ainsi qu'il ressort du huitième considérant du règlement n° 4056/86, cette exemption de groupe est prévue en faveur des conférences maritimes aux motifs qu'elles exercent un rôle stabilisateur de nature à garantir des services fiables aux chargeurs et qu'elles contribuent généralement à assurer une offre de services de transport maritime réguliers, suffisants et efficaces, tout en prenant en considération les intérêts des usagers dans une mesure équitable. Il est encore précisé au huitième considérant que ces résultats ne «peuvent être obtenus sans la coopération que les compagnies maritimes développent au sein desdites conférences en matière de tarifs».

140.
    Il s'ensuit qu'un accord ne peut bénéficier de l'exemption prévue par l'article 3 du règlement n° 4056/86 que s'il s'agit d'un accord d'une conférence maritime.

141.
    Il convient donc, d'abord, de définir la notion de conférence maritime au sens du règlement n° 4056/86 et, ensuite, de vérifier si le TAA pouvait être ou non considéré comme une conférence maritime.

1. Sur la définition de la conférence maritime au sens du règlement n° 4056/86

142.
    Selon l'article 1er, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 4056/86, constitue une conférence maritime «un groupe d'au moins deux transporteurs exploitant de navires qui assure des services internationaux réguliers pour le transport de marchandises sur une ligne ou des lignes particulières dans des limites géographiques déterminées et qui a conclu un accord ou un arrangement, quelle qu'en soit la nature, dans le cadre duquel ces transporteurs opèrent en appliquant des taux de fret uniformes ou communs et toutes autres conditions de transport concertées pour la fourniture des services réguliers».

143.
    L'existence d'une conférence maritime au sens du règlement n° 4056/86 requiert donc l'application de «taux de fret uniformes ou communs» par ses membres.

144.
    Les requérantes soutiennent, en substance, que c'est à tort que la Commission a considéré dans la décision TAA que l'expression «taux de fret uniformes ou communs» signifie que lesdits taux doivent être identiques pour tous les membres de la conférence pour un même produit. Selon les requérantes, un groupement decompagnies maritimes peut constituer une conférence maritime au sens du règlement n° 4056/86, et donc bénéficier de l'exemption par catégorie, dès lors que les taux de fret sont établis en commun par les membres du groupement, même s'ils varient d'un membre à l'autre. Le terme «uniforme» viserait seulement une uniformité des taux vis-à-vis des chargeurs mais non entre les armateurs.

145.
    Afin de déterminer le sens de l'expression «taux de fret uniformes ou communs», il convient d'avoir égard non seulement aux termes utilisés, mais également au mécanisme de l'exemption par catégorie, au contexte dans lequel s'insère le règlement n° 4056/86 et aux objectifs qu'il poursuit.

146.
    Premièrement, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, compte tenu du principe général d'interdiction des ententes anticoncurrentielles édicté à l'article 85, paragraphe 1, du traité, les dispositions à caractère dérogatoire insérées dans un règlement d'exemption par catégorie doivent, par nature, être interprétées restrictivement (arrêt Compagnie maritime belge de transports e.a./Commission, précité, point 48; arrêt du Tribunal du 22 avril 1993, Peugeot/Commission, T-9/92, Rec. p. II-493, point 37). Cette conclusion s'impose, a fortiori, pour les dispositions du règlement n° 4056/86 en raison de sa durée illimitée ainsi que du caractère exceptionnel des restrictions de concurrence autorisées (accord horizontal ayant pour objet la fixation de prix). Il s'ensuit que l'exemption par catégorie prévue par l'article 3 du règlement n° 4056/86 ne saurait faire l'objet d'une interprétation extensive et évolutive de manière à couvrir tous les accords que les compagnies maritimes estiment utiles, voire nécessaires, d'adopter pour s'adapter aux conditions du marché. L'exemption ne peut viser que les types d'accord que le Conseil, lors de l'adoption du règlement n° 4056/86, a considéré, au vu de l'expérience acquise, comme remplissant les conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Outre la faculté dont dispose le Conseil, si besoin était, de modifier le règlement n° 4056/86, les entreprises concernées ont, par ailleurs, toujours la possibilité d'introduire une demande d'exemption individuelle pour pallier les inconvénients éventuels des limitations inhérentes à l'exemption par catégorie.

147.
    Deuxièmement, il est constant que la définition de la «conférence maritime» mentionnée à l'article 1er, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 4056/86 a été littéralement reprise de la convention des Nations unies sur un code de conduite des conférences maritimes, adoptée le 6 avril 1974 et entrée en vigueur le 6 octobre 1983. Le lien entre le règlement n° 4056/86 et le code de conduite ressort également du troisième considérant dudit règlement, selon lequel «le règlement d'application des règles de concurrence aux transports maritimes, prévu par le dernier considérant du règlement (CEE) n° 954/79 devrait tenir compte de l'adoption du code [de conduite]; [et], en ce qui concerne les conférences relevant du code de conduite, le règlement devrait compléter [ledit] code ou le préciser». Le code de conduite constitue donc un élément de référence important pourl'interprétation de la notion de conférence maritime visée dans le règlement n° 4056/86.

148.
    Or, ainsi qu'il ressort notamment des nombreuses références doctrinales citées aux considérants 321 et 322 de la décision attaquée, le code de conduite fait référence aux conférences maritimes traditionnelles dont la caractéristique essentielle est que tous leurs membres s'entendent pour appliquer le même taux de fret pour le transport maritime du même produit dans le cadre d'un service régulier. Force est d'ailleurs de constater que les requérantes n'ont pas invoqué la moindre publication ou donné la référence d'une citation quelconque de nature à contredire cette affirmation. Tout au plus ont-elles précisé, à juste titre, mais sans que cela ait la moindre incidence, à l'annexe 6 de leur requête, la portée exacte d'une citation à laquelle il est renvoyé au considérant 324 de la décision TAA. En outre, les requérantes n'ont même pas prétendu que le fonctionnement des conférences maritimes traditionnelles n'est pas fondé sur l'application de taux de fret uniformes, mais se sont bornées à indiquer, de manière vague, dans une partie de leur requête différente de celle contenant l'exposé du deuxième moyen, que «l'histoire des conférences maritimes révèle que trois types d'accords sur les prix ont caractérisé la coopération entre les compagnies maritimes».

149.
    L'exigence d'uniformité des prix pour tous les membres d'une conférence maritime traditionnelle, visée par le code de conduite, ressort également de l'article 13, paragraphe 2, dudit code qui, dans la version française, ainsi que dans la plupart des autres versions linguistiques à l'exception de la version anglaise, prévoit que les barèmes des conférences doivent spécifier un taux de fret pour chaque produit.

150.
    Par ailleurs, si l'interprétation d'une disposition de droit communautaire doit être faite au regard dudit droit et ne saurait évidemment dépendre du droit d'un État tiers, il peut, néanmoins, dans la mesure où le règlement n° 4056/86 fait référence aux conférences maritimes relevant du code de conduite, ainsi qu'il est mentionné au considérant 346 de la décision TAA, être relevé que l'analyse du Department of Justice des États-Unis confirme également que les conférences maritimes reposent sur des taux de fret uniformes pour tous les membres de la conférence et se distinguent par là d'un accord du type du TAA, connu sous le nom de «rate agreement», qui prévoit des prix différenciés selon les membres. En effet, selon le Department of Justice: «Le fait que des conférences adhèrent à ces accords de fixation de prix leur permet de rencontrer toutes les plus grandes compagnies 'indépendantes' en vue de fixer les taux. Ainsi, le pouvoir de monopole des conférences peut s'étendre, par des accords sur les taux, à la plupart des compagnies qui ne participent pas à des conférences. (...) Il n'est pas nécessaire qu'un tel accord prévoie des taux uniformes: les parties peuvent s'accorder sur des taux qui diffèrent selon les transporteurs, reflétant ainsi des différences dans le service presté ainsi que d'autres facteurs. (...) Les accords sur les taux prévoient habituellement un droit pour les membres de l'accord de prendre des mesures indépendantes. Lorsque des conférences sont parties à un accord sur les taux, les compagnies s'accordent en général à prévoir des taux différents pour lesconférences et pour les compagnies qui ne participent pas à des conférences, plutôt que de prévoir des taux uniformes comme c'est le cas au sein des conférences.» («The regulated ocean shipping industry», a report of the US Department of Justice, janvier 1977, p. 69, 70 et 142.)

151.
    Troisièmement, il ressort également des documents préparatoires à l'adoption du code de conduite, cités au considérant 327 de la décision attaquée, tel que le rapport préparatoire au code de conduite établi par le secrétariat de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), daté de 1970 et intitulé «Le système des conférences maritimes (1970)» («The liner conference system»), que la fixation de taux de fret uniformes pour une même marchandise et pour tous les membres de la conférence est une caractéristique essentielle des conférences maritimes. Ainsi, au point 156 de ce rapport, il est souligné que «dans toute conférence, l'accord de base entre les membres consiste à prévoir des taux uniformes» (italique ajouté par le Tribunal). De même, les conférences sont décrites comme des «ensembles de compagnies opérant sur des routes et qui ont conclu des accords de base pour pratiquer des taux uniformes» (point 8). Il est relevé que «la concurrence entre les membres de la conférence est contrôlée par tous les membres acceptant de pratiquer des taux uniformes» (point 14). Parmi les avantages procurés par les conférences, il est indiqué dans le rapport qu'elles «font en sorte que toutes les compagnies qui participent à la conférence pratiquent des taux uniformes sans opérer de discrimination entre les chargeurs en vertu de leur pouvoir économique ou de la taille de leur cargaison. Un chargeur qui fait appel à une conférence est certain que ses concurrents ne pourront obtenir un taux plus avantageux, en cherchant ailleurs» (point 27); «les conférences font en outre valoir qu'elles proposent des taux fixes qui sont raisonnablement stables» (point 28). Au chapitre VI relatif à la stabilité des prix, il est noté: «Une des revendications importantes des conférences est qu'elles garantissent aux importateurs et exportateurs une stabilité des prix du fret qui selon elle leur permettra de faire des plans à long terme quant aux opérations commerciales à venir» (point 225) et que «répondre à ce souhait généralisé des chargeurs est l'une des raisons principales pour lesquelles les compagnies qui transportent des cargaisons se rassemblent en conférence et se mettent d'accord pour appliquer des taux et des conditions identiques à tous les chargeurs pour des chargements similaires» (point 226); «la stabilité des tarifs ne semble dès lors possible que si les compagnies concluent un accord ou une entente visant à pratiquer des taux uniformes» (point 227). De même, au paragraphe 6 du rapport préparatoire du secrétariat de la Cnuced, daté de 1972 et intitulé «Le règlement des conférences maritimes (code de conduite des conférences maritimes)», il est indiqué que les conférences maritimes sont «des groupes de compagnies maritimes qui opèrent sur certaines liaisons et qui ont conclu des accords de base pour l'application de taux uniformes».

152.
    Il ressort de ce qui précède que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l'historique de la rédaction du code de conduite montre que les conférences maritimes ont pour caractéristique essentielle de fixer des taux de fretuniformes, applicables par tous les membres de la conférence pour le transport d'un produit déterminé.

153.
    Dès lors, la circonstance, invoquée par les requérantes, que, avant de retenir l'expression «taux de fret uniformes ou communs», des formules incluant uniquement le terme «uniformes» ou la seule expression «arrêtés en commun», ou les termes «uniformes ou arrêtés en commun», aient été successivement proposées est dénuée de pertinence. Ces propositions successives ne font que mettre en évidence la difficulté sémantique, dans les discussions internationales, de traduire un concept commun désigné par des expressions multiples dans les différents États ou dans les différentes langues.

154.
    Au demeurant, la différence alléguée de signification entre les mots «uniformes» et «communs» n'a guère de portée, les deux termes apparaissant synonymes. En effet, lorsque les compagnies maritimes appliquent des taux de fret qualifiés d'uniformes ou de communs, le client paie le même prix, quelle que soit la compagnie qui assure le transport de la marchandise.

155.
    Enfin, il convient d'observer que l'emploi conjugué des termes «uniformes» et «communs» s'explique par la nécessité de s'assurer que la définition du code de conduite recouvre également la pratique des taux de fret promotionnels (visés à l'article 15 du code de conduite) et celle des prix spéciaux résultant des accords de fidélité (visés à l'article 7 du code de conduite). Dans ces deux cas de figure, les taux de fret sont en effet «communs», dans la mesure où ils sont identiques pour tous les membres et vis-à-vis de tous les chargeurs, mais ils ne sont pas «uniformes», dans la mesure où le transport d'une même marchandise se verra appliquer un prix différent selon qu'il relève du tarif général ou, au contraire, du tarif applicable aux actions promotionnelles ou aux accords de fidélité.

156.
    Quatrièmement, le Tribunal a jugé qu'une conférence maritime «,ainsi qu'il ressort de l'article 1er du règlement n° 4056/86, [...] a, par nature, pour objet de définir et d'appliquer des taux de fret uniformes et d'autres conditions de transport communes» (arrêt Compagnie maritime belge de transports e.a./Commission, précité, point 65).

157.
    De même, la Cour a confirmé que, «de par sa nature et au regard de ses objectifs, une conférence maritime, telle que définie par le Conseil comme bénéficiaire de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 4056/86, peut être qualifiée d'entité collective qui se présente comme telle sur le marché vis-à-vis tant des utilisateurs que des concurrents» (arrêt de la Cour du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge de transports e.a./Commission, C-395/96 P et C-396/96 P, Rec. p. I-1365, point 48). La conférence se présente comme une entité sur le marché dans la mesure où elle fixe des taux de fret uniformes pour tous ses membres, en ce sens qu'un même prix sera applicable pour le transport d'une même marchandise du point A au point B, indépendamment de l'armateur membre de la conférence qui se chargera du transport.

158.
    Cinquièmement, ainsi qu'il ressort notamment du huitième considérant du règlement n° 4056/86, les conférences maritimes bénéficient d'une exemption de groupe en raison du rôle stabilisateur qu'elles exercent. Or, cette stabilité est mieux assurée si tous les membres de la conférence adoptent des taux de fret uniformes plutôt que s'il existe plusieurs prix, en fonction des membres concernés. Un niveau uniforme de taux de fret au sein de la conférence permet par ailleurs aux usagers, dont la prise en compte des intérêts conditionne également l'exemption, d'être assurés de pouvoir obtenir le service de transport au même prix quel que soit le transporteur membre de la conférence auquel il s'adresse. Cet intérêt des chargeurs à disposer d'un prix de référence pour une marchandise donnée est sensiblement réduit si les membres de la conférence n'appliquent pas un mais deux prix, ou plus, pour un même produit.

159.
    Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, cette interprétation de la notion de conférence maritime n'est pas contredite par la possibilité, admise par la Commission, pour un membre de la conférence d'exercer une action indépendante. Ladite action se distingue fondamentalement du système des prix différenciés. En effet, l'exercice d'une action indépendante, qui permet à un membre d'une conférence d'offrir, pour un produit déterminé, moyennant un préavis d'une durée généralement de dix jours, un taux de fret plus bas que celui figurant dans le barème de la conférence, ne crée pas un autre niveau de prix ayant vocation à s'appliquer d'une manière générale, car ladite action ne concerne qu'une transaction ponctuelle et particulière. L'effet stabilisateur résultant de l'existence de taux de fret uniformes ou communs pour tous les membres de la conférence subsiste donc en cas d'exercice d'une action indépendante, alors qu'il y est porté atteinte lorsque le barème de la conférence, qui mentionne l'ensemble des taux de fret applicables, est remplacé par un système de prix différenciés selon les membres. En outre, une action indépendante est, par définition, décidée et exercée par un transporteur conformément au principe du droit de la concurrence selon lequel chaque opérateur détermine, en toute indépendance, la politique qu'il entend suivre sur le marché, alors que, en revanche, un système de prix différenciés implique une entente restrictive de concurrence supplémentaire à celle représentée par la conférence maritime, dans la mesure où ce système s'apparente en réalité à un accord entre une conférence et des compagnies indépendantes.

160.
    De même, l'interprétation retenue dans la décision attaquée de l'expression «taux de fret uniformes ou communs» comme signifiant que lesdits taux doivent être identiques pour tous les membres de la conférence ne saurait être considérée comme étant en contradiction avec la circonstance que les accords de fidélité, tels que définis à l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86 sont exemptés par l'article 6 dudit règlement. En effet, les accords de fidélité, sur la base desquels des réductions sur les taux de fret prévus dans le barème sont accordées aux chargeurs qui s'engagent à être fidèles à la conférence, ne portent pas atteinte à l'effet stabilisateur de la conférence dans la mesure où ces réductions sont accordées quel que soit le membre de la conférence qui effectue le transport et appliquéesuniformément à tous les chargeurs, parties auxdits accords, expédiant les mêmes marchandises.

161.
    Sixièmement, une exemption ne peut, selon l'article 85, paragraphe 3, sous b), du traité, être accordée à un accord qui élimine la concurrence. Il convient de rappeler, à cet égard, que la Cour a souligné que, «en prévoyant l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun, l'article [3, sous g),] exige, à plus forte raison, que la concurrence ne soit pas éliminée; [que] cette exigence est si essentielle que, sans elle, de nombreuses dispositions du traité seraient sans objet» (arrêt de la Cour du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, Rec. p. 215, point 24). De même, il ressort de la jurisprudence que la concurrence sur les prix est tellement importante qu'elle ne peut jamais être éliminée (arrêt de la Cour du 25 octobre 1977, Metro/Commission, 26/76, Rec. p. 1875, point 21).

162.
    Dans le règlement n° 4056/86, le Conseil n'a pas entendu, et n'aurait d'ailleurs pu, déroger à cette disposition du traité. Bien au contraire, le Conseil rappelle, à plusieurs reprises, et notamment au treizième considérant et à l'article 7 du règlement n° 4056/86, la nécessité de s'assurer que l'exemption par catégorie ne couvre pas des pratiques incompatibles avec les dispositions de l'article 85, paragraphe 3, du traité. S'agissant de l'exemption d'un accord horizontal portant fixation de prix qui a pour objet et pour effet d'éliminer, du moins en grande partie, la concurrence interne entre les membres de la conférence, l'existence d'une concurrence externe, exercée par les compagnies maritimes indépendantes, c'est-à-dire celles qui développent leur activité en dehors de la conférence, constitue la principale garantie du maintien d'une concurrence effective en présence d'une exemption par catégorie. Or, l'instauration, ou la pratique, de prix différenciés permet d'attirer dans un groupement des compagnies maritimes indépendantes qui, autrement, continueraient à concurrencer les membres de la conférence. Certes, tout accord entre transporteurs maritimes portant fixation de deux niveaux de prix, ou plus, n'entraîne pas automatiquement l'élimination de la concurrence externe. Ainsi, un accord portant fixation de plusieurs niveaux de prix, du type de celui contenu dans le TAA, pourrait ne regrouper que des transporteurs représentant, collectivement, une part de marché assez faible et donc ne pas entraîner l'élimination de la concurrence externe. À l'inverse, une conférence dont les membres appliqueraient des taux de fret uniformes pourrait représenter la quasi-totalité du marché et éliminer la concurrence externe. Toutefois, ces situations sont largement théoriques et, d'une manière générale, il ne saurait être contesté que la possibilité de fixer différents niveaux de prix permet d'attirer dans le groupement des compagnies qui, sans cette flexibilité, resteraient indépendantes et que cette situation est susceptible d'aboutir à l'élimination de la concurrence externe, tandis que l'obligation de fixer des taux de fret uniformes pour tous les membres de la conférence n'est pas de nature à favoriser le ralliement de tous les opérateurs à la conférence, ce qui garantit l'existence d'une concurrence externe.

163.
    Force est d'ailleurs de constater que cette analyse se trouve corroborée par le cas d'espèce. En effet, il est indiqué au considérant 341 de la décision attaquée que «le vrai but de l'instauration de taux [de fret] différenciés dans un cas comme le TAA est d'intégrer dans l'accord des [transporteurs] indépendants qui, sans cette faculté [de minorer les prix] qui leur est reconnue par rapport aux anciens membres resteraient [indépendants] et continueraient à concurrencer la conférence notamment par les prix». Le compte rendu d'une réunion regroupant les futurs membres du TAA, qui s'est tenue à Genève (Suisse) le 13 janvier 1992, permet de conclure au bien-fondé de cette affirmation. Dans ce document, il est précisé: «Toutes les compagnies indépendantes ont fait savoir qu'elles ne deviendraient pas membres si cela se limitait à créer une nouvelle conférence Usanera/Neusara sous un nom différent. Après de longues discussions toutes les compagnies se sont accordées sur le fait que le nouvel accord leur donnerait une liberté commerciale suffisante pour maintenir leurs propres philosophies de fixation des prix et de commercialisation.» Les requérantes elles-mêmes ont exposé au point 2.14 de la requête ce qui suit: «Le TAA ne pouvait réussir là où les accords antérieurs avaient échoué qu'en rassemblant un nombre suffisant de compagnies opérant dans ce secteur en vue de renverser la tendance à la concurrence destructrice [...] Les différences que présentaient les taux [de fret] appliqués par les compagnies adhérant au TAA reflétaient cette réalité du marché et, sans cela, il n'aurait pas été possible d'obtenir cet effet stabilisateur du TAA.» Ainsi, le cas du TAA illustre précisément le fait que la pratique de prix différenciés permet d'attirer dans une conférence des compagnies qui, sans cette flexibilité tarifaire, resteraient indépendantes. Ce type d'accord, qui est susceptible d'entraîner l'élimination de la concurrence externe, ne saurait dès lors être considéré comme remplissant, a priori, les conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Il s'ensuit que l'article 3 du règlement n° 4056/86 selon lequel sont exemptés de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité les accords des membres des conférences maritimes ayant pour objet la fixation de taux de fret et des conditions du transport ne peut donc s'appliquer aux accords conclus entre armateurs prévoyant deux niveaux, ou plus, de prix, et ce d'autant moins que l'existence de la concurrence externe constitue la condition essentielle de l'octroi de l'exemption par catégorie prévue en faveur des accords conclus par les membres des conférences maritimes, en ce qu'elle garantit le maintien d'une concurrence effective.

164.
    Septièmement, le fait de considérer, comme le proposent les requérantes, que l'expression «taux de fret uniformes ou communs» signifie simplement que lesdits taux doivent avoir été «établis en commun» impliquerait que tout accord sur les prix conclu entre transporteurs maritimes assurant des services réguliers serait couvert par l'exemption prévue par l'article 3 du règlement n° 4056/86. Ainsi que la Commission le relève à juste titre au considérant 349 de la décision attaquée, une telle interprétation rendrait l'article 3 précité incompatible avec l'article 85, paragraphe 3, du traité dans la mesure où il serait automatiquement accordé, sur le fondement de l'article 3 du règlement n° 4056/86, à tout accord horizontal sur les prix conclu entre armateurs assurant des services réguliers de transportmaritime, accord qui constitue précisément une des restrictions de concurrence la plus grave qui soit, une dérogation à l'interdiction énoncée à l'article 85, paragraphe 1, du traité, sans garantie de résultats bénéfiques.

165.
    Huitièmement, s'agissant de l'analyse économique avancée par les requérantes, il doit être rappelé, d'abord, que l'objet anticoncurrentiel qui caractérise un accord sur la fixation des prix ne peut être écarté au moyen du contexte économique dans lequel l'accord se situe (arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, précité, point 1088). Une analyse économique ne permet pas non plus, à elle seule, de déterminer le champ d'application d'un règlement prévoyant une exemption par catégorie. En effet, celui-ci étant d'interprétation stricte, il y a lieu uniquement de vérifier si un accord visé par l'article 85, paragraphe 1, du traité bénéficie, en vertu des dispositions du règlement concerné, de l'exemption prévue par ce dernier. À cet égard, la position soutenue par les requérantes durant la procédure administrative, selon laquelle «dans ces circonstances, selon les membres du TAA, l'évaluation devrait se concentrer sur le fait que l'organisation des opérations respecte les objectifs politiques du Conseil tels qu'ils sont compris par les membres du TAA, et non pas sur le respect de l'accord formel selon le libellé du règlement 4056/86» (point 252 de la communication des griefs, faisant référence à la réponse du TAA à la communication des griefs du 24 mai 1993, p. 68, 2-26), ne saurait être acceptée.

166.
    Il y a lieu de relever, ensuite, que les requérantes n'ont pas précisé, ni a fortiori établi, en quoi l'analyse économique qu'elles avancent, à la supposer bien fondée, pourrait être de nature à avoir une incidence sur la définition de la conférence maritime au sens du règlement n° 4056/86. Au demeurant, les seuls arguments que les requérantes semblent vouloir dégager de cette analyse et invoquer à l'appui de leur deuxième moyen ont été pris en compte et rejetés dans les points ci-dessus. Ainsi, à supposer même que la notion de stabilité doive être entendue de manière plus large que ne l'a fait la Commission et qu'un accord entre compagnies maritimes puisse avoir un effet stabilisateur du fait de l'application de taux de fret qui ne sont pas identiques pour toutes les compagnies, il ne s'ensuit pas pour autant que ledit accord entre dans le champ d'application de l'exemption par catégorie. Or, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, l'exemption par catégorie ne saurait s'appliquer à tous les accords qui, de l'avis des parties à ces accords, auraient un quelconque effet stabilisateur, mais bien uniquement à ceux qui, dans la mesure où ils correspondent au type d'accord visé par les dispositions du règlement prévoyant l'exemption, sont réputés entraîner les effets positifs visés au huitième considérant du règlement n° 4056/86 et remplir l'ensemble des conditions requises par l'article 85, paragraphe 3, pour bénéficier d'une exemption.

167.
    Il résulte de chacun des huit motifs exposés ci-dessus, et, en tout état de cause, de la conjonction de ceux-ci, que l'exemption par catégorie prévue par l'article 3 du règlement n° 4056/86 ne peut s'appliquer qu'en faveur des conférences maritimes dont les membres opèrent en appliquant des taux de fret uniformes ou communs, c'est-à-dire en appliquant un barème prévoyant des taux de fret identiques pourtous les membres de la conférence pour un même produit. En revanche, ne peut être considéré comme une conférence maritime visée par le règlement n° 4056/86 un accord entre transporteurs maritimes prévoyant un régime tarifaire différencié selon les membres.

168.
    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par le considérant 354 de la décision attaquée selon lequel cette dernière «ne s'attache pas à déterminer sous quelles conditions d'autres accords portant fixation des prix entre armateurs, prévoyant des tarifs à deux niveaux, pourraient bénéficier d'une exemption au titre de l'article 3 du règlement n° 4056/86». Sans qu'il soit nécessaire de s'interroger sur la signification précise de ce passage de ladite décision, il suffit de constater qu'il ne s'agit que d'un obiter dictum et que, en tout état de cause, le seul point de vue de la Commission ne garantit pas l'interprétation exacte d'une disposition d'un règlement du Conseil.

169.
    Force est d'ailleurs de constater qu'une des requérantes a elle-même estimé qu'un accord du type du TAA prévoyant un régime tarifaire différencié selon les membres était un accord d'un genre nouveau qui ne pouvait être considéré comme une conférence maritime.

170.
    Il y a lieu en effet de rappeler que M. Karl-Heinz Sager, président de DSR-Senator Lines, une compagnie indépendante qui est devenue membre du TAA, a constamment défendu la nécessité d'une nouvelle structure dans le secteur du transport maritime de ligne, dans laquelle les armateurs des conférences et les compagnies indépendantes pourraient se réunir (voir, notamment, les discours tenus le 11 avril 1990 devant une conférence Eurofreight à Bruxelles et le 12 novembre 1991 au RAI International Exhibition Centre, note 69 en bas de page, sous le considérant 129 de la décision attaquée). De même, dans un discours prononcé au «Propeller Club» à Tokyo, M. Karl-Heinz Sager a déclaré que «les conférences devraient être remplacées par de simples accords de lignes commerciales. Contrairement à ce qui se passe dans les conférences, les membres ne devraient plus essayer d'appliquer des barèmes et des prix égaux mais devraient s'organiser de manière à pouvoir se rencontrer, débattre, et prendre des décisions sur des questions comme le développement général des marchés, les besoins de capacités, leur gestion, l'utilisation optimale des équipements et, peut-être, l'introduction de prix plancher (coûts directs) pour le seul transport des conteneurs de port à port. [...] Les transporteurs ont maintenant mis au point une structure entièrement nouvelle, le [TAA]».

171.
    Cette perception de la véritable nature du TAA est également partagée par les observateurs du secteur du transport maritime. Ainsi, il est indiqué dans le rapport Drewry de 1992, «Container Market Profitability to 1997», que le TAA constituait une «approche radicalement nouvelle des accords entre armateurs» et que cet accord était «appelé à être un modèle pour des compagnies opérant dans le cadred'autres trafics maritimes, lesquelles pourraient le reprendre en tant que nouveau système de coopération entre transporteurs».

2. Sur la qualification du TAA

172.
    Il convient, ensuite, d'examiner si c'est à bon droit que la Commission a considéré que le TAA n'était pas une conférence maritime parce que ses membres n'appliquaient pas des taux de fret uniformes ou communs.

173.
    Il convient de rappeler, à cet égard, que, tant au cours de la procédure administrative que dans le cadre de la requête, les requérantes ont toujours contesté la nécessité de l'application de taux de fret uniformes pour pouvoir bénéficier d'une exemption au titre de l'article 3 du règlement n° 4056/86. Les requérantes ont seulement soutenu que la structure tarifaire duale du TAA ne devait pas les priver du bénéfice de l'exemption. Elles n'ont, en revanche, jamais contesté que le TAA prévoyait effectivement une structure tarifaire duale et qu'elles n'appliquaient pas des taux de fret uniformes. Il s'ensuit que, dans la mesure où la thèse développée par les requérantes dans la réplique tendrait à faire valoir que les membres du TAA appliquaient des taux de fret uniformes dont il était possible de s'écarter en exerçant une action indépendante, elle constituerait un moyen nouveau au sens de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal. En l'absence d'indications selon lesquelles ce moyen est fondé sur des éléments de droit ou de fait qui se sont révélés pendant la présente procédure, il serait irrecevable.

174.
    Il y a lieu de relever que, en tout état de cause, c'est à juste titre que la Commission a considéré que le TAA ne prévoyait pas de barème comportant des taux de fret uniformes devant être appliqués par tous ses membres.

175.
    Il convient de rappeler, à cet égard, qu'il est exposé dans la décision TAA que les anciennes compagnies indépendantes se sont vu accorder une plus grande liberté que les anciens membres des conférences en ce qui concerne les taux de fret, les tarifs et les contrats de service (considérant 135). D'après des documents relatifs au TAA, tous les anciens membres des conférences étaient désignés comme les «membres structurés», alors que presque toutes les anciennes compagnies indépendantes étaient considérées comme les «membres non structurés». Les membres structurés étaient ceux qui participaient au «comité des taux» et au «comité des contrats» (considérant 136 de la décision attaquée). Dans la décision attaquée, la Commission a retenu les éléments de preuve suivants pour conclure que le TAA prévoyait deux type de membres et différents niveaux de prix. Premièrement, les documents du TAA montraient que: a) les membres non structurés ont été autorisés directement à sous-coter les membres structurés de 100 USD par conteneurs (comité des taux, 1er octobre 1992); b) tous les membres du TAA sont convenus que les membres non structurés utilisaient, si nécessaires, les actions indépendantes pour rétablir des différentiels de prix (considérant 140 de la décision attaquée). Ce dernier point ressort d'ailleurs d'une télécopie du 1erdécembre 1992 concernant «les points forts de la réunion des dirigeants du TAA à Londres, le 23 novembre 1992», dans laquelle il est précisé: «[...] il a été donné suite à la plainte de la DG IV selon laquelle la pratique par les compagnies maritimes qui ne participent pas au comité des taux (les membres non structurés) de taux inférieurs au tarif constituerait une violation des règles communautaires de concurrence. Les compagnies ont ensuite convenu avec le conseil juridique de déposer des tarifs uniformes et communs pour tous les membres, les compagnies ne participant pas au comité des taux pouvant, si nécessaire, établir des taux différentiels par le biais des actions indépendantes». Deuxièmement, les membres structurés ne pouvaient pas conclure des contrats de service individuels, alors que les membres non structurés étaient autorisés à le faire. Troisièmement, les membres non structurés pouvaient prendre part à des contrats de service négociés par le comité des contrats, alors que les membres structurés ne pouvaient pas prendre part aux contrats de service négociés par les membres non structurés. Quatrièmement, les prix de transport étaient parfois différents pour les deux catégories de membres au sein d'un même contrat de service.

176.
    Force est de constater que les requérantes n'ont contesté aucun de ces éléments factuels, lesquels ressortent d'ailleurs directement du texte même du TAA, et que, au vu de ceux-ci, c'est à bon droit que la Commission a considéré que le TAA ne constituait pas une conférence maritime au sens de l'article 1er, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 4056/86 au motif que cet accord prévoyait un régime tarifaire différent pour les deux catégories de membres et non des taux de fret uniformes ou communs applicables par tous les membres.

3. Conclusions sur l'exemption par catégorie

177.
    Il ressort de ce qui précède, d'une part, que l'exemption par catégorie prévue par l'article 3 du règlement n° 4056/86 ne peut s'appliquer qu'aux conférences maritimes visées à l'article 1er, paragraphe 3, sous b), dudit règlement et, d'autre part, que le TAA ne peut être considéré comme une conférence maritime au sens dudit règlement.

178.
    Il s'ensuit que le présent moyen, tiré de la violation de l'article 3 du règlement n° 4056/86, doit être rejeté sans qu'il soit nécessaire d'examiner si c'est à bon droit que la Commission a, en outre, décidé que le CMP et les accords portant fixation des prix du transport terrestre, dans le cadre du transport multimodal, ne pouvaient bénéficier de l'exemption par catégorie. Il ressort d'ailleurs des considérants, respectivement, 359 et 372 de la décision attaquée que le CMP et les accords précités n'ont été examinés au regard de l'article 3 du règlement n° 4056/86 que dans l'hypothèse où le TAA était considéré comme une conférence maritime au sens de l'article 1er dudit règlement.

III - Sur le troisième moyen, pris du refus de l'octroi d'une exemption individuelle

A - Décision TAA

179.
    La Commission a, successivement, examiné les accords relatifs au transport maritime, puis ceux ayant pour objet la fixation des prix du transport terrestre, contenus dans le TAA, et ce au regard des quatre conditions auxquelles est soumise l'exemption prévue par l'article 85, paragraphe 3, du traité.

1. Sur les accords relatifs au transport maritime

a) Première condition: améliorer la production ou la distribution des produits ou promouvoir le progrès technique ou économique

180.
    La Commission a contesté l'allégation formulée par les membres du TAA lors de la procédure administrative, selon laquelle le principal avantage, reconnu comme tel par le règlement n° 4056/86, que procure cet accord tient à son effet stabilisateur. La stabilité procurée par le TAA différait de celle envisagée dans le règlement n° 4056/86, tant par les objectifs visés que par les moyens mis en oeuvre.

181.
    S'agissant de l'objectif poursuivi par le TAA, la Commission a en effet considéré qu'il s'agissait «d'une stabilité comprise comme [la] garantie du maintien sur le trafic de tous les membres du TAA, même le moins efficace, et qui [allait] bien au-delà de ce qui est envisagé par le huitième considérant du règlement [...] n° 4056/86».

182.
    Quant aux moyens mis en oeuvre, il est indiqué dans la décision TAA que la stabilité envisagée par le TAA «impliqu[ait] une très forte limitation de la concurrence effective et réelle découlant de l'intégration de la plupart des indépendants au sein du TAA et de la non-utilisation d'une partie substantielle des capacités». S'agissant plus particulièrement du CMP, la Commission a constaté que l'analyse économique contredisait l'objectif affiché qui était de rationaliser le trafic et de réguler les surcapacités de transport liées aux déséquilibres entre les segments ouest-est et est-ouest, aux fluctuations saisonnières de la demande et à un phénomène de cycles constaté au vu de l'offre et de la demande sur plusieurs années. En particulier, la Commission a observé que le CMP n'était pas indispensable à la régulation des surcapacités liées aux fluctuations saisonnières de la demande ou au phénomène de cycles connu par ce secteur d'activité. Il n'existait un problème de surcapacités que sur le segment ouest-est alors que le CMP ne visait un gel de capacité que sur le segment est-ouest.

183.
    La Commission a conclu que la première condition énoncée à l'article 85, paragraphe 3, du traité n'était pas satisfaite, au motif que:

-    la stabilité visée par le TAA permettait aux opérateurs moins efficaces de se maintenir artificiellement sur le marché, ce qui impliquait que les prix y étaient trop élevés;

-    le TAA n'apportait aucun avantage par rapport à une conférence maritime en termes de qualité et d'adéquation des services;

-    l'intégration des compagnies indépendantes au sein du TAA avait excessivement restreint la concurrence sur le trafic, sans procurer d'avantages supplémentaires par rapport à une conférence maritime;

-    le CMP ne diminuait pas les coûts ni ne rationalisait l'offre de services.

184.
    Au surplus, la Commission a relevé que, en interdisant les négociations directes et individuelles entre les membres structurés et les chargeurs et en obligeant les clients à négocier les prix de transport avec le secrétariat du TAA, cet accord limitait les possibilités de coopération directe entre armateurs et clients.

b) Deuxième condition: réserver aux utilisateurs une partie équitable du profit

185.
    Selon la décision attaquée, le TAA ne satisfaisait pas à cette condition. Il n'apportait pas à ses clients, les chargeurs et les transitaires, une partie équitable du profit au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité. La Commission s'est fondée sur les éléments suivants:

-    le TAA a permis à ses membres d'augmenter substantiellement les prix;

-    ces augmentations étaient contraires aux intérêts des chargeurs, qui, avec les transitaires, s'étaient plaints des effets du TAA;

-    à long terme, le TAA empêchait l'utilisation d'une partie des capacités de transport existantes sans les supprimer et faisait supporter aux clients la charge de la capacité ainsi inutilisée.

c) Troisième condition: ne pas imposer aux entreprises intéressées des restrictions non indispensables pour atteindre les objectifs recherchés

186.
    Les membres du TAA n'ont pas démontré en quoi un accord de conférence maritime, au sens du règlement n° 4056/86, n'était pas suffisant pour atteindre l'objectif de stabilité prétendument recherché. La Commission a contesté formellement le fait que le CMP puisse revêtir un caractère indispensable. Elle aconclu que les restrictions de concurrence excédaient largement ce qui était strictement nécessaire et indispensable pour atteindre l'objectif de stabilité allégué.

d) Quatrième condition: ne pas donner aux entreprises concernées la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence

187.
    Selon la décision TAA, cette condition n'était pas satisfaite, car le TAA donnait à ses membres la possibilité d'éliminer la concurrence sur la route transatlantique directe, pour une partie substantielle des services en cause.

188.
    La Commission a successivement analysé:

-    la possibilité d'élimination de la concurrence au sein du TAA (concurrence interne);

-    si une telle possibilité concernait une partie substantielle des services en cause;

-    si la concurrence externe pouvait empêcher les membres du TAA d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des services en cause.

189.
    En premier lieu, la Commission a estimé que le TAA permettait à ses membres d'éliminer toute concurrence interne, sur la base des éléments suivants:

-    les membres définissaient en commun les capacités de transport offertes et fixaient les tarifs;

-    toute action indépendante devait être communiquée aux autres membres au moins dix jours à l'avance, ce qui permettait soit le suivi d'autres membres, soit le retrait de l'action indépendante;

-    les contrats de service pouvaient être négociés en commun par tous les membres, et devaient l'être pour la plupart des membres;

-    la flexibilité tarifaire accordée aux membres non structurés ne correspondait pas à l'exercice d'une concurrence effective, car cette flexibilité faisait l'objet d'un accord entre tous les membres, son importance était déterminée par les parties à l'accord et parce que le TAA restreignait dans une large mesure le comportement concurrentiel des membres non structurés;

-    l'activité du secrétariat du TAA contribuait à l'intégration commerciale des membres;

-    la concurrence sur le marché des services réguliers de transport maritime de conteneurs s'exerçait essentiellement par les prix, la qualité du service apparaissant secondaire;

-    l'impact concurrentiel de la qualité du service était affaibli par le CMP dont l'effet était de limiter l'offre;

-    au sein du TAA, les parts de marché respectives des armateurs n'avaient pas varié de manière substantielle, malgré d'importantes évolutions des prix et des capacités de transport.

190.
    En deuxième lieu, la Commission a constaté que le TAA représentait, en 1993, entre 65 et 70 % du marché pertinent, contre environ 75 % en 1992. Elle a conclu que le TAA représentait en 1992 et 1993 une partie substantielle du marché pertinent.

191.
    En troisième lieu, la Commission a estimé que la concurrence externe n'était pas de nature à empêcher les membres du TAA d'éliminer la concurrence. Elle s'est fondée sur des constatations relatives à la concurrence exercée, d'une part, par les compagnies maritimes restées hors du TAA et, d'autre part, par la route maritime liant l'Europe du Nord et le Canada. S'agissant des autres sources de concurrence, la Commission a écarté, compte tenu de leur importance négligeable, la concurrence exercée par la route méditerranéenne et par les services non réguliers de transport maritime, communément appelés transports de tramp. Enfin, renvoyant aux considérants de la troisième partie de la décision TAA, relatives à la concurrence potentielle, la Commission a rappelé que l'influence de cette dernière était limitée, compte tenu des particularités du trafic transatlantique ainsi que des dispositions du TAA et de la participation de la plupart des concurrents potentiels à des accords concernant d'autres routes maritimes, signés également par les membres du TAA.

2. Sur les accords relatifs au transport terrestre

192.
    La Commission a examiné les accords portant fixation des prix du transport terrestre, dans le cadre du transport combiné, à la lumière des quatre conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité, telles que mentionnées dans l'article 5 du règlement n° 1017/68.

a) Première condition

193.
    L'article 5 du règlement n° 1017/68 impose, au titre de cette première condition, que l'accord en cause contribue à:

«-    améliorer la qualité des services de transport ou

-    promouvoir sur les marchés qui sont soumis à de fortes fluctuations dans le temps de l'offre et de la demande, une meilleure continuité et stabilité dans la satisfaction des besoins de transports ou

-    augmenter la productivité des entreprises ou

-    promouvoir le progrès technique ou économique».

194.
    Sur la base de ces critères, la Commission a conclu que les dispositions du TAA sur le tarif du transport terrestre pour l'Europe, loin d'entraîner un progrès économique, étaient «de nature à décourager la mise en oeuvre de nouveaux investissements à attendre normalement en situation de concurrence». La première condition n'était donc pas remplie.

b) Deuxième condition

195.
    Les chargeurs et les transitaires ayant porté plainte en visant précisément les dispositions du TAA relatives au transport terrestre du TAA, la Commission a estimé que cette condition n'était pas satisfaite.

c) Troisième condition

196.
    La Commission a estimé que cette condition n'était pas remplie par référence aux avantages économiques attendus de la fourniture ou de l'amélioration des services de transport multimodaux. Répondant aux arguments des requérantes qui faisaient valoir que les accords portant fixation des prix du transport terrestre étaient indispensables pour atteindre la stabilité du trafic et devaient donc compléter les accords relatifs au transport maritime afin d'assurer la fiabilité des services réguliers de transport de conteneurs, la Commission a indiqué dans la décision TAA ce qui suit:

«[D]ans la mesure où les accords de prix et de capacité du TAA sur le segment maritime ne remplissent pas la première condition de l'article 85, paragraphe 3, du traité [...], les accords de prix du TAA sur le segment terrestre visent des objectifs qui ne remplissent pas la première condition de l'article 85, paragraphe 3, [du traité] et ne peuvent être considérés comme indispensables au sens [dudit article] ou de l'article 5 du règlement n° 1017/68.»

d) Quatrième condition

197.
    Aucune des précédentes conditions n'étant satisfaite, la Commission n'a pas jugé nécessaire d'examiner la quatrième et dernière condition.

B - Arguments des requérantes

198.
    Les requérantes font valoir qu'en refusant au TAA le bénéfice d'une exemption individuelle la Commission a violé le droit communautaire. S'appuyant sur la distinction opérée par la Commission dans la décision TAA entre les accords relatifs au transport maritime et ceux concernant le transport terrestre, mode de raisonnement qu'elles contestent par ailleurs, elles soutiennent que les deux types d'accords remplissaient les quatre conditions définies à l'article 85, paragraphe 3, du traité. Elles ajoutent que cette appréciation doit être faite par référence à une définition économique exacte de la notion de stabilité.

1. S'agissant du refus d'octroi de l'exemption individuelle aux accords relatifs au transport maritime

a) Première condition

199.
    Les requérantes considèrent que ces accords satisfaisaient à la première condition de l'article 85, paragraphe 3, du traité dans la mesure où ils contribuaient à la stabilité, laquelle permettait aux compagnies maritimes d'offrir des services réguliers fiables, suffisants et efficaces. Selon elles, cet avantage ressort du huitième considérant du règlement n° 4056/86.

200.
    Elles se défendent de vouloir assurer, au nom de la stabilité, le maintien sur le marché des compagnies maritimes inefficaces et précisent que cette notion doit se traduire par le souci d'éviter une diminution excessive de la capacité de transport, c'est-à-dire un retrait très important de navires du trafic, suivie d'une augmentation excessive de ladite capacité par l'afflux de navires dans le trafic, et non celui d'éviter toute augmentation ou toute diminution de la capacité de transport. La coopération entre les requérantes ne serait pas destinée à garantir la profitabilité de tous les services existants quelle que soit leur efficacité, mais à éliminer les conséquences les plus rigoureuses des fluctuations extrêmes de la demande et des niveaux de prix. En tout état de cause, les accords conclus dans le cadre des conférences maritimes inciteraient les entreprises à être efficaces sur le plan des coûts et à se faire effectivement concurrence en vue de réduire ces derniers.

b) Deuxième condition

201.
    Les accords en cause satisferaient également à la deuxième condition d'octroi d'une exemption énoncée à l'article 85, paragraphe 3, du traité, en raison du fait que la stabilité, telle que définie au point précédent, permettrait de fournir aux chargeurs des services de transport maritime fiables, suffisants et efficaces. Les requérantes contestent que le TAA ait seulement été un moyen de permettre à ses membresd'augmenter leurs prix et réfutent également l'argumentation de la Commission selon laquelle elles auraient fait des investissements excessifs et imprudents.

c) Troisième condition

202.
    S'agissant de la troisième condition d'octroi de l'exemption prévue à l'article 85, paragraphe 3, du traité, les requérantes font valoir que la Commission aurait considéré à tort que les restrictions imposées en matière de prix et de capacité de transport disponibles n'étaient pas indispensables pour atteindre la stabilité. Selon elles, le Conseil aurait estimé, au huitième considérant du règlement n° 4056/86, que la combinaison de ces deux types de coopération était nécessaire dans certaines circonstances.

203.
    Elles exposent que la conclusion de la Commission découle d'un postulat erroné selon lequel les compagnies maritimes devaient appliquer des prix identiques, l'institution défenderesse considérant ainsi à tort que les moyens mis en oeuvre dans le cadre du TAA, compte tenu des conditions spécifiques prévalant alors sur le marché, n'étaient pas indispensables pour atteindre la stabilité.

204.
    Les requérantes font valoir que, de manière légitime, le CMP avait pour objet de remédier au déséquilibre de la demande entre les segments est-ouest et ouest-est. Selon elles, il était nécessaire de maintenir une capacité excédentaire irréductible sur le segment est-ouest et de satisfaire la demande plus forte sur le segment ouest-est. Une fois ce déséquilibre disparu, le CMP n'a pas été renouvelé au-delà de septembre 1994.

205.
    Les requérantes contestent également la date retenue par la Commission pour marquer la fin du déséquilibre de la demande entre les segments de la route transatlantique et font remarquer que l'institution défenderesse ne s'était référée qu'à des statistiques générales et avait refusé de prendre en compte leurs propres données.

206.
    Les requérantes font valoir que le refus de la Commission de faire bénéficier les accords relatifs au transport maritime contenus dans le TAA d'une exemption individuelle, en arguant du fait qu'ils ne satisfaisaient à aucune des trois premières conditions auxquelles l'article 85, paragraphe 3, du traité subordonne l'octroi d'une exemption, résulte de son interprétation erronée de la notion de stabilité.

d) Quatrième condition

207.
    Selon les requérantes, en concluant que le TAA donnait à ses membres la possibilité d'éliminer la concurrence sur les lignes transatlantiques pour une partie substantielle des services en question, la Commission aurait commis des erreurs de droit, factuelle et économique tant au regard de la définition du marché pertinent que de l'étendue de la concurrence, que celle-ci soit interne ou externe, actuelle ou potentielle.

i) Marché pertinent

208.
    En premier lieu, la Commission aurait, à tort, limité la définition du marché pertinent aux «services de transport de ligne [de conteneurs] entre l'Europe du nord et les États-Unis, par les routes maritimes entre les ports d'Europe du nord et ceux des États-Unis et du Canada».

209.
    Cette analyse ne tiendrait compte ni de la concurrence exercée par le transport maritime de marchandises non placées dans des conteneurs ou par d'autres modes de transport, ni de l'impact sur le trafic transatlantique des services de transport assurant la liaison maritime entre les ports d'Europe du Sud (ports de la Méditerranée) et ceux des États-Unis.

S'agissant du marché des services en cause

210.
    Les requérantes rappellent que, dans leur réponse à la communication des griefs, elles ont identifié un certain nombre d'autres sources de concurrence du transport de fret par conteneurs, à savoir la concurrence exercée par les opérateurs de transport de marchandises non placées dans des conteneurs, qu'il s'agisse de services réguliers ou ponctuels (c'est-à-dire des transports effectués à la demande), les autres modes de transport spécialisé et le transport aérien. Elles ajoutent que le huitième considérant du règlement n° 4056/86 se réfère à ces sources de concurrence et que la Commission a admis, notamment dans la décision TAA (considérant 58), que les services de transport précités étaient susceptibles d'être substitués à ceux fournis par les requérantes. Elles considèrent que la Commission, qui a admis que ces opérateurs exerçaient, individuellement, des pressions concurrentielles, certes minimes, sur les membres du TAA, a erronément refusé d'examiner si, cumulativement, ces pressions concurrentielles étaient appréciables.

211.
    Les requérantes font valoir que toute la gamme de services qu'elles offraient étaient en concurrence avec d'autres services de transport. Selon un rapport de la société Dynamar, établi aux fins de la procédure administrative (ci-après le «rapport Dynamar»), les compagnies maritimes tierces assurant des services réguliers offriraient déjà leurs services sur la route transatlantique et pourraient, à un faible coût, déployer leur capacité de transport de conteneurs, équivalant à 20 % de celle des requérantes en 1994, en concurrence directe avec ces dernières. Cette concurrence s'ajouterait à celle émanant des compagnies maritimes telles que Evergreen ou Lykes qui assurent déjà des services réguliers de transport de conteneurs. Ces circonstances expliqueraient la baisse des parts de marché du TAA de 81,1 % en 1992, à 69,6 % en 1994.

S'agissant du marché géographique pertinent

212.
    Les requérantes font grief à la Commission d'avoir exclu la «porte méditerranéenne» (Mediterranean gateway) de sa définition du marché géographique pertinent.

213.
    Elles font observer que, dans la communication des griefs, la Commission avait initialement défini le marché géographique pertinent en se référant uniquement aux routes maritimes reliant les ports d'Europe du Nord et ceux des États-Unis et que, à la suite de la réponse à ladite communication, dans laquelle elles exposaient la nature et l'ampleur de la concurrence exercée sur les lignes transatlantiques par les routes maritimes reliant l'Europe du Sud au Canada et inversement, la Commission a modifié sa définition du marché pour y inclure la «porte canadienne» (Canadian gateway).

214.
    Selon elles, la Commission a reconnu dans la décision TAA que les ports méditerranéens offraient une véritable solution de rechange par rapport aux ports de l'Europe du Nord, du moins pour certains chargeurs (considérant 66).

215.
    Elles relèvent également que la Commission a indiqué dans cette même décision que «[l]es effets du TAA [s'étaient] aussi fait sentir sur le trafic par la Méditerranée» (considérant 219). De même, se référant à la circonstance que, entre 1992 et 1993, le trafic vers les États-Unis a crû davantage au départ des ports méditerranéens qu'au départ des ports de l'Europe du Nord, la Commission aurait précisé dans la décision TAA:

«En effet, certains chargeurs, plus particulièrement ceux situés dans la zone du Sud de la France, ont décidé de détourner tout ou partie de leurs cargaisons vers les ports méditerranéens face aux hausses introduites par le TAA.» (Considérant 220.)

216.
    Selon les requérantes, l'ensemble de ces éléments prouvent l'importance des détournements de trafic des ports de l'Europe du Nord vers ceux de la Méditerranée et révèlent l'existence d'un haut degré de substituabilité entre ces routes.

ii) Concurrence

217.
    Les requérantes font également grief à la Commission d'avoir mal évalué les différents aspects de la concurrence, à savoir la concurrence interne, la part de marché détenue par les membres du TAA et la concurrence qu'ils exercent sur le marché en cause, et la concurrence externe.

S'agissant de la concurrence interne

218.
    Les requérantes avancent deux arguments pour contester l'analyse de la Commission relative à l'élimination de la concurrence interne.

219.
    Premièrement, la coopération en matière de prix au sein du TAA aurait eu, sur la concurrence interne, un effet moins restrictif que celui qu'aurait eu l'application de prix identiques. Les requérantes exposent qu'elles avaient la liberté d'exercer une action indépendante et qu'elles ont utilisé cette possibilité.

220.
    L'argumentation de la Commission sur la question de la concurrence en matière de prix serait contradictoire. Il existerait une incompatibilité entre la principale objection soulevée à l'encontre du TAA, selon laquelle il existe des «éléments de preuve indiquant que le TAA [prévoyait] deux types de membres et différents niveaux de prix», et la conclusion à laquelle l'institution a abouti, à savoir que les membres du TAA ont éliminé la concurrence sur les prix.

221.
    Dans la réplique, elles ajoutent qu'elles n'ont jamais éliminé la concurrence interne sur les prix, car, si elles avaient fixé des taux de fret uniformes dans un barème commun, elles s'étaient écartées de ceux-ci dans les limites autorisées par la législation des États-Unis. Elles précisent que, dans leur réponse à la communication des griefs, elles ont transmis à la Commission des données chiffrées concernant la concurrence sur les prix à laquelle elles se sont livrées. Ces données attesteraient que, en 1993, les actions indépendantes adoptées dans le cadre du TAA étaient supérieures à celles prises dans le cadre d'autres conférences.

222.
    Deuxièmement, elles font valoir qu'elles étaient en situation de concurrence interne lorsqu'elles faisaient des offres de service.

223.
    Les requérantes font grief à la Commission d'avoir considéré que les différences existant entre les offres faites par elles n'étaient pas aussi importantes que celles constatées dans le cas de certaines conférences dont les membres offraient, pour les uns, un service exclusif de transport de conteneurs et, pour les autres, un service dit «conventionnel», en ce sens que les marchandises transportées ne sont pas mises dans des conteneurs (break bulk), ou encore dans le cas des compagnies utilisant des navires à vapeur, alors que d'autres utilisaient des navires à voile (considérant 338). Les requérantes reprochent à la Commission d'avoir conclu sur la base de ces seuls éléments, sans avoir entrepris une enquête, «qu'aucune différenciation des [prix] ou des conditions entre [les requérantes] ne peut être justifiée» (considérant 339). Elles ajoutent que, si la Commission avait consulté les chargeurs sur ce point, elle aurait appris que ceux-ci admettent l'existence de différences précises entre les offres globales de service faites par elles (ou certaines d'entre elles) et considèrent que ces différences justifient les écarts de prix. La Commission se serait, cependant, limitée à une définition restrictive de la notion de services reposant sur la fréquence des services (existence ou non de dessertes hebdomadaires) et le type de navire (bateaux spécialement équipés ou non pour le transport de conteneurs).

224.
    À titre de preuve d'une concurrence interne, les requérantes avancent, dans la réplique, des données, présentées à la Commission lors de la procédure administrative, dont il ressort que:

-    les parts des requérantes par rapport à la totalité du fret chargé par les membres du TAA ont subi, entre septembre 1992 et mars 1994, des variations allant de 11 à 81 % (tableau joint en annexe 21 à la réplique);

-    après avoir fait transporter la totalité de leur marchandise par un seul transporteur membre du TAA en exécution de contrats de services, trois chargeurs ont, l'année suivante, diminué le volume de marchandises confié à ce dernier et choisi d'autres transporteurs membres du TAA pour convoyer la partie restante du fret (tableau joint en annexe 22 de la réplique).

S'agissant de la part de marché détenue par les membres du TAA et de la concurrence qu'ils exercent sur le marché en cause

225.
    Se référant à la définition donnée par la Commission du marché pertinent, les requérantes estiment que la part de marché qu'elles détenaient en 1993 se situait entre 65 et 70 %. Elles font grief à la Commission d'avoir indiqué dans la décision TAA qu'elles «couvraient une partie substantielle du marché puisqu'[elles] estiment couvrir une part de marché de l'ordre de 50 %, même selon leur propre conception du marché» (considérant 438). Or, selon cette analyse, aucune conférence maritime détenant plus de 50 % de parts de marché ne pourrait satisfaire à la quatrième condition d'octroi de l'exemption prévue à l'article 85, paragraphe 3, du traité.

226.
    Elles exposent que la Commission s'est bornée à constater que les parties au TAA ont limité la concurrence interne, sans tenir compte du fait que la concurrence actuelle représenterait entre 30 et 50 % du marché pertinent, selon la définition donnée à ce dernier. De plus, elles relèvent que la limitation de la concurrence interne est une situation normale au sein des conférences maritimes et constitue même une condition nécessaire de la stabilité, les conférences devant détenir d'importantes parts de marché afin de jouer efficacement leur rôle stabilisateur.

227.
    Les requérantes font valoir que l'article 3 du règlement n° 4056/86 fait bénéficier les accords intervenus dans le cadre d'une conférence maritime d'une exemption par catégorie et estiment, en conséquence, que l'interprétation de l'article 85, paragraphe 3, sous b), du traité donnée par la Commission est erronée.

S'agissant de la concurrence externe

- Effets cumulés des différentes sources de concurrence externe

228.
    Selon les requérantes, tout en reconnaissant l'existence d'autres sources de concurrence, la Commission a refusé d'analyser les effets cumulés de ces sources pour les motifs suivants (considérant 69 de la décision TAA):

«Le TAA indique dans sa réponse [à la communication des griefs] que les différentes sources concurrentielles doivent être considérées collectivement, et non séparément, pour apprécier la nature du marché en cause. Tel serait en effet le cas si les transporteurs maritimes n'étaient pas en mesure de discriminer entre les différentes demandes, et si une alternative concurrentielle relative à une fraction de la demande pouvait avoir des répercussions sur les prix de l'ensemble du marché. Or, dans le cas présent, les transporteurs maritimes discriminent en particulier entre les différentes catégories de marchandises en appliquant des taux différenciés (voir considérant 77) et sont donc capables de limiter les effets d'une concurrence marginale pour le transport de catégories spécifiques de marchandises.»

229.
    Les requérantes considèrent que cette analyse est erronée pour un certain nombre de raisons.

230.
    Premièrement, les prix différenciés visés par la Commission s'appliqueraient à différentes marchandises et non à différents lieux. Dès lors, la Commission n'aurait pu se retrancher derrière cet argument pour exclure les ports méditerranéens de son analyse de la concurrence externe.

231.
    Deuxièmement, cet argument serait inopérant à l'égard de la concurrence exercée par d'autres transporteurs de fret par conteneurs. Les requérantes contestent l'argumentation de la Commission selon laquelle, le marché étant segmenté en fonction des catégories de marchandises transportées, la concurrence sur une catégorie de marchandises ne rejaillirait pas nécessairement sur les prix des autres catégories, et, par conséquent, lorsque la concurrence sur le transport d'une catégorie de marchandises s'intensifie, les compagnies maritimes peuvent réagir en réduisant les prix pour cette seule catégorie, faculté qui serait exclue en présence de taux de fret uniformes. Selon les requérantes, cette analyse reposerait implicitement sur un postulat erroné, à savoir que pour chaque catégorie particulière de marchandises, il existe un mode de transport de substitution correspondant.

232.
    Troisièmement, les requérantes estiment qu'il y a contradiction entre l'argument de la Commission avancé au considérant 69 de la décision attaquée et la conclusion à laquelle elle est parvenue selon laquelle les services réguliers de transport maritime de conteneurs constituent le marché des services pertinent. Selon elles, si la segmentation par catégorie de marchandises est suffisamment stricte pour empêcher une réduction de prix sur le transport de certaines marchandises d'avoir une incidence sur les prix du transport d'autres marchandises, la conclusion qui s'impose est qu'il existe un grand nombre de marchés distincts, correspondant à lanature des marchandises transportées. Elles font ainsi remarquer qu'il est possible de constater que l'argumentation de la Commission et sa conclusion concernant le marché pertinent sont incompatibles ou que, à tout le moins, aucun lien n'a été établi entre cette argumentation et la conclusion qui en découle.

233.
    Quatrièmement, les requérantes estiment que même si l'existence de prix différenciés peut compliquer la question de la définition du marché, il convient, pour évaluer les pressions concurrentielles dont elles ont fait l'objet, de considérer cumulativement les diverses sources de concurrence.

- Concurrence potentielle

234.
    Les requérantes affirment que la Commission a refusé de reconnaître l'importance de la concurrence externe potentielle, à savoir celle, d'une part, des transporteurs déjà présents sur la route transatlantique et capables d'accroître leur offre de services de transport de conteneurs (substitution du côté de l'offre) et, d'autre part, des transporteurs maritimes de conteneurs non actifs dans le trafic transatlantique mais susceptibles d'y entrer.

235.
    Selon les requérantes, si la Commission a soutenu qu'elles ne satisfaisaient pas au critère de substituabilité du côté de l'offre énoncé par la Cour dans l'arrêt Europemballage et Continental Can/Commission, précité, c'est parce qu'elles n'ont pas indiqué, en ce qui concerne ces concurrents déjà présents sur la route transatlantique, «à quels coûts ni [dans] quels délais ces transporteurs pourraient effectuer une telle transformation de leurs services, ni si les services ainsi transformés seraient alors économiquement compétitifs face aux navires spécialisés dans le transport de conteneurs exploités par les membres du TAA».

236.
    Les requérantes estiment que, à la suite d'une interprétation erronée du rapport Dynamar, la Commission a présumé que chacun des transporteurs actifs sur la route transatlantique serait obligé de transformer ses navires pour accroître son offre de services de transport de conteneurs. Elles exposent avoir fait parvenir à la Commission une lettre de la société Dynamar confirmant que la capacité susceptible d'être rendue disponible pour le transport de conteneurs effectué de manière conventionnelle pourrait l'être à un coût additionnel nul ou insignifiant. Elles estiment, dès lors, que la menace concurrentielle était réelle et significative et que la Commission n'a pas tenu compte de ce fait.

237.
    Dans la réplique, les requérantes précisent que les capacités combinées des compagnies assurant des services réguliers de transport maritime mentionnées dans le rapport Dynamar représentaient environ 20 % de leur capacité totale de transport en 1994.

238.
    En ce qui concerne le deuxième motif de rejet figurant dans la décision TAA (considérant 170), selon lequel les transporteurs concernés n'offraient pas un service parfaitement substituable à celui des requérantes, compte tenu d'unefréquence de service moindre et du nombre limité de ports desservis, les requérantes font remarquer que, sans apporter aucun élément de preuve à l'appui de sa thèse, la Commission n'a envisagé l'offre potentielle que sous l'angle de services intégralement substituables et a négligé de prendre en considération la possibilité d'un report partiel de la demande des chargeurs sur des concurrents potentiels offrant des dates de départs et des prix attractifs.

239.
    Les requérantes font observer que la Commission a admis que, dans le transport maritime, la menace de l'entrée sur le marché de compagnies rivales exerce une pression concurrentielle permanente sur les conférences que ces dernières ne sont pas en mesure d'éliminer. Elles reprochent à la Commission d'avoir considéré que cette particularité du secteur du transport maritime ne pouvait être utilement invoquée en l'espèce au motif que les principaux concurrents potentiels du TAA, d'une part, étaient liés par des accords passés avec plusieurs requérantes concernant d'autres routes maritimes et, d'autre part, ne pouvaient s'intégrer au trafic transatlantique qu'en adhérant au TAA. Les requérantes font remarquer que de tels accords, habituels dans le secteur du transport maritime de ligne, n'ont jamais constitué une barrière à l'entrée sur le trafic transatlantique.

240.
    Les requérantes réfutent également l'argumentation de la Commission développée dans la décision TAA (considérant 179) selon laquelle le CMP leur aurait permis de maintenir des capacités excédentaires sur le marché, en dissuadant ainsi l'entrée de nouveaux entrants sur le marché en raison de la perspective d'une guerre des prix. Cet argument ne serait pas valable, car le capital ne serait pas immobilisé dans le secteur du transport maritime de ligne. Elles ajoutent qu'une guerre des prix entraînerait la sortie du marché de certains opérateurs et une augmentation rapide des prix, situation susceptible de profiter à un nouvel entrant.

241.
    Selon les requérantes, l'analyse de la Commission, selon laquelle l'entrée sur le marché de nouveaux opérateurs ne serait pas susceptible de se traduire par l'exercice de pressions concurrentielles appréciables dans la mesure où ces derniers intégreraient immédiatement le TAA, n'est pas justifiée, car toute entrée nouvelle aurait pour effet de diminuer le volume d'affaires des compagnies déjà présentes sur le marché. Elles exposent que la concurrence potentielle a pour effet de discipliner les opérateurs présents sur le marché.

242.
    Les requérantes écartent également l'analyse de la Commission selon laquelle les hausses de prix pratiquées par les membres du TAA et le mécontentement consécutif de certains chargeurs n'ont pas suscité l'arrivée appréciable de nouveaux opérateurs. Selon les requérantes, l'institution défenderesse ne tient pas compte d'une autre explication possible, à savoir que les prix pratiqués étaient à un niveau tellement bas que, même après les hausses mises en oeuvre dans le cadre du TAA, ils n'atteignaient pas, en 1994, leur niveau de 1989.

243.
    Les requérantes soulignent que la Commission a reconnu, au considérant 188 de la décision TAA, que la concurrence potentielle n'a pas été complètement éliminée et font remarquer que, compte tenu de l'effet cumulatif des diverses sources de concurrence auquel elles ont été soumises, elles n'ont pas éliminé la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 3, sous b), du traité.

2. S'agissant du refus d'octroi de l'exemption individuelle aux accords relatifs au transport terrestre

244.
    En premier lieu, les requérantes réitèrent leurs critiques d'ordre économique contre la conclusion de la Commission relative à l'absence de caractère indispensable des accords portant fixation des prix du transport terrestre dans le cadre du transport combiné. Dans la réplique, elles font valoir que la Commission a rejeté leurs arguments sans fournir de motivation. Elles soulignent que, dans son mémoire en défense, la Commission s'est contentée de se référer, pour justifier sa position, au rapport établi à l'attention du Conseil, adopté le 8 juin 1994, concernant l'application des règles de concurrence de la Communauté au transport maritime [SEC (94) 933 final]. Ce rapport n'est mentionné, dans la décision TAA, que dans la note 171 en bas de page. Il s'ensuit, selon elles, que la décision TAA est entachée d'un défaut de motivation sur ce point.

245.
    En second lieu, les requérantes rappellent que la Commission a refusé d'accorder une exemption individuelle aux accords portant fixation des prix du transport terrestre au seul motif qu'elle avait précédemment refusé d'accorder une telle exemption aux accords portant sur les prix du transport maritime. Si leurs conclusions sur ce dernier point sont accueillies par le Tribunal, les requérantes considèrent qu'il appartiendra à ce dernier de constater, par la suite, l'illégalité du refus d'exemption individuelle des accords relatifs au transport terrestre.

C - Arguments de l'ECSA

246.
    D'après l'ECSA, la Commission, en omettant d'analyser séparément le CMP et les dispositions relatives à la fixation des prix du transport maritime, a enfreint l'article 190 du traité. Ces deux volets du TAA respecteraient les conditions définies à l'article 85, paragraphe 3, du traité.

247.
    Sur les accords portant fixation des prix du transport terrestre, l'ECSA souligne, notamment, que le règlement n° 1017/68 ne pouvait constituer la base juridique permettant à la Commission de refuser une exemption individuelle. Ce règlement ne serait pas, en effet, applicable au transport maritime. Les quatre conditions d'octroi de l'exemption énoncées à l'article 85, paragraphe 3, du traité seraient satisfaites. La Commission n'aurait pas tenu compte des avantages résultant des accords de fixation des prix du transport terrestre dans le cadre du transport combiné et n'aurait pu se fonder sur la seule existence de plaintes pour considérer que les utilisateurs ne retiraient aucun avantage du TAA.

D - Arguments de la Commission

248.
    La Commission conclut au rejet du moyen, car elle considère qu'aucune des conditions cumulatives énoncées à l'article 85, paragraphe 3, du traité n'est remplie.

E - Arguments de la FTA et de l'ECTU

249.
    La FTA et l'ECTU se rallient intégralement à l'argumentation de la Commission. Elles font également valoir qu'il est impossible pour les membres du TAA d'établir que ce dernier remplit les quatre conditions d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité s'il ne réunit même pas les conditions de l'exemption de groupe accordée au titre de l'article 3 du règlement n° 4056/86.

250.
    La FTA et l'ECTU soulignent que leurs membres n'ont retiré aucun bénéfice des dispositions du TAA, en particulier, celles relatives à la fixation des prix du transport terrestre dans le cadre du transport combiné. Les chargeurs auraient modifié leur position au sujet des ententes concernant le transport terrestre après avoir constaté qu'ils n'avaient bénéficié d'aucun des avantages promis.

F - Appréciation du Tribunal sur l'exemption individuelle

1. Recevabilité de certains éléments du mémoire en défense et de ses annexes

251.
    Les requérantes soutiennent que le mémoire en défense est partiellement irrecevable au motif qu'il contient des allégations factuelles qui ne leur ont pas été présentées lors de la procédure administrative, et ne figurent pas dans la décision TAA. Ces critiques visent tout particulièrement les passages du mémoire en défense relatifs à l'analyse économique du transport maritime de MM. Levêque et Reitzes, développés dans deux rapports annexés à ce mémoire. À cet égard, les requérantes invoquent la violation de l'article 190 du traité. Elles soulignent que l'intégralité de l'argumentation de la Commission doit être contenue dans l'acte attaqué et que la Commission ne peut formuler de nouvelles allégations à l'encontre des entreprises lorsqu'elle défend le bien-fondé de sa décision au cours d'une procédure juridictionnelle.

252.
    Le Tribunal rappelle, tout d'abord, que dans le cadre d'un recours en annulation en vertu de l'article 173 du traité la légalité d'un acte communautaire doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l'acte a été adopté (voir arrêts de la Cour du 7 février 1979, France/Commission, 15/76 et 16/76, Rec. p. 321, point 7, et du Tribunal du 15 janvier 1997, SFEI e.a./Commission, T-77/95, Rec. p. II-1, point 74).

253.
    Sauf circonstances exceptionnelles, une décision doit comporter une motivation figurant dans son corps et ne peut être explicitée pour la première fois et a posteriori devant le juge (arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European NightServices e.a./Commission, T-374/94, T-375/94, T-384/94 et T-388/94, Rec. p. II-3141, point 95).

254.
    Toutefois, en l'espèce, les rapports d'expertises de MM. Levêque et Reitzes, qui sont postérieurs à la décision attaquée, ne visent pas à suppléer une insuffisance de motivation de la décision attaquée, mais à éclairer le Tribunal sur les critiques des requérantes formulées dans leur requête à l'encontre des motifs de cette décision relatifs aux caractéristiques économiques du secteur des transports maritimes et aux effets du TAA sur la route transatlantique.

255.
    Il s'ensuit que la demande des requérantes tendant à l'irrecevabilité partielle du mémoire en défense ne saurait être accueillie.

256.
    La Commission a estimé, dans la décision TAA, d'une part, aux considérants 383 à 461, que les accords relatifs au transport maritime ne remplissaient aucune des quatre conditions requises par l'article 85 paragraphe, 3, du traité pour une exemption individuelle et, d'autre part, aux considérants 462 à 491, que les accords portant fixation des prix du transport terrestre ne pouvaient pas non plus bénéficier d'une exemption individuelle, car ils ne satisfaisaient pas aux trois premières conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité et qu'il n'était donc pas nécessaire d'examiner si la quatrième condition relative à la non-élimination de la concurrence était susceptible d'être remplie.

257.
    Préalablement à l'examen des accords précités, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre d'un recours en annulation introduit sur le fondement de l'article 173 du traité, le contrôle exercé par le Tribunal sur les appréciations économiques complexes effectuées par la Commission dans l'exercice du pouvoir d'appréciation que lui confère l'article 85, paragraphe 3, du traité à l'égard de chacune des quatre conditions qu'il contient doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir (arrêt de la Cour du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142/84 et 156/84, Rec. p. 4487, point 62; arrêts du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T-39/92 et T-40/92, Rec. p. II-49, point 109; du 15 juillet 1994, Matra Hachette/Commission, T-17/93, Rec. p. II-595, point 104; SPO e.a./Commission, précité, point 288, et du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T-213/95 et T-18/96, Rec. p. II-1739, point 190).

258.
    Dans l'exercice de ce pouvoir d'appréciation, la Commission est certes tenue de respecter le règlement n° 4056/86 et d'appliquer les règles de concurrence au secteur du transport maritime de ligne d'une manière compatible avec les appréciations du Conseil relatives aux caractéristiques dudit secteur, telles que mentionnées dans ledit règlement.

259.
    Ainsi, les cinquième et sixième considérants du règlement n° 4056/86 évoquent la nécessité d'«éviter une réglementation excessive du secteur» et de «préciser le champ d'application des articles 85 et 86 du traité en tenant compte des aspects spéciaux des transports maritimes».

260.
    Toutefois, le règlement n° 4056/86 ne saurait évidemment déroger aux articles 85 et 86 du traité, le cinquième considérant dudit règlement précisant d'ailleurs qu'il convient de prévoir des «règles d'application permettant à la Commission de s'assurer que la concurrence n'est pas indûment faussée dans le marché commun». Dans le treizième considérant du règlement n° 4056/86, il est souligné également qu'une «exemption ne peut être acquise lorsque les conditions énumérées à l'article 85, paragraphe 3, [du traité] ne sont [pas] réunies». L'article 14 du règlement n° 4056/86 donne à la Commission, sous réserve du contrôle de la Cour, la compétence exclusive pour rendre une décision en application de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

261.
    S'agissant plus particulièrement de la notion de stabilité, le Conseil a estimé que les «conférences [maritimes] exercent un rôle stabilisateur de nature à garantir des services fiables aux chargeurs» et a, dès lors, prévu une exemption de groupe en leur faveur. Toutefois, cela ne signifie pas que tout accord entre compagnies maritimes susceptible de favoriser une certaine stabilité du secteur du transport maritime doive bénéficier d'une exemption, de groupe ou individuelle. En effet, d'une part, le Conseil n'a pas affirmé (et n'aurait d'ailleurs pu le faire), que la notion de stabilité a plus d'importance que la question de la concurrence et il a, au contraire, prévu des dispositions, notamment aux articles 4, 5, et 7 du règlement n° 4056/86, visant à, selon la formulation employée au neuvième considérant dudit règlement, «prévenir de la part des conférences des pratiques incompatibles avec les dispositions de l'article 85, paragraphe 3, [du traité]». D'autre part, le Conseil a expressément limité son appréciation positive de la stabilité aux seules conférences maritimes, à l'exclusion de tout autre accord de nature différente, précisant que les résultats bénéfiques découlant de la stabilité «ne peuvent être obtenus sans la coopération que les compagnies maritimes développent au sein desdites conférences» (huitième considérant du règlement n° 4056/86).

262.
    Il en résulte que si la stabilité, dans la mesure où elle contribue à garantir des services fiables aux chargeurs, peut constituer un avantage au sens de la première condition de l'article 85, paragraphe 3, du traité, la Commission ne saurait cependant être tenue d'accorder une exemption individuelle à tout accord qui, de l'avis des parties, serait susceptible de contribuer à une telle stabilité. La Commission conserve, dans les limites posées par le règlement n° 4056/86, son pouvoir d'appréciation pour l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

263.
    À cet égard, il n'appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation à celle de la Commission, ni de se prononcer sur des moyens, griefs ou arguments qui, dans l'hypothèse même où ils seraient fondés, ne sont, en tout état de cause, passusceptibles d'entraîner l'annulation de la décision TAA demandée par les requérantes.

264.
    Il convient également de rappeler que la Cour a jugé qu'il appartient en premier lieu aux entreprises intéressées de présenter à la Commission les éléments de conviction destinés à établir la justification économique d'une exemption et, au cas où la Commission a des objections à faire valoir, de lui soumettre des alternatives (arrêts de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43/82 et 63/82, Rec. p. 19, point 52, et du 11 juillet 1985, Remia/Commission, 42/84, Rec. p. 2545, point 45). Selon la jurisprudence, les quatre conditions d'octroi d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité sont cumulatives (voir, notamment, arrêt Consten et Grundig/Commission, précité, et arrêt CB et Europay/Commission, précité, point 110) et il suffit dès lors qu'une seule de ces conditions ne soit pas remplie pour que l'exemption doive être refusée (arrêt SPO e.a./Commission, précité, point 267, confirmé sur pourvoi par ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137/95 P, Rec. p. 1611, points 34 à 37).

2. Sur le refus d'accorder une exemption individuelle aux accords relatifs au transport maritime

265.
    En l'espèce, il y a lieu d'examiner en priorité la quatrième condition de l'article 85, paragraphe 3, du traité relative à la non-élimination de la concurrence.

266.
    Les requérantes soutiennent qu'en concluant que le TAA donnait à ses membres la possibilité d'éliminer la concurrence sur les lignes transatlantiques pour une partie substantielle des services en cause la Commission a commis des erreurs factuelles et de droit et a procédé à une analyse économique erronée en ce qui concerne, d'une part, la définition du marché en cause et, d'autre part, l'élimination de la concurrence.

a) Sur la définition du marché en cause

267.
    Selon le considérant 27 de la décision attaquée, «le marché des services maritimes dans lequel le TAA s'inscrit est celui du transport maritime de ligne [de conteneurs] entre l'Europe du nord et les États-Unis, par les routes maritimes entre les ports d'Europe du nord et ceux des États-Unis et du Canada».

268.
    Les requérantes soulèvent deux griefs à l'encontre de cette définition. D'une part, elles contestent que les services de transport maritime de conteneurs constituent le marché des services en cause et, d'autre part, elles allèguent que le marché comprend les ports méditerranéens de l'Europe du Sud.

i) Sur le marché des services en cause

269.
    À titre liminaire, il convient de relever que la Commission a procédé, aux considérants 25 à 58 de la décision attaquée, à une analyse détaillée et argumentéede la délimitation du marché des services en cause, envisageant successivement les différents types de transport (aérien ou maritime) puis, au sein du transport maritime, les services réguliers ou non de transport, le transport conventionnel ou par conteneurs, et le transport spécialisé.

270.
    Dans leur requête, en revanche, les requérantes se sont bornées, sur ce point, à indiquer qu'elles «contestent la position de la Commission selon laquelle les services de transport de conteneurs constituent le marché des services en cause». Dans leur réponse à la communication des griefs, les requérantes ont énuméré un certain nombre d'autres sources de concurrence du transport de fret par conteneurs, à savoir la concurrence exercée par les opérateurs pratiquant le transport (de ligne ou à la demande) de marchandises non placées dans des conteneurs, les autres types de transport spécialisé et le transport aérien. Elles font également grief à la Commission de ne pas avoir évalué l'effet cumulatif de ces sources de concurrence.

271.
    S'agissant de l'affirmation des requérantes quant à l'existence d'autres sources de concurrence, il y a lieu de considérer qu'elle ne saurait conduire à censurer l'appréciation portée sur ce point par la Commission dans la décision attaquée, dans la mesure où les requérantes n'ont avancé aucun élément de nature à contredire les raisons précises et spécifiques sur lesquelles est fondée la définition du marché pertinent retenue par l'institution.

272.
    Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le marché à prendre en considération comprend l'ensemble des produits qui, en fonction de leurs caractéristiques, sont particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et sont peu interchangeables avec d'autres produits (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 37). Dans la décision attaquée, la Commission a établi que, pour la très grande majorité des catégories de marchandises et des clients des compagnies assurant un transport de ligne de conteneurs, les autres modes de transport maritime (les services irréguliers de transport, les transports conventionnels et spécialisés) et le transport aérien ne constituaient pas une solution de remplacement raisonnable aux services réguliers de transport maritime de conteneurs.

273.
    Le fait que d'autres modes de transport, maritime ou aérien, puissent, pour un nombre limité de marchandises, exercer une concurrence marginale sur le marché des services du transport de ligne de conteneurs, comme le soulignent les requérantes et comme la Commission l'a d'ailleurs expressément admis aux considérants 50 à 58 de la décision attaquée, ne signifie pas pour autant qu'ils puissent être considérés comme relevant du même marché. En effet, la Commission a démontré que ce phénomène de substituabilité ne concerne qu'une très faible partie de la demande sans que les requérantes apportent la preuve de l'inexactitude de cette démonstration.

274.
    Dans la réplique, les requérantes ont fait état de deux éléments en vue d'établir l'existence d'une certaine concurrence avec le transport aérien et avec le transport maritime de ligne conventionnel. Il convient de relever, à titre liminaire, que ces éléments, invoqués pour la première fois au stade de la réplique, constituent des offres de preuve nouvelles au sens de l'article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure, sans cependant être fondées sur des éléments de droit ou de fait qui se seraient révélés pendant la procédure. En tout état de cause, ces éléments ne sont pas de nature à établir le bien-fondé de la thèse des requérantes ainsi qu'il ressort de l'examen ci-dessous.

Sur le transport aérien

275.
    La Commission a relevé que le transport aérien entre l'Europe du Nord et les États-Unis «ne concerne que des quantités limitées de marchandises à haute valeur ajoutée ou pour lesquelles le temps de transport est une donnée déterminante, en raison d'un coût de transport nettement plus élevé» et a conclu que le transport aérien fait partie d'un marché distinct de celui des services de transport maritime de ligne de conteneurs.

276.
    Dans la requête, les requérantes se sont bornées à affirmer que le transport aérien constitue une source de concurrence pour le transport de fret par conteneurs, sans cependant apporter la moindre preuve, ni même contester le bien-fondé de la position de la Commission.

277.
    Dans la réplique, les requérantes ont fait valoir qu'un nombre significatif de produits sont transportés par mer et par air et ont joint, à titre de preuve, un document émanant de l'US Census Bureau avec des données concernant les importations des États-Unis, en 1993, en provenance d'Allemagne, de Suède et du Royaume-Uni. Pour chacun de ces pays, ce document contient des statistiques concernant:

-    la valeur et le poids total des importations;

-    la valeur et la quantité totales des importations en considération du mode de transport: maritime et aérien;

-    la liste des 20 produits les plus importés, en termes de poids, par la voie aérienne.

278.
    L'argument des requérantes tiré de ce que, pour les 20 produits précités, le transport aérien représente, respectivement, 16 %, 14 % et 19 % du volume total des exportations, par air et par mer, vers les États-Unis en provenance d'Allemagne, de Suède et du Royaume-Uni, n'est pas pertinent, car ces produits ne sont pas représentatifs. En effet, il ressort également de ces données que les exportations totales par voie aérienne de ces trois pays vers les États-Unis ne représentent, en poids, respectivement, que 2 %, 1,3 % et 0,6 % des exportationseffectuées par lesdits pays par bateaux vers les États-Unis, tandis qu'en valeur elles représentent respectivement 47 %, 43 % et 100 % des exportations effectuées par bateaux. De même, il convient de relever que, pour les trois pays en question, ces 20 produits représentent 50 % du total, en termes de poids, des exportations par voie aérienne vers les États-Unis, tandis qu'ils ne représentent en revanche qu'à peine plus de 1 % des exportations vers les États-Unis effectuées par bateau en provenance du Royaume-Uni et, respectivement, 5,8 % pour l'Allemagne et 4,5 % pour la Suède.

279.
    Loin d'établir une quelconque erreur de la Commission, ces statistiques confirment, au contraire, que la demande de transport aérien concerne des quantités limitées de marchandises à haute valeur ajoutée et de faible poids et que le transport aérien constitue un marché distinct du transport maritime de ligne de conteneurs.

Sur le transport maritime de ligne conventionnel (break-bulk)

280.
    Dans la réplique, les requérantes ont soutenu que, pour certains produits volumineux de faible valeur, les services réguliers de transport conventionnel et par conteneurs seraient en concurrence. Elles s'appuient sur un extrait de leur réponse à la communication des griefs dans lequel elles ont exposé qu'un grand nombre de marchandises qui, avant l'avènement de la conteneurisation, étaient acheminées par transport conventionnel peuvent encore, aujourd'hui, faire l'objet d'un tel transport. Elles citent certains produits (liquides, grumes, pâte à papier et carton) pour lesquels les chargeurs ont recours à l'un ou à l'autre de ces services.

281.
    Il apparaît ainsi que les requérantes se bornent à reprendre, sans apporter d'éléments nouveaux, les arguments développés lors de la procédure administrative dans leur réponse à la communication des griefs. Il doit être constaté que les requérantes n'ont pas véritablement contesté les motifs pour lesquels ces arguments ont été écartés, à juste titre, par la Commission aux considérants 42 à 46 et 52 de la décision TAA. Il ressort de ces derniers, d'une part, que le transport par conteneurs a presque totalement supplanté le transport conventionnel sur la route transatlantique compte tenu de la nature du fret convoyé et des avantages économiques liés à l'utilisation des conteneurs, en particulier l'adaptation au transport multimodal, et, d'autre part, que le transport conventionnel, sur la route transatlantique, ne constitue une solution de rechange raisonnablement attirante pour les opérateurs que pour un nombre très limité de catégories de marchandises.

282.
    S'agissant du prétendu effet cumulatif des différentes sources de concurrence, il convient de constater, ainsi que l'a fait à juste titre la Commission aux considérants 69 et 70 de la décision attaquée, que les transporteurs maritimes, qui opèrent une discrimination entre les différentes catégories de marchandises en appliquant des prix fortement différenciés (le prix du transport pouvant, selon les marchandises,aller de 1 à 5 pour le même service de transport), sont capables de limiter les effets d'une concurrence marginale pour le transport de catégories spécifiques de marchandises. En outre, l'argument des requérantes selon lequel, si elles devaient faire face à une source concurrentielle différente pour chaque catégorie de marchandises, elles seraient exposées à la concurrence pour tous leurs services ne saurait prospérer. Non seulement les requérantes n'ont pas établi qu'elles étaient confrontées à la concurrence d'autres services de transport pour ce qui concerne chaque catégorie de marchandises et donc pour toute la gamme de leurs services, mais, en outre, ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, la Commission a établi à suffisance de droit, que, pour la grande majorité des catégories de marchandises et d'usagers, les autres services de transport maritime ne sont pas substituables aux services réguliers de transport de conteneurs. Le grief tiré de l'absence de prise en compte de l'effet cumulatif des différentes sources de concurrence doit donc également être rejeté.

283.
    C'est donc à juste titre que la Commission a considéré que les services de transport maritime de ligne de conteneurs constituent un marché distinct.

284.
    L'extrait du huitième considérant du règlement n° 4056/86, invoqué par les requérantes, selon lequel «le plus souvent les conférences restent soumises à une concurrence effective de la part tant des services réguliers [de transport assurés en dehors d'une] conférence que, dans certains cas, des services de tramp et d'autres modes de transport», ne saurait remettre en cause cette conclusion.

285.
    Il convient tout d'abord de constater que, non seulement l'appréciation exprimée par le Conseil quant aux différents modes de transport susceptibles de concurrencer les conférences maritimes constitue une remarque très générale et empreinte de réserves, ainsi que le montre l'utilisation des mots introductifs «le plus souvent», mais surtout elle vise la situation des conférences maritimes et la principale activité concurrentielle identifiée est celle exercée par des compagnies non adhérentes à une conférence et assurant des services réguliers de transport maritime. Or, précisément, il a été constaté dans le cadre de l'examen de l'exemption par catégorie que le TAA ne constituait pas une conférence maritime mais un accord, qui, par sa flexibilité tarifaire, permettait d'attirer et d'associer des compagnies qui autrement seraient restées indépendantes et auraient pu exercer une pression concurrentielle effective.

286.
    S'agissant, en particulier, des services non réguliers de transport maritime (de tramp), il y a lieu de relever, d'abord, qu'ils ne sont envisagés par le Conseil comme source de concurrence potentielle que «dans certains cas». Il convient d'observer ensuite que lesdits services sont, aux termes de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86, exclus du champ d'application de ce dernier, les tarifs de ces services étant, selon le quatrième considérant du même règlement, librement négociés, au cas par cas, conformément aux conditions de l'offre et de la demande. Dans l'article 1er, paragraphe 3, sous a), du règlement n° 4056/86, le Conseil souligne encore les différences concernant les catégories de marchandisestransportées, la nature et les conditions d'exécution de ces services (marchandises en vrac, transport à la demande, navire affrété en tout ou en partie par un ou plusieurs chargeurs, dessertes non régulières ou non annoncées, taux de fret librement négociés).

287.
    Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les appréciations portées par le Conseil dans le règlement n° 4056/86 confirment également que les services non réguliers de transport relèvent d'un marché distinct de celui des services de transport de ligne, même si, dans certains cas, ils peuvent exercer une certaine concurrence, marginale, très ponctuelle et fort limitée.

288.
    Il s'ensuit que les requérantes n'ont pas réussi à démontrer, à suffisance de droit, le caractère erroné des appréciations de la Commission sur la base desquelles celle-ci a exclu ce type de transport de la définition du marché pertinent.

289.
    Il y a lieu de relever encore que l'analyse de la Commission est confortée par plusieurs extraits d'ouvrages économiques consacrés au transport maritime et joints à l'annexe III de la décision TAA.

290.
    Il résulte de ce qui précède que l'ensemble des griefs relatifs à la définition du marché des services en cause doivent être rejetés.

ii) Dimension géographique du marché en cause

291.
    Les requérantes reprochent à la Commission d'avoir exclu la «porte méditerranéenne» de sa définition du marché pertinent. Les services de transport concernant la route transatlantique offerts à partir des ports de l'Europe du Nord et ceux offerts à partir des ports méditerranéens seraient substituables. Elles rappellent avoir exposé, dans leur réponse à la communication des griefs, la nature et le degré de concurrence imputables aux routes maritimes reliant l'Europe du Sud au Canada. À la suite de ces observations, la Commission aurait modifié sa définition du marché pour y inclure la «porte canadienne», tout en excluant la «porte méditerranéenne».

292.
    Les requérantes dénoncent sur ce point le raisonnement suivi par la Commission. Au considérant 66 de la décision TAA, la Commission aurait reconnu que les ports méditerranéens offrent une véritable solution de rechange par rapport aux ports de l'Europe du Nord, du moins pour certains chargeurs. Elles invoquent les constatations opérées par la Commission quant à l'impact du TAA sur le marché pour démontrer qu'il existe un certain degré de substituabilité entre les services de transport concernant la route transatlantique offerts à partir des ports du Nord de l'Europe et les ports méditerranéens. Elles se réfèrent, en particulier, au considérant 219 de la décision TAA, selon lequel «[l]es effets du TAA se sont aussi fait sentir sur le trafic par la Méditerranée» ainsi qu'au considérant 220 de ladite décision, dans lequel la Commission indique, après avoir constaté que le trafic versles États-Unis avait crû davantage au départ des ports méditerranéens qu'au départ des ports de l'Europe du Nord entre 1992 et 1993, que «certains chargeurs, plus particulièrement ceux situés dans la zone du sud de la France, ont décidé de détourner tout ou partie de leurs cargaisons vers les ports méditerranéens face aux hausses introduites par le TAA.» Les requérantes estiment que l'importance des détournements de trafic des ports de l'Europe du Nord vers ceux de la Méditerranée démontre l'existence d'un haut degré de substituabilité entre les services de transport concernés.

293.
    Il y a lieu de relever que, par leur argumentation, les requérantes contestent la composante géographique des services de transport constituant le marché pertinent. Cette composante renvoie à la question de la détermination des points d'origine et de destination des services de transport concernant la route transatlantique.

294.
    Il est indéniable qu'il existe une certaine substituabilité entre les services de transport maritime assurés dans le cadre du TAA et les services réguliers de transport de conteneurs, sur la ligne transatlantique, offerts à partir ou à destination des ports méditerranéens. Toutefois, ce n'est pas l'absence totale de substituabilité qui justifie l'exclusion de ces derniers services du marché pertinent, mais la circonstance que cette substituabilité est très limitée.

295.
    En effet, dans la décision TAA, la Commission a considéré que le phénomène de substituabilité est essentiellement lié à la distance séparant les ports, à partir desquels les compagnies assurent la liaison maritime transatlantique, des points à l'intérieur des terres de livraison ou de chargement des marchandises et au coût d'acheminement terrestre des marchandises induit par cette distance. Partant, ce phénomène ne concerne que les opérateurs établis dans des régions qui appartiennent à la fois aux zones d'attraction des ports desservis par les compagnies membres du TAA et à celles des ports méditerranéens. La Commission a localisé lesdits opérateurs «dans le sud de la France» et estimé que ces derniers, qui représentent une portion relativement élastique de la demande, n'exercent qu'une influence «très marginale» sur la demande globale de ces services, l'institution défenderesse précisant à cet égard ce qui suit:

«[L]a concurrence exercée par les services méditerranéens est encore réduite par l'efficacité moins grande des ports méditerranéens et les fréquences moindres de ces services. C'est pourquoi les services [offerts] par les ports du nord attirent parfois des chargeurs situés au sud de l'Europe (par exemple le nord de l'Italie), alors que, à l'inverse, il est rare de voir un chargeur du nord de l'Europe utiliser les services [de compagnies transitant par] la Méditerranée.»

296.
    Force est de constater que les requérantes n'ont pas fourni d'élément de nature à démontrer que, pour les chargeurs du nord de l'Europe, qui constitue la zone d'attraction des services assurés par les membres du TAA, les services offerts par les ports méditerranéens représentent une solution de rechange raisonnable, ni même que les opérateurs situés dans le sud de la France représentent une partieimportante, ou à tout le moins non négligeable, des usagers des services offerts par les membres du TAA.

297.
    Par ailleurs, la constatation d'une augmentation du trafic à destination des États-Unis au départ des ports méditerranéens, consécutive à l'entrée en vigueur du TAA, ne saurait, à elle seule, remettre en cause la validité des appréciations de la Commission. En effet, en dépit des hausses substantielles des taux de fret pratiquées par les membres du TAA, le trafic transitant par la Méditerranée n'a augmenté, selon le considérant 220 de la décision attaquée, que de 14 % entre 1992 et 1993 tandis qu'il augmentait, pour la même période, de 9 % au départ des ports de l'Europe du Nord. Outre le fait que l'augmentation du trafic transitant par la Méditerranée n'est pas nécessairement synonyme d'un transfert de trafic, mais peut résulter d'autres facteurs, tels qu'un développement des exportations, vers les États-Unis, des régions du sud de l'Europe, l'augmentation modérée du trafic au départ des ports méditerranéens ne fait que confirmer le caractère marginal de la substituabilité des services de transport concernés. Les requérantes n'ayant pas, par ailleurs, apporté d'autres éléments permettant d'infirmer l'analyse de la Commission, leur argumentation doit être rejetée.

298.
    Il résulte de ce qui précède que l'ensemble des griefs et arguments formulés contre la définition du marché des services en cause retenue par la Commission doivent être rejetés.

b) Sur la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des services en cause

299.
    Afin de déterminer si les accords portant fixation des prix du transport maritime et le CMP remplissaient la quatrième condition d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, la Commission a successivement examiné si le TAA permettait d'éliminer la concurrence entre les parties à cet accord, si celles-ci représentaient une partie substantielle du marché en cause et enfin, si la concurrence externe n'était pas de nature à les empêcher d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des services en cause.

300.
    Préalablement à l'examen des différents griefs développés par les requérantes, suivant le même schéma d'analyse, à l'encontre de la position de la Commission, il convient de souligner que la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie importante des services en cause doit nécessairement faire l'objet d'une appréciation globale avec, en particulier, la prise en compte des caractéristiques propres au marché pertinent, des restrictions de concurrence engendrées par l'accord, des parts de marché des parties à cet accord, de l'importance et de l'intensité de la concurrence externe, tant actuelle que potentielle. En effet, dans le cadre de cette approche globale, ces différents éléments sont étroitement mêlés ou peuvent s'équilibrer. Ainsi, plus les restrictions de la concurrence interne entre les parties sont graves, plus il est nécessaire que la concurrence externe soit viveet importante pour que l'accord puisse bénéficier de l'exemption. De même, plus les parts de marché détenues par les parties à l'accord sont élevées, plus forte doit être la concurrence potentielle.

i) Sur la concurrence interne

301.
    Les requérantes semblent considérer, d'abord, que la Commission a commis une erreur de droit en concluant que la quatrième condition de l'article 85, paragraphe 3, sous b), du traité n'était pas remplie en raison du seul fait que le TAA avait éliminé la concurrence interne.

302.
    Ce grief doit manifestement être rejeté. Ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, l'appréciation de la condition inscrite à l'article 85, paragraphe 3, sous b), du traité implique une approche globale, avec prise en considération, notamment, de la concurrence interne et externe. Or, il ressort clairement de la décision attaquée, et notamment du considérant 437, que la constatation de ce que le TAA donnait à ses membres la possibilité d'éliminer la concurrence entre eux n'est qu'un des éléments sur lesquels la Commission a fondé sa conclusion, formulée au considérant 461 de la décision attaquée, que le TAA était un accord qui donnait à ses membres la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des services en cause.

303.
    Les requérantes soutiennent, ensuite, qu'elles n'ont pas éliminé la concurrence entre elles. Elles font valoir, d'une part, que la coopération prévue par le TAA en matière de prix était moins restrictive de concurrence que l'application de taux de fret uniformes et qu'elles avaient la liberté d'exercer une action indépendante et, d'autre part, qu'elles se faisaient concurrence avec les offres de services. Dans la réplique, les requérantes ont fourni, à titre de preuve, des données, présentées à la Commission lors de la procédure administrative, dont il ressortirait, d'une part, que leurs parts dans le total du fret chargé par l'ensemble des membres du TAA, entre les mois de septembre 1992 et mars 1994, ont subi des variations allant de 11 à 81 % et, d'autre part, que les chargeurs ont, dans le cadre de contrats de service, procédé à d'importantes redistributions du volume de marchandises transportées entre les requérantes. Enfin, dans la réplique, les requérantes ont également fait grief à la Commission de ne pas avoir motivé son refus d'accorder une exemption.

304.
    S'agissant, en premier lieu, de la concurrence interne en matière de prix, il convient de rappeler que les membres du TAA fixaient en commun les tarifs, dont la mise en oeuvre était surveillée par un «comité des taux» fonctionnant de manière permanente. Ces accords portant fixation des prix du transport avaient manifestement pour effet d'éliminer la concurrence sur les prix entre les parties au sens de l'article 85, paragraphe 1, sous a), du traité.

305.
    La question de savoir si le régime tarifaire dual du TAA était ou non moins restrictif de concurrence qu'un accord de conférence maritime fixant des taux defret uniformes ou communs est dénuée de pertinence. Il a déjà été jugé ci-dessus que le TAA n'était pas une conférence maritime, et la seule question pertinente est, à ce stade de l'arrêt, de savoir s'il donnait à ses membres la possibilité d'éliminer la concurrence entre eux.

306.
    Au surplus, il ne saurait être contesté que le TAA éliminait le jeu normal de la concurrence entre ses membres en ce qui concerne les prix, alors même qu'il prévoyait un double régime tarifaire. En effet, la flexibilité tarifaire octroyée aux membres non structurés et l'écart de prix, invariable, autorisé en faveur de ces derniers (100 USD de moins par conteneur) étaient décidés par tous les membres du TAA.

307.
    De même, la faculté de déroger, à certaines conditions, à la discipline tarifaire issue des accords portant fixation des prix du transport maritime par le recours aux actions indépendantes ne saurait modifier la présente analyse. Il convient, d'abord, de relever que cette faculté, imposée par la législation d'un État tiers, revêt un caractère exceptionnel par rapport au principe de la fixation des prix en commun. Il ressort, ensuite, de l'article 13 du TAA tel que modifié que, en dépit de sa dénomination, l'action indépendante était surveillée et encadrée, en ce sens que le secrétariat du TAA devait être informé dix jours avant sa mise en oeuvre, ce qui donnait la possibilité aux autres membres de s'aligner ou de persuader son auteur d'y renoncer. L'action indépendante ne relevait donc pas du jeu normal de la concurrence, en vertu duquel tout opérateur doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché, ce qui s'oppose rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre des opérateurs économiques, ayant pour objet ou pour effet soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de, tenir soi-même sur le marché (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie/Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 173 et 174).

308.
    Au surplus, il convient de constater qu'il ressort des données fournies par les requérantes elles-mêmes que le recours aux actions indépendantes est, en pratique, resté exceptionnel. Ainsi, il ressort desdites données que seulement 824 actions indépendantes ont été menées en 1993, ce qui peut être qualifié de négligeable au regard des quelque 1 500 000 conteneurs transportés par les membres du TAA ou du nombre d'actions indépendantes exercées en 1988 par les parties aux accords dits «transpacifiques» opérant entre les côtes Ouest et Est des États-Unis et l'Asie, à savoir 98 573 actions indépendantes.

309.
    Il est en outre constant que les actions indépendantes n'ont pas, en pratique, constitué un obstacle à l'augmentation des prix pratiquée par les membres du TAA.

310.
    Il s'ensuit que ni la structure tarifaire duale, ni la possibilité de mener des actions indépendantes n'établissent l'existence d'une concurrence réelle sur les prix entre les parties au TAA.

311.
    Il convient, en outre, de rappeler que le TAA soumettait également la conclusion des contrats de service à une série de règles, en vertu desquelles, notamment, ils devaient être négociés en commun pour la plupart des membres et ne porter que sur une quantité minimale de conteneurs ou sur une durée maximale. La Commission a encore relevé dans la décision attaquée, sans que cela soit contesté dans le présent recours, que le rôle du secrétariat du TAA témoignait du degré d'intégration commerciale des compagnies au sein de cet accord.

312.
    S'agissant, en deuxième lieu, des offres de services, il convient, d'abord, de constater que les requérantes se sont bornées, dans la requête, à affirmer qu'elles se faisaient concurrence sur ce point et que les chargeurs admettaient l'existence de différences de qualité entre les services offerts par les anciens membres des conférences Neusara et Usanera et les anciennes compagnies indépendantes de nature à justifier la différence de prix pratiqués. Elles n'ont cependant fourni aucun élément de nature à étayer le bien-fondé de ces allégations, ni même indiqué en quoi consisteraient ces prétendues différences autres que celles relatives à la fréquence des services et au type de navire utilisé déjà prises en considération par la Commission.

313.
    Il y a lieu de relever, ensuite, que cet argument ne tend qu'à justifier la pratique des prix différenciés ou, tout au plus, à montrer qu'il y a une différence entre les deux catégories de membres du TAA, mais non pas à établir l'existence d'une concurrence entre tous les membres du TAA. Il est, dès lors, en tout état de cause, dénué de pertinence.

314.
    Au demeurant, la Commission a mis en évidence que, en ce qui concerne le marché des services de transport de ligne de conteneurs, tels que ceux offerts par les membres du TAA, la qualité du service était un élément secondaire par rapport au niveau des prix. Une éventuelle différence dans la qualité du service ne saurait dès lors compenser la disparition du mécanisme de formation des prix propre aux marchés concurrentiels, qu'entraîne la conclusion d'un accord horizontal portant fixation des prix. Ce caractère secondaire tient, premièrement, à l'homogénéité et au caractère parfaitement substituable des services offerts par les membres du TAA. La Commission a souligné, au considérant 339 de la décision attaquée, que plusieurs lignes couvertes par le TAA sont exploitées conjointement par des membres ayant appartenu aux conférences Neusara et Usanera et des membres anciennement indépendants. Cet élément, confirmé par l'annexe 4 de la requête dans laquelle les requérantes ont fourni des exemples de tels services, démontre le haut degré de substituabilité entre les services offerts par chacun des membres du TAA.

315.
    Deuxièmement, la Commission a estimé, sans être contestée, que l'impact concurrentiel de la différenciation de la qualité des services offerts par les membres du TAA était largement affaibli par le CMP. La Commission s'est référée, à cet égard, à un extrait d'un des documents émanant du TAA selon lequel, lorsqu'un membre du TAA atteint ses quotas dans le cadre du CMP, il est nettement plus probable qu'il sous-traitera le transport à un autre membre du TAA plutôt que de dépasser ses quotas et de payer l'amende correspondante.

316.
    S'agissant, en troisième lieu, des parts de marché des membres du TAA, il convient de rappeler que la Commission a constaté, au considérant 436 de la décision attaquée, que l'absence de concurrence entre les membres du TAA ressortait aussi de l'absence d'évolution substantielle des positions des compagnies au sein du TAA. Cette constatation n'ayant pas été contestée dans la requête, l'allégation selon laquelle les parts de marché des membres du TAA ont fluctué, avancée pour la première fois dans la réplique, doit être considérée comme un moyen nouveau au sens de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, ledit moyen étant irrecevable car n'étant pas fondé sur des éléments de fait et de droit qui se sont révélés pendant la procédure.

317.
    Au surplus, en ce qui concerne le premier tableau joint en annexe 21 à la réplique, censé, selon les requérantes, montrer les fluctuations des parts des membres du TAA, les données y figurant ne sont ni fiables ni concluantes. Il y a lieu de relever ainsi, premièrement, que l'indice de base n'est pas significatif, car il est fixé à partir de données correspondant à une période très brève (trois mois) qui ne permet pas de prendre en compte les fluctuations saisonnières. À cet égard, l'exemple de la compagnie MSC, qui est la seule dont la part de marché a, selon les données de ce tableau, augmenté de manière non négligeable, est particulièrement révélateur. En effet, l'essentiel de cette augmentation se serait réalisée au cours des neuf mois suivant la période de trois mois ayant servi au calcul de l'indice de base, de sorte que si ce dernier avait été calculé sur une période non pas de trois mois mais d'une année entière la part de marché de la compagnie concernée n'aurait pas évolué de manière substantielle. Deuxièmement, la disparition d'une compagnie et l'adhésion de trois autres au TAA au cours de la période d'analyse faussent les données chiffrées contenues dans le tableau. Troisièmement, hormis la compagnie MSC, les fluctuations des parts de marché des différents membres sont assez mineures. Quatrièmement, il n'apparaît pas clairement que les données figurant au tableau de l'annexe 21 de la réplique correspondent aux parts de marché effectives. En effet, il est indiqué au bas du tableau que lesdites données proviennent du CMP, lequel a ses objectifs propres et ne reprend dès lors pas nécessairement l'intégralité de l'activité des parties au TAA. Cinquièmement, l'évolution des parts de marché ressortant de ces données n'est pas confirmée par les données figurant dans le tableau joint en annexe 22 à la réplique. Ainsi, la première ligne dudit tableau montre qu'une partie du fret transporté par P & O a été récupérée par Sea-Land et par OCCL, alors que, selon le tableau de l'annexe 21 de la réplique, P & O a,au contraire, vu sa part de marché augmenter tandis que celle des deux autres compagnies a baissé.

318.
    De même, le tableau joint en annexe 22 à la réplique, qui, selon les requérantes, montrerait le transfert entre les membres du TAA d'importants volumes de fret se rapportant à des contrats de service, est tout à fait ambigu. Ainsi, comme le souligne la Commission, si ledit tableau fait apparaître qu'une partie du fret transporté par P & O a été récupérée par Sea-Land et OCCL, cette dernière compagnie n'exploite toutefois pas de navires sur l'Atlantique Nord, mais a conclu un accord de partage des navires avec les compagnies P & O, Sea-Land et Nedlloyd et que ces dernières ont également conclu un accord de partage de leurs navires entre elles. En outre, et surtout, il y a lieu de relever que la plupart des exemples cités concernent des membres structurés du TAA, lesquels ne pouvaient conclure que des contrats de services collectifs, c'est-à-dire des contrats pour lesquels il n'existe pas de concurrence entre eux, car ils doivent être négociés en commun.

319.
    Il s'ensuit que les tableaux figurant aux annexes 21 et 22 de la réplique ne sont pas de nature à établir l'existence d'une concurrence entre les parties au TAA. Ceux-ci avaient d'ailleurs déjà été soumis à la Commission, dans le cadre de la procédure administrative, qui, après examen, a conclu, au considérant 436 de la décision attaquée, à l'absence d'évolution substantielle des positions des compagnies au sein du TAA.

320.
    Il convient, par ailleurs, de rappeler qu'au considérant 428 de la décision attaquée la Commission a encore relevé une autre restriction de concurrence entre les parties au TAA, à savoir la définition en commun des capacités de transport offertes par chacun d'eux sur le marché.

321.
    Il résulte de ce qui précède que les griefs formulés par les requérantes doivent être rejetés et que c'est à bon droit que la Commission a considéré que le TAA donnait à ses membres la possibilité d'éliminer la concurrence entre eux.

ii) Sur la partie substantielle du marché en cause détenue par les membres du TAA

322.
    La Commission a relevé, aux considérants 438 à 440 de la décision attaquée, que le TAA couvrait une partie substantielle du marché en cause et a conclu, au considérant 441 de ladite décision, que le TAA donnait à ses membres la possibilité d'éliminer la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

323.
    Les requérantes font grief à la Commission d'avoir commis une erreur de droit en ce que son analyse aboutit à la conclusion selon laquelle une conférence maritime disposant d'une part de marché de 50 % élimine la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

324.
    Certes, ainsi que le relèvent à juste titre les requérantes, une conférence maritime, par nature, restreint la concurrence entre ses membres et ne peut atteindre son objectif de stabilisation du marché que si elle dispose d'une part de marché non négligeable. La circonstance que le règlement n° 4056/86 prévoit une exemption par catégorie en faveur des conférences maritimes ne permet pas, dès lors, de considérer automatiquement que toute conférence maritime détenant une part de marché de 50 % ne satisfait pas à la quatrième condition de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

325.
    Toutefois, il convient de rappeler, en premier lieu, que le TAA ne constituait pas une conférence maritime. Les requérantes ne sauraient dès lors se prévaloir de l'appréciation positive dont bénéficie ce type d'accords au regard des termes du règlement n° 4056/86. Il convient d'ajouter à cet égard que, selon le huitième considérant dudit règlement, les effets bénéfiques ne peuvent précisément être atteints en dehors de la collaboration développée au sein des conférences maritimes.

326.
    En deuxième lieu, le raisonnement des requérantes est erroné en fait dans la mesure où il est fondé sur l'existence d'une part de marché de 50 %, laquelle repose sur une définition élargie du marché pertinent exposée précédemment. Or, il a été jugé ci-dessus que les griefs formulés par les requérantes à l'encontre de la définition du marché en cause ne sont pas fondés. Par conséquent, l'appréciation de la Commission ne repose pas sur la prémisse que les membres du TAA disposaient d'une part de marché de 50 %, mais bien sur celle que, ainsi qu'il est indiqué au considérant 439 de la décision TAA, cette part était de l'ordre de 75 % en 1992, et de 65 à 70 % en 1993. Sur la route transatlantique directe qui relie l'Europe du Nord aux États-Unis, et donc à l'exclusion des ports du Canada, les parts de marché détenues par les parties au TAA étaient même, selon les données figurant au considérant 146 de la décision attaquée, confirmées par les requérantes de 81 % en 1992, de 71,3 % en 1993 et de 69,6 % en 1994.

327.
    En troisième lieu, il est constant que, avant la conclusion du TAA en 1992, les membres des conférences Neusara et Usanera représentaient, respectivement, 55,7 % et 52,9 % du trafic transatlantique. Par la suite, le TAA a permis de regrouper, au sein d'une même structure, les membres des conférences Neusara et Usanera et certaines compagnies jusqu'alors demeurées indépendantes. Le TAA a donc eu pour effet d'accroître sensiblement la concentration de l'offre contrôlée par des compagnies liées par des accords portant fixation des prix.

328.
    En quatrième lieu, même si une position dominante ne peut être assimilée, purement et simplement, à l'élimination de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité, il y a lieu de rappeler, à titre indicatif, que, selon la jurisprudence, des parts de marché extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une positiondominante. Tel est le cas d'une part de marché de 50 % (arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C-62/86, Rec. p. I-3359, point 60).

329.
    Il s'ensuit que le grief relatif à la prétendue erreur de droit commise par la Commission n'est pas fondé et doit être rejeté.

330.
    Arrivé à ce stade de l'examen, il convient de souligner que, afin de déterminer si un accord donne aux parties signataires de celui-ci la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 3, sous b), du traité, la Commission ne saurait, en principe, se fonder sur la seule circonstance que l'accord en cause élimine la concurrence entre lesdites parties et que celles-ci représentent une partie substantielle du marché en cause. D'une part, la non-élimination de la concurrence est une notion plus restrictive que celle de l'existence ou de l'acquisition d'une position dominante, de sorte qu'un accord pourrait être considéré comme n'éliminant pas la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 3, sous b), du traité, et donc bénéficier d'une exemption, même s'il établit une position dominante au profit de ses membres (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27/76, Rec. p. 207, point 113; du 13 février 1979, Hoffmann-la Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 39; arrêt Matra Hachette/Commission, précité, points 153 et 154). D'autre part, la concurrence potentielle doit être prise en considération avant de conclure qu'un accord élimine la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité (voir, en ce sens, arrêt Europemballage et Continental Can/Commission, précité, point 25).

331.
    Il y a lieu d'ajouter que la prise en considération et l'analyse de la concurrence externe tant actuelle que potentielle est d'autant plus nécessaire lorsqu'il s'agit d'examiner si un accord entre compagnies maritimes est susceptible de bénéficier d'une exemption individuelle conformément à l'article 12 du règlement n° 4056/86. En effet, ainsi qu'il ressort du huitième considérant du règlement n° 4056/86, la mobilité des flottes qui caractérise la structure de l'offre dans le secteur des services de transports maritimes exerce une pression concurrentielle permanente sur les conférences, lesquelles n'ont normalement pas la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des services de transport maritime en cause. En outre, la circonstance que le Conseil a prévu à l'article 3 du règlement n° 4056/86 une exemption par catégorie pour des accords portant fixation des prix des conférences maritimes, lesquelles ne peuvent, en principe, générer les effets stabilisateurs bénéfiques reconnus par le règlement n° 4056/86 que si elles disposent de parts de marché importantes, confirme que la condition de la non-élimination de la concurrence prévue à l'article 85, paragraphe 3, du traité doit être examinée avec un soin tout particulier.

332.
    Toutefois, force est de constater que, même si, au considérant 441 de la décision attaquée, la Commission a, à tort, déjà conclu qu'il résultait des constatations relatives à l'élimination de la concurrence au sein du TAA et à la détention par les parties à ce dernier d'une part de marché substantielle que le TAA donnait à sesmembres la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des services en cause au sens de l'article 85, paragraphe 3, sous b), du traité, elle a, néanmoins, examiné aux considérants 442 à 460 de la décision attaquée si les possibilités de concurrence externe n'étaient pas de nature à empêcher les membres du TAA d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des services en cause.

iii) Sur la concurrence externe

333.
    Avant de conclure que les possibilités de concurrence externe n'étaient pas de nature à empêcher les membres du TAA d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des services en cause, la Commission a successivement examiné la concurrence sur la route transatlantique directe et les autres sources de concurrence (la concurrence potentielle).

334.
    Par ailleurs, la Commission a également examiné, aux considérants 451 et 452 de la décision attaquée, la concurrence du trafic entre l'Europe du Nord et les ports canadiens. Toutefois, les requérantes n'ayant formulé aucun grief sur ce point, il y a lieu de tenir pour acquise la constatation selon laquelle les compagnies indépendantes actives dans la cadre de ce trafic n'ont exercé qu'une concurrence limitée.

Concurrence sur la route transatlantique directe

335.
    Les requérantes se sont bornées, sur ce point, à faire valoir que les parts de marché des compagnies indépendantes actives sur la route transatlantique directe ont augmenté, ainsi qu'en atteste le fait que la part de marché des membres du TAA est passée de 81,1 % en 1992 à 71,3 % en 1993 puis à 69,6 % en 1994 (la part de marché des compagnies indépendantes est passée, corrélativement, de 18,9 % en 1992 à 28,7 % en 1993 et à 30,4 % en 1994).

336.
    Il convient de relever, premièrement, que cette croissance de la part de marché des compagnies indépendantes a été prise en compte par la Commission. En effet, au considérant 448 de la décision attaquée, cette dernière a constaté que les augmentations substantielles de prix imposées par les membres du TAA au 1er janvier 1993 ont provoqué la perte immédiate d'une partie du trafic au profit des quelques compagnies indépendantes dont les parts de marché ont augmenté. Ainsi, pour le trafic à destination des États-Unis, la part de marché de la compagnie Evergreen est passée de 7,7 % en 1992 à 14,1 % au premier trimestre 1993, celle de Lykes Line de 6,4 à 7,1 %, celle d'ICL de 2,1 à 2,6 % et celle d'Atlantic Cargo de 3,0 à 3,9 % (soit, pour les quatre compagnies réunies, une part de marché passant de 19,2 à 27,7 %).

337.
    Deuxièmement, il convient de souligner que, selon les données non contestées figurant au considérant 203 de la décision attaquée, un grand nombre de chargeursse sont vu imposer «des augmentations très importantes, en général entre 30 % et 100 %, mais allant dans un cas jusqu'à 175 %». En outre, selon le considérant 204 de la décision attaquée, dont la teneur n'a pas été contestée, ces hausses ont été mises en oeuvre dans des délais particulièrement courts par rapport aux habitudes de la profession. Des majorations de prix à ce point importantes et subites devaient inévitablement avoir pour effet de conduire une partie des clients du TAA à se tourner vers les autres transporteurs sur le trafic transatlantique. Il y a lieu de préciser, à cet égard, que l'argument tiré du fait que ces hausses de prix n'ont pas permis aux armateurs de retrouver le niveau de profitabilité atteint en 1989 n'est pas pertinent, car cette dernière circonstance ne supprime en rien le caractère substantiel des hausses imposées aux clients.

338.
    Troisièmement, il y a lieu d'observer que, après avoir immédiatement progressé au premier trimestre de 1993, à la suite de l'augmentation des prix pratiquée par les membres du TAA, les parts de marché des compagnies indépendantes se sont rapidement stabilisées et ont même régressé. Ainsi qu'il ressort du considérant 449 de la décision attaquée, la part de marché de la compagnie Evergreen s'élevait à 13,1 %, celle de Lykes Line à 5,4 %, celle d'Atlantic Cargo à 3,7 % et celle d'ICL à 2,5 %, soit une part de marché de 24,7 % sur l'ensemble de l'année 1993 pour les quatre compagnies, au lieu des 27,7 % pour la courte période qui a immédiatement suivi les hausses brutales de prix imposées par les membres du TAA.

339.
    Quatrièmement, les limites de la pression concurrentielle exercée par ces compagnies indépendantes résultent également de la circonstance que, au cours de l'année 1993, malgré l'augmentation des volumes de fret transporté, ces compagnies n'ont pas apporté de nouvelles capacités de transport significatives sur le marché.

340.
    Cinquièmement, la constatation que les parties au TAA représentaient une partie substantielle du marché en cause, et donc que la concurrence externe était faible, est fondée notamment sur la part de marché que détenaient les compagnies indépendantes en 1993, et il a donc été tenu compte de l'augmentation des parts de marché qu'elles ont enregistrée à la suite de la hausse des tarifs mise en oeuvre par les membres du TAA.

341.
    Sixièmement, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, plus les concurrents sont faibles et de dimensions réduites, moins ils sont en mesure d'exercer une pression concurrentielle réelle à l'égard de l'entreprise dominante (voir, en ce sens, arrêts United Brands/Commission, précité, points 111 et 112, et Hoffmann-La Roche/Commission, précité, points 51 à 58).

342.
    À cet égard, il y a lieu de relever qu'une seule compagnie indépendante, Evergreen, disposait d'une part de marché relativement importante (13,1 % pour l'année 1993). En outre, ainsi qu'il ressort des considérants 150 à 156, 215 et 443 à 445 de la décision attaquée, plusieurs facteurs sont de nature à amoindrir fortement la concurrence que ladite compagnie a pu exercer à l'égard des membresdu TAA. Ainsi, elle n'est pas présente sur tous les segments du marché, n'offrant, par exemple, que peu de certains équipements spéciaux («open top, flat») sur la route transatlantique, ce qui la prive d'accès à toute une série de chargeurs. Plus lourd de conséquence encore est le fait que la compagnie Evergreen est partie à l'accord Eurocorde, auquel avaient adhéré les membres du TAA et dans le cadre duquel les taux de fret et autres conditions de transport sont discutés. Il est également significatif que la compagnie Evergreen devait initialement participer au TAA et que, même si elle est finalement restée indépendante, elle a néanmoins gardé des contacts réguliers avec certains membres du TAA et a été très largement informée de la politique des prix adoptée par ces derniers, ce qui lui permettait de modifier sa grille tarifaire pour suivre, avec un léger décalage, les évolutions introduites par les parties au TAA. Il apparaît ainsi qu'Evergreen, la principale, si ce n'est l'unique, compagnie indépendante disposant de la puissance suffisante sur le marché des services réguliers de transport sur la route transatlantique, n'était, en réalité, pas en mesure d'exercer une pression concurrentielle réelle sur les membres du TAA.

343.
    Ainsi qu'il est exposé au considérant 446 de la décision attaquée, aucune des autres compagnies indépendantes ne disposait, compte tenu de parts de marché et de ressources inférieures à celles d'Evergreen, de la capacité de fournir des services en nombre suffisant, pour exercer une pression concurrentielle réelle sur les membres du TAA. En outre, Lykes Line, la plus importante des compagnies susvisées, est également partie à l'accord Eurocorde.

344.
    Il résulte de ces éléments que c'est à juste titre que la Commission a, au considérant 454 de la décision attaquée, estimé que: «[L]es compagnies indépendantes, après avoir profité des hausses très rapides mises en oeuvre par le TAA pour saturer leurs capacités, [n'ont] plus été en état de faire face à de nouvelles demandes au cours de l'année 1993. Soit par concertation avec le TAA, soit par incapacité due à leur faible poids au regard de la part de marché du TAA, ces compagnies n'ont pas cherché à exercer une concurrence réelle sur le TAA et ont été conduites à un comportement de suiveur». C'est également à bon droit que la Commission a conclu que la concurrence exercée à l'égard des membres du TAA par les compagnies indépendantes actives sur la route transatlantique directe n'a pas compensé la possibilité créée par le TAA d'éliminer la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

Autres sources de concurrence (la concurrence potentielle)

345.
    Les requérantes soutiennent que la Commission a négligé la concurrence potentielle des transporteurs déjà présents sur la route transatlantique et capables d'accroître leur offre de services de transport par conteneurs (substitution du côté de l'offre), ainsi que celle des transporteurs de conteneurs absents de la route transatlantique, mais susceptibles d'y entrer. En outre, elles reprochent à laCommission d'avoir refusé d'évaluer l'effet cumulatif des diverses sources de concurrence auxquelles elles ont été soumises.

346.
    Préalablement à l'examen des griefs soulevés par les requérantes, il convient de relever, à titre liminaire, que leur argumentation relative aux deux sources de concurrence potentielle ci-dessus mentionnées repose, ainsi qu'elles le soulignent d'ailleurs elles-mêmes, pour l'essentiel, sur l'acceptation de la théorie du marché contestable défendue dans un rapport d'experts (résumé de questions économiques préparé conjointement par le professeur John Davies, les docteurs Craig Pirrong, William Sjostrom et M. George Yarrow, joint en annexe 5 à la requête).

347.
    La Commission a contesté la pertinence de ce rapport produit par les requérantes et a également invoqué au soutien de sa thèse des rapports d'experts (Rapport du Dr Reitzes sur les effets économiques de l'accord Trans-Atlantic; rapport du Dr Levêque «Autorégulation dans l'industrie du transport maritime de ligne: lacune du marché et du système de réglementation», joints en annexe D et E au mémoire en défense), dont la réputation et la connaissance du marché en cause ne peuvent être mises en doute. Ainsi, l'expérience du Dr Reitzes dans l'application des règles de concurrence au secteur du transport maritime résulte, notamment, de la circonstance qu'il est le principal auteur de l'étude «Analyse de l'industrie maritime et des effets du Shipping Act de 1984» réalisée par la Federal Trade Commission.

348.
    À la lecture des différentes expertises produites par les parties, et des références à la doctrine économique qui y sont mentionnées, il y a lieu de constater que, à tout le moins, la contestabilité du marché du transport maritime de ligne est une question encore très controversée aujourd'hui, la plupart des auteurs s'accordant cependant pour souligner que, en tout état de cause la contestabilité ne saurait être qu'imparfaite. Il ressort de ces expertises contradictoires que le degré de contestabilité du marché des services réguliers de transport de conteneurs sur la route transatlantique soulève des questions complexes d'ordre économique. Dès lors, la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation en la matière et le Tribunal ne saurait censurer la décision de l'institution sur ce point qu'après avoir constaté une erreur manifeste d'appréciation. Or, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur le bien-fondé des théories défendues de part et d'autre, il n'apparaît pas, à première vue, que la position de la Commission, selon laquelle la concurrence potentielle, si elle n'était pas inexistante, n'était cependant pas suffisante pour empêcher le TAA de donner à ses membres la possibilité d'éliminer la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité, puisse être considérée comme reposant sur une erreur manifeste d'appréciation (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T-371/94 et T-394/94, Rec. p. II-2405, point 161).

- Substitution du côté de l'offre

349.
    Les requérantes soutiennent que, ainsi qu'il ressort du rapport Dynamar déjà soumis à la Commission durant la procédure administrative, de nombreuxtransporteurs présents sur la route transatlantique sont capables de rendre leurs capacités de transport, qui représentent environ 20 % des capacités totales des parties au TAA, disponibles pour le transport de conteneurs en concurrence directe avec lesdites parties. Elles font valoir à cet égard que les deux motifs invoqués par la Commission dans la décision attaquée pour rejeter les conclusions du rapport Dynamar sont erronés. D'une part, les capacités de ces transporteurs seraient susceptibles d'être utilisées pour le transport de fret en conteneurs sans que cela requière une véritable transformation physique de la flotte en navires cellulaires (c'est-à-dire en navires spécialisés dans le transport de conteneurs), de sorte que l'adaptation pourrait être effectuée pour un coût insignifiant. D'autre part, en invoquant le fait que ces transporteurs offrent un service moins complet, la Commission ne prendrait pas en considération la possibilité pour les chargeurs de s'adresser pour une partie de leur demande à un concurrent potentiel.

350.
    En réponse à ces deux arguments, il convient de relever, d'une part, que si, selon le considérant 166 de la décision attaquée, le coût de la transformation des services offerts par ces transporteurs apparaît comme un motif de rejet des conclusions du rapport Dynamar ce n'est pas en raison de son caractère supposé excessif, mais parce que les parties au TAA n'avaient fourni aucune précision sur celui-ci.

351.
    Si, selon la précision apportée par les requérantes au cours de la procédure judiciaire, le coût d'adaptation des navires est insignifiant, il convient d'observer néanmoins que, pour offrir un service de transport de marchandises en conteneurs, il est encore nécessaire, notamment, d'acquérir et de gérer un très grand nombre de conteneurs. Les requérantes elles-mêmes ont d'ailleurs précisé dans leur requête (point 2.4) ce qui suit:

«[Il] existe de nombreux types de conteneurs ayant des tailles et des spécifications différentes, et, pour les transporteurs maritimes qui les possèdent, ils représentent un investissement considérable. Les conteneurs étant en mouvement permanent, il est nécessaire d'en avoir trois par 'slot' sur un navire, de sorte qu'un navire de 3 000 TEU doit disposer de 9 000 conteneurs.»

352.
    Enfin et surtout, le coût d'adaptation des navires ne constitue qu'un des motifs, au demeurant accessoire, sur lesquels la Commission a fondé son appréciation. En effet, à côté du coût et des délais nécessaires à ladite adaptation, la Commission a, à titre principal, mis en évidence, aux considérants 166 à 172 de la décision attaquée, le fait que ces services, une fois modifiés, ne seraient pas économiquement compétitifs par rapport à ceux offerts par les membres du TAA. Elle a ainsi relevé, sans être contestée, que le trafic transatlantique est très important en termes de volume de fret convoyé, avec des services réguliers de transport permettant un écoulement continu des marchandises, au point que même les plus gros opérateurs mondiaux ont le plus souvent tendance à se regrouper pour exploiter lesdits services en commun et qu'ils commandent des bateaux modernes, de grande taille et en nombre suffisant. Dans ces conditions, il est trèspeu probable que des opérateurs, propriétaires de navires a priori non destinés au transport de conteneurs et seulement aménagés à cette fin, soient en mesure d'exercer une concurrence réelle.

353.
    Il convient, d'autre part, de relever que, dans la requête, les requérantes n'ont en rien contesté la constatation de la Commission selon laquelle les opérateurs visés dans le rapport Dynamar n'offrent pas, contrairement à ce qu'exige un service de transport compétitif, une desserte hebdomadaire et ne desservent qu'un nombre limité de ports d'Europe du Nord et des États-Unis. Dans la réplique, sans remettre en cause la constatation précitée, elles relèvent cependant que, à la date de la réponse à la communication des griefs, une seule d'entre elles était en mesure d'offrir par elle-même un service hebdomadaire. Cette objection doit être manifestement écartée. En effet, il ressort clairement des documents sur lesquels s'appuient les requérantes que pour tous les itinéraires entre les différents ports d'Europe du Nord et des États-Unis un service hebdomadaire effectif était assuré par les membres du TAA et qu'il s'agit bien d'un élément essentiel, les parties au TAA soulignant elles-mêmes s'être assurées, dans le cadre de l'effort de rationalisation des services offerts, du maintien des services hebdomadaires. La circonstance que ces services hebdomadaires soient assurés conjointement par plusieurs membres du TAA plutôt que par chaque compagnie individuellement n'est pas pertinente et ne fait qu'illustrer le degré élevé d'intégration des compagnies au sein du TAA, lesquelles fournissent des services combinés au moyen de bateaux qui, du point de vue des utilisateurs, sont substituables. Les opérateurs visés dans le rapport Dynamar ne sont pas, a priori, liés entre eux par des accords très complexes et ne peuvent donc, à la différence des membres du TAA, être considérés globalement, car ils n'offrent pas ces services hebdomadaires en commun. Par ailleurs, la possibilité pour les chargeurs, soulignée par les requérantes, de s'adresser pour une partie de leur demande à un de ces opérateurs ne saurait compenser une fréquence de service et des capacités de transport insuffisantes.

354.
    Enfin, il convient de relever que les requérantes n'ont pas contesté l'observation, contenue aux considérants 171 et 172 de la décision attaquée, selon laquelle l'absence d'exercice par ces opérateurs de pression concurrentielle réelle est confirmée par la circonstance qu'ils n'interviennent même pas sur la partie la plus rémunératrice du marché (le prix du transport maritime varie considérablement selon les marchandises convoyées), comme en atteste le maintien du système de tarification différenciée.

355.
    Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que la Commission a considéré que les transporteurs déjà présents sur la route transatlantique mais offrant des services de transport de marchandises non placées dans des conteneurs n'exercent pas une pression concurrentielle réelle sur le marché des services réguliers de transport maritime de conteneurs.

- Sur la concurrence exercée par les transporteurs absents de la route transatlantique, mais susceptibles d'y entrer

356.
    Ainsi qu'il ressort du huitième considérant du règlement n° 4056/86, les transporteurs assurant des services réguliers dans le cadre d'autres trafics sont, normalement, en mesure d'exercer une concurrence potentielle. Toutefois, la Commission a considéré, au terme d'une analyse détaillée développée aux considérants 165 à 188 et 458 à 461 de la décision attaquée, que, en l'espèce, cette concurrence potentielle est limitée en raison, principalement, des caractéristiques spécifiques du trafic transatlantique et de celles du TAA.

357.
    S'agissant, en premier lieu, des caractéristiques spécifiques du trafic transatlantique, il convient de rappeler, d'abord, que la Commission a constaté, à juste titre, que, en raison de l'importance du volume de fret transporté et de la nécessité de disposer, en nombre suffisant, de bateaux modernes, de grande taille et spécialement équipés pour le transport de conteneurs, seuls les grands opérateurs mondiaux sont en mesure de fournir des services compétitifs. Il convient d'ailleurs d'observer que, sur les dix services réguliers assurés par les parties au TAA, seul celui effectué par la compagnie Maersk est exploité individuellement, les neuf autres faisant l'objet d'accords de regroupement de bateaux et de partage de capacités entre les différents membres du TAA.

358.
    Les requérantes ne mettent pas en cause l'affirmation, au demeurant fondée, de la Commission selon laquelle, en raison de ces caractéristiques, seuls quelques grands armateurs mondiaux, ou éventuellement d'importants regroupements d'armateurs, sont en état d'exercer une pression concurrentielle réelle. La critique formulée par les requérantes dans leur requête ne porte en effet que sur les conséquences que la Commission attache à la circonstance que la plupart de ces grands armateurs mondiaux, absents du trafic transatlantique, sont étroitement liés à certains membres du TAA dans le cadre d'autres trafics maritimes. Selon elles, l'adhésion des compagnies maritimes à des conférences, ou la conclusion d'autres accords de coopération, est habituelle et n'a jamais empêché l'entrée d'une compagnie dans un trafic où seraient actifs des transporteurs avec lesquels elle est liée par ailleurs. Les prétendues caractéristiques du trafic transatlantique ne seraient en réalité que les caractéristiques communes à l'ensemble des trafics maritimes à travers le monde.

359.
    Cette objection doit être écartée. Il a été constaté que le trafic transatlantique présentait des caractéristiques particulières telles que, en l'espèce, l'arrivée de nouveaux opérateurs n'était guère probable et que, en tout état de cause, elle ne pouvait concerner qu'un nombre limité de grands armateurs mondiaux, le cas échéant au moyen d'un regroupement. C'est donc à juste titre que la Commission a estimé que la participation de ces mêmes armateurs à des accords de stabilisation concernant les deux autres grands trafics maritimes, dans le sens est-ouest (Europe Asia Trade Agreement et Trans-Pacific Stabilisation Agreement), accords d'uneportée très étendue présentant des similitudes avec la structure et les objectifs du TAA, était de nature à montrer, d'une part, leur propension à participer à des accords de ce type et, d'autre part, leur absence d'intérêt à exercer une concurrence risquant de déstabiliser ces autres grands accords en place autour du monde. C'est donc la conjonction de la limitation des sources de concurrence potentielle à un faible nombre d'opérateurs particuliers et de l'existence de liens d'interdépendance étroite entre ces mêmes opérateurs et les membres du TAA dominant le trafic transatlantique qui rend peu probable l'entrée, par définition déstabilisatrice, desdits opérateurs dans le trafic transatlantique. S'il ne saurait certes être exclu que ces caractéristiques peuvent correspondre à celles d'autres trafics de dimension mondiale, il n'apparaît pas, en revanche, qu'elles constituent un élément commun à la plupart des différents marchés de services de transport maritime. En tout état de cause, la seule question pertinente en l'espèce est de vérifier si la concurrence potentielle était d'une nature et d'une intensité suffisantes pour empêcher la possibilité d'élimination de la concurrence résultant du TAA. Or, les caractéristiques spécifiques du trafic transatlantique, d'une part, la communauté d'intérêts et les risques de collusion entre les membres du TAA et les concurrents potentiels, découlant d'une présence commune tant sur plusieurs autres marchés qu'au sein de différents accords, d'autre part, sont effectivement de nature à justifier une réponse négative.

360.
    S'agissant en deuxième lieu, des caractéristiques du TAA, il y a lieu de considérer, d'abord, qu'il ne saurait être contesté que le maintien artificiel de surcapacités sur le trafic transatlantique, par le biais du CMP, a créé une situation de nature à décourager un concurrent potentiel de pénétrer un marché même momentanément rémunérateur. En effet, non seulement l'entrée sur le marché de celui-ci aggraverait le phénomène de surcapacités, provoquant ainsi une chute des prix à un niveau n'assurant plus la rentabilité, mais, en outre, le nouvel arrivant se trouverait confronté à la menace de mise sur le marché par les membres du TAA de moyens considérables tenus jusque là en réserve par l'effet du CMP. L'argument selon lequel la guerre des prix liée à cette intrusion entraînerait la sortie du marché de certains opérateurs et une augmentation rapide des prix de sorte qu'un concurrent potentiel efficace et bien soutenu financièrement pourrait pleinement réussir son intégration dans le marché n'est pas crédible. Outre l'absence de prise en compte de l'existence de barrières à l'entrée sur le marché ainsi que des avantages comparatifs que détiennent les opérateurs déjà en place, il convient de relever que cet argument revient en fait à soutenir que tout marché est toujours susceptible d'être pénétré par un concurrent disposant de ressources quasi illimitées et d'une efficacité supérieure à tous les autres opérateurs. Par ailleurs, avec cet argument, il est fait abstraction de la puissance de marché considérable détenue par les membres du TAA et du caractère collectif de leur défense contre le concurrent potentiel.

361.
    Il convient de souligner, par ailleurs, que la Commission a constaté, sans être contredite, l'existence, en l'espèce, de barrières à la sortie du marché susceptibles de réduire également la tentation pour un armateur d'entrer dans le trafic. Eneffet, pour un grand armateur, le retrait d'un trafic majeur comme le trafic transatlantique porte atteinte à sa réputation commerciale et affecte sa position concurrentielle sur d'autres trafics.

362.
    Il convient de rappeler, ensuite, que parmi les caractéristiques du TAA de nature à rendre peu probable l'arrivée sur le marché en cause de concurrents potentiels en qualité d'indépendants la Commission a également relevé, aux considérants 183 à 186 de la décision attaquée, le fait que le TAA était un accord prévoyant un système de fixation des prix suffisamment souple pour pouvoir intégrer des compagnies indépendantes déjà présentes sur le marché et des nouveaux entrants, de sorte que les armateurs intéressés par le trafic transatlantique auraient été tentés d'y rentrer dans le cadre du TAA. Tel a d'ailleurs été le cas des deux seules compagnies, NYK et NOL, qui sont arrivées sur la route transatlantique après l'entrée en vigueur du TAA, ainsi que de TMM et Tecomar qui, bien que déjà présentes sur ladite route, ont intégrés le TAA en 1993 en concluant une alliance avec Hapag Lloyd. Si une entrée de ce type n'était certes pas dépourvue de toute incidence pour les membres du TAA qui risquaient ainsi de voir leur volume d'activités quelque peu réduit, l'adhésion de nouveaux membres au TAA ne faisait cependant peser aucune contrainte sur le comportement commercial du TAA, en tant que groupe d'armateurs.

363.
    Enfin, la circonstance, relevée au considérant 187 de la décision attaquée, que les membres du TAA ont été en mesure d'augmenter considérablement leurs prix à bref délai et que, malgré le profond mécontentement des chargeurs, de nouveaux opérateurs ne sont pas entrés sur le marché est de nature à confirmer l'absence de concurrence, tant actuelle que potentielle, réelle.

364.
    À la lumière de ce qui précède, il convient de conclure que c'est à bon droit que la Commission a considéré que, si un certain degré de concurrence potentielle existe, elle est cependant limitée et n'a pas été en mesure, depuis l'entrée en vigueur du TAA, d'exercer une pression réelle sur les membres de l'accord en cause, et ce quelle que soit la façon avec laquelle sont envisagées les différentes sources de concurrence potentielle, isolément ou globalement avec prise en compte d'un effet cumulatif.

365.
    Il résulte de l'examen effectué par le Tribunal que l'ensemble des griefs formulés par les requérantes contre l'analyse opérée par la Commission quant à l'élimination de la concurrence au sein du TAA, à la détention d'une part substantielle du marché en cause et à la concurrence externe doivent être rejetés.

366.
    En tout état de cause, la conclusion de la Commission selon laquelle le TAA, qui regroupait des compagnies disposant d'une part de marché de l'ordre de 75 %, qui donnait à ses membres la possibilité d'éliminer la concurrence entre eux et qui n'était soumis, du fait tant de ses caractéristiques que de celles du marché en cause, qu'à une pression très limitée de la part de la concurrence externe, tant actuelleque potentielle, était un accord qui donnait à ses membres la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des services en cause, au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité, ne saurait être considérée comme étant entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Il convient de préciser que cette appréciation concerne aussi bien les dispositions du TAA relatives aux accords de fixation de prix du transport maritime que celles relatives au CMP.

367.
    La quatrième condition énoncée à l'article 85, paragraphe 3, du traité n'étant pas remplie, il convient de rejeter le moyen tiré du refus d'octroyer une exemption individuelle aux accords de prix et de capacité relatifs au transport maritime comme non fondé, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les griefs formulés par les requérantes et les intervenantes contre l'analyse faite par la Commission des trois autres conditions prévues par cet article.

Sur l'exemption, à titre individuel, des accords portant fixation des prix du transport terrestre

368.
    Le Tribunal constate que les griefs des requérantes reposent sur une lecture erronée de la décision attaquée. C'est à tort qu'elles considèrent que le refus d'octroi de l'exemption individuelle aux accords portant fixation des prix du transport terrestre serait fondé sur le seul motif que les accords relatifs au transport maritime ne pouvaient bénéficier d'une exemption.

369.
    La Commission a en effet exposé, en détail, aux considérants 463 à 489 de la décision attaquée, les motifs précis pour lesquels elle a considéré que les accords concernant la fixation des prix du transport terrestre ne pouvaient, en tant que tels, pas faire l'objet d'une exemption individuelle. Il ressort à l'évidence de ces considérants que la conclusion de l'institution défenderesse ne repose pas uniquement sur le fait que les accords relatifs au transport maritime ne pouvaient bénéficier d'une exemption. La Commission a ainsi constaté, en particulier, que les accords portant fixation des prix du transport terrestre n'ont débouché sur aucune amélioration de productivité et n'ont apporté aucun avantage économique susceptible de justifier l'exemption de ces accords.

370.
    Dès lors que les requérantes n'ont contesté aucune des raisons précises sur lesquelles la décision attaquée est fondée, le moyen tiré du refus d'octroi d'une exemption individuelle aux accords portant fixation des prix du transport terrestre doit être rejeté.

371.
    En outre, dans la mesure où l'argumentation des requérantes repose sur la prémisse que la Commission a refusé à tort d'octroyer une exemption aux accords de fixation des prix du transport maritime du TAA et qu'il a été constaté ci-dessus que c'est à bon droit que la Commission a estimé que ceux-ci n'étaient couverts nipar une exemption par catégorie, ni par une exemption individuelle, le moyen doit également être rejeté.

372.
    Enfin, à titre surabondant, le Tribunal relève que, dans la mesure où l'objectif réel des accords portant fixation des prix du transport terrestre serait d'empêcher qu'il ne soit porté atteinte aux prix du transport maritime par des prix du transport multimodal qui ne tiendraient pas compte du coût total du transport terrestre, les requérantes n'ont pas démontré que le pouvoir de fixer les prix du transport terrestre était nécessaire pour atteindre cet objectif et que ce résultat n'aurait pu être obtenu par un moyen moins restrictif tel que l'engagement de ne pas facturer le transport, dans sa partie terrestre, en dessous de son coût de revient.

373.
    Il s'ensuit que le moyen tiré du refus d'octroi d'une exemption individuelle doit être rejeté.

Sur la violation de l'article 190 du traité

374.
    S'agissant des différents griefs relatifs à la motivation de la décision TAA formulés dans le cadre des conclusions principales en annulation, le Tribunal constate que la Commission contient une argumentation circonstanciée et structurée au soutien de l'appréciation portée par la Commission. La motivation a permis aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises et au juge communautaire d'exercer son contrôle de légalité. Ces griefs doivent, en conséquence, être rejetés.

Sur la violation de l'accord sur l'Espace économique européen

I - Arguments des parties

375.
    L'ECSA estime que, en adoptant la décision TAA sur la seule base de la réglementation communautaire, et, en particulier, du règlement n° 4056/86, la Commission a enfreint l'accord EEE, signé le 2 mai 1992 et approuvé par décision 94/1/CE, CECA du Conseil et de la Commission, du 13 décembre 1993, relative à la conclusion de l'accord sur l'Espace économique européen entre les Communautés européennes, leurs États membres et la république d'Autriche, la république de Finlande, la république d'Islande, la principauté de Liechtenstein, le royaume de Norvège, le royaume de Suède, et la Confédération suisse (JO 1994, L 1, p. 1). Cette partie intervenante rappelle que les requérantes ont notifié le TAA le 28 août 1992 à la Commission et que l'accord EEE est entré en vigueur le 1er janvier 1994. L'article 8 du protocole 21 de l'accord EEE concernant la mise en oeuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises (JO 1994, L 1, p. 181) dispose:

«Les demandes et notifications déposées à la Commission [...] avant la date d'entrée en vigueur de l'accord sont considérées comme régulières au regard des dispositions de l'accord qui concernent les demandes et notifications.»

376.
    L'ECSA indique que l'autorité de surveillance compétente en vertu de l'article 56 de l'accord EEE et de l'article 10 du protocole 23 dudit accord concernant la coopération entre les autorités de surveillance (article 58) (JO 1994, L 1, p. 186) peut demander qu'un formulaire dûment rempli lui soit remis dans le délai qu'elle fixe. Dans ce cas, les demandes et notifications ne seraient considérées comme régulières que si les formulaires sont remis dans le délai fixé et conformément aux dispositions de l'accord EEE.

377.
    Selon l'ECSA, ces dispositions impliquent que les notifications d'accords conclus entre entreprises adressées à la Commission avant la date d'entrée en vigueur de l'accord EEE doivent être considérées comme des notifications aux fins de l'obtention d'une exemption dans le cadre de l'accord EEE. Elle fait valoir que ce n'est que lorsque l'autorité de surveillance estime avoir besoin d'informations complémentaires que les parties notifiantes peuvent être priées de compléter leur notification. Ainsi, les parties notifiantes ne seraient pas tenues de demander à la Commission d'étendre son analyse aux dispositions de l'accord EEE.

378.
    Par ailleurs, l'ECSA estime que la Commission est tenue d'examiner la licéité d'une entente en cause à la lumière de l'accord EEE dès que cette entente est susceptible de produire des effets sur le territoire des parties à l'accord EEE. Elle souligne que, en pratique, la Commission a, d'office, examiné des accords notifiés avant l'entrée en vigueur de l'accord EEE au regard des règles de concurrence communautaires et des dispositions dudit accord. Elle se réfère, notamment, aux décisions 94/894/CE de la Commission, du 13 décembre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE et de l'article 53 de l'accord EEE (IV/32.490 - Eurotunnel) (JO L 354, p. 66), et 94/663/CE de la Commission, du 21 septembre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE et de l'article 53 de l'accord EEE (IV/34.600 - Night Services) (JO L 259, p. 20,).

379.
    Alors que le TAA concernait le territoire de l'ensemble des parties à l'accord EEE, la Commission se serait bornée à analyser le marché en cause et la concurrence dans le cadre exclusif et limité de la Communauté. L'ECSA en déduit que la décision TAA a été adoptée en violation de l'article 53 de l'accord EEE et de l'article 8 du protocole 21 dudit accord. La Commission ne se serait pas conformée aux règles procédurales énoncées à l'article 58 de l'accord EEE ni à celles prévues par le Protocole 23 dudit accord, qui lui imposent de coopérer avec l'autorité de surveillance de l'Association européenne de libre-échange (AELE).

380.
    En conséquence, l'ECSA soutient que la violation des dispositions du protocole 23 de l'accord EEE doit entraîner l'annulation de la décision TAA, dans la mesure oùcelle-ci est contraire à une norme de droit supérieure contenue dans un traité liant la Communauté et les États membres de l'AELE.

381.
    La Commission conclut au rejet des griefs formulés par l'ECSA.

II - Appréciation du Tribunal

382.
    Force est de constater que le moyen tiré de la violation de l'accord EEE n'a pas été soulevé par les requérantes et qu'il doit, en conséquence, être rejeté comme irrecevable. En effet, les parties intervenantes devant, en vertu de l'article 116, paragraphe 3, du règlement de procédure, accepter le litige dans l'état où il se trouve lors de leur intervention, et les conclusions de leur requête en intervention ne pouvant avoir, en vertu de l'article 37, quatrième alinéa, du statut CE de la Cour, d'autre objet que le soutien de conclusions de l'une des parties principales, l'ECSA, en tant que partie intervenante, n'a donc pas qualité pour soulever ce moyen (arrêt British Airways e.a/Commission, précité, point 75).

383.
    En outre, il suffit de relever que les dispositions pertinentes de l'accord EEE n'étaient pas applicables à la procédure administrative ayant abouti à la décision attaquée. En effet, ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 1994, date à laquelle les étapes procédurales requérant la coopération entre la Commission et l'Autorité de surveillance AELE, à savoir l'audition des entreprises et la consultation du comité consultatif, avaient déjà eu lieu (arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T-305/94, T-306/94, T-307/94, T-313/94, T-314/94, T-315/94, T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, Rec. p. II-931, point 259).

Sur les conclusions subsidiaires

384.
    À titre subsidiaire, les requérantes concluent à l'annulation, premièrement, des articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision TAA dans la mesure où ils interdisent la possibilité de fixer les prix pour le transport combiné, deuxièmement, de l'article 5 de cette décision et, troisièmement, des articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision attaquée dans la mesure où ils interdiraient la conclusion en commun des contrats de service.

I - Sur l'annulation des articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision TAA dans la mesure où ils interdisent la possibilité de fixer les prix pour le transport combiné

A - Arguments des parties

385.
    Les requérantes sollicitent l'annulation des articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision TAA dans la mesure où ils interdisent tout accord portant fixation des prix du transportterrestre effectué sur le territoire de la Communauté dans le cadre d'une opération de transport combiné intéressant la route transatlantique.

386.
    Au soutien de leur argumentation, les requérantes invoquent des communications postérieures à la décision TAA, notamment une lettre de la Commission du 15 décembre 1994, desquelles il ressort que cette dernière considère que la décision TAA interdit, pour l'avenir, la possibilité de fixer les prix du transport terrestre pour les services de transport combiné dans le cadre de tout accord de coopération conclu par elles concernant le trafic transatlantique. Elles estiment que, puisque l'article 1er de la décision attaquée concerne uniquement les «dispositions de l'accord TAA» et que les articles 2, 3 et 4 visent seulement les infractions et pratiques «visées par l'article 1er», il en résulte que ces articles ne peuvent s'appliquer qu'à leur comportement considéré comme contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité et comme n'étant pas susceptible d'exemption pour les raisons spécifiées dans la décision attaquée. La Commission ne saurait étendre le champ d'application de la décision attaquée au-delà du contexte particulier du TAA en assimilant cette dernière à une prohibition absolue de toute possibilité de fixer les prix du transport terrestre. Une telle extension de la portée de la décision TAA constituerait une violation des formes substantielles et, en particulier, de l'obligation de motivation énoncée à l'article 190 du traité.

387.
    Dans la réplique, les requérantes relèvent encore que, au point 33 de l'ordonnance Commission/Atlantic Container Line e.a, précitée, le président de la Cour a indiqué que l'article 4 de la décision attaquée, en enjoignant à Atlantic Line AB et aux autres entreprises destinataires de ladite décision de s'abstenir à l'avenir de tout accord ou pratique concertée pouvant avoir un objet ou un effet similaire ou identique aux accords et pratiques visés à l'article 1er de cette décision, couvre indéniablement le TACA, qui est une version amendée du TAA.

388.
    La Commission rétorque que l'argumentation des requérantes s'analyse soit en une demande d'interprétation de la décision TAA, soit en une demande d'annulation d'une mesure qu'elle pourrait éventuellement prendre sur la base de la décision TAA. Selon la Commission, dans les deux cas, une telle demande semble irrecevable et, en toute hypothèse, est dépourvue de fondement.

B - Appréciation du Tribunal

389.
    Il convient, en premier lieu, de rappeler que l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 prévoit que, lorsqu'elle constate une infraction à l'article 85 ou à l'article 86 du traité, la Commission «peut obliger par voie de décision les entreprises et associations d'entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée».

390.
    Selon une jurisprudence constante, l'application de cette disposition peut comporter l'interdiction de continuer certaines activités, pratiques ou situations, dont l'illégalité a été constatée (arrêts de la Cour du 6 mars 1974, Istituto chemioterapico italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223, point 45, et RTEet ITP/Commission, précité, point 90), mais aussi celle d'adopter un comportement futur similaire (arrêts du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83/91, Rec. p. II-755, point 220, et du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T-352/94, Rec. p. II-1989, point 241).

391.
    Les articles 11, paragraphe 1, des règlements n° 4056/86 et n° 1017/68, applicables en l'espèce, sont presque identiques à l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, de telle sorte que l'interprétation de ce dernier article peut inspirer celle des dispositions susvisées.

392.
    Après avoir constaté, à l'article 1er de la décision attaquée, que les accords portant fixation des prix des services de transport et le CMP conclus dans le cadre du TAA étaient prohibés par l'article 85, paragraphe 1, du traité, la Commission a ordonné aux entreprises destinataires de ladite décision de mettre fin immédiatement à ces infractions. À l'article 4 de la décision attaquée, elle leur a enjoint «de s'abstenir à l'avenir de tout accord ou pratique concertée pouvant avoir un objet ou un effet identique ou similaire à des accords et pratiques visés par l'article 1er [de cette même décision].»

393.
    Cette injonction vise uniquement à empêcher les entreprises destinataires de la décision TAA de commettre à nouveau des infractions identiques à celles constatées dans ladite décision, en concluant un nouvel accord ou en participant à une pratique concertée ayant un objet ou un effet similaire ou identique à celui des dispositions du TAA relatives à la fixation des prix de transport et au CMP. Elle relève du pouvoir dont la Commission dispose au titre de l'article 11, paragraphe 1, des règlements n° 4056/86 et n° 1017/68.

394.
    S'agissant de la portée de cette injonction, il convient d'observer qu'elle n'a pas pour effet d'interdire, d'une manière absolue, tout accord ayant pour objet la fixation du prix des services du transport terrestre dans le cadre d'une opération de transport combiné, mais uniquement les accords qui, pour les raisons exposées dans la décision attaquée, ne remplissent pas les conditions de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

395.
    À cet égard, il y a lieu de préciser que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la conclusion de la Commission portant refus d'octroi d'une exemption aux accords ayant pour objet la fixation des prix du transport terrestre ne se réfère pas uniquement au fait que le TAA n'était pas une conférence maritime ou au prétendu rôle desdits accords de complément de ceux ayant pour objet la fixation du prix des services du transport maritime, mais bien à l'ensemble des motifs exposés en détail aux considérants 462 à 491 de la décision attaquée. La Commission y a, en particulier, constaté que les accords portant fixation des prix du transport terrestre n'ont débouché sur aucune amélioration de productivité et n'ont apporté aucun avantage économique susceptible de justifier l'exemption de ces accords. La décision attaquée n'empêche donc pas les requérantes de soumettreà la Commission un autre accord de coopération en matière de transport terrestre de nature à favoriser une plus grande efficacité des services de transport multimodal, pour la partie terrestre, et de démontrer que cet autre accord répond aux exigences de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

396.
    Par conséquent, il ne saurait être reproché à la Commission d'avoir, par le biais de l'injonction précitée, méconnu les dispositions de l'article 11, paragraphe 1, des règlements n° 4056/86 et n° 1017/68, ni d'avoir enfreint l'obligation qui lui incombe au titre de l'article 190 du traité ou violé les droits de la défense.

397.
    Dès lors, l'argumentation des requérantes au soutien de ces premières conclusions subsidiaires doit être rejetée dans son ensemble et, conséquemment, lesdites conclusions elles-mêmes.

II - Sur l'annulation de l'article 5 de la décision TAA concernant les contrats de service

A - Arguments des parties

398.
    Les requérantes soutiennent que l'article 5 de la décision attaquée, selon lequel elles sont tenues d'informer «les clients avec lesquels [elles] ont conclu des contrats de service ou d'autres contrats dans le cadre du TAA qu'ils peuvent, s'ils le souhaitent, renégocier les clauses de ces contrats ou les résilier immédiatement», doit être annulé.

399.
    Elles rappellent, à titre liminaire, qu'un contrat de service est un accord par lequel un chargeur s'engage à faire transporter par voie maritime un volume de marchandises minimal, exprimé en quantité ou en valeur, au cours de la période prévue dans le contrat. En contrepartie, le transporteur s'engagerait à fournir au chargeur des garanties d'un service spécifique, telle qu'une garantie de capacité, et négocierait un prix inférieur à celui normalement applicable. Elles précisent qu'environ 60 % de l'ensemble des marchandises transportées par elles le sont dans le cadre desdits contrats.

400.
    À l'appui de leur demande, les requérantes font valoir, en premier lieu, que la décision TAA ne comporte aucune motivation relative à l'article 5.

401.
    En deuxième lieu, l'article 5 de la décision TAA ne serait nécessaire ni pour rétablir la légalité ni pour faire cesser l'infraction constatée à l'article 1er de la décision TAA. Les requérantes soulignent que les règlements n° 4056/86 et n° 1017/68 ne confèrent pas à la Commission le pouvoir d'adresser une injonction dont la teneur excède ce qui est nécessaire au rétablissement de la légalité ou à lacessation des infractions constatées (arrêt Istituto chemioterapico italiano et Commercial Solvents/Commission, précité, et arrêt du Tribunal du 10 juillet 1991, BBC/Commission, T-70/89, Rec. p. II-535). Or, selon les requérantes, si la décision attaquée traite, aux considérants 13 à 15 et 286, de manière superficielle, des dispositions du TAA relatives aux contrats de service, elle n'aborde pas la question des contrats de services individuels effectivement passés avec les chargeurs. Dès lors, ces contrats ne seraient pas visés par l'infraction constatée à l'article 1er de la décision TAA. Selon les requérantes, ces contrats sont licites.

402.
    En troisième lieu, l'article 5 de la décision attaquée enfreindrait le principe de sécurité juridique. Les requérantes soulignent, en particulier, les incertitudes quant à l'étendue de l'obligation d'informer leurs clients de la possibilité qui leur est offerte de renégocier ou de mettre un terme aux contrats de service.

403.
    En quatrième lieu, la Commission n'aurait pas mentionné dans la communication des griefs la possibilité qu'elle adresse aux parties au TAA une injonction formulée dans les termes qui sont ceux de l'article 5 de la décision attaquée. Les requérantes n'ayant pas eu la possibilité de faire connaître leur point de vue sur cette injonction, l'article 5 précité violerait les dispositions de l'article 4 du règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphe 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268) (arrêt Pâte de bois II, points 152 à 154).

404.
    En réponse à ces griefs, la Commission rappelle, d'abord, que le TAA interdisait aux compagnies membres de proposer des contrats de service individuels à certains clients et indique que cette interdiction était en fait une mesure de discipline destinée à prévenir les abus, en empêchant les compagnies d'offrir ce qui pourrait être considéré comme des réductions des prix du transport maritime.

405.
    La Commission fait valoir, ensuite, que l'article 5 de la décision attaquée a pour but d'empêcher les requérantes de continuer à bénéficier des avantages des contrats de longue durée conclus sur la base d'un accord portant fixation des prix du transport considéré comme illégal. Même si ces contrats ne sont pas, en eux-mêmes, nuls et non avenus, les clients devraient pouvoir les renégocier sur la base de conditions de concurrence normales.

406.
    La Commission estime qu'une injonction comme celle prévue à l'article 5 de la décision TAA est un élément nécessaire et inhérent à l'injonction visant à faire cesser les infractions, telle que prévue à l'article 11 des règlements n° 4056/86 et n° 1017/68, dans une situation où le comportement qui constitue une infraction prend la forme de relations contractuelles durables avec les tiers. Le fait de permettre aux membres d'une entente de continuer à appliquer des prix fixés illégalement pour la seule raison que ces prix sont inclus dans des contrats de longue durée priverait la constatation d'illégalité de toute signification. Par conséquent, l'article 5 de la décision attaquée aurait pour but de rétablir le respectdu droit ou de mettre fin à des infractions et serait indispensable à cet effet. Le fait que les contrats de service individuels ne soient pas eux-mêmes contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité serait sans rapport avec la question considérée.

407.
    La Commission est d'avis que, dans la mesure où une injonction telle que celle contenue à l'article 5 de la décision TAA est un élément indispensable de l'injonction visant à mettre fin à l'infraction, il n'est pas nécessaire de donner des justifications particulières, ni d'attirer l'attention des intéressés dans la communication des griefs. Dès lors que les requérantes ont été informées que la Commission avait l'intention de les enjoindre de mettre fin aux actions considérées comme contraires à l'article 85 du traité, elles n'auraient pas pu espérer être autorisées à continuer à bénéficier des effets de ces actions.

408.
    La Commission conteste l'existence d'une contradiction entre le point de vue selon lequel l'article 5 de la décision TAA est une partie intégrante de l'injonction visant à faire cesser les infractions et l'exigence d'une motivation claire dans ladite décision. Elle relève, à cet égard, que les contrats de service conclus avant la publication de la décision attaquée ne sont pas nuls au regard du droit commercial, puisqu'ils n'étaient pas des accords contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité, mais qu'ils sont néanmoins «teintés» de l'illégalité du TAA dans la mesure où ils n'ont pas été librement négociés, mais reflétaient les dispositions de fixation des prix du TAA. L'article 5 de la décision attaquée serait donc nécessaire et valable, son objet étant d'assurer que la concurrence sur le marché des services liés au transport maritime de ligne redevienne dès que possible celle qui aurait prévalu en l'absence de la coordination illicite engendrée par le TAA. En outre, il empêcherait les requérantes de continuer à jouir des fruits de leur entente illicite.

409.
    Enfin, la Commission conteste que l'article 5 de la décision attaquée manque de clarté et fait observer qu'il prévoit seulement que les membres du TAA doivent donner aux chargeurs encore liés par des contrats de service individuels la possibilité de renégocier ces contrats dans des conditions de concurrence normales, mais n'impose nullement quelque condition que ce soit quant au résultat de ces négociations. La Commission fait valoir que l'injonction prévue à l'article 5 de la décision TAA est claire, précise, nécessaire et justifiée. Lorsqu'une entente prohibée par l'article 85 du traité prend la forme de relations contractuelles durables avec des tiers, une injonction comme celle prévue à l'article 5 de la décision attaquée serait indispensable pour mettre un terme aux infractions constatées. La Commission estime ainsi avoir agi dans les limites des pouvoirs que lui confèrent l'article 11, paragraphe 1, des règlements n° 4056/86 et n° 1017/68.

B - Appréciation du Tribunal

410.
    Il ressort de la jurisprudence que, dans le cadre du pouvoir dont elle dispose aux fins de l'application de l'article 3 du règlement n° 17, et donc également de l'article 11, paragraphe 1, des règlements n° 4056/86 et n° 1017/68, la Commission peut préciser l'étendue des obligations qui incombent aux entreprises concernées afinqu'il soit mis fin aux infractions constatées. La mise en oeuvre de ce pouvoir doit toutefois s'effectuer en fonction de la nature de l'infraction constatée (voir, par analogie, arrêts Istituto chemioterapico italiano et Commercial Solvents/Commission, précité, point 45, RTE et ITP/Commission, précité, point 90, et arrêt de la Cour, du 1er octobre 1998, Langnese-Iglo/Commission, C-279/95 P, Rec. p. I-5609, point 74), et les obligations imposées ne doivent pas dépasser les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, à savoir le rétablissement de la légalité au regard des règles qui ont été méconnues (voir arrêt RTE et ITP/Commission, précité, point 93).

411.
    L'article 5 de la décision TAA prévoit que les parties au TAA doivent informer les clients avec lesquels elles ont conclu des contrats de service ou d'autres contrats dans le cadre du TAA «qu'ils peuvent, s'ils le souhaitent, renégocier les clauses de ces contrats ou les résilier immédiatement.»

412.
    La Commission reconnaît que les contrats de service conclus par les requérantes ne sont pas, en eux-mêmes, contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Lesdits contrats ne font donc pas partie des infractions constatées dans la décision TAA. La Commission estime cependant que l'injonction adressée aux requérantes visant à permettre aux clients de ces dernières de renégocier ou de résilier ces contrats était nécessaire, car les effets des infractions constatées dans la décision attaquée pourraient subsister si les destinataires de ladite décision pouvaient continuer à bénéficier des avantages économiques procurés par des contrats à exécution successive conclus sur la base de l'accord horizontal de fixation des prix et de limitation de l'offre que constituait le TAA.

413.
    Il convient d'observer, à cet égard, que la plupart des accords horizontaux de fixation des prix ou de répartition de marché ont de tels effets, plus ou moins durables, sur les tiers, sans cependant que la Commission estime habituellement nécessaire d'assortir ses décisions de constatation d'infractions d'une obligation analogue à celle contenue à l'article 5 de la décision attaquée. Il y a lieu de relever que les requérantes ont allégué, sans être contredites, que la Commission n'avait imposé une obligation identique à celle contenue dans l'article 5 de la décision TAA que dans la seule décision 93/50/CEE, du 23 décembre 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/32.745 - Astra) (JO 1993, L 20, p. 23), et qu'elle avait pris soin d'assortir cette obligation d'une motivation détaillée dans cette dernière décision. En outre, les contrats visés en l'espèce, conclus pour une durée d'un an, ne peuvent être considérés comme étant d'une durée particulièrement longue.

414.
    Par ailleurs, hormis la sanction de nullité expressément prévue par l'article 85, paragraphe 2, du traité, c'est, selon la jurisprudence, au droit national qu'il incombe de définir les conséquences, sur le plan civil, attachées à une violation de l'article 85 du traité, telles que l'obligation de réparer le préjudice causé à un tiers ou une éventuelle obligation de contracter (voir arrêt de la Cour du 20 septembre 2001,Courage et Crehan, C-453/99, Rec. p. I-6297, point 29 et arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T-24/90, Rec. p. II-2223, point 50), sous réserve, toutefois, de ne pas porter atteinte à l'effet utile du traité.

415.
    Il s'ensuit que, à tout le moins, la mesure contenue à l'article 5 de la décision attaquée ne s'imposait pas de manière évidente et ne correspond pas à la pratique décisionnelle habituelle de la Commission. Dans ces conditions, il incombait à la Commission de développer son raisonnement d'une manière explicite (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, 73/74, Rec. p. 1491, point 31). Or, non seulement la Commission n'a pas expliqué, dans la décision attaquée, les raisons pour lesquelles, bien que lesdits contrats ne soient pas contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité, il serait nécessaire pour mettre fin aux infractions constatées que les requérantes offrent à leurs clients la possibilité de les renégocier, mais, en outre, aucun point de la décision TAA ne traite de la question du sort de ces contrats de service passés avec des chargeurs.

416.
    Il s'ensuit que l'article 5 de la décision TAA doit être annulé pour violation de l'obligation de motivation.

417.
    Par ailleurs, selon l'article 23 du règlement n° 4056/86, avant de prendre, notamment, une décision, prévue à l'article 11 dudit règlement, ordonnant aux entreprises de mettre fin à l'infraction constatée, ou une décision, prévue à l'article 19 du même règlement, infligeant une amende, la Commission est tenue de donner aux entreprises concernées l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus contre elles. Ce droit des entreprises de présenter leurs observations au sujet de l'ensemble des griefs que la Commission se propose de retenir contre elles est défini par le règlement (CEE) n° 4260/88 de la Commission, du 16 décembre 1988, relatif aux communications, aux plaintes, aux demandes et aux auditions visées au règlement n° 4056/86 (JO L 376, p. 1), et, en particulier, par les articles 6 à 8 de celui-ci, l'article 8 dudit règlement correspondant à l'article 4 du règlement n° 99/63. La jurisprudence relative à cette dernière disposition, et, notamment, celle selon laquelle la Commission n'est pas en droit d'infliger une amende à une entreprise sans l'avoir au préalable informée dans la communication des griefs de son intention à cet égard (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 20; arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, précité, point 480), est donc applicable par analogie en l'espèce. La Cour a d'ailleurs souligné que l'exercice du droit d'une entreprise d'être entendue avant qu'une décision ne soit prise à son égard s'inscrit principalement dans le cadre des procédures judiciaires ou administratives visant à faire cesser une infraction ou à constater une incompatibilité légale, telles que les procédures visées par le règlement n° 99/63 (arrêt de la Cour du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission, 136/79, Rec. p. 2033, point 21).

418.
    Il s'ensuit que, même si, comme le soutient la Commission, l'injonction prévue à l'article 5 de la décision attaquée pouvait être considérée comme étant nécessairepour rétablir le respect du droit et s'inscrivant dans les limites du pouvoir de la Commission d'ordonner aux entreprises concernées, conformément à l'article 11 des règlements n° 1017/68 et n° 4056/86, de «mettre fin à l'infraction constatée», en tout état de cause, la communication des griefs aurait dû comprendre un exposé, même sommaire, mais formulé dans des termes suffisamment clairs, des mesures que la Commission envisageait de prendre pour mettre fin aux infractions et fournir tous les éléments nécessaires aux requérantes pour qu'elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission n'adopte une décision définitive sur ce point. Cette conclusion s'impose d'autant plus que les contrats de service individuels représentaient une part importante du chiffre d'affaires des requérantes et que l'obligation de renégocier avec les clients pourrait donc avoir des conséquences importantes pour les requérantes, voire constituer une sanction plus grave qu'une amende.

419.
    Or, il est manifeste que le point 390 de la communication des griefs, dans lequel la Commission s'est bornée à indiquer qu'elle songeait à ordonner la cessation des infractions à l'article 85 du traité, ne saurait être considéré comme informant à suffisance de droit les requérantes de l'intention de l'institution d'adopter l'injonction édictée à l'article 5 de la décision attaquée. Dans la mesure où, par cet article, la Commission impose aux requérantes une obligation au sujet de laquelle elles n'ont pas eu l'occasion de faire connaître utilement leur point de vue, les arguments des requérantes pris d'une violation des droits de la défense sont également fondés.

420.
    Il s'ensuit que, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si l'injonction énoncée à l'article 5 de la décision TAA excède les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour assurer le rétablissement de la légalité au regard de l'article 85 du traité, l'article 5 de la décision attaquée doit être annulé.

III - Sur l'annulation des articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision TAA dans la mesure où ils interdiraient les contrats de service conclus en commun

A - Arguments des parties

421.
    Dans leur requête, les requérantes reprochent à la Commission d'avoir, dans sa lettre du 15 décembre 1994, interprété la décision TAA comme leur interdisant, pour l'avenir, la conclusion en commun de contrats de service. Elles invoquent les arrêts du Tribunal, du 8 juin 1995, Langnese-Iglo/Commission (T-7/93, Rec. p. II-1533, point 205), et Schöller/Commission (T-9/93, Rec. p. II-1611, point 208), fondés sur l'article 3 du règlement n° 17, rédigé dans des termes identiques à ceux de l'article 11, paragraphe 1, des règlements n° 1017/68 et n° 4056/86. Elles soutiennent qu'il existe un principe général en vertu duquel la Commission ne peut, par une décision, interdire, sans examen préalable, l'entrée en vigueur d'accords futurs.

422.
    Elles soulignent que, dans la décision TAA, la Commission ne se prononce pas sur l'incompatibilité des contrats de service conclus en commun avec l'application, par une conférence maritime, de taux de fret uniformes ou communs. Aux considérants 76, 78 et 79 de la décision TAA, la Commission a même reconnu l'importance de ces contrats dans la pratique des conférences maritimes. Si, dans la communication des griefs ou la décision TAA, la Commission avait entendu soutenir l'illégalité des contrats de service conclus en commun, elle se serait fondée sur l'accord relatif auxdits contrats afin d'étayer sa constatation selon laquelle le TAA ne reposait pas sur l'application de taux de fret uniformes ou communs au sens du règlement n° 4056/86. Toutefois, dans la décision TAA, la Commission ne se serait pas prononcée sur la légalité des contrats de service conclus en commun. Leur validité serait expressément reconnue par l'US Shipping Act 1984 et les gouvernements des États membres ont depuis longtemps reconnu les avantages que de tels contrats procurent. D'après les requérantes, si l'interprétation avancée par la Commission est exacte, la décision TAA devrait alors être annulée compte tenu de son absence de motivation et de la violation des droits fondamentaux de la défense consacrés, notamment, par l'article 4 du règlement n° 99/63.

423.
    Dans son mémoire en défense, la Commission soutient, en revanche, que la décision TAA n'interdit pas, et n'a pas pour but d'interdire, les contrats de service conclus en commun et que la demande d'annulation formulée par les requérantes est, dès lors, sans objet.

B - Appréciation du Tribunal

424.
    Selon l'article 1er de la décision attaquée, «les dispositions de l'accord TAA relatives aux accords de prix et de capacités constituent des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité». Dans la partie de la décision TAA contenant l'appréciation juridique des accords portant fixation des prix du transport maritime, il est exposé aux considérants 285 et 286 ce qui suit: «Les accords de fixation de prix sur le transport maritime conclus par les compagnies maritimes membres du TAA sont des accords entre entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1, [du traité]. Ces accords, décrits aux considérants 11 à 15 ont pour objet ou pour effet de restreindre le jeu de la concurrence dans le marché commun.» Il s'ensuit que les accords visés à l'article 1er de la décision TAA sont les accords «décrits aux considérants 11 à 15 de [cette] décision».

425.
    S'il est exact que les considérants 13 à 15 de la décision TAA concernent les contrats de service, il y a lieu d'observer que lesdits considérants se bornent à exposer que le TAA soumettait la conclusion de contrats de service par les membres de la conférence à une série de règles et conditions quant à leur durée, aux quantités minimales sur lesquelles ils devaient porter et aux modalités de leur négociation.

426.
    Force est dès lors de constater qu'il ne saurait être déduit du renvoi effectué par le considérant 286 à ces passages de la décision TAA que celle-ci interdit la conclusion en commun de contrats de service.

427.
    Il s'ensuit que, comme la Commission le soutient à juste titre, la demande des requérantes visant à l'annulation des articles 1 à 4 de la décision TAA dans la mesure où ils interdisent les contrats de service conclus en commun est dépourvue d'objet et doit, partant, être rejetée.

Conclusion

428.
    Il résulte de l'ensemble de l'examen auquel le Tribunal a procédé que l'article 5 de la décision TAA doit être annulé et que le recours doit être rejeté pour le surplus.

Sur les dépens

429.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Selon l'article 87, paragraphe 3, premier alinéa dudit règlement, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

430.
    Les requérantes ayant succombé pour l'essentiel, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que les quatre cinquième des dépens, y compris ceux afférents aux deux procédures en référé T-395/94 R et T-395/94 R II, exposés par la Commission et les parties intervenantes, l'ECTU, l'AUTF et la FTA, conformément à leurs conclusions en ce sens.

431.
    Conformément à l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, les parties intervenantes, l'ECSA et la JSA, supporteront leurs propres dépens, y compris ceux afférents aux deux procédures en référé susvisées.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

1)    L'article 5 de la décision 94/980/CE de la Commission, du 19 octobre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/34.446 - Trans Atlantic Agreement), est annulé.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)    Les requérantes supporteront leurs propres dépens ainsi que les quatre cinquième des dépens exposés par la Commission et par les parties intervenantes The Freight Transport Association Ltd, l'Association des utilisateurs de transport de fret et The European Council of Transport Users ASBL, y compris ceux afférents aux deux procédures en référé T-395/94 R et T-395/94 R II.

4)    La Commission supportera un cinquième de ses propres dépens.

5)    Les parties intervenantes The Freight Transport Association Ltd, l'Association des utilisateurs de transport de fret et The European Council of Transport Users ASBL supporteront un cinquième de leurs propres dépens.

6)    Les parties intervenantes The European Community Shipowners' Association ASBL et The Japanese Shipowners' Association supporteront leurs propres dépens, y compris ceux afférents aux procédures en référé T-395/94 R et T-395/94 R II.

Lenaerts
Azizi
Jaeger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 février 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

M. Jaeger

Table des matières

     Cadre juridique

II - 3

     Faits à l'origine du litige

II - 6

     Procédure

II - 13

     Conclusions des parties

II - 14

     Sur l'intérêt à statuer

II - 15

     Sur le fond

II - 16

     Sur la demande principale d'annulation de la décision attaquée

II - 17

         I - Sur le premier moyen, pris de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité

II - 17

             A - Arguments des parties

II - 17

             B - Appréciation du Tribunal

II - 19

         II - Sur le deuxième moyen, pris de la non-application au TAA de l'exemption par catégorie prévue à l'article 3 du règlement n° 4056/86

II - 27

             A - Arguments des requérantes

II - 27

                 1. Sur l'appréciation erronée des caractéristiques économiques du transport maritime de ligne

II - 27

                     a) Sur l'irrecevabilité partielle du mémoire en défense de la Commission

II - 27

                     b) Caractéristiques économiques du marché des services réguliers de transport maritime

II - 28

                     c) Effets stabilisateurs du TAA sur la route transatlantique

II - 30

                     d) Reconnaissance par le droit communautaire de l'instabilité intrinsèque du marché des services réguliers de transport maritime

II - 30

                 2. Sur la définition de la conférence maritime au sens du règlement n° 4056/86 et sur la structure tarifaire duale du TAA

II - 33

             B - Arguments de l'ECSA et de la JSA

II - 35

             C - Arguments de la Commission

II - 36

             D - Arguments de la FTA, de l'AUTF et de l'ECTU

II - 36

             E - Appréciation du Tribunal

II - 36

                 1. Sur la définition de la conférence maritime au sens du règlement n° 4056/86

II - 38

                 2. Sur la qualification du TAA

II - 47

                 3. Conclusions sur l'exemption par catégorie

II - 49

         III - Sur le troisième moyen, pris du refus de l'octroi d'une exemption individuelle

II - 49

             A - Décision TAA

II - 49

                 1. Sur les accords relatifs au transport maritime

II - 50

                     a) Première condition: améliorer la production ou la distribution des produits ou promouvoir le progrès technique ou économique

II - 50

                     b) Deuxième condition: réserver aux utilisateurs une partie équitable du profit

II - 51

                     c) Troisième condition: ne pas imposer aux entreprises intéressées des restrictions non indispensables pour atteindre les objectifs recherchés

II - 51

                     d) Quatrième condition: ne pas donner aux entreprises concernées la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence

II - 51

                 2. Sur les accords relatifs au transport terrestre

II - 53

                     a) Première condition

II - 53

                     b) Deuxième condition

II - 54

                     c) Troisième condition

II - 54

                     d) Quatrième condition

II - 54

             B - Arguments des requérantes

II - 54

                 1. S'agissant du refus d'octroi de l'exemption individuelle aux accords relatifs au transport maritime

II - 55

                     a) Première condition

II - 55

                     b) Deuxième condition

II - 55

                     c) Troisième condition

II - 55

                     d) Quatrième condition

II - 56

                     i) Marché pertinent

II - 56

                     S'agissant du marché des services en cause

II - 57

                     S'agissant du marché géographique pertinent

II - 57

                     ii) Concurrence

II - 58

                     S'agissant de la concurrence interne

II - 58

                     S'agissant de la part de marché détenue par les membres du TAA et de la concurrence qu'ils exercent sur le marché en cause

II - 60

                     S'agissant de la concurrence externe

II - 60

                     - Effets cumulés des différentes sources de concurrence externe

II - 60

                     - Concurrence potentielle

II - 61

                 2. S'agissant du refus d'octroi de l'exemption individuelle aux accords relatifs au transport terrestre

II - 63

             C - Arguments de l'ECSA

II - 64

             D - Arguments de la Commission

II - 64

             E - Arguments de la FTA et de l'ECTU

II - 64

             F - Appréciation du Tribunal sur l'exemption individuelle

II - 65

                 1. Recevabilité de certains éléments du mémoire en défense et de ses annexes

II - 65

                 2. Sur le refus d'accorder une exemption individuelle aux accords relatifs au transport maritime

II - 68

                     a) Sur la définition du marché en cause

II - 68

                     i) Sur le marché des services en cause

II - 68

                 Sur le transport aérien

II - 69

                 Sur le transport maritime de ligne conventionnel (break-bulk)

II - 71

                     ii) Dimension géographique du marché en cause

II - 73

                     b) Sur la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des services en cause

II - 75

                     i) Sur la concurrence interne

II - 75

                     ii) Sur la partie substantielle du marché en cause détenue par les membres du TAA

II - 80

                     iii) Sur la concurrence externe

II - 82

                     Concurrence sur la route transatlantique directe

II - 83

                     Autres sources de concurrence (la concurrence potentielle)

II - 85

                     - Substitution du côté de l'offre

II - 86

                     - Sur la concurrence exercée par les transporteurs absents de la route transatlantique, mais susceptibles d'y entrer

II - 88

                     Sur l'exemption, à titre individuel, des accords portant fixation des prix du transport terrestre

II - 92

     Sur la violation de l'article 190 du traité

II - 93

     Sur la violation de l'accord sur l'Espace économique européen

II - 93

         I - Arguments des parties

II - 93

         II - Appréciation du Tribunal

II - 94

     Sur les conclusions subsidiaires

II - 95

         I - Sur l'annulation des articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision TAA dans la mesure où ils interdisent la possibilité de fixer les prix pour le transport combiné

II - 95

             A - Arguments des parties

II - 95

             B - Appréciation du Tribunal

II - 96

         II - Sur l'annulation de l'article 5 de la décision TAA concernant les contrats de service

II - 98

             A - Arguments des parties

II - 98

             B - Appréciation du Tribunal

II - 100

         III - Sur l'annulation des articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision TAA dans la mesure où ils interdiraient les contrats de service conclus en commun

II - 103

             A - Arguments des parties

II - 103

             B - Appréciation du Tribunal

II - 104

     Conclusion

II - 104

     Sur les dépens

II - 104


1: Langue de procédure: l'anglais.