Language of document : ECLI:EU:T:2011:695

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

24 novembre 2011 (*)

« Référé – Concurrence – Concentration d’entreprises – Décision déclarant la concentration compatible avec le marché commun sous condition de rétrocessions d’actifs – Annulation par le Tribunal de la décision initiale concernant l’agrément, par la Commission, de l’acquéreur des actifs rétrocédés – Demande de sursis à l’exécution de la décision relative au nouvel agrément du même acquéreur – Défaut d’urgence – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑471/11 R,

Éditions Odile Jacob SAS, établie à Paris (France), représentée par Mes O. Fréget, M. Struys et L. Eskenazi, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. C. Giolito, Mme O. Beynet et M. S. Noë, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision C (2011) 3503 de la Commission, du 13 mai 2011, relative à l’agrément de Wendel Investissement SA comme acquéreur des actifs rétrocédés conformément à la décision 2004/422/CE de la Commission, du 7 janvier 2004, déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord sur l’EEE (Affaire COMP/M.2978 – Lagardère/Natexis/VUP),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        En avril 2003, Lagardère SCA (ci-après « Lagardère »), active dans les secteurs de l’édition, de la diffusion et de la distribution de livres, de la communication, des médias ainsi que des hautes technologies, a procédé, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (version rectifiée au JO 1990, L 257, p. 13), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1), à la notification auprès de la Commission des Communautés européennes d’un projet de concentration par lequel elle entendait acquérir le contrôle de l’ensemble de Vivendi Universal Publishing SA (VUP), devenue Editis SA, active dans le secteur de l’édition, de la diffusion et de la distribution de livres.

2        En octobre 2003, la Commission a adressé à Lagardère une communication des griefs lui exposant les problèmes de concurrence soulevés par l’opération de concentration notifiée, du fait qu’elle avait identifié des problèmes de création ou de renforcement de positions dominantes sur plusieurs marchés. En conséquence, Lagardère a présenté à la Commission une série de mesures correctives prenant la forme d’engagements de rétrocession d’actifs cibles. Elle s’est notamment engagée à ne conserver que 40 % des actifs d’Editis et à revendre les 60 % restants.

3        Par la décision 2004/422/CE, du 7 janvier 2004, déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord sur l’Espace économique européen (Affaire COMP/M.2978 – Lagardère/Natexis/VUP) (JO L 125, p. 54), la Commission a autorisé l’opération de concentration en cause, sous réserve cependant du respect intégral par Lagardère d’une série d’engagements (ci-après la « décision de compatibilité »).

4        Aux termes de ces engagements, Lagardère s’est obligée à rétrocéder les actifs d’Editis, à l’exclusion de certains actifs limitativement énumérés, et à conclure des accords irrévocables de rétrocession. Lagardère disposait de la faculté de choisir le repreneur de ces actifs, en fonction de critères de sélection définis, notamment celui visant à préserver une concurrence effective sur les marchés concernés. Lagardère s’engageait donc à céder les actifs en cause à un cessionnaire qui serait indépendant d’elle et qui remplirait plusieurs conditions.

5        Toujours selon ses engagements, Lagardère était tenue de soumettre le choix du cessionnaire à l’agrément de la Commission et de désigner un mandataire indépendant qui devait posséder les qualifications nécessaires pour assurer la réalisation des engagements de Lagardère et ne devait pas être exposé à un conflit d’intérêts.

6        En février 2004, le cabinet S. a été agréé comme mandataire par la Commission et, ensuite, nommé en qualité de mandataire par Lagardère.

7        Lagardère s’est rapprochée d’une douzaine d’entreprises susceptibles de racheter les actifs d’Editis, dont le consortium formé entre, d’une part, la requérante et Crédit industriel et commercial SA (ci-après « CIC ») et, d’autre part, la société Providence Equity Partners Ltd, qui a communiqué une offre de reprise à Lagardère en avril 2004.

8        En mai 2004, Lagardère, après avoir annoncé qu’elle retenait les offres de rachat de cinq acquéreurs potentiels, dont celle de la requérante, mais qu’elle accordait une exclusivité à l’un d’eux, à savoir Wendel Investissement SA (ci-après « Wendel »), est parvenue avec Wendel à un projet d’accord de rachat des actifs d’Editis.

9        Dans ces circonstances, la requérante a saisi le président du tribunal de commerce de Paris d’une demande en référé visant à obtenir la suspension de la procédure de sélection entamée par Lagardère. Cette demande a été rejetée par ordonnance du 23 juin 2004, notamment, aux motifs que la requérante ne pouvait utilement invoquer un dommage imminent pour atteinte à ses droits, lesquels droits s’étant limités à la possibilité de présenter à Lagardère une offre indicative et d’être présélectionnée, et que l’urgence n’avait pas été démontrée.

10      En juin 2004, Lagardère a demandé à la Commission d’agréer Wendel comme acquéreur de ces actifs. En juillet 2004, le cabinet S. a présenté à la Commission son rapport de synthèse concluant à la conformité de la candidature de Wendel aux critères d’agrément.

11      Par décision (2004) D/203365, du 30 juillet 2004, la Commission a agréé Wendel comme acquéreur des actifs d’Editis, après avoir constaté qu’elle remplissait les critères d’agrément fixés par les engagements de Lagardère (ci-après la « première décision d’agrément »).

12      Toujours en juillet 2004, la requérante a introduit devant le Tribunal un recours visant à l’annulation de la décision de compatibilité (affaire T‑279/04).

13      Le transfert de la propriété à Wendel des actifs d’Editis est intervenu le 30 septembre 2004.

14      En novembre 2004, la requérante a introduit devant le Tribunal un autre recours, visant à l’annulation de la première décision d’agrément (affaire T‑452/04).

15      Le 30 mai 2008, Wendel a revendu les actifs d’Editis au groupe espagnol Planeta (ci-après « Planeta »), opérant dans le secteur des médias et, notamment, de l’édition.

16      Par arrêt du Tribunal du 13 septembre 2010, Éditions Jacob/Commission (T‑279/04, non encore publié au Recueil), le recours visant à l’annulation de la décision de compatibilité a été rejeté.

17      En revanche, par son arrêt du 13 septembre 2010, Éditions Jacob/Commission (T‑452/04, non encore publié au Recueil), le Tribunal a retenu le moyen tiré de l’illégalité de la première décision d’agrément en ce qu’elle avait été adoptée au vu d’un rapport rédigé par un mandataire qui ne répondait pas à la condition d’indépendance, à l’égard d’Editis, requise par les engagements de Lagardère, du fait que le président du cabinet S. se trouvait dans un lien de dépendance à l’égard d’Editis, de nature à susciter un doute sur la neutralité dont il devait faire preuve dans l’exercice de sa mission. Le Tribunal a donc annulé la première décision d’agrément, sans examiner les autres moyens d’annulation présentés par la requérante.

18      Les deux arrêts du Tribunal du 13 septembre 2010 font l’objet de pourvois actuellement pendants devant la Cour, formés, respectivement, par la Commission, par Lagardère et par la requérante.

19      À la suite de l’arrêt ayant annulé la première décision d’agrément (affaire T‑452/04), Lagardère a réitéré, en novembre 2010, sa demande d’agrément de Wendel et a soumis, en décembre 2010, la candidature d’un nouveau mandataire, à savoir la société C. R.

20      En janvier 2011, la Commission a approuvé C. R. comme mandataire. Ensuite, la Commission a entretenu une série de contacts avec Wendel, Lagardère, Editis et la requérante. En mai 2011, C. R. a présenté son rapport de mandataire à la Commission, dans lequel elle concluait que Wendel répondait aux critères d’agrément.

21      Le 13 mai 2011, la Commission a adopté la décision C (2011) 3503 (ci-après la « décision attaquée ») accordant, de nouveau, l’agrément à Wendel en tant qu’acquéreur des actifs d’Editis, conformément à la décision de compatibilité du 7 janvier 2004.

22      Dans la décision attaquée, d’une part, la Commission expose que – à la suite de l’annulation de la première décision d’agrément et compte tenu de ce que, entre-temps, Wendel a cédé les actifs d’Editis à Planeta et Lagardère a réitéré sa demande d’agrément – elle se sentait obligée, pour des raisons de bonne administration et de sécurité juridique, de prendre une nouvelle décision d’agrément, sur le fondement de la décision de compatibilité, tout en tenant compte des motifs de l’arrêt d’annulation du Tribunal. Selon la Commission, contrairement à la thèse défendue par la requérante, la décision de compatibilité reste entièrement valide, étant donné que le recours dirigé contre cette décision a été rejeté et que l’annulation de la première décision d’agrément n’entraîne aucunement l’inapplicabilité de la décision de compatibilité.

23      D’autre part, s’agissant de l’évaluation de la candidature de Wendel, la Commission constate que cette dernière remplissait, en 2004, les critères d’agrément figurant aux engagements de Lagardère attachés à la décision de compatibilité, cette appréciation étant d’ailleurs confirmée par le rapport émis par le nouveau mandataire, C. R. En effet, au moment de la demande initiale d’agrément, Wendel aurait notamment été un opérateur viable, capable, indépendant du groupe Lagardère et ayant les incitations économiques de maintenir et de développer une concurrence effective. En outre, Wendel n’étant pas encore présente, en 2004, dans le secteur de l’édition de livres, l’acquisition des actifs d’Editis n’aurait pas été de nature à créer de nouveaux problèmes de concurrence.

24      Enfin, la Commission relève que l’analyse qui vient d’être faite en faveur de Wendel est corroborée par l’évolution postérieure d’Editis, cette dernière ayant enregistré, depuis 2004, une croissance soutenue et son rachat, en 2008, par Planeta n’ayant pas affecté la compétitivité d’Editis sur les marchés de l’édition francophone. Par ailleurs, la Commission indique que, dans son rapport, C. R. confirme cette appréciation de l’évolution d’Editis postérieure à 2004.

25      La décision attaquée a été communiquée à la requérante le 27 juin 2011.

 Procédure et conclusions des parties

26      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 septembre 2011, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée. À l’appui de ce recours, elle reproche à la Commission, en substance, d’avoir violé l’article 266 TFUE et le principe de non-rétroactivité, en fixant la date d’effet de la décision attaquée au 30 juillet 2004, d’avoir adopté la décision attaquée sans base légale, puisque la décision de compatibilité serait devenue inapplicable à la suite du constat, par le Tribunal, du non-respect par Lagardère de certains de ses engagements, et d’avoir commis des erreurs dans l’appréciation de la candidature de Wendel.

27      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée jusqu’au prononcé de l’arrêt au fond ;

–        condamner la Commission aux dépens.

28      Dans ses observations déposées au greffe du Tribunal le 26 septembre 2011, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

29      Il ressort d’une lecture combinée de l’article 278 TFUE et de l’article 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions, organes et organismes de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un tel acte ou prescrire des mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

30      En outre, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

31      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73).

32      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de mesures provisoires, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

33      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition de l’urgence est remplie.

 Sur l’urgence

34      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires (ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 1991, Abertal e.a./Commission, C‑213/91 R, Rec. p. I‑5109, point 18 ; ordonnances du président du Tribunal du 19 décembre 2001, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 R et T‑207/01 R, Rec. p. II‑3915, point 95, et du 3 décembre 2002, Neue Erba Lautex/Commission, T‑181/02 R, Rec. p. II‑5081, point 82). Cependant, il n’est pas suffisant d’alléguer que l’exécution de l’acte dont le sursis est sollicité est imminente, mais il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir un préjudice de cette nature (ordonnance du président du Tribunal du 25 juin 2002, B/Commission, T‑34/02 R, Rec. p. II‑2803, point 85). Si l’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant. La partie qui sollicite les mesures provisoires demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67, et ordonnance Neue Erba Lautex/Commission, précitée, point 83].

35      Il est également de jurisprudence bien établie qu’un préjudice d’ordre financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut, en règle générale, faire l’objet d’une compensation financière ultérieure. Dans un tel cas de figure, la mesure provisoire sollicitée se justifie s’il apparaît que, en l’absence de cette mesure, le requérant se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure principale ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière irrémédiable et importante au regard, notamment, de la taille de son entreprise (voir ordonnance du président du Tribunal du 28 avril 2009, United Phosporus/Commission, T‑95/09 R, non publiée au Recueil, points 33 à 35, et la jurisprudence citée).

36      En l’espèce, la requérante soutient, premièrement, que le caractère urgent de sa demande en référé se déduit de la seule ancienneté des faits en cause, qui remontent, en effet, à l’année 2004. Dans ce contexte, elle invoque les exigences de délai raisonnable au sens de l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et rappelle que, selon l’arrêt de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission (C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 47), une instruction devant le Tribunal de l’ordre de cinq ans et six mois constituait une violation du droit de la partie concernée de voir sa cause entendue dans un délai raisonnable. En l’occurrence, l’ancienneté des faits serait également de nature à justifier, à elle seule, la suspension de la décision attaquée afin d’éviter que le caractère exécutoire et rétroactif de cette décision n’amplifie l’atteinte grave déjà portée aux droits de la requérante à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable.

37      À cet égard, il suffit de constater, ainsi que la Commission l’a fait valoir à juste titre, que la question de savoir si les procédures pendantes devant le Tribunal dans les affaires T‑279/04 et T‑452/04, précitées, auraient dû durer moins de six années est sans pertinence pour la réponse à donner à la question déterminante dans le présent contexte, soit celle de savoir si la requérante risque de subir, dans le futur, un préjudice grave et irréparable en cas d’exécution immédiate de la décision attaquée.

38      En effet, d’une part, selon une jurisprudence constante, la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision à intervenir dans la procédure principale (voir ordonnance du président du Tribunal du 30 avril 2008, Espagne/Commission, T‑65/08 R, non publiée au Recueil, point 71, et la jurisprudence citée). D’autre part, dans le cadre de l’examen de l’urgence, le juge des référés ne saurait tenir compte que du préjudice qui serait occasionné par la seule décision attaquée (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 15 septembre 2011, Hüttenwerke Krupp Mannesmann e.a./Commission, T‑379/11 R, non publiée au Recueil, point 21). Par conséquent, la durée des procédures juridictionnelles ayant précédé l’adoption de la décision attaquée est dénuée de pertinence pour déterminer s’il y a ou non urgence, pour la requérante, à obtenir le sursis à l’exécution de cette décision.

39      Il s’ensuit que l’« ancienneté des faits » dénoncée par la requérante ne saurait, à elle seule, justifier le sursis à exécution sollicité.

40      La requérante poursuit en alléguant, deuxièmement, qu’il serait à craindre que, tant que la décision attaquée serait exécutoire, la Commission refuserait d’appliquer l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89, aux termes duquel elle peut infliger à Lagardère une amende pour violation de ses engagements. Or, l’engagement de cette « procédure disciplinaire » serait un élément essentiel aux fins de la réparation du préjudice moral, de réputation et de crédibilité que la requérante aurait subi à la suite de son éviction, au profit de Wendel, de la procédure de sélection d’un repreneur des actifs d’Editis. Son éviction de cette procédure aurait porté une atteinte grave à la crédibilité de ses dirigeants auprès de partenaires d’envergure pour des opérations de grande ampleur sur le marché français de l’édition. Le prononcé d’une sanction constituerait ainsi un des éléments essentiels du rétablissement de la requérante dans la plénitude de ses droits. Eu égard à l’ancienneté des faits, l’absence de toute instruction de la Commission risquerait d’entraîner un dépérissement de preuves, susceptible de rendre impossible toute sanction et privant la requérante de toute protection juridictionnelle effective.

41      À cet égard, il y a lieu de relever que, ainsi que la Commission l’a fait observer à bon droit, l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89 n’oblige en rien la Commission à sanctionner, sur demande de la requérante, toute violation, par Lagardère, de ses engagements. Cette disposition ne confère à la Commission que la faculté d’agir de la sorte (« peut »), lorsqu’elle estime que le dossier en question le justifie. La requérante ne saurait donc utilement prétendre que l’octroi du sursis à exécution sollicité aurait pour conséquence nécessaire l’ouverture, par la Commission, de la procédure visée à l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89.

42      Il convient d’ajouter que, s’agissant du préjudice moral allégué par la requérante, cette dernière a participé, en 2004, à une procédure tendant à sélectionner le repreneur des actifs d’Editis, organisée sous forme d’« enchères privées » par Lagardère, dans le cadre de laquelle cette dernière disposait, ainsi que le Tribunal l’a constaté au point 27 de l’arrêt du 13 septembre 2010 (T‑452/04, point 17 supra), de la faculté de choisir le repreneur des actifs en cause, et ce en fonction des critères de sélection définis dans ses engagements. Par conséquent, c’est Lagardère, et non la Commission, qui a choisi de retenir l’offre de rachat présentée par Wendel, en la préférant à celle de la requérante. La Commission s’est limitée, dans la décision attaquée, à approuver ce choix, sans se prononcer sur la qualité ou l’adéquation de l’offre de rachat qui avait été présentée par la requérante. La décision attaquée ne comporte, notamment, aucun jugement de valeur négatif sur la requérante susceptible de porter atteinte à sa réputation.

43      Dans ces circonstances, à supposer que la réputation de la requérante ait effectivement été affectée par l’absence de sélection de son offre de rachat, la décision attaquée ne pourrait aucunement être considérée comme constituant la cause déterminante du préjudice moral allégué (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 26 mars 2010, SNF/ECHA, T‑1/10 R, non publiée au Recueil, point 66, et du 17 décembre 2010, Uspaskich/Parlement, T‑507/10 R, non publiée au Recueil, point 31). Cette cause serait plutôt à trouver dans le seul choix opéré par Lagardère.

44      Par ailleurs, il apparaît très douteux que l’absence de sélection de l’offre présentée par la requérante soit réellement de nature à porter atteinte à sa réputation. En effet, il a été jugé que la participation à une procédure visant à sélectionner le repreneur d’actifs à céder dans le cadre d’une concentration, comme celle intervenue en l’espèce, implique forcément des risques pour tous les participants, de sorte que l’élimination d’un candidat ne suffit pas, en soi, à démontrer une urgence (ordonnance du président du Tribunal du 17 janvier 2001, Petrolessence et SG2R/Commission, T‑342/00 R, Rec. p. II‑67, point 44).

45      De plus, dans un contexte comparable, celui des soumissions publiques, il a été jugé que la participation à une telle soumission, par nature hautement compétitive, implique des risques pour tous les participants et que le rejet de l’offre d’un soumissionnaire, en vertu des règles de passation de marchés publics, n’a, en elle-même, rien de préjudiciable. Lorsqu’une société a vu ses offres illégalement rejetées dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, il existe d’autant moins de raisons de penser qu’elle risque de subir une atteinte grave et irréparable à sa réputation que, d’une part, ledit rejet de ses offres est sans lien avec ses compétences et, d’autre part, l’arrêt d’annulation qui s’ensuivra permettra en principe de rétablir une éventuelle atteinte à sa réputation (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 31 août 2010, Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, T‑299/10 R, non publiée au Recueil, point 59, et la jurisprudence citée). Rien ne s’oppose à ce que ce raisonnement soit transposé à la procédure de sélection faisant l’objet du présent litige.

46      Au demeurant, ainsi qu’il ressort du dossier, parmi les cinq acquéreurs potentiels placés sur liste restreinte par Lagardère (voir point 8 ci-dessus), figuraient des entreprises renommées du monde de l’édition, à savoir les sociétés Gallimard et Média participations. Or, la requérante n’a fourni aucune information sur des propos, tenus par elles ou propagés par les médias, faisant état de ce que l’échec de leur participation à la procédure de sélection lancée par Lagardère aurait été considéré comme portant atteinte à leur réputation. Dans ces conditions, il apparaît hautement improbable que la réputation de la seule requérante ait pu être affectée par l’échec de sa participation à la procédure en cause.

47      En tout état de cause, dans la mesure où la requérante considère l’ouverture de la procédure de l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89 comme nécessaire en vue d’obtenir la « réparation » du préjudice moral allégué, force est de constater que la finalité de la procédure en référé n’est pas d’assurer la réparation d’un préjudice, mais de garantir la pleine efficacité de l’arrêt au fond [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 25 mars 1999, Willeme/Commission, C‑65/99 P(R), Rec. p. I‑1857, point 62 ; ordonnances du président du Tribunal du 15 mai 2003, Sison/Conseil, T‑47/03 R, Rec. p. II‑2047, point 41, et du 27 août 2008, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 R, non publiée au Recueil, point 53].

48      Dès lors, la condition relative à l’urgence n’est pas remplie en ce qui concerne le préjudice moral allégué.

49      Il s’ensuit que ni la référence de la requérante à l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89 ni l’invocation d’un préjudice moral ne justifient le sursis à exécution sollicité.

50      La requérante affirme, troisièmement, que la mise en vente des actifs d’Editis représentait pour elle une opportunité exceptionnelle de remporter les actifs en cause. Par son éviction de la procédure de sélection, elle aurait perdu une chance réelle et sérieuse. En effet, son offre aurait été financièrement équivalente à celle de Wendel et supérieure à celle-ci, d’un point de vue concurrentiel, puisqu’elle disposait de l’expertise sectorielle nécessaire et des incitations à développer Editis sur le long terme, sans présenter aucun problème de concurrence, à la différence des autres groupes d’édition candidats à la reprise, à savoir Gallimard et Média participations, qui n’apparaissaient pas suffisamment indépendants de Lagardère. Par conséquent, si l’offre de rachat de Wendel n’avait pas été retenue, celle de la requérante aurait, selon toute probabilité, été choisie.

51      Selon la requérante, cette perte d’une chance a engendré un préjudice considérable lié aux dividendes que la détention des actifs d’Editis lui aurait apportés. Renvoyant au projet d’une lettre d’offre pour l’acquisition d’Editis par le groupe Odile Jacob et Providence Equity Partners, la requérante précise que, si son offre de rachat avait été retenue, elle aurait dû disposer de 50 % de la plus-value nette de 500 millions d’euros que Wendel avait réalisée à l’occasion de la cession d’Editis à Planeta en 2008. Ainsi, le manque à gagner sur la période de 2004 à 2008 devrait être évalué à 250 millions d’euros. Un tel préjudice devrait être qualifié de grave, si on le compare au chiffre d’affaires de la requérante, lequel s’établit en moyenne entre 10 et 14 millions d’euros.

52      La requérante craint que l’exécution immédiate de la décision attaquée n’ait pour conséquence qu’elle n’obtienne aucune réparation intégrale, ni en nature ni financièrement, du préjudice subi. En effet, cette exécution pourrait paralyser l’action qu’elle a engagée, en novembre 2010, devant le tribunal de commerce de Paris en vue de faire annuler la cession intervenue entre Lagardère et Wendel et d’obtenir une réparation en nature des effets de la première décision d’agrément annulée, consistant en la réorganisation, par Lagardère, d’une procédure d’appel d’offres objective, non discriminatoire et transparente.

53      La requérante ajoute que la perte de sa chance de remporter les actifs d’Editis lui a causé d’autres préjudices, très difficiles à évaluer, tenant à la privation d’une opportunité concurrentielle considérable de mieux valoriser ses propres actifs éditoriaux. Si son offre avait été retenue, cela lui aurait, en effet, permis de valoriser le plus complètement possible son fonds éditorial, d’attirer encore davantage d’auteurs internationaux de grand prestige pour ses propres collections et d’atteindre une visibilité et une crédibilité exceptionnelles dans le secteur des livres.

54      À cet égard, il y a lieu de constater, d’une part, que ce troisième type de préjudice allégué par la requérante est, en substance, de nature financière. D’autre part, à le supposer avéré, ce préjudice serait essentiellement causé par l’absence de sélection de l’offre de rachat que la requérante avait présentée dans le cadre de la procédure de sélection organisée par Lagardère.

55      Or, ainsi qu’il a été exposé au point 42 ci-dessus, c’est Lagardère, et non la Commission, qui a choisi de retenir l’offre de rachat présentée par Wendel et de la préférer à celle de la requérante, en évinçant cette dernière de la procédure de sélection. En revanche, la Commission s’est limitée, dans la décision attaquée, à approuver le choix opéré par Lagardère, sans se prononcer sur l’offre de rachat présentée par la requérante. Il s’ensuit que la décision attaquée ne saurait être considérée comme constituant la cause déterminante du préjudice financier prétendument causé à la requérante par l’absence de sélection de son offre de rachat, cette cause étant plutôt à trouver dans le choix de Wendel effectué par Lagardère (voir point 43 ci-dessus).

56      De plus, ainsi qu’il a été rappelé au point 47 ci-dessus, la finalité de la procédure en référé n’est pas d’assurer la réparation d’un préjudice, mais de garantir la pleine efficacité de l’arrêt au fond. Par conséquent, l’octroi du sursis à exécution sollicité n’apparaît pas justifié dans la mesure où la requérante le juge nécessaire pour lui permettre d’obtenir la réparation, en nature ou financière, du préjudice qu’elle aurait subi.

57      Il est vrai que, si l’exécution de la décision attaquée était suspendue, le choix de Wendel effectué par Lagardère ne serait provisoirement plus couvert par l’agrément de la Commission. Cependant, contrairement à la thèse de la requérante, une telle mesure – et même une annulation de la décision attaquée – n’aurait pas pour conséquence directe que Lagardère choisisse nécessairement l’offre de la requérante.

58      En effet, il importe de rappeler que, après avoir initialement reçu une douzaine d’offres pour le rachat des actifs d’Editis, Lagardère a arrêté une liste restreinte de cinq acquéreurs potentiels, parmi lesquels figuraient la requérante, Wendel, Gallimard et Média participations. À supposer même que, dans l’hypothèse d’une éviction de Wendel, les offres présentées par ces deux dernières entreprises soulèvent réellement des problèmes concurrentiels, ainsi que la requérante le prétend, rien n’obligerait Lagardère à retenir en conséquence la seule offre restante, celle de la requérante. D’une part, la requérante reste silencieuse sur le point de savoir pour quelles raisons Lagardère devrait préférer son offre à celle de la cinquième entreprise retenue sur liste restreinte, laquelle est d’ailleurs identifiée dans la décision attaquée comme étant la société Paleta, qui a, entre-temps, acquis les actifs en cause. D’autre part, la requérante s’abstient d’expliquer pour quelle raison Lagardère serait empêchée, en cas d’éviction de Wendel, de recommencer une sélection parmi les douze candidats initiaux ou de relancer une toute nouvelle procédure de sélection.

59      Par conséquent, le préjudice financier que la requérante cherche à éviter par une suspension de l’agrément de l’offre de Wendel apparaît hypothétique. Or, il est de jurisprudence bien établie qu’un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi de mesures provisoires (voir ordonnance SNF/ECHA, précitée, point 48, et la jurisprudence citée).

60      Pour autant que la décision attaquée ait néanmoins contribué, dans une certaine mesure, à renforcer la perte de chance de la requérante d’être sélectionnée pour le rachat des actifs d’Editis, le juge des référés estime que la jurisprudence élaborée dans un contexte comparable, celui des procédures d’appel d’offres en vue de la passation de marchés publics, peut être transposée au cas d’espèce en ce qui concerne le préjudice financier allégué, dans la mesure où ce préjudice est quantifiable et a, d’ailleurs, été explicitement chiffré par la requérante.

61      Selon cette jurisprudence, une procédure d’appel d’offres a pour objet de permettre à l’autorité concernée de choisir, parmi plusieurs offres concurrentes, celle qui lui paraît la plus conforme aux critères de sélection prédéterminés. Une entreprise qui participe à une telle procédure n’a, dès lors, jamais la garantie absolue que le marché lui sera adjugé, mais doit toujours tenir compte de l’éventualité de son attribution à un autre soumissionnaire. Dans ces conditions, les conséquences financières négatives pour l’entreprise en question qui découleraient du rejet de son offre font, en principe, partie du risque commercial habituel auquel chaque entreprise active sur le marché doit faire face (voir ordonnance Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, précitée, point 46, et la jurisprudence citée).

62      Pour ce qui est du caractère irréparable du préjudice financier allégué par la requérante, il y a lieu de rappeler que, lorsque le Tribunal accorde des dommages et intérêts sur la base de l’attribution d’une valeur économique au préjudice subi en raison d’un manque à gagner, cette réparation est, en principe, susceptible de satisfaire à l’exigence, énoncée par la jurisprudence, d’assurer la réparation intégrale du préjudice individuel que la partie concernée a effectivement subi du fait des actes illégaux particuliers dont elle a été victime (voir ordonnance Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, précitée, point 48, et la jurisprudence citée).

63      Il en résulte que, dans l’hypothèse où la requérante obtiendrait gain de cause dans la procédure principale, il pourrait être attribué une valeur économique au préjudice subi en raison de la perte d’une chance de se voir attribuer le marché en cause, ce qui permettrait de satisfaire à l’obligation de réparer intégralement le dommage individuel effectivement subi. Par conséquent, la requérante n’est pas parvenue à établir, avec un degré de probabilité suffisant, que le préjudice quantifiable invoqué est irréparable. Elle n’a, notamment, pas démontré qu’elle serait empêchée d’obtenir une compensation financière ultérieure par la voie d’un recours en indemnité au titre des articles 268 TFUE et 340 TFUE, étant entendu que, selon une jurisprudence bien établie, la seule possibilité de former un tel recours suffit à attester du caractère en principe réparable d’un tel préjudice, et ce malgré l’incertitude liée à l’issue de ce litige indemnitaire [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 14 décembre 2001, Commission/Euroalliages e.a. C‑404/01 P(R), Rec. p. I‑10367, points 70 à 75, et du président du Tribunal du 24 avril 2009, Nycomed Danmark/EMEA, T‑52/09 R, non publiée au Recueil, points 72 et 73].

64      L’éventuel recours en indemnité introduit au titre des articles 268 TFUE et 340 TFUE devant être dirigé contre la Commission, l’argument de la requérante, selon lequel elle risque d’être privée de toute possibilité de recouvrement de sa créance en dommages et intérêts contre Lagardère en raison de la situation financière difficile de celle-ci, doit être rejeté comme dénué de toute pertinence dans le présent contexte indemnitaire. Ne saurait non plus être retenue la référence de la requérante à l’ordonnance du président du Tribunal du 20 juillet 2006, Globe/Commission (T‑114/06 R, Rec. p. II‑2627), dans la mesure où cette ordonnance doit être considérée comme dépassée, la notion de préjudice irréparable étant désormais appréciée à la lumière d’une jurisprudence plus récente (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 10 juillet 2009, TerreStar Europe/Commission, T‑196/09 R, non publiée au Recueil, point 73 ; du 20 janvier 2010, Agriconsulting Europe/Commission, T‑443/09 R, non publiée au Recueil, point 34 ; du 26 mars 2010, Sviluppo Globale/Commission, T‑6/10 R, non publiée au Recueil, point 31, et Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, précitée, point 50).

65      Enfin, la requérante a omis de faire valoir, pièces à l’appui, qu’une exécution immédiate de la décision attaquée la placerait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure principale ou de modifier ses parts de marché de manière irrémédiable et importante au regard de la taille de son entreprise (voir point 35 ci-dessus).

66      Par conséquent, la requérante n’a pas établi le caractère irréparable du préjudice financier quantifiable invoqué.

67      Pour ce qui est de la gravité dudit préjudice, il convient de rappeler qu’elle ne saurait être admise que si la requérante démontre à suffisance de droit qu’elle pourrait retirer des bénéfices suffisamment significatifs de la sélection de son offre de rachat des actifs d’Editis et de la réalisation de ce rachat, l’importance du préjudice en cause devant être évaluée au regard de la taille de cette société ainsi que, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient (voir, en ce sens, ordonnance Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, précitée, point 52, et la jurisprudence citée).

68      De plus, pour pouvoir apprécier si le préjudice qu’appréhende la requérante présente effectivement un caractère grave, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des documents détaillés qui démontrent la situation financière de la requérante et permettent d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées. La requérante est ainsi tenue de fournir, pièces à l’appui, des informations susceptibles d’établir une image fidèle et globale de sa situation financière [voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 7 mai 2010, Almamet/Commission, T‑410/09 R, non publiée au Recueil, points 32, 57 et 61, confirmée sur pourvoi par ordonnance du président de la Cour du 16 décembre 2010, Almamet/Commission, C‑373/10 P(R), non publiée au Recueil, point 24].

69      En l’espèce, si la requérante a chiffré le manque à gagner qui résulterait de l’absence de sélection de son offre de rachat des actifs d’Editis en le comparant avec son chiffre d’affaires qui s’établirait « en moyenne entre 10 à 14 millions d’euros », force est de constater que cette dernière affirmation n’a pas été étayée par des documents détaillés démontrant la situation financière de la requérante et permettant d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient de l’absence du sursis à exécution demandé. La requérante est ainsi restée en défaut de fournir, pièces à l’appui, des informations susceptibles d’établir une image fidèle et globale de sa situation financière, au sens de la jurisprudence citée au point précédent.

70      Au demeurant, les indications figurant dans la demande en référé sont vagues et imprécises. D’une part, s’agissant du pourcentage des dividendes qui lui reviendraient si son offre de rachat était retenue, la requérante renvoie à un simple « projet » de lettre d’offre qui ne porte aucune signature. En outre, pour ce qui est du groupe que la requérante a formé avec CIC aux besoins de la participation à la procédure de sélection ouverte par Lagardère (voir point 7 ci-dessus), elle ne précise pas quelle serait la répartition interne, entre elle-même et cette banque, du pourcentage en cause. D’autre part, la requérante n’indique pas si son chiffre d’affaires, qui s’établirait entre 10 et 14 millions d’euros, est de caractère annuel, trimestriel ou mensuel.

71      Par conséquent, la requérante n’a pas non plus établi la gravité du préjudice financier quantifiable invoqué.

72      La requérante invoque encore un préjudice, qu’elle qualifie de non quantifiable, en soutenant que, si son offre était retenue, elle pourrait valoriser davantage son fonds éditorial, attirer des auteurs internationaux de grand prestige et atteindre une visibilité exceptionnelle dans le secteur des livres.

73      À cet égard, il convient d’observer que, à supposer même que l’atteinte portée à la visibilité et au prestige de la requérante puisse être qualifiée de grave et d’irréparable, le sursis à exécution sollicité ne pourrait être accordé que si la balance des intérêts penchait en faveur de la requérante.

 Sur la balance des intérêts en présence

74      Il est de jurisprudence bien établie que, dans le cadre de la mise en balance des différents intérêts en présence, le juge des référés doit déterminer, notamment, si l’intérêt du requérant à obtenir le sursis à exécution demandé prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte attaqué, en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 26 juin 2003, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 R et C‑217/03 R, Rec. p. I‑6887, point 142 ; voir également ordonnance Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, précitée, point 64).

75      En l’espèce, il convient de rappeler que l’urgence n’a été admise que par présomption et seulement pour l’atteinte qui serait portée à la visibilité et au prestige de la requérante, à l’exclusion de tout intérêt financier et moral de cette dernière. L’intérêt de la requérante se limite donc, en substance, à pouvoir exploiter, notamment à des fins publicitaires, les actifs d’Editis, une fois que ces derniers lui auraient été cédés.

76      En revanche, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, la présente affaire est caractérisée par la circonstance que le sursis à exécution sollicité peut avoir une incidence grave sur les droits et les intérêts de tiers, tels que Wendel et Planeta, sociétés qui, par ailleurs, ne sont pas parties au litige et n’ont donc pu être entendues. Par conséquent, une telle mesure provisoire ne saurait être accordée que dans des circonstances exceptionnelles. S’agissant d’une demande introduite par une entreprise, une telle mesure ne saurait se justifier que s’il apparaissait que, en son absence, la requérante serait exposée à une situation susceptible de mettre en péril sa propre existence (voir, en ce sens, ordonnances Petrolessence et SG2R/Commission, précitée, point 53, et Espagne/Commission, précitée, point 86). Or, ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, la requérante n’a pas affirmé, et encore moins établi, être exposée à ce risque.

77      Enfin, il n’apparaît pas, à première vue, qu’un rejet de la demande en référé placerait la requérante dans une situation irréversible au cas où la décision attaquée serait ultérieurement annulée par le juge du fond. Il semble plutôt, prima facie, qu’une telle annulation aurait un impact assez restreint sur la situation juridique de la requérante en retardant simplement la cession des actifs d’Editis. Ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, elle n’aurait pas pour conséquence directe que ces actifs soient, en exécution de l’article 266 TFUE, automatiquement cédés à la requérante ou que Lagardère soit tenue de retenir l’offre de rachat de celle-ci (voir points 57 et 58 ci-dessus).

78      En conséquence, il y a lieu de constater que la balance des différents intérêts en présence ne penche pas en faveur de la requérante.

79      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la condition relative à l’existence d’un fumus boni juris est remplie.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 24 novembre 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le français.