Language of document : ECLI:EU:T:2001:121

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

24 avril 2001(1)

«Fonctionnaires - Concours - Irrégularité dans le déroulement des épreuves de nature à fausser les résultats - Intérêt à agir»

Dans l'affaire T-159/98,

Ivan Torre, demeurant à Bruxelles (Belgique), Donatella Ineichen, demeurant à Bruxelles,

Alessandro Cavallaro, demeurant à Rome (Italie),

représentés par Me M.-A. Lucas, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Currall et Mme C. Berardis-Kayser, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation, d'une part, des décisions du jury du concours EUR/A/123 attribuant aux requérants une note éliminatoire à la première épreuve de présélection et, d'autre part, des opérations subséquentes du même concours dans la mesure nécessaire au rétablissement des requérants dans leurs droits,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. P. Mengozzi, président, Mme V. Tiili et M. R. M. Moura Ramos, juges,

greffier: M. G. Herzig, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 8 novembre 2000,

rend le présent

Arrêt

Faits et procédure

1.
    Mme Ineichen et MM. Torre et Cavallaro ont participé au concours général EUR/A/123, organisé conjointement par la Commission et la Cour des comptes afin de constituer une réserve de recrutement d'administrateurs de grade A 7/A 6 dans les domaines de la gestion financière et de l'audit.

2.
    Selon l'avis de concours publié au Journal officiel des Communautés européennes du 23 septembre 1997 (JO C 288 A, p. 15), le concours EUR/A/123 comportait quatre épreuves de présélection, consistant en des séries de questions à choix multiple (ci-après les «épreuves a), b), c) et d)»), une épreuve de rédaction (ci-après l'«épreuve e)»), une épreuve sur dossier (ci-après l'«épreuve f)») et, enfin, une épreuve orale. Pour l'épreuve a), notée de 0 à 40 points, le minimum requis était de 20 points. Le minimum requis pour l'ensemble des épreuves b), c) et d), notées chacune de 0 à 10 points, était, quant à lui, de 15 points.

3.
    L'avis de concours prévoyait que seules devaient être corrigées les épreuves e) et f) des candidats ayant obtenu les 320 meilleures notes pour l'ensemble desépreuves a), b), c) et d), à condition qu'ils aient obtenu les minimums requis. De même, il était indiqué que, à l'issue de la correction des épreuves e) et f), seuls les candidats ayant obtenu les 160 meilleures notes ainsi que les notes minimales requises pour chacune de ces épreuves seraient admis à participer à l'épreuve orale.

4.
    Dans les «Instructions aux candidats», distribuées lors du déroulement des épreuves de présélection, il était précisé en outre, en ce qui concerne l'épreuve a), que les candidats recevraient deux questionnaires de 40 questions, portant respectivement sur la gestion financière et sur l'audit, et qu'il leur serait laissé la faculté de choisir entre ces deux domaines. La durée prévue pour l'épreuve a) était d'une heure. Pour répondre au questionnaire, les candidats disposaient d'un formulaire à lecture optique (ci-après le «formulaire»), qui, après le début de l'épreuve, ne pouvait plus être remplacé.

5.
    Il était ajouté dans les mêmes instructions que la valeur de chaque réponse correcte serait de 1 point, qu'une pénalisation de 0,33 point serait appliquée pour chaque réponse erronée, que les réponses erronées pourraient être annulées et, enfin, qu'aucune pénalisation ne serait appliquée en cas de question sans réponse ou de réponse annulée.

6.
    Les épreuves de présélection se sont déroulées le 23 avril 1998. Les requérants ont participé à ces épreuves au centre d'examen de Bruxelles. L'épreuve a) a commencé à 9 h 10. Les requérants, de langue italienne, ont tous choisi, pour cette épreuve, le domaine de la gestion financière.

7.
    En cours d'épreuve, un candidat de langue italienne, qui, comme les requérants, avait opté pour ce domaine, a constaté que, dans son questionnaire, la page correspondant aux questions nos 24 à 28 incluses manquait. L'un des surveillants a alors signalé à tous les candidats de langue italienne l'absence de cette page, en attirant leur attention sur le fait que la correspondance entre le questionnaire et le formulaire était interrompue après la question n° 23. Il est constant entre les parties que, avant la fin de l'épreuve, la page manquante a été distribuée à tous les candidats concernés.

8.
    Par lettres du 28 avril 1998, Mme Ineichen et M. Torre ont adressé au président du jury du concours une demande visant à l'annulation de celui-ci et à l'organisation de nouvelles épreuves pour tous les candidats. Par lettre du 22 mai 1998, M. Cavallaro a, en revanche, demandé au président du jury l'annulation de la seule épreuve a) et qu'il soit procédé à la présélection des candidats sur la base des autres épreuves.

9.
    Par lettres du 2 juillet 1998, au nom du président du jury, Mme D'Haen-Bertier, chef de l'unité 2 «Politique de recrutement; concours et sélections» de la direction A «Politique de personnel» de la direction générale «Personnel et administration»de la Commission, a communiqué aux requérants leurs résultats aux épreuves de présélection, leur indiquant que, en raison de l'insuffisance de ces résultats, il n'avait pas été possible de procéder à la correction de leurs copies dans les épreuves e) et f). Les résultats obtenus par les requérants aux épreuves de présélection étaient les suivants:

M. Torre

-    épreuve a): 18/40

    -    épreuve b): 6,44/10

-    épreuve c): 9,05/10

-    épreuve d): 5,33/10

    total b)+c)+d): 20,82/30

Mme Ineichen

-    épreuve a): 13/40

-    épreuve b): 4,78/10

-    épreuve c): 8,10/10

-    épreuve d): 2,81/10

    total b)+c)+d): 15,69/30

M. Cavallaro

-    épreuve a): 16,67/40

-    épreuve b): 7,22/10

-    épreuve c): 7,62/10

-    épreuve d): 4,62/10

    total b)+c)+d): 19,46/30

10.
    Par lettres du 9 août 1998, Mme D'Haen-Bertier, au nom du président du jury, a rejeté les demandes des requérants des 28 avril et 22 mai 1998.

11.
    Par lettre du 2 octobre 1998, les requérants ont introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») contre les décisions du jury du 2 juillet 1998, leur attribuant une note éliminatoire pour l'épreuve a), contre les décisions du président du jury du 9 août 1998, rejetant leurs demandes des 28 avril et 22 mai 1998 et, enfin, contre les décisions implicites de l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») rejetant lesdites demandes, telles qu'elles sont intervenues les 29 août et 23 septembre 1998.

12.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le même jour, les requérants ont introduit le présent recours.

13.
    Par décisions du 4 mars 1999, l'AIPN a rejeté leur réclamation.

14.
    La procédure écrite a été close le 9 juin 1999.

15.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Par notes des 15 mai et 3 octobre 2000, il a demandé aux parties, à titre de mesures d'organisation de la procédure, de répondre à des questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré aux demandes du Tribunal dans les délais impartis.

16.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 8 novembre 2000.

Conclusions des parties

17.
    Dans leur requête, les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler les décisions du jury du concours leur attribuant une note éliminatoire pour l'épreuve a) et refusant de procéder à la correction de leurs copies dans les épreuves e) et f);

-    annuler les décisions du jury affectées par l'illégalité des décisions attaquées;

-    subsidiairement à ce dernier chef de conclusions, suspendre la procédure de pourvoi des postes concernés par le concours EUR/A/123, jusqu'à ce qu'une nouvelle épreuve a) ait pu être organisée pour tous les candidats de langue italienne admis à participer au concours et que la Commission ait tiré des résultats de cette épreuve les conséquences de droit.

18.
    Dans leur réplique, les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    à titre principal, en vertu de l'article 65 de son règlement de procédure, ordonner à la Commission de produire tous les renseignements et documents relatifs au déroulement de l'épreuve a) au centre d'examen de Milan (Italie) et à l'appréciation de cette épreuve par le jury, et réserver sa décision pour le surplus;

-    à titre subsidiaire, faire droit aux conclusions de leur requête.

19.
    Dans son mémoire en défense, la défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme non fondé;

-    statuer sur les dépens comme de droit.

20.
    Dans sa duplique, la défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer le recours irrecevable faute d'intérêt à agir.

21.
    Lors de la procédure orale, les requérants ont renoncé à leur conclusion subsidiaire tendant à ce qu'il plaise au Tribunal suspendre la procédure de pourvoi des postes concernés par le concours EUR/A/123.

22.
    En outre, eu égard aux mesures d'organisation de la procédure adoptées par le Tribunal par ses notes des 15 mai et 3 octobre 2000, les requérants ont également renoncé à la demande de mesures d'instruction avancée à titre incidente dans leur réplique. Toutefois, ils ont demandé au Tribunal d'ordonner à la Commission de produire le procès-verbal relatif au déroulement des épreuves de présélection du centre d'examen de Berlin (Allemagne).

23.
    Le Tribunal a pris acte des renonciations des réquerants.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

24.
    La Commission soutient que le recours est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir des requérants. À cet égard, la défenderesse expose dans sa duplique, d'une part, que, dans le cadre de la procédure administrative ouverte par la réclamation des requérants du 2 octobre 1998, elle a demandé au jury du concours de corriger les copies de MM. Torre et Cavallaro dans les épreuves e) et f) et, d'autre part, qu'il ressort de ces corrections, effectuées par deux correcteurs, que les requérants en cause ont obtenu respectivement 32 et 21 points sur 50 à l'épreuve e) (minimum requis: 25 points) et 32,55 et 17,25 points sur 70 à l'épreuve f) (minimum requis: 35 points). Au regard des notes insuffisantes obtenues aux épreuves e) et f), MM. Torre et Cavallaro n'auraient pas été admis, en tout état de cause, à l'épreuve orale. Ils n'auraient donc aucun intérêt à mettre en cause la légalité des décisions du jury du concours concernant l'épreuve a).

25.
    Quant à Mme Ineichen, la défenderesse fait remarquer que, à supposer même que celle-ci ait répondu correctement aux questions nos 24 à 28, elle n'aurait pas atteint le minimum requis pour réussir l'épreuve a). La distribution tardive des questions litigieuses n'aurait donc eu aucune influence sur l'échec de Mme Ineichen aux épreuves de présélection.

26.
    Dans leur réplique, MM. Torre et Cavallaro nient toute valeur à la correction de leurs copies dans les épreuves e) et f). Ils soutiennent que cette correction a été effectuée non pas pendant le déroulement normal du concours, mais lors de la procédure administrative préalable ouverte par leur réclamation du 2 octobre 1998 et dans le seul but de fournir à la Commission un argument pour contester la recevabilité de leur recours.

27.
    En ce qui concerne Mme Ineichen, les requérants font observer que l'absence puis la distribution tardive des questions nos 24 à 28 de l'épreuve a) était susceptible de fausser non seulement les réponses à ces questions, mais aussi toutes les autres, en raison, d'une part, de la possibilité réduite de choisir les questions auxquelles répondre en priorité et du trouble suscité par l'incident dans l'esprit des candidats et, d'autre part, de la rupture de toute correspondance entre le questionnaire et le formulaire à partir de la question n° 24.

Appréciation du Tribunal

28.
    Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'intérêt à agir, condition indispensable pour la recevabilité du recours, s'apprécie au moment de l'introduction de celui-ci (arrêt de la Cour du 16 décembre 1963, Forges de Clabecq/Haute Autorité, 14/63, Rec p. 719, 748, et ordonnance du Tribunal du 30 novembre 1998, N/Commission, T-97/94, RecFP p. I-A-621 et II-1879, point 23). Dans le cas d'espèce, contrairement à ce que soutient la défenderesse, lors de l'introduction du présent recours, le 2 octobre 1998, MM. Torre et Cavallaro avaient un intérêt personnel, né et actuel, à demander l'annulation des décisions du jury du concours concernant leurs résultats à l'épreuve a). En effet, à cette date, le jury n'avait pas encore procédé, comme il l'a fait par la suite à la demande de la Commission, à la correction de leurs copies dans les épreuves e) et f). Au moment de l'introduction de leur recours, MM. Torre et Cavallaro pouvaient donc espérer que, en cas d'annulation des décisions fixant leur note à l'épreuve a), leur participation à la suite du concours serait acceptée.

29.
    Il s'ensuit que, au moment de son introduction, le présent recours était recevable.

30.
    Il convient toutefois d'observer que, ainsi qu'il ressort d'une jurisprudence constante, pour qu'un fonctionnaire puisse poursuivre un recours tendant à l'annulation d'une décision de l'AIPN, il faut qu'il conserve un intérêt personnel à l'annulation de la décision attaquée (ordonnance du Tribunal du 15 février 1995, Moat/Commission, T-112/94, RecFP p. I-A-37 et II-135, point 26, et arrêt du Tribunal du 29 mai 1997, Contargyris/Conseil, T-6/96, RecFP p. I-A-119 et II-357, point 32). Cette jurisprudence devant s'appliquer par analogie en l'espèce, il convient de constater que tel n'est pas le cas de MM. Torre et Cavallaro, qui, après la correction de leurs copies dans les épreuves e) et f), n'ont plus d'intérêt à l'annulation des décisions du jury concernant leurs résultats à l'épreuve a). À cet égard, il suffit d'observer que, au regard des résultats insuffisants qu'ils ont obtenus dans les épreuves e) et f), MM. Torre et Cavallaro, même en cas d'annulation des décisions fixant leur note à l'épreuve a), ne pourraient en aucun cas être admis à participer à l'épreuve orale du concours.

31.
    Dans ces conditions, faute d'un intérêt à agir actuel de MM. Torre et Cavallaro, il n'y a plus lieu de statuer sur le présent recours en ce qu'il est introduit par cesrequérants (arrêt du Tribunal du 6 juillet 1999, Séché/Commission, T-112/96 et T-115/96, RecFP p. I-A-115 et II-623, point 37).

32.
    À l'encontre de cette conclusion, MM. Torre et Cavallaro ne sauraient soutenir que la correction de leurs copies dans les épreuves e) et f) est dépourvue de toute valeur, en ce qu'elle a été effectuée après l'introduction de leur réclamation et, donc, en dehors du déroulement normal du concours. En effet, comme la Commission l'a précisé en répondant à une question écrite du Tribunal, la correction des copies de MM. Torre et Cavallaro a été effectuée par les mêmes correcteurs que ceux qui avaient corrigé les copies des autres candidats et sur la base des mêmes corrigés types et des mêmes grilles de correction. En outre, aucune information sur la situation dans laquelle se trouvaient les deux requérants concernés n'a été donnée à ces correcteurs. Ceux-ci ne pouvaient donc savoir si, en demandant au jury de procéder à la correction desdites copies, la Commission visait à se procurer des arguments de défense à opposer aux requérants dans le cadre d'une procédure judiciaire ou, en revanche, si elle entendait donner une solution équitable aux cas de ceux-ci, après avoir fait droit à leur réclamation.

33.
    Il s'ensuit que, toutes les mesures nécessaires ayant été prises pour assurer l'impartialité de la correction des copies de MM. Torre et Cavallaro dans les épreuves e) et f), la validité de cette correction ne peut pas être contestée.

34.
    Quant à Mme Ineichen, dont les copies dans les épreuves e) et f) n'ont pas été corrigées, force est de constater que, contrairement à ce que prétend la Commission, la note insuffisante obtenue par cette candidate à l'épreuve a) ne peut suffire à la priver de tout intérêt à agir et justifier de conclure, en ce qui la concerne, à l'irrecevabilité du recours. En effet, les résultats de l'épreuve a), et notamment la possibilité que ceux-ci aient été faussés par la distribution tardive des questions nos 24 à 28, sont au centre du litige entre les parties dans le cadre du premier moyen d'annulation. La question de la recevabilité du présent recours, pour autant qu'il concerne Mme Ineichen, est donc étroitement liée à celle du bien-fondé de ce moyen et doit être examinée à la lumière de celle-ci.

Sur le fond

35.
    Mme Ineichen invoque, en substance, deux moyens, tirés d'une violation du principe d'égalité de traitement et de l'obligation de motivation. Dans le cadre du premier moyen, la requérante soutient, dans une première branche, que la Commission a commis des irrégularités dans le déroulement de l'épreuve a), qui ont été de nature à fausser les résultats de cette épreuve. Dans une seconde branche, elle fait valoir que les candidats ayant passé l'épreuve a) dans les autres centres d'examen et qui, comme elle, ont concouru en langue italienne et opté pour le domaine de la gestion financière ont bénéficié d'un traitement plus favorable. Le Tribunal estime nécessaire d'examiner la première branche du premier moyen.

Arguments des parties

36.
    Selon la requérante, l'absence d'une page dans le questionnaire de l'épreuve a) portant sur la gestion financière aurait été découverte une demi-heure après le début de cette épreuve. Un des surveillants de la salle aurait alors indiqué aux candidats concernés par cette irrégularité que l'épreuve serait notée sur 35 points au lieu de 40 comme prévu dans l'avis de concours. Toutefois, deux minutes avant la fin de l'épreuve, à 10 h 08, une copie des questions manquantes aurait été distribuée à ces mêmes candidats, en leur indiquant qu'un délai supplémentaire leur serait accordé. En fait, selon la requérante, deux minutes plus tard, à 10 h 10, le responsable du centre d'examen a annoncé la fin de l'épreuve et intimé à tous les candidats - y compris ceux de langue italienne - d'arrêter d'écrire. Ils se seraient alors vu retirer le formulaire.

37.
    Selon la requérante, il ressort de l'arrêt du Tribunal du 12 juillet 1990, Albani e.a./Commission (T-35/89, Rec. p. II-395, points 43 à 45, 47, 48, 52 et 53), que, lorsqu'un incident vient à perturber le déroulement des épreuves d'un concours, il incombe à l'administration d'apporter la preuve que des mesures adéquates ont été prises pour éviter que cette irrégularité n'affecte les résultats des épreuves. Or, dans le cas d'espèce, la Commission ne serait pas en mesure de s'acquitter de sa charge de la preuve. À l'appui de sa version des faits, selon laquelle la page manquante du questionnaire de l'épreuve a) aurait été distribuée dix minutes avant la fin de l'épreuve et un délai supplémentaire de cinq minutes aurait été accordé aux candidats concernés, elle se limiterait à produire des déclarations sur l'honneur des surveillants et du responsable du centre d'examen de Bruxelles. Or, ces documents émanant de personnes ayant un intérêt personnel dans le présent litige et ayant été rédigés à la demande de la Commission après l'introduction du recours, ils seraient dépourvus de toute valeur probante.

38.
    Mme Ineichen, à l'appui de ses affirmations quant au déroulement des faits, produit huit déclarations sur l'honneur émanant des requérants eux-mêmes, ainsi que d'autres candidats de langue italienne et d'autres groupes linguistiques.

39.
    La requérante affirme que la distribution d'un questionnaire incomplet aux candidats de langue italienne ayant opté pour le domaine de la gestion financière a été susceptible d'influer négativement sur les résultats de l'épreuve a). Tout d'abord, jusqu'à deux minutes avant la fin de l'épreuve, ces candidats, à la différence des candidats d'autres groupes linguistiques, n'auraient disposé que d'un questionnaire comportant 35 questions, ce qui aurait sensiblement réduit leurs possibilités de choix des questions auxquelles répondre en priorité.

40.
    En outre, selon la requérante, l'absence de la page relative aux questions nos 24 à 28 incluses a rompu, à partir de la question n° 24, la correspondance entre les numéros des questions, dans le questionnaire, et ceux des réponses, dans leformulaire, ce qui a pu fausser toutes les réponses données par les candidats qui n'avaient pas décelé cette absence.

41.
    Par ailleurs, les questions manquantes ayant été distribuées deux minutes avant la fin de l'épreuve, les candidats n'auraient pas disposé du temps matériellement nécessaire pour répondre à ces questions.

42.
    Ensuite, l'administration aurait manqué à ses obligations de diligence et de bonne administration en donnant aux candidats concernés des informations contradictoires et trompeuses quant à la solution qui serait donnée au problème. En particulier, tant l'information selon laquelle cette épreuve serait notée sur 35 points au lieu de 40 que l'information selon laquelle les candidats concernés disposeraient de cinq minutes supplémentaires auraient faussé la répartition des temps de réponse que ces candidats s'étaient donnée.

43.
    Enfin, la requérante soutient qu'il est à exclure que le jury du concours ait pu pallier, pendant la correction de l'épreuve a), les conséquences des graves irrégularités commises lors du déroulement de cette épreuve. En tout état de cause, il incomberait à l'administration de prouver, en produisant le formulaire de la requérante et en indiquant la manière dont il a été procédé à la correction de celui-ci, que ces irrégularités n'ont pas affecté les travaux du jury.

44.
    La défenderesse maintient que l'absence d'une page dans le questionnaire de l'épreuve a), dans le domaine de la gestion financière, a été découverte environ vingt minutes après le début de cette épreuve. La page manquante aurait été distribuée à 10 h 00, soit dix minutes avant la fin initialement prévue de ladite épreuve, et un délai supplémentaire de cinq minutes aurait été accordé aux candidats de langue italienne concernés par l'absence de cette page. Cette version des faits serait, d'une part, attestée par des déclarations sur l'honneur émanant du responsable et de trois surveillants du centre d'examen de Bruxelles et, d'autre part, confirmée par la circonstance que, après la distribution de la page manquante, la requérante a eu le temps de lire les questions contenues dans celle-ci et d'y répondre.

45.
    La défenderesse exclut, en outre, que la distribution tardive des questions nos 24 à 28 ait pu affecter, à cause du système de lecture optique du formulaire, les travaux du jury. En effet, afin de garantir l'égalité de tous les candidats, celui-ci aurait procédé à la correction manuelle des formulaires de tous les candidats de langue italienne.

Appréciation du Tribunal

46.
    En vertu des principes de bonne administration et d'égalité de traitement, il incombe aux institutions communautaires d'assurer à tous les candidats à un concours un déroulement le plus serein et régulier possible des épreuves. À cettefin, l'administration est tenue de veiller à la bonne organisation du concours et, en particulier, à ce que le matériel distribué aux candidats soit soigneusement préparé (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 9 novembre 1999, Papadeas/Comité des régions, T-102/98, RecFP p. I-A-211 et II-1091, point 68). Dans le cas d'espèce, il est évident que la Commission ne s'est pas acquittée de cette obligation, en omettant de vérifier, avant le début des épreuves de présélection, si les questionnaires relatifs à l'épreuve a), portant sur la gestion financière, destinés aux candidats de langue italienne étaient complets.

47.
    Il y a toutefois lieu d'observer qu'une irrégularité intervenue pendant le déroulement des épreuves d'un concours n'affecte la légalité desdites épreuves que si elle est de nature substantielle et susceptible de fausser les résultats de celles-ci. Lorsqu'une telle irrégularité intervient, il incombe à l'institution défenderesse de prouver que celle-ci n'a pas pas affecté les résultats des épreuves (arrêt du Tribunal du 11 février 1999, Jiménez/OHMI, T-200/97, RecFP p. I-A-19 et II-73, point 55).

48.
    Dans le cas d'espèce, force est de constater que la distribution, aux candidats de langue italienne, de questionnaires comportant 35 questions sur les 40 prévues était susceptible de fausser les résultats de l'épreuve a). Toutefois, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission, tout en n'étant pas en mesure de produire le procès-verbal relatif au déroulement des épreuves au centre d'examen de Bruxelles, a apporté des éléments de preuve suffisants pour démontrer que, en fait, l'irrégularité contestée n'a pas faussé les résultats obtenus par Mme Ineichen à l'épreuve a).

49.
    En particulier, il ressort du formulaire de cette candidate, versé au dossier par la Commission à la demande du Tribunal, que celle-ci a répondu à toutes les questions figurant sur la page en cause, à savoir les questions nos 24 à 28. Or, sans qu'il soit besoin d'établir avec précision le moment où ladite page a été distribuée, ainsi que celui où les candidats concernés par l'absence de cette page se sont vu retirer leur formulaire, cette circonstance démontre que Mme Ineichen a eu le temps nécessaire pour lire les questions litigieuses (opération qui, à elle seule, requiert, à tout le moins, une minute et demi) et y répondre.

50.
    Par ailleurs, il découle des résultats obtenus par Mme Ineichen à l'épreuve a), produits par la Commission à la demande du Tribunal, que, aux questions nos 24 à 28, elle a obtenu une note (2,34 points pour cinq questions) non inférieure - voire supérieure - aux notes correspondant aux questions nos 1 à 23 (5,69 points sur vingt-trois questions) et nos 29 à 40 (5 points sur douze questions). Il est donc à exclure que les résultats largement insuffisants obtenus par Mme Ineichen à l'épreuve a) soient imputables au manque du temps matériellement nécessaire pour répondre aux questions nos 24 à 28.

51.
    Il est également à exclure que l'absence d'une page dans le questionnaire de l'épreuve a) ait pu fausser les résultats obtenus à cette épreuve par Mme Ineichen en raison de la rupture de toute correspondance, à partir de la question n° 24, entre les numéros des questions, dans le questionnaire, et les numéros des réponses, dans le formulaire. À cet égard, il y a lieu d'observer que le formulaire de Mme Ineichen ne contient aucune réponse annulée. Or, si, après avoir été informée de l'absence d'une page dans le questionnaire relatif à l'épreuve a), cette candidate avait constaté qu'elle avait commis des erreurs dans la mention de ses réponses sur le formulaire, elle aurait annulé les réponses erronées.

52.
    Par ailleurs, les notes obtenues par Mme Ineichen aux questions nos 24 à 28 et nos 29 à 40 démontrent que les résultats de la requérante à l'épreuve a) n'ont été faussés ni par le trouble suscité dans son esprit par l'irrégularité constatée au cours de cette épreuve, ni, à la supposer établie, par la prétendue réduction du temps qu'elle avait prévu de consacrer à chaque question, causée par la distribution tardive de la feuille manquante en contradiction avec ce qu'avait déclaré l'un des surveillants du centre d'examen. En effet, ces notes sont largement supérieures à celles que Mme Ineichen a obtenues aux questions nos 1 à 23, pour lesquelles, selon sa version des faits, elle a bénéficié d'un temps de réponse et de conditions de concentration normaux.

53.
    Cette conclusion s'impose d'autant plus que, par sa nature, l'épreuve a), consistant en un questionnaire à choix multiple, ne requérait des candidats aucun effort de rédaction mais seulement de choisir entre quatre réponses possibles pour chaque question et de cocher la case correspondant à la réponse choisie sur le formulaire. Elle n'exigeait donc pas le même degré de concentration qu'une épreuve de rédaction.

54.
    S'agissant, enfin, de la prétendue réduction des possibilités de choix des questions à traiter en priorité que Mme Ineichen aurait subie du fait de l'absence de cinq questions dans le questionnaire initialement distribué aux candidats de langue italienne, il est évident, au regard de la note gravement insuffisante obtenue par la requérante, que, sous cet angle, la faute commise par la Commission dans l'organisation de l'épreuve a) ne peut pas être considérée comme une irrégularité de nature à affecter de manière déterminante les résultats de cette épreuve.

55.
    Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que l'irrégularité intervenue dans le déroulement de l'épreuve a), quoique très grave, n'a pas faussé les résultats obtenus à cette épreuve par Mme Ineichen et que, par conséquent, le premier moyen d'annulation, pris en sa première branche, doit être rejeté comme non fondé.

56.
    Dans cette mesure, il n'y a pas lieu de se prononcer sur la seconde branche du premier moyen ni sur la violation de l'obligation de motivation. En effet, force est de constater que, Mme Ineichen ayant obtenu à l'épreuve a) une note largement inférieure au minimum requis, elle ne pourrait en aucun cas être déclaréeadmissible aux autres épreuves du concours. Elle n'a donc aucun intérêt à demander l'annulation de la décision du jury fixant sa note à l'épreuve a) pour violation de l'obligation de motivation ou du principe de l'égalité de traitement avec les candidats des autres centres d'examen.

57.
    Eu égard à la solution retenue pour la seconde branche du premier moyen d'annulation, il n'y a pas lieu de se prononcer sur la demande visant à ce que le Tribunal ordonne à la défenderesse de produire le procès-verbal relatif au déroulement des épreuves de présélection au centre d'examen de Berlin.

58.
    Le présent recours, en ce qu'il est introduit par Mme Ineichen, doit donc être rejeté.

Sur les dépens

59.
    Selon l'article 87, paragraphe 6, du règlement de procédure, en cas de non-lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens.

60.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, l'article 88 du même règlement dispose que, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci, sans préjudice des dispositions de l'article 87, paragraphe 3, deuxième alinéa. En vertu de ces dernières dispositions, le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, à rembourser à l'autre partie les frais qu'elle lui a fait exposer et qui sont jugés frustratoires ou vexatoires.

61.
    Dans le cas d'espèce, force est de constater que la naissance du litige a été favorisée par le comportement de la Commission. En effet, l'irrégularité commise lors du déroulement de l'épreuve a) était assez grave pour permettre aux requérants de douter de la légalité des décisions concernant les résultats de cette épreuve et, partant, d'estimer utile d'introduire le présent recours. En conséquence, il convient, en application de l'article 87, paragraphe 6, et de l'article 87, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de procédure, de condamner la Commission à supporter, outre ses propres dépens, ceux des requérants.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)    Il n'y a plus lieu de statuer sur le présent recours en tant qu'il est introduit par MM. Torre et Cavallaro.

2)    Le recours est rejeté en tant qu'il est introduit par Mme Ineichen.

3)    La Commission est condamnée aux dépens.

Mengozzi

Tiili
Moura Ramos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 avril 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Mengozzi


1: Langue de procédure: le français.