Language of document : ECLI:EU:T:2011:555

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

30 septembre 2011 (*)

« Référé – Marchés publics – Procédure d’appel d’offres – Rejet d’une offre – Demande de sursis à exécution – Méconnaissance des exigences de forme - Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑395/11 R,

Elti d.o.o., établie à Gornja Radgona (Slovénie), représentée par Me N. Zidar Klemenčič, avocat,

partie requérante,

contre

Délégation de l’Union européenne au Monténégro, représentée initialement par Me N. Bertolini, en qualité d’agent, puis par Mes J. Stuyck et A.-M. Vandromme, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision de la délégation de l’Union européenne au Monténégro du 21 mars 2011 rejetant l’offre présentée par la requérante dans le cadre de la procédure de marché public EuropeAid/129435/C/SUP/ME-NP et contenant l’information que ce marché avait été attribué à un autre soumissionnaire,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Procédure et conclusions des parties

1        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 juillet 2011, la requérante, Elti d.o.o., une société de droit slovène, a introduit un recours visant, d’une part, à l’annulation de la décision de la délégation de l’Union européenne au Monténégro (ci-après la « délégation ») du 21 mars 2011 rejetant l’offre qu’elle avait présentée dans le cadre de la procédure d’attribution d’un marché public intitulé « Appui à la numérisation de la Radiodiffusion publique monténégrine » (EuropeAid/129435/C/SUP/ME-NP) et contenant l’information que ce marché avait été attribué à un autre soumissionnaire (ci-après la « décision attaquée ») et, d’autre part, à la condamnation de la délégation à lui réparer le préjudice subi, à savoir un manque à gagner pour un montant de 172 541,56 euros, dans l’hypothèse où le marché en cause aurait déjà été exécuté. Elle reproche, notamment, à la délégation d’avoir agi de manière discriminatoire, en conférant au soumissionnaire finalement retenu un avantage qui a abouti à l’attribution du marché à celui-ci.

2        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 27 juillet 2011, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal d’ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée et du marché de fourniture en cause, dans l’hypothèse où ce marché aurait déjà été conclu. Ensuite, par mémoire du 9 août 2011, elle a répondu à une question posée par le greffe du Tribunal concernant la qualité de partie défenderesse de la délégation dans la présente procédure.

3        Dans ses observations écrites, déposées au greffe du Tribunal les 22 août et 12 septembre 2011, la délégation conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme irrecevable ou non fondée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

4        Par mémoire du 8 septembre 2011, la Commission européenne a, quant à elle, répondu à la question posée par le greffe du Tribunal (voir point 2 ci-dessus).

 En droit

5        Il ressort d’une lecture combinée de l’article 278 TFUE et de l’article 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions, organes et organismes de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un tel acte ou prescrire des mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

6        En outre, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit (fumus boni juris) justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent.

7        Or, le non-respect du règlement de procédure constitue une fin de non-recevoir d’ordre public, de sorte qu’il appartient au juge des référés d’examiner d’office, in limine litis, si les dispositions applicables de ce règlement ont été respectées (ordonnances du président du Tribunal du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 43 ; du 2 août 2006, BA.LA. Di Lanciotti Vittorio e.a./Commission, T‑163/06 R, non publiée au Recueil, point 35, et du 25 avril 2008, Vakakis/Commission, T‑41/08 R, non publiée au Recueil, point 41). Eu égard au libellé de la présente demande en référé, il y a lieu d’examiner si cette dernière est conforme à l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure et peut, dès lors, être considérée comme recevable.

8        Il convient de vérifier, notamment, si la demande en référé contient un exposé suffisamment précis des éléments permettant l’examen de la condition relative à l’urgence.

9        À cet égard, il y a lieu de rappeler que le caractère urgent d’une demande en référé, énoncé à l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure, doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite des mesures provisoires. Il n’est pas suffisant pour satisfaire aux exigences de cette disposition d’alléguer seulement que l’exécution de l’acte dont le sursis à l’exécution est sollicité est imminente, mais il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure principale, sans avoir à subir un préjudice de cette nature. Pour pouvoir apprécier si le préjudice allégué présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de la décision attaquée, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes permettant d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées (ordonnance du président du Tribunal du 14 novembre 2008, Stowarzyszenie Autorów ZAiKS/Commission, T‑398/08 R, non publiée au Recueil, points 31 et 43). La partie qui sollicite des mesures provisoires est ainsi tenue de fournir, pièces à l’appui, des informations susceptibles d’établir une image fidèle et globale de sa situation financière [voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 7 mai 2010, Almamet/Commission, T‑410/09 R, non publiée au Recueil, points 32, 57 et 61, confirmée sur pourvoi par ordonnance du président de la Cour du 16 décembre 2010, Almamet/Commission, C‑373/10 P(R), non publiée au Recueil, point 24].

10      Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que cette image fidèle et globale de la situation financière doit être fournie dans le texte de la demande en référé. En effet, une telle demande doit être suffisamment claire et précise pour permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande en référé [ordonnance du président du Tribunal du 31 août 2010, Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, T‑299/10 R, non publiée au Recueil, point 17 ; voir, également, ordonnance du président de la Cour du 30 avril 2010, Ziegler/Commission, C‑113/09 P(R), non publiée au Recueil, point 13].

11      En l’espèce, afin d’établir qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure principale, sans avoir à subir un préjudice grave et irréparable, la requérante invoque dans la demande en référé qu’elle a un intérêt réel à se voir attribuer le marché en cause, puisqu’elle a pour stratégie commerciale de développer ses activités dans la zone géographique visée et que ce marché est fondamental pour sa réussite. Elle estime, en substance, que, en l’absence du sursis à exécution sollicité, non seulement cela lui ferait perdre le bénéfice du marché en cause, mais cela affecterait également sa position sur le marché d’une façon irréparable et causerait donc un préjudice sérieux à son activité professionnelle future. La requérante fait valoir qu’elle et le soumissionnaire qui s’est vu attribuer le marché sont des concurrents et se trouvent souvent en concurrence pour les mêmes marchés. Toute référence relative à un marché attribué serait importante et pourrait constituer un avantage significatif lors d’occasions futures. Elle ajoute que l’impact direct correspondant à la perte du marché en cause représente un montant de 172 541,56 euros, à titre de manque à gagner, se décomposant en le prix total proposé dans son offre, duquel il convient de soustraire les frais directs liés à l’exécution du marché et les dépenses d’exploitation. Elle conclut donc que, puisque les dommages et intérêts versés par la délégation ne pourraient pas la rembourser totalement, la décision attaquée et le marché en cause s’il a déjà été conclu devraient être suspendus.

12      S’agissant du préjudice financier prétendument causé par la perte du marché en cause, lequel a explicitement été chiffré à 172 541,56 euros, la requérante n’a produit aucun élément susceptible d’établir que ce préjudice ne pourrait pas faire l’objet d’une compensation financière ultérieure, étant entendu que, selon une jurisprudence bien établie, la seule possibilité de former un recours en indemnité au titre des articles 268 TFUE et 340 TFUE suffit à attester du caractère en principe réparable d’un tel préjudice. Or, de tels éléments auraient été d’autant plus nécessaires que la requérante a introduit un recours visant à obtenir la réparation du manque à gagner causé par la décision attaquée (172 541,56 euros) (voir point 1 ci-dessus) et que, selon une jurisprudence bien établie, il n’y a pas lieu de tenir compte de l’incertitude du succès d’un tel recours en indemnité [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 14 décembre 2001, Commission/Euroalliages e.a. C‑404/01 P(R), Rec. p. I‑10367, points 70 à 75, et du président du Tribunal du 24 avril 2009, Nycomed Danmark/EMEA, T‑52/09 R, non publiée au Recueil, points 72 et 73].

13      La requérante s’est également abstenue de fournir des éléments de nature à établir qu’une perte du marché en cause serait de nature à mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure principale ou à entraîner une modification irrémédiable et importante, au regard de la taille de son entreprise et de ses parts de marché. De plus, elle a omis de fournir la moindre indication concrète relative à sa situation financière, permettant au juge des référés d’apprécier la gravité du préjudice financier allégué, alors qu’elle doit démontrer à suffisance de droit, dans la demande en référé elle-même, la possibilité pour elle de retirer des bénéfices suffisamment significatifs de l’attribution et de l’exécution du marché en cause, en exposant l’importance du manque à gagner par rapport à la taille de son entreprise (voir, en ce sens, ordonnance Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, précitée, point 52, et la jurisprudence citée).

14      Des éléments destinés à établir la gravité du préjudice allégué auraient été d’autant plus nécessaires que, selon une jurisprudence bien établie, la perte d’une chance de se voir attribuer un marché public ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave, une telle perte étant inhérente à l’exclusion de la procédure d’appel d’offres en cause, procédure qui a pour objet de permettre à l’autorité concernée de choisir, parmi plusieurs offres concurrentes, celle qui lui paraît la plus appropriée, de sorte que l’entreprise qui participe à une telle procédure doit toujours tenir compte de l’éventualité de son attribution à un autre soumissionnaire (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 23 janvier 2009, Unity OSG FZE/Conseil et EUPOL Afghanistan, T‑511/08 R, non publiée au Recueil, points 25 à 27, et la jurisprudence citée).

15      Dans la mesure où la requérante soutient que le marché en cause est « fondamental pour sa réussite » et pour « son activité professionnelle future », du fait qu’elle se trouve « souvent en concurrence pour les mêmes marchés » avec le soumissionnaire auquel ledit marché a été attribué et que « toute référence est importante et pourrait constituer un avantage significatif lors d’occasions futures », il suffit de constater qu’il s’agit là de pures affirmations vagues et non étayées, qui ne sont donc pas susceptibles d’être vérifiées par le juge des référés. Compte tenu du caractère strictement exceptionnel de l’octroi de mesures provisoires (voir point 5 ci-dessus), de telles affirmations, qui ne sont pas accompagnées d’indications concrètes, assorties éventuellement d’offres de preuve suffisantes, ne permettent pas au juge des référés d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées. La requérante n’a notamment pas apporté d’éléments permettant d’apprécier si la seule perte du marché en cause l’empêchera à l’avenir de participer à d’éventuels appels d’offres lancés par la délégation dans le même domaine d’activités.

16      Enfin, pour autant que la demande en référé puisse être interprétée en ce sens que la requérante entend invoquer une atteinte à sa réputation sur le marché, il suffit de relever que la participation à une soumission publique, par nature hautement compétitive, implique des risques pour tous les participants et que le rejet de l’offre d’un soumissionnaire, en vertu des règles de passation de marchés publics, n’a, en elle-même, rien de préjudiciable. Lorsqu’une société a vu ses offres illégalement rejetées dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, il existe d’autant moins de raisons de penser qu’elle risque de subir une atteinte grave et irréparable à sa réputation que, d’une part, ledit rejet de ses offres est sans lien avec ses compétences et, d’autre part, l’arrêt d’annulation qui s’ensuivra permettra en principe de rétablir une éventuelle atteinte à sa réputation (voir, en ce sens, ordonnance Unity OSG FZE/Conseil et EUPOL Afghanistan, précitée, point 39, et la jurisprudence citée).

17      Par conséquent, la présente demande en référé doit être rejetée comme irrecevable en ce que l’exposé des motifs qu’elle contient n’est pas conforme aux exigences de l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres questions de recevabilité soulevées en l’espèce.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 30 septembre 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.