Language of document : ECLI:EU:T:2015:634

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

15 septembre 2015 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire – Gel des fonds – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑158/13,

Iranian Aluminium Co. (Iralco), établie à Téhéran (Iran), représentée par Mme S. Millar, M. S. Ashley, solicitors, Mme M. Lester et M. M. Happold, barristers,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bishop et I. Rodios, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation, d’une part, de la décision 2012/829/PESC du Conseil, du 21 décembre 2012, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 356, p. 71), en ce qu’elle a inscrit le nom de la requérante sur la liste figurant dans l’annexe II de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO L 195, p. 39), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) n° 1264/2012 du Conseil, du 21 décembre 2012, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 356, p. 55), en ce qu’il a inscrit le nom de la requérante sur la liste figurant dans l’annexe IX du règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (UE) n° 961/2010 (JO L 88, p. 1),

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme M. E. Martins Ribeiro, président, MM. S. Gervasoni et L. Madise (rapporteur), juges,

greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 février 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives instaurées en vue de faire pression sur la République islamique  d’Iran afin que cette dernière mette fin aux activités nucléaires présentant un risque de prolifération et à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires.

2        La requérante, Iranian Aluminium Co. (Iralco), est une société privée, cotée à la Bourse de Téhéran (Iran). Elle emploie environ 4 000 personnes de nationalité iranienne. Iralco fabrique des produits en aluminium dont des lingots, des billets et des pièces en alliage utilisées pour des véhicules, des appareils électroménagers, des emballages et des câbles et les vend par l’intermédiaire de la Bourse des produits d’Iran (Iran Products Exchange).

3        Le 26 juillet 2010, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2010/413/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO L 195, p. 39).

4        La décision 2010/413 confère au Conseil :

–        en son article 20, paragraphe 1, sous a), le pouvoir de geler les actifs des personnes et entités qui ont été désignées par le Conseil de sécurité des Nations unies ;

–        en son article 20, paragraphe 1, sous b), le pouvoir de geler les actifs des personnes et entités « qui participent, sont directement associées ou apportent un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou […] à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires, y compris en concourant à l’acquisition des articles, biens, équipements, matières et technologies interdits, […] ou [d]es […] entités qui se sont soustraites aux dispositions des RCSNU 1737 (2006), 1747 (2007), 1803 (2008) et 1929 (2010) ou [à ses propres dispositions], les ont enfreintes ou ont aidé les personnes ou les entités désignées à s’y soustraire ou à les enfreindre, ainsi que d’autres membres et entités de l’IRGC [Corps des gardiens de la révolution islamique] et de l’IRISL [compagnie Islamic Republic of Iran Shipping Lines] et des entités qui sont leur propriété ou sont sous leur contrôle, ou […] qui agissent pour leur compte, ou […] qui fournissent des services d’assurance ou d’autres services essentiels […], telles qu’elles sont énumérées à l’annexe II » ;

–        en son article 20, paragraphe 1, sous c), le pouvoir de geler les actifs des personnes et entités qui « fournissent un appui au gouvernement iranien et aux entités qui sont leur propriété ou qui sont sous leur contrôle ou [d]es personnes et entités qui leur sont associées […] ».

5        L’annexe II de la décision 2010/413 énumère les personnes et les entités dont les fonds et ressources économiques ont été gelés conformément à l’article 20, paragraphe 1, de ladite décision.

6        Le 25 octobre 2010, le Conseil a donné effet à la décision 2010/413 en adoptant le règlement (UE) n° 961/2010 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (CE) n° 423/2007 (JO L 281, p. 1).

7        Le 23 mars 2012, afin d’intégrer des mesures restrictives supplémentaires, le Conseil a adopté le règlement (UE) n° 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement n° 961/2010 (JO L 88, p. 1). L’article 23 du règlement n° 267/2012 met en œuvre le régime de gel des actifs. L’annexe IX dudit règlement énumère les personnes et entités dont les fonds et ressources économiques sont gelés conformément à l’article 23, paragraphe 2, du même règlement.

L’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 267/2012, se lit comme suit :

« Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes, entités et organismes énumérés à l’annexe IX, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent. L’annexe IX comprend les personnes physiques et morales, les entités et les organismes qui, conformément à l’article 20, paragraphe 1, points b) et c), de la décision 2010/413[…], ont été reconnus :

a)       comme participant, étant directement associés ou apportant un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires par l’Iran, y compris en concourant à l’acquisition de biens et technologies interdits, ou appartenant à une telle personne, entité ou organisme, ou se trouvant sous son contrôle, y compris par des moyens illicites, ou agissant pour son compte ou selon ses instructions ;

b)      comme étant une personne physique ou morale, une entité ou un organisme ayant aidé une personne, une entité ou un organisme figurant sur une liste à enfreindre les dispositions du présent règlement, de la décision 2010/413 […] ou des résolutions 1737 (2006), 1747 (2007), 1803 (2008) et 1929 (2010) du Conseil de sécurité des Nations unies, ou à s’y soustraire ;

[…]

d)      comme étant d'autres personnes, entités ou organismes qui fournissent un appui, notamment matériel, logistique ou financier, au gouvernement iranien et comme des entités qu'ils ou elles détiennent ou contrôlent ou des personnes et entités qui leur sont associées ;

[…] »

8        Le 21 décembre 2012, le Conseil a adopté, d’une part, la décision 2012/829/PESC modifiant la décision 2010/413 (JO L 356, p. 71), et, d’autre part, le règlement d’exécution (UE) n° 1264/2012 mettant en œuvre le règlement n° 267/2012 (JO L 356, p. 55).

9        Par ces deux actes, le nom de la requérante a été ajouté respectivement dans l’annexe II de la décision 2010/413 et dans l’annexe IX du règlement n° 267/2012.

10      Dans la décision 2012/829 et le règlement d’exécution n° 1264/2012 (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), le Conseil, sur la base notamment du règlement n° 267/2012 et de la décision 2010/413, justifie le gel des fonds et des ressources économiques de la requérante par les motifs suivants :

« L’Iran Aluminium Company (alias Iralco, Iranian Aluminium Company) aide des entités désignées à enfreindre les dispositions des Nations unies et les sanctions de l’UE à l’encontre de l’Iran et soutient directement les activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération. Dès la mi-2012, l’Iralco a signé un contrat pour la fourniture d’aluminium à l’Iran Centrifuge Technology Company (TESA), désignée par l’UE. »

11      Le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne du 22 décembre 2012 (JO C 398, p. 8) un avis à l’attention des personnes et des entités auxquelles s’appliquaient les mesures restrictives adoptées dans les actes attaqués.

12      Par lettre du 3 janvier 2013, le Conseil a informé la requérante de l’adoption des mesures restrictives à son égard et lui a transmis une copie des actes attaqués.

13      Par lettre du 12 février 2013, la requérante a contesté les mesures restrictives prises à son égard, en niant sa participation aux activités alléguées et en soulignant le caractère vague des motifs de désignation invoqués. Dans cette lettre, elle a également demandé au Conseil de reconsidérer les actes attaqués, et si tel ne pouvait être le cas, de lui communiquer copie de tous les documents invoqués qui justifieraient sa désignation. Le Conseil n’a pas répondu à cette lettre.

14      Par lettre du 13 mars 2013, la requérante a adressé un nouveau courrier au Conseil demandant communication des éléments et preuves qui l’avaient conduit à décider qu’elle remplissait les critères pour être désignée dans les actes attaqués.

15      Par courrier du 10 juin 2013, le Conseil a répondu à la lettre de la requérante du 13 mars 2013. Il a indiqué que la requérante pouvait avoir accès aux documents suivants, joints à la lettre :

« –      extrait d’une proposition par un État membre pour la désignation de la requérante (document 9869/13 EXT 2, point 3) ;

–        extraits des rapports des réunions du groupe de travail ‘COMEM’ (Moyen-Orient/Golfe) du 29 novembre et du 3 décembre 2012 (document 10246/13) ;

–        document de réunion MD […] 229/12 ADD 1 REV 1 RELEX ;

–        notes du 18 décembre 2012 du secrétariat au Coreper et au Coreper/Conseil (documents 17795/12 et 17523/12 ADD 1 REV 1). »

16      Le Conseil a par ailleurs indiqué dans cette lettre que les parties supprimées dans les rapports des réunions du groupe de travail « COMEM » constituaient des éléments confidentiels de la discussion au sein du Conseil et ne pouvaient être divulguées.

 Procédure et conclusions des parties

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 mars 2013, la requérante a introduit le présent recours.

18      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

19      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision 2012/829 en ce que celle-ci a inscrit son nom dans l’annexe II de la décision 2010/413 ;

–        annuler le règlement d’exécution n° 1264/2012 en ce que celui-ci a inscrit son nom dans l’annexe IX du règlement n° 267/2012 ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

20      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme étant dénué de fondement ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 Sur la recevabilité

21      Sans avoir soulevé formellement une exception d’irrecevabilité par acte séparé sur le fondement de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, le Conseil conteste la recevabilité du présent recours.

22      Le Conseil se réfère à l’arrêt du 23 avril 2013, Gbagbo e.a./Conseil (C‑478/11 P à C‑482/11 P, Rec, EU:C:2013:258), selon lequel une notification à une personne visée par une mesure restrictive pourrait être effectuée par la publication d’un avis au Journal officiel. Lorsqu’un tel avis est émis, le délai de deux mois prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE commencerait donc à courir à compter de sa publication.

23      Le Conseil précise que l’article 102, paragraphe 1, du règlement de procédure du 2 mai 1991, qui fait courir le délai de recours à partir de la fin du quatorzième jour suivant la publication de l’acte, ne s’appliquerait pas aux actes de portée individuelle, tels que les actes attaqués.

24      Partant, le délai de recours de deux mois prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, augmenté du délai de distance forfaitaire de dix jours prévu à l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure du 2 mai 1991, aurait expiré, en l’espèce, le 4 mars 2013. Le présent recours, introduit le 15 mars 2013, ne serait dès lors pas recevable.

25      La requérante conteste l’interprétation donnée par le Conseil de l’arrêt Gbagbo e.a./Conseil, point 22 supra (EU:C:2013:258), et considère que cet arrêt n’est pas pertinent pour répondre à la question qui se pose dans le cas d’espèce. Selon elle, alors que, dans l’affaire Gbagbo, l’adresse des personnes intéressées n’était pas connue, celle-ci le serait dans le cas d’espèce, de sorte que le Conseil était tenu, au titre de l’article 46, paragraphe 3, du règlement n° 267/2012 et de l’article 24 de la décision 2010/413, de lui communiquer directement les mesures d’inscription. Elle ajoute que le Tribunal aurait, par ailleurs, récemment confirmé que les délais de recours contre les mesures restrictives telles que les mesures attaquées commençaient à courir à partir de la date de leur notification individuelle.

26      À titre subsidiaire, la requérante indique que, si la notification individuelle faite par courrier ne pouvait être prise en compte, de telle sorte que le délai de recours commencerait à courir à compter de la date de la publication de l’avis, assimilée à une notification, elle devrait bénéficier du délai supplémentaire de quatorze jours prévu par l’article 102, paragraphe 1, du règlement de procédure du 2 mai 1991.

27      Il y a lieu de relever que, selon la jurisprudence, le principe de protection juridictionnelle effective implique que l’autorité de l’Union européenne qui adopte ou maintient des mesures restrictives individuelles à l’égard d’une personne ou d’une entité, comme c’est le cas en l’espèce, communique les motifs sur lesquels ces mesures sont fondées soit au moment où ces mesures sont adoptées, soit, à tout le moins, aussi rapidement que possible après leur adoption, afin de permettre à ces personnes ou entités l’exercice de leur droit de recours (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, Rec, EU:T:2014:926, point 54 et jurisprudence citée).

28      En l’occurrence, comme le fait valoir la requérante, aux termes de l’article 24, paragraphe 3, de la décision 2010/413 et de l’article 46, paragraphe 3, du règlement n° 267/2012, le Conseil communique sa décision à la personne ou à l’entité visée, y compris les motifs de l’inscription de son nom sur la liste, soit directement si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations.

29      Il en découle que le délai pour l’introduction d’un recours en annulation contre un acte imposant des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité commence, en principe, à courir uniquement à partir de la date de la communication de cet acte à l’intéressé, et non de la date de publication de cet acte, compte tenu du fait que celui-ci, à l’égard des personnes frappées par ces mesures, s’apparente à un faisceau de décisions individuelles (voir, en ce sens, arrêt Mayaleh/Conseil, point 27 supra, EU:T:2014:926, point 56 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt Gbagbo e.a./Conseil, point 22 supra, EU:C:2013:258, points 56 à 58).

30      À cet égard, il ressort de la jurisprudence que l’article 24, paragraphe 3, de la décision 2010/413 et l’article 46, paragraphe 3, du règlement n° 267/2012 doivent être interprétés en ce sens que, lorsque le Conseil dispose de l’adresse d’une personne visée par des mesures restrictives, à défaut de communication directe des actes comportant ces mesures, le délai de recours que cette personne doit respecter pour contester ces actes devant le Tribunal ne commence pas à courir. Ainsi, ce n’est que lorsqu’il est impossible de communiquer individuellement à l’intéressé l’acte par lequel des mesures restrictives sont adoptées ou maintenues à son égard que la publication d’un avis au Journal officiel fait courir ce délai (voir arrêt Mayaleh/Conseil, point 27 supra, EU:T:2014:926, point 60 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêts Gbagbo e.a./Conseil, point 22 supra, EU:C:2013:258, points 61 et 62, et du 3 juillet 2014, Sharif University of Technology/Conseil, T‑181/13, EU:T:2014:607, point 31).

31      Il convient d’observer que le Conseil peut être considéré comme étant dans l’impossibilité de communiquer individuellement à une personne physique ou morale ou à une entité un acte comportant des mesures restrictives la concernant soit lorsque l’adresse de cette personne ou entité n’est pas publique et ne lui a pas été fournie, soit lorsque la communication envoyée à l’adresse dont le Conseil dispose échoue, en dépit des démarches qu’il a entreprises, avec toute la diligence requise, afin d’effectuer une telle communication (arrêt Mayaleh/Conseil, point 27 supra, EU:T:2014:926, point 61).

32      Dans la présente affaire, il ressort des actes attaqués que l’adresse de la requérante était connue du Conseil au moment de l’adoption des actes attaqués. Le Conseil n’avait donc d’autre choix que d’informer directement la requérante, par le moyen d’une communication individuelle, des mesures adoptées à son égard (voir, en ce sens, arrêt Sharif University of Technology/Conseil, point 30 supra, EU:T:2014:607, point 32).

33      Dans ces conditions, il y a lieu d’exclure que la publication au Journal officiel de l’avis du 22 décembre 2012 puisse être considérée comme étant l’événement déclenchant le délai que la requérante devait respecter pour contester cet acte devant le Tribunal.

34      La requérante indique avoir reçu, le 3 février 2013, la lettre du Conseil du 3 janvier 2013 l’informant de l’inclusion de son nom, par l’adoption des actes attaqués, dans la liste des personnes auxquelles s’appliquaient les mesures de gel des avoirs prévues dans les actes attaqués, ce que le Conseil n’a pas contesté.

35      Dans ce contexte, le délai de deux mois prévu pour l’introduction du recours a été déclenché par la réception de la lettre du Conseil le 3 février 2013 et a expiré le 15 avril 2013.

36      Dans la mesure où le présent recours a été introduit le 15 mars 2013, force est de constater qu’il a été introduit dans le délai légal.

37      Le recours doit donc être déclaré recevable.

 Sur le fond

38      À l’appui du recours, la requérante invoque quatre moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’obligation de motivation, le deuxième moyen est tiré d’une erreur d’appréciation, le troisième moyen est tiré d’une violation des droits de la défense et notamment du droit d’accès au dossier et le quatrième moyen est tiré d’une entrave disproportionnée aux droits fondamentaux, en ce compris le droit à la protection de la propriété et de la réputation de la requérante.

39      Il y a lieu d’examiner, d’abord, le deuxième moyen tiré d’une erreur d’appréciation.

40      La requérante soutient que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en fondant les actes attaqués sur des suppositions et des présomptions non vérifiées plutôt que sur des preuves. Elle indique, à cet égard, qu’elle n’a jamais aidé aucune entité désignée à enfreindre les sanctions de l’Union infligées à l’Iran qu’elle n’a jamais soutenu les activités nucléaires de l’Iran, et qu’elle n’a jamais signé de contrat pour la fourniture d’aluminium à TESA. Elle fait également valoir, au stade de la réplique, que le Conseil ne peut pallier l’absence d’éléments probants par l’explication présentée au point 23 du mémoire en défense, en raison de son caractère nouveau et, en tout état de cause, insuffisant. Elle ajoute que le Conseil ne peut exiger d’elle qu’elle apporte la preuve négative de son absence de contrat avec TESA et elle rappelle à cet égard que la charge de la preuve incombe au Conseil.

41      Le Conseil indique que la motivation fournie dans les actes attaqués concernant la requérante est exacte et que, même si cette dernière nie avoir jamais signé un contrat pour la fourniture d’aluminium à TESA, elle n’a fourni aucun élément de preuve à l’appui de cette allégation. Il ajoute, dans la duplique, que le fait qu’il ait choisi un critère de désignation différent de celui suggéré par l’État auteur de la proposition signifie qu’un examen a bien été mené avant de désigner la requérante. Il observe enfin que le point 23 du mémoire en défense ne constitue pas un nouveau motif de désignation, mais donne simplement une explication quant à la manière dont la requérante aide les entités désignées à enfreindre les dispositions des Nations unies et les sanctions de l’Union à l’encontre de l’Iran.

42      Il importe de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur les listes de personnes et d’entités visées par des sanctions, le juge de l’Union s’assure que cette décision repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, Rec, ci-après l’« arrêt Kadi II », EU:C:2013:518, point 119).

43      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée. Si ces éléments ne permettent pas de constater le bien-fondé d’un motif, le juge de l’Union écarte ce dernier en tant que support de la décision d’inscription ou de maintien de l’inscription en cause (arrêt Kadi II, point 42 supra, EU:C:2013:518, points 121 à 123).

44      En l’espèce, il y a lieu de relever que, tandis que la requérante avait demandé au Conseil, par lettre du 12 février 2013, puis, en l’absence de réponse du Conseil, par lettre du 13 mars 2013, de lui communiquer les documents justifiant l’inscription de son nom sur les listes en cause, le Conseil ne lui a communiqué ces documents que le 10 juin 2013, soit près de deux mois après l’expiration du délai de recours et presque quatre mois après sa première demande. En outre, le Conseil indique, en substance, qu’il a communiqué les propositions concernées à la requérante dès qu’il a obtenu l’accord des États membres dont elles émanaient.

45      Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité des documents décrits au point 15 ci‑dessus, il suffit, en tout état de cause, de constater que les documents communiqués par le Conseil à la requérante, à sa demande, dans sa lettre du 10 juin 2013, ne contiennent aucune information ni aucun élément supplémentaire de nature à corroborer ou même à étayer le contenu des actes attaqués. En effet, le document de réunion MD 229/12 ADD 1 REV 1 RELEX et les notes du secrétariat général du Conseil adressées, d’une part, au Coreper et, d’autre part, au Coreper et au Conseil (documents portant les références 17795/12 et 17523/12 ADD 1 REV 1) ne mentionnent pas d’éléments autres que ceux repris dans la motivation énoncée dans les actes attaqués. Les extraits des rapports des réunions du groupe de travail « COMEM » (document portant la référence 10246/13), quant à eux, ne contiennent aucun élément spécifique à la requérante, alors que l’extrait de la proposition par un État membre concernant l’inscription d’Iralco (document portant la référence 9869/13 EXT 2, point 3) a été rendu confidentiel de telle sorte qu’aucune information spécifique n’apparaît concernant la requérante. Le Conseil ne prétend d’ailleurs pas que ces documents contiennent des éléments supplémentaires permettant d’étayer les actes attaqués.

46      Dans ces conditions, dans la mesure où la motivation de l’inscription du nom de la requérante sur les listes consiste en des allégations contestées par cette dernière et où le Conseil n’a avancé aucun élément de preuve à leur endroit, il y a lieu de considérer que ladite inscription se fonde sur des allégations qui ne sont pas étayées.

47      Cette conclusion ne saurait être infirmée par les arguments exposés par le Conseil au point 23 du mémoire en défense, selon lesquels « [l]e programme nucléaire iranien nécessite des métaux spéciaux, dont de l’aluminium répondant à certaines spécifications, que l’Iran a du mal à se procurer auprès d’autres pays en raison des sanctions internationales dont ce pays fait l’objet » et, « [p]ar conséquent, les entreprises métallurgiques iraniennes locales, telles que la requérante, sont très recherchées pour la fourniture de métaux spéciaux qui seront utilisés dans les programmes militaire, de missiles balistiques et nucléaire de l’Iran ».

48      En effet, la seule circonstance que les entreprises métallurgiques iraniennes locales, telles que la requérante, soient « très recherchées pour la fourniture de métaux spéciaux » ne signifie pas nécessairement, en l’absence du moindre commencement de preuve en ce sens, que la requérante fournisse effectivement ces métaux, ou que celle-ci soit susceptible de les fournir effectivement, d’autant qu’il n’est pas contesté que celle-ci a une activité de nature, a priori, exclusivement civile.

49      À cet égard, le Conseil n’apporte aucun indice tangible de nature à démontrer que la requérante est en mesure de fabriquer de l’aluminium « répondant à certaines spécifications » et qu’elle en fabrique effectivement.

50      Ainsi, les arguments exposés par le Conseil au point 23 du mémoire en défense ne renseignent pas sur le contrat invoqué, qui aurait été signé avec TESA dès le milieu de l’année 2012, alors que seul ce motif figurant dans les actes attaqués, en raison de sa nature individuelle spécifique et concrète, serait de nature à justifier les sanctions concernées (voir, par analogie, arrêt Kadi II, point 42 supra, EU:C:2013:518, point 116).

51      Dans ces conditions, ces arguments sont insuffisants pour justifier une mesure restrictive comme celle en cause.

52      Il s’ensuit que le Conseil ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait en vertu de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, tel qu’interprété par la Cour dans son arrêt Kadi II, point 42 supra (EU:C:2013:518, point 121).

53      Partant, l’inscription du nom de la requérante sur les listes doit être considérée comme entachée d’une erreur d’appréciation.

54      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient d’annuler les actes attaqués, en ce qu’ils concernent la requérante, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés à l’appui du recours.

 Sur les effets dans le temps de l’annulation des actes attaqués

55      S’agissant du règlement d’exécution n° 1264/2012, il doit être rappelé que, en vertu de l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, par dérogation à l’article 280 TFUE, les décisions du Tribunal annulant un règlement ne prennent effet qu’à compter de l’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, dudit statut ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, à compter du rejet de celui-ci [voir arrêt du 6 septembre 2013, Persia International Bank/Conseil, T‑493/10, Rec (Extraits), EU:T:2013:398, point 122 et jurisprudence citée].

56      L’article 60, second alinéa, du statut de la Cour est donc bien applicable en l’espèce (arrêt Persia International Bank/Conseil, point 55 supra, EU:T:2013:398, point 127).

57      Dans ces circonstances, le Conseil dispose d’un délai de deux mois, augmenté du délai de distance de dix jours, à compter de la notification du présent arrêt, pour remédier aux violations constatées en adoptant, le cas échéant, de nouvelles mesures restrictives à l’égard de la requérante. En l’espèce, le risque d’une atteinte sérieuse et irréversible à l’efficacité des mesures restrictives qu’impose le règlement d’exécution n° 1264/2012 n’apparaît pas suffisamment élevé, compte tenu de l’importante incidence de ces mesures sur les droits et les libertés de la requérante, pour justifier le maintien des effets dudit règlement à l’égard de cette dernière pendant une période allant au-delà de celle prévue à l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour (voir arrêt Persia International Bank/Conseil, point 55 supra, EU:T:2013:398, point 128 et jurisprudence citée).

58      Enfin, en ce qui concerne les effets dans le temps de l’annulation de la décision 2012/829, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, le Tribunal peut, s’il l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets de l’acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs. En l’espèce, l’existence d’une différence entre la date à laquelle prend effet la décision d’annulation du règlement d’exécution n° 1264/2012 et celle jusqu’à laquelle sont considérés comme définitifs les effets de ladite décision serait susceptible d’entraîner une atteinte sérieuse à la sécurité juridique, les actes attaqués infligeant à la requérante des mesures identiques. Les effets de cette décision doivent donc être maintenus, en ce qui concerne la requérante, jusqu’à la prise d’effet de la décision d’annulation du règlement d’exécution n° 1264/2012 (voir, en ce sens, arrêt Persia International Bank/Conseil, point 55 supra, EU:T:2013:398, point 129 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

59      L’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens de la présente instance, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)       La décision 2012/829/PESC du Conseil, du 21 décembre 2012, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, est annulée en ce qu’elle a inscrit le nom d’Iranian Aluminium Co. (Iralco) dans l’annexe II de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC.

2)      Le règlement d’exécution (UE) n° 1264/2012 du Conseil, du 21 décembre 2012, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, est annulé en ce qu’il a inscrit le nom d’Iralco dans l’annexe IX du règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (UE) n° 961/2010.

3)      Les effets de la décision 2012/829 sont maintenus en ce qui concerne Iralco jusqu’à la prise d’effet de la décision d’annulation du règlement d’exécution n° 1264/2012.

4)      Le Conseil de l’Union européenne supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Iralco.

Martins Ribeiro

Gervasoni

Madise

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 septembre 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.