Language of document : ECLI:EU:T:2006:402

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

14 décembre 2006 (*)

« Défaut de prise de position sur les plaintes – Recours en carence – Délai de recours – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire T-150/06,

Smanor SA, établie à Saint-Martin-d’Écublei (France),

Hubert Ségaud et Monique Ségaud, demeurant à Saint-Martin-d’Écublei,

représentés par Mes L. Roques et J.-P. Ekeu, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours tendant à faire constater la carence de la Commission en ce qu’elle s’est illégalement abstenue de prendre position sur des plaintes déposées en 1986 par les requérants à l’encontre de la République française,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. H. Legal, président, MM. V. Vadapalas et N. Wahl, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits et procédure

1        Smanor SA, dont les dirigeants et actionnaires majoritaires étaient H. Ségaud et M. Ségaud, était une société française ayant pour activité la production et la vente de produits laitiers frais et surgelés, notamment des yaourts.

2        Elle a fait l’objet de plusieurs démarches de la part des autorités françaises ainsi que de poursuites pénales destinées à lui interdire, sur la base des dispositions françaises en vigueur, la commercialisation de ces produits sous la dénomination « yaourt surgelé » ou « yoghourt surgelé ».

3        Estimant que les différentes poursuites se trouvaient à l’origine de ses difficultés financières, elle a, par lettres du 24 novembre et du 4 décembre 1986, adressé à la Commission des plaintes à l’encontre de la République française, en faisant valoir que les dispositions du droit français qui lui étaient appliquées étaient contraires au droit communautaire et, en particulier, à la directive 79/112/CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard (JO 1979, L 33, p.1).

4        Dans l’arrêt du 14 juillet 1988, Smanor (298/87, Rec. p. 4489) la Cour s’est prononcée à titre préjudiciel sur l’interprétation des articles 30 à 36 du traité CE et des articles 5, 15 et 16 de la directive 79/112 au regard de la réglementation française en matière de yaourts. Selon les requérants, suite à cette décision, ladite réglementation a été abrogée et remplacée.

5        En 1996, les requérants ont introduit devant le Tribunal un recours tendant, d’une part, à faire constater la carence de la Commission en ce qu’elle s’était abstenue d’engager une procédure en manquement au titre de l’article 226 CE à l’encontre de la République française et, d’autre part, à obtenir réparation du préjudice découlant de ladite abstention. Par ordonnance du 3 juillet 1997, Smanor e.a./Commission (T-201/96, Rec. p. II-1081), le Tribunal a rejeté le recours comme manifestement irrecevable. Le pourvoi formé contre cette ordonnance a été rejeté comme manifestement irrecevable par ordonnance de la Cour du 9 juillet 1998, Smanor e.a./Commission (C-317/97 P, Rec. p. I-4269).

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 mai 2006, les requérants ont introduit le présent recours.

7        En réponse aux lettres du greffier du 21 juin et 17 août 2006, les requérants ont procédé à la régularisation de leur requête.

 Conclusions des parties requérantes 

8        Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        dire la société Smanor SA et les consorts Ségaud bien fondés en leur recours contre la Commission ;

–        constater que la Commission, priée en novembre et décembre 1986 de prendre position sur les plaintes déposées par les requérants à l’encontre du gouvernement français, conformément à l’article 232 CE, a brutalement cessé de les instruire en omettant d’adresser aux requérants la moindre recommandation ou avis, même provisoire, ou de procéder au classement pour absence d’intérêt communautaire, par une décision dûment motivée, bloquant ainsi toute la procédure réparatrice que les requérants étaient fondés d’espérer dans la défense de leur préjudice.

9        Les requérants demandent également au Tribunal d’adopter des mesures provisoires et d’ordonner le sursis à l’exécution d’un jugement d’adjudication du 18 octobre 2005 rendu par un tribunal national et du commandement de quitter les lieux du 11 mai 2006.

 En droit

10      Aux termes de l’article 111 du règlement de procédure du Tribunal, lorsque le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d’un recours ou lorsque ce dernier est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

11      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de statuer sans poursuivre la procédure.

12      Dans la présente affaire, par leur demande, les requérants tendent à obtenir du Tribunal qu’il constate, sur la base de l’article 232 CE, la carence de la Commission en ce qu’elle s’est abstenue de prendre formellement position sur des plaintes qu’ils avaient formées en 1986 à l’encontre de la République française.

 Sur la recevabilité du recours en carence

13      Aux termes de l’article 232, deuxième alinéa, CE, le recours en carence n’est recevable que si l’institution en cause a été préalablement invitée à agir. Si, à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de cette invitation, l’institution n’a pas pris position, le recours peut être formé dans un nouveau délai de deux mois. Conformément aux dispositions de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, ce délai doit être augmenté d’un délai de distance forfaitaire de dix jours.

14      Selon une jurisprudence constante, les délais de procédure sont d’ordre public, ayant été institués en vue d’assurer la clarté et la sécurité des situations juridiques et d’éviter toute discrimination ou traitement arbitraire dans l’administration de la justice, et il appartient au juge communautaire de vérifier, d’office, s’ils ont été respectés (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 13 décembre 1999, Sodima/Commission, T-190/95 et T-45/96, Rec. p. II-3617, point 25 et ordonnance de la Cour du 13 décembre 2000, Sodima/Commission, C‑44/00 P, Rec. p. I-11231, point 51).

15      En l’espèce, il ressort des conclusions du recours que les requérants demandent au Tribunal de faire constater que la Commission a illégalement omis de prendre position sur les plaintes qu’ils ont formées en 1986 à l’encontre de la République française. Il ne découle cependant pas du dossier que les requérants ont mis la Commission en demeure d’agir sur les plaintes en question. Il n’en ressort pas, a fortiori, qu’une mise en demeure a été effectuée dans le respect des conditions énoncées à l’article 232 CE.

16      Dès lors, il y a lieu de conclure au rejet du présent recours comme manifestement irrecevable.

 Sur demande de sursis à l’exécution

17      Dans leur recours, les requérants demandent également au Tribunal d’adopter des mesures provisoires et d’ordonner le sursis à l’exécution d’un jugement d’adjudication du 18 octobre 2005 rendu par un tribunal national et du commandement de quitter les lieux du 11 mai 2006.

18      Or, il y a lieu de constater que le traité CE ne prévoit aucune voie de recours permettant aux personnes physiques ou morales de saisir le juge communautaire d’une demande de sursis à l’exécution d’un jugement des juridictions nationales ou d’une décision des autorités nationales. Les conclusions des requérants sont dès lors manifestement irrecevables.

19      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté dans sa totalité comme manifestement irrecevable, sans qu’il soit nécessaire de le signifier à la partie défenderesse.

 Sur les dépens

20      La présente ordonnance étant adoptée avant la signification de la requête à la partie défenderesse et avant que celle-ci n’ait pu exposer des dépens, il suffit de décider que les requérants supporteront leurs propres dépens, conformément à l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Les requérants supporteront leurs propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 14 décembre 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       H. Legal


* Langue de procédure : le français.