Language of document : ECLI:EU:T:2021:26

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

20 janvier 2021 (*)

« Dessin ou modèle communautaire – Demande de dessin ou modèle communautaire représentant un désodorisant d’air – Non-observation d’un délai à l’égard de l’EUIPO – Requête en restitutio in integrum – Article 67, paragraphe 1, du règlement (CE) no 6/2002 – Devoir de vigilance »

Dans l’affaire T‑276/20,

Jeffrey Scott Crevier, demeurant à Fort Lauderdale, Floride (États-Unis), représenté par M. M. Kime, barrister,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme R. Cottrell, MM. A. Folliard-Monguiral et V. Ruzek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 2 mars 2020 (affaire R 2396/2019‑3), relative à une requête en restitutio in integrum,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. S. Frimodt Nielsen (rapporteur) et C. Iliopoulos, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 11 mai 2020,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 23 septembre 2020,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 21 septembre 2018, le requérant, M. Jeffrey Scott Crevier, a présenté une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire représentant un désodorisant d’air à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1). Cette demande était accompagnée de sept vues du dessin ou modèle en cause et revendiquait la priorité de la demande de dessin ou modèle américain no 29 641 525, déposée le 22 mars 2018.

2        Par une communication du 4 octobre et, à nouveau, par une communication du 12 décembre 2018 (ci-après l’« avis d’irrégularité »), l’examinateur a indiqué au requérant que cette demande était irrégulière en ce qui concerne certaines vues qui y étaient jointes et l’a invité à remédier à ces irrégularités.

3        Le 4 octobre 2018, l’examinateur avait également soulevé une irrégularité en ce qui concerne la demande de priorité, laquelle ne pouvait être accueillie en l’absence de dépôt d’une copie complète de la demande antérieure, mais cette irrégularité a été régularisée le 30 novembre 2018, quand l’EUIPO a reçu une copie certifiée conforme de la demande américaine, comme l’examinateur l’a indiqué au requérant le 12 décembre 2018.

4        Le délai prescrit pour remédier aux irrégularités relatives à certaines vues jointes à la demande d’enregistrement prenait fin, compte tenu de l’extension de cinq jours calendaires prévue par les règles internes de l’EUIPO en cas de communication par voie électronique, le 17 février 2019.

5        Le 28 février 2019, l’EUIPO a reçu une communication électronique du représentant professionnel du requérant (ci-après le « représentant devant l’EUIPO » ou le « représentant »),  transmise par l’intermédiaire de l’« espace utilisateur » du compte ouvert par celui-ci auprès de l’EUIPO.

6        Dans cette communication, le représentant devant l’EUIPO indiquait avoir téléphoné à l’EUIPO les 21 et 22 janvier 2019 pour, tout d’abord, parler à l’examinateur, ensuite, savoir comment répondre à l’avis d’irrégularité, étant donné l’absence de bouton « cliquer pour répondre » associé à la notification de cet avis dans l’« espace utilisateur » de son compte EUIPO, et, enfin, demander à être rappelé. Par ailleurs, le représentant devant l’EUIPO faisait valoir que, en l’absence d’un tel rappel, il avait répondu à l’avis d’irrégularité par lettre envoyée à l’EUIPO par courrier aérien le 22 janvier 2019 (ci-après la « lettre litigieuse »). Il joignait une copie de cette lettre en annexe à sa communication du 28 février 2019.

7        L’EUIPO a indiqué ne pas avoir reçu la lettre litigieuse avant qu’elle ne lui ait été communiquée en copie par le représentant en annexe à sa communication du 28 février 2019.

8        Le 22 mars 2019, l’examinateur a rejeté la demande d’enregistrement en application de l’article 10, paragraphe 4, du règlement (CE) no 2245/2002 de la Commission, du 21 octobre 2002, portant modalités d’application du règlement no 6/2002 (JO 2002, L 341, p. 28), au motif que le requérant n’avait pas remédié aux irrégularités dans le délai prescrit.

9        Le 22 mai 2019, le requérant a, sur le fondement de l’article 67 du règlement no 6/2002, adressé à l’EUIPO une requête en restitutio in integrum.

10      Par décision du 27 septembre 2019, l’examinateur a rejeté cette requête au motif que le représentant devant l’EUIPO n’avait pas fait preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances.

11      Le 25 octobre 2019, le requérant a formé un recours tendant à l’annulation de cette décision.

12      Par décision du 2 mars 2020 (ci-après la « décision attaquée »), la troisième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté ce recours au motif que l’une des conditions prévues à l’article 67 du règlement no 6/2002 n’était pas remplie, le représentant devant l’EUIPO n’ayant pas fait preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances. Elle a relevé que l’EUIPO n’avait pas reçu la lettre litigieuse. Elle a également considéré que le devoir de vigilance incombait, en l’espèce, au représentant devant l’EUIPO et que celui-ci n’avait pas fourni d’explication adéquate quant à la raison pour laquelle il aurait envoyé ladite lettre à la hâte sans l’enregistrer dans le journal du courrier sortant, ne laissant ainsi aucune trace de l’envoi effectif de la lettre par son entreprise, alors qu’il restait encore près de trois semaines avant l’expiration du délai prescrit.

 Conclusions des parties

13      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        annuler la décision de l’examinateur du 22 mars 2019 ;

–        ordonner la restitutio in integrum, ou subsidiairement, renvoyer l’affaire devant l’EUIPO en lui donnant les instructions appropriées ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens, y compris ceux exposés devant la chambre de recours.

14      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

15      Le requérant invoque en substance un moyen unique, tiré, à titre principal, de la violation de l’article 67, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 et du principe de proportionnalité et, à titre subsidiaire, de la violation du principe d’égalité de traitement. Il allègue que la chambre de recours a considéré à tort que son représentant devant l’EUIPO, lequel n’est pas le même que son représentant devant le Tribunal, n’avait pas fait preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances. À cet égard, le requérant soutient, d’une part, que la chambre de recours a dénaturé les éléments de preuve qui lui avaient été présentés et, d’autre part, qu’elle a méconnu les principes exposés dans la décision de la quatrième chambre de recours de l’EUIPO du 25 mai 2012 (affaire R 1928/2011-4, Sun Park Holidays/Sunparks, ci-après la « décision Sun Park Holidays/Sunparks »).

 Observations liminaires sur le devoir de vigilance

16      Aux termes de l’article 67, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, le demandeur ou le titulaire d’un dessin ou modèle communautaire enregistré ou toute autre partie à une procédure devant l’EUIPO qui, bien qu’ayant fait preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances, n’a pas été en mesure d’observer un délai à l’égard de l’EUIPO est, sur requête, rétabli dans ses droits si l’empêchement a eu pour conséquence directe, en vertu dudit règlement, la perte d’un droit ou celle d’un moyen de recours.

17      Il ressort de cette disposition que la restitutio in integrum est subordonnée à deux conditions, la première étant que la partie ait agi avec toute la vigilance nécessaire au regard des circonstances et, la seconde, que l’empêchement de la partie ait eu pour conséquence directe la perte d’un droit ou celle d’un moyen de recours [voir arrêt du 31 janvier 2019, Thun/EUIPO (Poisson), T‑604/17, non publié, EU:T:2019:42, point 11 et jurisprudence citée].

18      Seule la première de ces deux conditions cumulatives est ici en cause.

19      Il ressort également de l’article 67, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 que le devoir de vigilance incombe, d’abord, au demandeur ou au titulaire d’un dessin ou modèle communautaire ou à toute autre partie à une procédure devant l’EUIPO. Toutefois, si ces personnes se font représenter, le représentant est, tout autant que ces personnes, soumis au devoir de vigilance. En effet, celui-ci agissant au nom et pour le compte du demandeur ou du titulaire d’un dessin ou modèle communautaire ou de toute autre partie à une procédure devant l’EUIPO, ses actes doivent être considérés comme étant ceux de ces personnes (voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2019, Poisson, T‑604/17, non publié, EU:T:2019:42, points 18 et 19 et jurisprudence citée).

20      Il convient par ailleurs de rappeler que, selon la jurisprudence, l’expression « toute la vigilance nécessitée par les circonstances », figurant à l’article 67, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, requiert la mise en place d’un système de contrôle et de surveillance interne des délais qui exclut généralement le non‑respect involontaire de ceux-ci. Il s’ensuit que seuls des événements à caractère exceptionnel et, partant, imprévisibles selon l’expérience peuvent donner lieu à une restitutio in integrum (voir arrêt du 31 janvier 2019, Poisson, T‑604/17, non publié, EU:T:2019:42, point 31 et jurisprudence citée).

21      En outre, le respect des délais est d’ordre public et la restitutio in integrum est susceptible de nuire à la sécurité juridique. Par conséquent, les conditions d’application de la restitutio in integrum doivent être interprétées de façon stricte [voir, par analogie, arrêt du 19 septembre 2012, Video Research USA/OHMI (VR), T‑267/11, EU:T:2012:446, point 35].

 Sur le défaut de vigilance du représentant devant l’EUIPO 

22      En l’espèce, pour écarter les arguments du requérant à l’encontre de la décision de l’examinateur qui avait rejeté sa requête en restitutio in integrum au motif que son représentant n’avait pas fait preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances, la chambre de recours a considéré ce qui suit :

« 19      Le requérant fait valoir que [l’examinateur] a commis une erreur en rejetant la requête en restitutio in integrum pour défaut de la vigilance nécessitée par les circonstances dans le chef du représentant [devant l’EUIPO]. Il soutient que le représentant a effectivement envoyé une réponse à l’avis d’irrégularité du 12 décembre 2018 par courrier aérien standard le 22 janvier 2019, laquelle aurait dû arriver dans les 3 à 5 jours ouvrables, soit bien avant l’expiration du délai du 12 février 2019 ; le fait que la lettre n’ait jamais été remise à [l’EUIPO] ne relève pas d’une faute de son représentant, mais de celle des services postaux [du Royaume-Uni] et espagnols.

20      Il est constant que le 12 décembre 2018, le représentant devant l’EUIPO a été informé de l’irrégularité dans la représentation de la demande de dessin ou modèle communautaire.

21      Le représentant a expliqué comme suit l’enchaînement des événements :

–        […] il avait téléphoné le 21 janvier 2019 […] et le 22 janvier 2019 […] pour parler à [l’examinateur] afin de savoir comment répondre [à l’avis d’irrégularité], étant donné l’absence de bouton “Répondre” associé à la notification dans [l’“espace utilisateur”] et pour demander qu’on le rappelle ;

–        à la fin du dernier appel téléphonique du représentant […] la secrétaire responsable du courrier avait déjà terminé sa journée ;

–        n’ayant pas été rappelé par [l’EUIPO] et la secrétaire étant rentrée chez elle, le représentant a dactylographié lui-même la réponse à l’avis d’irrégularité, a imprimé une étiquette d’adresse et a calculé l’affranchissement en fonction de la taille et du poids de l’enveloppe. Il a vérifié les frais de port sur le site web du service postal [du Royaume-Uni] et a apposé les timbres correspondants sur l’enveloppe en ouvrant le tiroir du bureau dans lequel les timbres sont rangés ;

–        le représentant a posté la lettre dans la boîte aux lettres située en face du bureau en rentrant chez lui.

22      Il a reconnu qu’il existe une procédure pour le courrier sortant qu’il n’a pas suivie. Il a admis devant [l’examinateur] que, s’il avait attendu le lendemain et demandé à la secrétaire de dactylographier, d’imprimer et d’envoyer la lettre, elle l’aurait enregistrée dans le journal du courrier sortant, ce qui aurait au moins fourni une preuve de l’envoi de la lettre […] En ne suivant pas cette procédure et en omettant d’enregistrer l’envoi de la lettre dans le journal du courrier sortant, le représentant a clairement enfreint les procédures de l’entreprise concernant l’expédition du courrier.

23      En outre, le représentant n’explique pas pourquoi il n’a pas attendu le lendemain (mercredi) pour demander à la secrétaire de dactylographier, d’imprimer et d’envoyer la lettre et de l’enregistrer dans le journal du courrier sortant. Le délai n’expirait que le 12 février 2019 et tout représentant agissant avec une diligence raisonnable aurait attendu le lendemain pour envoyer la lettre.

24      Le comportement du représentant n’était pas de nature à exclure un non‑respect involontaire du délai prescrit du 12 février 2019 pour répondre à l’avis d’irrégularité concernant la représentation de la demande de dessin ou modèle.

25      Bien qu’il ait été indiqué qu’il appartenait à la secrétaire de dactylographier, d’imprimer et d’envoyer la lettre et d’effectuer l’enregistrement correspondant dans le journal du courrier sortant, le représentant n’a avancé aucun argument concernant le système précis mis en place par son entreprise pour contrôler les délais afin d’en garantir le respect.

26      Comme preuve de l’envoi de la lettre [litigieuse] le représentant ne fournit qu’une capture d’écran des métadonnées [du logiciel] MS Word, qui montre, selon lui, que sa lettre a été sauvegardée à 17 h 25 le 22 janvier, ce qui cadre avec la fin de l’appel à 16 h 33. Les métadonnées prouvent tout au plus qu’un document a été sauvegardé. Elles ne sauraient prouver que la lettre a été imprimée et effectivement envoyée, comme indiqué plus haut.

[…]

28      Aucune explication adéquate n’a été avancée quant à la raison pour laquelle le représentant aurait envoyé lui-même une lettre à la hâte sans l’enregistrer dans le journal du courrier sortant, ne laissant ainsi aucune trace de l’envoi effectif de la lettre par son entreprise, près de trois semaines avant l’expiration du délai prescrit. De ce fait, “toute la vigilance nécessitée par les circonstances” n’a pas été démontrée.

29      Dans ces conditions, [l’examinateur] n’a pas commis d’erreur en considérant qu’il n’y avait pas lieu de faire droit à la requête en restitutio in integrum, étant donné que l’une des conditions visées à l’article 67, paragraphe 1, du [règlement no  6/2002] n’avait pas été remplie, à savoir la condition exigeant de la partie qu’elle fasse preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances. »

23      À cet égard, le requérant critique l’affirmation figurant au point 26 de la décision attaquée, selon laquelle la capture d’écran des métadonnées du logiciel MS Word, fournie pour démontrer que la lettre litigieuse a été imprimée et envoyée le 22 janvier 2019, établit seulement qu’une version de ladite lettre a été sauvegardée ce jour-là sur l’ordinateur du représentant devant l’EUIPO. Il reproche également à la chambre de recours de n’avoir pas tenu compte des différents éléments présentés pour établir les souvenirs du représentant devant l’EUIPO et attester ainsi que ladite lettre avait bien été postée le soir même. En outre, malgré l’existence, au sein de l’entreprise de son représentant, d’un système interne de contrôle et de surveillance des délais excluant généralement le non-respect involontaire de ceux-ci, le requérant fait valoir qu’il n’était pas déraisonnable d’omettre tout ou partie des étapes dudit système. La restitutio in integrum ne devrait donc pas être exclue et en décider autrement serait contraire au principe de proportionnalité.

24      L’EUIPO conteste cette argumentation.

25      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’il est constant qu’il n’a pas été remédié dans le délai imparti au requérant par l’EUIPO aux irrégularités visées dans l’avis d’irrégularité. En application de l’article 10, paragraphe 4, du règlement no 2245/2002, l’EUIPO était donc en droit de rejeter la demande d’enregistrement pour ce motif.

26      Pour fonder sa requête en restitutio in integrum et ainsi établir avoir « fait preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances », le requérant a fait valoir différents arguments pour démontrer que son représentant devant l’EUIPO avait indiqué comment il entendait remédier à aux irrégularités concernées par la lettre litigieuse, postée sous pli ordinaire au Royaume-Uni le 22 janvier 2019.

27      Force est toutefois de relever que, à supposer même que les différents éléments présentés par le représentant devant l’EUIPO pour établir ses souvenirs et la capture d’écran des métadonnées du logiciel MS Word produite pour en étayer la véracité soient suffisants pour prouver qu’il avait bien effectué l’envoi sous pli ordinaire de la lettre litigieuse le 22 janvier 2019, il n’en demeure pas moins qu’aucun de ces éléments ne permet d’établir que le requérant a agi avec toute la vigilance nécessaire pour qu’un tel pli soit reçu dans les délais par l’EUIPO.

28      Une telle conclusion n’est en rien modifiée par la réponse à la question de savoir si un envoi sous pli ordinaire a été, ou non, enregistré dans le journal du courrier sortant comme le prévoyait les procédures établies au sein de l’entreprise du représentant devant l’EUIPO relatives à l’expédition du courrier. En effet, un tel enregistrement n’aurait pu, au mieux, que faciliter la démonstration de l’envoi effectif de la lettre litigieuse par cette entreprise, sans fournir le moindre élément sur la réception de cet envoi par son destinataire.

29      Or, ainsi qu’il a déjà été relevé par la jurisprudence, le propre d’un envoi sous pli ordinaire est de n’être assorti d’aucun élément permettant d’établir avec certitude la réalité tant de son envoi que de sa réception [arrêt du 25 octobre 2012, Automobili Lamborghini/OHMI – Miura Martínez (Miura), T‑191/11, non publié, EU:T:2012:577, point 32]. En outre, ainsi que l’examinateur l’a relevé dans la décision rejetant la requête en restitutio in integrum, les lettres adressées sous pli ordinaire ne peuvent pas faire l’objet d’un suivi (voir point 10 de la décision attaquée).

30      D’une part, en effet, le requérant n’invoque aucun élément à même d’établir non seulement l’envoi, mais aussi la réception de la lettre litigieuse, qui aurait été adressée sous pli ordinaire à l’EUIPO le 22 janvier 2019. Si le requérant présente des éléments, tirés des souvenirs de son représentant devant l’EUIPO ou d’une capture d’écran des métadonnées du logiciel MS Word qui montrerait que ladite lettre a été sauvegardée sur l’ordinateur de celui-ci ce jour-là en début de soirée, ces éléments ne concernent pas la réception, mais seulement l’élaboration de ladite lettre ou encore, bien que d’une manière insuffisamment probante, son envoi sous pli ordinaire.

31      D’autre part, l’EUIPO indique de son côté que tous les documents qu’il reçoit sont traités et reproduits dans les dossiers correspondants avec une marque apposée à l’aide d’un tampon comportant la date d’arrivée. Il en a été ainsi de la copie complète de la demande antérieure de dessin ou modèle transmise par le représentant devant l’EUIPO au moyen d’un envoi sous pli ordinaire (voir ci‑dessus point 3). L’EUIPO fait observer, à cet égard, qu’aucune trace n’existe d’un tel traitement en ce qui concerne la lettre litigieuse. La décision attaquée indique ainsi que « [l’EUIPO] n’a pas reçu la[dite] lettre » (voir point 7 de la décision attaquée).

32      Dans ces conditions, l’aléa inhérent à un envoi sous pli ordinaire, lequel résulte du choix de ce mode de communication par le représentant devant l’EUIPO, ne peut être mis à la charge du destinataire de cet envoi, dès lors que ce dernier expose différents indices de nature à jeter un doute raisonnable quant à la réception de l’envoi en question (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2012, Miura, T‑191/11, non publié, EU:T:2012:577, points 32 à 34).

33      Dans une telle situation, comme l’énonce l’EUIPO dans le mémoire en réponse, il incombait au représentant devant l’EUIPO, en tant que professionnel auquel il est demandé de faire preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances, de s’assurer de la réception dans le délai imparti de la lettre litigieuse dont il allègue l’envoi sous pli ordinaire le 22 janvier 2019.

34      Ainsi, le représentant devant l’EUIPO aurait dû s’enquérir de la réception de l’envoi sous pli ordinaire auprès de l’EUIPO, afin de remédier à un éventuel défaut de réception s’il s’avérait que cet envoi n’avait pas atteint son destinataire dans le délai cible de 3 à 5 jours qu’il a évoqué devant la chambre de recours (voir point 9, huitième tiret, de la décision attaquée), avant l’expiration du délai imparti par l’EUIPO pour donner suite à l’avis d’irrégularité. Or, ainsi que l’a relevé à juste titre la chambre de recours au point 25 de la décision attaquée, « le requérant n’a avancé aucun argument concernant le système précis mis en place par son entreprise pour contrôler les délais afin d’en garantir le respect ».

35      Par ailleurs, le requérant ne peut alléguer qu’il a été satisfait à ce devoir de vigilance quand son représentant a contacté l’EUIPO, d’abord téléphoniquement et ensuite par une communication électronique, le 28 février 2019. En effet, une telle prise de contact, laquelle a été accompagnée de l’envoi d’une copie de la lettre litigieuse en annexe à ladite communication électronique, intervenant plus de dix jours après l’expiration du délai imparti, a pu valablement être considérée comme tardive.

36      Ainsi que le relève l’EUIPO, le représentant aurait également pu utiliser le télécopieur pour transmettre sa réponse à l’avis d’irrégularité. Il disposait à cet effet d’un numéro de télécopie préenregistré auprès de l’EUIPO, comme cela est indiqué dans la décision de l’examinateur qui a rejeté la requête en restitutio in integrum.

37      Il ressort de ce qui précède que, compte tenu de l’aléa inhérent à un envoi sous pli ordinaire, lequel résulte du choix de ce mode de communication par le représentant devant l’EUIPO, la chambre de recours était en droit de considérer que celui-ci n’avait pas fait preuve en l’espèce de toute la vigilance nécessitée par les circonstances et que, dès lors, la première condition prévue à l’article 67, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 n’était pas remplie.

38      En effet, il y a lieu de considérer qu’un système efficace de contrôle et de surveillance interne du respect des délais, lorsqu’il est recouru à l’envoi sous pli ordinaire comme mode de communication, doit comporter la vérification de la réception d’un tel envoi par son destinataire.

39      L’exigence d’une telle précaution n’est pas contraire au principe de proportionnalité. En effet, le non‑respect d’une obligation telle que l’observation des délais prescrits par l’EUIPO, qui est fondamentale pour le bon fonctionnement de la procédure d’examen des demandes d’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire, peut être sanctionné par la perte d’un droit, sans que cela soit incompatible avec le principe de proportionnalité [voir, par analogie, arrêt du 17 septembre 2008, Neurim Pharmaceuticals (1991)/OHMI – Eurim-Pharm Arzneimittel (Neurim PHARMACEUTICALS), T‑218/06, EU:T:2008:379, point 55 et jurisprudence citée].

 Sur les différences entre la présente affaire et l’affaire ayant donné lieu à la décision Sun Park Holidays/Sunparks 

40      Au point 27 de la décision attaquée, la chambre de recours réfute comme suit la pertinence d’un parallèle entre la présente affaire et l’affaire ayant donné lieu à la décision Sun Park Holidays/Sunparks :

« La [décision Sun Park Holidays/Sunparks], concernant l’absence de dépôt en temps utile d’un mémoire exposant les motifs, n’est pas comparable. Dans cette affaire, l’existence d’irrégularités dans le fonctionnement de la boîte aux lettres du service postal allemand a été démontrée, ces irrégularités ayant été portées à l’attention du représentant par les plaintes reçues selon lesquelles des lettres, déposées dans la même boîte aux lettres, n’étaient pas parvenues aux clients ou aux juridictions respectifs. En l’espèce, rien n’indique qu’un événement étranger s’est produit alors que la lettre en réponse était confiée aux services postaux [du Royaume-Uni] et espagnols. En outre, dans l’affaire citée, le mémoire exposant les motifs est arrivé hors délai, tandis qu’en l’espèce, l’[EUIPO] n’a jamais reçu la lettre [litigieuse] prétendument postée le 22 janvier 2019. »

41      Cette appréciation est critiquée par le requérant pour les raisons suivantes, qui établiraient une inégalité de traitement. S’agissant de la première différence relevée par la chambre de recours avec l’affaire ayant donné lieu à la décision Sun Park Holidays/Sunparks, à savoir que l’existence d’irrégularités dans le fonctionnement du service postal allemand avait été démontrée dans cette affaire, alors que rien n’indiquerait ici qu’un événement étranger au représentant devant l’EUIPO se serait produit dans le cadre du traitement de la lettre litigieuse par les services postaux du Royaume-Uni et espagnols, le requérant fait valoir que le fait que la lettre litigieuse ne soit pas arrivée constitue la preuve d’un tel évènement étranger. La chambre de recours aurait dû considérer que les éléments de preuve fournis par le représentant devant l’EUIPO revêtaient le même degré de sérieux que la déclaration sous serment faite par l’employée du représentant dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Sun Park Holidays/Sunparks.

42      Le requérant considère également comme erronée la seconde différence relevée par la chambre de recours entre la présente affaire, où le document litigieux ne serait jamais arrivé, et l’affaire ayant donné lieu à la décision Sun Park Holidays/Sunparks, où celui-ci serait arrivé avec retard, dans la mesure où ce serait non l’original du document litigieux qui serait arrivé avec retard dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Sun Park Holidays/Sunparks, mais une copie déposée par la suite. Or, dans la présente affaire, une copie aurait également été transmise à l’EUIPO, en annexe à la communication du représentant devant l’EUIPO du 28 février 2019. Ce dernier aurait donc été plus diligent en l’espèce que le représentant qui est intervenu dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Sun Park Holidays/Sunparks, étant donné qu’il n’a pas attendu d’être informé par l’EUIPO qu’aucun document n’avait été reçu à temps pour transmettre une copie. Par ailleurs, à la différence de l’affaire ayant donné lieu à la décision Sun Park Holidays/Sunparks, où la chambre de recours avait accepté des éléments de preuve indirects tendant à démontrer que le document litigieux avait été établi avant la fin du délai prescrit, la chambre de recours aurait retenu l’existence d’un doute concernant la véracité des souvenirs du représentant devant l’EUIPO quant à la rédaction de la lettre litigieuse, en dépit de l’élément de preuve consistant en les métadonnées relatives à celle-ci.

43      Le requérant soutient aussi que la chambre de recours a omis de tenir compte de la considération figurant dans la décision Sun Park Holidays/Sunparks quant à l’exigence pour la partie concernée d’avoir fait preuve de « toute la vigilance nécessitée par les circonstances », selon laquelle « la seule question est de savoir si les représentants auraient pu ou dû compter avec la possibilité que le contenu de la boîte n’ait pas été relevé ou que son contenu n’ait pas été correctement délivré ». Dans la présente affaire, la chambre de recours aurait dû répondre par la négative à la question similaire, de la même manière qu’elle a répondu à la question précitée dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Sun Park Holidays/Sunparks, qui était et continuerait d’être le cas faisant autorité, selon les directives relatives à l’examen devant l’EUIPO.

44      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, l’EUIPO est tenu d’exercer ses compétences en conformité avec les principes généraux du droit de l’Union, y compris le principe d’égalité de traitement et le principe de bonne administration (voir arrêt du 28 juin 2018, EUIPO/Puma, C‑564/16 P, EU:C:2018:509, point 60 et jurisprudence citée). Dès lors, la Cour a précisé que l’EUIPO doit, eu égard notamment au principe d’égalité de traitement, prendre en considération les décisions qu’il a déjà adoptées sur des demandes similaires et s’interroger avec une attention particulière sur le point de savoir s’il y a lieu ou non de décider dans le même sens, l’application des deux principes susmentionnés devant être conciliée avec le respect du principe de légalité, ce qui implique que l’examen de toute requête en restitutio in integrum doit être strict et complet et avoir lieu dans chaque cas concret (voir, par analogie, arrêt du 28 juin 2018, EUIPO/Puma, C‑564/16 P, EU:C:2018:509, point 61 et jurisprudence citée).

45      Ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, la chambre de recours a fait état à juste titre de différences entre la présente affaire et l’affaire ayant donné lieu à la décision Sun Park Holidays/Sunparks.

46      En effet, à la différence de la présente affaire, il existait dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Sun Park Holidays/Sunparks des éléments de preuve permettant d’établir l’existence d’irrégularités dans le fonctionnement de la boîte aux lettres du service postal qui avait été utilisée. Ces éléments de preuve, mentionnés aux points 7, 15 et 16 de la décision Sun Park Holidays/Sunparks, permettaient notamment d’établir que ces irrégularités, qui concernaient également d’autres envois effectués à partir de cette boîte aux lettres, avaient été signalées au service postal avant même que l’EUIPO indique n’avoir pas reçu le document litigieux. En revanche, dans la présente affaire, aucun élément communiqué par le requérant ne concerne le fonctionnement du service postal à proprement dit.

47      Une telle conclusion ne serait pas remise en cause à supposer même, comme l’affirme le requérant, que la chambre de recours aurait dû considérer que certains éléments de preuve fournis par son représentant devant l’EUIPO pouvaient être assimilés à la déclaration sous serment faite par l’employée des représentants dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Sun Park Holidays/Sunparks.

48      Le requérant n’a donc pas démontré l’absence de défaut de vigilance de la part de son représentant en raison d’un évènement étranger à ce dernier, dans la mesure où ce qui lui est reproché, en l’espèce, est de ne s’être pas assuré de la bonne réception par le destinataire dans le délai prescrit d’un envoi qu’il avait décidé de faire par pli ordinaire.

49      La différence évoquée au point 46 ci-dessus suffit en tout état de cause à écarter l’argument tiré d’une atteinte au principe d’égalité de traitement. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les autres différences entre l’affaire ayant donné lieu à la décision Sun Park Holidays/Sunparks et la présente affaire relevées par la chambre de recours dans la décision attaquée.

50      C’est donc à bon droit que la chambre de recours a conclu, au point 27 de la décision attaquée, que les circonstances de l’affaire ayant donné lieu à la décision Sun Park Holidays/Sunparks n’étaient pas comparables à celles de la présente affaire et qu’elle était donc en droit de parvenir à des conclusions différentes dans chacune d’entre elles.

51      Enfin, en réponse à l’invocation par le requérant des directives relatives à l’examen devant l’EUIPO, aux termes desquelles, « en principe, la non-livraison par le service postal ou d’acheminement n’implique aucun manque de vigilance de la part de la partie concernée (décision [...] Sun Park Holidays/Sunparks) » (voir partie A, section 8, 2.1.a), il y a lieu de rappeler qu’il peut être dérogé à ce principe, notamment quand, comme en l’espèce, en présence d’un envoi sous pli ordinaire, il pouvait être attendu du système de contrôle et de surveillance interne des délais que celui-ci non seulement atteste de l’envoi, ce qui, en pratique, n’a pas été le cas ici, mais aussi prévoie que l’intéressé s’assure de la réception de l’envoi dans le délai prescrit (voir ci-dessus points 29 à 32).

52      Les directives relatives à l’examen devant l’EUIPO ne sont donc pas de nature à remettre en cause la conclusion qui précède.

53      Par conséquent, la chambre de recours pouvait à bon droit, sur la base de la seule conclusion mentionnée au point 37 ci-dessus, et donc sans se prononcer sur la seconde condition mentionnée au point 17 ci-dessus, rejeter le recours contre la décision de rejet de la requête en restitutio in integrum qui lui était soumis.

54      Il résulte de tout ce qui précède que le premier chef de conclusions doit être écarté, de même que, par voie de conséquence, les deuxième et troisième chefs de conclusions, sans qu’il soit besoin de statuer sur leur recevabilité.

 Sur les dépens

55      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens de l’EUIPO, conformément aux conclusions de celui-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Jeffrey Scott Crevier est condamné aux dépens.

Marcoulli

Frimodt Nielsen

Iliopoulos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 janvier 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.