Language of document : ECLI:EU:C:2024:107

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA COUR

30 janvier 2024 (*)

« Procédure accélérée »

Dans les affaires jointes C‑646/23 [Lita] et C‑661/23 [Jeszek] (i),

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Wojskowy Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional militaire de Varsovie, Pologne), par décisions du 25 octobre 2023 et du 9 novembre 2023, parvenues à la Cour respectivement le 27 octobre 2023 et le 9 novembre 2023, dans les procédures pénales contre

P.B. (C‑646/23),

R.S. (C‑661/23),

en présence de :

Prokuratura Rejonowa w Lublinie (C‑646/23),

Prokuratura Rejonowa Warszawa-Ursynów w Warszawie (C‑661/23),

LE PRÉSIDENT DE LA COUR,

le juge rapporteur, M. I. Jarukaitis, et l’avocate générale, Mme T. Ćapeta, entendus,

rend la présente

Ordonnance

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 2, de l’article 4, paragraphe 3, et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ainsi que de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de procédures pénales engagées contre P.B. pour vol de carburant (affaire C‑646/23) et contre R.S. pour manquement à son obligation de présence au sein de son unité militaire (affaire C‑661/23).

3        Dans l’affaire C‑646/23, le Wojskowy Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional militaire de Varsovie, Pologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, [TUE] ainsi que l’article 47 de la [Charte], lus en combinaison avec les dispositions de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales [JO 2016, L 65, p. 1], doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à [des dispositions nationales telles] que les articles 10 et 13 de l’ustawa o zmianie ustawy – Kodeks cywilny oraz niektórych innych ustaw (loi portant modification du code civil et modifiant certaines autres lois), du 28 juillet 2023 (Dz. U. 2023, position 1615), prévoyant la mise à la retraite de plein droit d’un juge statuant en appel dans une affaire relevant de la directive [2016/343], dans une situation où, premièrement, ces dispositions sont conçues de telle sorte qu’elles ne concernent qu’un seul juge parmi l’ensemble des juges en activité, deuxièmement, elles ne visent pas les procureurs pourtant placés dans une situation équivalente, bien que, dans la situation juridique en vigueur jusqu’à présent, les procureurs et les juges dans une situation analogue à celle du juge saisi de l’appel aient été traités de la même manière, troisièmement, la loi dans laquelle figure ces dispositions concerne non pas l’organisation des juridictions, mais une matière totalement différente, et l’exposé des motifs de cette loi n’explique aucunement les raisons de l’introduction desdites dispositions, n’indique aucun intérêt public important auquel servirait ces dernières et ne justifie pas les raisons pour lesquelles celles-ci sont proportionnées à ces objectifs, et, quatrièmement, ni ces dispositions ni aucune autre disposition du droit polonais ne prévoient la possibilité pour un tribunal ou tout autre organe de connaître d’un recours ou d’une autre voie de recours du juge visé par ces dispositions afin de contrôler le bien-fondé de sa mise à la retraite ou la compatibilité de ces dispositions avec la législation polonaise de rang supérieur, les dispositions du droit de l’Union ou le droit international ?

2)      Aux fins de répondre à la première question, importe-t-il que le juge visé par [l’article 13 de la loi portant modification du code civil et modifiant certaines autres lois] ait auparavant, en raison de ses activités visant à protéger l’indépendance des tribunaux et l’indépendance des juges, fait l’objet de mesures de répression de la part du pouvoir exécutif, qui a tenté de le mettre à la retraite sur le fondement de la législation précédemment en vigueur, et que la disposition susmentionnée du droit polonais ait été adoptée en raison de l’échec de ces tentatives ? Aux fins de cette réponse, importe-t-il que, selon la juridiction de renvoi, cette disposition ne serve aucun intérêt public important, mais revête un caractère répressif ?

3)      L’article 19, paragraphe 1, deuxième phrase, TFUE, l’article 47 de la Charte, l’article 2 et l’article 4, paragraphe 3, TUE ainsi que les principes de primauté du droit de l’Union et du contrôle juridictionnel effectif doivent-ils être interprétés, à la lumière de l’arrêt du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163), en ce sens qu’une juridiction au sein de laquelle siège le juge visé par les première et deuxième questions a le pouvoir de suspendre d’office l’application de la disposition du droit polonais visée à la première question prévoyant la mise à la retraite de celui-ci et de continuer à statuer dans cette affaire et dans d’autres affaires jusqu’à ce qu’elle ait reçu une réponse de la Cour, dans la mesure où elle juge qu’une telle réponse lui est nécessaire pour statuer sur l’affaire pendante devant elle conformément aux dispositions applicables du droit de l’Union ?

4)      Les règles et les principes visés à la troisième question doivent-ils être interprétés en ce sens que, si, compte tenu des circonstances exposées à la deuxième question, la Cour devait répondre par l’affirmative à la première question, la disposition de droit polonais, prévoyant la mise à la retraite du juge, visée par cette dernière question, ne peut pas être appliquée et que le juge n’est pas mis à la retraite, sous réserve d’une autre base juridique pour ce faire ? »

4        Dans l’affaire C‑661/23, cette juridiction a également décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le droit de l’Union – y compris l’article 2 [TUE] et la valeur de l’État de droit qui y est exprimée, ainsi que l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 47 de la [Charte] – doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions nationales telles que :

a)      l’article 233 de l’ustawa o obronie Ojczyzny (loi sur la défense de la patrie), telle que modifiée par la loi portant modification du code civil et modifiant certaines autres lois, en vertu duquel a été supprimé le droit d’un juge d’un tribunal militaire polonais d’être maintenu à son poste de juge au sein d’une telle juridiction après avoir été libéré de son service militaire professionnel (au motif qu’il a été déclaré définitivement inapte au service militaire professionnel), ce qui inclut également le droit de ce juge de siéger dans les formations de jugement de ladite juridiction dans les affaires qui lui ont été attribuées avant l’entrée en vigueur de ces dispositions ;

b)      l’article 13 de la loi portant modification du code civil et modifiant certaines autres lois, en vertu duquel, à compter de la date d’entrée en vigueur des dispositions visées au point a), un juge d’un tribunal militaire polonais qui a été libéré de son service militaire professionnel dans les circonstances décrites ci-dessus est de plein droit mis à la retraite ?

Aux fins de la réponse à cette question, importe-t-il que la disposition visée à la première question, sous b), ait, dans l’immédiat et à l’avenir, exclusivement pour destinataire un seul juge siégeant dans la formation de jugement de la juridiction de renvoi (droit dit ad hominem) et que, par ailleurs, soit maintenu, à l’égard des procureurs militaires, le droit de ces derniers de demeurer à leur poste de procureur militaire bien qu’ils aient été libérés de leur service militaire professionnel ?

2)      Le droit de l’Union – y compris les dispositions visées à la première question – doit-il être interprété en ce sens que la mise à la retraite de plein droit d’un juge d’un tribunal militaire polonais, dans les circonstances visées à la première question, est sans effet – de sorte que ce juge peut continuer à siéger au sein de la juridiction de renvoi et que toutes les autorités de l’État, y compris les organes de la juridiction, sont tenues de lui permettre de continuer à siéger au sein de cette juridiction en vertu des règles antérieures ?

3)      Le droit de l’Union – y compris, d’une part, l’article 2 TUE ainsi que la valeur de l’État de droit qui y est exprimée, l’article 4, paragraphe 3, TUE ainsi que le principe de coopération loyale qui y est exprimé, l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, l’article 267 TFUE ainsi que les principes d’effectivité et de primauté et, d’autre part, l’article 2 TUE ainsi que la valeur de la démocratie qui y est exprimée, l’article 4, paragraphe 2, TUE ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs – doit-il être interprété en ce sens que le pouvoir de la juridiction nationale, voire l’obligation pour celle-ci, de suspendre l’application des dispositions nationales faisant l’objet de la demande de décision préjudicielle, y compris des dispositions ayant rang de loi, découle directement du droit de l’Union ?

Aux fins de la réponse à cette question, importe-t-il que le droit national ne prévoie pas la possibilité d’une suspension de l’application des dispositions nationales par la juridiction auteure de la demande de décision préjudicielle et qu’une telle suspension, dans l’attente de l’examen par la juridiction de renvoi des éléments d’interprétation du droit de l’Union contenus dans la réponse à cette question, est nécessaire dans les circonstances de l’affaire au principal ? »

5        Par décision du président de la Cour du 6 décembre 2023, les affaires C‑646/23 et C‑661/23 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

6        La juridiction de renvoi a également demandé à la Cour de soumettre les présentes affaires à la procédure accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour.

7        Aux termes de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure, lorsque la nature d’une affaire exige son traitement dans de brefs délais, le président de la Cour peut, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de soumettre cette affaire à une procédure accélérée dérogeant aux dispositions de ce règlement de procédure.

8        En l’occurrence, il ressort des décisions de renvoi que le juge militaire affecté à la formation de jugement à juge unique devant statuer sur les litiges au principal s’interroge sur la conformité au droit de l’Union d’une réglementation nationale qui lui est applicable, prévoyant que, lorsqu’un juge d’un tribunal militaire est déclaré inapte au service militaire professionnel, un tel juge est mis d’office à la retraite à compter de la date d’entrée en vigueur de cette réglementation, à savoir le 15 novembre 2023.

9        Or, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, en pratique, la réglementation procédurale décrite par le juge de renvoi à titre liminaire n’affecte qu’un seul juge militaire et non pas un nombre important de magistrats. Partant, même si les questions préjudicielles qui se rapportent à cette réglementation soulèvent des questions importantes relatives au fonctionnement de l’ordre judiciaire, l’application de celle-ci n’est pas susceptible de remettre en cause ce fonctionnement de manière systémique.

10      Par ailleurs, le recours à une procédure accélérée ne permettrait pas, en tout état de cause, à la Cour de rendre une décision dans un délai qui mettrait la juridiction de renvoi en mesure de trancher les litiges au principal avant l’entrée en vigueur de la réglementation nationale en cause au principal (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 21 novembre 2005, Confédération générale du travail e.a., C‑385/05, EU:C:2005:707, point 11). En effet, les articles 10 et 13 de la loi portant modification du code civil et modifiant certaines autres lois sont entrés en vigueur le 15 novembre 2023.

11      Au vu de ce qui précède, la nature des présentes affaires préjudicielles n’exige pas leur traitement dans de brefs délais. Par conséquent, les demandes de la juridiction de renvoi, tendant à ce que ces affaires soient soumises à une procédure accélérée dérogeant aux dispositions du règlement de procédure au titre de l’article 105, paragraphe 1, de ce règlement, ne peuvent pas être accueillies.

Par ces motifs, le président de la Cour ordonne :

Les demandes du Wojskowy Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional militaire de Varsovie, Pologne) tendant à ce que les affaires C646/23 et C661/23 soient soumises à la procédure accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour sont rejetées.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.


i      Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.