Language of document : ECLI:EU:T:2009:2

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

14 janvier 2009 (*)

« Aides d’État – Aides à finalité régionale en faveur de grands projets d’investissement – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché commun – Motivation – Effet incitatif de l’aide − Nécessité de l’aide »

Dans l’affaire T‑162/06,

Kronoply GmbH & Co. KG, établie à Heiligengrabe (Allemagne), représentée par Mes R. Nierer et L. Gordalla, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. K. Gross et T. Scharf, puis par MM. V. Kreuschitz, K. Gross et T. Scharf, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2006/262/CE de la Commission, du 21 septembre 2005, relative à l’aide d’État C 5/2004 (ex N 609/2003) que l’Allemagne envisage d’accorder à Kronoply (JO 2006, L 94, p. 50),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. M. Vilaras (rapporteur), président, M. Prek et V. Ciucă, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 septembre 2008,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante, Kronoply GmbH & Co. KG, est une entreprise de droit allemand qui fabrique des matériaux dérivés du bois.

2        Le 28 janvier 2000, la requérante a introduit, auprès de l’Investitionsbank des Landes Brandenburg (banque d’investissement du Land de Brandebourg, ci-après l’« ILB »), une demande de subvention à concurrence de 77 millions de marks allemands (DEM) (39,36 millions d’euros) en vue de la réalisation d’un site de production de panneaux à lamelles orientées dont le coût total était de 220 millions de DEM (112,5 millions d’euros).

3        Par lettre du 22 décembre 2000, la République fédérale d’Allemagne a, conformément à l’article 2, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88] du traité CE (JO L 83, p. 1), notifié à la Commission un projet d’aide à l’investissement en faveur de la requérante, d’un montant de 77 millions de DEM, pour la construction d’une installation de production de panneaux à lamelles orientées, ledit projet relevant de l’encadrement multisectoriel des aides à finalité régionale en faveur de grands projets d’investissement (JO 1998, C 107, p. 7, ci-après l’« encadrement multisectoriel »), tel qu’en vigueur au moment des faits. Cette notification a été enregistrée et traitée par la Commission sous le numéro N 813/2000 (ci-après la « procédure N 813/2000 »).

4        Le montant maximal d’une aide octroyée au titre de l’encadrement multisectoriel est déterminé sur la base d’un calcul impliquant la prise en compte de plusieurs paramètres et, notamment, l’état de la concurrence dans le secteur concerné, dénommé facteur T et décliné en quatre niveaux : 0,25, 0,5, 0,75 et 1. En l’espèce, le projet a tout d’abord été notifié par la République fédérale d’Allemagne avec un facteur T de 1, lequel correspond à un projet n’ayant aucun effet négatif sur la concurrence.

5        Après un échange de lettres avec la Commission, la République fédérale d’Allemagne a, le 19 juin 2001, modifié sa notification quant à l’intensité de l’aide. Elle a, notamment, fait savoir à la Commission qu’elle « [avait] décidé de ramener le facteur état de la concurrence notifié de 1 à 0,75 ». Le facteur T de 0,75 s’applique aux projets qui entraînent une augmentation de capacité dans un secteur caractérisé par une surcapacité structurelle et/ou un marché en déclin. En application du facteur T de 0,75, l’intensité de l’aide a été ramenée de 35 % à 31,5 %, soit un montant total d’aide de 69,3 millions de DM (35,43 millions d’euros) au lieu des 77 millions de DM (39,36 millions d’euros) initialement notifiés.

6        Le 3 juillet 2001, la Commission a, en application de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, adopté une décision de ne pas soulever d’objections à l’octroi de cette aide, laquelle a été publiée au Journal officiel le 11 août de la même année (JO C 226, p. 14).

7        Par lettre du 3 janvier 2002, la République fédérale d’Allemagne a introduit une demande de modification de la décision de la Commission du 3 juillet 2001 au motif que le marché en cause ne pouvait être considéré comme étant en déclin, ce qui devait entraîner l’application d’un facteur T de 1 et l’élévation de l’intensité de l’aide autorisée de 31,5 à 35 % du coût de l’investissement éligible.

8        Par lettre du 5 février 2002, la Commission a refusé de modifier sa décision du 3 juillet 2001 au motif que l’aide avait été appréciée sur la base d’un calcul correct de tous les critères applicables.

9        Considérant cette lettre comme une décision de la Commission, la requérante a introduit un recours en annulation contre celle-ci, lequel a été rejeté, comme irrecevable par le Tribunal, dans son ordonnance du 5 novembre 2003, Kronoply/Commission (T‑130/02, Rec. p. II‑4857), en raison de l’absence d’acte attaquable.

10      Par lettre du 22 décembre 2003, la République fédérale d’Allemagne a notifié à la Commission son intention d’accorder une subvention à l’investissement à la requérante d’un montant de 3 936 947 euros, et ce au titre de l’encadrement multisectoriel. Cette aide a été enregistrée sous le numéro N 609/03.

11      Par lettre du 18 février 2004, la Commission a informé la République fédérale d’Allemagne de sa décision d’engager la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE au motif qu’elle avait de sérieux doutes quant à l’effet incitatif et à la nécessité de l’aide supplémentaire notifiée.

12      Après réception des observations de la République fédérale d’Allemagne et de la requérante, la Commission a adopté, le 21 septembre 2005, la décision 2006/262/CE relative à l’aide d’État C 5/2004 (ex N 609/2003) que l’Allemagne envisage d’accorder à Kronoply (JO 2006, L 94, p. 50, ci-après la « Décision »).

13      Le considérant 42 de la Décision est ainsi libellé :

« La Commission conclut que l’aide notifiée constitue une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, du traité CE. Étant donné que cette aide n’a pas d’effet incitatif et qu’elle n’est pas nécessaire, aucune des dérogations prévues à l’article 87, paragraphes 2 et 3, [CE] ne s’applique. Il s’agit donc d’une aide au fonctionnement indue ne pouvant être autorisée. »

14      L’article 1er de la Décision est rédigé comme suit :

« L’aide d’État de 3 936 947 euros que l’Allemagne envisage d’accorder à Kronoply [...], conformément à la notification N 609/2003, est incompatible avec le marché commun.

Cette aide ne peut par conséquent être mise à exécution. »

 Procédure et conclusions des parties

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 juin 2006, la requérante a introduit le présent recours.

16      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 3 septembre 2008.

17      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la Décision ;

–        condamner la Commission aux dépens.

18      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

19      La requérante invoque cinq moyens à l’appui de son recours tirés, premièrement, de la violation de l’article 253 CE, deuxièmement, de la violation des dispositions du règlement n° 659/1999, troisièmement, de la violation de l’article 87, paragraphe 3, sous a) et c), CE, de l’article 88 CE et des lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale (JO 1998 C 74, p. 9, ci-après les « lignes directrices »), quatrièmement, de l’existence d’erreurs manifestes de la Commission dans la constatation des faits, et cinquièmement, de l’existence d’erreurs manifestes de la Commission dans l’appréciation des faits et d’un détournement de pouvoir.

 Sur le moyen tiré de la violation de l’article 253 CE

 Arguments des parties

20      La requérante prétend, d’une part, qu’elle n’est pas en mesure de connaître les justifications de la Commission dans la mesure où la Décision contient une « faille » au niveau de la logique du raisonnement de l’institution, cette dernière niant, en effet, l’existence d’un effet incitatif sans, toutefois, vérifier si un tel effet existe sur la base des critères qu’elle a elle-même établis. Conformément aux termes des lignes directrices, l’effet incitatif existerait lorsque la demande d’aide interviendrait avant la réalisation du projet, ce qui serait bien le cas en l’espèce. En ne mentionnant pas cet élément de fait, la Commission se serait rendue coupable, outre d’une inexactitude au niveau de la constatation des faits, d’un défaut de motivation.

21      La requérante affirme, d’autre part, que la Commission n’a pas examiné la possibilité, expressément évoquée par le Tribunal dans sa jurisprudence, de modifier une aide déjà accordée et autorisée, puisqu’elle exige, dans la Décision, que soit en cause un autre projet d’investissement donnant lieu à une demande d’aide nouvelle. Il en résulterait une insuffisance de motivation de la Décision.

22      La Commission conclut au rejet du moyen d’annulation soulevé par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

23      Il résulte de la formulation et de la teneur de l’argumentation développée par la requérante à l’appui des deux griefs soulevés sous l’énoncé du moyen tiré de la violation de l’article 253 CE que lesdits griefs ne visent pas, à proprement parler, un défaut ou une insuffisance de motivation, qui relève de la violation des formes substantielles au sens de l’article 230 CE. Les griefs en cause se confondent, en réalité, avec la critique du bien-fondé de la Décision et donc de la légalité au fond de cet acte, lequel serait illégal eu égard, notamment, à la prétendue violation par la Commission de l’article 87 CE et des lignes directrices, en raison plus particulièrement d’une appréciation erronée de l’effet incitatif et de la nécessité de l’aide litigieuse, et à un prétendu détournement de pouvoir commis par la défenderesse.

24      Il est, à cet égard, symptomatique que les griefs relatifs à l’absence de prise en compte par la Commission de la date de dépôt de la demande d’aide initiale et de la possibilité, reconnue par le Tribunal, d’une modification de l’aide déjà accordée et autorisée sont expressément repris dans l’argumentation de la requérante visant à démontrer l’appréciation erronée de l’effet incitatif et de la nécessité de l’aide litigieuse ainsi qu’un prétendu détournement de pouvoir.

25      Il y a lieu, en tout état de cause, de constater que la motivation de la Décision répond aux exigences de l’article 253 CE, tel qu’interprété par la jurisprudence.

26      Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts de la Cour du 13 mars 1985, Pays‑Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296/82 et 318/82, Rec. p. 809, point 19 ; du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C‑350/88, Rec. p. I‑395, points 15 et 16, et du 29 février 1996, Belgique/Commission, C‑56/93, Rec. p. I‑723, point 86).

27      Il résulte du considérant 42 de la Décision que la mesure notifiée par les autorités allemandes le 22 décembre 2003 a été considérée par la Commission comme une aide au fonctionnement indue ne pouvant être autorisée, en raison de l’absence d’effet incitatif et de nécessité.

28      Force est de constater que la Commission motive de manière explicite, dans la Décision, sa conclusion d’absence d’effet incitatif et d’absence de nécessité de l’aide litigieuse.

29      Il y a lieu de relever, notamment, que, se référant expressément à l’ordonnance Kronoply/Commission, point 9 supra, la Commission indique qu’elle considère qu’un État membre peut notifier une nouvelle aide ou modifier un projet qui a déjà été autorisé, y compris les différentes tranches d’une aide d’État en faveur d’un projet donné, et qu’elle peut elle‑même l’autoriser, pour autant que l’effet incitatif et la nécessité de chaque tranche d’aide puissent être prouvés (considérant 24 de la Décision).

30      La Commission rappelle également, au considérant 28 de la Décision, les termes du point 4.2 des lignes directrices, selon lequel il y a lieu de présumer l’existence d’un effet incitatif de l’aide lorsque le bénéficiaire a introduit sa demande d’aide avant le début de l’exécution du projet. Il résulte de la simple lecture des considérants 24 et 26 à 35 de la Décision que la Commission a effectivement examiné la condition de l’effet incitatif de l’aide, en expliquant pourquoi les circonstances particulières de la présente affaire permettaient d’écarter la présomption du point 4.2 des lignes directrices et de conclure à une absence d’effet incitatif.

31      De même, la Commission a clairement indiqué, au considérant 24 ainsi qu’aux considérants 36 à 39 de la Décision, les raisons lui permettant de conclure à l’absence de nécessité de l’aide litigieuse.

32      Il apparaît ainsi que, d’une part, la requérante a été pleinement mise en mesure de comprendre les raisons ayant amené la Commission à déclarer l’aide litigieuse incompatible avec le marché commun, ainsi qu’en attestent les développements importants dans les mémoires de la requérante consacrés au caractère prétendument erroné de l’appréciation de la Commission de l’effet incitatif et de la nécessité de l’aide litigieuse, et, d’autre part, le Tribunal peut exercer son contrôle.

33      Il s’ensuit que le moyen tiré de la violation de l’article 253 CE doit être rejeté.

 Sur le moyen tiré de la violation des dispositions du règlement n° 659/1999

 Arguments des parties

34      La requérante estime que l’article 9 du règlement n° 659/1999 offre une base juridique permettant de modifier une aide déjà octroyée et, notamment, de l’augmenter et que la Commission a, en l’espèce, violé les dispositions dudit règlement.

35      La requérante soutient que, si le Conseil accorde à la Commission le pouvoir de révoquer une décision et d’ordonner la restitution de l’aide dans l’hypothèse où les informations fournies ne sont pas exactes, cette dernière doit, a fortiori, être habilitée à modifier et à augmenter une aide accordée. En effet, la modification et l’augmentation d’une aide constitueraient des atteintes bien moins importantes aux droits des intéressés qu’une révocation.

36      La Commission conclut au rejet du moyen d’annulation soulevé par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

37      Bien que la requérante évoque une violation « des dispositions » du règlement n° 659/1999, elle ne fait état, dans son argumentation, que du seul article 9 dudit règlement.

38      L’article 9 du règlement n° 659/1999, intitulé « Révocation d’une décision », est ainsi libellé :

« La Commission peut révoquer une décision prise en application de l’article 4, paragraphe 2 ou 3, ou de l’article 7, paragraphe 2, 3 ou 4, après avoir donné à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations, dans le cas où cette décision reposait sur des informations inexactes transmises au cours de la procédure et d’une importance déterminante pour la décision. Avant de révoquer une décision et de prendre une nouvelle décision, la Commission ouvre la procédure formelle d’examen conformément à l’article 4, paragraphe 4. Les articles 6, 7 et 10, l’article 11, paragraphe 1, ainsi que les articles 13, 14 et 15 s’appliquent mutatis mutandis. »

39      Il résulte d’une simple lecture littérale de l’article 9 du règlement n° 659/1999 que ce dernier a pour objet exclusif de conférer à la Commission un pouvoir de révocation de ses décisions et qu’il n’est applicable que dans les cas où des informations inexactes ont été transmises à la Commission et que, sur la base de celles-ci, l’institution a adopté une décision constatant l’absence d’aide ou déclarant une aide compatible avec le marché commun.

40      Or, ainsi que le souligne à juste titre la Commission, la requérante admet expressément dans sa requête qu’une « telle hypothèse ne se présente pas en l’espèce puisque les informations fournies n’étaient pas inexactes ». Il convient également de relever que, en l’espèce, la requérante ne reproche pas à la Commission de ne pas avoir révoqué sa décision du 3 juillet 2001.

41      Le raisonnement « a fortiori » de la requérante consiste en réalité à déduire de l’article 9 du règlement n° 659/1999 la possibilité pour la Commission d’adopter, sur le fondement dudit article, une décision approuvant la modification de l’aide déjà octroyée et autorisée, ce qui ne peut être retenu par le Tribunal, dès lors qu’il procède d’une interprétation particulièrement extensive et manifestement contra legem de l’article en cause.

42      En tout état de cause, même si l’article 9 du règlement n° 659/1999 pouvait être considéré comme une base juridique appropriée pour l’adoption de la décision susmentionnée, cela ne signifierait pas que toute aide complémentaire notifiée à la Commission, comme en l’espèce, serait nécessairement compatible avec le marché commun.

43      Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le moyen tiré de la violation des dispositions du règlement n° 659/1999.

 Sur le moyen tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 3, sous a) et c), CE, de l’article 88 CE et des lignes directrices

 Argument des parties

–       Sur l’absence d’effet incitatif

44      La requérante indique, premièrement, que, conformément au point 4.2, troisième alinéa, des lignes directrices, il suffit, pour que le critère de l’effet incitatif soit rempli, que la demande d’aide ait été introduite avant le début de l’exécution du projet. Ce critère unique serait rempli en l’espèce, la demande d’aide ayant été introduite auprès de l’organisme national compétent le 28 janvier 2000, soit avant le début des travaux visant à l’exécution du projet. Bien qu’elle ait rappelé, dans la Décision, le critère mentionné au point 4.2 des lignes directrices, la Commission n’aurait pas examiné l’effet incitatif par rapport au moment où la requérante a notifié le projet aux autorités nationales, mais par rapport au moment où l’État membre a notifié l’aide litigieuse, ce qui aurait conduit la Commission à violer la disposition en cause.

45      L’approche suivie par la Commission dans la Décision, s’agissant tant de la prise en compte du moment de la notification que du fait que le projet aurait été achevé avant cette dernière, serait dépourvue de pertinence pour l’appréciation de l’effet incitatif, contredite par l’arrêt du Tribunal du 14 mai 2002, Graphischer Maschinenbau/Commission (T‑126/99, Rec. p. II‑2427), et ignorerait les réalités économiques.

46      La requérante rappelle, deuxièmement, qu’elle a demandé une aide de 77 millions de DEM, représentant 35 % du coût des investissements, et obtenu de l’ILB 69,3 millions de DEM, représentant 31,5 % du montant de l’investissement. La demande de la requérante resterait valable à concurrence de 7,7 millions de DEM, soit 3,5 % du montant de l’investissement, étant donné que la procédure administrative d’opposition devant l’ILB ne serait pas encore clôturée.

47      Elle prétend que c’est à tort que, dans la Décision, la Commission considère que la demande d’aide initiale est « épuisée » par l’adoption de la décision du 3 juillet 2001, car celle-ci statue seulement sur une partie de l’aide demandée. La requérante fait encore observer que la Décision a été adoptée en réponse à une « demande de modification », telle que mentionnée expressément dans la notification des autorités allemandes du 22 décembre 2003.

48      La requérante soutient, troisièmement, que la Commission méconnaît le fait qu’il n’est pas nécessaire qu’il existe de nouveaux coûts admissibles pour autoriser une autre aide en plus de celle déjà octroyée. Le fait qu’il soit, en principe, possible d’obtenir plusieurs aides pour un seul et même projet et, par conséquent, pour les mêmes coûts admissibles résulterait de la dernière phrase du considérant 5 du règlement (CE) n° 69/2001 de la Commission du 12 janvier 2001 concernant l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de minimis (JO L 10, p. 30). Cette solution serait applicable aux aides régionales, sous réserve du respect du plafond d’aide de 35 % déterminé conformément aux dispositions de l’encadrement multisectoriel. Or, une intensité d’aide de 35 % serait, en l’espèce, compatible avec le marché commun étant donné que le facteur « état de la concurrence » à retenir ne serait pas de 0,75 mais de 1.

–       Sur l’absence de nécessité

49      La requérante fait valoir que la Commission a, dans le domaine des aides régionales, précisé et limité le critère de la nécessité en ce sens qu’il suffit, pour reconnaître l’existence de la nécessité d’une aide, que la demande ait été introduite avant le début de la réalisation du projet. Dans cette mesure, l’examen du critère de la nécessité correspondrait à celui de l’effet incitatif.

50      Elle soutient que ce critère de la date de dépôt de la demande d’aide est également applicable dans l’hypothèse d’une modification de l’aide accordée et fait observer que la Commission admet elle-même que la possibilité d’une augmentation de l’aide, mentionnée dans la jurisprudence du Tribunal, n’est pas réservée au seul cas d’un projet totalement nouveau. En complément des exemples exposés par la Commission dans lesquels une modification d’une aide ou une aide supplémentaire pourraient être accordées, il conviendrait d’ajouter le cas où, comme en l’espèce, la Commission a effectué une évaluation erronée du marché, une pratique d’autorisation uniforme de la Commission est recherchée et la procédure administrative nationale d’origine n’est pas encore clôturée.

51      L’interprétation de la notion de nécessité donnée par la Commission au considérant 39 de la Décision serait, en outre, erronée étant donné que la Commission méconnaîtrait le fait que la requérante aurait été obligée, conformément aux dispositions de la réglementation nationale applicable, de réaliser le projet dans un délai de 36 mois, soit avant le 1er janvier 2005, sous peine de perdre l’intégralité de l’aide. Il serait contradictoire d’exiger de la requérante qu’elle réalise le projet dans un certain laps de temps tout en considérant que la réalisation dans le délai prescrit entraîne la perte de la possibilité de faire autoriser une augmentation de l’aide. Une telle approche reviendrait à nier la jurisprudence du Tribunal, qui prévoit la possibilité d’une modification d’une aide ou l’octroi d’une aide supplémentaire.

–       Sur la qualification d’aide au fonctionnement

52      La requérante prétend que la qualification d’aide au fonctionnement retenue par la Commission dans la Décision est erronée, la notification de la République fédérale d’Allemagne portant sur une aide régionale et l’ensemble des renseignements fournis à la Commission par celle-ci concernant les exigences de l’encadrement multisectoriel.

53      La Commission conclut au rejet du moyen soulevé par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

–       Sur la recevabilité du moyen

54      Il y a lieu de rappeler que, selon l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la requête introductive d’instance doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui. La requête doit, de ce fait, expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure (arrêts du Tribunal du 12 janvier 1995, Viho/Commission, T‑102/92, Rec. p. II‑17, point 68, et du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II‑1989, point 333).

55      Une semblable violation de l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure compte parmi les fins de non-recevoir que le Tribunal peut soulever d’office, à tout stade de la procédure et les parties entendues, en vertu de l’article 113 dudit règlement (arrêts du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T‑64/89, Rec. p. II‑367, points 73 et 74, et du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T‑481/93 et T‑484/93, Rec. p. II‑2941, point 75).

56      En l’espèce, force est de constater que la requérante se contente d’alléguer une violation de l’article 88 CE sans formuler un quelconque argument à l’appui de cette allégation. Interrogée à ce sujet par le Tribunal lors de l’audience, la requérante n’a fourni aucune précision.

57      Dans ces circonstances, le moyen en cause doit être déclaré irrecevable en ce qu’il se réfère à la violation de l’article 88 CE.

–       Sur le bien-fondé du moyen

58      Il est constant que la Commission a considéré qu’aucune des dérogations prévues à l’article 87, paragraphes 2 et 3, CE ne pouvait s’appliquer à l’aide d’État de 3 936 947 euros que la République fédérale d’Allemagne envisageait d’accorder à la requérante et que ladite aide devait, dès lors, être déclarée incompatible avec le marché commun.

59      Il résulte tant de la structure de la Décision que de la teneur des considérants y figurant que la conclusion de la Commission repose sur deux piliers distincts, à savoir l’absence d’incitation et l’absence de nécessité de l’aide litigieuse. Ainsi, la Commission précise au considérant 20 de la Décision que « l’aide en cause ne remplit pas les deux conditions essentielles : l’effet incitatif et la nécessité ».

60      Même si elles peuvent, dans certaines hypothèses, se recouper, ces deux conditions de la compatibilité des aides revêtent une signification propre, de sorte que les deux piliers de la Décision relatifs à l’absence d’incitation et à l’absence de nécessité doivent être considérés comme autonomes. Dans le cadre du présent moyen d’annulation, la requérante conteste, au demeurant, spécifiquement chacun des piliers de la Décision.

61      Interrogées lors de l’audience, les deux parties ont confirmé cette lecture du contenu de la Décision et le nécessaire cumul des deux conditions tenant à l’effet incitatif et à la nécessité de l’aide pour admettre la compatibilité de celle-ci avec le marché commun, ce dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience.

62      Il convient de rappeler, à ce stade, que, dans la mesure où certains motifs d’une décision sont, à eux seuls, de nature à justifier à suffisance de droit celle-ci, les vices dont pourraient être entachés d’autres motifs de l’acte sont, en tout état de cause, sans influence sur son dispositif (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 12 juillet 2001, Commission et France/TF1, C‑302/99 P et C‑308/99 P, Rec. p. I‑5603, points 26 à 29, et arrêt du Tribunal du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, Rec. p. II‑5575, point 42). En outre, dès lors que le dispositif d’une décision de la Commission repose sur plusieurs piliers de raisonnement dont chacun suffirait à lui seul à fonder ce dispositif, il n’y a lieu d’annuler cet acte, en principe, que si chacun de ces piliers est entaché d’illégalité. Dans cette hypothèse, une erreur ou autre illégalité qui n’affecterait qu’un seul des piliers du raisonnement ne saurait suffire à justifier l’annulation de la décision litigieuse dès lors que cette erreur n’a pu avoir une influence déterminante quant au dispositif retenu par l’institution auteur de cette décision (voir, par analogie, arrêt Graphischer Maschinenbau/Commission, point 45 supra, points 49 à 51, et arrêt General Electric/Commission, précité, point 43).

63      Dans ces circonstances, il convient d’abord d’examiner les critiques de la requérante formulées, dans le cadre du moyen tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 3, sous a) et c), CE, à propos du second pilier de la Décision relatif à l’absence de nécessité de l’aide litigieuse.

64      Cet article dispose que peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun :

« a)      les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi ;

[…]

c)      les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun ;

[…] »

65      Ainsi que la Commission l’indique au considérant 36 de la Décision, elle ne peut déclarer une aide compatible avec l’article 87, paragraphe 3, CE que si elle peut constater que cette aide contribue à la réalisation de l’un des objectifs cités, objectifs que l’entreprise bénéficiaire ne pourrait atteindre par ses propres moyens dans des conditions normales de marché. En d’autres termes, il ne faut pas permettre aux États membres d’effectuer des versements qui apporteraient une amélioration de la situation financière de l’entreprise bénéficiaire sans être nécessaires pour atteindre les buts prévus par l’article 87, paragraphe 3, CE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 septembre 1980, Philip Morris Holland/Commission, 730/79, Rec. p. 2671, point 17).

66      Il ne saurait, en effet, être accepté qu’une aide comporte des modalités, en particulier son montant, dont les effets restrictifs iraient au-delà de ce qui est nécessaire pour que l’aide puisse atteindre les objectifs admis par le traité (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 22 mars 1977, Iannelli & Volpi, 74/76, Rec. p. 557, point 15).

67      Il résulte de la Décision que la Commission est parvenue à la conclusion de l’absence de nécessité de l’aide litigieuse sur le fondement, essentiellement, de deux constatations objectives.

68      La Commission a, en premier lieu, relevé que l’aide d’un montant de 3 936 947 euros notifiée par la République fédérale d’Allemagne le 22 décembre 2003 ne concernait ni un nouveau projet d’investissement de la requérante ni la création d’emplois mais se rapportait uniquement à la construction d’une installation de production de panneaux à lamelles orientées, objet de la notification du 22 décembre 2000.

69      Dans ses écritures, la Commission cite ainsi, sans être contredite par la requérante, une phrase extraite du point 3.2.2 de la notification du 22 décembre 2003, selon laquelle « tous les investissements subventionnables sont limités aux investissements initialement sollicités ». Il ressort également des indications chiffrées figurant au point 3.3.1 de cette notification que le montant de l’aide litigieuse correspond à 3,5 % du coût de l’investissement initial, portant ainsi l’intensité de l’aide de 31,5 à 35 % dudit coût.

70      La Commission a, en second lieu, pris en compte le fait que le projet d’investissement relatif à la construction d’une installation de production de panneaux à lamelles orientées avait été entièrement réalisé par la requérante au moyen de la subvention autorisée d’un montant de 35,43 millions d’euros, représentant une intensité d’aide de 31,5 % du coût de l’investissement, et ce bien avant la seconde notification du 22 décembre 2003.

71      Il est, ainsi, constant entre les parties que la requérante a poursuivi ses activités après n’avoir obtenu qu’une aide d’une intensité de 31,5 % et que les travaux en vue de la construction de l’installation susmentionnée, commencés en février 2000, ont été définitivement terminés fin janvier 2003, soit presque un an avant la seconde notification.

72      La Commission a déduit de cette seconde circonstance que l’activité économique de Kronoply était rentable ou que cette entreprise n’avait en tout état de cause pas besoin d’aides supplémentaires et que, à ce stade, toute nouvelle aide constituerait un bénéfice imprévu pour la requérante (considérant 39 de la Décision).

73      Force est de constater, à cet égard, que la requérante ne prétend pas que la réalisation complète du projet d’investissement en cause a finalement entraîné des coûts supplémentaires qu’elle a dû financer au moyen de ressources propres ou d’un crédit et qui auraient obéré de ce fait sa situation financière. La requérante n’établit donc pas que l’aide supplémentaire de 3 936 947 euros notifiée à la Commission le 22 décembre 2003 lui était économiquement nécessaire pour la réalisation complète du projet d’investissement en cause.

74      Il apparaît ainsi que c’est à juste titre que la Commission a, dans ces circonstances, considéré que l’aide litigieuse n’exigeait du bénéficiaire ni contrepartie ni contribution à un objectif d’intérêt commun et qu’il s’agissait donc d’une aide au fonctionnement destinée à couvrir les dépenses courantes que Kronoply devait normalement supporter, laquelle ne pouvait être autorisée.

75      Il convient de rappeler, à cet égard, que les aides au fonctionnement, à savoir les aides qui visent à libérer une entreprise des coûts qu’elle aurait dû normalement supporter dans le cadre de sa gestion courante ou de ses activités normales, faussent en principe les conditions de concurrence (voir arrêt de la Cour du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, Rec. p. I‑6857, point 30, et la jurisprudence citée).

76      L’ensemble des arguments invoqués par la requérante n’est pas de nature à infirmer la conclusion exposée au point 74 ci-dessus.

77      La requérante prétend, premièrement, qu’il résulte de la pratique décisionnelle de la Commission, telle que retranscrite dans les lignes directrices, que, tout comme pour l’effet incitatif, il suffit, pour caractériser la nécessité d’une aide, que la demande nationale d’octroi de l’aide ait été déposée avant le début de l’exécution du projet d’investissement.

78      Il y a lieu, toutefois, de constater que la requérante ne fournit aucune référence de décisions de la Commission attestant de la pratique alléguée et que l’examen de la Décision révèle, au contraire, que le point 4.2, troisième alinéa, des lignes directrices concerne la seule condition tenant à l’effet incitatif de l’aide.

79      Selon cette disposition, « les régimes d’aides doivent prévoir que la demande de l’aide doit être introduite avant le début de l’exécution des projets ».

80      Il convient d’observer que cette disposition se réfère à une circonstance d’ordre chronologique et renvoie donc à un examen ratione temporis, qui est pleinement adéquat pour l’appréciation de l’effet incitatif. Cette dernière doit en effet s’effectuer par rapport à la décision d’investir de l’entreprise concernée, laquelle marque le début de ce processus dynamique que constitue nécessairement un investissement d’exploitation comme celui entrepris par la requérante.

81      Comme il est indiqué au considérant 30 de la Décision, l’application du critère du point 4.2 des lignes directrices vise à établir s’il existe un effet incitatif, sans retarder indûment l’investissement par un examen complet de tous les aspects économiques de la décision d’investissement du bénéficiaire de l’aide, lequel pourrait se révéler très difficile et/ou très long. Cette dernière préoccupation explique que le simple constat de l’antériorité de la demande d’aide par rapport au début de l’exécution du projet d’investissement permet de présumer, selon la Commission, l’existence d’un effet incitatif.

82      En revanche, la question posée dans le cadre du présent litige s’agissant de la condition tenant à la nécessité de l’aide est celle de l’appréciation des conditions effectives de la réalisation du projet d’investissement en cause et de l’existence d’une contrepartie, à charge de la requérante, justifiant l’octroi de l’aide supplémentaire notifiée le 22 décembre 2003.

83      L’argumentation de la requérante revient, en réalité, à faire apprécier la condition objective et substantielle de la nécessité de l’aide au regard d’un critère purement formel, ce qui ne saurait être accepté.

84      La requérante soutient, deuxièmement, que l’interprétation par la Commission de la notion de nécessité de l’aide méconnaît le fait qu’elle était obligée, conformément aux dispositions de la réglementation nationale applicable, de réaliser le projet dans un délai de 36 mois, soit avant le 1er janvier 2005, sous peine de perdre l’intégralité de l’aide, et revient à nier la jurisprudence du Tribunal, qui prévoit la possibilité d’autoriser une augmentation de l’aide déjà octroyée.

85      Il est constant que, postérieurement à une notification par un État membre d’un projet d’aide et à son autorisation par la Commission, cet État a la possibilité de notifier un projet tendant à instituer une nouvelle aide en faveur de l’entreprise bénéficiaire ou à modifier l’aide déjà accordée à celle-ci (arrêt du Tribunal du 30 janvier 2002, Nuove Industrie Molisane/Commission, T‑212/00, Rec. p. II‑347, point 47, et ordonnance Kronoply/Commission, point 9 supra, point 50). Cette nouvelle notification est soumise au contrôle de la Commission qui, après vérification des conditions prévues à l’article 87, paragraphes 2 et 3, CE, peut déclarer l’aide compatible avec le marché commun (voir, en ce sens, arrêt Nuove Industrie Molisane/Commission, précité, point 46).

86      Loin de nier cette possibilité reconnue aux États membres, la Commission y fait expressément référence au considérant 24 de la Décision. La Commission admet clairement que plusieurs aides peuvent se cumuler pour un même projet d’investissement, mais à la condition que chacune d’entre elles puisse être considérée comme compatible avec le marché commun et que la condition de la nécessité de l’aide soit donc respectée.

87      En outre, ainsi que le souligne à juste titre la Commission dans ses écritures, le fait qu’une réglementation nationale prévoit qu’un projet doit être réalisé dans un certain délai n’entraîne pas automatiquement la perte de la possibilité de solliciter et de faire autoriser, après l’expiration dudit délai, une augmentation de l’aide déjà octroyée pour ledit projet.

88      Il est ainsi envisageable qu’un État membre notifie à la Commission, après l’expiration du délai fixé par la réglementation nationale, une aide complémentaire pour un projet donné dont l’exécution a, en raison de facteurs externes imprévisibles, généré des coûts supplémentaires.

89      Il appartient à la Commission, dans une telle situation, de déterminer si l’aide complémentaire notifiée peut être considérée comme nécessaire en prenant notamment en compte, pour les aides à finalité régionale relevant de l’encadrement multisectoriel, le plafond d’intensité maximale de l’aide applicable.

90      En l’espèce, la Commission s’est, à juste titre, bornée à constater que le projet d’investissement en cause avait été entièrement exécuté par la requérante au moyen de l’aide initialement autorisée et avant la notification de l’aide litigieuse.

91      Il convient, en effet, de rappeler que la requérante n’a, à aucun moment, prétendu que la réalisation du projet d’investissement en cause, et donc de l’un des objectifs prévus par l’article 87, paragraphe 3, CE, avait entraîné un surcoût et que l’augmentation envisagée de l’aide initiale à hauteur d’un montant de 3 936 947 euros, notifiée à la Commission le 22 décembre 2003, venait partiellement ou totalement compenser ce surcoût et devait, dans cette mesure, être considérée comme nécessaire.

92      La requérante se contente d’alléguer qu’une aide supplémentaire en faveur d’un projet d’investissement doit être autorisée dans le cas où, comme en l’espèce :

–        la Commission a effectué, dans sa décision déclarant l’aide initiale compatible, une évaluation erronée du marché des produits en cause ;

–        une pratique d’autorisation uniforme des aides concernant ce marché est recherchée ;

–        la procédure administrative nationale relative à la demande d’aide initiale n’est pas encore clôturée.

93      Il y a lieu de relever, d’une part, que l’allégation hypothétique d’une évaluation erronée par la Commission du marché des produits en cause contredit l’affirmation du caractère exact des informations, fournies par les autorités allemandes, au vu desquelles la décision du 3 juillet 2001 a été adoptée. D’autre part, les considérations de la requérante rappelées au point précédent sont dépourvues de toute pertinence au regard de la condition de la nécessité de l’aide, telle que définie aux points 65 et 66 ci-dessus.

94      Il résulte, en réalité, du dossier que la notification de l’aide litigieuse visait tout simplement à atteindre une intensité d’aide de 35 %, correspondant à la demande d’aide initiale, la requérante n’ayant manifestement pas accepté la fixation d’un coefficient 0,75 pour le facteur « état de la concurrence », alors que la Commission avait approuvé un coefficient de 1, s’agissant du projet d’aide notifié en faveur de l’entreprise concurrente Glunz AG, dans sa décision relative à l’aide en faveur de ladite entreprise, adoptée quelques semaines après la décision du 3 juillet 2001.

95      La requérante critique, troisièmement, la qualification de l’aide litigieuse comme aide au fonctionnement en s’appuyant, essentiellement, sur les termes de la notification du 22 décembre 2003.

96      Il doit, toutefois, être relevé que le seul fait que la notification par un État membre « porte » sur une aide régionale à l’investissement ne signifie pas que la mesure concernée ne peut pas être une aide au fonctionnement.

97      Il y a lieu de rappeler que la mise en œuvre du système de contrôle des aides étatiques, tel qu’il résulte de l’ article 88 CE et de la jurisprudence y afférente, incombe essentiellement à la Commission et que cette dernière jouit, pour l’application de l’article 87, paragraphe 3, CE, d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations d’ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire (arrêts de la Cour du 21 mars 1991, Italie/Commission, C‑303/88, Rec. p. I‑1433, point 34, et Allemagne/Commission, point 75 supra, point 67).

98      En l’espèce, la Commission a considéré, à bon droit, que la condition de la nécessité de l’aide n’était pas remplie et que l’aide litigieuse devait être qualifiée d’aide au fonctionnement, étant donné qu’elle était octroyée sans que soit exigée de contrepartie de la part du bénéficiaire et qu’elle était destinée à améliorer la trésorerie de l’exploitation.

99      Il résulte des considérations qui précèdent que la requérante n’a pas démontré que la Commission a, de manière erronée, conclu à l’absence de nécessité de l’aide.

100    Dans ces circonstances, et à supposer même que la Commission ait considéré à tort que l’aide litigieuse ne remplissait pas la condition de l’effet incitatif dans les circonstances particulières de l’espèce, caractérisées par la notification d’une aide supplémentaire relative à un projet d’investissement déjà autorisé et formant un ensemble économique indissociable, il y a lieu de constater que, conformément aux observations formulées aux points 59 à 62 ci-dessus, la Décision demeurerait fondée sur la seule base du constat de l’absence de nécessité de l’aide.

101    Il s’ensuit que le moyen tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 3, sous a) et c), CE, et des lignes directrices doit être rejeté. 

 Sur le moyen tiré de l’existence d’erreurs manifestes de la Commission dans la constatation des faits

 Arguments des parties

102    La requérante prétend, premièrement, que, au considérant 22 de la Décision, la Commission indique à tort qu’elle a, dans le cadre de la procédure N 813/2000, reconnu la pertinence des indications fournies par la République fédérale d’Allemagne et accepté les conclusions tirées par cette dernière quant au marché des produits en cause. Il résulterait clairement de la décision de la Commission du 3 juillet 2001 que cette dernière et la République fédérale d’Allemagne n’auraient pas été d’accord sur la question de savoir si l’investissement était réalisé dans un marché en déclin ou non.

103    Elle soutient, deuxièmement, que la mention, figurant également au considérant 22 de la Décision, selon laquelle la décision de la Commission du 3 juillet 2001 a été acceptée par la République fédérale d’Allemagne et la requérante est inexacte. Le fait de ne pas avoir introduit de recours contre cette décision déclarant l’aide entièrement compatible ne peut pas être considéré comme une acceptation étant donné qu’un tel recours aurait été irrecevable en l’absence d’intérêt à agir. En outre, la requérante aurait eu l’obligation légale, conformément à la réglementation nationale, de réaliser le projet tel que notifié dans un délai de 36 mois après l’approbation par la Commission.

104    La requérante affirme, troisièmement, que la Commission indique à tort, dans la Décision, qu’une intensité d’aide de 35 % lui avait déjà été refusée. Selon la requérante, la différence entre l’intensité d’aide de 31,5 % autorisée dans la décision du 3 juillet 2001 et l’intensité d’aide de 35 % résultant de l’application correcte de l’encadrement multisectoriel n’avait pas encore fait l’objet d’une procédure d’aide d’État avant la notification du 22 décembre 2003 et ce n’est que dans la Décision que la Commission a refusé une intensité d’aide (cumulée) de 35 %.

105    Elle fait observer, quatrièmement, que dans le cadre de la vérification de l’existence d’un effet incitatif de l’aide et donc du fait que la demande d’aide a bien été introduite avant le début de l’exécution du projet, la Commission ne mentionne même pas une fois, dans la Décision, la date de sa demande d’aide, soit le 28 janvier 2000. La Commission se fonderait, dès lors, sur des faits incomplets.

106    La requérante conclut que si la Commission avait correctement constaté les faits, elle aurait abouti à une conclusion différente et que les erreurs manifestes commises par celle-ci dans le cadre de la constatation des faits justifient, à elles seules, l’annulation de la Décision.

107    La Commission conclut au rejet du moyen soulevé par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

108    Il ressort de la jurisprudence qu’il ne suffit pas, pour entraîner l’annulation de l’acte attaqué, d’établir que ce dernier est entaché d’une erreur de fait, encore faut-il que cette erreur ait eu une incidence sur le contenu de l’acte lui-même ou, en d’autres termes, que, en l’absence de cette erreur, l’acte aurait pu être autre (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 2 mai 1995, NTN Corporation et Koyo Seiko/Conseil, T‑163/94 et T‑165/94, Rec. p. II‑1381, point 115 ; du 28 octobre 2004, Shanghai Teraoka Electronic/Conseil, T‑35/01, Rec. p. II‑3663, point 167, et du 14 mars 2007, Aluminium Silicon Mill Products/Conseil, T‑107/04, Rec. p. II‑669, point 66).

109    En l’espèce, il suffit de constater que, à supposer même que la Commission ait commis les quatre erreurs de fait invoquées par la requérante, la conclusion relative à l’absence de nécessité de l’aide demeurerait fondée au regard des éléments rappelés aux points 68 à 74 ci-dessus.

110    Les quatre prétendues erreurs de fait commises par la Commission dans la Décision, tenant à la mention de la reconnaissance de la pertinence des informations fournies par la République fédérale d’Allemagne, à celle de l’acceptation de la décision du 3 juillet 2001, au refus d’une intensité d’aide de 35 % et à l’absence de mention de la date précise du dépôt de la demande d’aide initiale, n’ont, en effet, aucune incidence sur la conclusion susvisée et la déclaration d’incompatibilité de l’aide litigieuse qui en découle.

111    Dans ces circonstances, le moyen concerné doit être rejeté comme étant, en tout état de cause, inopérant.

 Sur le moyen tiré de l’existence d’erreurs manifestes de la Commission dans l’appréciation des faits et d’un détournement de pouvoir

 Arguments des parties

112    La requérante prétend que la Commission a manifestement apprécié de manière erronée le critère de l’effet incitatif, étant donné qu’elle a omis de se livrer à l’examen du critère prévu au point 4.2 des lignes directrices et de prendre en compte le fait qu’elle était tenue, en vertu des lois nationales autorisées par la Commission, de réaliser son projet dans un laps de temps donné. Dans la Décision, la Commission contredirait, en outre, la jurisprudence du Tribunal selon laquelle il serait possible d’octroyer une autre aide ou de modifier une aide déjà accordée.

113    La Commission aurait également omis de faire usage de son pouvoir d’appréciation, tel que confirmé par le Tribunal dans la jurisprudence susvisée et tel que conféré par l’article 9 du règlement n° 659/1999.

114    En se contentant de fonder l’ensemble de la Décision sur le seul fait que le projet aurait été réalisé avec une intensité d’aide de 31,5 % avant que la notification de l’Allemagne ne lui parvienne, la Commission laisserait transparaître son intention d’arriver à un résultat déterminé en fondant la Décision uniquement sur des circonstances matérielles, sans les qualifier ni les apprécier sur le plan juridique. L’omission de l’examen du critère de l’effet incitatif aurait manifestement pour but de permettre de conclure à l’absence d’un tel effet. Il conviendrait d’y voir un détournement de pouvoir par la Commission.

115    La Commission conclut au rejet du moyen soulevé par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

116    S’agissant du moyen tiré de l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation, il résulte de l’examen de la requête que la requérante développe à cet égard une argumentation déjà présentée à l’appui des moyens tirés de la violation de l’article 9 du règlement n° 659/1999 ainsi que de la violation de l’article 87 CE et des lignes directrices.

117    Or, ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, ces deux derniers moyens ne sont pas de nature à fonder une annulation de la Décision.

118    En ce qui concerne le moyen tiré d’un détournement de pouvoir, l’argumentation de la requérante est fondée sur l’affirmation selon laquelle « l’omission de l’examen du critère de l’effet incitatif a manifestement pour but de permettre de conclure à l’absence d’un tel effet » et qu’il « convient d’y voir un détournement de pouvoir de la Commission ».

119    Il résulte de la simple lecture de la Décision que le moyen en cause est fondé sur une prémisse erronée, en ce sens que la Commission a effectivement examiné la condition de l’effet incitatif de l’aide, en expliquant pourquoi les circonstances particulières de la présente affaire permettaient d’écarter la présomption du point 4.2 des lignes directrices et de conclure à une absence d’effet incitatif.

120    Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que la requérante n’a pas rapporté la preuve que la Commission a commis, en l’espèce, un détournement de pouvoir.

121    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le présent moyen ne saurait prospérer et que le recours doit dès lors être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

122    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Kronoply GmbH & Co. KG est condamnée aux dépens.

Vilaras

Prek

Ciucă

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 janvier 2009.

Signatures

Table des matières


Faits à l’origine du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 253 CE

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le moyen tiré de la violation des dispositions du règlement n° 659/1999

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 3, sous a) et c), CE, de l’article 88 CE et des lignes directrices

Argument des parties

– Sur l’absence d’effet incitatif

– Sur l’absence de nécessité

– Sur la qualification d’aide au fonctionnement

Appréciation du Tribunal

– Sur la recevabilité du moyen

– Sur le bien-fondé du moyen

Sur le moyen tiré de l’existence d’erreurs manifestes de la Commission dans la constatation des faits

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le moyen tiré de l’existence d’erreurs manifestes de la Commission dans l’appréciation des faits et d’un détournement de pouvoir

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’allemand.