Language of document : ECLI:EU:T:2020:299

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

30 juin 2020 (*)

« Référé – Aides d’État – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑150/20 R,

Tartu Agro AS, établie à Tartu (Estonie), représentée par Mes T. Järviste, T. Kaurov, M. Valberg et M. Peetsalu, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. V. Bottka et Mme E. Randvere, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE et tendant au sursis à l’exécution de la décision C(2020) 252 final de la Commission, du 24 janvier 2020, relative à l’aide d’État SA.39182 (2017/C) (ex 2017/NN) (ex 2014/CP) accordée par la République d’Estonie à la requérante,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Faits, procédure et conclusions des parties

1        La requérante,  Tartu Agro AS, est une société estonienne à responsabilité limitée qui produit et met sur le marché du lait, de la viande et des semences.

2        Le 24 janvier 2020, la Commission européenne a adopté la décision C(2020) 252 final, relative à l’aide d’État SA.39182 (2017/C) (ex 2017/NN) (ex 2014/CP) accordée par la République d’Estonie à la requérante (ci-après la « décision attaquée »).

3        Dans la décision attaquée, la Commission a conclu que le ministère des Affaires rurales de la République d’Estonie avait octroyé à la requérante une aide d’État illégale en lui louant des terrains agricoles en contrepartie d’un loyer qui, depuis 2000, était inférieur au prix du marché. Conformément à l’article 4 de la décision attaquée, la République d’Estonie doit récupérer auprès de son bénéficiaire l’aide d’État incompatible visée à l’article 1er de cette même décision.

4        La décision attaquée ne quantifie pas le montant exact de l’aide à récupérer, mais énonce les critères en fonction desquels l’avantage et les intérêts qui y sont afférents doivent être calculés.

5        Par courrier du 20 mars 2020, le ministère des Affaires rurales estonien a transmis à la requérante un projet de décision de récupération de l’aide d’État en cause.

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 mars 2020, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

7        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 27 mars 2020, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne ait statué de manière définitive sur le fond ;

–        à titre subsidiaire, ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée jusqu’à une date fixée par le président du Tribunal et, dans l’éventualité d’un sursis à l’exécution jusqu’à une date fixée par le président du Tribunal, prendre en compte, lors de la fixation de cette date, la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19, de manière à ce que la décision attaquée ne puisse reprendre effet et être exécutée qu’une fois que la Commission aura confirmé la levée des mesures destinées à atténuer les effets socio‑économiques de ladite pandémie dans l’Union européenne ;

–        faire droit à la présente demande avant que la Commission ait présenté ses observations ;

–        décider que la décision du Tribunal statuant au principal devra condamner la Commission à l’intégralité des dépens liés à la présente demande en référé.

8        Par courrier du 27 mars 2020, le ministère des Affaires rurales estonien a transmis à la requérante la décision de récupération de l’aide d’État en cause, exigeant d’elle le remboursement, dans un délai de 60 jours à compter de la réception de ladite décision, d’un montant de 473 303,30 euros, majoré de 46 409,80 euros d’intérêts.

9        Par ordonnance du 30 mars 2020, Tartu Agro/Commission (T‑150/20 R, non publiée), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le président du Tribunal a ordonné le sursis à l’exécution de la décision attaquée en ce qu’elle impose la récupération immédiate du montant de l’aide d’État auprès de la requérante jusqu’à la date de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé.

10      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 30 mars 2020, la requérante a communiqué au Tribunal des éléments supplémentaires établissant l’urgence dans la présente affaire, notamment la réception de la décision de récupération de l’aide d’État en cause du 27 mars 2020 (voir point 8 ci-dessus).

11      Le 1er avril 2020, en vertu de l’article 24, second alinéa, du statut de la Cour, le Tribunal a invité la République d’Estonie à présenter ses observations sur le risque que présenterait l’arrêt de l’activité économique de la requérante pour l’approvisionnement alimentaire des personnes au moment de la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID‑19. La République d’Estonie a présenté ses observations le 20 avril 2020.

12      Dans ses observations sur la présente demande de sursis à exécution, déposées au greffe du Tribunal 20 avril 2020 et contenant également les observations sur la lettre de la requérante communiquant au Tribunal des éléments supplémentaires établissant l’urgence, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande de sursis à exécution ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Généralités

13      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

14      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

15      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

16      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

17      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

18      Dans les circonstances de l’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur l’urgence

19      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

20      Aux fins de démontrer l’urgence du sursis à exécution demandé, la requérante avance, en substance, deux éléments. D’une part, elle affirme que le remboursement du montant demandé lui causerait une instabilité économique et une perte de compétitivité, ainsi que, très probablement, la cessation de son activité économique.

21      À cet égard, la requérante fait valoir que, conformément à son rapport annuel pour l’exercice 2019, le produit de ses ventes pour 2019 était de 7 571 644 euros. Quant à l’exercice 2020, la requérante prévoit de réaliser des recettes de 7 906 500 euros, chiffre qui devrait égaler ses dépenses pour cette même année. En outre, la requérante posséderait quelques parcelles d’une valeur totale de 76 191,48 euros qu’il serait, selon elle, très difficile de vendre rapidement à un prix raisonnable. Ses autres actifs seraient des éléments essentiels à la poursuite de son activité et au maintien de son chiffre d’affaires. Enfin, la requérante affirme ne pas être en mesure de fonctionner avec un nombre réduit de ses salariés. Ainsi, ne disposant pas de ressources disponibles pour rembourser l’aide en cause, la requérante serait obligée de réduire ses dépenses courantes, ce qui la mènerait à la cessation de son activité et mettrait en péril sa viabilité financière.

22      Enfin, la requérante affirme que la décision attaquée nuit déjà à sa réputation, à sa position sur le marché et à ses capacités d’emprunt. Ainsi, son partenaire bancaire principal lui aurait confirmé par téléphone qu’il n’était dorénavant plus disposé à lui octroyer des crédits ou à lui accorder des moyens financiers supplémentaires. Dans ces conditions, la requérante espère encore moins compter sur d’autres établissements de crédit. L’exécution immédiate de la décision attaquée s’accompagnerait pour elle de difficultés économiques substantielles.

23      D’autre part, la requérante avance que, compte tenu de son secteur d’activité, la cessation de son activité économique ne serait pas acceptable, notamment dans le contexte de la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19. En effet, dans le cadre de l’état d’urgence décrété par la République d’Estonie, son premier ministre pourrait notamment décider une appropriation forcée par l’État des produits alimentaires et des autres biens de consommation. Ainsi, il ne serait pas à exclure que la requérante, en tant qu’entreprise agricole de taille significative, se voie imposer l’obligation d’approvisionner l’État en produits alimentaires de première nécessité. Or, l’exécution de la décision attaquée pourrait mettre en péril la continuité de l’industrie alimentaire locale et l’approvisionnement des particuliers en denrées alimentaires.

24      La Commission rétorque que l’allégation de la requérante quant à l’urgence et les éléments qu’elle invoque pour la justifier sont entachés de plusieurs insuffisances qui la rendent infondée. Selon elle, une entreprise de la taille de la requérante pourrait faire face à une dépense du montant à rembourser. La justification économique avancée par la requérante montrerait seulement que celle-ci n’avait pas prévu de réaliser de bénéfices en 2020. La Commission estime également que certaines affirmations de la requérante ne sont pas développées, alors que d’autres seraient contradictoires. En outre, la requérante n’aurait fourni aucune analyse solide de son bilan ou de ses investissements immobiliers, ni le calcul d’un éventuel endettement ou de la vente des actifs. De même, la déclaration selon laquelle la requérante ne pourrait obtenir aucun emprunt ne serait accompagnée d’aucune preuve tangible.

25      La Commission fait également valoir qu’il ressort de la base de données Orbis que, d’une part, 50 % des actions de la requérante sont détenues par la société Almantika OÜ, 10,19 % par chacun des deux directeurs et 29,62 % par d’autres personnes et, d’autre part, que la requérante n’est pas soumise à une menace imminente de faillite ni exposée à un risque probable de faillite en cas de remboursement de l’aide. Or, la requérante ne ferait aucune mention de la capacité de contribution financière de ses actionnaires. En réalité, celle-ci risquerait uniquement une perte qui serait cependant tout à fait réparable.

26      Dans le cadre de son argumentation concernant la mise en balance des intérêts, la Commission affirme que le préjudice éventuel qui, dans le contexte de la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19, serait causé à l’intérêt général dans le cas d’une insolvabilité éventuelle de la requérante n’est pas suffisamment démontré. Bien que la requérante soit une entreprise importante et apparemment efficace, elle n’aurait fourni aucun élément de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle elle serait vitale pour l’approvisionnement alimentaire dans son pays. Cela serait confirmé par les agissements des autorités estoniennes qui auraient entamé les démarches pour la récupération de l’aide en cause et qui n’auraient pas demandé à la Commission de leur accorder un délai pour procéder à ladite récupération.

27      À cet égard, dans la réponse à la question posée par le Tribunal, la République d’Estonie affirme que la requérante est l’un des principaux producteurs de produits agricoles primaires dans le pays et qu’elle joue un rôle particulièrement important en tant que producteur de lait et de semences certifiées. Elle précise que si, en temps ordinaire, l’arrêt de l’activité économique de la requérante ne présenterait pas de risque significatif pour l’approvisionnement alimentaire des personnes vivant en République d’Estonie, l’état d’urgence proclamé en raison de la pandémie de COVID-19 a rendu très difficile l’évaluation de tels risques.

28      S’agissant, en premier lieu, du risque allégué pour la viabilité financière de la requérante résultant de la récupération, en exécution de la décision attaquée, du montant déterminé par la République d’Estonie, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante, un préjudice d’ordre pécuniaire ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, être considéré comme irréparable, une compensation pécuniaire étant, en règle générale, à même de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice. Un tel préjudice pourrait notamment être réparé dans le cadre d’un recours en indemnité introduit sur la base des articles 268 et 340 TFUE [voir ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 24 et jurisprudence citée].

29      Toutefois, lorsque le préjudice invoqué est d’ordre pécuniaire, les mesures provisoires sollicitées se justifient s’il apparaît que, en l’absence de ces mesures, la partie qui les sollicite se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que, le cas échéant, des caractéristiques du groupe auquel elle appartient (voir ordonnance du 12 juin 2014, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P‑R, EU:C:2014:1749, point 46 et jurisprudence citée).

30      À cette fin, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées, qui démontrent la situation dans laquelle se trouve la partie sollicitant les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient vraisemblablement de l’absence des mesures demandées. Il s’ensuit que ladite partie, notamment lorsqu’elle invoque la survenance d’un préjudice de nature financière, doit, en principe, produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière (voir ordonnance du 29 février 2016, ICA Laboratories e.a./Commission, T‑732/15 R, non publiée, EU:T:2016:129, point 39 et jurisprudence citée).

31      Par ailleurs, aux termes de l’article 156, paragraphe 4, seconde phrase, du règlement de procédure, les demandes en référé « contiennent toutes les preuves et offres de preuves disponibles, destinées à justifier l’octroi des mesures provisoires ».

32      Ainsi, une demande en référé doit permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur cette demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir du texte même de ladite demande. En effet, compte tenu de la célérité qui caractérise, de par sa nature, la procédure de référé, il peut raisonnablement être exigé de la partie qui sollicite des mesures provisoires de présenter, sauf cas exceptionnels, dès le stade de l’introduction de sa demande, tous les éléments de preuve disponibles à l’appui de celle-ci, afin que le juge des référés puisse apprécier, sur cette base, le bien-fondé de ladite demande (voir ordonnance du 6 septembre 2016, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P‑R, non publiée, EU:C:2016:668, points 17 et 18 et jurisprudence citée).

33      Enfin, si la demande en référé peut être complétée sur des points spécifiques par des renvois à des pièces qui y sont annexées, ces dernières ne sauraient pallier l’absence des éléments essentiels dans ladite demande. Il n’incombe pas au juge des référés de rechercher, en lieu et place de la partie concernée, les éléments contenus dans les annexes de la demande en référé, dans la requête ou dans les annexes de la requête déposée dans l’affaire principale qui seraient de nature à corroborer la demande en référé. Une telle obligation mise à la charge du juge des référés serait d’ailleurs de nature à priver d’effet l’article 156, paragraphe 5, du règlement de procédure, qui prévoit que la demande relative à des mesures provisoires doit être présentée par acte séparé (voir ordonnance du 20 juin 2014, Wilders/Parlement et Conseil, T‑410/14 R, non publiée, EU:T:2014:564, point 16 et jurisprudence citée).

34      En l’espèce, la requérante présente certains documents ayant trait à sa situation financière, à savoir son rapport financier annuel pour l’exercice 2019, ses prévisions de recettes et de dépenses pour l’exercice 2020 ainsi que l’inventaire de ses immobilisations.

35      Or, s’il ressort de ces documents que la requérante prévoyait un exercice 2020 sans bénéfices, ceux-ci ne permettent aucunement de conclure que le remboursement de l’aide en cause mettrait en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond. En effet, la requérante se borne à affirmer à cet égard qu’il serait très difficile de vendre, rapidement et à un prix raisonnable, ses biens immobiliers, que ses autres actifs seraient essentiels à la poursuite de son activité, qu’elle ne serait pas en mesure de fonctionner avec un nombre réduit de ses salariés et que toute réduction de ses dépenses courantes la mènerait à la cessation de son activité. Elle ajoute qu’elle ne serait pas non plus en mesure d’obtenir un éventuel emprunt correspondant au montant concerné. Cependant, force est de constater que la requérante ne présente aucun document attestant ces affirmations et ces estimations.

36      De même, la requérante ne présente aucune étude ou autre preuve tendant à démontrer un risque réel pour sa viabilité financière. À cet égard, il convient d’observer que la requérante ne fournit non plus aucun renseignement concernant ses actionnaires, leur situation financière ou leur aptitude de contracter un emprunt bancaire qui lui permettrait de rembourser le montant dû. Il s’ensuit que la requérante est restée en défaut de produire une image fidèle et globale de sa situation qui permettrait au juge des référés d’apprécier si sa viabilité financière est mise en péril.

37      Dès lors, il convient de conclure que la requérante n’a pas démontré à suffisance de droit que, en l’absence de la mesure qu’elle sollicite en référé, elle subirait un préjudice grave et irréparable du fait qu’une exécution de la décision attaquée avant qu’il n’ait été statué dans l’affaire principale aboutirait inévitablement à la cessation de son activité et mettrait en péril sa viabilité financière ou modifierait ses parts de marché de manière importante.

38      S’agissant, en second lieu, du préjudice non pécuniaire invoqué par la requérante, à savoir la mise en péril de la continuité de l’industrie alimentaire locale et l’approvisionnement des particuliers en denrées alimentaires, il convient de relever que ce préjudice serait, selon la requérante, la conséquence de la cessation de son activité.

39      Or, étant donné qu’il a été constaté au point 37 ci-dessus qu’il ne saurait être conclu à l’existence d’un risque pour la viabilité financière de la requérante, il n’y a pas lieu de se prononcer sur les éventuelles conséquences de la cessation de son activité.

40      En toute hypothèse, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence bien établie que, afin de constater que la condition relative à l’urgence est remplie, la partie requérante doit démontrer que le sursis à exécution demandé est nécessaire à la protection de ses intérêts propres, alors qu’elle ne saurait invoquer une atteinte portée à un intérêt qui ne lui est pas personnel, telle que, par exemple, une atteinte aux droits de tiers. Dès lors, le préjudice subi par l’industrie alimentaire locale et par les particuliers en ce qui concerne leur approvisionnement en denrées alimentaires ne saurait utilement être invoqué pour étayer l’urgence du sursis à exécution demandé, un tel préjudice ne pouvant être pris en considération, le cas échéant, que dans le cadre de la mise en balance des intérêts en présence (voir, en ce sens, ordonnance du 17 février 2012, Hassan/Conseil, T‑572/11 R, non publiée, EU:T:2012:83, point 50 et jurisprudence citée). Or, le juge des référés n’est pas tenu de procéder à une telle mise en balance des intérêts s’il constate auparavant que l’une des conditions permettant l’octroi de mesures provisoires n’est pas remplie [voir, en ce sens, ordonnance du 28 mai 2018, BASF Grenzach/ECHA, C‑565/17 P(R), non publiée, EU:C:2018:340, point 68].

41      Par ailleurs, il convient d’observer que, si la requérante se réfère à un préjudice prétendument causé à l’intérêt général en raison de la cessation de son activité économique, elle ne fait aucunement valoir que la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID‑19 aurait eu des conséquences négatives sur sa situation économique propre. À cet égard, elle mentionne uniquement, d’une part, que cette crise aurait causé une fermeture de nombreuses entreprises de restauration, ce qui aurait entrainé une baisse des ventes des produits de la requérante et, d’autre part, que la forte augmentation de la demande de produits alimentaires des consommateurs se serait traduite par une augmentation significative du volume des commandes passées par les commerces. Cependant, la requérante n’en tire aucune conséquence concrète quant à sa situation économique personnelle.

42      De même, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel il conviendrait, conformément à l’objectif, affiché par la Commission, de préservation de la stabilité de l’économie dans l’Union dans le contexte de la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19, de suspendre les décisions de récupération d’aides d’État contestées devant le juge de l’Union. En effet, une telle situation pourrait dûment être prise en compte par le juge des référés uniquement dans le cadre de la mise en balance des intérêts en présence.

43      Il résulte de ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit besoin d’examiner si la condition tenant à l’existence d’un fumus boni juris est remplie, ni de procéder à la mise en balance des intérêts.

44      La présente ordonnance clôturant la procédure de référé, il y a lieu de rapporter l’ordonnance du 30 mars 2020, Tartu Agro/Commission (T‑150/20 R, non publiée), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure, en vertu de laquelle il avait été ordonné à la Commission de surseoir à l’exécution de la décision attaquée jusqu’à la date de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé.

 Sur les dépens

45      En application de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      L’ordonnance du 30 mars 2020, Tartu Agro/Commission (T150/20 R), est rapportée.

3)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 30 juin 2020.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : l’estonien.