Language of document : ECLI:EU:T:2006:387

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

12 décembre 2006 (*)

« Concurrence – Abus de position dominante – Notion d’entreprise – Plainte – Rejet »

Dans l’affaire T‑155/04,

SELEX Sistemi Integrati SpA, anciennement Alenia Marconi Systems SpA, établie à Rome (Italie), représentée par Me F. Sciaudone, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. P. Oliver et L. Visaggio, puis par MM. A. Bouquet, Visaggio et F. Amato, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol), représentée par Mes F. Montag et T. Wessely, avocats,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation ou de modification de la décision de la Commission du 12 février 2004 rejetant la plainte de la requérante relative à une prétendue violation par Eurocontrol des dispositions du traité CE en matière de concurrence,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. J. Pirrung, président, A. W. H. Meij et Mme I. Pelikánová, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 31 janvier 2006,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1.     Bases juridiques d’Eurocontrol

1        L’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol), organisation internationale à vocation régionale dans le domaine de l’aviation, a été instituée par différents États européens, membres et non membres de la Communauté, par la convention internationale de coopération pour la sécurité de la navigation aérienne du 13 décembre 1960, laquelle a été amendée à plusieurs reprises puis révisée et coordonnée par le protocole du 27 juin 1997 (ci‑après la « convention »), dans le but de renforcer la coopération des États contractants dans le domaine de la navigation aérienne et de développer des activités communes entre eux afin de réaliser l’harmonisation et l’intégration nécessaires à la mise en place d’un système uniforme de gestion de la circulation aérienne, Air traffic management (ATM). Bien que la convention ne soit pas encore formellement en vigueur, n’ayant pas été ratifiée par la totalité des parties contractantes, ses dispositions sont appliquées provisoirement depuis 1998, conformément à une décision de la commission permanente d’Eurocontrol prise au mois de décembre 1997. L’Italie a adhéré à Eurocontrol le 1er avril 1996. En 2002, la Communauté et ses États membres ont signé un protocole – qui n’est pas encore entré en vigueur – concernant l’adhésion de la Communauté européenne à Eurocontrol. La Communauté a décidé d’approuver ce protocole par la décision 2004/636/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant la conclusion par la Communauté européenne du protocole relatif à l’adhésion de la Communauté européenne à Eurocontrol (JO L 304, p. 209). Depuis 2003, certaines dispositions de ce protocole sont appliquées provisoirement, en attendant sa ratification par toutes les parties contractantes.

2.     Droit communautaire

2        Dans la directive 93/65/CEE du Conseil, du 19 juillet 1993, relative à la définition et à l’utilisation de spécifications techniques compatibles pour l’acquisition d’équipements et de systèmes pour la gestion du trafic aérien (JO L 187, p. 52), modifiée par la directive 97/15/CE de la Commission, du 25 mars 1997, portant adoption de normes Eurocontrol (JO L 95, p. 16), le Conseil a prévu d’adopter des spécifications techniques communautaires en matière d’ATM sur la base des spécifications techniques correspondantes définies par Eurocontrol.

3        Les articles 1er à 5 de la directive 93/65 sont libellés comme suit :

« Article premier

La présente directive s’applique à la définition et à l’utilisation des spécifications techniques compatibles pour l’acquisition d’équipements et de systèmes pour la gestion du trafic aérien, et notamment :

–        des systèmes de communication,

–        des systèmes de surveillance,

–        des systèmes d’assistance automatisée au contrôle du trafic aérien,

–        des systèmes de navigation.

Article 2

Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)       ‘spécification technique’ : toute exigence technique contenue notamment dans les cahiers des charges définissant les caractéristiques requises d’un travail, d’un matériau, d’un produit ou d’une fourniture, et permettant de caractériser objectivement un travail, un matériau, un produit ou une fourniture de manière telle qu’ils répondent à l’usage auquel ils sont destinés par l’entité contractante. Ces prescriptions techniques peuvent porter sur la qualité, la performance, la sécurité ou les dimensions, ainsi que les prescriptions applicables au matériau, au produit ou à la fourniture en ce qui concerne l’assurance de la qualité, la terminologie, les symboles, les essais et méthodes d’essai, l’emballage, le marquage ou l’étiquetage ;

b)       ‘norme’ : toute spécification technique approuvée par un organisme de normalisation reconnu, pour application répétée ou continue, dont l’observation n’est, en principe, pas obligatoire ;

c)       ‘norme Eurocontrol’ : les éléments obligatoires des spécifications Eurocontrol relatives aux caractéristiques physiques, à la configuration, au matériel, aux performances, au personnel ou aux procédures, dont l’application uniforme est reconnue comme essentielle à la mise en oeuvre d’un système intégré de service du trafic aérien (ATS) (les éléments obligatoires sont inclus dans les documents relatifs à la norme Eurocontrol).

Article 3

1.      Conformément à la procédure définie à l’article 6, la Commission identifie et adopte les normes Eurocontrol, ainsi que les modifications Eurocontrol à apporter ultérieurement à ces normes Eurocontrol, notamment dans les domaines visés à l’annexe I, dont le respect est imposé par la législation communautaire. La Commission publie au Journal officiel des Communautés européennes les références de toutes les spécifications techniques dont le respect est ainsi imposé.

2.       Afin que l’annexe I, qui comporte la liste des normes Eurocontrol à établir, soit aussi complète que possible, la Commission, suivant la procédure prévue à l’article 6 et en consultation avec Eurocontrol, peut, le cas échéant, modifier l’annexe I conformément aux modifications effectuées par Eurocontrol.

[…]

Article 4

En vue de compléter, si nécessaire, le travail de mise en oeuvre des normes Eurocontrol, la Commission peut confier des mandats de normalisation aux organismes européens de normalisation conformément à la directive 83/189/CEE et en consultation avec Eurocontrol.

Article 5

1.      Sans préjudice des directives 77/62/CEE et 90/531/CEE, les États membres prennent les mesures nécessaires afin que, dans les documents généraux ou dans les cahiers de charge relatifs à chaque marché, les autorités adjudicatrices civiles définies à l’annexe II fassent référence aux spécifications adoptées conformément à la présente directive lors de l’acquisition d’équipements de navigation aérienne.

2.      Afin que l’annexe II soit aussi complète que possible, les États membres notifient à la Commission toute modification intervenue dans leurs listes. La Commission révise l’annexe II selon la procédure prévue à l’article 6. »

 Faits à l’origine du litige et procédure précontentieuse

1.     Rôle et activités d’Eurocontrol

4        Pour réaliser son objectif consistant à développer un système uniforme de gestion de la circulation aérienne en Europe, Eurocontrol développe, coordonne et planifie la mise en place de stratégies paneuropéennes et les plans d’action s’y rapportant, avec la participation des autorités nationales, des fournisseurs de services de navigation aérienne, des utilisateurs civils et militaires de l’espace aérien, des aéroports, de l’industrie, des organisations professionnelles et des institutions européennes intéressées. Dans le cadre de la présente affaire, seuls trois domaines d’activités d’Eurocontrol sont concernés.

5        Le premier domaine d’activités concerné par la présente affaire est l’activité de réglementation, de normalisation et de validation. Dans le cadre des objectifs définis par la convention, les États membres d’Eurocontrol sont notamment convenus d’adopter et d’appliquer des « normes et spécifications communes » dans le secteur de la navigation aérienne. La définition de ces normes et de ces spécifications est confiée à Eurocontrol. Concrètement, les normes et les spécifications techniques sont élaborées par l’agence, organe exécutif d’Eurocontrol placé sous l’autorité du conseil de l’organisation, composée de représentants des États membres d’Eurocontrol (les directeurs de l’administration de l’aviation civile de chaque État membre de l’organisation), auquel il appartient de décider de l’adoption des normes techniques ainsi élaborées. Eurocontrol exerce ses activités de normalisation notamment dans le cadre du programme Eatchip (programme européen d’harmonisation et d’intégration du contrôle du trafic aérien), qui a été établi en 1990 par la conférence européenne de l’aviation civile (CEAC) afin de parvenir à harmoniser, puis à intégrer définitivement, les systèmes ATM dans les États membres de la conférence.

6        À ce jour, trois normes élaborées par Eurocontrol ont été adoptées par la Commission en tant que spécifications techniques communautaires au sens de la directive 93/65 [voir la directive 97/15 et le règlement (CE) nº 2082/2000 de la Commission, du 6 septembre 2000, portant adoption de normes Eurocontrol et modification de la directive 97/15 (JO L 254, p. 1), modifié par le règlement (CE) nº 980/2002 de la Commission, du 4 juin 2002 (JO L 150, p. 38)] :

–        la norme Eurocontrol relative à l’échange de données en ligne (OLDI) ;

–        la norme Eurocontrol relative à la présentation de l’échange de données ATS (ADEXP) ;

–        la norme Eurocontrol intitulée « Document de contrôle d’interface pour l’échange de données de vol » (FDE-ICD).

7        Le deuxième domaine d’activités concerné par la présente affaire est la mission de recherche et de développement d’Eurocontrol, qui consiste, d’une part, à coordonner les politiques nationales de recherche et de développement dans le domaine de la navigation aérienne et, d’autre part, à mener des actions communes d’étude et de développement des nouvelles technologies dans ce secteur. C’est ainsi qu’Eurocontrol fait développer et acquiert des prototypes d’équipements et de systèmes ATM, par exemple des systèmes de contrôle radar, afin notamment de pouvoir définir et valider de nouvelles normes et spécifications techniques. L’un des systèmes développés de cette manière est le système radar ARTAS, pour lequel l’entreprise Thomson‑CSF (dénommée, aujourd’hui, Thales) a obtenu le contrat de développement à la suite d’une procédure d’appel d’offres. Dans le cadre de ce domaine d’activités, Eurocontrol a mis en place un régime concernant les droits de propriété intellectuelle relatifs aux prototypes développés par les entreprises avec lesquelles elle a conclu des contrats de recherche, en particulier en ce qui concerne les logiciels. L’accessibilité, par la suite, de ces droits de propriété intellectuelle pour d’autres entreprises concurrentes, et notamment la gratuité de leur accès, dépend essentiellement du fait de savoir si les contractants ont développé ces logiciels spécialement dans le cadre d’un contrat de recherche passé avec Eurocontrol ou s’il s’agit de produits préexistants réutilisés.

8        Le troisième et dernier domaine d’activités concerné par la présente affaire est l’assistance fournie, sur demande, aux administrations des États membres d’Eurocontrol, notamment dans le domaine de la planification, de la spécification et de la création de services et de systèmes ATM. Dans ce cadre, Eurocontrol peut notamment être appelée à assister les autorités nationales de contrôle du trafic aérien pour mettre en place des procédures d’appel d’offres portant sur la fourniture d’équipements et de systèmes ATM.

2.     Procédure précontentieuse

9        La requérante, SELEX Sistemi Integrati SpA (anciennement Alenia Marconi Systems SpA), opère depuis 1961 dans le secteur des systèmes de gestion du trafic aérien. Le 28 octobre 1997, elle a saisi la Commission d’une plainte au titre de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), par laquelle elle attirait l’attention de la Commission sur certains manquements allégués d’Eurocontrol aux règles de concurrence dans l’exercice de sa mission de standardisation concernant les équipements et systèmes ATM (ci‑après la « plainte »).

10      La plainte soulevait les griefs suivants :

–        le régime des droits de propriété intellectuelle relatifs aux contrats de développement et d’acquisition des prototypes des nouveaux systèmes, sous-systèmes hardware et software destinés à des applications dans le domaine de l’ATM, conclus par Eurocontrol, serait de nature à créer des monopoles de fait dans la production des systèmes qui font ensuite l’objet d’une normalisation par Eurocontrol ;

–        cette situation serait d’autant plus grave qu’Eurocontrol n’aurait pas mis en œuvre des mesures assurant le respect des principes de transparence, d’ouverture et de non-discrimination dans le cadre de l’acquisition des prototypes des systèmes et sous-systèmes utilisés pour la définition des normes ;

–        il résulterait en outre du système actuel que les entreprises qui fournissent les prototypes utilisés aux fins de la normalisation se trouvent dans une situation particulièrement avantageuse par rapport à leurs concurrents, dans le cadre des marchés publics organisés par les autorités nationales en vue de l’acquisition d’équipements ATM.

11      La requérante a complété la plainte par lettres des 15 mai et 29 septembre 1998.

12      Le 3 novembre 1998, par une lettre signée par les directeurs généraux de la direction générale (DG) « Concurrence » et de la DG « Transports » (ci‑après la « lettre du 3 novembre 1998 »), la Commission a invité Eurocontrol à présenter ses observations au sujet de la plainte. Cette lettre était accompagnée d’une brève analyse faite par les services de la Commission, qui mettait en exergue les problèmes pouvant résulter des activités d’Eurocontrol mises en cause dans la plainte, notamment en ce qui concernait le fonctionnement du marché intérieur des produits, des systèmes et des services ATM. La Commission spécifiait toutefois que cette analyse ne préjugeait pas de l’application des règles communautaires en matière de concurrence au cas d’espèce. Le 12 novembre 1998, la Commission a informé la requérante de l’existence et du contenu de la lettre du 3 novembre 1998.

13      En réponse à l’invitation de la Commission, Eurocontrol a présenté ses observations sur la plainte ainsi que sur l’analyse de la Commission par courrier du 2 juillet 1999 comportant une lettre de deux pages accompagnée de douze pages d’observations. Ces dernières ont été transmises par lettre de la Commission du 12 août 1999 à la requérante, qui a pris position sur celles‑ci par courriers des 14 février et 28 mars 2000.

14      Par lettre du 15 juin 2000, la Commission a informé la requérante de ce que, à son avis, les faits dénoncés dans la plainte ne relevaient pas du champ d’application de l’article 82 CE et que, en toute hypothèse, ils ne lui permettaient pas de conclure à la violation dudit article. Par courriers des 15 janvier 2001 et 2 août 2002, la requérante a maintenu sa position. Par lettre du 25 septembre 2003, conformément à l’article 6 du règlement (CE) n° 2842/98 de la Commission, du 22 décembre 1998, relatif à l’audition dans certaines procédures fondées sur les articles [81] et [82] du traité CE (JO L 354, p. 18), la Commission a cependant indiqué à la requérante qu’elle ne considérait pas que les motifs exposés dans la plainte étaient suffisants pour accueillir celle‑ci. Par lettre du 14 novembre 2003, la requérante a encore répondu que son opinion demeurait inchangée.

15      Par lettre du 12 février 2004, la Commission a rejeté la plainte (ci‑après la « décision attaquée ») en confirmant, en substance, les appréciations déjà exprimées dans la lettre du 25 septembre 2003. En particulier, elle estime, dans la décision attaquée, que :

–        les règles communautaires de concurrence s’appliquent en principe aux organisations internationales telles qu’Eurocontrol, à condition que les activités concrètement visées puissent être qualifiées d’activités économiques ;

–        les activités d’Eurocontrol faisant l’objet de la plainte ne sont pas de nature économique et, par conséquent, Eurocontrol ne saurait être considérée comme une entreprise au sens de l’article 82 CE et, en tout état de cause, même à considérer ces activités comme des activités d’entreprise, elles ne sont pas contraires à l’article 82 CE ;

–        l’activité de normalisation technique est d’intérêt général et exercée par Eurocontrol sans rémunération, sans but lucratif ou finalité privée et n’a pas non plus pour objet d’imposer des redevances ou des modalités de prestations à fournir aux utilisateurs, ce qui exclut un caractère économique ;

–        concernant l’acquisition de prototypes et la gestion des droits de propriété intellectuelle, la plainte ne rapporte aucun fait spécifique constitutif d’un abus de position dominante ;

–        s’agissant du régime des droits de propriété intellectuelle, Eurocontrol met gratuitement à la disposition des entreprises intéressées les droits de propriété intellectuelle acquis par elle dans le cadre de ses activités de recherche et de développement ; même à vouloir considérer la gestion des droits de propriété intellectuelle comme une activité économique, le fait que les entreprises qui ont participé aux activités de recherche et de développement bénéficient d’un avantage technique qu’elles peuvent faire valoir dans le cadre de marchés publics ne saurait constituer un abus de position dominante imputable à Eurocontrol ;

–        en ce qui concerne les activités d’assistance qu’Eurocontrol fournit, sur demande, aux administrations nationales, elles ne sauraient constituer des activités de nature économique dès lors qu’elles sont fournies sans rémunération ; par ailleurs, dans le cadre desdites activités, Eurocontrol ne dispose d’aucun pouvoir décisionnel, lequel appartient aux seules administrations nationales.

 Procédure devant le Tribunal et conclusions des parties

16      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 avril 2004, la requérante a introduit le présent recours.

17      Par mémoire du 1er septembre 2004, déposé au greffe du Tribunal le 2 septembre 2004, Eurocontrol a demandé à être autorisée à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

18      Par ordonnance du 25 octobre 2004, le président de la deuxième chambre du Tribunal, conformément à l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal, a admis Eurocontrol à intervenir à l’appui des conclusions de la Commission en présentant ses observations lors de la procédure orale.

19      Par acte déposé le 25 février 2005, la requérante a demandé que la Commission soit invitée, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, à déposer la lettre du 3 novembre 1998, tout autre document établi par ses services pendant la procédure administrative, les analyses techniques, l’éventuelle correspondance de ses services avec Eurocontrol ainsi que les documents produits par celle-ci.

20      Par lettre du 11 mars 2005, déposée le 18 mars 2005, la Commission a produit la lettre du 3 novembre 1998. En affirmant qu’elle ne disposait pas d’autres documents qu’il aurait été utile de verser au dossier de la présente affaire et que la demande de la requérante était générale et dénuée de motivation, elle s’est par ailleurs opposée au surplus de la demande de la requérante.

21      Par décision du 5 avril 2005, le président de la deuxième chambre du Tribunal a invité l’intervenante, sur le fondement de l’article 64, paragraphe 3, sous b), du règlement de procédure, à déposer un mémoire.

22      Par acte déposé au greffe le 27 avril 2005, la requérante a introduit une demande de mesures d’instruction ayant pour objet l’audition de témoins et la production de documents par la Commission et a soulevé trois nouveaux moyens, tirés, respectivement, d’une erreur manifeste d’appréciation des circonstances de fait et de droit, de la violation des obligations de diligence et d’impartialité et d’un détournement de pouvoir résultant d’une violation du droit d’information du requérant et du principe du contradictoire.

23      L’intervenante a déposé son mémoire le 16 juin 2005.

24      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d’instruction préalables. Il a toutefois été décidé de poser des questions aux parties en invitant celles-ci à y répondre oralement à l’audience.

25      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 31 janvier 2006. À la suite des observations du Tribunal, la requérante a en outre apporté quelques modifications à ses conclusions initiales.

26      À la suite de ces modifications, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler et/ou modifier la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux frais et dépens de l’instance.

27      La Commission, soutenue par l’intervenante, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

1.     Sur la recevabilité de la demande de la requérante visant à l’annulation et/ou à la modification de la décision attaquée

28      La requérante ne précise pas si la demande de modification doit être considérée comme une demande subsidiaire. En tout état de cause, selon une jurisprudence constante, il n’appartient pas au juge communautaire d’adresser, dans le cadre du contrôle de la légalité qu’il exerce, des injonctions aux institutions ou de se substituer à ces dernières, mais il incombe à l’administration concernée de prendre les mesures que comporte l’exécution d’un arrêt rendu dans le cadre d’un recours en annulation (arrêts du Tribunal du 27 janvier 1998, Ladbroke Racing/Commission, T‑67/94, Rec. p. II‑1, point 200, et du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, point 53).

29      Dès lors, le premier chef de conclusions de la requérante doit être rejeté comme irrecevable pour autant qu’il vise à la modification de la décision attaquée.

2.     Sur la recevabilité des nouveaux moyens de la requérante

 Observations des parties

30      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 avril 2005, la requérante a produit trois moyens nouveaux, tirés, respectivement, d’une erreur manifeste d’appréciation des circonstances de fait et de droit, de la violation des obligations de diligence et d’impartialité et d’un détournement de pouvoir résultant d’une violation du droit d’information du requérant et du principe du contradictoire.

31      La requérante justifie la production des nouveaux moyens après la clôture de la procédure écrite par la survenance de faits nouveaux qui se seraient révélés pendant la procédure, au sens de l’article 48 du règlement de procédure. En effet, de l’avis de la requérante, le dépôt par la Commission, en annexe à ses observations du 11 mars 2005, de la lettre du 3 novembre 1998, constitue un tel élément nouveau. Elle fait valoir, dans l’acte déposé le 27 avril 2005, que ce n’est que par la lecture du mémoire en défense, auquel était annexée la lettre du directeur d’Eurocontrol du 2 juillet 1999, qu’elle a eu connaissance du fait que la lettre du 3 novembre 1998 n’était pas une simple note de transmission de la plainte, mais qu’elle contenait également une analyse de celle‑ci signée par deux directeurs généraux de la Commission.

32      La Commission a conclu au rejet de ces nouveaux moyens comme irrecevables. La requérante aurait eu une connaissance suffisante de l’envoi, du contenu et des signataires de la lettre du 3 novembre 1998 par la lecture de la lettre du 12 novembre 1998.

 Appréciation du Tribunal

33      En vertu de l’article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Il y a donc lieu d’examiner si tel est le cas en l’espèce.

34      À cet égard, il convient de souligner que la lettre du 12 novembre 1998 (voir point 12 ci-dessus) informait la requérante que les directeurs généraux de la DG « Concurrence » et de la DG « Transports » avaient, à la suite d’un examen des aspects juridiques et économiques soulevés dans la plainte, adressé un courrier à Eurocontrol invitant cette dernière à présenter ses observations, qu’ils avaient attiré l’attention d’Eurocontrol sur certains aspects de sa politique de normalisation et qu’Eurocontrol avait, en particulier, été invitée à définir, en relation avec les services de la Commission, une approche neutre et cohérente quant à ses relations avec les entreprises. La lettre se terminait par l’annonce que la requérante serait tenue informée de la réponse d’Eurocontrol ainsi que de l’évolution des discussions entre les services de la Commission et Eurocontrol.

35      Il y a lieu de constater qu’une simple note de transmission d’une plainte n’est pas, en principe, signée par un directeur général de la Commission et, moins encore, par deux directeurs généraux. En outre, l’information donnée à la requérante selon laquelle la Commission avait attiré l’attention d’Eurocontrol sur certains aspects de sa politique de normalisation et lui avait signalé qu’elle entendait engager une réflexion commune avec elle permettait de déduire que la lettre du 3 novembre 1998 contenait vraisemblablement des considérations de fond quant à l’examen de la plainte. Cela a d’ailleurs été confirmé par les observations d’Eurocontrol du 2 juillet 1999 sur la plainte, qui ont été transmises à la requérante par courrier du 12 août 1999. Dans la partie introductive de ces observations, il est expressément indiqué que la plainte était « suivie d’une courte analyse effectuée par la Commission, faisant l’économie de l’étude préalable des aspects juridiques mais commentant les activités d’Eurocontrol qui lui paraiss[ai]ent critiquables et devoir justifier un alignement sur les pratiques communautaires ».

36      Dans ce contexte, il apparaît que la lettre du directeur d’Eurocontrol du 2 juillet 1999 ne contenait pas davantage d’éléments sur l’existence de la note d’analyse signée par les deux directeurs généraux de la Commission que la lettre de la Commission du 12 novembre 1998 ou les observations d’Eurocontrol sur la plainte.

37      S’agissant des deux passages de la lettre du directeur d’Eurocontrol du 2 juillet 1999 précisément invoqués par la requérante, faisant état de remarques formulées par les services de la Commission sur quelques activités essentielles d’Eurocontrol et d’une proposition de réflexion commune de la Commission sur ces sujets à l’occasion de l’examen de la plainte, force est de constater que ceux‑ci ne contiennent aucune information qui n’aurait pas déjà figurée dans la lettre du 12 novembre 1998 ou dans les observations d’Eurocontrol sur la plainte, lesquelles faisaient, de plus, état d’activités d’Eurocontrol qui auraient paru « critiquables » à la Commission.

38      La requérante a donc pu comprendre, à la lecture de la lettre de la Commission du 12 novembre 1998 et des observations d’Eurocontrol sur la plainte qui lui ont été transmises le 12 août 1999, qu’une analyse des comportements incriminés d’Eurocontrol était jointe à la lettre du 3 novembre 1998. Par conséquent, il y a lieu de constater, au vu de la lettre du 12 novembre 1998 produite par la Commission, que la requérante n’est pas fondée à soutenir que seule la lecture de la lettre du directeur d’Eurocontrol du 2 juillet 1999, annexée au mémoire en défense, lui a permis de savoir que la lettre du 3 novembre 1998 n’était pas une simple note de transmission de sa plainte, mais contenait également une analyse de celle‑ci, signée par deux directeurs généraux de la Commission. Dès lors, elle ne peut se prévaloir de ladite lettre du 2 juillet 1999 comme d’un élément de fait qui ne se serait révélé qu’en cours d’instance.

39      Par ailleurs, la lettre du 3 novembre 1998 n’a pas le sens que la requérante entend lui donner. La Commission n’y constate nullement que les activités d’Eurocontrol sont des activités économiques et que, partant, les règles communautaires en matière de concurrence leur sont applicables. Cette lettre précise d’ailleurs expressément que l’analyse qui y est jointe a été faite « sans préjuger de l’application des règles communautaires […] en matière de concurrence », ce qui explique qu’elle examine également les incidences que les activités d’Eurocontrol, bien que non économiques, peuvent néanmoins avoir sur le jeu de la concurrence entre les entreprises actives dans le secteur des équipements ATM.

40      Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter ces nouveaux moyens comme irrecevables.

3.     Sur la recevabilité du moyen présenté par l’intervenante, tiré de son immunité en vertu du droit international public

41      L’intervenante, qui soutient la Commission, a conclu, comme celle‑ci, au rejet du recours. À l’appui de ses conclusions, elle soulève deux moyens, tirés respectivement de l’inapplicabilité des règles de l’Union européenne à Eurocontrol en raison de l’immunité d’Eurocontrol en droit international public et du fait qu’Eurocontrol ne constitue pas une entreprise au sens de l’article 82 CE. Or, force est de constater que le premier de ces moyens n’a pas été soulevé par la Commission.

42      À cet égard, il y a lieu de rappeler que si l’article 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, et l’article 116, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal ne s’opposent pas à ce qu’un intervenant présente des arguments nouveaux ou différents de ceux de la partie qu’il soutient, sous peine de voir son intervention limitée à répéter les arguments avancés dans la requête, il ne saurait être admis que ces dispositions lui permettent de modifier ou de déformer le cadre du litige défini par la requête en soulevant des moyens nouveaux (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité, 30/59, Rec. p. 3, 37 ; du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90, Rec. p. I‑1125, point 22, et du 8 juillet 1999, Chemie Linz/Commission, C‑245/92 P, Rec. p. I‑4643, point 32 ; arrêts du Tribunal du 8 juin 1995, Siemens/Commission, T‑459/93, Rec. p. II‑1675, point 21 ; du 25 juin 1998, British Airways et British Midland Airways/Commission, T‑371/94 et T‑394/94, Rec. p. II‑2405, point 75 ; du 1er décembre 1999, Boehringer/Conseil et Commission, T‑125/96 et T‑152/96, Rec. p. II‑3427, point 183 ; du 28 février 2002, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑395/94, Rec. p. II‑875, point 382, et du 3 avril 2003, BaByliss/Commission, T‑114/02, Rec. p. II‑1279, point 417).

43      Partant, il convient de considérer que, les intervenants devant, en vertu de l’article 116, paragraphe 3, du règlement de procédure, accepter le litige dans l’état où il se trouve lors de leur intervention et les conclusions de leur requête en intervention ne pouvant avoir, en vertu de l’article 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour, d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties principales, Eurocontrol, en tant que partie intervenante, n’a pas qualité pour soulever le présent moyen tiré de son immunité en vertu du droit international public.

44      En conséquence, le premier moyen soulevé par Eurocontrol doit être rejeté comme irrecevable.

4.     Sur la demande en annulation

45      Au soutien de sa demande en annulation, la requérante avance, dans sa requête, trois moyens, tirés, respectivement, d’une erreur manifeste d’appréciation quant à l’applicabilité des dispositions communautaires en matière de concurrence à Eurocontrol, d’une erreur manifeste d’appréciation quant à l’existence d’une éventuelle violation des dispositions communautaires en matière de concurrence et d’une violation des formes substantielles.

46      Au vu de l’argumentation développée par la requérante, il apparaît toutefois que, malgré la référence générale aux « dispositions communautaires en matière de concurrence », les deux premiers moyens ne se rapportent en fait qu’à l’article 82 CE. C’est donc uniquement au regard de cet article que les deux premiers moyens de la requérante seront examinés.

47      Par ailleurs, concernant ces deux mêmes moyens, il convient de relever que, dès lors que le dispositif d’une décision de la Commission repose sur plusieurs piliers de raisonnement dont chacun suffirait à lui seul à fonder ce dispositif, il n’y a lieu d’annuler cet acte, en principe, que si chacun de ces piliers est entaché d’illégalité. Dans cette hypothèse, une erreur ou autre illégalité qui n’affecterait qu’un seul des piliers du raisonnement ne saurait suffire à justifier l’annulation de la décision litigieuse dès lors que cette erreur n’a pu avoir une influence déterminante quant au dispositif retenu par l’institution auteur de cette décision (voir, par analogie, arrêts du Tribunal du 14 mai 2002, Graphischer Maschinenbau/Commission, T‑126/99, Rec. p. II‑2427, points 49 à 51, et la jurisprudence citée, et du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, non encore publié au Recueil, point 43).

48      En l’occurrence, l’article 82 CE, que la requérante souhaiterait voir appliquer par la Commission, interdit à une entreprise d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché. Outre la condition d’une affectation possible du commerce entre États membres, cette disposition pose deux critères cumulatifs, tenant, premièrement, à l’existence d’une position dominante de l’entreprise concernée et, deuxièmement, au fait d’exploiter cette position dominante de façon abusive. Comme il a été constaté ci‑dessus (point 15), la Commission a estimé, d’une part, qu’Eurocontrol n’était pas une entreprise et, d’autre part, que, en tout état de cause, les comportements mis en cause n’étaient pas contraires à l’article 82 CE. Elle a donc fondé la décision attaquée sur la double constatation que l’un et l’autre des critères susvisés n’étaient pas remplis en l’espèce, chacune de ces constatations suffisant à soutenir le dispositif de la décision attaquée.

49      Il en résulte que l’annulation de la décision attaquée suppose que soient accueillis les deux premiers moyens de la requérante, dont l’un critique la légalité de la décision au regard du premier critère tandis que le second se rapporte à la légalité de celle‑ci au regard du second critère.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation quant à l’applicabilité de l’article 82 CE à Eurocontrol

50      L’application de l’article 82 CE au cas d’espèce suppose qu’Eurocontrol soit considérée comme une entreprise, au sens du droit communautaire de la concurrence. Selon une jurisprudence constante, la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement, et constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (arrêts de la Cour du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C‑41/90, Rec. p. I‑1979, point 21 ; du 16 novembre 1995, Fédération française des sociétés d’assurances e.a., C‑244/94, Rec. p. I‑4013, point 14 ; du 11 décembre 1997, Job Centre, C‑55/96, Rec. p. I‑7119, point 21 ; du 18 juin 1998, Commission/Italie, C‑35/96, Rec. p. I‑3851, point 36, et du 12 septembre 2000, Pavlov e.a., C‑180/98 à C‑184/98, Rec. p. I‑6451, point 74).

51      La requérante fait valoir que les activités d’Eurocontrol en cause dans la présente affaire, à savoir la normalisation, la recherche et le développement ainsi que l’assistance aux administrations nationales, sont des activités économiques et que, partant, Eurocontrol doit être qualifiée d’entreprise au sens de l’article 82 CE. La Commission, pour sa part, se réfère à l’arrêt de la Cour du 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft (C‑364/92, Rec. p. I‑43), dans lequel la Cour a considéré, aux points 30 et 31 :

« 30      Prises dans leur ensemble, les activités d’Eurocontrol, par leur nature, par leur objet et par les règles auxquelles elles sont soumises, se rattachent à l’exercice de prérogatives, relatives au contrôle et à la police de l’espace aérien, qui sont typiquement des prérogatives de puissance publique. Elles ne présentent pas un caractère économique justifiant l’application des règles de concurrence du traité.

31      Une organisation internationale comme Eurocontrol ne constitue pas, dès lors, une entreprise assujettie aux dispositions des articles [82 CE] et [86 CE]. »

52      Le dispositif de cet arrêt, quant à lui, énonce simplement que « [l]es articles [82 CE] et [86 CE] doivent être interprétés en ce sens qu’une organisation internationale comme Eurocontrol ne constitue pas une entreprise au sens de ces articles ».

53      La Commission en déduit que la Cour a exclu, en toutes circonstances et pour l’intégralité de ses activités, qu’Eurocontrol puisse être qualifiée d’entreprise au sens du droit communautaire de la concurrence.

54      Cependant, il y a lieu de constater que, pour arriver à sa conclusion, la Cour s’est exclusivement fondée sur un examen, à la lumière de la notion d’activité économique, des activités d’Eurocontrol mises en cause dans le cadre du litige opposant la compagnie aérienne SAT Fluggesellschaft mbH à Eurocontrol, à savoir l’établissement et la perception des redevances imposées aux usagers des services de la navigation aérienne pour le compte des États participants. La Cour a certes mentionné, au point 22 de l’arrêt, une partie des activités en cause dans la présente affaire, mais sans pour autant examiner s’il s’agissait d’activités économiques au sens de sa jurisprudence. Or, les dispositions du traité en matière de concurrence étant applicables aux activités d’un organisme qui sont détachables de celles qu’il exerce en tant qu’autorité publique (arrêts de la Cour du 11 juillet 1985, Commission/Allemagne, 107/84, Rec. p. 2655, points 14 et 15, et du Tribunal du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission, T‑128/98, Rec. p. II‑3929, point 108), les différentes activités d’une entité sont à examiner individuellement et on ne saurait déduire de l’assimilation de certaines d’entre elles à des prérogatives de puissance publique que les autres activités ne puissent avoir un caractère économique (voir, en ce sens, arrêt Aéroports de Paris/Commission, précité, point 109). Au vu de la portée restreinte de l’examen opéré par la Cour, il apparaît donc que, malgré la généralité du libellé de son point 31 et de son dispositif, l’arrêt SAT Fluggesellschaft, précité, n’exclut pas qu’Eurocontrol soit qualifiée, concernant d’autres activités, d’entreprise au sens de l’article 82 CE.

55      Il convient donc de déterminer, pour chacune des activités d’Eurocontrol mises en cause par la requérante, d’une part, si elles sont dissociables de ses activités relevant de sa mission publique et, d’autre part, si elles constituent des activités économiques, au sens de la jurisprudence citée au point 50 ci-dessus.

 Concernant l’activité de normalisation technique d’Eurocontrol

–       Arguments des parties

56      La requérante fait valoir que l’activité de normalisation d’Eurocontrol est une activité économique. Cette activité de normalisation technique ne présenterait aucun lien objectif avec les missions de gestion de l’espace aérien et ne serait donc pas l’expression des prérogatives de puissance publique en matière de contrôle du trafic aérien. Les considérations contraires de la Commission dans la décision attaquée, fondées sur le fait que ladite activité serait non rémunérée, d’intérêt général et non lucrative et qu’elle n’aurait pas pour objet d’imposer des redevances ou des modalités de prestations à fournir aux utilisateurs, contrediraient une jurisprudence constante. En outre, la Commission aurait déjà admis, dans sa pratique antérieure, que des activités analogues à celles visées dans la plainte constituaient des activités économiques, à propos, par exemple, de l’Institut européen des normes de télécommunication (ETSI) et d’une association européenne de sociétés ferroviaires nationales. Ces deux cas auraient été considérés par la Commission comme relevant du champ d’application des règles en matière de concurrence.

57      La requérante soutient que le caractère économique de l’activité de normalisation peut se déduire du caractère économique de l’acquisition des prototypes, qui constitue la condition préalable à la normalisation. Les activités visant, comme finalité ultime, à l’obtention de normes et donc, plus généralement, à la normalisation seraient les éléments constitutifs, dans leur ensemble, d’une activité économique spécifique. Eurocontrol opérerait sur le marché en qualité d’acquéreur unique de prototypes de systèmes ATM.

58      Selon la Commission, Eurocontrol exerce son activité de normalisation en tant qu’organisation internationale pour le compte des États contractants, sans poursuivre un intérêt propre, distinct et indépendant de celui de ces États, et elle poursuit un objectif d’intérêt général consistant à maintenir et à améliorer la sécurité de la navigation aérienne. C’est le concours de tous ces éléments qui permettrait de dire que, dans l’exercice de son activité de normalisation technique, Eurocontrol ne saurait être considérée comme une entreprise aux fins de l’application de l’article 82 CE. L’activité de réglementation d’Eurocontrol non seulement ne serait pas dissociable de la mission qui lui a été confiée en tant qu’organisation internationale, mais toucherait en fait à l’essence même de cette mission.

–       Appréciation du Tribunal

59      S’agissant de l’activité de normalisation d’Eurocontrol, il y a lieu de distinguer, tout d’abord, la préparation ou l’élaboration des normes, tâche accomplie par l’agence d’Eurocontrol en tant qu’organe exécutif, d’une part, de leur adoption par le conseil d’Eurocontrol, d’autre part. Pour ce qui est de cette dernière tâche, force est de constater qu’elle relève du domaine législatif. En effet, le conseil d’Eurocontrol est composé des directeurs de l’administration de l’aviation civile de chaque État membre de l’organisation, mandatés par leurs États respectifs pour adopter des spécifications techniques qui auront force contraignante dans tous ces États, activité qui relève directement de l’exercice, par ces derniers, de leurs prérogatives de puissance publique. Le rôle d’Eurocontrol s’apparente ainsi à celui d’un ministère qui, au niveau national, prépare les mesures législatives ou réglementaires qui ensuite seront adoptées par le gouvernement. Il s’agit donc d’une activité relevant de la mission publique d’Eurocontrol.

60      En ce qui concerne, en revanche, la préparation ou l’élaboration des normes techniques par Eurocontrol, il y a lieu de constater que cette activité peut, contrairement aux affirmations de la Commission, être dissociée de sa mission de gestion de l’espace aérien et de développement de la sécurité aérienne. Les arguments invoqués par la Commission pour démontrer que l’activité de normalisation d’Eurocontrol se rattache à la mission de service public de cette organisation ne se réfèrent, en fait, qu’à l’adoption de ces normes et non à leur élaboration. Cela concerne, en particulier, l’argument selon lequel il serait fondamental d’adopter, à l’échelon international, des normes et des spécifications techniques relatives aux systèmes ATM pour assurer la fiabilité de la transmission du contrôle des vols entre les organismes nationaux de contrôle. En effet, la nécessité d’une adoption de normes au plan international n’implique pas nécessairement que l’entité qui élabore ces normes doive aussi être celle qui, ensuite, les adopte. À cet égard, la Commission n’a pas établi que, en l’occurrence, ces deux activités doivent nécessairement être exercées par une seule et même entité, plutôt que par deux entités différentes.

61      Cependant, l’activité d’élaboration des normes par Eurocontrol ne peut être qualifiée d’activité économique. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (voir arrêt Aéroports de Paris/Commission, précité, point 107, et la jurisprudence citée au point 50 ci-dessus). En l’occurrence, la requérante n’a pas démontré qu’il existait un marché pour des « services de normalisation technique dans le secteur des équipements ATM ». Les seuls demandeurs de tels services pourraient être les États en leur qualité d’autorité de contrôle du trafic aérien. Or, ils ont choisi d’élaborer ces normes eux-mêmes, dans le cadre d’une coopération internationale, par l’intermédiaire d’Eurocontrol. Les normes élaborées étant ensuite adoptées par le conseil d’Eurocontrol, les résultats de l’activité d’élaboration ne quittent pas l’organisation elle-même et ne sont pas offerts sur un marché donné. Dans le domaine de la normalisation, Eurocontrol ne constitue donc, pour ses États membres, qu’un forum de concertation qu’ils ont créé pour coordonner les standards techniques de leurs systèmes ATM. On ne saurait dès lors considérer, dans ce domaine, qu’Eurocontrol leur « offre des biens ou des services ».

62      En l’espèce, la requérante est donc restée en défaut de démontrer que l’activité litigieuse aurait consisté à offrir des biens ou des services sur un marché donné, comme cela est pourtant requis, selon la jurisprudence citée au point précédent.

63      Quant à l’argumentation de la requérante selon laquelle il conviendrait d’apprécier séparément l’activité de normalisation de l’activité d’acquisition des prototypes nécessaires à l’élaboration des normes techniques, pour déduire du caractère économique de ladite activité d’acquisition de prototypes le caractère économique de l’activité de normalisation, force est de constater que celle‑ci ne saurait prospérer.

64      En effet, la requérante ne donne pas les raisons pour lesquelles la qualification de l’activité d’acquisition des prototypes d’activité économique, à la supposer retenue, entraînerait nécessairement la même qualification pour l’activité de normalisation. S’il n’est pas contesté par les parties qu’Eurocontrol acquiert des biens ou des services sur le marché, cela ne signifie pas que les activités aux fins desquelles ces biens ou ces services sont acquis sont de nature économique.

65      Par ailleurs, force est de constater qu’une approche consistant à déduire de la nature de l’activité exercée en amont (l’acquisition de prototypes) la nature de l’activité exercée en aval (la normalisation), telle que proposée par la requérante, se heurte à la jurisprudence du Tribunal. Suivant les critères ressortant de la jurisprudence constante des juridictions communautaires, citée ci‑dessus, la notion d’activité économique découle de l’offre de biens ou de services sur un marché donné et non de l’acquisition de tels biens ou de tels services. À cet égard, il a été jugé que ce n’est pas l’activité d’achat en tant que telle qui caractérise la notion d’activité économique et que, aux fins d’apprécier si une activité a ou non un caractère économique, il n’y a pas lieu de dissocier l’activité d’achat du produit de l’utilisation ultérieure du produit acquis. Il convient dès lors de considérer que le caractère économique ou non de l’utilisation ultérieure du produit détermine nécessairement le caractère de l’activité d’achat (arrêt du Tribunal du 4 mars 2003, FENIN/Commission, T‑319/99, Rec. p. II‑357, point 36). Dans le contexte de la présente affaire, cela signifie que le caractère non économique de l’activité de normalisation implique le caractère non économique de l’acquisition des prototypes dans le cadre de ladite normalisation, nonobstant le fait qu’Eurocontrol agit en tant qu’acheteur sur le marché des équipements ATM.

66      À cet égard, il y a lieu de rejeter l’argumentation de la requérante selon laquelle le raisonnement du Tribunal dans l’arrêt FENIN/Commission, précité, n’est pas transposable à la présente affaire ou que son application ne saurait être absolue.

67      Dans la mesure où la requérante fait valoir, d’une part, que la situation ayant donné lieu à l’arrêt FENIN/Commission, précité, est très différente de celle existant dans la présente espèce, il importe de souligner que le Tribunal y a constaté, de manière générale, que dès lors qu’une entité achète un produit non pas pour offrir des biens ou des services dans le cadre d’une activité économique, mais pour en faire usage dans le cadre d’une autre activité, par exemple une activité de nature purement sociale, elle n’agit pas en tant qu’entreprise du seul fait de sa qualité d’acheteur sur un marché (arrêt FENIN/Commission, précité, point 37). Le libellé général de cette phrase, et notamment le fait qu’il ne soit fait expressément mention d’une activité sociale qu’à titre d’exemple, rend transposable la solution adoptée dans cet arrêt à toute entité achetant des biens aux fins d’activités non économiques. Or, comme il a été exposé ci‑dessus, tel est précisément le cas d’Eurocontrol.

68      Si la requérante avance, d’autre part, que l’application de cette jurisprudence, selon laquelle le caractère économique ou non de l’utilisation ultérieure du produit détermine nécessairement le caractère de l’activité d’achat, ne saurait faire abstraction des incidences que l’activité d’acquisition peut avoir sur le marché concerné, notamment dans des cas où, comme en l’espèce, l’acquéreur se trouve en situation de monopsone au niveau européen, force est de constater que cet argument repose sur une mauvaise interprétation de l’arrêt FENIN/Commission, précité. En effet, il y est constaté que, s’il est exact qu’une entité achetant un produit pour en faire usage dans le cadre d’une activité non économique « peut exercer un pouvoir économique très important, lequel pourrait donner lieu, le cas échéant, à une situation de monopsone, il n’en reste pas moins que, dans la mesure où l’activité pour l’exercice de laquelle elle achète ces produits n’est pas de nature économique, elle n’agit pas en tant qu’entreprise au sens des règles communautaires en matière de concurrence et n’est donc pas visée par les interdictions prévues aux articles 81, paragraphe 1, CE et 82 CE » (arrêt FENIN/Commission, précité, point 37).

69      Par conséquent, il y a lieu de constater que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que les activités de normalisation technique d’Eurocontrol n’étaient pas des activités économiques au sens de la jurisprudence communautaire et que les règles de concurrence du traité n’étaient donc pas applicables à celles-ci.

 Concernant l’activité de recherche et de développement, notamment l’acquisition de prototypes et le régime des droits de propriété intellectuelle

–       Arguments des parties

70      Selon la requérante, il ressort d’une lecture attentive de la décision attaquée que la Commission ne conteste pas le caractère économique de l’activité d’acquisition de prototypes et du régime de propriété intellectuelle. En effet, cette qualification n’y serait pas expressément exclue et la Commission aurait examiné au fond l’éventualité d’un abus de position dominante, contrairement à ce qu’elle aurait fait pour les activités de normalisation et d’assistance aux administrations nationales, pour lesquelles elle n’aurait pas examiné au fond les violations dénoncées par la requérante.

71      La Commission conteste avoir reconnu la nature économique de l’activité de recherche et de développement d’Eurocontrol dans la décision attaquée.

72      En l’espèce, l’acquisition de prototypes de systèmes ATM et le régime des droits de propriété intellectuelle qui y est relatif, tel que fixé dans les contrats d’achat, s’inscriraient directement dans le cadre de l’activité de normalisation d’Eurocontrol. Ces prototypes seraient en effet utilisés pour l’élaboration et la validation des normes et des spécifications techniques par l’organisation, c’est-à-dire dans le cadre d’une activité qui ne présenterait pas de caractère économique.

–       Appréciation du Tribunal

73      Dans le domaine de l’activité de recherche et de développement d’Eurocontrol, la requérante met en cause l’acquisition de prototypes de systèmes ATM par l’organisation et la gestion des droits de propriété intellectuelle pratiquée par elle dans ce domaine.

74      Le seul argument relatif au caractère économique de la gestion des droits de propriété intellectuelle que présente la requérante réside dans l’affirmation que, dans la décision attaquée, la Commission ne contesterait pas ledit caractère économique – affirmation à laquelle la Commission s’oppose et qui ne trouve pas de fondement dans la décision attaquée. En effet, comme il ressort clairement du point 32 de ladite décision, ce n’est que subsidiairement et par souci d’exhaustivité que la Commission a examiné l’existence d’une éventuelle violation de l’article 82 CE en rapport avec cette activité.

75      Par ailleurs, il apparaît que l’acquisition de prototypes à laquelle Eurocontrol procède dans le cadre de ses activités de recherche et de développement et la gestion des droits de propriété intellectuelle s’y rapportant ne sont pas de nature à conférer à l’activité de recherche et de développement de l’organisation un caractère économique, puisque ladite acquisition n’implique pas l’offre de biens ou de services sur un marché donné.

76      En effet, l’acquisition des prototypes n’est en fait qu’une activité annexe à leur développement. Comme l’intervenante l’a rappelé, ce développement ne se fait pas par Eurocontrol elle‑même, mais par des entreprises du secteur concerné, auxquelles l’organisation octroie des subventions publiques incitatives. Eurocontrol distribue ainsi des fonds publics aux fins de promouvoir la recherche et le développement dans le domaine des équipements ATM. Afin d’assurer la mise à disposition du secteur intéressé des résultats des recherches subventionnées par elle, les contrats de subvention prévoient qu’Eurocontrol acquiert la propriété du prototype et les droits de propriété intellectuelle résultant de la recherche qu’elle a financée. L’acquisition de ces droits par Eurocontrol n’est donc pas un but en soi et ne sert pas à leur exploitation à des fins commerciales, mais n’est qu’un élément de la relation juridique entre l’entité octroyant une subvention et l’entreprise subventionnée.

77      Dans ce contexte, il y a lieu de relever que, dans le cadre de la gestion des droits de propriété intellectuelle mis en place par Eurocontrol, sont gratuitement mis à la disposition des entreprises intéressées les droits de propriété intellectuelle qu’elle détient sur les résultats des activités de recherche et de développement susvisées. Certes, dans le cadre de l’examen du caractère économique d’une activité, le critère de l’absence de rémunération ne constitue qu’un indice parmi d’autres et ne saurait, en soi, exclure son caractère économique. Néanmoins, en l’espèce, le fait que les licences pour les droits de propriété acquis par Eurocontrol dans le cadre du développement des prototypes sont octroyées à titre gratuit s’ajoute au fait qu’il s’agit là d’une activité accessoire à la promotion du développement technique, s’inscrivant dans le cadre de l’objectif d’intérêt général de la mission d’Eurocontrol et n’étant pas poursuivie dans un intérêt propre de l’organisation qui serait dissociable dudit objectif, ce qui exclut le caractère économique d’une activité (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 16 mars 2004, AOK Bundesverband e.a., C‑264/01, C‑306/01, C‑354/01 et C‑355/01, Rec. p. I‑2493, point 63).

78      Cette gestion des droits de propriété intellectuelle n’est donc nullement comparable à l’activité des organisations de droit privé qui gèrent, au niveau national, les droits d’auteurs de musique ou de textes et qui sont mandatés, par les titulaires de ces droits, pour percevoir les redevances dues au titre de la représentation de leurs œuvres par des tiers. Ces organisations poursuivent une activité économique, dans la mesure où, d’une part, elles offrent, contre rémunération, un service de gestion de leurs droits aux auteurs et où, d’autre part, elles agissent vis-à-vis des tiers qui font usage des œuvres concernées à des fins commerciales comme l’organisme central de perception des redevances dues, en tant que mandataires des auteurs. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

79      À cet égard, il y a lieu de rejeter l’affirmation que la requérante a présentée à l’audience, en se fondant sur un document interne d’Eurocontrol intitulé « ARTAS Intellectual Property Rights and Industrial Policy » (Droits de propriété intellectuelle et politique industrielle dans le cadre du système ARTAS), du 23 avril 1997, produit par elle en annexe à la requête, selon laquelle les licences ne sont pas gratuites et leur attribution dépend de l’accord de l’entreprise contractante ayant développé le prototype pour le système ARTAS, la société Thomson‑CSF (aujourd’hui, Thales). En effet, il ressort du document cité que la redevance pour la licence d’utilisation du système ARTAS s’élevait à un écu, ce qui équivaut à la gratuité. Par ailleurs, il ressort de ce même document que, en contrepartie de cette redevance, l’entreprise concernée obtient un plein accès aux parties du système développées dans le cadre du projet de développement financé par Eurocontrol (le « foreground software »), sur lequel Eurocontrol détient les droits de propriété intellectuelle. Concernant les parties du système ARTAS qui ont été développées par Thomson‑CSF dans le cadre de projets antérieurs et qui ont été réutilisées dans ledit système (le « background software »), un régime de divulgation des informations est prévu, qui distingue deux catégories d’informations, à savoir les informations transférables, d’une part, et les informations confidentielles, d’autre part. Tandis que les premières peuvent être divulguées aux concurrents de Thomson‑CSF, aux fins du développement de systèmes de type ARTAS, à la suite de la signature d’un accord de licence avec Eurocontrol, les secondes ne sont pas, sous réserve de l’accord de Thomson‑CSF, divulguées aux concurrents de cette dernière. Force est donc de constater que le document en cause démontre le contraire de ce que prétend la requérante, à savoir que les licences portant sur le système ARTAS sont gratuites, que toutes les composantes de ce système développées dans le cadre du projet financé par Eurocontrol sont divulguées aux entreprises concurrentes de Thomson-CSF, sans que cette dernière puisse s’y opposer, et que même une partie des composantes développées antérieurement par Thomson-CSF peut être mise à la disposition des entreprises concurrentes. Il y a donc lieu de rejeter sur ce point l’argumentation de la requérante.

80      Il y a également lieu de rejeter les critiques de la requérante relatives, premièrement, à la délimitation entre le « foreground software » et le « background software », qui serait faite de manière arbitraire et non transparente par Eurocontrol et, deuxièmement, au fait que cette délimitation serait, en fin de compte, purement théorique, puisque, du fait qu’ils ignorent certaines données (les « codes source ») des parties non accessibles, les concurrents seraient empêchés de faire un usage utile des parties accessibles des logiciels développés. En effet, si ces faits, à les supposer établis, semblent certainement être de nature à pouvoir influencer le jeu de la concurrence dans le secteur des équipements ATM, ceux‑ci ne sont cependant pas de nature à démontrer le caractère économique du régime des droits de propriété intellectuelle appliqué par Eurocontrol.

81      En outre, en ce qui concerne le reproche de la requérante selon lequel Eurocontrol impose, concernant les droits détenus par l’entreprise contractante, une divulgation, sous forme de « paquets code-machine » et conjointement avec toute la documentation permettant son application, uniquement du « background software », tandis que les logiciels dits « OTS » restent confidentiels, ce grief revient en fait à reprocher à Eurocontrol de ne pas imposer aux entreprises ayant obtenu des contrats de recherche de mettre à la disposition de leurs concurrents les codes sources de leurs propres produits qui ont été réutilisés dans le cadre des projets de recherche attribués par elle. Or, il y a lieu de constater que, indépendamment de la question de savoir si une telle obligation pourrait être légalement imposée aux entreprises contractantes, le fait pour Eurocontrol de procéder, dans le cadre de son régime des droits de propriété intellectuelle, à une telle délimitation ne répond pas aux critères d’une activité économique tels que dégagés par la jurisprudence citée au point 50 ci-dessus, à savoir ceux de poursuivre une activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné.

82      Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que les activités de recherche et de développement financées par Eurocontrol ne constituaient pas des activités économiques et que les règles de concurrence du traité ne leur étaient donc pas applicables.

 Concernant l’activité d’assistance aux administrations nationales

–       Arguments des parties

83      La requérante affirme que l’activité d’assistance technique au profit des administrations nationales que Eurocontrol exerce en rédigeant les cahiers des charges des appels d’offres publics ou en participant à la procédure de sélection des entreprises participant aux appels d’offres est une activité intrinsèquement économique. De même, il s’agirait d’une activité donnant lieu à une rémunération, puisque Eurocontrol bénéficierait d’un financement de la part de ses États membres, qui servirait à financer l’activité d’assistance, tout comme ses autres activités.

84      La Commission et l’intervenante estiment que l’activité d’assistance aux administrations nationales chargées du contrôle de la navigation aérienne, notamment dans les procédures d’appel d’offres portant sur l’acquisition de systèmes et d’équipements ATM, relève de la mission de l’organisation telle que définie par la convention. Cette activité permettrait aux États contractants, en recourant à la compétence technique particulière de l’organisation, d’exercer, comme il convient, les fonctions de contrôle et de gestion de la circulation aérienne qu’ils exercent dans le cadre de leur souveraineté. Dans l’exercice de cette activité, Eurocontrol poursuivrait donc le but d’intérêt général défini par la convention qui serait de maintenir et d’améliorer la sécurité de la circulation aérienne.

85      La Commission et l’intervenante font observer par ailleurs que l’activité en cause n’est pas rémunérée. Les contributions versées à Eurocontrol par ses États membres auraient pour but d’assurer le fonctionnement général de l’organisation et n’auraient aucun rapport avec leurs éventuelles demandes d’assistance. Établissant un parallèle avec la jurisprudence de la Cour relative à des régimes nationaux de sécurité sociale et de santé, la Commission se réfère, à titre d’exemple, à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 février 1993, Poucet et Pistre, (C‑159/91 et C‑160/91, Rec. p. I‑637, point 18), dans laquelle le fait qu’il n’y avait aucune relation entre les cotisations versées à la caisse de maladie par les assurés et les prestations versées par ladite caisse aurait conduit la Cour à affirmer que les activités exercées par cette dernière ne présentaient pas un caractère économique.

–       Appréciation du Tribunal

86      Tout d’abord, il y a lieu de constater que l’activité d’assistance aux administrations nationales est dissociable de la mission de gestion de l’espace aérien et de développement de la sécurité aérienne d’Eurocontrol. Si ladite activité d’assistance peut servir l’intérêt général en maintenant et en améliorant la sécurité de la navigation aérienne, cette relation n’est que très indirecte, puisque l’assistance offerte par Eurocontrol ne couvre que les spécifications techniques lors de la mise en œuvre de procédures d’appels d’offres pour des équipements ATM et ne se répercute donc sur la sécurité de la navigation aérienne que par le biais desdites procédures d’appel d’offres. Or, une telle relation indirecte ne saurait impliquer une nécessaire connexité entre les deux activités. À cet égard, le Tribunal rappelle qu’Eurocontrol n’offre son assistance dans ce domaine que sur demande des administrations nationales. Il ne s’agit donc nullement d’une activité qui serait essentielle ou même indispensable à la garantie de la sécurité de la navigation aérienne.

87      Ensuite, il y a lieu de rappeler que constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (voir la jurisprudence citée au point 50 ci-dessus). En ce qui concerne les activités d’assistance aux administrations nationales prenant la forme de conseils donnés lors de la rédaction de cahiers des charges d’appels d’offres ou lors de la procédure de sélection des entreprises participant à ces appels d’offres, force est de constater qu’il s’agit précisément d’une offre de services sur le marché des conseils, marché sur lequel pourraient tout aussi bien agir des entreprises privées spécialisées en la matière.

88      À cet égard, le Tribunal a jugé que le fait qu’une activité peut être exercée par une entreprise privée constitue un indice supplémentaire permettant de qualifier l’activité en cause d’activité d’entreprise (arrêt Aéroports de Paris/Commission, précité, point 124, confirmé par arrêt de la Cour du 24 octobre 2002, Aéroports de Paris/Commission, C‑82/01 P, Rec. p. I‑9297, point 82).

89      En outre, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé, à plusieurs reprises, que la circonstance que des activités soient normalement confiées à des offices publics ne saurait affecter la nature économique de ces activités, dès lors qu’elles n’ont pas toujours été et ne sont pas nécessairement exercées par des entités publiques (voir, en ce sens, arrêts Höfner et Elser, précité, point 22, et Job Centre, précité, point 22). Dans les circonstances sous examen, cela signifie que le fait que les services en cause ne sont pas actuellement offerts par des entreprises privées n’empêche pas qu’ils soient qualifiés d’activité économique, dès lors qu’il paraît possible qu’ils soient effectués par des entités privées.

90      La Commission faisant valoir que les activités d’assistance d’Eurocontrol aux administrations nationales ne sont pas rémunérées en tant que telles, il y a lieu de constater que ce fait peut constituer un indice, mais n’est pas en soi décisif, comme le démontre par exemple l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Höfner et Elser, précité, dans laquelle les services de placement de l’Office fédéral pour l’emploi allemand étaient fournis gratuitement aux employeurs et aux travailleurs, qui à leur tour finançaient les dépenses globales de cet office par des contributions forfaitaires, indépendantes du fait qu’ils avaient ou non effectivement recours à ses services de placement. Le fait qu’Eurocontrol soit financée, en tant qu’institution, par les contributions de ses États membres et qu’elle fournisse à titre gratuit ses services d’assistance aux administrations nationales qui en font la demande révèle des structures financières de même nature que celles dont il était question dans cette affaire.

91      De même, le fait que l’activité d’assistance soit poursuivie dans un but d’intérêt général peut constituer un indice de l’existence d’une activité d’ordre non économique, mais n’empêche pas qu’une activité consistant, comme c’est le cas en l’espèce, à offrir des services sur un marché donné soit considérée comme une activité économique. Ainsi, des organismes gérant des systèmes légaux de sécurité sociale, poursuivant un but non lucratif, exerçant une activité à caractère social et étant soumis à une réglementation étatique comportant notamment des exigences de solidarité ont été considérés comme des entreprises exerçant une activité économique (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Fédération française des sociétés d’assurance e.a., précité, point 22, et du 21 septembre 1999, Albany, C‑67/96, Rec. p. I‑5751, points 84 à 87).

92      Il découle de ce qui précède que l’activité d’assistance aux administrations nationales d’Eurocontrol est une activité économique et que, par conséquent, Eurocontrol, dans l’exercice de ladite activité, est une entreprise au sens de l’article 82 CE.

93      Il y a donc lieu, dans cette mesure, d’accueillir le premier moyen de la requérante, et de le rejeter pour le reste.

94      Cependant, comme il a été relevé aux points 47 à 49 ci-dessus, ce constat ne peut entraîner l’annulation de la décision attaquée que dans la mesure où il y a lieu d’accueillir également le deuxième moyen, puisque la décision attaquée repose également sur le constat de la Commission que, même à considérer les activités d’Eurocontrol comme des activités économiques, celles-ci ne seraient pas contraires à l’article 82 CE.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation quant à l’existence d’une violation de l’article 82 CE par Eurocontrol

95      Eu égard aux considérations précédentes, il n’y a lieu d’examiner le deuxième moyen que dans la mesure où le premier moyen a été accueilli, c’est-à-dire par rapport à l’activité d’Eurocontrol d’assistance aux administrations nationales.

 Arguments des parties

96      La requérante fait valoir, à cet égard, que la décision attaquée est affectée d’une erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où la Commission n’a pas examiné au fond le caractère abusif des comportements dénoncés dans le domaine de l’activité d’assistance aux administrations nationales. En particulier, la requérante dénonce des comportements abusifs d’Eurocontrol tenant à l’inobservation des principes d’égalité de traitement, de transparence et de non-discrimination lors des appels d’offres lancés par les organismes nationaux pour l’acquisition d’équipements ATM, alors qu’Eurocontrol devrait appliquer les dispositions en matière de procédures de passation de marchés prévues par les dispositions communautaires ou, à tout le moins, les principes généraux d’égalité de traitement et de transparence.

97      Il y aurait confusion entre le rôle que joue Eurocontrol lorsqu’elle propose des projets et sélectionne des entreprises réalisant des prototypes, d’une part, et son rôle en tant que consultant des administrations nationales, d’autre part. Cette confusion et les problèmes qui en découleraient auraient été relevés par la Commission elle‑même dans un rapport sur l’application de la directive 93/65.

98      Par le jeu des services d’assistance offerts par Eurocontrol aux administrations nationales lors du lancement de procédures d’appels d’offres, des normes optionnelles deviendraient en réalité des éléments contraignants pour les administrations adjudicatrices. Cela aurait notamment été le cas dans deux procédures d’appels d’offres en Espagne et aux Pays-bas. La requérante estime que l’entreprise qui a participé à la procédure et qui a emporté l’adjudication du contrat pour la réalisation d’un prototype d’équipement ATM standardisé est ainsi irrégulièrement avantagée à deux reprises : une première fois, lors de la sélection arbitraire qui l’a amenée à être adjudicataire pour la réalisation du prototype et, une seconde fois, parce qu’elle peut ensuite être sélectionnée dans le cadre de procédures d’appels d’offres nationales.

99      La requérante se prévaut, en outre, de la lettre du 3 novembre 1998 (voir point 12 ci-dessus). Selon elle, cette lettre prouve que la Commission était elle-même persuadée qu’Euroncontrol avait commis un abus de position dominante, puisque les moyens d’annulation formulés dans la requête sont confirmés en tous points par les doutes et les réflexions qui y sont exprimés. La Commission aurait ainsi ouvertement admis le caractère critiquable du rôle joué par Eurocontrol ainsi que les distorsions de la concurrence soulevées par la requérante. La lettre du 3 novembre 1998 démontrerait, notamment, de manière évidente que les services de la Commission ont considéré que les activités d’Eurocontrol concernées par la plainte étaient des activités économiques, qu’elles étaient, de ce fait, soumises aux règles communautaires en matière de concurrence et que les distorsions de la concurrence résultant du comportement d’Eurocontrol étaient avérées et graves.

100    La Commission souligne que, au point 34 de la décision attaquée et contrairement à ce qu’affirme la requérante, elle a bien examiné quant au fond, à titre subsidiaire, les comportements dénoncés par celle-ci en rapport avec l’activité d’assistance d’Eurocontrol auprès des administrations nationales. Toutefois, elle aurait conclu de cet examen que ladite activité ne violait pas les règles de concurrence.

101    Quant à la lettre du 3 novembre 1998, la Commission considère que les conclusions qu’en tire la requérante sont le fruit d’une lecture erronée du contenu de cette lettre.

 Appréciation du Tribunal

102    Il convient de relever que les griefs soulevés par la requérante au titre du présent moyen concernent en fait deux cas de figure différents. Le premier cas de figure est celui de l’adjudication de marchés par Eurocontrol elle-même pour ses propres besoins de fournitures liés aux activités qui ont été considérées précédemment comme ne présentant pas un caractère économique. Ce cas de figure ne concernant pas l’assistance fournie par Eurocontrol aux administrations nationales, il convient de l’écarter dans le cadre de l’examen du deuxième moyen, limité à l’activité d’assistance.

103    Le second cas de figure concerne l’adjudication de marchés par les administrations nationales, à laquelle Eurocontrol contribue en tant que conseiller lors de la rédaction des cahiers des charges d’appels d’offres ou lors de la procédure de sélection.

104    Concernant ce cas, en premier lieu, il convient de relever, comme la Commission le fait à juste titre, que seules les administrations nationales détiennent le pouvoir adjudicateur et sont donc habilitées à prendre des décisions et, partant, qu’elles sont responsables du respect des dispositions pertinentes concernant les procédures de passation de marchés. L’intervention d’Eurocontrol, en tant que conseil, n’est ni obligatoire ni même systématique. Elle ne se fait, conformément à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la convention, qu’à la demande expresse des administrations concernées. La requérante a insisté sur le fait qu’Eurocontrol, lorsqu’une administration fait appel à ses services de conseil, a en principe la possibilité d’influencer les choix qui sont faits par cette administration dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres. Cependant, elle est restée en défaut de démontrer, dans un cas concret, qu’Eurocontrol avait réellement influencé la décision d’adjuger un marché à un soumissionnaire, et ce par des considérations autres que celles relevant de la recherche de la meilleure solution technique au prix le plus avantageux.

105    En second lieu, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 82, premier alinéa, CE, la constatation d’un abus de position dominante d’une entreprise suppose, d’une part, la présence d’une position dominante de cette entreprise sur un certain marché et, d’autre part, une exploitation abusive de cette position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui‑ci.

106    La requérante ne s’est pas prononcée, ni dans ses écrits devant le Tribunal ni à l’audience, sur les questions de la définition du marché pertinent et de la dominance d’Eurocontrol sur ce marché, qui pourrait éventuellement être celui des conseils en matière de procédures de passation de marchés de fourniture d’équipements ATM ou bien celui des conseils techniques en général.

107    S’agissant de la notion d’exploitation abusive, le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, elle est une notion objective visant les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C‑62/86, Rec. p. I‑3359, point 69, et arrêt du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T‑228/97, Rec. p. II‑2969, point 111).

108    En l’espèce, force est de constater que la requérante n’a pas fait état d’un comportement d’Eurocontrol, dans le cadre de son activité de conseil aux administrations nationales, qui répondrait à ces critères. Elle n’a pas indiqué notamment à quels moyens « différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques » Eurocontrol aurait eu recours. En effet, Eurocontrol n’exerçant aucune activité sur le marché des fournitures d’équipements ATM et n’y détenant aucun intérêt de nature financière ou économique, il semble même qu’aucun rapport de concurrence ne puisse exister entre elle et la requérante ou toute autre entreprise active dans le secteur. En particulier, il n’apparaît pas qu’Eurocontrol ait pu tirer un quelconque avantage concurrentiel du fait d’avoir pu influencer, par le biais de ses services de conseil offerts aux administrations nationales, le choix par ses dernières de leurs fournisseurs d’équipements ATM en faveur de certaines entreprises.

109    La requérante est donc restée en défaut de démontrer une erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission quant à l’existence d’une violation de l’article 82 CE par Eurocontrol.

110    Ce constat n’est pas infirmé par la lettre du 3 novembre 1998.

111    En effet, les allégations de la requérante selon lesquelles cette lettre prouverait que la Commission était elle-même persuadée qu’Eurocontrol avait commis un abus de position dominante (voir point 99 ci-dessus) ne trouvent pas de fondement dans la lettre du 3 novembre 1998. Comme il a été constaté ci‑dessus (point 39), la Commission n’y constate nullement que les activités d’Eurocontrol sont des activités économiques et que, partant, les règles communautaires en matière de concurrence leur sont applicables. Au contraire, cette lettre précisait expressément que l’analyse qui y était jointe avait été faite « sans préjuger de l’application des règles communautaires […] en matière de concurrence », pour examiner les incidences que les activités d’Eurocontrol, bien que non économiques, pouvaient avoir sur le jeu de la concurrence entre les entreprises actives dans le secteur des équipements ATM.

112    Le fait que la Commission, tout en contestant l’applicabilité du droit de la concurrence au cas d’espèce, a néanmoins formulé dans cette lettre un certain nombre de remarques critiques par rapport à certaines activités d’Eurocontrol, loin de démontrer que la Commission était elle-même persuadée de l’illégalité du comportement d’Eurocontrol au regard des règles de concurrence, témoigne de la volonté de la Commission de sensibiliser Eurocontrol aux répercussions que ses activités, bien qu’échappant au champ d’application desdites règles, pouvaient néanmoins avoir sur le jeu de la concurrence entre les entreprises opérant dans le secteur concerné pour l’inciter à en minimiser, autant que possible, les effets indésirables. En revanche, cette lettre ne saurait servir de soutien aux prétentions de la requérante.

113    Il découle de ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des formes substantielles

114    Se référant à certaines décisions des juridictions communautaires portant sur l’obligation d’examen des plaintes et sur l’obligation de motivation des décisions, la requérante estime qu’en l’espèce la Commission a manqué à ces obligations. La décision attaquée ne serait pas correctement motivée et la Commission aurait « éventuellement » violé les droits de la défense au cours de la procédure précontentieuse.

 Sur le grief tiré d’un défaut de motivation

–       Arguments des parties

115    Concernant la qualification des activités d’Eurocontrol faisant l’objet de la plainte, la requérante soutient que la Commission n’a pas examiné de manière appropriée la question de savoir si lesdites activités revêtaient un caractère économique. Au lieu de se limiter à déclarer que l’activité de réglementation ne donne lieu à aucune rémunération, que l’élaboration de normes constitue une activité d’intérêt général ainsi qu’une activité privée non lucrative et que l’activité d’assistance revêt la forme d’un simple soutien technique qui n’est pas rémunéré et qui n’est offert qu’aux administrations nationales qui en font la demande, la Commission aurait dû analyser de manière complète la jurisprudence pertinente pour dégager la solution applicable au cas d’espèce. Évoquant la motivation de la décision attaquée concernant certains points, la requérante fait valoir que l’analyse de la Commission tient en quelques lignes, alors qu’elle a présenté un grand nombre d’éléments et d’arguments à l’appui de sa plainte. De même, le texte de la décision attaquée n’indiquerait pas la raison pour laquelle la Commission a estimé devoir exclure, en l’espèce, un comportement abusif d’Eurocontrol.

116    La Commission rappelle que, selon une jurisprudence constante, elle n’est pas obligée, dans la motivation des décisions qu’elle est amenée à prendre pour garantir l’application des règles de concurrence, de prendre position sur tous les arguments que les intéressés invoquent à l’appui de leur demande.

–       Appréciation du Tribunal

117    Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’autorité communautaire, auteur de l’acte incriminé, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et au juge communautaire d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du Tribunal du 21 mars 2002, Joynson/Commission, T‑231/99, Rec. p. II‑2085, points 164 et 165, et la jurisprudence citée).

118    En particulier, la Commission n’est pas obligée, dans la motivation d’une décision rejetant une plainte pour violation des règles de concurrence, de prendre position sur tous les arguments que les intéressés invoquent à l’appui de leur demande. Il suffit qu’elle expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir arrêts du Tribunal du 30 novembre 2000, Industrie des poudres sphériques/Commission, T‑5/97, Rec. p. II‑3755, point 199, et la jurisprudence citée, et FENIN/Commission, précité, point 58).

119    En l’espèce, il apparaît que la Commission a satisfait à son obligation de motivation. Comme elle le fait valoir à juste titre, elle a clairement indiqué, aux points 28 et 29 de la décision attaquée, la raison majeure de son rejet de la plainte, à savoir que les activités d’Eurocontrol mises en cause ne présentaient pas un caractère économique au sens de la jurisprudence de la Cour. Elle se réfère notamment à sa lettre du 15 juin 2000 (voir point 14 ci-dessus), dans laquelle elle avait déjà, en substance, exprimé – et motivé – la même opinion. Aux points 30 à 34 de la décision attaquée, la Commission a énoncé, pour chacune des activités mises en cause, les raisons spécifiques qui ont déterminé cette appréciation. Pour l’activité de développement et d’acquisition de prototypes et le régime des droits de propriété intellectuelle ainsi que pour l’activité d’assistance aux administrations nationales, elle a, de plus, subsidiairement expliqué la raison pour laquelle, même à vouloir considérer lesdites activités comme ayant un caractère économique, elle considérait qu’il n’y avait pas de violation du droit de la concurrence.

120    À cet égard, il y a lieu de rappeler que le défaut ou l’insuffisance de motivation constitue un moyen tiré de la violation des formes substantielles, distinct, en tant que tel, du moyen pris de l’inexactitude des motifs de ladite décision, dont le contrôle relève de l’examen du bien-fondé de la décision attaquée (arrêt du Tribunal du 7 novembre 1997, Cipeke/Commission, T‑84/96, Rec. p. II‑2081, point 47). Le fait que le Tribunal n’a pas suivi certaines des considérations énoncées par la Commission dans la décision attaquée n’empêche donc pas que l’obligation de motivation soit, en l’espèce, considérée comme remplie.

121    Il s’ensuit que le grief tiré d’un défaut de motivation doit être rejeté.

 Sur le grief tiré d’une violation éventuelle des droits de la défense

–       Arguments des parties

122    La requérante estime, au vu des informations actuellement disponibles et des documents annexés à la décision attaquée, ne pas avoir été informée de manière adéquate de l’activité déployée par la Commission au stade de l’instruction de la plainte. En particulier, la Commission aurait omis de mentionner les observations, lettres et analyses, sans doute nombreuses, sur la base desquelles elle a élaboré son propre jugement. Cela serait constitutif d’une violation du principe général de transparence des procédures administratives.

123    La Commission relève que ce grief se fonde sur la supposition qu’en adoptant la décision attaquée elle se serait nécessairement fondée sur un grand nombre de documents inconnus de la requérante. La Commission affirme qu’elle a indiqué de façon spécifique, dans sa lettre du 25 septembre 2003 (voir point 14 ci-dessus), les documents sur lesquels elle a fondé son appréciation, documents dont la requérante a eu pleine connaissance et sur lesquels elle a pu présenter ses observations. Tous les éléments essentiels dont la Commission aurait tenu compte en instruisant la plainte figureraient dans les documents en question. Elle considère donc qu’une violation des droits de la défense, invoquée de manière hypothétique par la requérante, n’a pas eu lieu.

–       Appréciation du Tribunal

124    Il y a lieu d’observer, tout d’abord, que les allégations de la requérante concernant l’existence présumée d’un grand nombre de documents qui lui sont inconnus ne sont nullement circonstanciées. En effet, si on ne peut pas demander à la requérante d’identifier les documents en question, puisqu’elle fait précisément valoir que la Commission ne les lui a pas communiqués, force est de constater qu’elle ne présente pas d’indices, à tout le moins, qui pourraient porter à croire que de tels documents existent et qu’ils ont été déterminants dans l’élaboration de la décision attaquée. Le seul document non mentionné dans la lettre de la Commission du 25 septembre 2003 spécifiquement identifié par la requérante, à savoir la lettre du 3 novembre 1998, a, par la suite, été produit par la Commission. Or, comme il a été constaté ci‑dessus, non seulement cette lettre n’a pas révélé de circonstances qui auraient pu substantiellement influencer l’issue de la présente affaire (voir points 36 à 39 ci-dessus), mais, de plus, la requérante avait connaissance tant de l’existence de cette lettre que, en substance, de son contenu.

125    La requérante affirme, dans la requête, être « évidemment parvenue » à la conclusion de ne pas avoir été informée adéquatement de l’activité déployée par la Commission au stade de l’instruction « à partir des documents annexés à la décision de la Commission ». Cependant, la décision attaquée ne fait pas état d’annexes. La requérante ne précise pas de quelles annexes il s’agirait ni quels éléments dans ces documents non spécifiés lui auraient permis de tirer ladite conclusion. L’allégation de la requérante selon laquelle la Commission se serait servie d’un grand nombre de documents qu’elle ne lui aurait pas communiqués reste, dès lors, non étayée.

126    En outre, la Commission affirme qu’il n’existe pas d’autres documents pertinents dans la présente affaire que ceux mentionnés en annexe de la lettre du 25 septembre 2003. Cette affirmation paraît corroborée par l’appréciation juridique de la Commission qui, se fondant sur l’arrêt SAT Fluggesellschaft, précité, a considéré que les activités d’Eurocontrol ici en cause n’étaient, dans leur intégralité, pas de nature économique et que, en tout état de cause, les comportements reprochés à Eurocontrol n’étaient pas constitutifs d’une violation des dispositions communautaires en matière de concurrence. En effet, cette appréciation pouvait être soutenue, dans la décision attaquée, par les seuls documents qu’elle a invoqués dans celle-ci à son appui et il n’était pas nécessaire, contrairement à ce que prétend la requérante, d’effectuer des analyses techniques ou des examens approfondis sur les effets que les agissements d’Eurocontrol pouvaient avoir sur la concurrence dans le secteur concerné.

127    Il s’ensuit que le grief tiré d’une violation des droits de la défense doit être rejeté.

128    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le troisième moyen.

129    Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter la demande en annulation de la requérante.

5.     Sur les demandes de mesures d’instruction

 Arguments des parties

130    Dans la requête ainsi que dans l’acte déposé le 27 avril 2005, la requérante a présenté des demandes de mesures d’instruction. La première demande vise à la production, par la Commission, de tout document élaboré par ses services concernant la présente affaire et de tout document qu’elle a reçu d’Eurocontrol au sujet de la plainte ainsi que la copie des analyses techniques qui, selon elle, auraient été effectuées par du personnel interne ou externe. La seconde demande vise, d’une part, à l’audition comme témoins des anciens directeurs généraux de la DG « Concurrence » et de la DG « Transports » de la Commission, ainsi que de l’ancien directeur général d’Eurocontrol, sur le contenu de la lettre du 3 novembre 1998 et sur l’analyse qui y est annexée et, d’autre part, à la production, par la Commission, des documents échangés entre elle et Eurocontrol postérieurement à la lettre du 3 novembre 1998.

131    La Commission s’oppose aux demandes de la requérante, en affirmant que l’audition des personnes visées par celles-ci n’est pas susceptible de révéler des éléments utiles à l’examen de la décision attaquée et qu’il n’existe pas d’autres documents pertinents que ceux énumérés dans la lettre du 25 septembre 2003.

 Appréciation du Tribunal

132    Il apparaît, au vu de l’ensemble des développements ci‑dessus, que le Tribunal a pu utilement se prononcer sur la base des conclusions, moyens et arguments développés au cours de la procédure tant écrite qu’orale et au vu des documents produits.

133    Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter les demandes de mesures d’instruction présentées par la requérante.

 Sur les dépens

134    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

135    Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du même règlement, le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante supportera ses propres dépens. En l’espèce, la partie intervenue au soutien de la Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      SELEX Sistemi Integrati SpA supportera ses propres dépens ainsi que les dépens de la Commission.

3)      L’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne supportera ses propres dépens.

Pirrung

Meij

Pelikánová

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 décembre 2006.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      J. Pirrung

Table des matières


* Langue de procédure : l’italien.