Language of document : ECLI:EU:T:2023:397

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

12 juillet 2023 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne verbale Terylene – Marque de l’Union européenne verbale antérieure TERRALENE – Motif relatif de refus – Risque de confusion – Article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 – Usage sérieux de la marque antérieure – Preuve de l’usage sérieux »

Dans l’affaire T‑325/22,

Nurel, SA, établie à Saragosse (Espagne), représentée par Mes C. Anadón Giménez et J. Learte Álvarez, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. T. Frydendahl, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

FKuR Property GmbH, établie à Willich (Allemagne), représentée par Me H. Timmann, avocat,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. A. Kornezov, président, G. De Baere et K. Kecsmár (rapporteur), juges,

greffier : Mme R. Ukelyte, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 15°mars 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Nurel, SA, demande l’annulation de la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 30 mars 2022 (affaire R 1544/2021-4) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 27 juin 2019, la requérante a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne pour le signe verbal Terylene.

3        La marque demandée désignait notamment les produits relevant de la classe 1 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondant à la description suivante : « Matières plastiques à l’état brut ».

4        La demande d’enregistrement a été publiée au Bulletin des marques de l’Union européenne no 2019/176, du 17 septembre 2019.

5        Le 3 décembre 2019, l’intervenante, FKuR Property GmbH, a formé opposition à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits visés au point 3 ci-dessus.

6        L’opposition était fondée sur la marque de l’Union européenne verbale antérieure TERRALENE, désignant notamment les produits « Matières plastiques à l’état brut », relevant de la classe 1.

7        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

8        À la suite de la demande formulée par la requérante, la division d’opposition de l’EUIPO a invité l’intervenante à apporter la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure invoquée à l’appui de l’opposition. L’intervenante a donné suite à cette demande le 1er octobre 2020.

9        Le 13 juillet 2021, la division d’opposition a fait droit à l’opposition sur le fondement de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001.

10      Le 9 septembre 2021, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’opposition.

11      Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours au motif qu’il existait un risque de confusion pour le public pertinent.

 Conclusions des parties 

12      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens y compris ceux relatifs à la procédure devant la chambre de recours.

13      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens en cas de convocation à une audience.

14      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

15      La requérante invoque, en substance, trois moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, le deuxième, de l’irrecevabilité des nouvelles preuves de l’usage de la marque antérieure, déposées devant la chambre de recours et, le troisième, de l’insuffisance des preuves de l’usage de la marque antérieure. Il convient d’examiner d’abord le deuxième moyen, ensuite le troisième moyen et enfin le premier moyen.

 Sur le deuxième moyen, relatif à l’irrecevabilité des nouvelles preuves de l’usage déposées devant la chambre de recours

16      La chambre de recours a constaté que l’intervenante avait déposé, devant elle, de nouveaux éléments de preuve de l’usage de la marque antérieure, dont 52 factures adressées à des clients en Allemagne, en Italie, au Luxembourg et en Suède. Ensuite, la chambre de recours a considéré que lesdits éléments de preuve remplissaient les conditions prévues à l’article 27, paragraphe 4, du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001 et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1), en ce qu’ils étaient pertinents et venaient compléter des éléments présentés devant la division d’annulation, et qu’ils étaient donc recevables.

17      La requérante soutient que les éléments de preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure, produits par l’intervenante pour la première fois devant la chambre de recours, sont irrecevables en application de l’article 27, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625. Ils ne constitueraient pas de simples compléments ou suppléments de preuve, mais de nouveaux éléments de preuve substantiels, leur volume étant supérieur à celui des éléments de preuve produits devant la division d’opposition. En outre, l’intervenante ne fournirait aucune raison pour justifier cette présentation tardive. La requérante ajoute que, en considérant comme recevables ces éléments de preuve supplémentaires, la chambre de recours a porté atteinte aux principes de bonne administration et de sécurité juridique.

18      L’EUIPO et l’intervenante contestent cette argumentation.

19      Selon l’article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, l’EUIPO peut ne pas tenir compte des preuves que les parties n’ont pas produites en temps utile.

20      Cependant, selon l’article 27, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625, la chambre de recours peut accepter des preuves produites pour la première fois devant elle uniquement si ces preuves satisfont à deux conditions : premièrement, elles « semblent, à première vue, pertinent[e]s pour l’issue de l’affaire », deuxièmement, elles « n’ont pas été présenté[e]s en temps utile pour des raisons valables, en particulier lorsque [elles] viennent uniquement compléter des faits et preuves pertinents qui avaient déjà été soumis en temps utile, ou sont déposé[e]s pour contester les conclusions tirées ou examinées d’office par la première instance dans la décision objet du recours ».

21      Cette disposition vise à concilier deux impératifs potentiellement contradictoires. D’une part, en effet, il est conforme au principe de bonne administration et à la nécessité d’assurer le bon déroulement et l’efficacité des procédures que les parties se trouvent incitées à respecter les délais qui leur sont impartis par l’EUIPO à l’effet d’instruire une affaire. La circonstance que ce dernier ne peut prendre en compte les faits et les preuves présentés par les parties en dehors des délais impartis que sous certaines conditions revêt un tel effet incitatif (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2007, OHMI/Kaul, C‑29/05 P, EU:C:2007:162, point 47).

22      D’autre part, en préservant néanmoins la possibilité pour l’instance appelée à trancher le litige de prendre en compte des faits et des preuves tardivement présentés par les parties, ladite interprétation est, tout au moins s’agissant d’une procédure d’opposition, de nature à contribuer à éviter que les marques dont l’usage pourrait être ensuite contesté avec succès au moyen d’une procédure en annulation ou à l’occasion d’une procédure en contrefaçon, fassent l’objet d’un enregistrement. Or, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, des raisons de sécurité juridique et de bonne administration militent en ce sens (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2007, OHMI/Kaul, C‑29/05 P, EU:C:2007:162, point 48).

23      En ce qui concerne la première condition énoncée au point 20 ci-dessus, la requérante admet que les preuves produites pour la première fois devant la chambre de recours sont pertinentes.

24      S’agissant de la seconde condition mentionnée au point 20 ci-dessus, il convient de rappeler qu’une preuve complémentaire est celle qui se caractérise par un lien avec d’autres preuves déjà présentées au préalable dans le délai imparti et qui vient s’ajouter à ces dernières preuves [voir, en ce sens, arrêts du 14 mai 2019, Guiral Broto/EUIPO – Gastro & Soul (Café del Sol et CAFE DEL SOL), T‑89/18 et T‑90/18, non publié, EU:T:2019:331, point 42, et du 9 septembre 2020, Kludi/EUIPO – Adlon Brand (ADLON), T‑144/19, non publié, EU:T:2020:404, point 56].

25      En l’espèce, d’abord, l’intervenante a, le 1er octobre 2020, déposé devant la division d’opposition de l’EUIPO les éléments de preuve suivants :

–        une déclaration sous serment du directeur général de l’intervenante datée du 30 septembre 2020 ;

–        cinq factures adressées à des clients de l’intervenante en Allemagne, en Italie, au Luxembourg et en Suède, entre 2016 et 2019, pour les ventes de 32,5 tonnes de matières plastiques à l’état brut pour une valeur d’environ 90 000 euros, sur lesquelles figure le signe TERRALENE® suivi de deux caractères et de quatre chiffres ;

–        cinq fiches de données de sécurité en anglais, contenant des informations sur les produits mentionnés sur les factures ;

–        cinq impressions du site Internet suivant de l’intervenante, « www.fkur.com/produkte/terralene.html », réalisées à l’aide de la WayBack Machine, présentant des entrées pour 2015, 2016, 2017 et 2019, contenant le signe TERRALENE.

26      Ensuite, l’intervenante a produit devant la chambre de recours 52 factures portant la marque TERRALENE, émises entre 2016 et 2019, adressées à des clients en Allemagne, en Italie, au Luxembourg et en Suède, pour le plastique à l’état brut et correspondant à un volume de 240,35 tonnes.

27      Ces éléments de preuve visaient à démontrer des faits qui avaient déjà été invoqués devant la division d’opposition dans le délai imparti. Plus précisément, les 52 factures, comme l’a remarqué à juste titre l’intervenante, servent principalement à compléter la déclaration sous serment de son directeur général, datée du 30 septembre 2020, déjà présentée en temps utile devant la division d’opposition, ainsi que les preuves déjà soumises, notamment les cinq factures, mentionnées au point 25 ci-dessus. En outre, la déclaration sous serment du directeur général de l’intervenante énumère déjà toutes les ventes qui font l’objet de ces 52 factures.

28      De surcroît, force est de constater que les 52 factures ont été déposées afin de contester l’argument de la requérante devant la chambre de recours selon lequel les cinq factures, présentées le 1er octobre 2020 devant la division d’opposition, montraient uniquement un usage symbolique de la marque antérieure.

29      En outre, contrairement à ce que soutient la requérante, le fait que le nombre des éléments de preuve présentés pour la première fois devant la chambre de recours est largement supérieur à celui des éléments de preuve présentés devant la division d’annulation n’est pas de nature à rendre ces éléments irrecevables.

30      En effet, rien à l’article 27, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625, dans une autre disposition de ce règlement ou dans le règlement 2017/1001 n’indique qu’il conviendrait de rejeter des éléments de preuve, présentés pour la première fois devant la chambre de recours, lorsque leur nombre ou leur volume dépasse un certain seuil. Ainsi, si ces éléments remplissent les conditions prévues par l’article 27, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625, la chambre de recours peut les accepter [voir, en ce sens, arrêt du 19 janvier 2022, Masterbuilders, Heiermann, Schmidtmann/EUIPO – Cirillo (POMODORO), T‑76/21, non publié, EU:T:2022:16, point 45].

31      Il s’ensuit que la seconde condition, énoncée à l’article 27, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625, doit être considérée comme remplie et que, dès lors, la chambre de recours a conclu à bon droit que les éléments de preuve présentés pour la première fois devant elle étaient recevables.

32      Enfin, s’agissant de l’argument concernant les principes de bonne administration et de sécurité juridique, il suffit de rappeler que l’article 27, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625 met en balance précisément ces principes généraux (voir la jurisprudence citée aux points 21 et 22 ci-dessus). Partant, la requérante n’avance aucun argument distinct de ceux déjà rejetés ci-dessus susceptible de démontrer que la chambre de recours a enfreint lesdits principes, lorsqu’elle a exercé la marge d’appréciation que l’article 27, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625 lui a octroyée.

33      Par conséquent, il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le troisième moyen, relatif à l’insuffisance des preuves de l’usage

34      La chambre de recours a conclu que l’usage sérieux de la marque antérieure avait été démontré pour les produits en cause.

35      En ce qui concerne le lieu de l’usage, la chambre de recours a constaté que les factures produites établissaient les ventes des produits en cause, sous la marque antérieure, dans l’Union européenne et essentiellement en Allemagne, en Italie, au Luxembourg et en Suède. En outre, les fiches de données de sécurité, déposées devant la division d’opposition, concernaient la conformité des produits en cause avec les règles de l’Union.

36      S’agissant de la durée de l’usage, la chambre de recours a observé que les éléments de preuve, à l’exception des deux fiches de données de sécurité, datant de 2012 et 2013, relevaient de la période pertinente, à savoir du 27 juin 2014 au 26 juin 2019.

37      Quant à l’importance de l’usage de la marque antérieure, la chambre de recours a considéré que les factures produites et la déclaration sous serment du directeur général de l’intervenante, datée du 30 septembre 2020, établissaient que les quantités des produits en cause, vendues sous la marque antérieure, étaient suffisantes pour réfuter un usage symbolique.

38      S’agissant de la nature de l’usage de la marque antérieure, la chambre de recours a relevé que son usage sous différentes formes comprenant toutes l’élément verbal « terralene », n’altérait pas son caractère distinctif. En outre, la chambre de recours a constaté que ladite marque était utilisée pour les produits en cause.

39      La requérante conteste que les éléments de preuve, produits par l’intervenante devant la division d’opposition, étaient suffisants pour prouver l’usage sérieux de la marque antérieure pour les produits en cause. Premièrement, la requérante fait valoir que la déclaration sous serment du directeur général de l’intervenante, datée du 30 septembre 2020, n’est pas vérifiable et qu’elle ne provient pas d’une source indépendante. Deuxièmement, d’après la requérante, les fiches de données de sécurité ne peuvent pas servir à confirmer l’importance de l’usage. Troisièmement, afin de prouver l’usage sérieux, les copies des pages Internet doivent être accompagnées, selon la requérante, d’autres documents, tels que le nombre de visites de clients ou de commandes. Quatrièmement, la requérante soutient que les factures montrent uniquement une utilisation occasionnelle, qui devient évidente en comparaison avec des données considérées comme suffisantes dans d’autres procédures devant l’EUIPO lors desquelles la preuve de l’usage concernant des plastiques non transformés a été examinée. De plus, les quantités de ventes résultant de ces factures représentent, selon la requérante, une part minuscule du marché du plastique.

40      L’EUIPO et l’intervenante contestent cette argumentation.

41      Aux fins de l’interprétation de la notion d’usage sérieux, il convient de prendre en compte le fait que la ratio legis de l’exigence selon laquelle la marque antérieure doit avoir fait l’objet d’un usage sérieux pour être opposable à une demande de marque de l’Union européenne consiste à limiter les conflits entre deux marques, à moins qu’il n’existe un juste motif économique à l’absence d’usage sérieux de la marque antérieure découlant d’une fonction effective de celle-ci sur le marché. En revanche, lesdites dispositions ne visent ni à évaluer la réussite commerciale ni à contrôler la stratégie économique d’une entreprise ni encore à réserver la protection des marques à leurs seules exploitations commerciales quantitativement importantes [arrêt du 8 juillet 2004, Sunrider/OHM – Espadafor Caba (VITAFRUIT), T‑203/02, EU:T:2004:225, point 38].

42      Une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et ces services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (voir, par analogie, arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 43).

43      L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque (arrêt du 8 juillet 2004, VITAFRUIT, T‑203/02, EU:T:2004:225, point 40 ; voir également, par analogie, arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 43).

44      Le chiffre d’affaires réalisé ainsi que la quantité de ventes de produits sous la marque antérieure ne sauraient être appréciés dans l’absolu, mais doivent l’être conjointement avec d’autres facteurs pertinents, tels que le volume de l’activité commerciale, les capacités de production ou de commercialisation ou le degré de diversification de l’entreprise exploitant la marque ainsi que les caractéristiques des produits ou des services sur le marché concerné. De ce fait, il n’est pas nécessaire que l’usage de la marque antérieure soit toujours quantitativement important pour être qualifié de sérieux [arrêts du 8 juillet 2004, MFE Marienfelde/OHMI – Vétoquinol (HIPOVITON), T‑334/01, EU:T:2004:223, point 36, et du 8 juillet 2004, VITAFRUIT, T‑203/02, EU:T:2004:225, point 42].

45      Ainsi, si la valeur probante d’un élément de preuve est limitée, dans la mesure où, pris isolément, il ne démontre pas avec certitude si et comment les produits concernés ont été mis sur le marché, et si cet élément n’est dès lors pas décisif à lui seul, il peut néanmoins être pris en compte dans l’appréciation globale du caractère sérieux de l’usage de la marque en cause. Il en va ainsi, par exemple, lorsque cet élément vient s’ajouter à d’autres éléments de preuve [arrêt du 6 mars 2014, Anapurna/OHMI – Annapurna (ANNAPURNA), T‑71/13, non publié, EU:T:2014:105, point 45].

46      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier les arguments de la requérante contestant la suffisance des éléments de preuve produits par l’intervenante pour établir l’usage sérieux de la marque antérieure pour les produits en cause.

47      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la requérante formule ses arguments uniquement par rapport aux preuves produites par l’intervenante devant la division d’opposition. À cet égard, il convient de constater que les arguments de la requérante sont inopérants, dans la mesure où ils ne prennent pas en compte les 52 factures, produites devant la chambre de recours, sur lesquelles elle s’appuie également.

48      Cela étant précisé, en premier lieu, il importe de souligner, s’agissant de la déclaration sous serment du directeur général de l’intervenante, comme l’a relevé à bon droit la chambre de recours, que la valeur probante de cet élément de preuve était étayée par les autres pièces qui ont été déposées par l’intervenante le 1er octobre 2020 et mentionnées au point 25 ci-dessus. Par conséquent, les arguments de la requérante qui reposent sur la jurisprudence constatant qu’une telle déclaration ne pouvait pas constituer, à elle seule, une preuve suffisante de l’usage sérieux [arrêt du 9 décembre 2014, Inter-Union Technohandel/OHMI – Gumersport Mediterranea de Distribuciones (PROFLEX), T‑278/12, EU:T:2014:1045, point 54] ne sauraient prospérer.

49      En deuxième lieu, concernant les fiches de données de sécurité, ainsi que les copies des pages Internet, il suffit de constater que la chambre de recours s’est appuyée principalement sur les factures produites par l’intervenante et que ces autres éléments de preuve n’étaient mentionnés par ladite chambre qu’à titre additionnel. En tout état de cause, ces fiches, ainsi que les activités promotionnelles en ligne faisant référence à la marque antérieure, constituent des preuves pertinentes susceptibles de démontrer la nature et l’importance de l’usage de celle-ci dans le cadre d’une appréciation globale de l’ensemble des preuves présentées. Si, certes, certaines de ces fiches sont antérieures à la période pertinente, d’autres ne le sont pas. Elles montrent la conformité des produits couverts par la marque antérieure avec les règles de l’Union et sont donc de nature à démontrer, dans le cadre de l’appréciation globale, que ladite marque a fait l’objet d’un usage continu et réel. Cette constatation est renforcée par le fait que des références dans les fiches de données coïncident avec celles mentionnées sur les factures produites par l’intervenante.

50      En troisième lieu, s’agissant des factures, il convient de rappeler que les arguments de la requérante ne concernent que les cinq factures produites par l’intervenante devant la division d’opposition, dans la mesure où la requérante part de la prémisse que les factures produites devant la chambre de recours sont irrecevables. En l’espèce, toutes les factures soumises par l’intervenante font, contrairement à ce que soutient la requérante, état d’un volume de ventes non symbolique et d’un usage sérieux de la marque antérieure. Il convient de relever que, ainsi que cela apparaît aux points 17 et 75 de la décision attaquée, le titulaire de la marque antérieure a suffisamment établi qu’il avait vendu plus de 500 tonnes de matières plastiques à l’état brut au cours de la période comprise entre 2016 et 2019. Plus précisément, selon la déclaration sous serment du directeur général de l’intervenante, datée du 30 septembre 2020, entre 2016 et 2019, ces ventes avaient été réalisées en Belgique, en République tchèque, au Danemark, en Allemagne, en Grèce, en Espagne, en France, en Italie, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Autriche, en Pologne, au Portugal, en Slovénie, en Finlande et en Suède. La valeur des ventes pour la période allant de janvier 2016 à juin 2019 s’élevait à environ 1,4 million d’euros, d’après ladite déclaration. Il convient d’ajouter que la requérante n’a présenté aucun élément mettant en cause la véracité ou le caractère probant de ces données.

51      Enfin, la requérante conteste l’importance des ventes effectuées sous la marque antérieure, en les plaçant dans le contexte, d’un côté, d’autres procédures devant l’EUIPO dans lesquelles la preuve de l’usage des produits plastiques a été examinée et, de l’autre côté, des données concernant le volume de production de matières plastiques dans l’Union, d’après l’organisation Plastics Europe.

52      Quant à la pertinence des valeurs des ventes considérées comme suffisantes pour établir l’usage sérieux par l’EUIPO dans d’autres affaires concernant des produits plastiques, il suffit de rappeler que les décisions que les chambres de recours de l’EUIPO sont amenées à prendre, en vertu du règlement 2017/1001, concernant l’enregistrement d’un signe en tant que marque de l’Union européenne, relèvent de l’exercice d’une compétence liée et non d’un pouvoir discrétionnaire. Dès lors, la légalité desdites décisions doit être appréciée uniquement sur le fondement de ce règlement, tel qu’interprété par le juge de l’Union, et non sur celui d’une pratique décisionnelle antérieure à celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2007, Alcon/OHMI, C‑412/05 P, EU:C:2007:252, point 65).

53      Quant aux données concernant le volume de production de matières plastiques dans l’Union, citées par la requérante aux fins de démontrer le caractère insuffisant des ventes effectuées sous la marque antérieure, il y a lieu de relever que les données présentées par la requérante manquent de clarté et de précision. En effet, il n’apparaît pas clairement si elles concernent les produits en cause, à savoir des matières plastiques à l’état brut, ou bien aussi, comme l’a relevé l’intervenante, les produits finis et les produits intermédiaires. L’argument de la requérante fondé sur ces données n’est donc pas de nature à remettre en cause la conclusion de la chambre de recours.

54      Partant, en prenant compte l’ensemble des éléments de preuve présentés, la chambre de recours a considéré, à bon droit, que l’usage sérieux de la marque antérieure avait été prouvé à suffisance de droit pour les produits en cause, à savoir les matières plastiques à l’état brut.

55      Par conséquent, il résulte de ce qui précède que le troisième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001

56      S’agissant du public pertinent, la chambre de recours a considéré qu’il était composé de consommateurs professionnels dont le niveau d’attention variait de moyen à élevé et que le territoire pertinent était celui de l’Union dans son ensemble. Ensuite, la chambre de recours a noté qu’il était constant entre les parties que les produits en cause étaient identiques.

57      Ces appréciations ne sont pas contestées par la requérante.

58      S’agissant de la similitude des signes en conflit, la chambre de recours a considéré qu’ils étaient moyennement similaires sur les plans visuel et phonétique et neutres ou non similaires sur le plan conceptuel.

59      Compte tenu de l’ensemble de ces éléments et du caractère distinctif normal de la marque antérieure, la chambre de recours a conclu à l’existence d’un risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001.

60      La requérante conteste cette conclusion et soutient que le préfixe « terra » de la marque antérieure pourrait être immédiatement compris par une partie du public pertinent comme signifiant « terre » ou « sol » et pourrait ainsi suggérer que les produits couverts par la marque antérieure sont respectueux de l’environnement. Selon la requérante, une telle signification est absente de la marque contestée et, par conséquent, les signes en conflit sont parfaitement différenciables. Elle ajoute que leurs terminaisons « ene », bien que similaires, n’ont pas de pertinence dans la comparaison des signes, du fait qu’elles sont habituellement utilisées pour des marques désignant des produits chimiques, notamment plastiques.

61      En outre, la requérante fait valoir que les différences dans les propriétés mécaniques et thermiques des produits couverts par la marque contestée, par rapport aux produits couverts par la marque antérieure, rendent peu envisageable la confusion entre les produits couverts par la marque TERRALENE avec ceux couverts par la marque Terylene, surtout compte tenu du fait que leurs clients appartiennent à la catégorie des professionnels.

62      L’EUIPO fait valoir que les arguments de la requérante sont inopérants et, en tout état de cause, à l’instar de l’intervenante, non fondés.

63      Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, sur opposition du titulaire d’une marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement lorsque, en raison de son identité ou de sa similitude avec une marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire sur lequel la marque antérieure est protégée. Le risque de confusion comprend le risque d’association avec la marque antérieure.

64      Constitue un risque de confusion le risque que le public puisse croire que les produits ou les services en cause proviennent de la même entreprise ou d’entreprises liées économiquement. Le risque de confusion doit être apprécié globalement, selon la perception que le public pertinent a des signes et des produits ou des services en cause, et en tenant compte de tous les facteurs pertinents en l’espèce, notamment de l’interdépendance de la similitude des signes et de celle des produits ou des services désignés [voir arrêt du 9 juillet 2003, Laboratorios RTB/OHMI – Giorgio Beverly Hills (GIORGIO BEVERLY HILLS), T‑162/01, EU:T:2003:199, points 30 à 33 et jurisprudence citée].

65      L’appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle des signes en conflit, être fondée sur l’impression d’ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants. La perception des marques qu’a le consommateur moyen des produits ou des services en cause joue un rôle déterminant dans l’appréciation globale dudit risque. À cet égard, le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails (voir arrêt du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C‑334/05 P, EU:C:2007:333, point 35 et jurisprudence citée).

66      L’appréciation globale du risque de confusion implique une certaine interdépendance des facteurs pris en compte et, notamment, de la similitude des marques et de celle des produits ou des services désignés. Ainsi, un faible degré de similitude entre les produits ou les services désignés peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les marques, et inversement [arrêts du 29 septembre 1998, Canon, C‑39/97, EU:C:1998:442, point 17, et du 14 décembre 2006, Mast-Jägermeister/OHMI – Licorera Zacapaneca (VENADO avec cadre e.a.), T‑81/03, T‑82/03 et T‑103/03, EU:T:2006:397, point 74].

67      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier les arguments de la requérante selon lesquels l’analyse du risque de confusion par la chambre de recours est erronée.

68      À titre liminaire, il convient de constater que la requérante n’avance pas d’arguments pour contester l’appréciation par la chambre de recours du public pertinent ou le fait que les produits en cause sont identiques. Elle ne critique pas non plus l’analyse de ladite chambre concernant la comparaison des signes en conflit sur les plans visuel, phonétique et conceptuel. Cependant, la requérante remet en cause la conclusion de la chambre de recours quant au caractère distinctif normal de la marque antérieure ainsi que l’appréciation globale du risque de confusion.

69      Premièrement, concernant l’argument de la requérante selon lequel le préfixe « terra » de la marque antérieure pouvait être perçu comme ayant une signification, la chambre de recours a estimé, à bon droit, que ledit préfixe ne véhiculait aucune signification pour les produits en cause et que ladite marque possédait donc un caractère distinctif moyen. Au demeurant, la requérante n’a pas démontré que la marque antérieure dans son ensemble avait une signification spécifique pour le public pertinent.

70      En outre et à l’instar de l’EUIPO, la différence conceptuelle, qui concerne uniquement une partie de la marque antérieure, ne saurait neutraliser les similitudes entre les signes en cause et ne saurait non plus remettre en cause l’appréciation globale du risque de confusion.

71      À cet égard, comme le fait valoir à juste titre l’EUIPO, la chambre de recours a admis que pour une partie du public pertinent le préfixe « terra » de la marque antérieure pouvait être perçu comme ayant une signification. Pourtant, il n’en demeure pas moins qu’une autre partie du public pertinent ne le comprendra pas, ce que la requérante ne conteste pas. Dès lors, les arguments de la requérante ne sauraient remettre en cause l’existence d’un risque de confusion pour cette partie du public qui ne comprendra pas le préfixe « terra », étant donné que, en application d’une jurisprudence constante, pour refuser l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, il suffit qu’un motif relatif de refus au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 existe dans une partie de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2006, VENADO avec cadre e.a., T‑81/03, T‑82/03 et T‑103/03, EU:T:2006:397, point 76 et jurisprudence citée).

72      Deuxièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel le fait que les terminaisons « ene » des marques en conflit sont identiques n’est pas pertinent, puisqu’elles sont courantes dans le secteur concerné, il suffit de relever que, conformément à la jurisprudence citée au point 65 ci-dessus, l’appréciation globale du risque de confusion doit porter sur les signes dans leur ensemble.

73      Troisièmement, il convient de rejeter l’argument de la requérante qui conteste l’appréciation globale du risque de confusion effectuée par la chambre de recours, en invoquant à la fois le fait que les clients des marques en conflit sont des professionnels et que les produits en cause diffèrent dans leurs propriétés mécaniques et thermiques.

74      À cet égard, selon une jurisprudence constante, dans l’hypothèse où le niveau d’attention du public pertinent varie de moyen à élevé, comme en l’espèce, le public ayant le niveau d’attention le moins élevé doit être pris en considération [voir arrêt du 20 mai 2014, Argo Group International Holdings/OHMI – Arisa Assurances (ARIS), T‑247/12, EU:T:2014:258, points 27 et 28 et jurisprudence citée]. Les arguments de la requérante concernant le public professionnel sont ainsi inopérants. En outre, il convient de constater que les produits couverts par les marques en conflit sont identiques, sans aucune précision de leur qualités mécaniques et thermiques.

75      Par conséquent, il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le premier moyen, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, comme étant non fondé et, partant, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

76      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

77      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Nurel, SA est condamnée aux dépens.

Kornezov

De Baere

Kecsmár

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 juillet 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.