Language of document : ECLI:EU:T:2014:885

Affaires jointes T‑208/11 et T‑508/11

Liberation Tigers of Tamil Eelam (LTTE)

contre

Conseil de l’Union européenne

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme – Gel des fonds – Applicabilité du règlement (CE) nº 2580/2001 aux situations de conflit armé – Possibilité pour une autorité d’un État tiers d’être qualifiée d’autorité compétente au sens de la position commune 2001/931/PESC – Base factuelle des décisions de gel des fonds – Référence à des actes de terrorisme – Nécessité d’une décision d’autorité compétente au sens de la position commune 2001/931 »

Sommaire – Arrêt du Tribunal (sixième chambre élargie) du 16 octobre 2014

1.      Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme – Gel des fonds – Règlement nº 2580/2001 – Champ d’application – Conflit armé au sens du droit humanitaire international – Inclusion

(Position commune du Conseil 2001/931 ; règlement du Conseil nº 2580/2001)

2.      Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme – Décision de gel des fonds – Adoption ou maintien sur la base d’une décision nationale d’ouverture d’enquêtes ou de poursuites – Autorité compétente pour adopter ladite décision nationale – Notion – Autorité administrative – Inclusion – Conditions

(Position commune du Conseil 2001/931, art. 1er, § 4)

3.      Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme – Décision de gel des fonds – Adoption ou maintien sur la base d’une décision nationale d’ouverture d’enquêtes ou de poursuites – Absence d’obligation d’une décision nationale s’inscrivant dans le cadre d’une procédure pénale stricto sensu – Conditions

(Position commune du Conseil 2001/931, art. 1er, § 4)

4.      Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme – Décision de gel des fonds – Adoption ou maintien sur la base d’une décision nationale d’ouverture d’enquêtes ou de poursuites – Obligation de coopération loyale – Inapplicabilité dans les relations entre l’Union et les États tiers – Absence d’impact sur la qualification des autorités d’un État tiers en tant qu’autorités compétentes

(Art. 4, § 3, TFUE ; position commune du Conseil 2001/931, art. 1er, § 4 ; règlement du Conseil nº 2580/2001, art. 2, § 3)

5.      Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme – Décision de gel des fonds – Adoption ou maintien sur la base d’une décision nationale d’ouverture d’enquêtes ou de poursuites – Autorité compétente pour adopter ladite décision nationale – Autorité d’un État tiers – Admissibilité – Conditions – Vérification par le Conseil de l’existence d’une réglementation répondant aux conditions imposées aux autorités compétentes au sens de la position commune du Conseil 2001/931

(Position commune du Conseil 2001/931, art. 1er, § 4)

6.      Actes des institutions – Motivation – Obligation – Portée – Décision de gel des fonds prise à l’encontre de certaines personnes et entités soupçonnées d’activités terroristes – Décision visant une personne ou entité ayant commis par le passé des actes de terrorisme – Exigences minimales – Base factuelle de la décision devant reposer sur des éléments concrètement examinés et retenus dans des décisions d’autorités nationales compétentes

(Position commune du Conseil 2001/931)

7.      Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme – Décision de gel des fonds – Adoption ou maintien sur la base d’une décision nationale d’ouverture d’enquêtes ou de poursuites – Réexamen aux fins de justifier le maintien sur la liste de gel des fonds – Obligation de motivation incombant au Conseil – Portée

(Position commune du Conseil 2001/931, art. 1er, § 4 ; règlement du Conseil nº 2580/2001)

8.      Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme – Décision de gel des fonds – Adoption ou maintien sur la base d’une décision nationale d’ouverture d’enquêtes ou de poursuites – Réexamen aux fins de justifier le maintien sur la liste de gel des fonds – Coopération entre le Conseil et les autorités compétentes – Portée

(Position commune du Conseil 2001/931, art. 1er, § 4 ; règlement du Conseil nº 2580/2001)

9.      Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme – Décision de gel des fonds – Personnes ou entités ayant commis par le passé des actes de terrorisme – Inclusion – Conditions

(Position commune du Conseil 2001/931 ; règlement du Conseil nº 2580/2001)

10.    Recours en annulation – Arrêt d’annulation – Effets – Limitation par la Cour – Mesures restrictives prises à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme – Prise d’effet de la décision d’annulation du règlement à compter de l’expiration du délai de pourvoi ou du rejet de celui-ci – Application de ce délai à la prise d’effet de l’annulation de la décision

(Art. 264, al. 2, TFUE ; statut de la Cour de justice, art. 56, al. 1, et 60, al. 2 ; règlement d’exécution nº 790/2014)

1.      L’applicabilité du droit humanitaire international à une situation de conflit armé et aux faits commis dans ce cadre n’implique pas l’inapplicabilité à ces faits d’une réglementation sur le terrorisme.

En premier lieu, l’existence d’un conflit armé au sens du droit humanitaire international n’exclut pas l’application des dispositions du droit de l’Union relatives au terrorisme aux éventuels actes de terrorisme commis dans ce cadre. En effet, d’une part, la position commune 2001/931, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, n’opère aucune distinction en ce qui concerne son champ d’application selon que l’acte en cause est ou non commis dans le cadre d’un conflit armé au sens du droit humanitaire international. D’autre part, les objectifs de l’Union et de ses États membres sont de lutter contre le terrorisme quelles que soient les formes qu’il puisse prendre, conformément aux objectifs du droit international en vigueur.

En second lieu, la perpétration d’actes de terrorisme par les parties prenantes à un conflit armé est expressément envisagée et condamnée comme telle par le droit humanitaire international. En outre, l’existence d’un conflit armé au sens du droit humanitaire international n’apparaît pas exclure, en cas d’acte de terrorisme commis dans le cadre de ce conflit, l’application, au-delà des dispositions dudit droit humanitaire sur les infractions au droit de la guerre, des dispositions du droit international spécifiquement relatives au terrorisme.

(cf. points 56-58, 62, 63)

2.      Même si l’article 1er, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la position commune 2001/931, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, comporte une préférence pour les décisions émanant des autorités judiciaires, il n’exclut nullement la prise en compte de décisions émanant d’autorités administratives, lorsque, d’une part, ces autorités sont effectivement investies, en droit national, de la compétence pour adopter des décisions restrictives à l’encontre de groupements impliqués dans le terrorisme et, d’autre part, lorsque ces autorités, bien que seulement administratives, peuvent néanmoins être considérées comme « équivalentes » aux autorités judiciaires.

(cf. point 107)

3.      La position commune 2001/931, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, ne requiert pas que la décision de l’autorité compétente s’inscrive dans le cadre d’une procédure pénale stricto sensu, même si tel sera le plus souvent le cas. Pour autant, eu égard aux objectifs poursuivis par la position commune 2001/931, dans le cadre de la mise en œuvre de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité des Nations unies, la procédure nationale en question doit néanmoins avoir pour objet la lutte contre le terrorisme au sens large.

En outre, pour pouvoir être valablement invoquée par le Conseil, une décision d’« ouverture d’enquêtes ou de poursuites » au sens de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931 doit s’inscrire dans le cadre d’une procédure nationale visant directement et à titre principal à l’imposition d’une mesure de type préventif ou répressif à l’encontre de l’intéressé, au titre de la lutte contre le terrorisme et du fait de son implication dans celui-ci.

(cf. points 113, 114)

4.      Voir le texte de la décision.

(cf. points 132-136)

5.      Il ne saurait être exclu qu’une autorité d’un État tiers puisse être considérée comme une autorité compétente au sens de la position commune 2001/931, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme. Il incombe néanmoins au Conseil, avant de se fonder sur une décision d’une autorité d’un État tiers, de vérifier avec soin que la réglementation pertinente de cet État assure une protection des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective équivalente à celle garantie au niveau de l’Union. En outre, il ne saurait exister d’éléments montrant que l’État tiers méconnaîtrait en pratique cette réglementation. Si tel était le cas, l’existence d’une réglementation répondant formellement aux conditions susvisées ne permettrait cependant pas de conclure à celle d’une autorité compétente au sens de la position commune 2001/931.

Sans une équivalence entre le niveau de protection assuré par la réglementation de l’État tiers et celui assuré au niveau de l’Union, reconnaître à une autorité nationale d’un État tiers la qualité d’autorité compétente au sens de la position commune 2001/931 implique une différence de traitement entre les personnes visées par des mesures de gel des fonds de l’Union, selon que les décisions nationales sous-tendant ces mesures émanent d’autorités d’États tiers ou d’autorités d’États membres.

(cf. points 135, 139, 140)

6.      La position commune 2001/931, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, exige, pour la protection des personnes concernées et eu égard à l’absence de moyens d’investigation propres de l’Union, que la base factuelle d’une décision de l’Union de gel des fonds en matière de terrorisme repose non pas sur des éléments que le Conseil aurait tirés de la presse ou d’Internet, mais sur des éléments concrètement examinés et retenus dans des décisions d’autorités nationales compétentes au sens de la position commune 2001/931.

C’est seulement sur une telle base factuelle fiable qu’il revient ensuite au Conseil d’exercer la large marge d’appréciation qui est la sienne dans le cadre de l’adoption de décisions de gel des fonds au niveau de l’Union, en particulier en ce qui concerne les considérations d’opportunité sur lesquelles de telles décisions sont fondées.

(cf. points 187, 188)

7.      Si la question qui importe lors d’un réexamen est celle de savoir si, depuis l’inscription de la personne concernée dans la liste de gel des fonds ou depuis le réexamen précédent, la situation factuelle a changé de telle manière qu’elle ne permet plus de tirer la même conclusion concernant l’implication de cette personne dans des activités terroristes, avec pour conséquence que le Conseil peut, le cas échéant et dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation, décider de maintenir une personne sur la liste de gel des fonds en l’absence de changement dans la situation factuelle, il n’en reste pas moins que tout nouvel acte de terrorisme que le Conseil insère dans sa motivation à l’occasion de ce réexamen, aux fins de justifier le maintien de la personne concernée sur la liste de gel des fonds, doit, dans le système décisionnel à deux niveaux de la position commune 2001/931, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, et en raison de l’absence de moyens d’investigation du Conseil, avoir fait l’objet d’un examen et d’une décision d’une autorité compétente au sens de cette position commune. L’obligation du Conseil de fonder ses décisions de gel des fonds en matière de terrorisme sur une base factuelle tirée de décisions d’autorités compétentes découle directement du système à deux niveaux instauré par la position commune 2001/931. Cette obligation n’est donc pas conditionnée par le comportement de la personne ou du groupe concerné. Le Conseil doit, au titre de l’obligation de motivation, qui est une formalité substantielle, indiquer, dans les motifs de ses décisions de gel des fonds, les décisions d’autorités nationales compétentes ayant concrètement examiné et retenu les faits de terrorisme qu’il reprend comme base factuelle de ses propres décisions.

(cf. points 204, 206)

8.      Dans le système à deux niveaux de la position commune 2001/931, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, et aux fins d’assurer l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, il appartient aux États membres de transmettre régulièrement au Conseil, et à ce dernier de collecter, les décisions d’autorités compétentes adoptées au sein desdits États membres, ainsi que les motifs de ces décisions. Si, malgré cette transmission d’informations, le Conseil ne dispose pas de décision d’autorité compétente concernant un fait particulier susceptible de constituer un acte de terrorisme, il lui incombe, en l’absence de moyens d’investigation propres, de demander l’appréciation d’une autorité nationale compétente sur ce fait, en vue d’une décision de cette autorité. À cette fin, le Conseil peut s’adresser aux 28 États membres de l’Union et plus particulièrement, parmi eux, aux États membres ayant éventuellement déjà examiné la situation de la personne ou du groupe concerné. Il peut aussi s’adresser à un État tiers remplissant les conditions requises en termes de protection des droits de la défense et de recours juridictionnel effectif. La décision en cause, qui doit être, aux termes de la position commune 2001/931, une « ouverture d’enquête ou de poursuite […], ou une condamnation », n’a pas nécessairement à être la décision nationale de réexamen périodique de l’inscription de la personne ou du groupe concerné sur la liste nationale de gel des fonds. Mais, même dans ce dernier cas, l’existence au niveau national d’un rythme temporel de réexamen périodique différent de celui en vigueur au niveau de l’Union ne saurait justifier que l’État membre concerné diffère l’examen, demandé par le Conseil, du fait en cause. Compte tenu tant de la structure à deux niveaux du système mis en place par la position commune 2001/931 que des devoirs réciproques de coopération loyale existant entre les États membres et l’Union, les États membres sollicités par le Conseil doivent donner suite sans délai aux demandes du Conseil visant à obtenir une appréciation et, le cas échéant, une décision d’autorité compétente, au sens de la position commune 2001/931, sur un élément de fait susceptible de constituer un acte de terrorisme.

(cf. points 210, 212, 213)

9.      L’absence de tout nouvel acte de terrorisme au titre d’une période semestrielle donnée n’implique nullement que le Conseil devrait retirer la personne ou le groupe concerné de la liste de gel des fonds. En effet, rien dans les dispositions du règlement nº 2580/2001, concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et de la position commune 2001/931, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, n’interdit l’imposition ou le maintien de mesures restrictives à l’encontre de personnes ou d’entités qui ont commis par le passé des actes de terrorisme, nonobstant l’absence d’éléments prouvant qu’elles commettent actuellement de tels actes ou y participent, si les circonstances le justifient. Ainsi, l’obligation de ne procéder à de nouvelles imputations d’actes de terrorisme que sur la base de décisions d’autorités compétentes ne s’oppose nullement au droit du Conseil de maintenir la personne concernée sur la liste de gel des fonds, même après la cessation de l’activité terroriste proprement dite, si les circonstances le justifient.

(cf. point 215)

10.    Voir le texte de la décision.

(cf. points 228, 229)