Language of document : ECLI:EU:T:2013:416

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

12 septembre 2013 (*)

« Régime linguistique – Avis de concours généraux pour le recrutement d’assistants – Langue des épreuves – Choix de la deuxième langue parmi trois langues officielles »

Dans l’affaire T‑218/09,

République italienne, représentée par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

partie requérante,

soutenue par

République de Lettonie, représentée par Mme K. Drēviņa, en qualité d’agent,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. J. Currall et J. Baquero Cruz, puis par MM. Curall et G. Gattinara, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation des avis de concours généraux EPSO/AST/91/09, pour la constitution d’une liste de réserve pour le recrutement d’assistants (AST 3) dans le domaine « Offset », et EPSO/AST/92/09, pour la constitution d’une liste de réserve pour le recrutement d’assistants (AST 3) dans le domaine « Prépresse », publiés au Journal officiel de l’Union européenne du 18 mars 2009 (JO C 63 A, p. 1),

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas, président, V. Vadapalas (rapporteur) et K. O’Higgins, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 avril 2013,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 18 mars 2009 ont été publiés au Journal officiel de l’Union européenne les avis relatifs, d’une part, au concours général EPSO/AST/91/09, pour la constitution d’une liste de réserve pour le recrutement d’assistants (AST 3) dans le domaine « Offset », destinée à pourvoir des postes vacants au sein du Comité économique et social et du Comité des régions, et, d’autre part, au concours général EPSO/AST/92/09, pour la constitution d’une liste de réserve pour le recrutement d’assistants (AST 3) dans le domaine « Prépresse », destinée à pourvoir des postes vacants au sein du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne, de la Commission européenne, du Comité économique et social et du Comité des régions.

2        Sous le titre « III. Conditions d’admission » des avis de concours susmentionnés (ci-après les « avis de concours litigieux »), il était notamment mentionné que les candidats devaient posséder une connaissance approfondie d’une des langues officielles de l’Union européenne et une connaissance satisfaisante de l’allemand, de l’anglais ou du français (« [d]euxième langue »).

3        Sous le titre « IV. Tests d’accès » des avis de concours litigieux, il était indiqué que ces tests se dérouleraient dans la deuxième langue, c’est-à-dire en allemand, en anglais ou en français.

4        Sous le titre « V. Concours général » des avis de concours litigieux, il était prévu que deux des trois épreuves écrites, auxquelles seraient admis les candidats ayant obtenu le plus grand nombre de points aux tests d’accès, se dérouleraient en allemand, en anglais ou en français.

 Procédure et conclusions des parties

5        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 mai 2009, la République italienne a introduit le présent recours.

6        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 septembre 2009, la République de Lettonie a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la République italienne. Par ordonnance du 26 octobre 2009, le président de la sixième chambre du Tribunal a admis cette intervention. La République de Lettonie n’a cependant pas déposé de mémoire en intervention.

7        La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la cinquième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

8        Par ordonnance du 10 février 2011, le président de la cinquième chambre du Tribunal, les parties entendues, a ordonné la suspension de la procédure dans la présente affaire jusqu’au prononcé de la décision de la Cour mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑566/10 P, Italie/Commission.

9        Ladite décision étant intervenue par arrêt de la Cour du 27 novembre 2012, Italie/Commission (C‑566/10 P, non encore publié au Recueil), la République italienne a été invitée à se prononcer sur les conséquences qu’il convenait d’en tirer, selon elle, pour la présente affaire. Celle-ci n’a toutefois pas présenté d’observations dans les délais impartis.

10      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

11      Par lettre du 4 mars 2013, la Commission a proposé qu’il soit renoncé à l’audience.

12      Par lettre du 21 mars 2013, la République italienne a demandé que l’audience soit maintenue.

13      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 10 avril 2013.

14      La République italienne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les tests d’accès et l’avis de concours (EPSO/AST/91/09) pour la constitution d’une liste de réserve pour le recrutement d’assistants (AST 3) dans le domaine « Offset »,

–        annuler les tests d’accès et l’avis de concours (EPSO/AST/92/09) pour la constitution d’une liste de réserve pour le recrutement d’assistants (AST 3) dans le domaine « Prépresse ».

15      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours,

–        condamner la République italienne aux dépens.

 En droit

16      À titre liminaire, il convient de relever que les tests d’accès sont prévus dans le texte même des avis de concours litigieux. Il y a donc lieu de considérer que la République italienne conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler les avis de concours litigieux.

17      À l’appui du présent recours, la République italienne invoque la violation des articles 1er et 6 du règlement n° 1 du Conseil, du 15 avril 1958, portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique européenne (JO 1958, 17, p. 385), des articles 12 CE et 290 CE, de l’article 22 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1), des principes de non-discrimination, de motivation, de multilinguisme et de protection de la confiance légitime, et soutient, en substance, que la Commission ne pouvait pas limiter à seulement trois langues le choix de la deuxième langue pour les épreuves des concours.

18      La Commission avance notamment que le Conseil a laissé, par l’article 6 du règlement n° 1, selon lequel les institutions peuvent déterminer les modalités d’application de leur régime linguistique dans leurs règlements intérieurs, une marge aux institutions pour leurs besoins purement internes, dont elle a fait usage en limitant le choix de la deuxième langue à trois langues seulement. Par ailleurs, cette limitation exprimerait l’intérêt du service et la Commission n’aurait pas à la motiver explicitement dans les avis de concours litigieux. Enfin, il résulterait de l’arrêt du Tribunal du 5 avril 2005, Hendrickx/Conseil (T‑376/03, RecFP p. I‑A‑83 et II‑379), que les usages linguistiques internes peuvent justifier que la connaissance de certaines langues nommément identifiées soit exigée.

19      À cet égard, il convient de rappeler que, si l’article 1er, paragraphe 1, sous f), de l’annexe III du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut ») prévoit que les avis de concours peuvent spécifier éventuellement les connaissances linguistiques requises par la nature particulière des postes à pourvoir, il ne découle pas de cette disposition une autorisation générale pour déroger aux exigences de l’article 1er du règlement n° 1, lequel désigne 24 langues non seulement comme langues officielles, mais également comme langues de travail des institutions de l’Union (arrêt Italie/Commission, précité, points 81 et 84).

20      Par ailleurs, l’article 1er quinquies, paragraphe 1, du statut prévoit que toute discrimination fondée, notamment, sur la langue est interdite dans l’application du statut. Selon le paragraphe 6, première phrase, de cet article, toute limitation des principes de non-discrimination et de proportionnalité doit être objectivement et raisonnablement justifiée et doit répondre à des objectifs légitimes d’intérêt général dans le cadre de la politique du personnel (arrêt Italie/Commission, précité, point 82).

21      En outre, l’article 28, sous f), du statut prévoit que nul ne peut être nommé fonctionnaire s’il ne justifie posséder une connaissance approfondie d’une des langues de l’Union et une connaissance satisfaisante d’une autre langue de l’Union. Si cette disposition précise que la connaissance satisfaisante d’une autre langue est exigée « dans la mesure nécessaire aux fonctions » que le candidat est appelé à exercer, elle n’indique pas les critères qui peuvent être pris en considération pour limiter le choix de cette langue parmi les 24 langues officielles (arrêt Italie/Commission, précité, point 83).

22      Il convient donc de constater que les dispositions susvisées ne prévoient pas de critères explicites permettant de limiter le choix de la deuxième langue, que ce soit aux trois langues imposées par les avis de concours litigieux ou à d’autres langues officielles (voir, en ce sens, arrêt Italie/Commission, précité, point 85).

23      Il convient d’ajouter que les institutions concernées par les avis de concours litigieux ne sont pas soumises à un régime linguistique spécifique (voir, en ce sens, arrêt Italie/Commission, précité, point 86).

24      En premier lieu, la Commission avance que l’article 6 du règlement n° 1, selon lequel les institutions peuvent déterminer les modalités d’application de leur régime linguistique dans leurs règlements intérieurs, lui permet de limiter un tel choix, pour satisfaire ses besoins internes.

25      Or, il convient de constater que les institutions concernées par les avis de concours litigieux n’ont jamais adopté de règles internes conformément à cette disposition. La Commission ne peut donc se prévaloir d’une disposition dont ces institutions n’ont pas fait usage. Par ailleurs, la Commission n’a pas non plus invoqué l’existence d’autres actes, tels que des communications stipulant les critères pour une limitation du choix d’une langue en tant que deuxième langue pour participer aux concours (voir, en ce sens, arrêt Italie/Commission, précité, point 91).

26      En deuxième lieu, la Commission soutient que l’intérêt du service justifie l’exigence de la connaissance de l’allemand, de l’anglais ou du français et qu’elle n’avait pas à motiver une telle limitation.

27      À cet égard, il ressort de l’ensemble des dispositions susvisées que l’intérêt du service peut constituer un objectif légitime pouvant être pris en considération. Notamment, ainsi qu’il a été indiqué au point 20 ci-dessus, l’article 1er quinquies du statut autorise des limitations aux principes de non-discrimination et de proportionnalité. Il importe cependant que cet intérêt du service soit objectivement justifié et que le niveau de connaissance linguistique exigé s’avère proportionné aux besoins réels du service (arrêt Italie/Commission, précité, point 88).

28      Il convient, par ailleurs, de souligner que des règles limitant le choix de la deuxième langue doivent prévoir des critères clairs, objectifs et prévisibles afin que les candidats puissent savoir, suffisamment à l’avance, quelles exigences linguistiques sont requises, et ce pour pouvoir se préparer aux concours dans les meilleures conditions (arrêt Italie/Commission, précité, point 90).

29      En l’espèce, force est de constater que les avis de concours litigieux ne contiennent aucune motivation justifiant le choix, comme deuxième langue pour les épreuves des concours, entre les trois langues en cause.

30      En troisième lieu, contrairement à ce que soutient la Commission, l’arrêt Hendrickx/Conseil, précité, ne conforte pas l’argument selon lequel l’intérêt du service pourrait justifier l’exigence de la connaissance des langues allemande, anglaise ou française figurant dans les avis de concours litigieux. En effet, alors que, dans la présente espèce, les avis de concours litigieux s’adressaient à des ressortissants de l’Union qui, pour la grande majorité, n’étaient pas familiarisés avec les institutions, ledit arrêt Hendrickx/Conseil concernait un avis de concours interne ouvert aux fonctionnaires et aux agents en fonction auprès du secrétariat général du Conseil et justifiant d’au moins cinq ans d’ancienneté d’activité auprès des Communautés. Par ailleurs, les fonctions à exercer étaient décrites de manière précise, ce qui permettait aux fonctionnaires et aux agents du secrétariat général de comprendre la justification des langues imposées pour les épreuves et au Tribunal d’exercer son contrôle du choix de ces langues (voir, en ce sens, arrêt Italie/Commission, précité, point 92).

31      À la lumière des considérations qui précèdent, il convient d’annuler les avis de concours litigieux.

32      À cet égard, il convient de relever que la Commission, par sa lettre du 4 mars 2013, a émis le souhait qu’il soit renoncé à l’audience, les avis de concours litigieux présentant, selon elle, les mêmes défauts que l’avis ayant fait l’objet de l’arrêt Italie/Commission, précité, et a également avancé, au cours de l’audience du 10 avril 2013, que les avis de concours litigieux ne pouvaient qu’être annulés.

33      En outre, la République italienne, dans sa lettre du 21 mars 2013 et lors de l’audience, a soulevé la question des effets de cette annulation sur les listes de réserve résultant des concours. Après l’audience, en répondant à la demande du Tribunal, la Commission a précisé que ces listes avaient été prorogées jusqu’au 31 décembre 2013.

34      Enfin, lors de l’audience, la République italienne a avancé qu’il appartenait au Tribunal de se prononcer ou non sur la validité des listes de réserve après l’arrêt Italie/Commission, précité.

35      La République italienne a indiqué, dans sa lettre du 21 mars 2013, qu’elle partageait l’opinion émise par la Commission dans sa lettre du 4 mars 2013, considérant que la présente affaire devait être tranchée, quant à la question de l’annulation des avis de concours litigieux, conformément aux principes dégagés par la Cour dans l’arrêt Italie/Commission, précité, et qu’elle estimait utile de discuter, lors de l’audience, des conditions et de la portée effective du principe de protection de la confiance légitime dans la présente affaire.

36      Il convient de rappeler que la Cour, dans l’arrêt Italie/Commission, précité, a conclu que, afin de préserver la confiance légitime des candidats sélectionnés par le biais des concours concernés, il n’y avait pas lieu de mettre en cause les résultats de ces concours (arrêt Italie/Commission, précité, point 103).

37      Dès lors, le Tribunal considère que, afin de préserver la confiance légitime des candidats sélectionnés, il convient de ne pas remettre en cause lesdites listes de réserve.

 Sur les dépens

38      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En l’espèce, la Commission a succombé en ses conclusions. Toutefois, la République italienne n’a pas formulé de conclusions relatives aux dépens. Dans ces conditions, il convient d’ordonner que chaque partie supportera ses propres dépens.

39      Par ailleurs, aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, dudit règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Il convient donc d’ordonner que la République de Lettonie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les avis de concours généraux EPSO/AST/91/09, pour la constitution d’une liste de réserve pour le recrutement d’assistants (AST 3) dans le domaine « Offset », et EPSO/AST/92/09, pour la constitution d’une liste de réserve pour le recrutement d’assistants (AST 3) dans le domaine « Prépresse », publiés au Journal officiel de l’Union européenne du 18 mars 2009, sont annulés.

2)      La République italienne, la République de Lettonie et la Commission européenne supporteront leurs propres dépens.

Papasavvas

Vadapalas

O’Higgins

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 septembre 2013.

Signatures


* Langue de procédure : l’italien.