Language of document : ECLI:EU:C:2021:974

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 2 décembre 2021 (1)

Affaire C156/21

Hongrie

contre

Parlement européen,

Conseil de l’Union européenne

« Recours en annulation – Article 151, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour – Incident de procédure – Demande de retrait d’un document – Avis du service juridique du Conseil – Règlement (UE, Euratom) 2020/2092 – Régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union – Protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre – Base juridique du règlement 2020/2092 – Article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE – Violation des articles 7 TUE et 269 TFUE – Violation de l’article 4, paragraphe 1, TUE, de l’article 5, paragraphe 2, TUE et de l’article 13, paragraphe 2, TUE – Principe de sécurité juridique – Principe d’égalité de traitement entre États membres – Principe de proportionnalité »






1.        Par ce recours (2), introduit en vertu de l’article 263 TFUE, la Hongrie demande à la Cour d’annuler, à titre principal, le règlement (UE, Euratom) 2020/2092 (3) et, à titre subsidiaire, certains des articles de ce règlement.

2.        Dans cette affaire, dont le caractère constitutionnel est indéniable, la Cour doit déterminer si le règlement 2020/2092, qui met en place un mécanisme de protection du budget de l’Union contre les violations des principes de l’État de droit commises par les États membres en matière d’exécution budgétaire, a été adopté sur une base juridique appropriée et s’il est compatible avec plusieurs dispositions du droit primaire, notamment avec l’article 7 TUE.

3.        La Cour a décidé de renvoyer l’affaire devant l’assemblée plénière, en tant que formation de jugement compétente pour statuer sur des affaires revêtant une « importance exceptionnelle » (article 16 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne).

I.      Le cadre juridique : le droit de l’Union

A.      Le droit primaire

4.        L’article 7 TUE prévoit :

« 1.      Sur proposition motivée d’un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission européenne, le Conseil [de l’Union européenne], statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2. Avant de procéder à cette constatation, le Conseil entend l’État membre en question et peut lui adresser des recommandations, en statuant selon la même procédure.

Le Conseil vérifie régulièrement si les motifs qui ont conduit à une telle constatation restent valables.

2.      Le Conseil européen, statuant à l’unanimité sur proposition d’un tiers des États membres ou de la Commission européenne et après approbation du Parlement européen, peut constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2, après avoir invité cet État membre à présenter toute observation en la matière.

3.      Lorsque la constatation visée au paragraphe 2 a été faite, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil. Ce faisant, le Conseil tient compte des conséquences éventuelles d’une telle suspension sur les droits et obligations des personnes physiques et morales.

Les obligations qui incombent à l’État membre en question au titre des traités restent en tout état de cause contraignantes pour cet État.

4.      Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider par la suite de modifier les mesures qu’il a prises au titre du paragraphe 3 ou d’y mettre fin pour répondre à des changements de la situation qui l’a conduit à imposer ces mesures.

5.      Les modalités de vote qui, aux fins du présent article, s’appliquent au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil sont fixées à l’article 354 [TFUE]. »

5.        Aux termes de l’article 269 TFUE :

« La Cour de justice n’est compétente pour se prononcer sur la légalité d’un acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 [TUE] que sur demande de l’État membre qui fait l’objet d’une constatation du Conseil européen ou du Conseil, et qu’en ce qui concerne le respect des seules prescriptions de procédure prévues par ledit article.

Cette demande doit être faite dans un délai d’un mois à compter de ladite constatation. La Cour statue dans un délai d’un mois à compter de la date de la demande. »

6.        Selon l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE :

« 1.      Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, et après consultation de la Cour des comptes, adoptent par voie de règlements :

a)      les règles financières qui fixent notamment les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution du budget et à la reddition et à la vérification des comptes ;

[...] »

B.      Le règlement 2020/2092

7.        Aux termes de l’article 1er (« Objet ») du règlement 2020/2092 :

« Le présent règlement établit les règles nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre. »

8.        Aux termes de l’article 2 (« Définitions ») de ce règlement :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a)      “État de droit” : la valeur de l’Union consacrée à l’article 2 du [traité UE]. Il recouvre le principe de légalité, qui suppose l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste, ainsi que les principes de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, y compris l’accès à la justice, assurée par des juridictions indépendantes et impartiales, également en ce qui concerne les droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, de non‑discrimination et d’égalité devant la loi. L’État de droit s’entend eu égard aux autres valeurs et principes de l’Union consacrés à l’article 2 du [traité UE].

[...] »

9.        L’article 3 (« Violations des principes de l’État de droit ») dudit règlement dispose que :

« Aux fins du présent règlement, peuvent être indicatifs de violations des principes de l’État de droit :

a)      la mise en péril de l’indépendance du pouvoir judiciaire ;

b)      le fait de ne pas prévenir, corriger ou sanctionner les décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques, y compris des autorités répressives, la retenue de ressources financières et humaines affectant leur bon fonctionnement ou le fait de ne pas veiller à l’absence de conflits d’intérêts ;

c)      la limitation de la disponibilité et de l’effectivité des voies de recours, notamment sous l’effet de règles de procédure restrictives et l’inexécution des décisions de justice, ou la limitation de l’effectivité des enquêtes, des poursuites ou des sanctions relatives à des violations du droit. »

10.      Aux termes de l’article 4 (« Conditions d’adoption des mesures ») du même règlement :

« 1.      Des mesures appropriées sont prises lorsqu’il est établi, conformément à l’article 6, que des violations des principes de l’État de droit dans un État membre portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de l’Union, d’une manière suffisamment directe.

2.      Aux fins du présent règlement, les violations des principes de l’État de droit concernent un ou plusieurs des points suivants :

a)      le bon fonctionnement des autorités exécutant le budget de l’Union, y compris des prêts et d’autres instruments garantis par le budget de l’Union, en particulier dans le contexte de procédures de passation de marchés publics ou d’octroi de subventions ;

b)      le bon fonctionnement des autorités chargées du contrôle, du suivi et de l’audit financiers, ainsi que le bon fonctionnement de systèmes efficaces et transparents de gestion et de responsabilité financières ;

c)      le bon fonctionnement des services d’enquête et de poursuites judiciaires dans le cadre des enquêtes et poursuites relatives à la fraude, y compris la fraude fiscale, à la corruption ou à d’autres violations du droit de l’Union concernant l’exécution du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union ;

d)      le contrôle juridictionnel effectif par des juridictions indépendantes d’actes ou d’omissions des autorités mentionnées aux points a), b) et c) ;

e)      la prévention et la sanction de la fraude, y compris la fraude fiscale, de la corruption ou d’autres violations du droit de l’Union concernant l’exécution du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union, ainsi que l’imposition de sanctions effectives et dissuasives aux destinataires par les juridictions nationales ou par les autorités administratives ;

f)      le recouvrement de fonds indûment versés ;

g)      la coopération effective et en temps utile avec l’[Office européen de lutte antifraude (OLAF)] et, sous réserve de la participation de l’État membre concerné, avec le Parquet européen à leurs enquêtes ou poursuites en vertu des actes de l’Union applicables conformément au principe de coopération loyale ;

h)      d’autres situations ou comportements des autorités qui sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union. »

11.      L’article 5 (« Mesures de protection du budget de l’Union ») du règlement 2020/2092 énonce :

« 1.      Pour autant que les conditions énoncées à l’article 4 du présent règlement soient remplies, une ou plusieurs des mesures appropriées suivantes peuvent être adoptées conformément à la procédure prévue à l’article 6 du présent règlement :

[...]

b)      lorsque la Commission exécute le budget de l’Union en gestion partagée avec les États membres conformément à l’article 62, paragraphe 1, point b), du règlement financier :

i)      une suspension de l’approbation d’un ou de plusieurs programmes ou une modification de cette suspension ;

ii)      une suspension des engagements ;

iii)      une réduction des engagements, notamment au moyen de corrections financières ou de transferts vers d’autres programmes de dépenses ;

iv)      une réduction du préfinancement ;

v)      une interruption des délais de paiement ;

vi)      une suspension des paiements.

2.      Sauf disposition contraire de la décision portant adoption des mesures, l’imposition de mesures appropriées est sans incidence sur les obligations des entités publiques visées au paragraphe 1, point a), ou des États membres visés au paragraphe 1, point b), d’exécuter le programme ou le fonds touché par la mesure, et notamment les obligations qui leur incombent à l’égard des destinataires finaux ou des bénéficiaires, y compris l’obligation d’effectuer les paiements conformément au présent règlement et à la réglementation sectorielle ou financière applicable. Lorsqu’ils exécutent des fonds de l’Union européenne en gestion partagée, les États membres concernés par des mesures adoptées en vertu du présent règlement font rapport à la Commission, tous les trois mois à compter de l’adoption desdites mesures, sur la manière dont ils respectent ces obligations.

La Commission vérifie si le droit applicable a été respecté et, au besoin, prend toutes les mesures appropriées pour protéger le budget de l’Union, conformément à la réglementation sectorielle et financière.

3.      Les mesures prises sont proportionnées. Elles sont déterminées en fonction de l’incidence réelle ou potentielle des violations des principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de l’Union. La nature, la durée, la gravité et la portée des violations des principes de l’État de droit sont dûment prises en compte. Les mesures ciblent, dans la mesure du possible, les actions de l’Union auxquelles les violations portent atteinte.

4.      La Commission fournit des informations et des orientations à l’intention des destinataires finaux ou des bénéficiaires en ce qui concerne les obligations des États membres visées au paragraphe 2 par l’intermédiaire d’un site internet ou d’un portail internet. La Commission fournit également, sur le même site internet ou portail internet, des outils adéquats permettant aux destinataires finaux ou aux bénéficiaires de l’informer de toute violation de ces obligations qui, selon ces destinataires finaux ou bénéficiaires, leur porte directement atteinte [...]

5.      Sur la base des informations fournies par les destinataires finaux ou les bénéficiaires conformément au paragraphe 4 du présent article, la Commission met tout en œuvre pour veiller à ce que tout montant dû par des entités publiques ou des États membres visés au paragraphe 2 du présent article soit effectivement versé aux destinataires finaux ou aux bénéficiaires [...] »

12.      L’article 6 (« Procédure ») de ce règlement énonce :

« 1.      Lorsque la Commission constate qu’il existe des motifs raisonnables de considérer que les conditions énoncées à l’article 4 sont remplies, à moins qu’elle ne considère que d’autres procédures prévues par la législation de l’Union lui permettraient de protéger le budget de l’Union d’une manière plus efficace, elle adresse une notification écrite à l’État membre concerné exposant les éléments factuels et les motifs précis sur lesquels reposent ses constatations. La Commission informe le Parlement européen et le Conseil sans tarder de cette notification et de son contenu.

[...]

9.      Lorsque la Commission considère que les conditions énoncées à l’article 4 sont remplies et que les mesures correctives proposées, le cas échéant, par l’État membre au titre du paragraphe 5 ne répondent pas de manière satisfaisante aux constatations figurant dans la notification de la Commission, elle présente au Conseil, dans un délai d’un mois à compter de la réception des observations de l’État membre, une proposition de décision d’exécution arrêtant les mesures appropriées ou, dans le cas où aucune observation n’est présentée, sans retard injustifié et, en tout état de cause, dans un délai d’un mois à compter du délai fixé au paragraphe 7. La proposition indique les motifs précis et les éléments concrets sur lesquels la Commission a fondé ses constatations.

10.      Le Conseil adopte la décision d’exécution visée au paragraphe 9 du présent article dans un délai d’un mois à compter de la réception de la proposition de la Commission. En cas de circonstances exceptionnelles, le délai pour l’adoption de ladite décision d’exécution peut être prolongé de deux mois au maximum. Pour faire en sorte qu’une décision soit prise en temps utile, la Commission fait usage des droits qui lui sont conférés par l’article 237 [TFUE], lorsqu’elle le juge approprié.

11.      Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut modifier la proposition de la Commission et adopter le texte modifié au moyen d’une décision d’exécution. »

C.      Le règlement (CE) no 1049/2001 (4)

13.      L’article 4 (« Exceptions ») du règlement no 1049/2001 est libellé comme suit :

« [...]

2.      Les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection :

[...]

–        des procédures juridictionnelles et des avis juridiques,

[...]

à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

3.      L’accès à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore pris de décision est refusé dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

L’accès à un document contenant des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de l’institution concernée est refusé même après que la décision a été prise, dans le cas où la divulgation du document porterait gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

[...] »

II.    La procédure devant la Cour

14.      Dans sa requête, la Hongrie conclut à ce qu’il plaise à la Cour (5) :

–        annuler le règlement 2020/2092 ;

–        à titre subsidiaire, annuler les dispositions suivantes du règlement 2020/2092 : article 4, paragraphe 1 ; article 4, paragraphe 2, sous h) ; article 5, paragraphe 2 ; article 5, paragraphe 3, avant-dernière et dernière phrases, et article 6, paragraphes 3 et 8 ;

–        condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

15.      Le Parlement et le Conseil invitent la Cour à rejeter le recours et à condamner la Hongrie aux dépens.

16.      Le 12 mai 2021, le Parlement a demandé que l’affaire soit traitée en faisant application de l’article 133 du règlement de procédure de la Cour (procédure accélérée), demande à laquelle a fait droit le président de la Cour le 9 juin 2021.

17.      Le 12 mai 2021, le Conseil a demandé à la Cour, conformément à l’article 151, paragraphe 1, du règlement de procédure, de ne pas prendre en compte certains passages de la requête de la Hongrie, ainsi que l’annexe A.3 de celle-ci, au motif qu’ils reproduisaient un avis non publié du service juridique du Conseil ou qu’ils y faisaient référence. Le 29 juin 2021, la Cour a décidé, en application du paragraphe 5 de cet article, de joindre l’examen de cet incident de procédure au fond.

18.      À l’audience, qui s’est tenue devant l’assemblée plénière de la Cour les 11 et 12 octobre 2021, ont comparu, outre la Hongrie et la République de Pologne, le Parlement et le Conseil, ainsi que la Commission et les gouvernements du Royaume de Belgique, du Royaume de Danemark, de la République fédérale d’Allemagne, de l’Irlande, du Royaume d’Espagne, de la République française, du Grand-Duché de Luxembourg, du Royaume des Pays-Bas, de la République de Finlande et du Royaume de Suède.

19.      Dans mes conclusions, j’aborderai en premier lieu l’incident de procédure soulevé par le Conseil. J’exposerai ensuite le contexte juridique dans lequel s’inscrivent l’élaboration et l’adoption du règlement 2020/2092. Enfin, je me pencherai sur les neuf moyens d’annulation que présente la Hongrie.

III. L’incident de procédure

20.      Le Conseil demande à la Cour de « ne pas prendre en compte les passages de la requête et de ses annexes, en particulier l’annexe A.3, qui font référence à, reproduisent le contenu de ou reflètent l’analyse effectuée dans l’avis du service juridique du Conseil (document 13593/18 du Conseil) [ci-après l’“avis”], du 25 octobre 2018, et en particulier les passages [figurant aux points 21, 22, 164 et 166] ».

21.      La Hongrie conclut à ce qu’il plaise à la Cour de rejeter cette demande et, subsidiairement, d’ordonner au Conseil de produire l’avis.

22.      Précisons d’abord que le Conseil ne demande pas le retrait d’un avis que la Hongrie n’a tout simplement pas fait figurer en tant que tel dans sa requête. On ne saurait donc parler du retrait d’un document qui n’a pas été versé au dossier. Le Conseil se borne à demander, comme il ressort du libellé même de la demande formulée au titre de l’article 151 du règlement de procédure de la Cour, de ne pas prendre en compte les passages de la requête et les annexes de celle-ci qui reproduisent ou renvoient audit avis.

23.      Tous les États de l’Union, ainsi que la Commission, disposent de l’avis, en leur qualité de membres du Conseil ou de participants à la procédure législative ayant abouti à l’adoption du règlement 2020/2092.

24.      En outre, l’existence de l’avis a été révélée par la presse (6) et son contenu est accessible sur Internet. Le Conseil a néanmoins décidé de maintenir le caractère confidentiel de cet avis et rejeté certaines demandes d’accès présentées sur le fondement du règlement no 1049/2001, en se bornant à rendre publics les paragraphes 1 à 8 dudit avis (7).

25.      La situation est donc paradoxale, puisque toutes les parties à la présente procédure ont eu un accès légitime au document et que la Cour est seule à n’en avoir pas officiellement connaissance. Aussi, la demande du Conseil est assez surprenante (8) et ne correspond pas aux hypothèses classiques de retrait de documents que connaît la Cour et qui sont visées dans sa jurisprudence.

26.      Dans la requête de la Hongrie et ses annexes figurent :

–        la reproduction d’un passage de l’avis, à l’alinéa 4 du document figurant à l’annexe 3, intitulé Non-paper from Hungary, relatif à la proposition de la Commission du 9 novembre 2018, qui est à l’origine du règlement 2020/2092 ;

–        des références à l’avis qui semblent en reprendre le contenu, mais dont il m’est impossible de déterminer s’il s’agit de citations littérales ou de reformulations de la part de la Hongrie (points 22 et 164 de la requête, ainsi qu’alinéas 2 à 7 et 9 de l’annexe 3), et

–        des simples références à l’avis, dans le cadre d’arguments spécifiques de la Hongrie (points 21 et 166 de la requête).

27.      Avant d’aborder le fond de l’incident de procédure, il me semble opportun d’exposer les règles et la jurisprudence pertinente de la Cour sur l’accès, la divulgation et la production en justice de documents des institutions de l’Union, notamment des avis de leurs services juridiques.

A.      Les règles relatives à l’accès et à la production en justice de documents des institutions de l’Union

28.      L’accès des personnes physiques et morales aux documents des institutions de l’Union est régi par le règlement no 1049/2001. Son objectif étant de garantir une accessibilité aussi large que possible, l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement pose comme principe général le droit d’accès à tous les documents de l’Union, sous réserve de certaines conditions et limites (9).

29.      L’article 4 du règlement no 1049/2001, reproduit ci-dessus, définit le régime des exceptions au droit d’accès, modulé par des raisons d’intérêt public ou privé. Parmi ces exceptions figure le refus d’accès à un document :

–        dont la divulgation porterait atteinte à la protection des « procédures juridictionnelles et des avis juridiques, [...] à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé » ;

–        établi « par une institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore pris de décision […] dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé ».

30.      Le règlement no 1049/2001 ne s’applique qu’aux demandes d’accès présentées par des personnes physiques et morales et non à celles introduites par les États membres. Lorsqu’il s’agit d’actes législatifs du Conseil, les États membres disposent logiquement des documents établis par cette institution.

31.      En ce qui concerne toutefois la divulgation ou la publicité de documents dont l’accès est soumis à des restrictions, les États membres doivent demander une autorisation, qui, dans le cas du Conseil, est prévue par son règlement intérieur (10). L’annexe II de ce règlement intérieur contient les dispositions particulières concernant l’accès du public aux documents du Conseil, lesquelles renvoient au règlement no 1049/2001 (11).

32.      Le renvoi aux dispositions du règlement no 1049/2001 est complété par les consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil (12). Le point 5 de ce texte prévoit que les documents portant la mention « LIMITE » relèvent du secret professionnel conformément à l’article 339 TFUE et à l’article 6, paragraphe 1, du règlement intérieur du Conseil, et que, en outre, ils doivent être traités conformément à la législation pertinente de l’Union, en particulier le règlement no 1049/2001.

33.      Quant à l’accès aux documents « LIMITE », les points 20 à 22 des consignes du Conseil subordonnent leur publicité à l’autorisation préalable du Conseil (13).

B.      La jurisprudence concernant plus particulièrement l’accès aux avis des services juridiques des institutions et leur production en justice

34.      La jurisprudence de la Cour a été principalement développée à l’occasion d’affaires dans lesquelles des personnes physiques et morales avaient demandé l’accès à des documents des institutions et s’étaient vu opposer un refus.

35.      Dans le cadre de cette jurisprudence, la Cour a appliqué et interprété le règlement no 1049/2001 en statuant de manière spécifique sur des demandes d’accès aux avis juridiques des institutions de l’Union. Ce règlement revêt « une certaine valeur indicative en vue de la pondération des intérêts requise pour statuer sur la demande de retrait dudit document » introduite dans le cadre d’une affaire pendante devant la Cour (14).

36.      Pour la Cour, « il serait contraire à l’intérêt public [que traduit l’article 4 du règlement no 1049/2001], qui veut que les institutions puissent bénéficier des avis de leur service juridique, donnés en toute indépendance, d’admettre que la production de tels documents internes puisse avoir lieu dans le cadre d’un litige devant la Cour sans que ladite production ait été autorisée par l’institution concernée ou ordonnée par cette juridiction [...] » (15).

37.      Dans cette perspective, l’objectif de l’exception relative aux avis juridiques, prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, est de « protéger l’intérêt d’une institution à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets » (16).

38.      Aux fins de l’application de cette dérogation, qui doit être interprétée strictement (17), le Conseil doit effectuer un examen en trois temps, dont le déroulement est expliqué de façon circonstanciée dans l’arrêt Suède et Turco/Conseil (points 37 à 47) :

–        « Dans un premier temps, le Conseil doit s’assurer que le document dont la divulgation est demandée concerne bien un avis juridique [...] »

–        « Dans un deuxième temps, le Conseil doit examiner si la divulgation des parties du document en question identifiées comme concernant des avis juridiques “porterait atteinte à la protection” de ces derniers [...] Le risque d’atteinte à cet intérêt doit, pour pouvoir être invoqué, être raisonnablement prévisible, et non purement hypothétique. »

–        « Finalement, dans un troisième temps, si le Conseil considère que la divulgation d’un document porterait atteinte à la protection des avis juridiques telle qu’elle vient d’être définie, il lui incombe de vérifier qu’il n’existe pas un intérêt public supérieur justifiant cette divulgation nonobstant l’atteinte qui en résulterait à son aptitude à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets » (18).

39.      Tout au long de ce processus, il convient de tenir compte des déclarations de principe exposées par la Cour dans son arrêt ClientEarth/Commission (19) :

–        « [L]e règlement no 1049/2001 s’inscrit dans la volonté exprimée à l’article 1er, deuxième alinéa, TUE de marquer une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens [...] »

–        « Cet objectif fondamental de l’Union est également reflété, d’une part, à l’article 15, paragraphe 1, TFUE, qui prévoit, notamment, que les institutions, les organes et les organismes de l’Union œuvrent dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture, principe également réaffirmé à l’article 10, paragraphe 3, TUE et à l’article 298, paragraphe 1, TFUE, ainsi que, d’autre part, par la consécration du droit d’accès aux documents à l’article 42 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [(ci-après la « Charte »)] [...] »

–        « Il résulte du considérant 2 du règlement no 1049/2001 que la transparence permet de conférer aux institutions de l’Union une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité à l’égard des citoyens de l’Union dans un système démocratique. En permettant que les divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues, elle contribue, en outre, à augmenter la confiance de ces citoyens [...] »

40.      En présence de certains risques, toutefois, l’exigence d’« ouverture » (transparence) peut n’être pas suffisante pour justifier le maintien, dans le dossier, de l’avis d’une institution figurant dans une annexe produite dans le cadre d’un recours. L’un de ces risques est de contraindre l’institution à « prendre publiquement position à propos d’un avis qui était destiné, de toute évidence, à un usage interne, [...] perspective [qui] entraînerait inévitablement des répercussions négatives quant à l’intérêt [de l’institution] à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets » (20).

41.      En outre, autoriser le maintien d’un document dans le dossier de l’affaire, alors que sa divulgation n’a pas été autorisée par l’institution, permettrait de contourner la procédure de demande d’accès à un tel document qui a été mise en place par le règlement no 1049/2001 (21).

42.      En ce qui concerne les avis des institutions émis dans le cadre des procédures législatives, la jurisprudence de la Cour a établi un droit d’accès bien plus large et une obligation corrélative de divulgation plus importante.

43.      C’est ce qu’a souligné la Cour dans son arrêt Suède et Turco/Conseil, où elle a rejeté les « justifications » qu’invoquait le Conseil à l’appui d’une demande tendant à ce qu’un avis de son service juridique relatif à une proposition législative soit retiré du dossier. Le Conseil avait fait valoir que la divulgation de cet avis « serait susceptible de laisser planer un doute sur la légalité de l’acte législatif concerné » et de remettre en cause « l’indépendance de son service juridique » (22).

44.      En réponse à ces arguments, la Cour a relevé :

–        Au sujet du premier, que « c’est précisément la transparence à cet égard qui, en permettant que les divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues, contribue à conférer aux institutions une plus grande légitimité aux yeux des citoyens européens et à augmenter la confiance de ceux-ci. De fait, c’est plutôt l’absence d’information et de débat qui est susceptible de faire naître des doutes dans l’esprit des citoyens, non seulement quant à la légalité d’un acte isolé, mais aussi quant à la légitimité du processus décisionnel dans son entièreté » (23).

–        Au sujet du second, que le risque dénoncé (à savoir celui de compromettre l’indépendance du service juridique) ne saurait être purement hypothétique et qu’il ne se confond pas avec l’intérêt d’éviter d’éventuelles pressions visant à influencer la teneur des avis émis par ce service (24).

45.      Il en résulte « que le règlement no 1049/2001 impose, en principe, une obligation de divulguer les avis du service juridique du Conseil relatifs à un processus législatif ». Cependant, cela ne fait pas obstacle à ce que « la divulgation d’un avis juridique spécifique, rendu dans le contexte d’un processus législatif, mais ayant un caractère particulièrement sensible ou une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif en cause, puisse être refusée » (25).

C.      Analyse de la demande du Conseil

46.      Il convient de distinguer deux parties dans la demande du Conseil.

47.      La première concerne la demande de retrait portant sur l’annexe 3 de la requête, qui contient le document dénommé Non-paper from Hungary sur la proposition de la Commission à l’origine du règlement 2020/2092. Ce Non-paper from Hungary comporte une reproduction textuelle d’un passage de l’avis du service juridique, ainsi que des références à cet avis qui semblent en reproduire le contenu.

48.      Étant donné que le Non-paper from Hungary est un document élaboré et présenté par la Hongrie dans le cadre de la procédure législative ayant abouti à l’adoption du règlement 2020/2092, les règles relatives à l’accès aux documents des institutions de l’Union ne lui sont pas applicables.

49.      Rien n’empêche donc la Hongrie, en tant qu’État auteur du document, de le produire dans le cadre d’une procédure devant la Cour, bien que celui-ci contienne des citations, directes ou indirectes, de l’avis du service juridique du Conseil.

50.      Dans la seconde partie de sa demande, le Conseil prie la Cour de ne pas prendre en compte des passages de la requête de la Hongrie qui font référence à, reproduisent le contenu de ou reflètent l’analyse effectuée dans cet avis.

51.      Cette partie de la demande ne pourrait en toute hypothèse être accueillie qu’en ce qui concerne la reproduction du contenu de l’avis, et non quant aux passages de la requête qui coïncident simplement avec celui-ci. Un État contestant la validité d’un acte législatif de l’Union est pleinement en droit de défendre ses points de vue, qu’ils concordent ou non avec le contenu des documents établis dans le cadre de la procédure ayant conduit à l’adoption de cet acte.

52.      Si la Hongrie avait adressé au Conseil une demande d’accès à l’avis, celle‑ci aurait été régie, en principe, par le règlement intérieur de cette institution, dont l’article 6, paragraphe 2, prévoit que le Conseil peut autoriser « la production en justice d’une copie ou d’un extrait des documents du Conseil qui n’ont pas déjà été rendus accessibles au public conformément aux dispositions relatives à l’accès du public aux documents ».

53.      Les consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil, que j’ai évoquées ci-dessus, prévoient en leur point 5 que ceux portant la mention « LIMITE » relèvent du secret professionnel conformément à l’article 339 TFUE et à l’article 6, paragraphe 1, du règlement intérieur du Conseil, et que, en outre, ils doivent être traités conformément à la législation pertinente de l’Union, en particulier le règlement no 1049/2001. Quant à l’accès à ces documents « LIMITE », les points 20 et 21 des consignes du Conseil subordonnent leur publicité à l’autorisation préalable du Conseil.

54.      La Hongrie aurait eu besoin de cette même autorisation préalable du Conseil pour annexer à sa requête l’avis litigieux, puisqu’il s’agit d’un document portant la mention « LIMITE » auquel le Conseil n’a donné qu’une publicité très limitée, et pour lequel il a rejeté plusieurs demandes d’accès émanant de particuliers (26). Comme je l’ai déjà relevé, s’il était permis de verser au dossier, de façon indifférenciée, des documents dont la divulgation n’a pas été autorisée par l’institution, la procédure de demande d’accès mise en place par le règlement no 1049/2001 pourrait être aisément contournée (27).

55.      En définitive, l’important, pour statuer sur cet incident, est, d’une manière ou d’une autre, de tenir compte de la jurisprudence de la Cour relative à l’incorporation des avis juridiques établis dans le cadre des procédures législatives, qui exige d’effectuer l’examen en trois temps que j’ai évoqué ci‑dessus (28).

56.      Quant à la première phase de cet examen, il ne fait pas de doute que nous sommes en présence d’un avis juridique (du service juridique du Conseil), circonstance que ne contestent pas les parties.

57.      Dans la deuxième phase de cet examen, il convient d’apprécier si la divulgation de cet avis spécifique comporte un risque, raisonnablement prévisible et non purement hypothétique, d’atteinte à la protection des avis juridiques du Conseil.

58.      Pour apprécier si un tel risque existe en l’espèce, j’accepterai, comme prémisse, que la Hongrie aurait dû demander l’autorisation du Conseil pour pouvoir légitimement produire l’avis dans le cadre de la procédure devant la Cour.

59.      À mon avis, la Hongrie aurait dû solliciter une telle autorisation pour incorporer, dans sa requête, des passages d’un document portant la mention « LIMITE », auquel le Conseil restreint l’accès, comme c’est le cas ici, dès lors que ceux-ci rendent en pratique public le contenu intégral ou substantiel de ce document.

60.      En l’absence d’autorisation préalable du Conseil, l’État membre pourrait contourner cette exigence dans le but de rendre public et de produire en justice des documents confidentiels de cette institution : il lui suffirait de ne pas les produire en tant que preuves documentaires, annexées à sa requête, tout en incorporant le contenu desdits documents dans celle-ci.

61.      Sur la base de ces considérations, les circonstances suivantes peuvent être pertinentes :

–        L’avis est (sauf dans ses huit premiers points, qui sont purement récapitulatifs et non analytiques, et qui ont bien été divulgués) un document interne portant la mention « LIMITE », qui est soumis à l’exigence de secret professionnel.

–        En sa qualité d’État membre, la Hongrie dispose légalement du texte de l’avis. Elle l’a donc obtenu sans éluder la procédure établie par le règlement intérieur du Conseil ; l’article 5 de l’annexe II de ce règlement prévoit en effet que les États membres soumettent une demande au Conseil, mais une telle formalité ne concerne que les documents dont ils ne disposent pas.

–        Le Conseil n’a pas été tenu de prendre publiquement position sur un avis de son service juridique, puisqu’il a pu répondre à la demande de la Hongrie sans qu’il lui faille expressément émettre une appréciation au sujet de celui-ci (29).

–        Par « production en justice », l’on ne saurait entendre de simples références indirectes, au sein de la requête, à des passages de l’avis. Ce n’est que si, par leur ampleur, ces références revenaient à la divulgation non autorisée de l’avis lui-même qu’il y aurait contournement de l’exigence d’autorisation préalable du Conseil.

–        Comme je l’ai déjà relevé, la Hongrie a tout à fait le droit de présenter ses arguments juridiques, même s’ils correspondent à ceux du service juridique du Conseil, que connaît cet État membre du fait de sa participation au processus d’élaboration du règlement 2020/2092.

62.      Je ne pense donc pas qu’il existe un risque, raisonnablement prévisible et non purement hypothétique, pour la protection des avis juridiques du Conseil. Toutefois, quand bien même serait-ce le cas et la deuxième phase de l’examen serait-elle ainsi franchie, il n’en faudrait pas moins encore apprécier, dans un troisième temps, s’il existe un intérêt public supérieur justifiant le maintien, dans le dossier, des références, directes et indirectes, à des passages de l’avis du service juridique du Conseil.

63.      Ainsi que je l’expliquerai dans les présentes conclusions, j’estime que cet intérêt public supérieur est constitué en l’espèce, outre l’intérêt propre qu’a la Hongrie au rejet de la demande du Conseil et à ce que les références à l’avis, qui viennent au soutien de sa thèse sur la (prétendue) nullité du règlement 2020/2092, soient maintenues.

64.      La transparence de la procédure législative constitue l’intérêt supérieur qui justifierait, dans la présente affaire, la production en justice et la divulgation des passages de l’avis du service juridique du Conseil.

65.      Je rappelle que, lorsque le Conseil agit en qualité de législateur, l’accès à ses documents est de nature à augmenter la transparence et l’ouverture du processus législatif et contribue à renforcer le droit démocratique des citoyens européens de contrôler les informations qui ont constitué le fondement d’un acte législatif (30).

66.      De surcroît, dans le cadre d’un processus législatif transparent, il convient de tenir compte de toutes les opinions juridiques fondées, qu’elles soient en faveur ou en défaveur d’une proposition donnée, qui fournissent aux colégislateurs (responsables ultimes de la décision), et aux citoyens en général, les éléments d’appréciation pour évaluer cette proposition.

67.      Cela n’est possible que si les opinions juridiques exprimées sont portées à la connaissance du public, précisément pour « que les divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues, [ce qui] contribue à conférer aux institutions une plus grande légitimité aux yeux des citoyens européens et à augmenter la confiance de ceux-ci » (31).

68.      Sur la base de ces réflexions, que je partage entièrement, la Cour a jugé qu’il existe, en principe, une obligation de divulguer les avis juridiques relatifs à un processus législatif (32). Le revers de cette obligation est qu’« un besoin général de confidentialité » n’est pas admis en ce qui concerne ces avis (33).

69.      Toutefois, cette obligation n’est pas absolue. En particulier, elle « ne fait [...] pas obstacle à ce que la divulgation d’un avis juridique spécifique, rendu dans le contexte d’un processus législatif, mais ayant un caractère particulièrement sensible ou une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif en cause, puisse être refusée au titre de la protection des avis juridiques » (34).

70.      L’avis litigieux a été élaboré dans le cadre de la procédure législative tendant à l’adoption du règlement 2020/2092. Le Conseil n’a pas démontré, selon moi, qu’il s’agit d’un avis « ayant un caractère particulièrement sensible », même si ce règlement revêt une importance incontestable pour l’Union et pour ses États membres.

71.      C’est le contenu de l’avis juridique qui doit présenter un caractère particulièrement sensible. De ce point de vue, seul un avis qui, même s’il concerne une mesure législative importante, comporte des informations particulièrement délicates (par exemple, sur des matières réservées ou secrètes) peut se voir reconnaître le caractère sensible, mais non lorsqu’il incorpore la simple appréciation d’éléments d’interprétation des traités, tels que ceux relatifs aux bases juridiques de cette mesure.

72.      Le Conseil ne démontre pas non plus, selon moi, que l’avis a « une portée particulièrement large allant au‑delà du cadre du processus législatif en cause ».

73.      Bien que cette expression tirée de l’arrêt Suède et Turco/Conseil ne soit pas particulièrement claire (car les avis juridiques sur une proposition législative se bornent en principe à l’examen de sa validité ou de ses défauts, sans aller au-delà), j’estime qu’elle vise des avis qui, en dépassant le contenu de la norme qui fera éventuellement l’objet d’un recours, ne sont pas pertinents pour la procédure juridictionnelle dans laquelle on entend les produire.

74.      Ainsi, la transparence de la procédure législative devrait, en l’espèce, l’emporter sur un risque hypothétique (non établi ici) de laisser sans protection les avis juridiques du Conseil ou de rendre plus difficile l’adoption par son service juridique d’avis « francs, objectifs et complets » (35), qualités qui, au demeurant, devraient être garanties par le professionnalisme des membres de ce service et qui doivent être sauvegardées par le Conseil.

75.      Par conséquent, je propose à la Cour de rejeter la demande incidente du Conseil.

IV.    Le règlement 2020/2092 : une réglementation à cheval entre la conditionnalité financière et la garantie de l’État de droit

76.      Afin de mieux comprendre le mécanisme de conditionnalité du règlement 2020/2092, il est nécessaire d’examiner : a) la procédure législative suivie pour son adoption, et b) les mécanismes analogues déjà prévus par le droit de l’Union, auxquels s’ajoute désormais celui mis en place par ce règlement.

A.      La procédure législative suivie lors de l’adoption du règlement 2020/2092

77.      L’élaboration du règlement 2020/2092 a été particulièrement complexe et le processus législatif suivi aide à en faire une interprétation adéquate (36).

78.      Ce règlement trouve son origine dans l’effort de l’Union pour améliorer ses instruments visant à garantir le respect des principes de l’État de droit par les États membres. Cette valeur de l’Union, consacrée par l’article 2 TUE, a été menacée par les pratiques récentes de certains de ses États membres, comme l’ont souligné à plusieurs reprises le Parlement et la Commission. Certains de ces États sont parmi les principaux bénéficiaires de financements du budget de l’Union (37).

79.      Pour faire face à des violations de l’État de droit, l’Union dispose d’un arsenal limité d’instruments juridiques :

–        Le mécanisme de l’article 7 TUE permet de constater « qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2 » ou « l’existence d’une violation grave et persistante » de ces mêmes valeurs, avec les conséquences attachées à l’une ou à l’autre constatation. Dans la seconde de ces hypothèses, le fonctionnement de ce mécanisme est entravé par la nécessité d’une décision unanime du Conseil européen.

–        Les recours en manquement introduits par la Commission (article 258 TFUE) ou par un autre État membre (article 259 TFUE) permettent d’apprécier si un État membre a manqué à l’une des obligations qui lui incombent en vertu des traités.

80.      En 2014, la Commission a adopté un « nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’État de droit », destiné à « protéger l’État de droit, de manière efficace et cohérente, dans tous les États membres. Ce cadre doit permettre de réagir lorsqu’une menace systémique plane sur l’État de droit et de résoudre cette situation » (38).

81.      Le nouveau cadre visait à « mettre fin aux menaces qui pèseraient à l’avenir sur l’État de droit dans les États membres, avant que les conditions d’activation des mécanismes prévus à l’article 7 du TUE ne soient réunies. Il vient donc combler une lacune. Il n’a pas vocation à remplacer, mais plutôt à précéder et à compléter lesdits mécanismes » (39).

82.      En 2019, la Commission a actualisé sa stratégie et créé le mécanisme européen de protection de l’État de droit (40). Fondé sur un dialogue étroit avec les autorités et les parties prenantes nationales, ce mécanisme apporte la transparence et couvre tous les États membres de manière objective et impartiale. La Commission établit, avec ces données, un rapport annuel comportant une évaluation de chaque État membre (41).

83.      Dans ce contexte, la Commission a présenté, en mai 2018, une proposition de règlement relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’État de droit dans les États membres (42).

84.      Il semble que la proposition ait suscité certaines réticences de la part du service juridique du Conseil. La Cour des comptes a formulé des recommandations en vue d’en améliorer le contenu (43), après avoir souligné que la proposition avait une base juridique douteuse, était imprécise dans ses critères, conférait une très large marge d’appréciation à la Commission et contournait la procédure de l’article 7 TUE.

85.      À la suite d’une procédure législative complexe, le Conseil européen de juillet 2020 (44) est parvenu à un accord pour approuver le CFP 2021‑2027 et le plan de relance pour l’Europe Next Generation EU (ci-après le « plan Next Generation EU »). L’accord indiquait : « un régime de conditionnalité visant à protéger le budget et Next Generation EU sera introduit ».

86.      Malgré cet accord, les deux colégislateurs ont continué à avoir des vues différentes au sujet de ce qui allait devenir le règlement 2020/2092 :

–        Le Parlement entendait protéger l’État de droit au moyen du budget, tandis que le Conseil voulait protéger le budget de l’Union par la voie du respect des exigences de l’État de droit.

–        Le Parlement défendait une application large du règlement, tandis que le Conseil voulait la restreindre en exigeant un lien direct entre la violation de l’État de droit et les effets négatifs spécifiques sur le budget de l’Union (45).

87.      Le 5 novembre 2020, les deux colégislateurs sont parvenus à un consensus sur un texte qui, moyennant des retouches mineures, est devenu le règlement 2020/2092, entré en vigueur le 1er janvier 2021.

88.      La Hongrie et la République de Pologne se sont opposées au texte convenu par les colégislateurs et, bien qu’elles n’aient pas pu opposer leur veto à son adoption (puisque sa base juridique est l’article 322, paragraphe 1, TFUE, qui prévoit la majorité qualifiée), elles ont menacé d’empêcher l’adoption du CFP 2021‑2027 et du plan Next Generation EU, dont l’approbation exigeait l’unanimité des États membres.

89.      La situation s’est débloquée lors du Conseil européen de décembre 2020, dans les conclusions duquel a été inclus un « compromis » quant à la portée et à l’application du règlement 2020/2092 (46).

90.      Bien que le Conseil européen ne dispose pas de pouvoirs législatifs dans ce domaine, ses conclusions réaffirment les garanties procédurales et substantielles en faveur des États membres qui figurent dans le règlement 2020/2092 et donnent une interprétation (qui pourrait être qualifiée d’« autorisée », en raison de son origine, bien qu’elle ne soit pas contraignante) du sens et de la portée de plusieurs de ses éléments. Force m’est en tout état de cause de rappeler que l’interprétation du règlement 2020/2092 incombe à la Cour.

91.      En particulier, selon les conclusions du Conseil européen, le nouveau règlement « doit être appliqué dans le plein respect de l’article 4, paragraphe 2, du TUE, notamment de l’identité nationale des États membres, inhérente à leurs structures politiques et constitutionnelles fondamentales, du principe d’attribution, ainsi que des principes d’objectivité, de non‑discrimination et d’égalité de traitement des États membres ».

92.      Les points de consensus que reprend le Conseil européen sont notamment les suivants (47) :

–        L’objectif du règlement est de protéger le budget de l’Union, y compris Next Generation EU, sa bonne gestion financière et les intérêts financiers de l’Union (48).

–        Le mécanisme de conditionnalité prévu par le règlement sera appliqué d’une manière objective, équitable, impartiale et fondée sur des faits, qui garantit le respect de la légalité, la non‑discrimination et l’égalité de traitement des États membres.

–        Afin de veiller à ce que ces principes soient respectés, la Commission entend élaborer et adopter des orientations sur la manière dont elle appliquera le règlement, y compris une méthode pour procéder à son évaluation. Ces orientations seront élaborées en étroite concertation avec les États membres. Si un recours en annulation devait être introduit à l’égard du règlement, les orientations seraient établies dans leur version définitive après l’arrêt de la Cour afin que tous les éléments pertinents découlant de cet arrêt puissent y être intégrés (49).

–        Les mesures au titre du mécanisme devront être proportionnées à l’incidence des violations de l’État de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de l’Union, et le lien de causalité entre ces violations et les conséquences négatives pour les intérêts financiers de l’Union devra être suffisamment direct et dûment établi.

–        Les facteurs déclencheurs énoncés dans le règlement doivent être lus et appliqués comme une liste fermée d’éléments homogènes et ne doivent pas être ouverts à des facteurs ou évènements de nature différente. Le règlement ne concerne pas les défaillances généralisées (50).

–        L’application du mécanisme a un caractère subsidiaire par rapport aux autres procédures fixées par le droit de l’Union ; et il est mis en œuvre lorsque ces autres procédures ne permettent pas de protéger plus efficacement le budget de l’Union.

93.      En raison de ce compromis du Conseil européen, la Hongrie et la République de Pologne ont levé leur veto au CFP et au plan Next Generation EU, et le règlement 2020/2092 a finalement été adopté par le Conseil le 14 décembre et par le Parlement le 16 décembre 2020 (51).

94.      La réduction du champ d’application du règlement 2020/2092 en vertu de l’exigence du lien « suffisamment direct » entre l’exécution budgétaire et la violation des principes de l’État de droit a, en quelque sorte, été « contrebalancée » par l’application de ce mécanisme de conditionnalité financière aux fonds mobilisés par l’Union en faveur des États membres par la voie du plan Next Generation EU, établi conformément au règlement (UE) 2020/2094 (52). Le règlement 2020/2092 s’applique en outre tant aux violations généralisées des principes de l’État de droit qu’aux violations individuelles (53).

95.      L’(in)application du règlement 2020/2092 continue toutefois de générer des conflits institutionnels entre la Commission et le Parlement (54).

B.      Les mécanismes de conditionnalité financière en droit de l’Union

96.      L’Union dispose d’un budget qui lui fournit les moyens nécessaires pour réaliser ses objectifs et mener à bien ses politiques. Ce budget est alimenté, sans préjudice d’autres recettes, par des ressources propres (article 311 TFUE) selon les modalités établies par une décision du Conseil (55). Le budget est l’instrument du droit de l’Union qui traduit annuellement le principe de solidarité en termes financiers et revêt une importance constitutionnelle (56).

97.      Les recettes et les dépenses du budget annuel de l’Union sont déterminées par la programmation pluriannuelle visée à l’article 312 TFUE. Le CFP garantit l’évolution ordonnée des dépenses de l’Union dans la limite de ses ressources propres. Le CFP 2021‑2027 (57), qui prévoit une augmentation de 0,6 % des ressources propres, combinée aux fonds mobilisés avec l’adoption de l’instrument pour la relance de l’Union en vue de soutenir la reprise à la suite de la crise liée à la COVID-19, est actuellement en vigueur (58).

98.      L’exécution du budget de l’Union relève de la responsabilité de la Commission, selon l’article 317, premier alinéa, TFUE. Elle est mise en œuvre « en coopération avec les États membres, conformément aux dispositions des règlements pris en exécution de l’article 322 [TFUE], [...] conformément au principe de la bonne gestion financière. Les États membres coopèrent avec la Commission pour faire en sorte que les crédits soient utilisés conformément aux principes de la bonne gestion financière » (59).

99.      Aux termes de l’article 310, paragraphe 6, TFUE, « [l]’Union et les États membres, conformément à l’article 325, combattent la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ».

100. Le règlement financier (60) prévoit que la Commission peut exécuter le budget de l’Union de manière directe, indirecte et en gestion partagée avec les États membres. En pratique, plus de 70 % du budget est exécuté par la Commission en gestion partagée avec les États membres, conformément aux prescriptions de l’article 63 du règlement financier. Dans le cadre de cette gestion partagée, les autorités des États membres accomplissent les tâches nécessaires à l’exécution des fonds du budget de l’Union qui sont soumises au contrôle de la Commission (61).

101. Dans ce contexte d’exécution budgétaire partagée entre la Commission et les États membres sont apparus les mécanismes de conditionnalité relevant du règlement financier et d’autres règles spécifiques de l’Union.

102. Les régimes de conditionnalité pour protéger la bonne gestion du budget s’inscrivent dans un phénomène plus large d’utilisation de la conditionnalité tant par le droit de l’Union que par les systèmes juridiques d’autres pays (dont ceux ayant adopté une organisation fédérale) (62), ainsi que par des organisations internationales, telles que le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale.

103. En droit de l’Union, la conditionnalité s’applique naturellement aux adhésions des nouveaux États, qui sont soumises au respect des critères de Copenhague, et elle est une pratique courante dans les relations extérieures de l’Union, puisque les aides au développement qu’elle octroie sont pareillement subordonnées au respect d’exigences en matière de droits humains (63).

104. Dans le domaine des relations internes entre les États membres et les institutions de l’Union, la conditionnalité a été utilisée surtout dans les instruments de cohésion économique et sociale et dans la gestion du budget (64).

105. Sans prétendre être exhaustif, on peut citer les exemples suivants de conditionnalité financière dans le nouveau règlement sur les dispositions communes relatives aux fonds structurels pour la période 2021‑2027 (65) :

–        La conditionnalité environnementale et climatique, prévue à l’article 6 (« Objectifs en matière de climat et mécanisme d’adaptation au changement climatique ») et à l’article 9, paragraphe 4.

–        La conditionnalité fondée sur le respect de « principes horizontaux » (article 9) relatifs à la protection des droits fondamentaux et à la conformité avec la Charte lors de la mise en œuvre des Fonds.

–        La conditionnalité liée à des objectifs spécifiques, prévue à l’article 15 (« Conditions favorisantes ») et à l’annexe III (66). Cette dernière contient les « conditions favorisantes horizontales applicables à tous les objectifs spécifiques et les critères nécessaires à l’évaluation de leur respect ». L’annexe III prévoit des mécanismes efficaces de suivi des marchés publics ; des outils et capacités pour une application effective des règles en matière d’aides ; l’application et la mise en œuvre effectives de la Charte ; et la mise en œuvre et l’application de la convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CNUDPH) conformément à la décision 2010/48/CE du Conseil (67). Si ces conditions ne sont pas respectées, la Commission peut suspendre le remboursement des dépenses exposées par l’État.

–        La conditionnalité macroéconomique, prévue à l’article 19 (« Mesures établissant un lien entre l’efficacité des Fonds et une bonne gouvernance économique »). Aux termes de cette disposition, le Conseil est habilité, sur proposition de la Commission, à suspendre tout ou partie des engagements ou paiements destinés à un ou plusieurs des programmes d’un État membre : i) lorsque cet État membre ne prend pas de mesures correctives suffisantes ou n’agit pas pour éviter un déséquilibre excessif, conformément au règlement (UE) no 1176/2011 (68) ; ii) lorsque la Commission conclut qu’un État membre n’a pas pris de mesures conformément au règlement (CE) no 332/2002 (69) et décide, par conséquent, de ne pas autoriser le déboursement de l’assistance financière prévue pour cet État membre, et iii) lorsque le Conseil décide qu’un État membre ne respecte pas le programme d’ajustement macroéconomique visé à l’article 7 du règlement (UE) no 472/2013 (70) ou les mesures requises par une décision du Conseil adoptée conformément à l’article 136, paragraphe 1, TFUE.

106. Dans le même esprit, les articles 96 et 97 du règlement sur les dispositions communes 2021‑2027 autorisent la Commission, respectivement, à interrompre le délai de liquidation des paiements ou à suspendre des paiements aux États membres lorsqu’il existe une irrégularité ou une insuffisance grave ou un avis motivé concernant une procédure d’infraction au titre de l’article 258 TFUE sur une question qui met en péril la légalité et la régularité des dépenses. En vertu de l’article 104, la Commission peut également procéder a posteriori à une correction financière, en réduisant le soutien des Fonds accordé à un programme lorsque de telles situations se présentent.

107. Les mécanismes de conditionnalité se trouvent également dans des réglementations sectorielles applicables à des instruments financiers de l’Union. On peut citer les exemples suivants :

–        La conditionnalité macroéconomique prévue à l’article 10 du règlement (UE) 2021/241 (71) en termes analogues à ceux de l’article 19 du règlement sur les dispositions communes 2021‑2027. La conditionnalité macroéconomique des fonds structurels est étendue à la facilité pour la reprise et la résilience, qui est le principal véhicule financier de l’instrument de l’Union pour la relance, adopté par le règlement 2020/2094 pour compléter le CFP en vue de faire face aux conséquences financières de la COVID-19. La mise en œuvre de cette facilité est assurée par la Commission dans le cadre d’un régime de gestion directe, conformément aux règles pertinentes adoptées en vertu de l’article 322 TFUE, en particulier le règlement financier et le règlement 2020/2092.

–        La conditionnalité visant à assurer le respect des normes relatives aux droits humains dans la gestion européenne intégrée des frontières, prévue à l’article 4 du règlement (UE) 2021/1148 (72).

–        La conditionnalité visant à assurer le respect des droits humains et d’objectifs environnementaux, prévue à l’article 4 du règlement (UE) 2021/1229, établissant la facilité de prêt au secteur public dans le cadre du mécanisme pour une transition juste (73).

–        La conditionnalité climatique et environnementale pour les paiements directs aux agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune, prévue aux articles 43 à 47 du règlement (UE) no 1307/2013 (74).

108. Ces mécanismes de conditionnalité sont variés, mais répondent tous à une logique commune : l’éligibilité à un paiement à la charge du budget de l’Union est subordonnée au respect de certaines exigences horizontales, distinctes et supplémentaires par rapport à celles qui sont directement prévues par le fonds européen auquel est imputé ce paiement (75).

109. La conditionnalité financière instaurée par le règlement 2020/2092 est liée, en ce qui concerne l’exécution budgétaire, au respect de l’État de droit, « essentiel à la protection des autres valeurs fondamentales [de l’article 2 TUE] » (76). En tant que condition horizontale, les États membres doivent s’y conformer lors de l’exécution du budget de l’Union.

110. La conditionnalité financière implique un lien entre solidarité et responsabilité. L’Union transfère des ressources de son budget aux États membres à condition qu’elles soient dépensées de manière responsable, ce qui suppose d’agir dans le respect des valeurs de l’Union, telles que l’État de droit. Ce n’est que si l’exécution du budget respecte les valeurs de l’Union que la confiance mutuelle entre les États membres sera suffisante pour que l’Union se voie attribuer les ressources financières indispensables à la réalisation de ses objectifs.

111. Il ne fait aucun doute que cette nouvelle dimension de la technique de la conditionnalité a des répercussions importantes sur les relations de l’Union avec les États membres. En vertu du mécanisme de conditionnalité, les institutions de l’Union disposent de pouvoirs renforcés pour s’assurer que les États membres respectent les valeurs du droit de l’Union lorsqu’ils interviennent dans la gestion du budget de l’Union.

112. Or, l’emploi de la technique de la conditionnalité financière par des normes de droit dérivé doit être conforme aux exigences du droit primaire et relever des compétences attribuées à l’Union.

113. À ce jour, la jurisprudence de la Cour a surtout porté sur la conditionnalité environnementale appliquée aux paiements directs en faveur des agriculteurs (77) ainsi que sur la conditionnalité macroéconomique, qui a été accueillie favorablement dans l’arrêt Pringle (78).

114. Dans ce dernier arrêt, la Cour a jugé que la conditionnalité était un mécanisme apte à assurer le respect du droit de l’Union et des mesures de coordination des politiques économiques des États adoptées par les institutions de l’Union. Elle a également indiqué que la conditionnalité macroéconomique prévue à l’article 3, à l’article 12, paragraphe 1, et à l’article 13, paragraphe 3, premier alinéa, du traité instituant le mécanisme européen de stabilité (traité MES) (79) assurait la compatibilité des activités du MES avec l’article 125 TFUE ainsi qu’avec les mesures de coordination adoptées par l’Union (80).

115. La présente affaire et l’affaire C‑157/21 offrent à la Cour la possibilité de développer sa jurisprudence relative à la conditionnalité financière, en l’étendant à un instrument au moyen duquel ses institutions encouragent le respect, par les États membres, de la valeur de l’État de droit consacré à l’article 2 TUE, dans le but de protéger le budget de l’Union.

116. Ces considérations faites, j’aborderai l’analyse des différents moyens de nullité invoqués par le gouvernement hongrois.

V.      Premier moyen du recours : absence ou inadéquation de la base juridique du règlement 2020/2092

A.      Argumentation des parties

117. Selon le gouvernement hongrois, bien que l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE autorise le législateur de l’Union à adopter des règles financières pour l’exécution du budget de l’Union, le règlement 2020/2092 ne contient pas de dispositions budgétaires ou financières.

118. Il estime donc que la base juridique du règlement 2020/2092 est inadéquate et que l’Union n’est pas compétente pour adopter une norme de droit dérivé ayant ce contenu.

119. Du point de vue du gouvernement hongrois, le règlement 2020/2092 permet à la Commission et au Conseil de définir la notion d’« État de droit » et les actions qui contreviennent aux exigences imposées par cette valeur de l’Union. Le mécanisme qui y est établi autorise l’adoption de sanctions affectant les structures fondamentales d’un État membre, pour lesquelles l’Union ne jouit pas de compétences.

120. De tels actes ne relèvent pas de l’article 322 TFUE, de sorte que ce dernier constitue une base juridique inadéquate pour le règlement 2020/2092, dont le champ d’application entrerait en conflit avec la procédure prévue à l’article 7 TUE.

121. Le gouvernement hongrois souligne, en outre, les différences entre le règlement 2020/2092 et d’autres règles financières et budgétaires de l’Union adoptées sur la base de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.

122. Parmi les éléments du règlement 2020/2092 qui sont incompatibles avec l’article 322 TFUE, le gouvernement hongrois mentionne, d’une part, les conflits d’intérêts dans la répartition des fonds de l’Union. Le règlement 2020/2092 ne fixe pas de modalités procédurales pour les États membres en ce qui concerne l’établissement de règles sur les conflits d’intérêts et leur élimination, en permettant ainsi l’adoption de mesures à l’encontre des États membres sur la base d’attentes non précisées, qui vont au-delà des exigences fixées dans le règlement financier.

123. D’autre part, l’article 5, paragraphe 2, du règlement 2020/2092 oblige les États membres à financer, avec leur propre budget, les programmes auxquels l’Union retire ses fonds, afin de protéger les bénéficiaires. Cette disposition n’est selon lui pas conforme aux règles d’exécution du budget de l’Union et constitue une sanction pour l’État membre qui viole les exigences de l’État de droit.

124. Selon le gouvernement hongrois, l’article 322 TFUE ne saurait servir de base pour l’imposition d’obligations pesant sur les budgets nationaux, puisqu’il ne permet d’adopter que des règles relatives à l’exécution du budget de l’Union.

125. Le Parlement et le Conseil contestent les arguments du gouvernement hongrois et considèrent que l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE est la base juridique appropriée du règlement 2020/2092 (81).

126. Selon ces deux institutions, le règlement 2020/2092 instaure un mécanisme de conditionnalité budgétaire (financière) visant à garantir le respect des exigences de l’État de droit, conformément aux autres mécanismes de conditionnalité déjà existants dans l’Union. L’analyse de la finalité et du contenu de ce règlement le justifie.

B.      Appréciation

127. Je commencerai par rappeler la jurisprudence constante de la Cour sur le choix des bases juridiques dans le droit primaire lors de l’adoption de règles de droit dérivé (82) :

–        « [L]e choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de cet acte. Si l’examen de l’acte concerné démontre que celui-ci poursuit une double finalité ou qu’il a une double composante et si l’une de celles-ci est identifiable comme principale ou prépondérante, tandis que l’autre n’est qu’accessoire, cet acte doit être fondé sur une seule base juridique, à savoir celle exigée par la finalité ou la composante principale ou prépondérante [...] » (83).

–        « De plus, [...] peut être pris en compte, pour déterminer la base juridique appropriée, le contexte juridique dans lequel s’inscrit une nouvelle réglementation, notamment en ce qu’un tel contexte est susceptible de fournir un éclairage sur le but de ladite réglementation [...] » (84).

–        Une fois une règle d’harmonisation adoptée, « le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité [...] » (85).

128. Conformément à cette jurisprudence, l’analyse de la finalité et du contenu du règlement 2020/2092 permettra de déterminer si l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE constitue la base juridique appropriée pour son adoption, si elle aurait dû être différente ou si l’Union n’est pas compétente pour adopter ce règlement.

1.      La finalité du règlement 2020/2092

129. Selon son article 1er, le règlement 2020/2092 a pour objet d’établir « [...] les règles nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre ».

130. Plusieurs considérants du règlement 2020/2092 mettent en évidence le lien entre le respect de l’État de droit et la bonne gestion financière du budget de l’Union.

–        Le considérant 7 énonce que, « [c]haque fois que les États membres exécutent le budget de l’Union [...], le respect de l’État de droit est une condition essentielle au respect des principes de la bonne gestion financière consacrés par l’article 317 [TFUE] ».

–        Le considérant 8 (86) énonce que les États membres ne peuvent assurer la bonne gestion financière que si les autorités publiques agissent en conformité avec le droit, si les fraudes sont poursuivies par les services de poursuites judiciaires et s’il existe un contrôle juridictionnel effectif des décisions administratives.

–        Le considérant 9 (87) souligne l’importance de l’indépendance des juges et des services d’enquête judiciaire pour faire face à des décisions arbitraires et illégales d’autorités publiques susceptibles de léser les intérêts financiers de l’Union.

–        Le considérant 13 réaffirme qu’il « existe [...] un lien manifeste entre le respect de l’État de droit et la bonne exécution du budget de l’Union, conformément aux principes de bonne gestion financière ».

–        Le considérant 15 insiste sur le fait que « [l]es violations des principes de l’État de droit, en particulier celles qui portent atteinte au bon fonctionnement des autorités publiques et au caractère effectif du contrôle juridictionnel, peuvent nuire gravement aux intérêts financiers de l’Union ».

131. Aux termes de ces considérants, dont la conformité avec les dispositions du règlement 2020/2092 est indéniable, je considère que ce règlement a pour finalité de mettre en place un mécanisme spécifique pour assurer la bonne exécution du budget de l’Union, lorsqu’un État membre commet des violations des principes de l’État de droit qui mettent en péril la bonne gestion des fonds de l’Union ou les intérêts financiers de celle-ci.

132. Cet objectif me paraît conforme au choix de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE comme base juridique du règlement 2020/2092 (88).

133. Le Parlement et le Conseil maintiennent que la finalité du règlement litigieux est celle qui ressort de ces considérants. Ils contestent l’analyse du gouvernement hongrois selon laquelle le règlement 2020/2092 vise à ajouter une procédure supplémentaire à celles déjà prévues (89) pour protéger l’État de droit, sans qu’il existe de base juridique pour celle-ci dans le droit primaire.

134. Certes, le considérant 14 du règlement 2020/2092, lu de manière non contextualisée, semblerait apporter un certain soutien à la thèse du gouvernement hongrois, puisqu’on y lit que « [l]e mécanisme prévu dans le présent règlement complète ces instruments en protégeant le budget de l’Union contre les violations des principes de l’État de droit qui portent atteinte à sa bonne gestion financière ou à la protection des intérêts financiers de l’Union » (mise en italique par mes soins).

135. Cette apparente incohérence dans la logique des considérants du règlement 2020/2092 pourrait s’expliquer par le déroulement de son processus législatif. Comme je l’ai déjà mentionné, la proposition initiale de la Commission traduisait dans une moindre mesure la conditionnalité financière du mécanisme prévu et insistait davantage sur la protection de l’État de droit. En raison de l’opposition du Conseil, le texte final du règlement 2020/2092 est devenu un instrument de conditionnalité financière, dans le cadre duquel la protection de l’État de droit opère comme une condition horizontale que les États doivent respecter lors de l’exécution du budget.

136. C’est la raison pour laquelle il convient d’analyser en détail le contenu du règlement 2020/2092 pour apprécier si le « produit législatif final » est bien un mécanisme de conditionnalité financière, au même titre que d’autres mécanismes comparables prévus par le droit de l’Union. Si tel était le cas, l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE fournirait une base juridique appropriée, car ce règlement serait un acte normatif en matière d’exécution budgétaire.

137. Si tel n’était pas le cas, comme le soutient le gouvernement hongrois, nous serions en présence d’un instrument supplémentaire pour la protection de l’État de droit, à connotation budgétaire, pour lequel l’article 322 TFUE n’offrirait pas de base juridique appropriée, l’Union n’ayant pas de compétence pour le mettre en place.

138. À mon avis, le règlement 2020/2092 vise à assurer, au moyen du mécanisme de conditionnalité, la bonne exécution du budget de l’Union en cas de violations des principes de l’État de droit par un État membre qui mettent en péril la bonne gestion financière des fonds de l’Union.

139. Considéré dans son ensemble, le règlement 2020/2092 vise donc à protéger le budget de l’Union en présence de situations spécifiques qui menacent la bonne exécution budgétaire et qui représentent des violations de l’État de droit. Il ne vise donc pas à protéger ce dernier au moyen d’un mécanisme répressif.

140. De ce point de vue, le règlement 2020/2092 a un objet comparable à celui du règlement financier, dont il est constant qu’il a pour base juridique l’article 322 TFUE.

141. De fait, lors de l’adoption du règlement 2020/2092, le Parlement, le Conseil et la Commission ont manifesté l’intention d’inclure le contenu de celui-ci dans le règlement financier, lorsque ce dernier fera l’objet d’une révision (90).

142. Comme l’indique le Conseil, le choix du législateur européen d’élaborer une réglementation visant à assurer la bonne exécution du budget de l’Union dans les cas de violations de l’État de droit est couvert par son pouvoir d’appréciation dans l’exercice de l’activité législative.

143. En tout état de cause, une telle option ne saurait être qualifiée de « manifestement erronée ». Le respect des principes de l’État de droit peut revêtir une importance fondamentale pour le bon fonctionnement des finances publiques et pour la bonne exécution des budgets (91).

144. En résumé, la mise en place d’un mécanisme de conditionnalité financière lié à l’État de droit me paraît constituer une option législative plausible et ancrée dans le droit primaire.

2.      Le contenu du règlement 2020/2092

145. Pour savoir si le règlement 2020/2092 est couvert par l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, il convient en outre, conformément à la jurisprudence de la Cour, d’en examiner le contenu.

146. Cette analyse permettra de vérifier si le règlement 2020/2092 présente les éléments propres aux véritables mécanismes de conditionnalité financière (dans la droite ligne de ceux qui existent déjà en droit de l’Union) et, partant, de déterminer si l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE lui fournit une base juridique appropriée.

a)      Conditions d’adoption des mesures dans la procédure du règlement 2020/2092

147. Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, du règlement 2020/2092, « [d]es mesures appropriées sont prises lorsqu’il est établi, conformément à l’article 6, que des violations des principes de l’État de droit dans un État membre portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de l’Union, d’une manière suffisamment directe ».

148. Les parties à la procédure sont en désaccord quant à l’interprétation à donner à cette disposition :

–        Le gouvernement hongrois estime qu’elle établit une procédure en trois étapes au cours de laquelle il faut prouver : a) la violation de l’État de droit ; b) le risque grave et suffisamment direct pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union, et c) la nécessité de prendre des mesures proportionnées pour y faire face. À son avis, la base juridique de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE ne couvrirait pas la première de ces étapes.

–        Le Parlement et le Conseil contestent cette interprétation et considèrent que la procédure ne comporte que deux étapes : a) la preuve d’une violation de l’État de droit entraînant, de manière directe, un risque sérieux pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union, et b) l’adoption de mesures pour y faire obstacle. De cette manière, la conditionnalité ne s’appliquerait qu’à l’égard des violations de l’État de droit ayant une incidence directe sur l’exécution du budget de l’Union et d’une certaine gravité.

149. À mon avis, c’est cette dernière interprétation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement 2020/2092 qui est pertinente. La conditionnalité financière se limite aux violations de l’État de droit qui ont un lien suffisamment direct avec l’exécution budgétaire et qui portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union et à la protection des intérêts financiers de celle-ci.

150. L’interprétation littérale conduit à cette conclusion, puisque l’article 4, paragraphe 1, du règlement 2020/2092 exige l’existence d’un lien suffisamment direct entre la violation de l’État de droit et l’exécution budgétaire. C’est à cette condition que le mécanisme de conditionnalité pourra être activé, de sorte que le règlement 2020/2092 vise à répondre non pas à toutes les violations de l’État de droit, mais uniquement à celles qui ont un lien direct avec l’exécution budgétaire.

151. Dans le même sens, si l’article 2, sous a), du règlement 2020/2092 donne une définition de l’État de droit, il ne le fait que « [a]ux fins du présent règlement ». Certes, cette disposition définit l’« État de droit » d’une manière générale (en tant que valeur de l’Union consacrée par l’article 2 TUE) et ouverte, puisqu’elle le rattache aux principes énoncés par la suite, mais, je le répète, la portée de cette définition est soumise à la limitation que je viens de souligner.

152. Dans le même ordre d’idées, l’article 3 du règlement 2020/2092 énumère certains indices, « [a]ux fins du présent règlement », d’une violation des principes de l’État de droit.

153. L’interprétation systématique de l’article 4, paragraphe 1, du règlement 2020/2092 et d’autres articles de celui-ci m’amène également à considérer que la conditionnalité financière ne s’applique qu’à l’égard de violations graves de l’État de droit qui ont une incidence directe sur l’exécution du budget de l’Union.

154. Les indices de « violations des principes de l’État de droit » que cite, à titre d’exemples, l’article 3 du règlement 2020/2092 sont circonscrits, à l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement, à des domaines d’action des autorités nationales directement liés à l’exécution du budget de l’Union.

155. Les cas de figure visés à l’article 4, paragraphe 2, du règlement 2020/2092 correspondent, répétons-le, soit à des activités spécifiques d’exécution budgétaire, soit à des activités générales, pour autant que ces dernières impliquent un contrôle sur des activités d’exécution budgétaire.

156. Il est vrai que certaines activités générales mentionnées à l’article 4, paragraphe 2, du règlement 2020/2092 (92), prises isolément, ne devraient pas avoir d’incidence, en tant que telles, sur l’exécution du budget de l’Union, au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, et qu’elles ne sont pas non plus automatiquement liées à la bonne gestion financière (93) ou à la protection des intérêts financiers de l’Union.

157. Or, l’article 4, paragraphe 2, du règlement 2020/2092 prend soin de circonscrire l’étendue des activités d’ordre général à celles qui, mises en œuvre par les autorités nationales, sont liées à l’exécution budgétaire. Tel est le cas en ce qui concerne :

–        L’action des services d’enquête et de poursuites judiciaires, qui ne s’applique, dans ce cadre, qu’aux « violations du droit de l’Union concernant l’exécution du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union » [sous c)].

–        Le contrôle juridictionnel effectif par des juridictions indépendantes, pour autant qu’il soit exercé à l’égard d’actes ou d’omissions d’autorités nationales qui sont elles-mêmes chargées [selon les points a), b) et c) du même paragraphe] de l’exécution du budget de l’Union [sous d)].

–        La prévention et la sanction de la fraude, de la corruption et d’autres violations du droit de l’Union lorsque, de nouveau, elles concernent « l’exécution du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union » [sous e)].

158. S’agissant de la clause finale [sous h)], qui vise « d’autres situations ou comportements des autorités », ceux-ci ne peuvent relever du règlement 2020/2092 que si ces situations ou comportements « sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union ». La clause finale ne s’étend donc pas à des comportements sans rapport avec l’exécution budgétaire.

159. À mon avis, la technique utilisée par le législateur pour déterminer le champ et les conditions d’application du mécanisme en cause est appropriée en ce qu’elle impose le respect des principes de l’État de droit en tant que condition horizontale à l’exécution correcte du budget.

160. Les violations graves de ces principes qui permettront d’appliquer le mécanisme de conditionnalité sont celles résultant d’activités d’exécution du budget de l’Union ou d’activités générales des autorités étatiques qui sont directement liées à cette exécution budgétaire.

161. En tout état de cause, l’article 6, paragraphe 9, du règlement 2020/2092 requiert que la Commission expose les motifs spécifiques et apporte les preuves concrètes de l’existence d’une violation grave des principes de l’État de droit, directement liée à l’exécution du budget. C’est à cette seule condition qu’on pourra prendre des mesures appropriées à l’encontre de l’État membre défaillant.

162. L’interprétation téléologique et l’interprétation historique de l’article 4, paragraphe 1, du règlement 2020/2092 me conduisent également à conclure que la conditionnalité financière ne s’applique qu’à l’égard de violations de l’État de droit ayant une incidence directe sur l’exécution du budget de l’Union.

163. À cet égard, je souligne de nouveau l’utilité de tenir compte de l’évolution de la procédure législative ayant conduit à l’adoption du règlement 2020/2092.

164. Comme je l’ai déjà expliqué, la proposition initiale de la Commission visait davantage à protéger l’État de droit et reflétait dans une moindre mesure la conditionnalité financière du mécanisme. Grâce à l’intervention du Conseil, le texte final du règlement 2020/2092 s’est transformé, avec plus de clarté, en instrument de conditionnalité financière, dans le cadre duquel la sauvegarde de l’État de droit opère comme une condition horizontale que les États sont tenus de respecter lors de l’exécution budgétaire.

165. Un élément clé dans l’élaboration du texte législatif a été l’insertion, à l’article 4, paragraphe 1, du règlement 2020/2092, de l’exigence d’un lien suffisamment direct (94) entre l’exécution budgétaire et la violation des principes de l’État de droit (95).

166. L’introduction de cet élément, fortement critiqué par une partie de la doctrine (96), entraîne une certaine réduction du champ d’application de la proposition initiale de la Commission. Dans sa version finale, le mécanisme de la conditionnalité financière est strictement lié à l’exécution du budget de l’Union, de sorte à ne pas empiéter sur l’article 7 TUE et à ce que cet acte normatif puisse relever de la base juridique de l’article 322 TFUE (97).

167. Le lien suffisamment direct garantit que le mécanisme de conditionnalité ne s’appliquera pas à toute violation grave de l’État de droit, mais uniquement à celles qui, en plus de présenter ce caractère, sont étroitement liées à l’exécution budgétaire (98). Il appartient à la Commission de démontrer ce lien avant de proposer des mesures correctives, et la preuve qu’elle doit apporter ne comporte aucun automatisme, quelle que soit la gravité de la violation des principes de l’État de droit.

168. Le considérant 13 du règlement 2020/2092 souligne ce lien en affirmant qu’« [i]l existe donc un lien manifeste entre le respect de l’État de droit et la bonne exécution du budget de l’Union, conformément aux principes de bonne gestion financière ».

169. En résumé, l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement 2020/2092 au regard des critères d’interprétation littéral, systématique, téléologique et historique m’amène à considérer que ce règlement instaure un mécanisme de conditionnalité financière uniquement applicable aux violations graves de l’État de droit qui ont une incidence directe sur l’exécution du budget de l’Union. Ainsi entendu, le règlement 2020/2092 trouve une base juridique suffisante dans l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.

170. Cette constatation n’est pas remise en cause par l’argument du gouvernement hongrois relatif à la (prétendue) contradiction entre les dispositions du règlement financier sur les conflits d’intérêts (article 61) (99) et l’article 3, sous b), du règlement 2020/2092, qui qualifie d’« élément indicatif d’une violation des principes de l’État de droit », notamment, le fait pour les autorités nationales de ne pas veiller à « l’absence de conflits d’intérêts ».

171. Comme le relève le Conseil, l’application du règlement 2020/2092 est subsidiaire par rapport à celle des autres règles financières de l’Union. L’article 6, paragraphe 1, du règlement 2020/2092 prévoit que la Commission enclenche le mécanisme « à moins qu’elle ne considère que d’autres procédures prévues par la législation de l’Union lui permettraient de protéger le budget de l’Union d’une manière plus efficace » (100).

172. Cela signifie que la procédure de résolution des conflits d’intérêts prévue à l’article 61 du règlement financier s’appliquera à des cas ponctuels et que le mécanisme du règlement 2020/2092 ne sera déployé que si le fonctionnement d’une autorité de l’État membre intervenant dans l’exécution du budget de l’Union se trouve compromis par des conflits d’intérêts particulièrement graves.

b)      Critères d’adoption des mesures dans le cadre de la procédure du règlement 2020/2092

173. Le gouvernement hongrois soutient que les mesures que les institutions de l’Union peuvent adopter en application du règlement 2020/2092 sont en réalité des sanctions contre la violation des règles de l’État de droit, et non de véritables « mesures » de protection du budget de l’Union. La base juridique de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE serait ainsi inappropriée.

174. C’est ce qui, selon lui, ressort du considérant 18 et de l’article 5, paragraphe 3, du règlement 2020/2092, qui énoncent des critères de modulation de ces mesures en s’attachant davantage à la violation en tant que telle (c’est-à-dire à sa nature, sa durée, sa gravité et sa portée, outre la prise en considération de l’« intention » de l’État membre) qu’à la protection du budget de l’Union.

175. Le Conseil et le Parlement rétorquent que l’article 5, paragraphe 3, du règlement 2020/2092 établit une hiérarchie de critères, parmi lesquels se trouvent la proportionnalité et « l’incidence réelle ou potentielle des violations des principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de l’Union ». Quant à « la nature, la durée, la gravité et la portée des violations des principes de l’État de droit », il s’agit d’éléments d’appréciation subsidiaire. Le critère de l’intention de l’État défaillant, mentionné au considérant 18, n’aurait pas de valeur normative.

176. À mon avis, le libellé de l’article 5, paragraphe 3, et celui du considérant 18 du règlement 2020/2092 ne coïncident pas parfaitement. Ce dernier semble attribuer un caractère subsidiaire, lors de l’adoption desdites mesures, au critère relatif aux « effets sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou les intérêts financiers de l’Union ».

177. Toutefois, je suis d’avis que l’interprétation systématique de l’article 5, paragraphe 3, du règlement 2020/2092 permet de conclure que l’adoption de mesures doit être régie, avant tout, par la proportionnalité et par les incidences réelles ou potentielles de la violation des principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de l’Union. La nature propre des mesures est ainsi préservée, celles-ci n’étant pas des sanctions infligées en raison d’une violation des principes de l’État de droit (101).

178. La nature, la durée, la gravité et la portée de la violation des principes de l’État de droit commise par l’État défaillant ne peuvent servir qu’à déterminer l’incidence des actions de ce dernier sur l’exécution du budget de l’Union.

179. En vertu de cette interprétation, l’article 5, paragraphe 3, du règlement 2020/2092 relève de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, car les mesures qu’il prévoit sont, redisons-le, des mesures de correction budgétaire et non des sanctions à l’encontre de l’État membre défaillant.

180. Le gouvernement hongrois doute que le contenu de la dernière phrase de l’article 5, paragraphe 3, du règlement 2020/2092 soit compatible avec cette base juridique (« [l]es mesures ciblent, dans la mesure du possible, les actions de l’Union auxquelles les violations portent atteinte »). Une conditionnalité « croisée » serait ainsi admise, allant au-delà de celle qui concerne la protection du budget de l’Union.

181. L’explication du Conseil, qui s’appuie sur le principe de proportionnalité, me semble convaincante. L’admission exceptionnelle de la conditionnalité financière « croisée » s’explique par le fait que certaines violations des principes de l’État de droit commises par les autorités nationales sont susceptibles d’affecter un très large nombre de secteurs, et il serait disproportionné d’adopter des mesures financières correctives dans tous ces secteurs. Comme l’a remarqué le Conseil à l’audience, il peut également y avoir des cas dans lesquels les violations des principes de l’État de droit sont connues après l’exécution intégrale de certains programmes de dépenses de l’Union et où la correction financière n’est pas réalisable. Dans une telle hypothèse, cette correction pourrait porter sur d’autres programmes de dépenses en cours, dans le but d’assurer l’effectivité du mécanisme de conditionnalité (102).

182. Ainsi comprise, cette admission exceptionnelle d’une conditionnalité financière « croisée » (qui implique la possibilité de ne pas étendre la correction à tous les secteurs concernés par la violation de l’État de droit ou de l’étendre à des dépenses inscrites au budget de l’Union en cours) ne contredit pas la nature budgétaire du mécanisme et demeure compatible avec l’article 322 TFUE.

c)      Critères présidant à la levée des mesures dans le cadre de la procédure du règlement 2020/2092

183. L’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement 2020/2092 prévoit la levée des mesures, à la demande de l’État ou sur proposition de la Commission, lorsque les conditions de leur adoption cessent d’exister.

184. Cela signifie que la persistance des effets ou du risque d’incidence sur l’exécution du budget de l’Union est indispensable pour que les mesures correctives de conditionnalité financière adoptées soient maintenues.

185. Comme l’affirme le Conseil, lorsque l’incidence sur l’exécution budgétaire cesse, les mesures correctives sont levées, même si la violation des principes de l’État de droit par l’État membre persiste. Comme l’a souligné le Parlement à l’audience, cette possibilité de lever les mesures n’existe pas dans le cas des sanctions.

186. Ainsi, il apparaît (en réalité, il est confirmé) que le mécanisme de conditionnalité applique des corrections financières, et non pas des sanctions, pour la violation des principes de l’État de droit.

d)      Protection des bénéficiaires dans la procédure du règlement 2020/2092

187. L’article 5, paragraphe 2, du règlement 2020/2092 (103), lu à la lumière du considérant 19, introduit une garantie pour les destinataires finaux ou les bénéficiaires des programmes de dépenses financés par le budget de l’Union.

188. L’adoption de mesures de conditionnalité financière lorsqu’un État viole les principes de l’État de droit ne doit pas porter préjudice aux bénéficiaires finaux des fonds, qui doivent continuer à les recevoir. En outre, l’État a l’obligation de faire régulièrement rapport à la Commission à propos du respect de cette obligation.

189. Selon le gouvernement hongrois, en cas de correction financière, l’État membre concerné devra prendre en charge le paiement des fonds aux bénéficiaires, et ce à charge de son propre budget. Le règlement 2020/2092 imposerait donc aux États des obligations relatives à leur budget national, ce qui n’est pas prévu par l’article 322 TFUE.

190. Le Conseil rétorque que l’article 5, paragraphe 2, du règlement 2020/2092 a un effet déclaratif et n’impose pas à l’État membre des obligations supplémentaires par rapport à celles prévues par « la réglementation sectorielle et financière applicable ». En réalité, il n’ajouterait qu’une modalité de contrôle du respect des obligations déjà existantes dans des réglementations sectorielles, afin de protéger les bénéficiaires des fonds du budget de l’Union en cas de corrections financières.

191. À mon avis, l’argumentation du gouvernement hongrois doit être rejetée, car la protection des bénéficiaires prévue à l’article 5, paragraphe 2, du règlement 2020/2092 est une mesure typique et logique dans la gestion partagée des fonds du budget de l’Union.

192. Comme le précise le considérant 19 du règlement 2020/2092, « [...] dans le cadre de la gestion partagée, les paiements de la Commission aux États membres sont juridiquement indépendants des paiements effectués par les autorités nationales aux bénéficiaires ».

193. Il est déduit de cette prémisse que les mesures adoptées en vertu du règlement 2020/2092 n’affectent pas « la disponibilité de fonds aux fins des paiements en faveur des bénéficiaires dans les délais de paiement fixés par la réglementation sectorielle et financière applicable [...] [L]es obligations à l’égard des destinataires finaux ou des bénéficiaires énoncées dans le présent règlement font partie du droit de l’Union applicable en ce qui concerne l’exécution des financements en gestion partagée ».

194. En raison de la dissociation entre les paiements de la Commission à l’État membre et les paiements des autorités nationales de gestion aux bénéficiaires des programmes et des fonds financés par le budget de l’Union, il est logique d’imposer, en règle générale, une obligation pour les États de maintenir les paiements aux bénéficiaires, y compris en cas de correction financière adoptée par l’Union.

195. De surcroît, la correction financière perdrait son efficacité si les autorités nationales pouvaient exiger des bénéficiaires le remboursement des fonds reçus, ou si les fonds engagés ne leur étaient pas versés, dès lors que les institutions de l’Union approuvent une mesure de protection de leur budget du fait de l’existence d’une violation des principes de l’État de droit ayant une incidence sur la gestion de ces fonds.

196. Dans ces cas, la correction financière adoptée par les institutions de l’Union doit être supportée par l’État membre défaillant et non pas répercutée sur les bénéficiaires des fonds, qui sont étrangers à cette infraction (104).

197. Les corrections financières ne peuvent être opérées au détriment des personnes physiques et morales d’un État membre que si celles‑ci sont responsables des violations des règles du droit de l’Union régissant l’attribution des fonds du budget de l’Union, ce qui, répétons-le, n’est pas le cas lors de l’application du règlement 2020/2092.

198. En revanche, si la responsabilité des infractions incombe aux autorités nationales, celles-ci doivent faire face aux conséquences de leurs actes qui ont motivé les mesures correctives (105), ainsi qu’il en va lors de l’application du règlement 2020/2092.

199. L’article 103 du règlement sur les dispositions communes 2021‑2027 s’inscrit dans cette même logique lorsqu’il régit les corrections financières appliquées par les États membres (106). La protection des bénéficiaires finaux est également prévue à l’article 11 du règlement (UE) no 1306/2013 (107).

200. En définitive, la garantie instaurée par l’article 5, paragraphe 2, du règlement 2020/2092 en faveur des bénéficiaires finaux s’inscrit sans difficulté dans un mécanisme de conditionnalité financière et est liée à l’exécution du budget de l’Union, de sorte qu’elle est suffisamment couverte par l’article 322 TFUE.

201. J’estime donc que le premier moyen du recours doit être rejeté.

VI.    Deuxième moyen du recours : violation de l’article 7 TUE et violation combinée de l’article 4, paragraphe 1, TUE, de l’article 5, paragraphe 1, TUE, de l’article 13, paragraphe 2, TUE et de l’article 269 TFUE

202. Par son deuxième moyen, le gouvernement hongrois dénonce deux violations des traités :

–        celle de l’article 7 TUE ;

–        celle de l’article 269 TFUE et du principe de l’équilibre institutionnel établi à l’article 13, paragraphe 2, TUE.

203. S’agissant de la prétendue violation de l’article 7 TUE, le gouvernement hongrois la met en rapport avec celle du principe d’attribution des compétences de l’article 4, paragraphe 1, TUE et de l’article 5, paragraphe 2, TUE, en raison de l’inadéquation de la base juridique sur laquelle s’appuie le règlement 2020/2092. En tant qu’il reprend ainsi des arguments déjà formulés au sujet du premier moyen de nullité, je renvoie aux considérations que j’ai déjà exposées à propos de ceux‑ci.

A.      Première branche du deuxième moyen : violation de l’article 7 TUE

1.      Argumentation des parties

204. Le gouvernement hongrois fait valoir que la procédure du règlement 2020/2092 n’est qu’une concrétisation de celle prévue à l’article 7 TUE, ce que ne permet ni cet article ni aucune autre disposition de droit primaire. Deux des trois étapes de cette procédure coïncideraient avec celles du mécanisme de l’article 7 TUE, dont les conditions de déclenchement sont plus rigoureuses que celles présidant à l’adoption des mesures sur la base du règlement attaqué.

205. Selon le gouvernement hongrois, l’objectif du règlement 2020/2092 coïncide avec celui de l’article 7 TUE, puisqu’il vise à réprimer les violations des principes de l’État de droit en imposant des sanctions. Il estime que cette conclusion est attestée par l’absence de véritable mécanisme de conditionnalité ; l’absence de lien réel entre les violations des principes de l’État de droit et le budget de l’Union ; le fait que les mesures présentent un rapport avec celles applicables aux violations de l’État de droit plutôt qu’avec le budget de l’Union ; la prise en compte de l’intention de l’État membre en tant qu’élément d’appréciation pertinent, et le fait que la levée des mesures est liée à la cessation des violations.

206. Le Parlement et le Conseil contestent ces arguments en soutenant que le mécanisme du règlement 2020/2092 est indépendant de la procédure de l’article 7 TUE, qu’il poursuit des objectifs distincts et qu’il est régi par des règles différentes. Son but est de protéger le budget de l’Union et non de sanctionner les violations de l’État de droit. Les conditions d’adoption des mesures et leur typologie diffèrent de celles prévues à l’article 7 TUE.

2.      Appréciation

207. Afin de déterminer si le règlement 2020/2092 instaure une procédure compatible avec celle de l’article 7 TUE, il convient d’abord de clarifier si ce dernier est la seule voie dont dispose l’ordre juridique de l’Union pour protéger la valeur de l’État de droit.

a)      Absence d’exclusivité de l’article 7 TUE pour la protection de l’État de droit

208. À mon avis, l’article 7 TUE n’autoriserait pas le législateur de l’Union à mettre en place, au moyen de règles de droit dérivé, un autre mécanisme analogue, fût-il allégé dans ses exigences matérielles et procédurales, qui aurait le même objectif de protection de l’État de droit et imposerait des sanctions similaires.

209. Cela ne signifie toutefois pas que la protection de l’État de droit ne pourrait être assurée que par l’article 7 TUE (108). Rien ne s’oppose à ce que cette protection soit assurée par des instruments autres que celui de l’article 7 TUE, pour autant que leurs caractéristiques essentielles diffèrent de celles de ce dernier.

210. Les principes de l’État de droit ont, comme le relève le Conseil, une valeur structurelle dans l’ordre juridique de l’Union, de sorte que leur violation est susceptible de lui porter gravement atteinte (109). C’est ainsi que, notamment dans sa jurisprudence relative à l’indépendance judiciaire (110) et au mandat d’arrêt européen (111), la Cour a mis l’accent sur les valeurs de l’article 2 TUE et admis que celles-ci pouvaient être protégées par des normes de droit dérivé, sans passer par les dispositions de l’article 7 TUE. La Cour s’est également fondée sur la protection de l’État de droit pour reconnaître aux pays tiers la qualité pour agir en annulation (112).

211. S’agissant des mandats d’arrêt européens, l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser leur exécution dans le cas où le Conseil européen et le Conseil n’ont pas adopté les décisions visées à l’article 7 TUE, dès lors qu’elle dispose d’éléments témoignant de défaillances systémiques ou généralisées concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire dans l’État membre d’émission et s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que cette personne court, en cas de remise à ce dernier État membre, un risque réel de violation de son droit fondamental à un procès équitable, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte (113).

212. Il apparaît ainsi que, dans ces hypothèses, la Cour utilise l’un des principes de l’État de droit pour identifier une exception à l’arrestation et à la remise de la personne recherchée, sans passer par la procédure visée à l’article 7 TUE.

213. Il en va de même en ce qui concerne la protection de l’indépendance des juges nationaux chargés d’appliquer le droit de l’Union, que la Cour a défendue en faisant, là encore, appel à la valeur de l’État de droit (114), même s’il n’avait pas été fait usage de l’article 7 TUE.

214. Le respect par un État membre des valeurs consacrées à l’article 2 TUE constitue une condition pour la jouissance des droits découlant de l’application des traités à cet État membre. Un État membre ne saurait donc modifier sa législation de manière à provoquer une réduction de la protection de la valeur de l’État de droit, concrétisée notamment par l’article 19 TUE. Les États membres sont tenus d’éviter toute régression, au regard de cette valeur, de leur législation en matière d’organisation de la justice en s’abstenant d’adopter des règles qui viendraient porter atteinte à l’indépendance des juges (115).

215. Ces exemples tirés de la jurisprudence de la Cour relative à la protection de la valeur de l’État de droit attestent de la compatibilité avec le droit primaire des règles émanant des institutions de l’Union qui, dans des domaines spécifiques, visent à réagir (sans nécessairement passer par le mécanisme de l’article 7 TUE) contre certaines atteintes à ladite valeur qui ont une incidence sur la gestion budgétaire.

216. Dès lors que ces violations ont une incidence sur l’exécution du budget de l’Union par les États membres, rien ne s’oppose, j’insiste sur ce point, à ce que le législateur de l’Union approuve une norme (telle que le règlement 2020/2092) afin de préserver ce budget, sans que cela l’amène pour autant à entrer en conflit avec l’application de l’article 7 TUE ou à contourner celle-ci.

b)      Comparaison de la procédure de l’article 7 TUE avec celle du règlement 2020/2092

217. L’analyse du règlement 2020/2092 permet de déterminer si la procédure que celui-ci met en place correspond à un véritable mécanisme de conditionnalité financière, à l’image de ceux qui existent déjà en droit de l’Union, ou s’il s’agit plutôt d’un instrument visant à sanctionner les violations des principes de l’État de droit, à l’instar de celui établi à l’article 7 TUE.

218. J’ai déjà mené une telle analyse, en ce qui concerne la base juridique du règlement 2020/2092, en examinant le moyen d’annulation précédent. J’en déduis qu’il y a lieu de rejeter les arguments du gouvernement hongrois relatifs à la nature de la conditionnalité, laquelle, selon lui, aurait davantage pour objet de lutter contre les violations de l’État de droit que de protéger le budget de l’Union.

219. Je compléterai maintenant mon exposé en me référant à la jurisprudence de la Cour relative aux différences entre les mécanismes de conditionnalité financière (116) et les recours en manquement, dont les rapports fournissent, par analogie, certains éléments d’appréciation valables aux fins de la présente affaire. Ces deux procédures sont indépendantes l’une de l’autre, parce qu’elles poursuivent des objectifs différents et sont régies par des règles distinctes.

220. Parmi ces différences, il convient de souligner les suivantes :

–        Dans le cadre des recours introduits au titre de l’article 258 TFUE, la Commission reste libre, lorsque l’État membre a mis fin au manquement allégué, de renoncer à la poursuite de la procédure, alors que tel n’est pas le cas, par exemple, en ce qui concerne la procédure d’apurement des comptes du FEOGA, où la Commission ne jouit pas d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de déroger aux règles régissant cette répartition des charges (117).

–        Dans le cadre de la procédure d’apurement des comptes du FEOGA, la Commission a l’obligation de procéder à une correction financière si les dépenses dont le financement est demandé n’ont pas été effectuées conformément aux règles de l’Union. Une telle correction financière tend à éviter la mise à charge du FEOGA de montants n’ayant pas servi au financement d’un objectif poursuivi par la réglementation de l’Union en cause et ne constitue donc pas une sanction (118).

–        Les procédures de suspension ou de réduction du concours financier des fonds structurels de l’Union à des actions nationales sont indépendantes de celle prévue à l’article 258 TFUE, dont les modalités sont différentes. Si la Commission décide de ne pas engager une procédure en manquement ou de renoncer à la poursuite de celle-ci, il n’en résulte pas qu’elle se trouve dans l’impossibilité de suspendre ou de réduire le concours financier de l’Union à une action nationale, notamment lorsque l’une ou plusieurs des conditions auxquelles ce financement devait satisfaire n’ont pas été respectées. Pour cela, il faut que la Commission adopte une décision qui, il est vrai, doit tenir compte de la procédure en manquement engagée au titre de l’article 258 TFUE ou de la constatation d’un tel manquement par la Cour (119).

–        À la différence de l’engagement d’une procédure en manquement, une décision de suspension ou de réduction du financement de l’Union constitue un acte faisant grief à son destinataire, susceptible d’un recours juridictionnel devant les juridictions de l’Union (120).

221. Cette jurisprudence a servi à légitimer des clauses de conditionnalité subordonnant le paiement de fonds du budget de l’Union au respect d’obligations horizontales, telles que le bon fonctionnement des systèmes nationaux de gestion et de contrôle des fonds, qui contribuent à la bonne gestion financière du budget de l’Union. Il en va de même en présence de défaillances systémiques dans le fonctionnement des autorités nationales d’exécution du budget de l’Union (121).

222. À la lumière de cette jurisprudence, il convient de vérifier si le mécanisme de l’article 7 TUE diffère de celui instauré par le règlement 2020/2092.

223. S’agissant de l’adoption des mesures, l’article 7 TUE subordonne celle-ci à la constatation de l’existence d’une violation grave et persistante, par un État membre, des valeurs visées à l’article 2 TUE. L’article 4, paragraphe 1, du règlement 2020/2092 ne vise toutefois que la violation par un État membre des principes de l’État de droit qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de l’Union.

224. Le seuil d’application de l’article 7 TUE est plus strict que celui du règlement 2020/2092, puisqu’il impose l’existence d’une violation grave et persistante de l’une quelconque des valeurs visées à l’article 2 TUE (non pas seulement de l’État de droit).

225. L’article 7 TUE ne requiert pas l’existence d’un lien suffisamment direct avec un domaine spécifique du droit de l’Union, comme le fait le règlement 2020/2092 en exigeant que la violation de l’État de droit soit liée à l’exécution du budget de l’Union. L’application du règlement 2020/2092 est donc beaucoup plus limitée que celle de l’article 7 TUE.

226. S’agissant des conditions d’adoption des mesures, c’est à d’autres instruments de conditionnalité financière et d’exécution budgétaire, et non à celui de l’article 7 TUE, que s’apparente le mécanisme du règlement 2020/2092. Cette similitude avec lesdits instruments de conditionnalité financière et non avec celui de l’article 7 TUE se reflète, par exemple, dans :

–        Le règlement financier, dont l’article 131, paragraphe 3, autorise la suspension du paiement de fonds lorsque l’exécution de l’engagement juridique se révèle entachée d’irrégularités, de fraude ou d’une violation d’obligations, ou qu’il est nécessaire de vérifier si le soupçon à ce propos est fondé, ou lorsque toute irrégularité, fraude ou violation d’obligations remet en question la fiabilité ou l’efficacité des systèmes de contrôle interne de la personne ou de l’entité qui exécute des fonds de l’Union ou la légalité et la régularité des opérations sous‑jacentes.

–        Le règlement sur les dispositions communes 2021‑2027, qui reprend dans des termes analogues la possibilité de suspendre des paiements (article 97, paragraphe 1), et de procéder à des corrections financières (article 104, paragraphe 1). 

227. De même, s’agissant de la conditionnalité macroéconomique prévue par le règlement 2021/241, les mesures correctives sont, aux termes de l’article 10 dudit règlement, adoptées « [...] lorsque le Conseil décide, conformément à l’article 126, paragraphe 8 ou paragraphe 11, [TFUE] qu’un État membre n’a pas engagé d’actions suivies d’effets pour corriger son déficit excessif, à moins qu’il n’ait constaté l’existence d’une grave récession économique dans l’ensemble de l’Union [...] ».

228. En ce qui concerne les types de mesures, le règlement 2020/2092 se rapproche aussi davantage des mécanismes de conditionnalité du règlement financier et d’autres règles de l’Union que de la procédure prévue à l’article 7 TUE.

229. L’article 7 TUE prévoit, à son paragraphe 3, que le Conseil peut décider de suspendre « certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question ». Les actions dont dispose à ce titre le Conseil vont bien au‑delà de celles qui sont liées à l’exécution du budget de l’Union et que prévoit l’article 5, paragraphe 1, du règlement 2020/2092 (122). Ces dernières (suspensions de programmes, d’engagements et de paiements, entre autres) sont celles qui sont typiques du droit de l’Union en matière d’exécution budgétaire.

230. S’agissant des critères de sélection des mesures, ceux établis par le règlement 2020/2092 correspondent dans l’ensemble à ceux prévus par la réglementation financière de l’Union et se démarquent de la procédure de l’article 7 TUE, dont le paragraphe 3 indique que, lors de l’adoption des mesures, le Conseil tient compte des conséquences éventuelles d’une telle suspension sur les droits et obligations des personnes physiques et morales.

231. Sur ce point, je renvoie à l’analyse de l’article 5, paragraphe 3, du règlement 2020/2092 que j’ai développée dans le cadre du précédent moyen en ce qui concerne le principe de proportionnalité en tant que critère de modulation des mesures, conjointement avec les critères tenant à la nature, la gravité et la fréquence des irrégularités, ainsi que conjointement avec celui tiré de leurs incidences financières sur le budget de l’Union.

232. Ces mêmes critères et celui du lien avec la régularité des dépenses figurent également dans les règles financières de l’Union (123). La procédure de conditionnalité macroéconomique de la facilité pour la reprise et la résilience inclut, outre celui de la proportionnalité, d’autres critères spécifiques, à caractère social ou économique (124).

233. En ce qui concerne la levée des mesures, l’article 7, paragraphe 4, TUE prévoit que le Conseil peut décider de modifier les mesures qu’il a prises au titre du paragraphe 3 ou d’y mettre fin pour répondre à des changements de la situation qui les avait inspirées.

234. L’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement 2020/2092 applique un critère analogue, mais lié à la condition que la violation des principes de l’État de droit ait une incidence sur la bonne exécution du budget de l’Union. Ce n’est que dans cette hypothèse que la levée des mesures de correction financière est subordonnée à la condition que l’État membre remédie à de telles violations (125).

235. La même logique se retrouve à l’article 10, paragraphe 6, du règlement 2021/241. Les règles financières générales de l’Union suivent un schéma similaire pour la levée des mesures, lorsqu’il y a suspension provisoire ou correction financière provisoire (126).

236. En résumé, les conditions d’adoption, les types de mesures, les critères de sélection et les critères de levée des mesures rapprochent le mécanisme du règlement 2020/2092 des règles financières de l’Union et le différencient de la procédure prévue à l’article 7 TUE.

237. J’estime donc que la première branche du deuxième moyen du recours doit être rejetée.

B.      Seconde branche du deuxième moyen : violation du principe de l’équilibre institutionnel et de l’article 269 TFUE

1.      Argumentation des parties

238. Selon le gouvernement hongrois, le règlement 2020/2092 viole le principe de l’équilibre institutionnel prévu à l’article 13, paragraphe 2, TUE ainsi que l’article 269 TFUE en ce qui concerne la compétence de la Cour.

239. Le gouvernement hongrois considère que la procédure du règlement 2020/2092 – plus facile, plus rapide et plus efficace que celle de l’article 7 TUE pour sanctionner les violations des principes de l’État de droit – modifie l’équilibre institutionnel que sous-tend ledit article 7, de même, partant, que celui de l’article 13 TUE, au détriment de l’État membre concerné. En outre, elle instaurerait un contrôle sans limitation de la part de la Cour, bien plus intense que celui prévu par l’article 269 TFUE.

240. Le Parlement et le Conseil contestent ces arguments. La procédure établie par le règlement 2020/2092 ne viole pas le principe de l’équilibre institutionnel, car elle est comparable à celle adoptée par d’autres règles financières de l’Union. En outre, la limitation du contrôle de la Cour prévue à l’article 269 TFUE n’est selon eux pas applicable aux mécanismes de conditionnalité financière.

2.      Appréciation

241. Le gouvernement hongrois avance deux arguments qui aboutiraient à l’annulation du règlement 2020/2092 : a) celui relatif à la mise en place d’une procédure décisionnelle parallèle à celle de l’article 7 TUE, qui fausserait l’équilibre institutionnel fixé dans celui-ci et à l’article 13, paragraphe 2, TUE ; et b) celui relatif à l’incompatibilité entre le contrôle juridictionnel illimité de la Cour sur les mesures prises au titre du règlement 2020/2092 et celui, plus restreint, prévu par l’article 269 TFUE.

a)      La procédure décisionnelle du règlement 2020/2092 comparée à celle de l’article 7 TUE

242. L’article 7 TUE instaure un système rigide d’adoption des décisions, comportant des modalités de vote spécifiques (127). Les modalités diffèrent selon que la constatation porte sur un simple risque de violation grave des valeurs visées à l’article 2 TUE ou sur l’existence d’une telle violation.

243. Dans le premier cas (risque de violation) :

–        Le pouvoir de proposition appartient à un tiers des États membres, au Parlement ou à la Commission.

–        Le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2. Avant de procéder à cette constatation, le Conseil entend l’État membre en question et peut lui adresser des recommandations, en statuant selon la même procédure.

244. Dans le second cas (existence d’une violation) :

–        Le Conseil européen, statuant à l’unanimité sur proposition d’un tiers des États membres ou de la Commission et après approbation du Parlement, peut constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2, après avoir invité cet État membre à présenter toute observation en la matière.

–        Lorsque cette constatation a été faite, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question. Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider par la suite de modifier les mesures qu’il a prises ou d’y mettre fin, pour répondre à des changements de la situation qui l’a conduit à imposer ces mesures.

245. L’article 7 TUE prévoit donc deux votes au sein du Conseil, l’un à la majorité des quatre cinquièmes et l’autre à la majorité qualifiée, ainsi qu’un vote, cette fois unanime, au sein du Conseil européen, sans que l’État membre concerné puisse y participer. C’est une procédure facultative, dont les différentes étapes ne sont pas soumises à des délais. Elle se déroule essentiellement au sein du Conseil, à l’exception de la proposition motivée, dont l’initiative appartient à un tiers des États membres, au Parlement ou à la Commission.

246. Le règlement 2020/2092 s’écarte de ce schéma et se rapproche des procédures visées à l’article 258 TFUE :

–        L’initiative appartient exclusivement à la Commission, qui la prend lorsqu’elle constate qu’il existe des motifs raisonnables de considérer que les conditions énoncées à l’article 4 du règlement 2020/2092 sont remplies.

–        La Commission adresse « une notification écrite à l’État membre concerné exposant les éléments factuels et les motifs précis sur lesquels reposent ses constatations » (article 6, paragraphe 1).

–        Dans le délai indiqué par la Commission, l’État membre « fournit les informations nécessaires et peut formuler des observations », dans lesquelles il peut « proposer l’adoption de mesures correctives pour répondre aux constatations exposées dans la notification de la Commission » (article 6, paragraphe 5).

–        La Commission évalue les informations reçues et les observations de l’État membre, ainsi que le caractère adéquat des mesures correctives. Si elle a « l’intention de soumettre une proposition [au Conseil], elle donne [...] à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations, en particulier sur la proportionnalité des mesures envisagées » (article 6, paragraphes 6 et 7).

–        Si la Commission persiste dans son intention, elle présente au Conseil une proposition de décision d’exécution indiquant les motifs précis et les éléments concrets sur lesquels elle a fondé ses constatations (article 6, paragraphe 9).

–        Le Conseil soit adopte la décision d’exécution de la proposition de la Commission, soit, en statuant à la majorité qualifiée, peut la modifier « et adopter le texte modifié au moyen d’une décision d’exécution » (article 6, paragraphe 11).

247. Le règlement 2020/2092 prévoit ainsi une phase préliminaire que gère la Commission et qui comprend deux cycles de consultations avec l’État concerné, à l’instar de ce qui se passe pour les recours en manquement. La procédure est contraignante pour la Commission et toutes ses étapes sont soumises à des délais. Il y a un vote au sein du Conseil, à la majorité qualifiée, auquel l’État concerné est autorisé à participer.

248. Par rapport à la procédure de l’article 7 TUE, celle du règlement 2020/2092 est moins rigide et permet de prendre plus facilement des mesures correctives selon les modalités qui viennent d’être exposées.

249. Le Conseil soutient que cette procédure respecte le principe de l’équilibre institutionnel et qu’elle se rapproche de celle utilisée pour d’autres actes budgétaires de l’Union sur le fondement de l’article 317, second alinéa, TFUE et de l’article 291, paragraphe 2, TFUE.

250. Cet argument se heurte toutefois à deux difficultés tenant à l’attribution de compétences d’exécution au Conseil et à l’intervention du Conseil européen dans des situations exceptionnelles.

251. L’attribution de compétences d’exécution au Conseil tient à « l’importance des incidences financières des mesures adoptées en vertu [du règlement 2020/2092] » (128). Or, il pourrait être douteux que cette attribution soit conforme à l’article 317 TFUE, en vertu duquel la Commission est seule à exécuter, sous sa propre responsabilité, le budget de l’Union en coopération avec les États membres.

252. Un acte normatif tel que le règlement 2020/2092, qui a pour base juridique l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE et qui fixe des règles financières d’exécution du budget de l’Union, peut-il conférer au Conseil la compétence pour exécuter ces règles ? La jurisprudence de la Cour aide à répondre à cette question (129). Comme l’a fait valoir le Conseil à l’audience, il est possible de faire la distinction entre l’exécution du budget au sens strict (exécution des engagements de dépenses), que l’article 317 TFUE attribue à la Commission, et l’exécution du budget au sens large, que couvre l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE par sa référence aux règles financières relatives à l’établissement et à l’exécution du budget. Celles-ci encadrent l’action ultérieure de la Commission dans la mise en œuvre des engagements de dépenses. S’agissant de ces règles financières, l’article 322 TFUE ne contient aucune réserve en faveur de la Commission. L’intervention du Conseil dans la mise en œuvre des règles financières relatives à l’adoption et à l’exécution du budget est donc possible, par la voie de l’article 291 TFUE, à condition que cette intervention soit justifiée (130), justification qu’apporte en l’espèce le considérant 20 du règlement 2020/2092.

253. En effet, l’article 291 TFUE, qui s’insère dans le titre du traité FUE consacré aux « actes juridiques de l’Union », prévoit les dispositions suivantes :

–        Conformément à son paragraphe 1, les États membres prennent toutes les mesures de droit interne nécessaires pour la mise en œuvre des actes juridiquement contraignants de l’Union.

–        Aux termes de son paragraphe 2, « [l]orsque des conditions uniformes d’exécution des actes juridiquement contraignants de l’Union sont nécessaires, ces actes confèrent des compétences d’exécution à la Commission ou, dans des cas spécifiques dûment justifiés [...], au Conseil ».

254. Cette disposition autorise à conférer tant à la Commission qu’au Conseil des compétences d’exécution normative qui reviendraient sinon aux États membres. L’un des cas spécifiques dans lesquels la nécessité d’assurer des conditions uniformes d’exécution peut justifier l’attribution de telles compétences au Conseil est celui concernant l’exécution budgétaire, entendue au sens large.

255. Comme l’a fait valoir le Conseil, d’autres règles financières de l’Union lui confèrent également des compétences d’exécution budgétaire. Tel est le cas de l’article 19, paragraphes 6, 7, 8, 11 et 13, du règlement sur les dispositions communes 2021‑2027, qui confère au Conseil le pouvoir d’adopter des mesures d’exécution en lien avec le mécanisme de conditionnalité qui y est établi. Il en va de même pour ce qui concerne le règlement 2021/241, aux termes duquel :

–        « Une proposition présentée par la Commission en vue d’une décision de suspension des engagements est réputée adoptée par le Conseil à moins que le Conseil ne décide, par la voie d’un acte d’exécution, de rejeter une telle proposition à la majorité qualifiée dans un délai d’un mois à compter de la présentation de la proposition de la Commission » (article 10, paragraphe 3).

–        « Sur proposition de la Commission, le Conseil approuve, par la voie d’une décision d’exécution, l’évaluation du plan pour la reprise et la résilience présenté par l’État membre [...] » (article 20).

256. L’on peut donc considérer que le mécanisme de conditionnalité financière du règlement 2020/2092 correspond à l’un de ces « cas spécifiques dûment justifiés » qui admettent l’octroi de compétences d’exécution au Conseil.

257. Quant à la participation du Conseil européen à la procédure décisionnelle du règlement 2020/2092, elle n’est prévue qu’à son considérant 26 (131) et n’a pas été incorporée dans ses articles (même si elle a été évoquée dans le compromis du Conseil européen de décembre 2020). Dès lors que les considérants ont pour objet de motiver de façon concise le dispositif d’un acte (c’est-à-dire ses articles), ils n’ont pas d’effet juridique lorsqu’ils outrepassent cette fonction (132).

258. Une telle intervention du Conseil européen (qui prend la forme d’un frein d’urgence dans le cadre de la procédure de décision prévu par le règlement 2020/2092) ne respecterait pas le droit primaire si elle avait des effets juridiques obligatoires (133), car aucune disposition des traités ne lui confère de tels pouvoirs (134).

259. La Commission accepte l’intervention du Conseil européen parce qu’il s’agit d’« un débat politique qui ne constitue pas une étape formelle de la procédure ni n’entraîne la participation du Conseil européen à l’exécution du budget et parce qu’il ne devrait pas rendre le mécanisme inopérant, étant donné que le pouvoir de décision du Conseil et le rôle de la Commission ne sont pas affectés » (135).

260. Dès lors qu’on l’interprète ainsi, et que l’on considère que l’intervention politique du Conseil européen ne figure pas dans le dispositif du règlement 2020/2092 et qu’elle ne saurait interférer avec la procédure décisionnelle qui y est envisagée, les objections du gouvernement hongrois à l’encontre de l’intervention du Conseil européen deviennent inopérantes.

b)      Une éventuelle violation de l’article 269 TFUE

261. Pour le gouvernement hongrois, les mesures du règlement 2020/2092 sont soumises au contrôle de pleine juridiction de la Cour, qui pourrait statuer sur le fond des décisions adoptées et non pas seulement sur « le respect des [...] prescriptions de procédure ». Or l’article 269 TFUE ne permet de contester les actes du Conseil européen ou du Conseil adoptés dans le cadre de l’article 7 TUE qu’à propos desdites prescriptions.

262. Cette branche du moyen a pour prémisse implicite que le mécanisme du règlement 2020/2092 correspondrait en réalité à celui de l’article 7 TUE. Pour les raisons exposées à ce stade, j’estime que cette prémisse n’est pas correcte, ce qui vicie toute l’argumentation qu’en tire ensuite le gouvernement hongrois.

263. Le double niveau de contrôle juridictionnel dans une hypothèse (article 263 TFUE) et dans l’autre (article 269 TFUE) est incontestable, car la Cour :

–        Conserve sa compétence générale pour contrôler la légalité des actes adoptés par la Commission et le Conseil en application du règlement 2020/2092 qui font l’objet d’un recours en annulation. C’est ce qui résulte notamment de l’article 263 TFUE (en ce qui concerne les décisions imposant des mesures correctives) et de l’article 265 TFUE (en ce qui concerne les éventuelles carences de la Commission dans le déroulement de la procédure).

–        Dispose, en vertu de l’article 269 TFUE, d’une compétence limitée à la violation des prescriptions de procédure, et non à celle des règles de fond, en cas de recours en annulation introduit contre les actes adoptés par le Conseil européen ou le Conseil sur le fondement de l’article 7 TUE.

264. La Cour a précisé quelques points de la procédure de l’article 7 TUE dans son arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement (136). Elle a notamment jugé que :

–        L’article 269 TFUE vise les seuls actes du Conseil et du Conseil européen adoptés dans le cadre de la procédure prévue à l’article 7 TUE, et non pas les résolutions du Parlement adoptées au titre de ce même article (137).

–        Ces résolutions du Parlement demeurent soumises à « la compétence générale qui est reconnue à la Cour de justice de l’Union européenne par l’article 263 TFUE aux fins de contrôler la légalité des actes des institutions de l’Union » (138).

–        L’article 269 TFUE comporte une limitation à la compétence générale de la Cour de justice de l’Union européenne et doit, partant, être interprété de manière restrictive (139).

265. En particulier, compte tenu des différences entre les deux procédures, rien n’empêche que les actes de la Commission et du Conseil adoptés en application du règlement 2020/2092 soient soumis à un plein contrôle de légalité (c’est-à-dire sans restrictions) de la Cour, en vertu de l’article 263 TFUE, et non à celui, plus limité, prévu à l’article 269 TFUE, lequel ne s’applique, à titre exceptionnel, qu’aux actes adoptés conformément à l’article 7 TUE.

266. La seconde branche du deuxième moyen du recours doit donc être rejetée.

VII. Troisième moyen du recours : violation du principe de sécurité juridique

A.      Argumentation des parties

267. Le gouvernement hongrois estime que la notion d’« État de droit » sur laquelle se fonde le règlement 2020/2092 est abstraite, qu’elle ne peut faire l’objet d’une définition uniforme en droit de l’Union et qu’elle appelle une concrétisation dans les ordres juridiques de chaque État membre. Selon lui, l’article 2, sous a), du règlement 2020/2092 élargit cette notion et porte atteinte à la sécurité juridique.

268. Il ajoute que les « aspects » de la notion d’« État de droit » concrétisés à l’article 4, paragraphe 2, du règlement 2020/2092 (qui indique certains des domaines dans lesquels les violations sont possibles) sont formulés de manière ouverte et abstraite, en violation des exigences de sécurité juridique.

269. Cette même irrégularité s’étend selon lui à d’autres dispositions du règlement 2020/2092 [article 4, paragraphe 1 ; article 4, paragraphe 2, sous h) ; article 5, paragraphe 3, et article 6, paragraphes 3 et 8], ce qui entraîne un degré élevé d’insécurité juridique.

270. Le Parlement et le Conseil contestent ces arguments, estimant que la définition de l’État de droit aux fins de l’application du règlement 2020/2092 est valide et respecte la sécurité juridique, tout comme les autres conditions d’application du mécanisme de conditionnalité.

B.      Appréciation

271. Je commencerai par rappeler que, selon la Cour :

–        Le principe de sécurité juridique « exige, d’une part, que les règles de droit soient claires et précises et, d’autre part, que leur application soit prévisible pour les justiciables, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables. En particulier, ledit principe exige qu’une réglementation permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose et que ces derniers puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence » (140).

–        Ce principe « s’impose avec une rigueur particulière en présence d’une réglementation susceptible de comporter des conséquences financières » (141).

–        « [D]ès lors qu’un certain degré d’incertitude quant au sens et à la portée d’une règle de droit est inhérent à celle-ci, il convient de se borner […] à examiner si l’acte juridique en cause souffre d’une telle ambiguïté qu’elle ferait obstacle à ce que cet État membre ne puisse lever avec une certitude suffisante d’éventuels doutes sur la portée ou le sens du règlement attaqué » (142).

–        Les exigences relatives au principe de sécurité juridique « ne sauraient être comprises comme imposant qu’une norme utilisant une notion juridique abstraite mentionne les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles elle est susceptible de s’appliquer, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent pas être déterminées à l’avance par le législateur » (143).

–        Le respect de l’impératif de sécurité juridique doit être mis en balance avec d’autres intérêts publics (144).

272. Même si la notion d’« État de droit », en tant que valeur de l’Union consacrée à l’article 2 TUE, est large, rien ne s’oppose à ce que le législateur de l’Union la concrétise dans un domaine matériel particulier, tel que celui de l’exécution budgétaire, aux fins de l’établissement d’un mécanisme de conditionnalité financière.

273. La notion d’« État de droit » a une signification autonome dans l’ordre de l’Union. On ne saurait abandonner aux droits nationaux des États membres le soin d’en fixer les contours, en raison du risque qu’une telle démarche impliquerait pour son application uniforme. Bien que cette notion n’ait pas à ce jour fait l’objet d’un développement législatif systématique, il n’y aurait probablement pas d’obstacle à ce que cela se produise à l’avenir, dans les domaines relevant des compétences propres de l’Union.

274. Comme je l’ai déjà précisé, la jurisprudence de la Cour a contribué au développement de la valeur de l’État de droit en ce qui concerne ses implications pour une protection juridictionnelle effective ou pour l’indépendance des juges. Ses enseignements sont de nature à fournir au législateur de l’Union des indications qui aident à concrétiser cette valeur par des normes de droit dérivé. Tel a été le cas pour le règlement 2020/2092.

275. Dans le cadre du contrôle de légalité qu’elle opère, la Cour est appelée à vérifier si la définition de l’État de droit figurant à l’article 2, sous a), du règlement 2020/2092 ainsi que les éléments indicatifs d’une violation (article 3) et les exemples d’infraction aux principes qu’elle englobe (article 4, paragraphe 2) satisfont aux exigences du principe de sécurité juridique.

276. La définition établie par l’article 2, sous a), du règlement 2020/2092 comporte trois éléments :

–        L’État de droit est une valeur de l’Union consacrée à l’article 2 TUE.

–        Elle comprend sept principes juridiques : le principe de légalité, qui implique un processus législatif transparent, démocratique, pluraliste et responsable ; le principe de sécurité juridique ; le principe de l’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif ; le principe de protection juridictionnelle effective, y compris l’accès à la justice, assurée par des juridictions indépendantes et impartiales, également en ce qui concerne les droits fondamentaux ; le principe de la séparation des pouvoirs, et les principes de la non-discrimination et d’égalité devant la loi.

–        Ces principes doivent être interprétés « eu égard aux autres valeurs et principes de l’Union consacrés à l’article 2 [TUE] ».

277. Cette définition – qui, je le répète, est établie aux seules fins du règlement 2020/2092 – reprend la notion de l’article 2 TUE et la développe en spécifiant les sept principes dont l’assortit le législateur. Ceux-ci s’appuient sur la jurisprudence de la Cour et sur les travaux de la Commission (145), qui se fondent eux-mêmes sur les éléments de l’État de droit identifiés par des instances internationales, telles que la Commission de Venise (146).

278. La caractérisation de l’État de droit par référence aux principes susmentionnés satisfait aux exigences minimales de clarté, de précision et de prévisibilité requises par le principe de sécurité juridique. Les États membres ont un niveau de connaissance suffisant des obligations qui en découlent, et ce a fortiori si l’on considère que celles-ci ont en majorité été développées par la jurisprudence de la Cour.

279. Ces principes se caractérisent certes par un degré inévitable d’abstraction, puisqu’il est impossible au législateur d’identifier toutes les hypothèses dans lesquelles ils seront applicables. Une telle circonstance, commune à toute règle de droit qui donne effet à un principe juridique, n’est pas, en soi, de nature à porter atteinte aux exigences de la sécurité juridique. C’est à l’interprète qu’il incombe d’en concrétiser l’application dans des circonstances spécifiques.

280. La détermination, à l’article 3 du règlement 2020/2092, de certains éléments « indicatifs de violations des principes de l’État de droit » (touchant à l’indépendance des juges, au fait de ne pas sanctionner les décisions illégales ou arbitraires des autorités publiques, ou à la limitation de la disponibilité et de l’effectivité des voies de recours) démontre l’effort accompli par le législateur en vue de faciliter l’application des principes de l’État de droit et d’accroître la sécurité juridique.

281. Il en va de même en ce qui concerne l’article 4, paragraphe 2, du règlement 2020/2092, qui contient une liste indicative d’éléments à propos desquels peuvent survenir des violations des principes de l’État de droit.

282. Cette liste vise à préciser les violations des principes de l’État de droit qui sont susceptibles d’entraîner l’adoption des mesures de conditionnalité prévues par le règlement 2020/2092, lorsqu’il existe un lien direct avec l’exécution du budget de l’Union.

283. Le point h) de cette énumération vise « d’autres situations ou comportements des autorités qui sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union ». Comme je l’ai déjà exposé, son inclusion apparaît logique, et l’étendue de ses termes n’affecte pas plus la sécurité juridique que toute autre clause similaire. Cette disposition est inévitable du fait de l’impossibilité de dresser un catalogue exhaustif des actions des États membres de nature à violer les principes de l’État de droit lors de l’exécution du budget de l’Union.

284. L’article 4, paragraphe 2, du règlement 2020/2092 limite son application à un domaine matériel de compétence de l’Union, à savoir l’exécution de son budget. Il apporte ainsi une sécurité juridique aux États membres en leur permettant de connaître par avance les « points » de leur comportement auxquels s’applique la conditionnalité financière pour violation des principes de l’État de droit, laquelle conditionnalité est limitée à l’exécution du budget de l’Union.

285. L’utilisation, à l’article 4, paragraphe 2, du règlement 2020/2092, de notions relativement indéterminées n’emporte pas, selon moi, d’ambiguïté contraire aux exigences du principe de sécurité juridique. Cette disposition retient des notions largement employées dans d’autres règles de l’Union, notamment dans le domaine financier. C’est à la Commission (147) et au Conseil qu’il appartiendra de les préciser dans le cadre de leur pratique administrative lors de la mise en œuvre du règlement 2020/2092, sous le contrôle ultérieur de la Cour.

286. Le gouvernement hongrois ajoute aux dispositions que je viens d’analyser d’autres articles du règlement 2020/2092 qui, à son avis, enfreignent également le principe de sécurité juridique.

287. Il vise en premier lieu l’article 4, paragraphe 1, du règlement 2020/2092, qui prévoit des mesures correctives lorsque des « violations des principes de l’État de droit dans un État membre portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de l’Union, d’une manière suffisamment directe ».

288. Selon le gouvernement hongrois, la possibilité d’adopter des mesures en cas de risque sérieux étendrait l’application du règlement 2020/2092 à des situations incertaines ou non démontrées. En outre, elle habiliterait la Commission à proposer l’adoption de mesures arbitraires, détachées de l’exécution du budget de l’Union, en contradiction avec les exigences de sécurité juridique.

289. Je ne pense toutefois pas que l’on puisse se rallier à ces arguments. Le fait de prévoir des mesures, non seulement lors d’une violation avérée des principes de l’État de droit directement liée à l’exécution du budget de l’Union, mais aussi en cas de risque sérieux de violation, n’emporte aucune insécurité juridique.

290. Comme je l’expliquerai dans la réponse au quatrième moyen du recours, il est usuel, dans les dispositions financières et budgétaires de l’Union, de tenir compte tant des infractions déjà réalisées que du risque grave de leur survenance à l’avenir.

291. À suivre la thèse du gouvernement hongrois, une règle de droit ne pourrait guère retenir, comme hypothèse de fait, un risque ou une menace, des notions qui, en tant que telles, visent l’avenir dans des termes qui ne sont pas entièrement prévisibles (148).

292. En deuxième lieu, le gouvernement hongrois réaffirme que la référence que comporte l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement 2020/2092 à « d’autres situations ou comportements des autorités qui sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union » est incompatible avec le principe de sécurité juridique. J’ai déjà expliqué pourquoi je ne partage pas cet argument.

293. En troisième lieu, le gouvernement hongrois estime que l’article 5, paragraphe 3, du règlement 2020/2092 viole le principe de sécurité juridique, aux motifs qu’il ne précise pas de manière suffisante le type et la portée des mesures correctives susceptibles d’être prises à l’encontre de l’État membre, et qu’il n’assure pas l’existence d’un lien direct entre celles-ci et la violation des principes de l’État de droit.

294. Je rappelle que l’article 5, paragraphe 3, du règlement 2020/2092 autorise l’adoption de mesures proportionnées à l’incidence réelle ou potentielle de la violation des principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de l’Union. Leur approbation requiert de prendre préalablement en compte la nature, la durée, la gravité et la portée de la violation desdits principes.

295. Je ne discerne aucune incompatibilité avec le principe de sécurité juridique dans cette manière de déterminer le type et la portée des mesures. Comme le relève le Parlement, l’efficacité du mécanisme de la conditionnalité financière repose sur la faculté conférée à la Commission de proposer les mesures correctives adaptées aux spécificités de chaque cas d’espèce. En tout état de cause, la Commission doit justifier et motiver les mesures qu’elle propose au Conseil, et celles-ci sont soumises au contrôle juridictionnel de la Cour.

296. Quant à la (prétendue) absence de lien direct entre la violation et les mesures correctives, en raison du fait que, conformément à la dernière phrase de l’article 5, paragraphe 3, du règlement 2020/2092, « [l]es mesures ciblent, dans la mesure du possible [(149)], les actions de l’Union auxquelles les violations portent atteinte », l’argumentation du gouvernement hongrois me paraît, de nouveau, peu convaincante.

297. Je ne décèle, dans cette disposition, aucune incompatibilité avec le principe de sécurité juridique, car il existe des situations dans lesquelles il n’est pas possible de prévoir, ex ante, quelles réponses seront les mieux adaptées aux activités infractionnelles. Il est logique que la Commission et le Conseil disposent de la possibilité d’adopter des mesures correctives, y compris des mesures « croisées », au sens déjà exposé ci-dessus (150), pour autant qu’ils les justifient de manière adéquate, et sous réserve du contrôle ultérieur de la Cour.

298. En quatrième lieu, le gouvernement hongrois fait valoir que l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement 2020/2092 viole le principe de sécurité juridique, car il ne définit pas de manière suffisamment précise les informations que la Commission doit mettre en balance en effectuant ses évaluations.

299. Cet argument doit aussi être rejeté. Il incombe à la Commission de démontrer les violations des principes de l’État de droit ainsi que la proportionnalité des mesures correctives qu’elle estime appropriées pour remédier à ces violations. Il me semble logique qu’elle puisse, à cet effet, recueillir des informations auprès de toutes les sources disponibles, comme l’indique l’article 6, paragraphe 3, du règlement 2020/2092. Si l’État contrevenant estime que ces informations ne sont pas fiables, il dispose de deux cycles de consultations pour les contester devant la Commission, avant que celle-ci ne propose des mesures au Conseil.

300. Au vu de ce qui précède, le troisième moyen du recours doit être rejeté.

VIII. Moyens d’annulation partielle de plusieurs dispositions du règlement 2020/2092

301. Par ses quatrième à neuvième moyens, le gouvernement hongrois demande l’annulation de diverses dispositions du règlement 2020/2092 en faisant valoir des arguments qui, pour la plupart, reprennent ceux invoqués dans l’un ou l’autre des trois premiers moyens d’annulation.

302. Pour la Cour, l’annulation partielle d’un acte de l’Union n’est possible que pour autant que les éléments dont l’annulation est demandée soient détachables du reste de l’acte. Il n’est pas satisfait à cette exigence lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de celui-ci (151).

303. Selon cette jurisprudence, le quatrième moyen du recours du gouvernement hongrois, par lequel il demande l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement 2020/2092, est irrecevable, car cette disposition correspond à la substance de ce règlement, en ce qu’elle fixe les conditions d’adoption des mesures correctives en raison de la violation des principes de l’État de droit ayant un lien direct avec l’exécution du budget de l’Union. Sans cet article, le règlement 2020/2092 ne pourrait pas s’appliquer.

304. Le même raisonnement vaut pour les septième et huitième moyens, dans lesquels le gouvernement hongrois demande l’annulation de l’article 5, paragraphe 3, du règlement 2020/2092, qui fixe les critères présidant à l’adoption des mesures correctives. Un mécanisme de conditionnalité financière ne permettant pas d’appliquer des mesures correctives, en raison de l’absence desdits critères, serait inutile, de sorte que cet article est essentiel à la mise en œuvre du règlement attaqué.

305. En tout état de cause, j’analyserai l’ensemble des moyens d’annulation partielle, y compris les trois qui me paraissent irrecevables, pour le cas où la Cour jugerait qu’il y a lieu de les examiner au fond.

A.      Quatrième moyen du recours : article 4, paragraphe 1, du règlement 2020/2092

1.      Argumentation des parties

306. Selon le gouvernement hongrois, l’article 4, paragraphe 1, du règlement 2020/2092 viole les principes de proportionnalité et de sécurité juridique en ce qu’il autorise l’adoption de mesures correctives en cas de risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion financière ou aux intérêts financiers de l’Union.

307. Il ajoute que le fait d’admettre une telle possibilité, non prévue par d’autres règles financières de l’Union, reviendrait à dispenser la Commission de la nécessité de procéder à une évaluation objective afin de prouver le lien entre une violation des principes de l’État de droit et l’exécution du budget de l’Union.

308. Le Parlement et le Conseil contestent cette argumentation du gouvernement hongrois.

2.      Appréciation

309. L’article 4, paragraphe 1, du règlement 2020/2092 permet d’adopter des mesures correctives lorsque « [...] des violations des principes de l’État de droit dans un État membre [...] présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de l’Union, d’une manière suffisamment directe » (152).

310. D’autres règles financières de l’Union prévoient des mesures analogues, tant pour les situations dans lesquelles les violations ont été commises que pour celles dans lesquelles il existe un risque qu’elles se produisent à l’avenir. On peut citer, à titre d’exemples :

–        L’article 63, paragraphe 2, deuxième et quatrième alinéas, du règlement financier, qui concerne la gestion partagée entre l’Union et les États membres et impose à ces États des contrôles ex ante, y compris, le cas échéant, des contrôles sur place, d’échantillons d’opérations représentatifs et/ou fondés sur le risque. En outre, « [d]ans le cadre de son évaluation du risque et conformément à la réglementation sectorielle, la Commission assure la surveillance des systèmes de gestion et de contrôle établis dans les États membres. Dans le cadre de ses audits, la Commission [...] tient compte du niveau de risque évalué conformément à la réglementation sectorielle ».

–        L’article 104 du règlement sur les dispositions communes 2021‑2027, qui prévoit que « [l]a Commission procède à des corrections financières, en réduisant le soutien des Fonds accordé à un programme, lorsqu’elle conclut [qu’une] insuffisance grave a mis en péril le soutien déjà versé par les Fonds au programme ».

–        Les articles 135 à 143 du règlement financier, qui mettent en place un système de détection rapide en vue d’exclure de l’attribution de fonds du budget de l’Union les demandeurs et bénéficiaires impliqués dans des situations présentant un risque grave pour les intérêts financiers de l’Union.

311. Le fait de n’envisager que les seules violations (des règles de l’Union) déjà intervenues et non le risque sérieux qu’elles surviennent est incompatible avec la bonne gestion financière du budget de l’Union, visée à l’article 317 TFUE. Une bonne gestion financière implique non seulement de remédier aux violations déjà commises, mais également de prendre en compte l’existence de menaces (pour autant qu’elles soient sérieuses et crédibles) que ces violations se produisent et entraînent des conséquences financières indésirables.

312. La jurisprudence de la Cour conforte l’utilisation du critère du risque sérieux pour adopter, à l’égard des États membres, des corrections financières ou d’autres mesures protectrices du budget de l’Union, lorsque ces États mettent en place des contrôles insuffisants, sans qu’il soit nécessaire de prouver un préjudice réel et effectif (153).

313. Dans le règlement 2020/2092, l’appréciation du risque sérieux d’atteinte à l’un des principes de l’État de droit directement lié à l’exécution budgétaire, en tant que critère pour l’adoption de mesures correctives, me paraît particulièrement pertinente, en raison du caractère horizontal du mécanisme de conditionnalité.

314. À elles seules, les défaillances généralisées des autorités nationales quant au respect des principes de l’État de droit en relation avec le budget sont susceptibles de présenter un risque pour la bonne gestion de celui-ci et pour les intérêts financiers de l’Union.

315. L’article 4, paragraphe 1, du règlement 2020/2092 vise l’hypothèse d’un risque sérieux de porter atteinte au budget ou aux intérêts financiers de l’Union. Il satisfait ainsi aux exigences du principe de proportionnalité, car les mesures visant à réagir à une situation de risque doivent être en corrélation avec l’intensité de celui-ci et avec son incidence sur le budget ou sur les intérêts financiers de l’Union. C’est ce que confirme l’article 5, paragraphe 3, du règlement 2020/2092.

316. Contrairement à ce que soutient le gouvernement hongrois, il n’y a aucunement consécration d’une sorte de présomption de risque, qui diluerait le lien entre la violation des principes de l’État de droit et l’exécution du budget de l’Union. La Commission n’est en rien dispensée de son obligation de prouver l’existence d’une menace ou d’un risque qui, répétons-le, doit être réel et sérieux, et non pas purement hypothétique.

317. Dans ces conditions, l’article 4, paragraphe 1, du règlement 2020/2092 est compatible avec le principe de sécurité juridique, de sorte que le quatrième moyen du recours doit être rejeté.

B.      Cinquième moyen du recours : article 4, paragraphe 2, point h), du règlement 2020/2092

318. Selon le gouvernement hongrois, l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement 2020/2092 ne donne pas de définition précise des hypothèses dans lesquelles une violation des principes de l’État de droit est susceptible d’être commise. En se référant, sans autre précision, à « d’autres situations ou comportements des autorités », cette disposition violerait le principe de sécurité juridique.

319. Le moyen doit être rejeté pour les motifs exposés dans la réponse au troisième moyen.

C.      Sixième moyen du recours : violation de l’article 5, paragraphe 2, du règlement 2020/2092

1.      Argumentation des parties

320. Selon le gouvernement hongrois, les dispositions de l’article 5, paragraphe 2, du règlement 2020/2092 (établissant, en substance, que l’État membre contre lequel des mesures sont prises continue à financer les bénéficiaires finaux des programmes) :

–        Sont incompatibles avec la base juridique de ce règlement, l’obligation pesant sur les budgets des États membres.

–        Enfreignent les dispositions du droit de l’Union en matière de déficit budgétaire et violent le principe d’égalité des États membres.

321. Le Parlement et le Conseil contestent cette argumentation en rappelant, comme ils l’ont déjà fait dans le cadre du premier moyen du recours, que l’article 5, paragraphe 2, du règlement 2020/2092 n’impose aucune obligation supplémentaire à celles déjà existantes et que cette disposition est indispensable pour assurer la protection des droits acquis par les bénéficiaires. Ils soulignent, en outre, que la responsabilité d’atteindre les objectifs en matière de déficit budgétaire incombe à l’État membre, sur la base de ses propres choix législatifs, sans préjudice de l’obligation de se conformer aux règles de l’Union (dont le règlement 2020/2092 lui-même).

2.      Appréciation

322. En examinant le premier moyen du recours, je me suis déjà prononcé sur la compatibilité de l’article 5, paragraphe 2, du règlement 2020/2092 avec la base juridique de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.

323. Quant à la compatibilité (ou à l’incompatibilité) de cette disposition avec les règles de l’Union relatives au contrôle des déficits publics excessifs, je ne partage pas l’analyse du gouvernement hongrois.

324. Chaque État membre (surtout s’il n’appartient pas à la zone euro) a la capacité d’élaborer et de contrôler ses budgets, tout en respectant les limites que fixe le droit de l’Union. Le règlement 2020/2092 n’empiète pas sur la liberté des États membres d’arrêter, à l’intérieur de ces limites, leurs propres choix budgétaires en matière de recettes et de dépenses publiques.

325. Dans l’exercice de ce pouvoir budgétaire, l’État membre doit certes supporter les coûts des corrections financières imposées dans le cadre du règlement 2020/2092 et, notamment, ceux découlant de l’obligation de respecter l’exigence de continuer à financer les bénéficiaires finaux des programmes.

326. Quant à la (prétendue) plus grande facilité, pour les grands États, d’assumer cette obligation, l’égalité entre les États membres est respectée dès lors que le règlement 2020/2092 impose à tous le même devoir de maintenir le financement des bénéficiaires finaux.

327. En outre, le financement qu’un État membre reçoit du budget de l’Union est généralement lié à son poids économique et à sa population, considérés comme étant des facteurs pertinents. Les États dont le poids économique et la population sont moindres bénéficient des programmes de l’Union en proportion de leurs caractéristiques propres. Les corrections financières pour violation des principes de l’État de droit les affecteront donc dans cette même mesure.

328. Que l’État, indépendamment de son poids économique et de sa population, soit contributeur net ou bénéficiaire net des fonds de l’Union n’y change rien. Les bénéficiaires nets des fonds de l’Union seront, en toute logique, plus exposés au mécanisme de conditionnalité financière que les contributeurs nets, mais une telle circonstance est inévitable et ne comporte aucune discrimination entre les États membres.

329. Le sixième moyen du recours doit donc être rejeté.

D.      Septième moyen du recours : article 5, paragraphe 3, avant-dernière phrase, du règlement 2020/2092

330. Selon le gouvernement hongrois, l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement 2020/2092 (aux termes duquel « [l]a nature, la durée, la gravité et la portée des violations des principes de l’État de droit sont dûment prises en compte ») est incompatible avec la base juridique du règlement et avec l’article 7 TUE. Il soutient que cette disposition est sans rapport avec le budget ou les intérêts financiers de l’Union et qu’elle est en outre dépourvue du degré de précision requis par le principe de sécurité juridique.

331. Ces arguments doivent être rejetés pour les raisons exposées dans le cadre de l’examen des premier et troisième moyens.

E.      Huitième moyen du recours : article 5, paragraphe 3, dernière phrase, du règlement 2020/2029

332. Le gouvernement hongrois maintient que l’article 5, paragraphe 3, dernière phrase, du règlement 2020/2092 (« [l]es mesures ciblent, dans la mesure du possible, les actions de l’Union auxquelles les violations portent atteinte ») ne garantit pas l’existence d’un lien direct entre la violation des principes de l’État de droit constatée dans un cas concret et ces mesures. La disposition viole selon lui tant le principe de proportionnalité que celui de sécurité juridique.

333. Le rejet de ce moyen est fondé sur les considérations exposées dans le cadre des premier et troisième moyens.

F.      Neuvième moyen du recours : article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement 2020/2092

334. Le gouvernement hongrois estime que l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement 2020/2092 (en vertu duquel la Commission doit prendre en compte « des informations pertinentes provenant de sources disponibles, y compris les décisions, conclusions et recommandations des institutions de l’Union, d’autres organisations internationales pertinentes et d’autres institutions reconnues ») viole le principe de sécurité juridique, car il ne définit pas de manière appropriée les références et les sources à utiliser.

335. Le rejet de ce moyen est fondé sur les considérations exposées dans le cadre du troisième moyen.

IX.    Sur les dépens

336. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement et le Conseil ayant conclu à la condamnation de la Hongrie aux dépens, et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

337. Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, la Commission, le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne, la République de Finlande et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

X.      Conclusion

338. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de :

1)      rejeter la demande incidente du Conseil de l’Union européenne, tendant à ce que la Cour ne prenne pas en compte les passages de la requête et de ses annexes, en particulier l’annexe A.3, qui font référence à, reproduisent le contenu de ou reflètent l’analyse effectuée dans l’avis du service juridique du Conseil (document 13593/18 du Conseil) du 25 octobre 2018 ;

2)      rejeter les premier, deuxième et troisième moyens du recours introduit par la Hongrie contre le règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020, relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union, et tendant à l’annulation de ce règlement ;

3)      déclarer irrecevables les quatrième, septième et huitième moyens du recours, et rejeter les cinquième, sixième et neuvième moyens du recours, qui visent, à titre subsidiaire, à l’annulation de l’article 4, paragraphe 1 ; de l’article 4, paragraphe 2, sous h) ; de l’article 5, paragraphe 2 ; de l’article 5, paragraphe 3, avant-dernière phrase ; de l’article 5, paragraphe 3, dernière phrase, et de l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement 2020/2092 ;

4)      condamner la Hongrie à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Parlement européen et le Conseil ;

5)      condamner la Commission européenne, le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne, la République de Finlande et le Royaume de Suède à supporter leurs propres dépens.


1      Langue originale : l’espagnol.


2      Dans l’affaire C‑157/21, Pologne/Parlement et Conseil, la République de Pologne fait la même demande. Je présente ce jour mes conclusions dans ces deux affaires.


3      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union (JO 2020, L 433 I, p. 1).


4      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).


5      En application de l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Hongrie a demandé que l’affaire soit attribuée à la grande chambre.


6      Article de Politico, du 29 octobre 2018.


7      Document identifié par le Conseil sous le numéro ST 13593 2018 INIT ; les points 1 à 8 contiennent l’introduction, ainsi que l’exposé du cadre juridique et des faits, mais non l’analyse juridique. Ils ont été rendus publics le 18 décembre 2020 : https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-13593-2018-INIT/fr/pdf. Voir, à cet égard, arrêt du Tribunal du 21 avril 2021, Pech/Conseil (T‑252/19, non publié, EU:T:2021:203, points 2 à 4).


8      Le Tribunal a été saisi d’une demande similaire. Voir son ordonnance du 20 mai 2020, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (T‑526/19, EU:T:2020:210), qui fait l’objet d’un pourvoi actuellement pendant devant la Cour ; l’avocat général Bobek a présenté le 6 octobre 2021 ses conclusions dans l’affaire Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, EU:C:2021:831).


9      « Tout citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions, sous réserve des principes, conditions et limites définis par le présent règlement. »


10      Décision du Conseil du 1er décembre 2009 portant adoption de son règlement intérieur (JO 2009, L 325, p. 35). Aux termes de son article 6, paragraphe 2, « [l]e Conseil ou le Coreper peut autoriser la production en justice d’une copie ou d’un extrait des documents du Conseil qui n’ont pas déjà été rendus accessibles au public conformément aux dispositions relatives à l’accès du public aux documents ».


11      Aux termes de son article 5, « [l]orsqu’un État membre soumet une demande au Conseil, elle est traitée conformément aux articles 7 et 8 du règlement (CE) no 1049/2001 et aux dispositions pertinentes de la présente annexe. Lorsque l’accès est totalement ou partiellement refusé, le demandeur est informé de ce que toute demande confirmative doit être adressée directement au Conseil ».


12      Note du Conseil du 10 avril 2018 relative au traitement des documents internes du Conseil, disponible à l’adresse suivante : https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST‑7695‑2018-INIT/fr/pdf.


13      Point 20 : « Les documents “LIMITE” ne doivent pas être rendus publics à moins qu’une décision ait été prise à cet effet par des fonctionnaires du Conseil dûment habilités, par l’administration nationale d’un État membre (voir point 21) ou, le cas échéant, par le Conseil, conformément au règlement (CE) no 1049/2001 et au règlement intérieur du Conseil ».


      Point 21 : « Les membres du personnel des institutions ou organes de l’UE autres que le Conseil ne peuvent décider de rendre publics des documents “LIMITE” sans avoir préalablement consulté le Secrétariat général du Conseil (SGC). Les membres du personnel de l’administration nationale d’un État membre consulteront le SGC avant de prendre une telle décision, sauf s’il est clair que le document peut être rendu public, conformément à l’article 5 du règlement (CE) no 1049/2001 ».


      Point 22 : « Le contenu des documents “LIMITE” ne peut être publié que sur des plateformes web ou des sites Internet sécurisés approuvés par le Conseil ou dont l’accès est protégé (par ex. le Portail des délégués) ».


14      Arrêt du 31 janvier 2020, Slovénie/Croatie (C‑457/18, ci-après l’« arrêt Slovénie/Croatie », EU:C:2020:65, point 67), et ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement (C‑650/18, non publiée, ci-après l’« ordonnance Hongrie/Parlement », EU:C:2019:438, points 9, 12 et 13).


15      Arrêt Slovénie/Croatie, point 66, citant l’ordonnance Hongrie/Parlement, points 8 et 9.


16      Arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil (C‑39/05 P et C‑52/05 P, ci-après l’« arrêt Suède et Turco/Conseil », EU:C:2008:374, point 42).


17      Arrêt Suède et Turco/Conseil, point 36.


18      Voir, en ce sens, arrêts Suède et Turco/Conseil, points 38 à 44 ; du 3 juillet 2014, Conseil/in ’t Veld (C‑350/12 P, EU:C:2014:2039, point 96), et ordonnance Hongrie/Parlement, point 11.


19      Arrêt du 4 septembre 2018 (C‑57/16 P, EU:C:2018:660, points 73 à 75) ; voir aussi ordonnance Hongrie/Parlement, point 13.


20      Arrêt Slovénie/Croatie, point 70.


21      Ordonnance Hongrie/Parlement, point 14, et arrêt Slovénie/Croatie, point 68.


22      Arrêt Suède et Turco/Conseil, point 54.


23      Arrêt Suède et Turco/Conseil, point 59.


24      Arrêt Suède et Turco/Conseil, points 62 à 66.


25      Arrêt Suède et Turco/Conseil, points 68 et 69.


26      L’une des décisions de refus du Conseil est celle que le Tribunal a annulée dans son arrêt du 21 avril 2021, Pech/Conseil (T‑252/19, non publié, EU:T:2021:203).


27      Ordonnance Hongrie/Parlement, point 14, et arrêt Slovénie/Croatie, point 68. Comme je l’ai également expliqué, le règlement intérieur du Conseil et ses consignes relatives à l’accès à ses documents renvoient aux dispositions du règlement no 1049/2001.


28      Point 38 des présentes conclusions.


29      Lors de l’audience, le Conseil ne s’est pas prononcé sur le contenu non publié de l’avis de son service juridique.


30      Arrêt Suède et Turco/Conseil, point 67.


31      Arrêt Suède et Turco/Conseil, point 59. À ce même point, il est ajouté : « De fait, c’est plutôt l’absence d’information et de débat qui est susceptible de faire naître des doutes dans l’esprit des citoyens, non seulement quant à la légalité d’un acte isolé, mais aussi quant à la légitimité du processus décisionnel dans son entièreté ».


32      Arrêt Suède et Turco/Conseil, points 68 et 71.


33      Arrêt Suède et Turco/Conseil, point 57.


34      Arrêt Suède et Turco/Conseil, point 69.


35      Arrêt Suède et Turco/Conseil, point 64.


36      Voir Louis, J.-V., « Respect de l’État de droit et protection des finances de l’Union », Cahiers de droit européen, 2020, no 1, p. 3 à 20 ; et Baraggia, A., et Bonelli, M., « Linking Money to Values : The new Rule of Law Conditionality Regulation and its constitutional challenges », German Law Journal, 2021.


37      La Hongrie est l’un des principaux bénéficiaires par habitant des fonds structurels de l’Union avec 25 424 713 942 euros au titre du cadre financier pluriannuel (ci-après le « CFP ») pour 2014‑2020 (2 532 euros par habitant) et avec un pourcentage élevé des investissements publics du pays cofinancés par l’Union, selon les données disponibles de la Commission à l’adresse https://cohesiondata.ec.europa.eu/countries/HU. La République de Pologne est l’un des principaux bénéficiaires de fonds structurels de l’Union, puisqu’elle a reçu 89 990 274 817 euros (2 262 euros par habitant) au titre du CFP 2014‑2020, selon les données de la Commission disponibles à l’adresse https://cohesiondata.ec.europa.eu/countries/PL.


38      Document COM(2014) 158 final, du 11 mars 2014, Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil : Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’État de droit.


39      L’avis du service juridique du Conseil no 10296/14, du 27 mai 2014, critique cette communication de la Commission en relevant que le respect de l’État de droit ne peut faire l’objet d’une action des institutions que dans le cadre de la procédure de l’article 7 TUE ou s’il existe une autre compétence matérielle spécifique.


40      Document COM(2019) 163 final, du 3 avril 2019, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil : Poursuivre le renforcement de l’État de droit au sein de l’Union. État des lieux et prochaines étapes envisageables ; document COM(2019) 343 final, du 17 juillet 2019, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : Renforcement de l’État de droit au sein de l’Union. Plan d’action.


41      Voir, pour les années 2020 et 2021, document COM(2020) 580 final, du 30 septembre 2020, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : Rapport 2020 sur l’État de droit. La situation de l’État de droit dans l’Union européenne ; ainsi que le document COM(2021) 700 final, du 20 juillet 2021, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : rapport 2021 sur l’État de droit. La situation de l’État de droit dans l’Union européenne.


42      Document COM(2018) 324 final, du 2 mai 2018, proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’État de droit dans un État membre.


43      Voir avis no 1/2018 de la Cour des comptes sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, du 2 mai 2018, relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’État de droit dans un État membre (JO 2018, C 291, p. 1).


44      Document EUCO 10/20, conclusions du Conseil européen du 21 juillet 2020, annexe, points 22 et 23.


45      Voir Rubio, E., Conditionnalité au respect de l’État de droit – Quel pourrait être un compromis acceptable ?, Institut Jacques Delors Policy Brief, octobre 2020 ; Dimitrovs, A., et Droste, H., « Conditionality Mechanism : What’s In ? », VerfBlog, 30 décembre 2020, https://verfassungsblog.de/conditionality-mechanism-whats-in-it/.


46      Document EUCO 22/20, Conclusions du Conseil européen, des 10 et 11 décembre 2020, point 2. Voir les critiques adressées à ces conclusions par Berramdane, A., « Conditionnalité budgétaire ou conditionnalité de l’État de droit ? », Revue du droit de l’Union européenne, 2021, no 1, p. 155 ; Scheppele, K., Pech, L., et Platon, S., « Compromising the Rule of Law while Compromising on the Rule of Law », VerfBlog, 13 décembre 2020, https://verfassungsblog.de/compromising-the-rule-of-law-while-compromising-on-the-rule-of-law/ ; et Alemanno, A., et Chamon, M., « To Save the Rule of Law You Must Apparently Break It », VerfBlog, 11 décembre 2020, https://verfassungsblog.de/to-save-the-rule-of-law-you-must-apparently-break-it/, estimant que le Conseil européen a agi ultra vires.


47      Voir l’analyse détaillée dans Hillion, C., « Compromising (on) the General Conditionality Mechanism and the Rule of Law », Common Market Law Review, 2021, no 2, p. 267 à 284.


48      Cette affirmation se situe dans le prolongement d’une conception du règlement en tant qu’instrument de conditionnalité budgétaire distinct du mécanisme de protection de l’État de droit.


49      Le Parlement a marqué son opposition à ce compromis et a critiqué la Commission pour avoir accepté la nécessité d’élaborer des orientations pour l’application du règlement 2020/2092 et conditionné l’adoption de celles-ci à l’arrêt de la Cour sur les éventuels recours en annulation introduits contre ce règlement. Voir résolution du Parlement européen du 8 juillet 2021 sur l’élaboration de lignes directrices relatives à l’application du régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union [2021/2071 (INI)]. Au mois de décembre 2021, les lignes directrices n’avaient pas encore été adoptées, de sorte que l’application du règlement est de facto suspendue.


50      Sur cette dernière affirmation, voir note en bas de page 53 des présentes conclusions.


51      Résolution du Parlement européen du 16 décembre 2020 sur le cadre financier pluriannuel 2021‑2027, l’accord interinstitutionnel, l’instrument de l’Union européenne pour la relance et le règlement relatif à l’État de droit [2020/2923(RSP)] (voir notamment point 4).


52      Règlement du Conseil du 14 décembre 2020 établissant un instrument de l’Union européenne pour la relance en vue de soutenir la reprise à la suite de la crise liée à la COVID-19 (JO 2020, L 433 I, p. 23), considérant 7. Voir, également, article 8 du règlement 2021/241.


53      Aux termes du considérant 15 du règlement 2020/2092, « [l]es violations des principes de l’État de droit, en particulier celles qui portent atteinte au bon fonctionnement des autorités publiques et au caractère effectif du contrôle juridictionnel, peuvent nuire gravement aux intérêts financiers de l’Union. Tel est le cas des violations individuelles des principes de l’État de droit et encore plus des violations qui sont répandues ou résultent de pratiques ou d’omissions récurrentes des autorités publiques ou encore de mesures générales adoptées par ces autorités ». On relèvera l’approche non concordante ressortant des conclusions du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020, selon lesquelles « [l]e règlement ne concerne pas les défaillances généralisées ». Cette affirmation n’est pas conforme aux indications figurant dans ce considérant et ne saurait donc avoir d’incidence sur l’interprétation du règlement 2020/2092.


54      Le 20 octobre 2021, le président du Parlement a demandé aux services juridiques de cette institution de préparer un recours contre la Commission européenne pour la non‑application du règlement 2020/2092. Cette demande a donné lieu au recours en carence dans l’affaire C‑657/21, Parlement/Commission, encore pendante devant la Cour.


55      Pour le CFP 2021‑2027, il s’agit de la décision (UE, EURATOM) 2020/2053 du Conseil, du 14 décembre 2020, relative au système des ressources propres de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom (JO 2020, L 424, p. 1).


56      Lenaerts, K., et Adam, S., « La solidarité, valeur commune aux États membres et principe fédératif de l’Union européenne », Cahiers de droit européen, 2021, no 2, p. 307 à 417.


57      Règlement (UE, Euratom) 2020/2093 du Conseil, du 17 décembre 2020, fixant le cadre financier pluriannuel pour les années 2021 à 2027 (JO 2020, L 433 I, p. 11).


58      Règlement 2020/2094. Cet instrument habilite, à titre exceptionnel, la Commission à contracter temporairement au nom de l’Union des emprunts sur les marchés des capitaux d’une valeur maximale de 750 milliards d’euros, dont un maximum de 360 milliards seront utilisés pour octroyer des prêts et un montant maximal de 390 milliards pour couvrir des dépenses, ces deux montants ayant le seul but de faire face aux conséquences de la crise engendrée par la COVID‑19. Comme je l’ai déjà indiqué dans mes conclusions du 18 mars 2021 dans l’affaire Allemagne/Pologne (C‑848/19 P, EU:C:2021:218, note en bas de page 43), il constitue probablement la plus grande avancée de l’ensemble de l’histoire de l’Union en matière de solidarité.


59      L’article 310, paragraphe 5, TFUE rappelle que « [l]e budget est exécuté conformément au principe de la bonne gestion financière. Les États membres et l’Union coopèrent pour que les crédits inscrits au budget soient utilisés conformément à ce principe ».


60      Règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1) (ci-après le « règlement financier »).


61      Aux termes de l’article 63 du règlement financier, « [l]orsque la Commission exécute le budget en gestion partagée, les tâches liées à l’exécution budgétaire sont déléguées aux États membres. La Commission et les États membres respectent les principes de bonne gestion financière, de transparence et de non‑discrimination et assurent la visibilité de l’action de l’Union lorsqu’ils gèrent les fonds de celle-ci. À cet effet, la Commission et les États membres remplissent leurs obligations respectives de contrôle et d’audit et assument les responsabilités qui en découlent, prévues par le présent règlement. Des dispositions complémentaires sont prévues par la réglementation sectorielle ».


62      Aux États-Unis, les institutions fédérales ont utilisé, dans leurs relations avec les États fédérés et avec les collectivités locales, la conditionnalité financière afin de subordonner l’octroi des fonds du budget fédéral au respect, notamment, de l’interdiction de la ségrégation raciale dans l’éducation et sur les lieux de travail, à l’introduction d’un salaire minimal, à l’établissement d’une administration publique indépendante ou d’une vitesse maximale sur les autoroutes de tout le pays. Le fondement de cette conditionnalité financière fédérale se trouve à l’article I, section 8, clause 1, de la Constitution américaine (the Spending Clause of the Constitution), qui confère au Congrès le pouvoir « to lay and collect Taxes, [...] to [...] provide for the [...] general Welfare of the United States ». La Cour suprême des États-Unis a fixé les conditions d’utilisation de cette conditionnalité notamment dans les arrêts South Dakota v. Dole, 483 U.S. 203 (1987), NFIB v. Sebelius, 567 U.S. 519 (2012). Voir Yeh, B. T., The Federal Government’s Authority to Impose Conditions on Grant Funds, Congressional Research Service, 2017, https://sgp.fas.org/crs/misc/R44797.pdf ; et Margulies, P., « Deconstructing “Sanctuary Cities” : The Legality of Federal Grant Conditions That Require State and Local Cooperation on Immigration Enforcement », Wash. & Lee L. Rev., 2018, p. 1507.


63      Voir Viță, V., « Revisiting the Dominant Discourse on Conditionality in the EU : The Case of EU Spending Conditionality », Cambridge Yearbook of European Legal Studies, 2017, p. 116 à 143.


64      Voir Viță, V., « Conditionalities in Cohesion Policy », Research for REGI Committee, European Parliament, Policy Department for Structural and Cohesion Policies, Bruxelles, 2018.


65      Règlement (UE) 2021/1060 du Parlement européen et du Conseil, du 24 juin 2021, portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen plus, au Fonds de cohésion, au Fonds pour une transition juste et au Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture, et établissant les règles financières applicables à ces Fonds et au Fonds « Asile, migration et intégration », au Fonds pour la sécurité intérieure et à l’instrument de soutien financier à la gestion des frontières et à la politique des visas (JO 2021, L 231, p. 159) (ci-après le « règlement sur les dispositions communes 2021‑2027 »). Ce règlement renforce les mécanismes de conditionnalité déjà prévus pour le CFP 2014‑2020 par le règlement (UE) no 1303/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, portant dispositions générales applicables au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, et abrogeant le règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 320).


66      D’autre part, l’annexe IV contient les « conditions favorisantes thématiques pour le [Fonds européen de développement régional (FEDER)], le [Fonds social européen plus (FSE+)] et le Fonds de cohésion [...] ».


67      Décision du 26 novembre 2009 concernant la conclusion, par la Communauté européenne, de la convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (JO 2010, L 23, p. 35).


68      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques (JO 2011, L 306, p. 25).


69      Règlement du Conseil du 18 février 2002 établissant un mécanisme de soutien financier à moyen terme des balances des paiements des États membres (JO 2002, L 53, p. 1).


70      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres de la zone euro connaissant ou risquant de connaître de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière (JO 2013, L 140, p. 1).


71      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 12 février 2021 établissant la facilité pour la reprise et la résilience (JO 2021, L 57, p. 17).


72      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 7 juillet 2021 établissant, dans le cadre du Fonds pour la gestion intégrée des frontières, l’instrument de soutien financier à la gestion des frontières et à la politique des visas (JO 2021, L 251, p. 48).


73      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 14 juillet 2021 relatif à la facilité de prêt au secteur public dans le cadre du mécanisme pour une transition juste (JO 2021, L 274, p. 1).


74      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (CE) no 637/2008 du Conseil et le règlement (CE) no 73/2009 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 608).


75      Par exemple, le respect par l’État membre des exigences d’équilibre macroéconomique conditionne la réception de versements au titre des fonds structurels, tels que le FEDER ou le Fonds social européen (FSE).


76      Considérant 6 du règlement 2020/2092.


77      S’agissant de la jurisprudence relative à la conditionnalité environnementale appliquée aux paiements directs aux agriculteurs, l’on peut citer les arrêts du 25 juillet 2018, Teglgaard et Fløjstrupgård (C‑239/17, EU:C:2018:597, points 42 et suiv.), ainsi que du 27 janvier 2021, De Ruiter (C‑361/19, EU:C:2021:71, points 31 à 41). Dans son arrêt du 7 août 2018, Argo Kalda Mardi talu (C‑435/17, EU:C:2018:637, point 39), la Cour indique que, « [s]elon l’article 93 de ce dernier règlement [1306/2013], les normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales font partie des règles relatives à la conditionnalité, qui, ainsi que le prévoit l’article 91 dudit règlement, doivent être respectées sous peine de sanction administrative. Ces normes sont établies au niveau national, répertoriées à l’annexe II du même règlement et concernent notamment le domaine de l’environnement ».


78      Arrêt du 27 novembre 2012 (C‑370/12, EU:C:2012:756, point 69) : « [...] la stricte conditionnalité à laquelle l’octroi d’une assistance financière par le mécanisme de stabilité est subordonné, en vertu du paragraphe 3 de l’article 136 TFUE, qui constitue la disposition sur laquelle porte la révision du traité FUE, vise à assurer que, dans son fonctionnement, ce mécanisme respectera le droit de l’Union, y compris les mesures prises par l’Union dans le cadre de la coordination des politiques économiques des États membres ».


79      Traité instituant le mécanisme européen de stabilité entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, l’Irlande, la République hellénique, le royaume d’Espagne, la République française, la République italienne, la République de Chypre, le Grand-Duché de Luxembourg, Malte, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la République portugaise, la République de Slovénie, la République slovaque, la République de Finlande, signé à Bruxelles le 2 février 2012.


80      Arrêt du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756, points 111 et 112). Les points 154 à 156 concernaient l’action de la Commission dans le cadre du traité MES pour veiller au respect de la conditionnalité dont est assortie l’assistance financière. Ces mêmes références ont été faites dans l’arrêt du 20 septembre 2016, Mallis e.a./Commission et BCE (C‑105/15 P à C‑109/15 P, EU:C:2016:702, point 54).


81      Pour éviter des répétitions, je tiendrai ci-après pour acquis que les États qui sont intervenus à l’audience (à l’exception, logiquement, de la Hongrie et de la République de Pologne), ainsi que la Commission, partagent les thèses du Parlement et du Conseil.


82      Arrêts du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035) ; du 8 décembre 2020, Pologne/Parlement et Conseil (C‑626/18, EU:C:2020:1000, points 43 à 47), et du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, points 38 à 42).


83      Arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 31).


84      Arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 32).


85      Arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 38).


86      « Les États membres ne peuvent garantir une bonne gestion financière que si les autorités publiques agissent en conformité avec le droit, si les cas de fraude, y compris la fraude fiscale, l’évasion fiscale, la corruption, les conflits d’intérêts ou d’autres violations du droit sont effectivement poursuivis par les services d’enquête et de poursuites judiciaires, et si les décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques, y compris les autorités répressives, peuvent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif par des juridictions indépendantes et par la Cour de justice de l’Union européenne. »


87      « L’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire devraient toujours être garanties et les services d’enquête et de poursuites judiciaires devraient être en mesure de remplir correctement leurs fonctions. Le pouvoir judiciaire et les services d’enquête et de poursuites judiciaires devraient être dotés des ressources humaines et financières suffisantes ainsi que de procédures leur permettant d’agir de manière efficace et dans le strict respect du droit d’accéder à un tribunal impartial, y compris le respect des droits de la défense. Les jugements définitifs devraient être effectivement exécutés. Ces conditions sont requises à titre de garantie minimale contre les décisions arbitraires et illégales d’autorités publiques susceptibles de léser les intérêts financiers de l’Union. »


88      Voir Martín Rodríguez, P., El Estado de Derecho en la Unión Europea, Marcial Pons, Madrid, 2021, p. 131, selon lequel « l’article 322 TFUE offre une base juridique plus que suffisante pour l’établissement de cette conditionnalité [financière], qui existe d’ailleurs déjà à propos de composantes matérielles concrètes de l’État de droit ».


89      Le mécanisme européen de protection de l’État de droit, le tableau de bord de la justice dans l’Union, la procédure en manquement et la procédure de l’article 7 TUE.


90      Cette déclaration commune se lit comme suit : « Sans préjudice du droit d’initiative de la Commission, le Parlement européen, le Conseil et la Commission conviennent d’envisager d’inclure le contenu du présent règlement dans le règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil du 18 juillet 2018 (le “règlement financier”) lors de sa prochaine révision ». Voir son libellé dans l’annexe au document COM(2020) 843 final, du 14 décembre 2020, Communication de la Commission au Parlement européen conformément à l’article 294, paragraphe 6, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne concernant la position du Conseil sur l’adoption d’un règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union.


91      Voir, en ce sens, l’avis no 1/2018 de la Cour des comptes, points 10 et 11.


92      En particulier, celles correspondant aux points c) (« le bon fonctionnement des services d’enquête et de poursuites judiciaires »), d) (« le contrôle juridictionnel effectif par des juridictions indépendantes ») et e) (« la prévention et la sanction de la fraude, y compris la fraude fiscale, de la corruption ou d’autres violations du droit de l’Union »).


93      Selon l’article 2, point 59, du règlement financier, on entend par « bonne gestion financière », « l’exécution du budget conformément aux principes d’économie, d’efficience et d’efficacité ».


94      L’arrêt du 6 novembre 2014, Italie/Commission (C‑385/13 P, non publié, EU:C:2014:2350, points 68 et 69), vise la nécessité d’un lien suffisamment direct entre une prétendue violation du droit de l’Union par l’État membre bénéficiaire et la mesure faisant l’objet du financement demandé, en tant qu’élément permettant à la Commission d’ordonner la suspension des paiements de fonds structurels à l’État membre.


95      Martín Rodríguez, P., El Estado de Derecho en la Unión Europea, Marcial Pons, Madrid, 2021, p. 133, souligne aussi que la clé pour l’interprétation du règlement 2020/2092 consiste en l’exigence d’une atteinte se produisant « de manière suffisamment directe ».


96      L’éditorial de European Papers, 2020, no 5, p. 1101 à 1104, qualifie de « probatio diabolica » l’obligation pour la Commission de démontrer que la violation de l’État de droit porte exclusivement sur la protection des intérêts financiers de l’Union. L’auteur ajoute que cette exigence « will presumably render inoperative the conditionality mechanism » et que le règlement 2020/2092 « appears to be doomed to fail » s’il n’est appliqué qu’aux comportements des États affectant la bonne gestion financière du budget de l’Union.


97      Les conclusions du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020, point 2, sous e), réaffirment que « le lien de causalité entre ces violations et les conséquences négatives pour les intérêts financiers de l’Union devra être suffisamment direct et dûment établi. La simple constatation de l’existence d’une violation de l’État de droit ne suffit pas à déclencher le mécanisme ».


98      Le Conseil européen, dans ses conclusions des 10 et 11 décembre 2020, va au-delà du texte du règlement au point 2, sous h), en y énonçant que « [l]orsque ces informations et constatations [sur lesquelles la Commission fonde son appréciation], quelle qu’en soit l’origine, sont utilisées aux fins du règlement, la Commission veillera à ce que leur pertinence et leur utilisation soient déterminées exclusivement au regard de l’objectif de protection des intérêts financiers de l’Union visé par le règlement ».


99      Selon l’article 61, paragraphe 3, du règlement financier, « [a]ux fins du paragraphe 1, il y a conflit d’intérêts lorsque l’exercice impartial et objectif des fonctions d’un acteur financier ou d’une autre personne, visés au paragraphe 1, est compromis pour des motifs familiaux, affectifs, d’affinité politique ou nationale, d’intérêt économique ou pour tout autre intérêt personnel direct ou indirect ».


100      Dans les conclusions du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020, point 2, sous d), il est précisé que « [l]’application du mécanisme en respectera le caractère subsidiaire. Des mesures au titre du mécanisme ne seront envisagées que si les autres procédures fixées par le droit de l’Union, y compris dans le cadre du règlement portant dispositions communes, du règlement financier ou des procédures d’infraction prévues par le traité, ne permettaient pas de protéger plus efficacement le budget de l’Union. »


101      Voir, par analogie, la jurisprudence de la Cour selon laquelle « [...] l’obligation de restituer un avantage indûment perçu au moyen d’une irrégularité ne constitue pas une sanction, mais est la simple conséquence de la constatation que les conditions requises pour l’obtention de l’avantage résultant de la réglementation de l’Union n’ont pas été respectées, rendant indu l’avantage perçu » [arrêts du 26 mai 2016, Județul Neamț et Județul Bacău (C‑260/14 et C‑261/14, EU:C:2016:360, point 50 et jurisprudence citée), ainsi que du 1er octobre 2020, Elme Messer Metalurgs (C‑743/18, EU:C:2020:767, point 64)].


102      Si la Cour ne devait pas accepter cette interprétation, en raison de la faiblesse du lien avec la violation de l’État de droit, il lui faudrait annuler le membre de phrase « dans la mesure du possible » figurant à l’article 5, paragraphe 3, in fine du règlement 2020/2092 (qui n’est pas de nature substantielle), de sorte que le libellé de cette disposition indiquerait simplement que « les mesures ciblent les actions de l’Union auxquelles les violations portent atteinte ».


103      Cité au point 11 des présentes conclusions.


104      Pour défendre les bénéficiaires, le Conseil invoque la protection de leurs droits acquis et de leur confiance légitime ainsi que le principe selon lequel la réaction à la violation d’une obligation ne saurait entraîner un autre manquement.


105      S’agissant de la gestion des fonds du FEDER, la Cour a jugé qu’il en va de même dans l’hypothèse où les montants ne peuvent pas être recouvrés « lorsqu’il est établi que cette impossibilité est la conséquence d’une faute ou d’une négligence de cet État membre » [arrêt du 1er octobre 2020, Elme Messer Metalurgs (C‑743/18, EU:C:2020:767, point 71)].


106      S’agissant de la réglementation antérieure et de la jurisprudence relative aux corrections financières, voir Guillem Carrau, J., « Las correcciones financieras en materia de fondos estructurales », Revista Aragonesa de Administración Pública, 2018, no 51, p. 281 à 319.


107      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, (CE) no 1290/2005 et no 485/2008 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 549). Son article 11 prévoit que, « sauf disposition expresse en sens contraire dans le droit de l’Union, les paiements liés au financement prévu par le présent règlement sont effectués intégralement en faveur des bénéficiaires ».


108      En ce sens, voir Martín Rodríguez, P., El Estado de Derecho en la Unión Europea, Marcial Pons, Madrid, 2021, p. 99 à 101.


109      Voir Rossi, L. S., « La valeur juridique des valeurs. L’article 2 TUE : relations avec d’autres dispositions de droit primaire de l’UE et remèdes juridictionnels », Revue trimestrielle de droit européen, 2020, no 3, p. 639 à 657.


110      La Cour affirme que « l’Union regroupe des États qui ont librement et volontairement adhéré aux valeurs communes visées à l’article 2 TUE, respectent ces valeurs et s’engagent à les promouvoir. En particulier, il découle de l’article 2 TUE que l’Union est fondée sur des valeurs, telles que l’État de droit, qui sont communes aux États membres dans une société caractérisée, notamment, par la justice. À cet égard, il convient de relever que la confiance mutuelle entre les États membres et, notamment, leurs juridictions est fondée sur la prémisse fondamentale selon laquelle les États membres partagent une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à cet article » [voir, en ce sens, arrêts du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596, point 50) ; du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, points 42 et 43), ainsi que du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 160)].


111      Arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, points 71 et 72), ainsi que du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033, points 57 et 58). La Cour fait appel à la protection de l’État de droit pour identifier un motif supplémentaire de refus d’exécution de ce type de mandats.


112      Arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers) (C‑872/19 P, EU:C:2021:507, points 48 à 50).


113      Arrêt du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033, point 69).


114      Arrêt du 20 avril 2021, Repubblika (C‑896/19, EU:C:2021:311, point 51), et du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596, point 58).


115      Selon la Cour, l’« exigence d’indépendance des juridictions, qui est inhérente à la mission de juger, relève du contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit fondamental à un procès équitable, lequel revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit ». Arrêts du 20 avril 2021, Repubblika (C‑896/19, EU:C:2021:311, point 51) ; du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 162), ainsi que du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596, points 51 et 58).


116      Comme la procédure d’apurement des comptes du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) ou les procédures de suspension ou de retrait d’aides structurelles.


117      Arrêts du 7 février 1979, France/Commission (15/76 et 16/76, EU:C:1979:29, points 27 et 28), ainsi que du 11 janvier 2001, Grèce/Commission (C‑247/98, EU:C:2001:4, point 13).


118      La procédure d’apurement des comptes vise à constater non seulement la réalité et la régularité des dépenses, mais également la répartition correcte, entre les États membres et l’Union, des charges financières résultant de la politique agricole commune. Voir arrêt du 11 janvier 2001, Grèce/Commission (C‑247/98, EU:C:2001:4, points 13 et 14).


119      Arrêt du 25 octobre 2007, Komninou e.a./Commission (C‑167/06 P, non publié, EU:C:2007:633, point 52), et ordonnance du 11 juillet 1996, An Taisce et WWF UK/Commission (C‑325/94 P, EU:C:1996:293, point 23). Voir, également, arrêt du Tribunal du 26 février 2013, Espagne/Commission (T‑65/10, T‑113/10 et T‑138/10, non publié, EU:T:2013:93, point 109).


120      Ordonnance du 11 juillet 1996, An Taisce et WWF UK/Commission (C‑325/94 P, EU:C:1996:293, point 24).


121      Voir arrêts du 15 octobre 2014, Danemark/Commission (C‑417/12 P, EU:C:2014:2288, points 81 à 83), et du 2 avril 2020, Commission/Espagne (C‑406/19 P, non publié, EU:C:2020:276, points 49 et 50).


122      La suspension de l’approbation d’un ou de plusieurs programmes ou une modification de cette suspension ; la suspension des engagements ; la réduction des engagements, notamment au moyen de corrections financières ou de transferts vers d’autres programmes de dépenses ; la réduction du préfinancement ; l’interruption des délais de paiement ; la suspension des paiements.


123      Selon le considérant 70 du règlement sur les dispositions communes 2021‑2027, en adoptant les mesures visant à sauvegarder les intérêts financiers et le budget de l’Union (qui sont d’interrompre les délais de paiement, de suspendre les paiements intermédiaires et d’appliquer des corrections financières), « la Commission respecte le principe de proportionnalité en tenant compte de la nature, de la gravité et de la fréquence des irrégularités ainsi que de leurs incidences financières sur le budget de l’Union ».


124      L’article 10, paragraphe 4, du règlement 2021/241 indique que « [l]a portée et le niveau de la suspension des engagements ou des paiements à imposer sont proportionnés, respectent l’égalité de traitement entre les États membres et tiennent compte de la situation économique et sociale de l’État membre concerné, en particulier son taux de chômage, le niveau de pauvreté ou d’exclusion sociale dans l’État membre concerné par rapport à la moyenne de l’Union et les effets de la suspension sur l’économie de l’État membre concerné ».


125      En pratique, l’État membre doit soit renoncer aux ressources du budget de l’Union, soit mettre fin à ses violations des principes de l’État de droit qui ont une incidence sur l’exécution du budget de l’Union.


126      Voir article 63, paragraphe 8, in fine, du règlement financier.


127      Selon l’article 7, paragraphe 5, TUE, « [l]es modalités de vote qui, aux fins du présent article, s’appliquent au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil sont fixées à l’article 354 [TFUE] ».


128      Considérant 20 du règlement 2020/2092.


129      Arrêt du 24 octobre 1989, Commission/Conseil (16/88, EU:C:1989:397, points 15 à 18).


130      D’après la jurisprudence constante de la Cour, « le Conseil est tenu de dûment justifier, en fonction de la nature et du contenu de l’acte de base à mettre en œuvre ou à modifier, une exception à la règle selon laquelle c’est à la Commission qu’il incombe normalement d’exercer la compétence d’exécution » [arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil (C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 60 et jurisprudence citée)].


131      Aux termes du considérant 26 du règlement 2020/2092, « [l]a procédure [...] devrait respecter les principes d’objectivité, de non‑discrimination et d’égalité de traitement des États membres, et devrait être menée selon une approche non partisane et fondée sur des éléments concrets. Si, exceptionnellement, l’État membre concerné estime qu’il existe de graves violations de ces principes, il peut demander au président du Conseil européen de saisir le prochain Conseil européen de la question. Dans de telles circonstances exceptionnelles, aucune décision concernant les mesures ne devrait être prise jusqu’à ce que le Conseil européen ait débattu de la question. Ce processus ne devrait, en principe, pas durer plus de trois mois après que la Commission a présenté sa proposition au Conseil ».


132      La Cour a indiqué à de nombreuses reprises que les considérants d’un acte de l’Union n’ont pas de valeur juridique contraignante et ne sauraient être utilement invoqués pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné ni pour interpréter ces dispositions dans un sens manifestement contraire à leur libellé. Voir, en ce sens, arrêts du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA (C‑344/04, EU:C:2006:10, point 76) ; du 2 avril 2009, Tyson Parketthandel (C‑134/08, EU:C:2009:229, point 16), et du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission (C‑10/18 P, EU:C:2020:149, point 44).


133      Le compromis du Conseil européen que traduit le point 2, sous j), du document EUCO 22/20 ne produit non plus aucun effet juridique. Celui-ci énonce : « Si l’État membre concerné présente une demande visée au considérant 26 du règlement, le président du Conseil européen inscrira ce point à l’ordre du jour du Conseil européen. Le Conseil européen s’efforcera de formuler une position commune sur cette question ».


134      Voir, à cet égard, arrêt du 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie/Conseil (C‑643/15 et C‑647/15, EU:C:2017:631, point 148), dans lequel la Cour a jugé : « D’autre part, l’article 78, paragraphe 3, TFUE permet au Conseil d’adopter des mesures à la majorité qualifiée, ainsi que l’a fait le Conseil en adoptant la décision attaquée. Le principe de l’équilibre institutionnel interdit que le Conseil européen modifie cette règle de vote en imposant au Conseil, au travers de conclusions prises conformément à l’article 68 TFUE, une règle de vote à l’unanimité ».


135      Document COM(2020) 843 final, p. 3.


136      C‑650/18, EU:C:2021:426, point 30.


137      Arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement (C‑650/18, EU:C:2021:426, point 32).


138      Arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement (C‑650/18, EU:C:2021:426, point 33).


139      Arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement (C‑650/18, EU:C:2021:426, point 31).


140      Arrêt du 29 avril 2021, Banco de Portugal e.a. (C‑504/19, EU:C:2021:335, point 51).


141      Arrêt du 29 avril 2021, Banco de Portugal e.a. (C‑504/19, EU:C:2021:335, point 52).


142      Arrêt du 14 avril 2005, Belgique/Commission (C‑110/03, EU:C:2005:223, point 31).


143      Arrêt du 20 juillet 2017, Marco Tronchetti Provera e.a. (C‑206/16, EU:C:2017:572, point 42).


144      Arrêt du 30 avril 2020, Nelson Antunes da Cunha (C‑627/18, EU:C:2020:321, point 45).


145      Document COM(2014) 158 final, annexe I.


146      Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) du Conseil de l’Europe.


147      À l’audience, la Commission a indiqué qu’elle prépare actuellement un projet de lignes directrices visant à faciliter la mise en œuvre du règlement 2020/2092, en suivant une technique largement utilisée dans d’autres domaines (par exemple, en matière d’aides d’État).


148      L’article 7 TUE vise le « risque [...] de violation grave [...] des valeurs visées à l’article 2 ».


149      Mise en italique par mes soins.


150      Point 181 et note en bas de page 102 des présentes conclusions.


151      Arrêts du 24 mai 2005, France/Parlement et Conseil (C‑244/03, EU:C:2005:299, points 12 et 13), ainsi que du 11 décembre 2008, Commission/Département du Loiret (C‑295/07 P, EU:C:2008:707, points 105 et 106).


152      Mise en italique par mes soins.


153      Arrêt du 7 octobre 2004, Espagne/Commission (C‑153/01, EU:C:2004:589, points 66 et 67).