Language of document : ECLI:EU:T:2005:452





Document de travail

ARRÊT DU TRIBUNAL (grande chambre)

14 décembre 2005 (*)

« Responsabilité non contractuelle de la Communauté – Incompatibilité du régime communautaire d’importation des bananes avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – Instauration par les États-Unis d’Amérique de mesures de rétorsion sous la forme d’une surtaxe douanière prélevée sur les importations en provenance de la Communauté en vertu d’une autorisation de l’OMC – Décision de l’organe de règlement des différends de l’OMC – Effets juridiques – Responsabilité de la Communauté en l’absence de comportement illicite de ses organes – Lien de causalité – Préjudice anormal et spécial »

Dans l’affaire T-320/00,

CD Cartondruck AG, établie à Obersulm (Allemagne), représentée initialement par Mes  H.‑J. Niemeyer et W. Berg, puis par Me Berg, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. J. Huber et S. Marquardt, en qualité d’agents,

et

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. B. Jansen et Mme S. Fries, puis par M. P. Kuijper et Mme Fries, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties défenderesses,

ayant pour objet un recours en réparation du préjudice censé découler de la surtaxe douanière dont le prélèvement par les États-Unis d’Amérique sur les importations de boîtes pliantes imprimées en carton de la requérante a été autorisé par l’organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à la suite de la constatation de l’incompatibilité du régime communautaire d’importation de bananes avec les accords et les mémorandums annexés à l’accord instituant l’OMC,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (grande chambre),

composé de M. B. Vesterdorf, président, Mme P. Lindh, MM. J. Azizi, J. Pirrung, H. Legal, R. García-Valdecasas, Mme V. Tiili, MM. J. D. Cooke, A. W. H. Meij, M. Vilaras et N. J. Forwood, juges,

greffier : M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 mai 2004,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1       Le 15 avril 1994, la Communauté a signé l’acte final concluant les négociations commerciales multilatérales du cycle de l’Uruguay, l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ainsi que l’ensemble des accords et des mémorandums figurant aux annexes 1 à 4 de l’accord instituant l’OMC (ci-après les « accords OMC »).

2       À la suite de cette signature, le Conseil a adopté la décision 94/800/CE, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1).

3       Comme il ressort du préambule de l’accord instituant l’OMC, les parties contractantes ont entendu souscrire des accords « visant, sur une base de réciprocité et d’avantages mutuels, à la réduction substantielle des tarifs douaniers et des autres obstacles au commerce et à l’élimination des discriminations dans les relations commerciales internationales ».

4       L’article II, paragraphe 2, de l’accord instituant l’OMC dispose :

« Les accords et instruments juridiques connexes repris dans les annexes 1, 2 et 3 […] font partie intégrante du présent accord et sont contraignants pour tous les membres ».

5       L’article XVI, intitulé « Dispositions diverses », de l’accord instituant l’OMC, dispose en son paragraphe 4 :

« Chaque membre assurera la conformité de ses lois, réglementations et procédures administratives avec ses obligations telles qu’elles sont énoncées dans les accords figurant en annexe ».

6       Par ailleurs, le mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends (ci-après le « MRD »), qui figure en annexe 2 à l’accord instituant l’OMC, spécifie, au paragraphe 2, dernière phrase, de son article 3, intitulé « Dispositions générales » :

« Les recommandations et décisions de l’[organe de règlement des différends] ne peuvent pas accroître ou diminuer les droits et obligations énoncés dans les accords visés ».

7       Aux termes de l’article 3, paragraphe 7, du MRD :

« Avant de déposer un recours, un membre jugera si une action au titre des présentes procédures serait utile. Le but du mécanisme de règlement des différends est d’arriver à une solution positive des différends. Une solution mutuellement acceptable pour les parties et compatible avec les accords visés est nettement préférable. En l’absence d’une solution mutuellement convenue, le mécanisme de règlement des différends a habituellement pour objectif premier d’obtenir le retrait des mesures en cause, s’il est constaté qu’elles sont incompatibles avec les dispositions de l’un des accords visés. Il ne devrait être recouru à l’octroi d’une compensation que si le retrait immédiat de la mesure en cause est irréalisable, et qu’à titre temporaire en attendant le retrait de la mesure incompatible avec un accord visé. Le dernier recours que le [MRD] ouvre au membre qui se prévaut des procédures de règlement des différends est la possibilité de suspendre l’application de concessions ou l’exécution d’autres obligations au titre des accords visés, sur une base discriminatoire, à l’égard de l’autre membre, sous réserve que l’[organe de règlement des différends] l’y autorise ».

8       L’article 7 du MRD prévoit que des groupes spéciaux procèdent aux constatations propres à aider l’organe de règlement des différends (ci-après l’« ORD ») à formuler des recommandations ou à statuer sur les questions dont cet organe est saisi. Selon l’article 12, paragraphe 7, du MRD, dans les cas où les parties au différend ne parviennent pas à élaborer une solution mutuellement satisfaisante, le groupe spécial présente ses constatations sous la forme d’un rapport écrit à l’ORD.

9       L’article 17 du MRD prévoit l’institution par l’ORD d’un organe d’appel permanent chargé de connaître des appels concernant des affaires soumises aux groupes spéciaux.

10     Aux termes de l’article 19 du MRD, dans les cas où un groupe spécial ou l’organe d’appel conclut à l’incompatibilité d’une mesure avec un accord OMC, il recommande que le membre concerné rende celle-ci conforme à cet accord. Outre les recommandations qu’il fait, le groupe spécial ou l’organe d’appel peut suggérer au membre concerné des façons de mettre en œuvre ces recommandations.

11     Selon l’article 21, paragraphe 1, du MRD, intitulé « Surveillance de la mise en œuvre des recommandations et décisions », pour que les différends soient résolus efficacement dans l’intérêt de tous les membres, il est indispensable de donner suite dans les moindres délais aux recommandations ou aux décisions de l’ORD.

12     En vertu de l’article 21, paragraphe 3, du MRD, le membre concerné se trouvant dans l’impossibilité de se conformer immédiatement aux recommandations et aux décisions de l’ORD dispose d’un délai raisonnable, déterminé, le cas échant, par un arbitrage contraignant.

13     En cas de désaccord au sujet de l’existence ou de la compatibilité avec un accord OMC de mesures prises pour se conformer aux recommandations ou aux décisions de l’ORD, l’article 21, paragraphe 5, du MRD précise que ce différend est réglé suivant les procédures de règlement des différends définies par le MRD, y compris, dans tous les cas où cela est possible, avec recours au groupe spécial initial.

14     Selon l’article 21, paragraphe 6, du MRD, l’ORD tient sous surveillance la mise en œuvre des recommandations ou des décisions adoptées et, à moins que l’ORD n'en décide autrement, la question de la mise en œuvre des recommandations ou des décisions est inscrite à l’ordre du jour de la réunion de l’ORD après une période de six mois suivant la date à laquelle le délai raisonnable prévu au paragraphe 3 aura été fixé et demeure inscrite à l'ordre du jour des réunions de l'ORD jusqu’à ce qu’elle soit résolue.

15     L’article 22 du MRD, intitulé « Compensation et suspension de concessions », dispose :

« 1. La compensation et la suspension de concessions ou d’autres obligations sont des mesures temporaires auxquelles il peut être recouru dans le cas où les recommandations et décisions ne sont pas mises en oeuvre dans un délai raisonnable. Toutefois, ni la compensation ni la suspension de concessions ou d’autres obligations ne sont préférables à la mise en oeuvre intégrale d’une recommandation de mettre une mesure en conformité avec les accords visés. La compensation est volontaire et, si elle est accordée, elle sera compatible avec les accords visés.

2. Si le membre concerné ne met pas la mesure jugée incompatible avec un accord visé en conformité avec ledit accord ou ne respecte pas autrement les recommandations et décisions dans le délai raisonnable déterminé conformément au paragraphe 3 de l’article 21, ce membre se prêtera, si demande lui en est faite et au plus tard à l’expiration du délai raisonnable, à des négociations avec toute partie ayant invoqué les procédures de règlement des différends, en vue de trouver une compensation mutuellement acceptable. Si aucune compensation satisfaisante n’a été convenue dans les 20 jours suivant la date à laquelle le délai raisonnable sera venu à expiration, toute partie ayant invoqué les procédures de règlement des différends pourra demander à l’ORD l’autorisation de suspendre, à l’égard du membre concerné, l’application de concessions ou d’autres obligations au titre des accords visés.

3. Lorsqu’elle examinera les concessions ou autres obligations à suspendre, la partie plaignante appliquera les principes et procédures ci-après :

a)      le principe général est le suivant: la partie plaignante devrait d’abord chercher à suspendre des concessions ou d’autres obligations en ce qui concerne le(s) même(s) secteur(s) que celui (ceux) dans lequel (lesquels) le groupe spécial ou l’Organe d’appel a constaté une violation ou autre annulation ou réduction d’avantages ;

b)      si cette partie considère qu’il n’est pas possible ou efficace de suspendre des concessions ou d’autres obligations en ce qui concerne le(s) même(s) secteur(s), elle pourra chercher à suspendre des concessions ou d’autres obligations dans d’autres secteurs au titre du même accord ;

c)      si cette partie considère qu’il n’est pas possible ou efficace de suspendre des concessions ou d’autres obligations en ce qui concerne d’autres secteurs au titre du même accord, et que les circonstances sont suffisamment graves, elle pourra chercher à suspendre des concessions ou d’autres obligations au titre d’un autre accord visé ;

[...]

4. Le niveau de la suspension de concessions ou d’autres obligations autorisée par l’ORD sera équivalent au niveau de l’annulation ou de la réduction des avantages.

[…]

6. Lorsque la situation décrite au paragraphe 2 se produira, l’ORD accordera, sur demande, l’autorisation de suspendre des concessions ou d’autres obligations dans un délai de 30 jours à compter de l’expiration du délai raisonnable, à moins qu’il ne décide par consensus de rejeter la demande. Toutefois, si le membre concerné conteste le niveau de la suspension proposée, ou affirme que les principes et procédures énoncés au paragraphe 3 n’ont pas été suivis dans les cas où une partie plaignante a demandé l’autorisation de suspendre des concessions ou d’autres obligations […], la question sera soumise à arbitrage. Cet arbitrage sera assuré par le groupe spécial initial, si les membres sont disponibles, ou par un arbitre désigné par le directeur général, et sera mené à bien dans les 60 jours suivant la date à laquelle le délai raisonnable sera venu à expiration. Les concessions ou autres obligations ne seront pas suspendues pendant l’arbitrage.

7. L’arbitre, agissant en vertu du paragraphe 6, n’examinera pas la nature des concessions ou des autres obligations à suspendre, mais déterminera si le niveau de ladite suspension est équivalent au niveau de l’annulation ou de la réduction des avantages […] Les parties accepteront comme définitive la décision de l’arbitre et les parties concernées ne demanderont pas un second arbitrage. L’ORD sera informé dans les moindres délais de cette décision et accordera, sur demande, l’autorisation de suspendre des concessions ou d’autres obligations dans les cas où la demande sera compatible avec la décision de l’arbitre, à moins que l’ORD ne décide par consensus de rejeter la demande.

8. La suspension de concessions ou d’autres obligations sera temporaire et ne durera que jusqu’à ce que la mesure jugée incompatible avec un accord visé ait été éliminée, ou que le membre devant mettre en oeuvre les recommandations ou les décisions ait trouvé une solution à l’annulation ou à la réduction d’avantages, ou qu’une solution mutuellement satisfaisante soit intervenue. Conformément à [l’article 21, paragraphe 6, du MRD], l’ORD continuera de tenir sous surveillance la mise en oeuvre des recommandations ou décisions adoptées, y compris dans le cas où une compensation aura été octroyée ou dans les cas où des concessions ou d’autres obligations auront été suspendues, mais où des recommandations de mettre une mesure en conformité avec les accords visés n’auront pas été mises en œuvre.

[...] »

 Faits à l’origine du litige

16     Le 13 février 1993, le Conseil a adopté le règlement (CEE) nº 404/93, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1, ci‑après l’« OCM bananes »). Le régime des échanges avec les États tiers établi par le titre IV de ce règlement prévoyait des dispositions préférentielles au profit des bananes originaires de certains États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) cosignataires de la quatrième convention ACP-CEE de Lomé du 15 décembre 1989 (JO 1991, L 229, p. 3).

17     Sur plaintes déposées en février 1996 devant l’ORD par plusieurs membres de l’OMC, dont l’Équateur et les États-Unis d’Amérique, le groupe spécial constitué conformément aux dispositions du MRD a remis, le 22 mai 1997, ses rapports concluant à l’incompatibilité du régime d’importation de l’OCM bananes avec les engagements assumés par la Communauté au titre des accords OMC. Les rapports établis par le groupe spécial ont également recommandé que l’ORD invite la Communauté à mettre ce régime en conformité avec les obligations lui incombant au titre des accords OMC.

18     Sur appel formé par la Communauté, l’organe d’appel permanent a, le 9 septembre 1997, confirmé en substance les conclusions du groupe spécial et recommandé que l’ORD invite la Communauté à mettre en conformité avec les accords OMC les dispositions communautaires litigieuses.

19     Le 25 septembre 1997, les rapports du groupe spécial et de l’organe d’appel ont été adoptés par l’ORD.

20     Le 16 octobre 1997, la Communauté a informé l’ORD, conformément à l’article 21, paragraphe 3, du MRD, qu’elle respecterait pleinement ses engagements internationaux.

21     Le 17 novembre 1997, les États plaignants ont demandé, en application de l’article 21, paragraphe 3, sous c), du MRD, qu’un arbitrage contraignant fixe le délai raisonnable dans lequel la Communauté devrait se conformer à ses obligations.

22     Par sentence arbitrale publiée le 7 janvier 1998, l’arbitre saisi a retenu à cet effet la période comprise entre le 25 septembre 1997 et le 1er janvier 1999.

23     En adoptant le règlement (CE) n° 1637/98, du 20 juillet 1998, modifiant le règlement n° 404/93 (JO L 210, p. 28), le Conseil a amendé le régime des échanges de bananes avec les États tiers.

24     Le préambule du règlement n° 1637/98 relève :

« (1) […] il y a lieu d’apporter un certain nombre de modifications au régime des échanges avec les États tiers instauré par le titre IV du règlement […] n° 404/93 ;

(2) […] il convient de respecter les engagements internationaux souscrits par la Communauté dans le cadre de l’[OMC], ainsi que les engagements contractés vis‑à-vis des autres signataires de la quatrième convention ACP-CE de Lomé, tout en assurant la réalisation des objectifs de l’[OCM bananes ] ;

[…]

(9) […] il convient d’étudier le fonctionnement du présent règlement au terme d’une période d’expérimentation suffisante ;

[…] »

25     Le 28 octobre 1998, la Commission a adopté le règlement (CE) nº 2362/98, portant modalités d’application du règlement nº 404/93 en ce qui concerne le régime d’importation des bananes dans la Communauté (JO L 293, p. 32). Ce texte comporte l’ensemble des dispositions nécessaires à la mise en œuvre du nouveau régime des échanges de bananes avec les États tiers, y compris les mesures transitoires justifiées par l’entrée en vigueur très rapprochée de ses modalités d’application.

26     Estimant que la Communauté avait instauré un régime d’importation des bananes conçu pour maintenir les éléments illégaux du régime précédent, en méconnaissance des accords OMC et de la décision du 25 septembre 1997 de l’ORD, les États-Unis d’Amérique ont publié dans le Federal Register, le 10 novembre 1998, la liste provisoire des produits originaires d’États membres de la Communauté qu’ils envisageaient de frapper, à titre de rétorsion, d’une surtaxe douanière à l’importation.

27     Les États-Unis d’Amérique ont annoncé, le 21 décembre 1998, leur intention d’appliquer, dès le 1er février 1999 ou, au plus tard, à partir du 3 mars 1999, des droits de douane au taux de 100 % sur les importations de produits communautaires figurant sur une liste établie par l’administration américaine.

28     Le 14 janvier 1999, les États-Unis d’Amérique ont demandé à l’ORD, en vertu de l’article 22, paragraphe 2, du MRD, l’autorisation de suspendre l’application à la Communauté et à ses États membres de concessions tarifaires et d’obligations connexes au titre de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1994 et de l’accord général sur le commerce des services (GATS), à raison d’un montant d’échanges commerciaux de 520 millions de dollars américains (USD).

29     Au cours d’une réunion de l’ORD qui s’est tenue du 25 janvier au 1er février 1999, la Communauté a contesté ce montant, au motif qu’il ne correspondait pas au niveau de l’annulation ou de la réduction des avantages subie par les États-Unis d’Amérique et a soutenu que les principes et les procédures définis par l’article 22, paragraphe 3, du MRD n’avaient pas été respectés.

30     Le 29 janvier 1999, l’ORD a décidé, à la demande de la Communauté, de soumettre cette question à l’arbitrage du groupe spécial initial, sur le fondement de l’article 22, paragraphe 6, du MRD, et a suspendu la demande d’autorisation des États-Unis d’Amérique jusqu’à la détermination du montant autorisé des droits à prélever à titre de mesure de rétorsion.

31     Le 3 mars 1999, l’administration américaine a imposé aux exportateurs communautaires de produits figurant sur une nouvelle liste établie par ses soins l’obligation de constituer une caution bancaire à hauteur de 100 % de la valeur des produits d’importation visés.

32     Par décision du 9 avril 1999, les arbitres ont, d’une part, estimé plusieurs dispositions du nouveau régime d’importation de l’OCM bananes contraires à des dispositions des accords OMC, fixé à 191,4 millions de USD par an le niveau de l’annulation ou de la réduction d’avantages subie par les États-Unis d’Amérique et, d’autre part, considéré que la suspension par ce pays de l’application à la Communauté et à ses États membres de concessions tarifaires et d’obligations connexes au titre du GATT de 1994 portant sur des échanges d’un montant maximal de 191,4 millions de USD par an serait compatible avec l’article 22, paragraphe 4, du MRD.

33     Le 7 avril 1999, les États-Unis d’Amérique ont demandé à l’ORD, en application de l’article 22, paragraphe 7, du MRD, l’autorisation de percevoir des droits de douane à l’importation à concurrence de ce montant.

34     Par un communiqué de presse du 9 avril 1999, le United States Trade Representative (le représentant spécial des États-Unis d’Amérique pour les questions commerciales, ci-après le « représentant spécial ») a annoncé la liste des produits grevés de droits de douane à l’importation au taux de 100 %. Dans cette liste de produits, originaires d’Autriche, de Belgique, de Finlande, de France, d’Allemagne, de Grèce, d’Irlande, d’Italie, du Luxembourg, du Portugal, d’Espagne, de Suède ou du Royaume-Uni, figuraient notamment les « boîtes, coffrets et étuis pliants en papier ou carton non ondulé ». Il était indiqué que le représentant spécial publierait la décision introduisant les droits de 100 % dans le Federal Register et qu’il avait l’intention de fixer la date de prise d’effet de leur prélèvement au 3 mars 1999.

35     Cette décision, publiée le 19 avril 1999 dans le Federal Register (volume 64, nº 74, p. 19209 à 19211), a été adoptée sur le fondement de la section 301 du Trade Act de 1974, aux termes duquel le représentant spécial prend les mesures autorisées s’il constate la violation des droits que les États-Unis d’Amérique tirent d’un accord commercial.

36     Il ressort de la rubrique « Date de prise d’effet » de la mesure précitée que « [le représentant spécial] a décidé que le droit ad valorem de 100 % serait appliqué, avec effet au 19 avril 1999, aux produits mis en consommation et ceux retirés d’un entrepôt en vue de leur mise en consommation, le 3 mars 1999 ou après cette date ».

37     Un groupe spécial constitué à la demande présentée par l’Équateur le 18 décembre 1998, conformément à l’article 21, paragraphe 5, du MRD, a également conclu, le 6 avril 1999, à l’incompatibilité du nouveau régime communautaire d’importation des bananes avec les dispositions des accords OMC. Le rapport du groupe spécial a été approuvé le 6 mai 1999 par l’ORD.

38     Le 19 avril 1999, l’ORD a autorisé les États-Unis d’Amérique à prélever sur les importations originaires de la Communauté des droits de douane à concurrence d’un montant annuel d’échanges de 191,4 millions de USD.

39     Le 25 mai 1999, la Communauté a contesté devant les instances de l’OMC les mesures de rétorsion américaines pour la période du 3 mars 1999 au 19 avril suivant, en raison notamment de leur prise d’effet au 3 mars 1999.

40     Considérant que l’entrée en vigueur de la surtaxe américaine à cette dernière date était contraire aux dispositions du MRD, le groupe spécial saisi par la Communauté a différé la date de prise d’effet de cette mesure au 19 avril 1999.

41     Dans le cadre de négociations avec toutes les parties intéressées, la Communauté a proposé des modifications à apporter à la nouvelle OCM bananes. Ces modifications ont été édictées par le règlement (CE) n° 216/2001 du Conseil, du 29 janvier 2001, modifiant le règlement n° 404/93 (JO L 31, p. 2).

42     Selon le préambule du règlement n° 216/2001 :

« (1) Des contacts nombreux et intenses ont été établis avec les pays fournisseurs ainsi qu’avec les autres parties concernées afin de mettre fin aux contestations soulevées par le régime d’importation établi par le règlement […] n° 404/93, et afin de tenir compte des conclusions du groupe spécial institué dans le cadre du système de règlement des différends de l’[OMC].

(2) L’analyse de toutes les options présentées par la Commission conduit à estimer que l’établissement, à moyen terme, d’un régime d’importation fondé sur l’application d’un droit de douane d’un taux approprié et l’application d’une préférence tarifaire pour les importations originaires des pays ACP présente les meilleures garanties pour, d’une part, réaliser les objectifs de l’organisation commune des marchés en ce qui concerne la production communautaire et la demande des consommateurs et, d’autre part, respecter les règles du commerce international, afin de prévenir de nouvelles contestations.

(3) L’instauration d’un tel régime doit, toutefois, intervenir au terme de négociations avec les partenaires de la Communauté selon les procédures de l’OMC, en particulier de l’article XXVIII [du GATT …] Le résultat de ces négociations doit être soumis pour approbation au Conseil qui doit également, conformément aux dispositions du traité, fixer le taux du tarif douanier commun applicable.

(4) Jusqu’à l’entrée en vigueur de ce régime, il convient d’approvisionner la Communauté dans le cadre de plusieurs contingents tarifaires, ouverts pour des importations de toutes origines, aménagés en tenant compte des recommandations faites par l’ [ORD …]

(5) Compte tenu des obligations contractées à l’égard des pays ACP et de la nécessité de leur garantir des conditions de compétitivité adéquates, l’application à l’importation des bananes originaires de ces pays d’une préférence tarifaire de 300 euros par tonne doit permettre de maintenir les flux commerciaux en cause. Cela conduit, en particulier, à l’application, pour ces importations, d’un droit zéro dans le cadre des […] contingents tarifaires.

(6) Il convient d’autoriser la Commission à ouvrir des négociations avec les pays fournisseurs ayant un intérêt substantiel à l’approvisionnement du marché de la Communauté pour tenter d’opérer une répartition négociée des deux premiers contingents tarifaires […] »

43     Le 11 avril 2001, les États-Unis d’Amérique et la Communauté ont conclu un mémorandum d’accord définissant « les moyens qui peuvent permettre de régler le différend de longue date concernant le régime d’importation des bananes » dans la Communauté. Ce mémorandum prévoit que la Communauté s’engage à « [mettre] en place un régime uniquement tarifaire pour les importations de bananes au plus tard le 1er janvier 2006 ». Ce document définit les mesures que la Communauté s’engage à prendre au cours de la période intérimaire expirant au 1er janvier 2006. En contrepartie, les États-Unis d’Amérique se sont engagés à suspendre provisoirement l’imposition de la surtaxe douanière qu’ils étaient autorisés à prélever sur les importations communautaires. Les États-Unis d’Amérique ont toutefois précisé, par communication du 26 juin 2001 à l’ORD, que ce mémorandum d’accord « ne constitu[ait] pas en lui-même une solution convenue d’un commun accord conformément à l’article [3, paragraphe 6, du MRD et que,] en outre, compte tenu des mesures que toutes les parties ont encore à prendre, il serait aussi prématuré de retirer ce point de l’ordre du jour de l’ORD ».

44     Par règlement (CE) n° 896/2001, du 7 mai 2001, portant modalités d’application du règlement n° 404/93 en ce qui concerne le régime d’importation de bananes dans la Communauté (JO L 126, p. 6), la Commission a défini les modalités d’application du nouveau régime communautaire d’importation des bananes introduit par le règlement n° 216/2001.

45     Les États-Unis d’Amérique ont suspendu l’application de leur surtaxe douanière avec effet au 30 juin 2001. À compter du 1er juillet 2001, leur droit à l’importation sur les boîtes, coffrets et étuis pliants en carton originaires de la Communauté a été ramené à son taux initial.

46     Il ressort des statistiques produites par la Commission à la demande du Tribunal que la valeur totale caf (coût, assurance et fret) des importations aux États-Unis d’Amérique de boîtes, coffrets et étuis pliants d’origine communautaire s’est élevée à 27 932 045 USD en 1998, à 16 645 665 USD en 1999, à 9 531 023 USD en 2000 et, enfin, à 18 444 637 USD en 2001.

47     La requérante produit des boîtes pliantes en carton imprimées et décorées, destinées au conditionnement des produits de marque haut de gamme et relevant de la catégorie des produits « boîtes, coffrets et étuis en papier ou carton non ondulé » concernés par la surtaxe douanière. Depuis 1992, la requérante exporte ses produits aux États-Unis.

48     Par lettre du 13 juillet 2000, la requérante a demandé au Conseil et à la Commission de l’indemniser du préjudice qu’elle aurait subi en raison de la perception sur ses importations aux États-Unis de droits de douane supérieurs à ceux que ce pays aurait été autorisé à prélever si les dispositions de l’OCM bananes n’avaient pas contrevenu aux accords OMC.

49     Par plis des 7 et 8 septembre 2000, le Conseil et la Commission ont rejeté cette demande en considérant que la surtaxe douanière avait été introduite par un État tiers et qu’elle ne pouvait donc pas engager la responsabilité de la Communauté.

 Procédure

50     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 octobre 2000, la requérante a introduit le présent recours en réparation du préjudice censé découler de la surtaxe douanière américaine.

51     Sur demande de la Commission introduite en vertu de l’article 51, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement de procédure, la présente affaire a été renvoyée devant une chambre élargie, composée de cinq juges, par décision du Tribunal du 4 juillet 2002.

52     L’affaire a été réattribuée à la première chambre élargie, le 4 octobre 2002, en vertu de la décision du Tribunal du 4 juillet 2002, relative à la composition des chambres et à l’attribution des affaires à celles-ci.

53     À la suite de l’empêchement du juge rapporteur initialement désigné, en raison de la cessation de ses fonctions, le président du Tribunal a, par décision du 8 janvier 2003, nommé un nouveau juge rapporteur.

54     Le 1er avril 2004, le Tribunal, les parties entendues, a décidé de renvoyer devant la grande chambre du Tribunal la présente affaire, ainsi que cinq autres affaires connexes.

55     Par ordonnance du 19 mai 2004, le président de la grande chambre, les parties entendues, a joint ces six affaires aux fins de la procédure orale.

56     Au titre des mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a invité les parties à répondre par écrit à une série de questions avant l’audience. Les parties ont régulièrement produit les informations requises.

57     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience de la grande chambre qui s’est déroulée le 26 mai 2004.

 Conclusions des parties

58     La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       condamner les parties défenderesses, en tant que débitrices solidaires, à l’indemniser à raison d’un montant de 1 485 959 euros et augmenté des intérêts moratoires de 8 %, à partir de la survenance du dommage et jusqu’à la date de sa réparation ;

–       constater que les défenderesses, en tant que débitrices solidaires, sont tenues de réparer le dommage subi par elle postérieurement à l’introduction de son recours en raison de la perception par les États-Unis d’Amérique, sur ses produits importés, de taxes supérieures à celles qu’ils seraient en droit de percevoir si le Conseil n’avait pas enfreint le droit de l’OMC en adoptant l’OCM bananes ;

–       condamner les parties défenderesses aux dépens.

59     Les parties défenderesses concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours ;

–       condamner la requérante aux dépens.

 Sur la recevabilité

60     Sans soulever une exception formelle au titre de l’article 114 du règlement de procédure, les parties défenderesses font observer que le recours est irrecevable en raison du défaut de conformité de la requête aux prescriptions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, d’une part, et du défaut de compétence du Tribunal, d’autre part.

 Sur le défaut de conformité de la requête aux prescriptions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure

 Arguments des parties

61     La Commission estime irrecevable le recours en raison du caractère insuffisant des moyens invoqués. La requérante ne préciserait pas en quoi consiste le comportement des institutions de la Communauté censé être à l’origine du dommage.

62     Le Conseil fait observer que la procédure de règlement des différends a eu pour objet la conformité aux règles de l’OMC des règlements n° 1637/98 et n° 2362/98 et non l’omission éventuelle de la Communauté de se conformer dans les délais à ses obligations conventionnelles.

63     La requérante répond qu’elle a invoqué alternativement, dans la requête, l’adoption de l’OCM bananes révisée et, à titre de fait illicite autonome, l’omission de mettre cette OCM bananes en conformité avec les accords OMC. La requérante se borne désormais à fonder son droit à réparation sur un acte illicite et, à titre subsidiaire, sur un acte licite de la Communauté.

 Appréciation du Tribunal

64     En vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, de ce statut, et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l’objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels il se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même.

65     Pour satisfaire à ces exigences, une requête visant, comme en l’occurrence, à la réparation de dommages prétendument causés par des institutions communautaires doit contenir les éléments permettant d’identifier tant le comportement que le requérant reproche à ces institutions que les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre ce comportement et le préjudice qu’il prétend avoir subi (arrêt du Tribunal du 29 janvier 1998, Dubois et Fils/Conseil et Commission, T‑113/96, Rec. p. II‑125, points 29 et 30).

66     Comme il ressort de son argumentation, la requérante soutient en substance avoir subi un préjudice du fait de l’absence d’adoption par les institutions défenderesses de modifications du régime communautaire d’importation des bananes de nature à mettre celui-ci, dans les délais impartis par l’ORD, en conformité avec les engagements assumés par la Communauté au titre des accords OMC.

67     La requête contient ainsi, contrairement à ce que soutiennent les parties défenderesses, les éléments permettant d’identifier le comportement que leur reproche la requérante et que celle-ci considère comme étant à l’origine de son préjudice.

68     Il ressort d’ailleurs de l’argumentation développée par les parties défenderesses sur le bien-fondé du recours qu’elles ont pu utilement préparer leur défense sur les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté. Il s’ensuit que le Tribunal est en mesure de statuer sur le présent recours en pleine connaissance de cause des éléments du dossier et dans le respect du principe du contradictoire.

69     Il y a donc lieu de rejeter le grief tiré par les parties défenderesses du défaut de conformité de la requête aux prescriptions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure.

 Sur la compétence du Tribunal

 Arguments des parties

70     La Commission soutient que le Tribunal n’est compétent pour connaître d’un recours en responsabilité que lorsque, et dans la mesure où, le dommage allégué a été causé par les institutions de la Communauté ou par leurs agents dans l’exercice de leurs fonctions.

71     Toutefois, l’acte à l’origine du dommage résiderait en l’occurrence dans le relèvement des tarifs douaniers par les États-Unis d’Amérique. Ce serait à tort que la requérante prétend que le comportement des institutions défenderesses a déclenché cette décision américaine et causé ainsi indirectement le dommage (arrêt de la Cour du 7 juillet 1987, Étoile commerciale et CNTA/Commission, 89/86 et 91/86, Rec. p. 3005, point 20).

72     La requérante conteste la pertinence de l’arrêt précité. La légalité des dispositions de droit communautaire contestées aurait pu être examinée à titre incident dans le cadre d’un recours de droit national mais pas devant une juridiction américaine. La requérante ne voit cependant aucun point de rattachement lui permettant d’intenter une action en indemnité devant les juridictions des États membres de la Communauté.

 Appréciation du Tribunal

73     Les dispositions combinées de l’article 235 CE et de l’article 288, deuxième alinéa, CE donnent compétence au juge communautaire pour connaître des recours tendant à la réparation de dommages causés par les institutions communautaires ou par leurs agents dans l’exercice de leurs fonctions.

74     En l’occurrence, la requérante demande la réparation du dommage qu’elle aurait subi en raison de la majoration des droits à l’importation imposés sur ses produits par les autorités des États-Unis d’Amérique, conformément à l’autorisation donnée par l’ORD à la suite de la constatation de l’incompatibilité avec les accords OMC du régime communautaire d’importation des bananes.

75     Le recours est fondé sur la responsabilité non contractuelle de la Communauté, engagée, selon la requérante, à raison du fait que la cause du dommage subi par elle est à rechercher dans l’édiction par le Conseil et la Commission d’une réglementation qui a été considérée par l’ORD comme incompatible avec les accords OMC.

76     Le Tribunal est par conséquent compétent pour connaître, au titre de l’article 235 CE et de l’article 288, deuxième alinéa, CE, de la présente demande en indemnité qui, à la différence de la situation prévalant dans l’arrêt Étoile commerciale et CNTA/Commission, point 71 supra, qu’invoque la Commission, ne vise pas exclusivement, comme fondement de la responsabilité, la décision d’un organisme national.

77     Certes, l’engagement de la responsabilité de la Communauté suppose, de jurisprudence constante, l’imputabilité du dommage allégué au comportement des institutions communautaires. Toutefois, il s’agit là d’une condition de fond, qui doit être vérifiée dans le cadre du contrôle du caractère suffisamment direct du lien de causalité entre le dommage allégué et le comportement des institutions et qui ne permet pas d’écarter la compétence du Tribunal, dès lors qu’est alléguée l’imputabilité du dommage au comportement des institutions communautaires.

78     Il y a donc lieu de rejeter l’argumentation développée par la Commission au sujet de l’incompétence du Tribunal, sans préjudice de l’appréciation qui sera faite du lien de causalité entre le comportement du Conseil et de la Commission et le dommage allégué, dans le cadre de l’examen du respect des conditions de l’engagement de la responsabilité non contractuelle.

79     Dans ces conditions, il convient de déclarer le recours recevable.

 Sur le fond

80     La demande indemnitaire de la requérante repose, à titre principal, sur le régime de la responsabilité non contractuelle de la Communauté en raison du comportement illicite de ses organes. À titre subsidiaire, la requérante invoque la responsabilité non contractuelle que la Communauté pourrait encourir même en l’absence d’un tel comportement.

 Sur la responsabilité de la Communauté pour comportement illicite de ses organes

81     Il convient de rappeler au préalable que, comme il résulte d’une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE pour comportement illicite de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16 ; arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T‑175/94, Rec. p. II‑729, point 44 ; du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T‑336/94, Rec. p. II‑1343, point 30, et du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II‑1239, point 20).

82     Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, points 19 et 81, et arrêt du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37).

83     Le comportement illégal reproché à une institution communautaire doit consister en une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, point 42).

84     Le critère décisif permettant de considérer que cette exigence est remplie est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution communautaire concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation.

85     Lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêts du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II‑1975, point 134, et du 10 février 2004, Afrikanische Frucht-Compagnie et Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert/Conseil et Commission, T‑64/01 et T‑65/01, Rec. p. II-521, point 71).

86     C’est sous le bénéfice de ces observations qu’il convient d’examiner la demande indemnitaire de la requérante.

 Arguments des parties

–       Sur les illégalités reprochées aux institutions défenderesses

87     La requérante soutient que le comportement fautif des défenderesses, générateur du dommage subi, consiste dans l’adoption, en violation des obligations assumées par la Communauté au titre des accords OMC, du régime révisé de l’OCM bananes établi par les règlements n° 1637/98 et n° 2362/98.

88     Le Conseil et la Commission auraient trompé la confiance légitime que la requérante pouvait placer dans la possibilité d’exporter ses produits aux États-Unis en payant des droits de douane au taux normalement pratiqué par cet État. En sa qualité de membre de l’OMC, la Communauté aurait été censée se comporter en conformité avec les règles de l’OMC ou, en tout cas, ne pas fournir aux États-Unis d’Amérique l’occasion d’instaurer des droits de pénalité. À aucun moment les parties défenderesses n’auraient laissé planer le moindre doute sur leur intention de mettre l’OCM bananes en conformité avec les règles de l’OMC.

89     Les défenderesses auraient encore violé le droit fondamental de la requérante au libre exercice de son activité professionnelle et son droit de propriété. En arrêtant les dispositions litigieuses de l’OCM bananes, les défenderesses auraient porté aux activités d’exportation de la requérante une atteinte affectant la substance même de ces droits, puisque la surtaxe douanière a frappé le centre même de ses activités.

90     Enfin, l’adoption de l’OCM bananes révisée emporterait une discrimination au détriment de la requérante par rapport aux fabricants de boîtes pliantes qui n’exportent pas vers les États-Unis ou aux entreprises exportant aux États-Unis des produits non grevés de la surtaxe douanière. En outre, l’OCM bananes litigieuse causerait à la requérante un préjudice auquel correspond un avantage qui échoit aux seules entreprises opérant dans le commerce de la banane.

91     Les défenderesses objectent que la constatation par l’ORD d’une violation des accords OMC emporte rupture de l’équilibre des concessions entre les parties au différend mais n’en rend pas pour autant illégale de plein droit la mesure litigieuse. Les règles de l’OMC obligeraient au contraire les parties à négocier une solution permettant de restaurer l’équilibre initial des concessions et leur ouvriraient à cet égard plusieurs options. Le différend surgi entre les États-Unis d’Amérique et la Communauté dans le secteur de la banane se serait déroulé en conformité avec les dispositions du MRD.

92     La requérante n’identifierait aucune mesure concrète des institutions communautaires susceptible de fonder une quelconque confiance légitime. L’adoption ou l’absence d’une OCM bananes ne pourrait justifier en soi une espérance légitime dans le respect des accords OMC. La requérante n’établirait pas que des assurances lui aient été données par les institutions communautaires et celles-ci n’auraient pu se porter garantes du comportement des autorités américaines. Les différentes possibilités ouvertes aux membres de l’OMC pour réagir aux violations des accords OMC excluraient même que la Communauté ait pu susciter une confiance de la requérante dans le comportement des États-Unis d’Amérique.

93     Les parties défenderesses ne pourraient avoir méconnu le droit fondamental de la requérante au libre exercice de ses activités professionnelles ni son droit de propriété, en l’absence d’atteinte directe résultant d’un acte de la Communauté. L’imputabilité éventuelle à la Communauté du préjudice censé procéder de la perception de la surtaxe américaine aurait trait au lien de causalité et non à l’atteinte à un droit fondamental.

94     Le comportement des institutions communautaires ne priverait la requérante ni de sa propriété ni du libre usage de celle-ci et ne porterait donc pas atteinte à la substance même de ces droits (arrêt de la Cour du 6 décembre 1984, Biovilac/CEE, 59/83, Rec. p. 4057, point 22). Même si la modification des conditions d’exportation vers les États-Unis a pu obliger la requérante à modifier l’organisation de sa société, une telle atteinte au libre exercice de son activité économique serait justifiée, dès lors que l’OCM bananes répond à l’objectif de l’instauration du marché commun et n’est pas disproportionnée.

95     Enfin, les défenderesses n’auraient pas davantage violé le principe de non-discrimination. La surtaxe douanière à l’importation procéderait d’un acte unilatéral des autorités américaines, que les institutions n’ont pas et n’auraient pu influencer. La situation de la requérante ne serait comparable ni à celle d’autres fabricants de boîtes pliantes n’exportant pas aux États-Unis ni à celle des exportateurs aux États-Unis de produits non grevés de la surtaxe.

–       Sur la nature juridique des normes prétendument méconnues par les défenderesses

96     La requérante fait valoir que l’illégalité de l’OCM bananes au regard des accords OMC résulte de l’effet direct déployé par le droit de l’OMC ou, à tout le moins, par les décisions de l’ORD. Les dispositions violées des accords OMC constitueraient des normes protégeant la requérante, au moins indirectement, en sa qualité d’exportateur de la Communauté.

97     Puisque l’OCM bananes révisée avait pour objet de mettre à exécution le droit de l’OMC, son incompatibilité avec ce droit emporterait l’illégalité du comportement des institutions communautaires au regard du droit communautaire lui-même, au moins depuis le 13 mai 1999, date de l’approbation par l’ORD de la décision des arbitres du 9 avril 1999 (arrêts de la Cour 22 juin 1989, Fediol/Commission, 70/87, Rec. p. 1781, point 19 ; du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil, C‑69/89, Rec. p. I‑2069, point 31 ; du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C‑280/93, Rec. p. I‑4973, point 11, et du 23 novembre 1999, Portugal/Conseil, C‑146/96, Rec. p. I‑8395, point 49).

98     Les deux motifs retenus par les arrêts Allemagne/Conseil et Portugal/Conseil, point 97 supra, pour exclure les règles de l’OMC comme critère d’appréciation de la légalité de la législation communautaire, à savoir l’exception de réciprocité et la sauvegarde d’une marge de négociation au profit des parties aux procédures de règlement des différends de l’OMC, ne seraient pas déterminants, le premier, en raison de son caractère politique, le second, parce que l’obligation de réparation n’est pas un obstacle à la négociation des solutions au différend provoqué par la législation communautaire.

99     Les institutions défenderesses objectent que le juge communautaire se refuse à déduire de l’incompatibilité d’une règle communautaire avec les accords OMC une illégalité au regard du droit communautaire (arrêt Portugal/Conseil, point 97 supra), ce qui suffirait en l’espèce à exclure l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté du fait d’un acte illicite.

100   Contrairement à ce que soutient la requérante, la jurisprudence issue des arrêts Fediol/Commission et Nakajima/Conseil, point 97 supra, ne serait pas pertinente : l’OCM bananes litigieuse n’aurait aucunement recours à la technique du renvoi à des dispositions des accords OMC mais constituerait un régime autonome dont l’aménagement ne suit aucun modèle prescrit de manière contraignante par le droit international.

101   Il serait logiquement impératif de s’en tenir à l’absence d’effet direct des dispositions des accords OMC, même si l’ORD constate formellement l’incompatibilité d’une mesure de politique commerciale d’un membre de l’OMC. Une décision formelle interprétative d’un accord international ne saurait l’emporter sur la règle elle-même (arrêt de la Cour du 14 octobre 1999, Atlanta/Communauté européenne, C‑104/97 P, Rec. p. I‑6983).

102   Le recours devrait être rejeté comme non fondé dès lors que, comme la requérante le reconnaît elle-même dans la réplique, le Tribunal a rejeté des recours en indemnité fondés expressément sur la violation des dispositions du GATT (arrêts du Tribunal du 20 mars 2001, Cordis/Commission, T‑18/99, Rec. p. II‑913 ; Bocchi Food Trade International, T‑30/99, Rec. p. II‑943, et T. Port/Commission, T‑52/99, Rec. p. II‑981).

–       Sur la gravité des violation alléguées

103   La requérante considère que la violation des interdictions des discriminations consacrées par les accords OMC ne constitue nullement une simple irrégularité d’ordre technique mais qu’elle était au contraire clairement décelable par le Conseil et la Commission. Leur marge d’appréciation aurait été considérablement réduite par la décision de l’ORD et la simple infraction au droit communautaire suffirait en l’espèce à établir une illégalité caractérisée (arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, point 83 supra, point 44).

104   Les défenderesses objectent que leur action n’est aucunement entachée d’une illégalité manifeste et grave. La compatibilité de l’OCM bananes avec les accords OMC n’aurait pu être assurée qu’au sein d’un équilibre d’intérêts et d’obligations contradictoires que le législateur communautaire s’est jusqu’à présent efforcé d’atteindre, notamment en adoptant l’OCM révisée, dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation.

 Appréciation du Tribunal

–       Sur la question préalable de l’invocabilité des règles de l’OMC

105   Avant de procéder à l’examen de la légalité du comportement des institutions communautaires, il convient de trancher la question de savoir si les accords OMC engendrent pour les justiciables de la Communauté le droit de s’en prévaloir en justice en vue de contester la validité d’une réglementation communautaire, dans l’hypothèse où l’ORD a déclaré que tant celle-ci que la réglementation subséquente adoptée par la Communauté, en vue notamment de se conformer aux règles de l’OMC en cause, étaient incompatibles avec ces dernières.

106   À cet égard, en soutenant que les défenderesses ont édicté le régime révisé de l’OCM bananes établi par les règlements n° 1637/98 et n° 2362/98 en violation des obligations assumées par la Communauté au titre des accords OMC, la requérante invoque le principe pacta sunt servanda, qui figure effectivement au nombre des règles de droit dont le respect s’impose aux institutions communautaires dans l’exercice de leurs attributions, en tant que principe fondamental de tout ordre juridique et, en particulier, de l’ordre juridique international (arrêt de la Cour du 16 juin 1998, Racke, C‑162/96, Rec. p. I‑3655, point 49).

107   Toutefois, le principe pacta sunt servanda ne peut être, en l’espèce, utilement opposé aux institutions défenderesses, étant donné que, selon une jurisprudence constante, les accords OMC ne figurent pas, en principe, compte tenu de leur nature et de leur économie, au nombre des normes au regard desquelles le juge communautaire contrôle la légalité de l’action des institutions communautaires (arrêt Portugal/Conseil, point 97 supra, point 47 ; ordonnance de la Cour du 2 mai 2001, OGT Fruchthandelsgesellschaft, C‑307/99, Rec. p. I‑3159, point 24 ; arrêts de la Cour du 12 mars 2002, Omega Air e.a., C‑27/00 et C‑122/00, Rec. p. I‑2569, point 93 ; du 9 janvier 2003, Petrotub et Republica/Conseil, C‑76/00 P, Rec. p. I‑79, point 53, et du 30 septembre 2003, Biret International/Conseil, C‑93/02 P, Rec. p. I‑10497, point 52).

108   En effet, d’une part, l’accord instituant l’OMC est fondé sur une base de réciprocité et d’avantages mutuels qui le distingue des accords conclus par la Communauté avec des États tiers qui instaurent une certaine asymétrie des obligations. Or, il est constant que certains des partenaires commerciaux les plus importants de la Communauté ne font pas figurer les accords OMC au rang des normes au regard desquelles leurs organes juridictionnels contrôlent la légalité de leurs règles de droit interne. Un contrôle de la légalité de l’action des institutions communautaires au regard de ces normes risquerait donc d’aboutir à un déséquilibre dans l’application des règles de l’OMC privant les organes législatifs ou exécutifs de la Communauté de la marge de manoeuvre dont jouissent les organes similaires des partenaires commerciaux de la Communauté (arrêt Portugal/Conseil, point 97 supra, points 42 à 46).

109   D’autre part, imposer aux organes juridictionnels l’obligation d’écarter l’application des règles de droit interne qui seraient incompatibles avec les accords OMC aurait pour conséquence de priver les organes législatifs ou exécutifs des parties contractantes de la possibilité, offerte par l’article 22 du MRD, de trouver, fût-ce à titre temporaire, des solutions négociées en vue de parvenir à une compensation mutuellement acceptable (arrêt Portugal/Conseil, point 97 supra, points 39 et 40).

110   Il s’ensuit que la violation éventuelle des règles de l’OMC par les institutions défenderesses n’est pas, en principe, susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté (arrêts Cordis/Commission, point 102 supra, point 51 ; Bocchi Food Trade International/Commission, point 102 supra, point 56, et T. Port/Commission, point 102 supra, point 51).

111   Ce n’est que dans l’hypothèse où la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC ou dans l’occurrence où l’acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des accords OMC qu’il appartiendrait au Tribunal de contrôler la légalité du comportement des institutions défenderesses au regard des règles de l’OMC (voir, pour ce qui concerne le GATT de 1947, arrêts Fediol/Commission, point 97 supra, points 19 à 22, et Nakajima/Conseil, point 97 supra, point 31, ainsi que, pour ce qui concerne les accords OMC, arrêts Portugal/Conseil, point 97 supra, point 49, et Biret International/Conseil, point 107 supra, point 53).

112   Or, même en présence d’une décision de l’ORD constatant l’incompatibilité des mesures prises par un membre avec les règles de l’OMC, aucune de ces deux exceptions ne trouve application en l’espèce.

–       Sur l’exception tirée de l’intention de donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC

113   En prenant l’engagement, après l’adoption de la décision de l’ORD du 25 septembre 1997, de se conformer aux règles de l’OMC, la Communauté n’a pas entendu assumer une obligation particulière dans le cadre de l’OMC, susceptible de justifier une exception à l’impossibilité d’invoquer les règles de l’OMC devant le juge communautaire et de permettre l’exercice par ce dernier du contrôle de la légalité du comportement des institutions communautaires au regard de ces règles.

114   Il est vrai que, par rapport au GATT de 1947, le MRD a renforcé le mécanisme de règlement des différends, en particulier s’agissant de l’adoption des rapports des groupes spéciaux.

115   Ainsi, l’article 3, paragraphe 7, du MRD souligne que le mécanisme de règlement des différends a habituellement pour objectif premier le retrait des mesures dont l’incompatibilité a été constatée avec les dispositions des accords OMC. De même, l’article 22, paragraphe 1, du MRD privilégie la mise en œuvre intégrale d’une recommandation de mettre une mesure en conformité avec les accords OMC.

116   En outre, aux termes de l’article 17, paragraphe 14, du MRD, un rapport de l’organe d’appel adopté, comme en l’espèce, par l’ORD est accepté sans conditions par les parties au différend. Enfin, l’article 22, paragraphe 7, spécifie que celles-ci admettent le caractère définitif de la décision de l’arbitre déterminant le niveau de la suspension des concessions.

117   Il n’en demeure pas moins que le MRD réserve en tout état de cause une place importante à la négociation entre les membres de l’OMC parties à un différend (arrêt Portugal/Conseil, point 97 supra, points 36 à 40).

118   Le MRD ouvre ainsi au membre de l’OMC impliqué plusieurs modalités de mise en œuvre d’une recommandation ou d’une décision de l’ORD retenant l’incompatibilité d’une mesure avec les règles de l’OMC.

119   Lorsque le retrait immédiat de la mesure incompatible est irréalisable, le MRD envisage, en son article 3, paragraphe 7, la possibilité d’octroyer au membre lésé une compensation ou de l’autoriser à suspendre l’application de concessions ou l’exécution d’autres obligations à titre temporaire et en attendant le retrait de la mesure incompatible (arrêt Portugal/Conseil, point 97 supra, point 37).

120   Aux termes de l’article 22, paragraphe 2, du MRD, s’il manque à son obligation d’exécuter les recommandations et décisions de l’ORD dans le délai qui lui a été imparti, le membre de l’OMC mis en cause se prête, si la demande lui en est faite et au plus tard à l’expiration du délai, à des négociations avec le membre plaignant, en vue de trouver une compensation mutuellement acceptable.

121   Si aucune compensation satisfaisante n’a été convenue dans un délai de 20 jours suivant l’expiration du délai raisonnable prévu à l’article 21, paragraphe 3, du MRD pour la mise en conformité avec les règles de l’OMC, la partie plaignante peut demander à l’ORD l’autorisation de suspendre, à l’égard dudit membre, l’application de concessions ou d’autres obligations au titre des accords OMC.

122   Même à l’expiration du délai imparti pour mettre en conformité avec les règles de l’OMC la mesure déclarée incompatible et après l’autorisation et l’adoption de mesures de compensation ou de suspension de concessions en vertu de l’article 22, paragraphe 6, du MRD, une place importante reste réservée en tout état de cause à la négociation entre les parties au différend.

123   L’article 22, paragraphe 8, du MRD souligne ainsi le caractère temporaire de la suspension de concessions ou d’autres obligations et en limite la durée « jusqu’à ce que la mesure jugée incompatible avec un accord visé ait été éliminée ou que le membre devant mettre en œuvre les recommandations ou les décisions ait trouvé une solution à l’annulation ou à la réduction d’avantages ou qu’une solution mutuellement satisfaisante soit intervenue ».

124   Cette même disposition prévoit encore que, conformément à l’article 21, paragraphe 6, l’ORD continue de tenir sous surveillance la mise en œuvre des recommandations ou des décisions adoptées.

125   En cas de désaccord sur la compatibilité de mesures prises pour se conformer aux recommandations et aux décisions de l’ORD, l’article 21, paragraphe 5, du MRD prévoit que le différend sera réglé « suivant les présentes procédures de règlement des différends », ce qui inclut la recherche par les parties d’une solution négociée.

126   Ni l’expiration du délai imparti par l’ORD à la Communauté pour mettre son régime d’importation des bananes en conformité avec la décision de l’ORD du 25 septembre 1997 ni la décision du 9 avril 1999 par laquelle les arbitres de l’ORD ont expressément constaté l’incompatibilité du nouveau dispositif d’importation des bananes établi par les règlements n° 1637/98 et n° 2362/98 n’ont emporté épuisement des modalités de règlement des différends ouvertes par le MRD.

127   Dans cette mesure, un contrôle par le juge communautaire de la légalité du comportement des institutions défenderesses au regard des règles de l’OMC pourrait avoir pour effet de fragiliser la position des négociateurs communautaires dans la recherche d’une solution mutuellement acceptable du différend et en conformité avec les règles de l’OMC.

128   Dans ces conditions, imposer aux organes juridictionnels l’obligation d’écarter l’application des règles de droit interne qui seraient incompatibles avec les accords OMC aurait pour conséquence de priver les organes législatifs ou exécutifs des parties contractantes de la possibilité, offerte notamment par l’article 22 du MRD, de trouver, fût-ce à titre temporaire, une solution négociée (arrêt Portugal/Conseil, point 97 supra, point 40).

129   D’ailleurs, en amendant à nouveau, par son règlement n° 216/2001, le régime d’importation des bananes, le Conseil a poursuivi la mise en œuvre de la conciliation de divers objectifs divergents. Le préambule du règlement n° 216/2001 relève ainsi, en son considérant 1, que des contacts nombreux et intenses ont été établis afin, notamment, de « tenir compte des conclusions du groupe spécial » et, en son considérant 2, que le nouveau régime d’importation envisagé présente les meilleures garanties aussi bien « pour réaliser les objectifs de l’[OCM bananes] en ce qui concerne la production communautaire et la demande des consommateurs » que pour « respecter les règles du commerce international ».

130   C’est, en définitive, en contrepartie de l’engagement de la Communauté d’établir un régime uniquement tarifaire pour les importations de bananes avant le 1er janvier 2006, que les États-Unis d’Amérique ont accepté, aux termes du mémorandum d’accord intervenu le 11 avril 2001, de suspendre provisoirement l’imposition de leur surtaxe douanière.

131   Or, un tel résultat aurait pu être compromis par une intervention du juge communautaire consistant à contrôler, aux fins de l’indemnisation du préjudice supporté par la requérante, la légalité au regard des règles de l’OMC du comportement adopté en l’occurrence par les institutions défenderesses.

132   Il convient de relever à cet égard que, comme les États-Unis d’Amérique l’ont expressément souligné, le mémorandum d’accord du 11 avril 2001 ne constitue pas en lui-même une solution convenue d’un commun accord au sens de l’article 3, paragraphe 6, du MRD et que la question de la mise en œuvre par la Communauté des recommandations et des décisions de l’ORD demeurait inscrite, le 12 juillet 2001, soit postérieurement à l’introduction du présent recours, à l’ordre du jour de la réunion de l’ORD.

133   Il s’ensuit que les institutions défenderesses n’ont pas entendu, en modifiant le régime communautaire d’importation des bananes litigieux, donner exécution à des obligations particulières découlant des règles de l’OMC au regard desquelles l’ORD avait constaté l’incompatibilité dudit régime.

134   Au demeurant, il convient de relever à cet égard que, comme il ressort des considérants du règlement n° 1637/98, le Conseil a entendu en l’occurrence concilier, en tirant partie des diverses modalités de règlement des différends définies par le MRD, les engagements internationaux souscrits par la Communauté aussi bien dans le cadre de l’OMC que vis-à-vis des autres signataires de la quatrième convention de Lomé, tout en sauvegardant par ailleurs les objectifs de l’OCM bananes.

135   Cette intention est confirmée par l’article 20, sous e), du règlement n° 404/93, modifié par le règlement n° 1637/98. En tant qu’elle précise que les modalités que la Commission est habilitée à arrêter aux fins de l’application du titre IV du règlement n° 404/93, relatif au régime des échanges de bananes avec les pays tiers, comportent les mesures nécessaires pour respecter les obligations découlant des accords conclus par la Communauté en conformité avec l’article 300 CE, cette disposition englobe l’ensemble des engagements conventionnels souscrits, sans privilégier les obligations assumées par la Communauté dans le cadre des accords OMC.

136   En outre, le législateur communautaire s’est expressément réservé, au considérant 9 du règlement n° 1637/98, la possibilité d’étudier le fonctionnement de ce texte au terme d’une période d’expérimentation suffisante.

–       Sur l’exception fondée sur le renvoi exprès à des dispositions précises des accords OMC

137   L’OCM bananes, telle qu’elle a été instaurée par le règlement n° 404/93 et modifiée par la suite, ne peut être considérée comme renvoyant expressément à des dispositions précises des accords OMC (voir, en ce sens, ordonnance OGT Fruchthandelsgesellschaft, point 107 supra, point 28).

138   En particulier, il ne ressort pas du préambule des différents règlements modifiant le régime d’importation des bananes que le législateur communautaire se soit référé à des dispositions spécifiques des accords OMC, lorsqu’il a entendu mettre ce régime en conformité avec ces mêmes accords.

139   Ainsi, le règlement n° 2362/98 ne contient aucune référence expresse à des dispositions précises des accords OMC (arrêts Cordis/Commission, point 102 supra, point 59 ; Bocchi Food Trade International/Commission, point 102 supra, point 64, et T. Port/Commission, point 102 supra, point 59).

140   Il s’ensuit que, nonobstant l’intervention d’une constatation d’incompatibilité émanant de l’ORD, les règles de l’OMC ne constituent pas, en l’espèce, ni en raison d’obligations particulières auxquelles la Communauté aurait entendu donner exécution, ni en raison d’un renvoi exprès à des dispositions précises, des normes au regard desquelles la légalité du comportement des institutions peut être appréciée.

141   Il résulte des développements qui précèdent que la requérante ne saurait utilement alléguer, aux fins de sa demande indemnitaire, que le comportement reproché au Conseil et à la Commission est contraire aux règles de l’OMC.

142   Les griefs tirés par la requérante de la méconnaissance de sa confiance légitime, du libre exercice de ses activités professionnelles, de son droit de propriété et de la violation du principe de non-discrimination reposent tous sur la prémisse de la contrariété aux règles de l’OMC du comportement reproché aux institutions défenderesses.

143   Dès lors que ces règles ne figurent pas au nombre de celles au regard desquelles le juge communautaire contrôle la légalité du comportement des institutions communautaires, ces griefs doivent être, par voie de conséquence, également rejetés.

144   Il s’ensuit que le comportement des institutions défenderesses ne peut être regardé comme entaché d’illégalité, sans qu’il y ait lieu d’examiner l’argumentation de la requérante relative à la nature juridique des normes et des principes prétendument méconnus et à la gravité supposée de leurs violations.

145   Dès lors que l’illégalité du comportement reproché aux institutions défenderesses ne peut être établie, l’une des trois conditions cumulatives de l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté pour comportement illicite de ses organes n’est pas remplie.

146   Dans ces conditions, l’action indemnitaire de la requérante fondée sur ce régime de responsabilité doit être rejetée, sans qu’il soit besoin, dans ce cadre, d’examiner si sont réunies les deux autres conditions, relatives, respectivement, à la réalité du dommage et à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, Rec. p. I‑5251, point 14, et arrêt du Tribunal du 24 avril 2002, EVO/Conseil et Commission, T‑220/96, Rec. p. II‑2265, point 39).

 Sur la responsabilité de la Communauté en l’absence de comportement illicite de ses organes

 Sur le principe de la responsabilité non contractuelle de la Communauté en l’absence de comportement illicite de ses organes

–       Arguments des parties

147   La requérante estime que, à supposer licite le comportement des institutions défenderesses, sont en tout état de cause réunies les conditions auxquelles la jurisprudence communautaire subordonne la responsabilité non contractuelle de la Communauté pour les dommages causés par ses organes, même en l’absence d’action illicite de ceux-ci, à savoir la réalité du préjudice subi, le lien de causalité entre celui-ci et le comportement adopté par les institutions communautaires, ainsi que le caractère anormal et spécial de ce préjudice (arrêt du Tribunal du 28 avril 1998, Dorsch Consult/Conseil et Commission, T‑184/95, Rec. p. II‑667, point 59, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil et Commission, C‑237/98 P, Rec. p. I‑4549).

148   Les défenderesses font observer qu’une telle responsabilité, dont le juge communautaire n’a encore jamais consacré le principe, ne peut être en tout état de cause envisagée que dans des conditions très strictes non réunies en l’occurrence.

–       Appréciation du Tribunal

149   Lorsque, comme en l’espèce, l’illégalité du comportement imputé aux institutions communautaires n’est pas établie, il n’en résulte pas que les entreprises devant, en tant que catégorie d’opérateurs économiques, supporter une part disproportionnée des charges résultant d’une restriction de l’accès à des marchés d’exportation ne peuvent en aucun cas obtenir une compensation en engageant la responsabilité non contractuelle de la Communauté (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 septembre 1987, De Boer Buizen/Conseil et Commission, 81/86, Rec. p. 3677, point 17).

150   En effet, l’article 288, deuxième alinéa, CE fonde l’obligation qu’il impose à la Communauté de réparer les dommages causés par ses institutions sur les « principes généraux communs aux droits des États membres », sans restreindre, par conséquent, la portée de ces principes au seul régime de la responsabilité non contractuelle de la Communauté pour comportement illicite desdites institutions.

151   Or, les droits nationaux de la responsabilité non contractuelle permettent aux particuliers, bien qu’à des degrés variables, dans des domaines spécifiques et selon des modalités différentes, d’obtenir en justice l’indemnisation de certains dommages, même en l’absence d’action illicite de l’auteur du dommage.

152   Dans l’hypothèse d’un dommage engendré par un comportement des institutions de la Communauté dont le caractère illégal n’est pas démontré, la responsabilité non contractuelle de la Communauté peut être engagée, dès lors que sont cumulativement remplies les conditions relatives à la réalité du préjudice, au lien de causalité entre celui-ci et le comportement des institutions communautaires, ainsi qu’au caractère anormal et spécial du préjudice en question (voir arrêt du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil et Commission, point 147 supra, point 19).

153   Il convient donc d’examiner si ces trois conditions sont réunies en l’espèce.

 Sur l’existence d’un préjudice réel et certain

–       Arguments des parties

154   La requérante expose avoir subi un dommage constitué aussi bien par le paiement de la surtaxe américaine que par les frais supplémentaires de fabrication, de personnel, de transport et d’exportation des produits semi-finis qu’elle a exposés au titre du transfert en dehors de la Communauté de la production de boîtes pliantes imprimées en carton spécifiquement destinées au marché américain.

155   De l’avis des parties défenderesses, il ressort uniquement de son exposé des faits que la requérante a dû supporter des coûts supplémentaires en raison du prélèvement de la surtaxe douanière par les États-Unis d’Amérique. En outre, la requérante ne donnerait aucune indication sur les possibilités convenues avec ses clients de répercuter sur ces derniers les frais supplémentaires prétendument encourus. Enfin, il ne serait pas possible d’établir si la délocalisation de la production était réellement nécessaire.

–       Appréciation du Tribunal

156   Il ressort de leur argumentation que le Conseil et la Commission ne contestent pas que les boîtes pliantes imprimées en carton importées par la requérante aux États‑Unis aient été grevées de la surtaxe douanière à l’importation de 100 %.

157   Les parties défenderesses ont implicitement admis le caractère réel et certain du préjudice en ce qu’elles ont soutenu, pour contester l’existence d’un préjudice anormal subi par la requérante, que celle-ci avait manifestement pu prendre à temps des dispositions à l’effet de minimiser autant que possible les coûts supplémentaires escomptés de l’imposition de la surtaxe douanière américaine.

158   Dans cette mesure, les parties défenderesses ne peuvent nier que la requérante a dû, à tout le moins, supporter un préjudice commercial en raison du renchérissement incontestable de ses produits provoqué sur le marché américain par la majoration soudaine à 100 % des droits à l’importation ad valorem grevant ses importations sur le territoire américain.

159   D’ailleurs, les statistiques produites par la Commission corroborent les allégations de la requérante, puisqu’elles démontrent indéniablement une chute sensible de la valeur totale des importations aux États-Unis de boîtes, coffrets et étuis pliants en papier ou en carton non ondulé originaires de la Communauté au cours de la période de prélèvement de la surtaxe douanière litigieuse.

160   Dans cette mesure, le Tribunal considère que la condition relative au caractère réel et certain du préjudice subi pas la requérante est remplie.

 Sur le lien de causalité entre le préjudice subi et le comportement des institutions défenderesses

–       Arguments des parties

161   La requérante considère la surtaxe douanière américaine comme une « conséquence spécifique » d’un comportement des défenderesses reconnu contraire au droit de l’OMC, de sorte que cette surtaxe doit être imputée juridiquement à la Communauté. Le lien de causalité entre le préjudice subi par la requérante et l’adoption de l’OCM bananes révisée déclarée incompatible avec le droit de l’OMC n’aurait pas été interrompu par l’action des États-Unis d’Amérique, qui se seraient bornés à réagir en conformité avec les accords OMC au comportement de la Communauté.

162   Les défenderesses auraient parfaitement pu se rendre compte que l’OCM bananes illégale pouvait provoquer l’institution par les États-Unis d’Amérique de droits majorés, sur le fondement de l’article 22 du MRD, aux fins de compenser le préjudice porté aux entreprises américaines.

163   Serait dépourvue de pertinence l’objection consistant à soutenir que la requérante aurait également pu être confrontée à des droits majorés des États-Unis d’Amérique en raison d’autres mesures, telles qu’une dénonciation des accords OMC par ce pays. En effet, la requérante n’aurait pas escompté de la part des institutions communautaires un comportement contraire aux règles de l’OMC.

164   Depuis novembre 1998, les États-Unis d’Amérique n’auraient laissé planer aucun doute sur leurs intentions. Cette prévisibilité aurait été encore plus évidente après l’approbation par l’ORD, le 19 avril 1999, de la décision du groupe spécial du 9 avril 1999. Après la publication de la liste du 9 avril 1999 du représentant spécial, chacun aurait pu comprendre que les États-Unis d’Amérique prélèveraient des droits majorés en réaction à l’illégalité de l’OCM bananes et connaître la désignation des produits frappés.

165   On ne pourrait nier l’imputabilité du dommage au comportement des défenderesses en soutenant qu’il aurait appartenu exclusivement aux États-Unis d’Amérique de déterminer la cible des droits majorés et que les institutions ne pouvaient donc savoir que la surtaxe frapperait précisément la requérante. Les entreprises affectées, du moins potentiellement, par ces droits n’auraient pu appartenir qu’au groupe des exportateurs européens présents sur le marché américain. L’identité de la requérante aurait été connue ou aurait pu être connue sans difficulté depuis le moment de la publication de la liste du représentant spécial le 9 avril 1999.

166   Les parties défenderesses soulignent au contraire que le relèvement des droits de douane à l’importation américains constitue un acte indépendant d’un État souverain qui ne peut être imputé à la Communauté. Avant même qu’ait été définitivement constatée l’incompatibilité de l’OCM bananes avec les dispositions de l’OMC, les États-Unis d’Amérique auraient demandé et obtenu de l’OMC l’autorisation de prendre des mesures de rétorsion. Une fois l’autorisation donnée, il leur aurait appartenu à titre exclusif de décider sur quels produits allaient être perçus des droits de douane majorés. La décision d’y inclure les produits de la requérante aurait donc été prise par les États-Unis d’Amérique en toute liberté.

167   Dans le cadre du système de règlement des différends de l’OMC, la demande concrète de suspension de concessions ne serait justement pas une conséquence objectivement prévisible d’une violation des accords OMC par un autre membre, dès lors que le choix des mesures de rétorsion est toujours laissé à la discrétion du membre concerné. Le fait que les États-Unis d’Amérique aient ou non été en droit de percevoir des droits de douane majorés n’entrerait absolument pas en ligne de compte pour l’examen du lien de causalité.

168   Il se pourrait, certes, qu’il existe un lien de causalité au sens large, sous la forme d’une condition sine qua non, entre le comportement des défenderesses et les mesures prises par les autorités américaines. Toutefois, une causalité aussi largement entendue ne saurait justifier en soi aucune responsabilité.

169   La jurisprudence communautaire aurait défini très étroitement les conditions de l’imputabilité dans le sens d’une cause directe et déterminante et n’en aurait encore jamais admis l’existence à l’égard d’actes souverains d’États tiers ou d’États membres (ordonnance du Tribunal du 12 décembre 2000, Royal Olympic Cruises e.a./Conseil et Commission, T‑201/99, Rec. p. II‑4005, point 17, confirmée sur pourvoi par ordonnance de la Cour du 15 janvier 2002, Royal Olympic Cruises e.a./Conseil et Commission, C‑49/01 P, non publiée au Recueil).

–       Appréciation du Tribunal

170   Les principes communs aux droits des États membres auxquels renvoie l’article 288, deuxième alinéa, CE ne sauraient être invoqués au soutien de l’existence d’une obligation incombant à la Communauté de réparer toute conséquence préjudiciable, même éloignée, de comportements de ses organes (voir, par analogie, arrêts de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier e.a./Conseil, 64/76 et 113/76, 167/78 et 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21, et du 30 janvier 1992, Finsider e.a./Commission, C‑363/88 et C‑364/88, Rec. p. I‑359, point 25 ; ordonnance du 12 décembre 2000, Royal Olympic Cruises e.a./Conseil et Commission, point 169 supra, point 26).

171   En effet, la condition relative au lien de causalité exigée par l’article 288, deuxième alinéa, CE suppose l’existence d’un lien suffisamment direct de cause à effet entre le comportement des institutions communautaires et le dommage (arrêt Dumortier e.a./Conseil, point 170 supra, point 21 ; arrêt du Tribunal du 24 octobre 2000, Fresh Marine/Commission, T‑178/98, Rec. p. II‑3331, point 118, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 10 juillet 2003, Commission/Fresh Marine, C‑472/00 P, Rec. p. I‑7541).

172   Il est certes vrai que les États-Unis d’Amérique ont été, à leur demande, simplement autorisés par l’ORD, sans y être tenus, à procéder au retrait de concessions sous la forme du relèvement de leurs droits grevant les importations de produits originaires de la Communauté. Même après avoir obtenu cette autorisation, le gouvernement américain conservait la faculté de poursuivre le règlement du différend l’opposant à la Communauté sans arrêter de mesures de rétorsion à l’encontre de celle-ci.

173   C’est également dans l’exercice d’une faculté de choix discrétionnaire que l’administration américaine a, d’une part, décidé de frapper les boîtes, coffrets et étuis pliants de sa mesure de rétorsion, dont elle a elle-même exonéré les produits originaires de certains États membres de la Communauté, et, d’autre part, fixé le taux de la surtaxe à l’importation à 100 % du prix des produits frappés.

174   Il n’en demeure pas moins que, en l’absence du régime communautaire d’importation des bananes litigieux et d’une constatation préalable par l’ORD de son incompatibilité avec les règles de l’OMC, les États-Unis d’Amérique n’auraient pu ni solliciter ni obtenir de l’ORD l’autorisation de suspendre leurs concessions tarifaires sur des produits originaires de la Communauté à concurrence du niveau de l’annulation ou de la réduction d’avantages procédant du maintien du régime communautaire litigieux.

175   C’est, en effet, en fonction du montant du préjudice subi par l’économie américaine du fait du régime communautaire d’importation des bananes jugé incompatible avec les règles de l’OMC que l’ORD a déterminé le montant d’échanges à concurrence duquel l’administration américaine a été autorisée à suspendre ses concessions tarifaires à l’égard de la Communauté.

176   Dans ces conditions, le retrait des concessions à l’égard de la Communauté prenant la forme de la surtaxe douanière à l’importation est à regarder comme une conséquence découlant objectivement, selon le déroulement normal et prévisible du système de règlement des différends de l’OMC accepté par la Communauté, du maintien en vigueur par les institutions défenderesses d’un régime d’importation des bananes incompatible avec les accords OMC.

177   La décision unilatérale des États-Unis d’Amérique d’instaurer une surtaxe douanière sur les importations de boîtes, coffrets et étuis pliants originaires de la Communauté n’est donc pas de nature à rompre le lien de causalité existant entre le préjudice que l’instauration de cette surtaxe a causé à la requérante et le maintien par les défenderesses du régime d’importation de bananes litigieux.

178   Le comportement des institutions défenderesses a, en effet, nécessairement induit l’adoption de la mesure de rétorsion par l’administration américaine dans le respect des procédures instituées par le MRD et acceptées par la Communauté, de sorte que ce comportement doit être regardé comme la cause déterminante du préjudice supporté par la requérante à la suite de l’instauration de la surtaxe douanière américaine.

179   Avant même que l’ORD n’autorise, le 19 avril 1999, les États-Unis d’Amérique à prélever leur surtaxe à l’importation, les institutions défenderesses n’ignoraient pas l’imminence des mesures de rétorsion américaines.

180   Dès le 10 novembre 1998, les États-Unis d’Amérique avaient publié la liste provisoire des produits d’origine communautaire qu’ils envisageaient de grever d’une surtaxe à l’importation, dont ils ont confirmé, le 21 décembre 1998, l’application prochaine à raison d’un taux de 100 %.

181   Dès le 3 mars 1999, date de l’institution à la charge des exportateurs communautaires de l’obligation de constituer une caution bancaire à raison de 100 % de la valeur des produits d’importation visés, les défenderesses ne pouvaient plus ignorer la ferme intention des États-Unis d’Amérique d’instaurer une surtaxe douanière. Aucun doute ne pouvait subsister après le communiqué de presse du 9 avril 1999 du représentant spécial annonçant la liste des produits grevés de la surtaxe douanière.

182   Il y a donc lieu d’admettre l’existence du lien de causalité direct exigé entre, d’une part, le comportement adopté par les institutions défenderesses au regard des importations de bananes dans la Communauté et, d’autre part, le préjudice subi par la requérante du fait de l’instauration de la surtaxe douanière américaine.

 Sur le caractère anormal et spécial du préjudice subi

–       Arguments des parties

183   La requérante soutient que son préjudice est anormal et spécial en ce qu’il affecte de façon disproportionnée une catégorie définie d’opérateurs par rapport aux autres.

184   La requérante serait manifestement frappée de manière disproportionnée : sans profiter de l’OCM bananes, elle devrait en supporter les conséquences dans une mesure qui la mène au bout de ses ressources financières.

185   Le préjudice subi n’aurait pas été prévisible et ne constituerait pas la conséquence d’un risque économique inhérent à l’activité de son secteur. La requérante aurait supposé que la Communauté remplirait correctement et dès que possible les obligations lui incombant en vertu des accords OMC.

186   Les parties défenderesses font observer en premier lieu que le risque d’un relèvement des droits de douane est inhérent à toute activité d’exportation, les tarifs douaniers convenus dans le cadre de l’OMC n’étant pas conçus comme des garanties données aux différents opérateurs économiques.

187   Au plus tard à partir du moment où les États-Unis d’Amérique ont demandé à l’OMC l’autorisation de suspendre des concessions, les entreprises concernées de la Communauté, dont la requérante, auraient dû s’attendre à ce que les États-Unis d’Amérique perçoivent des droits à l’importation majorés. Le fait que la requérante a manifestement pu prendre des dispositions à temps pour minimiser autant que possible les coûts supplémentaires escomptés montrerait bien qu’elle s’y attendait.

188   Les défenderesses relèvent en second lieu que chacun des nombreux exportateurs présents aux États-Unis d’Amérique est concerné, à tout le moins potentiellement, par les mesures américaines. Les droits majorés instaurés par les États-Unis d’Amérique auraient frappé de la même manière une grande variété de produits fabriqués par les entreprises les plus diverses.

–       Appréciation du Tribunal

189   S’agissant des dommages que peuvent subir les opérateurs économiques du fait des activités des institutions communautaires, un préjudice est, d’une part, anormal lorsqu’il dépasse les limites des risques économiques inhérents aux activités dans le secteur concerné et, d’autre part, spécial lorsqu’il affecte une catégorie particulière d’opérateurs économiques d’une façon disproportionnée par rapport aux autres opérateurs (voir arrêt du 28 avril 1998, Dorsch Consult/Conseil et Commission, point 147 supra, point 80, et arrêt Afrikanische Frucht-Compagnie et Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert/Conseil et Commission, point 85 supra, point 151).

190   Il n’est en l’espèce pas établi que la requérante ait subi, du fait de l’incompatibilité avec les accords OMC du régime communautaire d’importation des bananes, un préjudice excédant les limites des risques inhérents à son activité exportatrice.

191   Il est vrai que, comme le relève son préambule, l’accord instituant l’OMC a pour objet l’instauration d’un système commercial multilatéral intégré qui incorpore les résultats des efforts de libéralisation du commerce entrepris antérieurement.

192   Il convient néanmoins de constater que l’éventualité d’une suspension des concessions tarifaires, mesure prévue par les accords OMC et cas de figure qui s’est présenté en l’espèce, est l’une des vicissitudes inhérentes au système actuel du commerce international. Dès lors, cette vicissitude est obligatoirement supportée par tout opérateur qui décide de commercialiser sa production sur le marché de l’un des membres de l’OMC.

193   De fait, la décision des arbitres du 9 avril 1999 a souligné que la nature temporaire que l’article 22, paragraphe 1, du MRD attache à la suspension des concessions indique que celle-ci a pour objet d’inciter le membre de l’OMC mis en cause à respecter les recommandations et les décisions de l’ORD.

194   En outre, il résulte de l’article 22, paragraphe 3, sous b) et c), du MRD, instrument international ayant fait l’objet des mesures de publicité propres à en assurer la connaissance auprès des opérateurs communautaires, que le membre plaignant de l’OMC peut chercher à suspendre des concessions ou d’autres obligations dans d’autres secteurs que celui dans lequel le groupe spécial ou l’organe d’appel a constaté une violation par le membre visé, que ce soit au titre du même accord ou d’un autre accord. OMC.

195   C’est donc à tort que la requérante s’estime frappée de manière disproportionnée, sans profiter par ailleurs de l’OCM bananes.

196   Il s’ensuit que les risques auxquels pouvait être exposée de ce fait la commercialisation par la requérante de ses boîtes pliantes imprimées en carton sur le marché américain ne sont pas à regarder comme étrangers aux aléas normaux du commerce international, en l’état actuel de son organisation.

197   Il n’y a donc pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de qualifier d’anormal le préjudice subi par la requérante.

198   Une telle constatation suffit à exclure tout droit à indemnité de ce chef. Il n’est donc pas nécessaire que le Tribunal se prononce sur la condition de spécialité du préjudice.

199   Il s’ensuit que doit être rejetée la demande indemnitaire de la requérante fondée sur le régime de la responsabilité non contractuelle de la Communauté en l’absence de comportement illicite de ses organes.

200   Il résulte de l’ensemble des développements précédents que le recours doit être rejeté dans son intégralité comme non fondé.

 Sur les dépens

201   Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

202   La requérante ayant succombé en ses conclusions, elle doit être condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par le Conseil et par la Commission, conformément aux conclusions que les deux institutions défenderesses ont présentées en ce sens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (grande chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La requérante est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par le Conseil et par la Commission.


Vesterdorf

Lindh

Azizi

Pirrung

Legal

García-Valdecasas

Tiili

Cooke

Meij

Vilaras

 

      Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 décembre 2005.                                     

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      B. Vesterdorf









Table des matières


Cadre juridique

Faits à l’origine du litige

Procédure

Conclusions des parties

Sur la recevabilité

Sur le défaut de conformité de la requête aux prescriptions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur la compétence du Tribunal

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le fond

Sur la responsabilité de la Communauté pour comportement illicite de ses organes

Arguments des parties

– Sur les illégalités reprochées aux institutions défenderesses

– Sur la nature juridique des normes prétendument méconnues par les défenderesses

– Sur la gravité des violation alléguées

Appréciation du Tribunal

– Sur la question préalable de l’invocabilité des règles de l’OMC

– Sur l’exception tirée de l’intention de donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC

– Sur l’exception fondée sur le renvoi exprès à des dispositions précises des accords OMC

Sur la responsabilité de la Communauté en l’absence de comportement illicite de ses organes

Sur le principe de la responsabilité non contractuelle de la Communauté en l’absence de comportement illicite de ses organes

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur l’existence d’un préjudice réel et certain

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le lien de causalité entre le préjudice subi et le comportement des institutions défenderesses

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le caractère anormal et spécial du préjudice subi

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur les dépens



* Langue de procédure : l’allemand.