Language of document : ECLI:EU:C:2022:572

Affaire C145/20

DS

contre

Porsche Inter Auto GmbH & Co KG
et
Volkswagen AG

(demande de décision préjudicielle, introduite par l’Oberster Gerichtshof)

 Arrêt de la Cour (grande chambre) du 14 juillet 2022

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Règlement (CE) no 715/2007 – Réception des véhicules à moteur – Article 5, paragraphe 2 – Dispositif d’invalidation – Véhicules à moteur – Moteur diesel – Système de contrôle des émissions – Logiciel intégré dans le calculateur de contrôle moteur – Vanne pour le recyclage des gaz d’échappement (vanne EGR) – Réduction des émissions d’oxyde d’azote (NOx) limitée par une “fenêtre de températures” – Interdiction de l’utilisation de dispositifs d’invalidation qui réduisent l’efficacité des systèmes de contrôle des émissions – Article 5, paragraphe 2, sous a) – Exception à cette interdiction – Protection des consommateurs – Directive 1999/44/CE – Vente et garanties des biens de consommation – Article 2, paragraphe 2, sous d) – Notion de “bien présentant la qualité et les prestations habituelles d’un bien de même type auxquelles le consommateur peut raisonnablement s’attendre, eu égard à la nature du bien” – Véhicule couvert par une réception CE – Article 3, paragraphe 6 – Notion de “défaut de conformité mineur” »

1.        Protection des consommateurs – Vente et garanties des biens de consommation – Directive 1999/44 – Bien conforme au contrat de vente – Notion de “bien présentant la qualité et les prestations habituelles d’un bien de même type auxquelles le consommateur peut raisonnablement s’attendre, eu égard à la nature du bien” – Véhicule couvert par une réception CE par type en vigueur – Véhicule équipé d’un dispositif d’invalidation interdit en vertu du règlement no 715/2007 – Exclusion

[Directive du Parlement européen et du Conseil 1999/44, art. 2, § 2, d)]

(voir points 52-56, 58, disp. 1)

2.        Rapprochement des législations – Véhicules à moteur – Émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers – Règlement no 715/2007 – Obligations des constructeurs relatives à la réception – Interdiction d’utiliser des dispositifs d’invalidation réduisant l’efficacité des systèmes de contrôle des émissions – Exceptions – Dispositif assurant la protection du moteur contre des dégâts ou un accident et le fonctionnement en toute sécurité du véhicule – Portée – Dispositif réduisant, en fonction de la température extérieure et de l’altitude, l’efficacité du système de recyclage des gaz polluants des véhicules lors de leur fonctionnement et utilisation normaux – Exclusion

[Règlement du Parlement européen et du Conseil no 715/2007, art. 5, § 2, a)]

(voir points 61-67, 72-76, 78-81, disp. 2)

3.        Protection des consommateurs – Vente et garanties des biens de consommation – Directive 1999/44 – Droits du consommateur – Défaut de conformité mineur – Notion – Présence, dans le véhicule concerné, d’un dispositif d’invalidation interdit en vertu du règlement no 715/2007 – Exclusion – Consommateur ayant eu connaissance de l’existence de ce dispositif et ayant néanmoins acheté le véhicule – Absence d’incidence

(Directive du Parlement européen et du Conseil 1999/44, art. 3, § 6)

(voir points 85, 86, 88-97, disp. 3)

Résumé

L’objectif de garantir un niveau élevé de protection de l’environnement au sein de l’Union européenne se manifeste, notamment, par l’adoption de mesures visant à limiter les émissions de polluants. En ce sens, les véhicules à moteur ont fait l’objet d’une réglementation de plus en plus contraignante, en particulier, avec l’adoption du règlement no 715/2007, relatif à la réception des véhicules à moteur (1). Ce règlement vise, notamment, à réduire significativement les émissions d’oxyde d’azote (NOx) des véhicules à moteur diesel pour améliorer la qualité de l’air et respecter les valeurs limites en termes de pollution.

Les trois présentes affaires portent sur l’achat de véhicules équipés d’un logiciel intégré dans le calculateur de contrôle moteur qui, en dehors de certaines conditions de température et au-dessus d’une certaine altitude de circulation, réduit l’efficacité du système de recyclage des gaz d’échappement (EGR), ce qui conduit à dépasser les valeurs limites d’émissions de NOx fixées par le règlement no 715/2007.

En effet, à la suite d’une mise à jour du logiciel intégré dans le calculateur de contrôle moteur, la purification des gaz d’échappement est désactivée à une température extérieure inférieure à 15 degrés Celsius et à une température extérieure supérieure à 33 degrés Celsius ainsi qu’à une altitude de circulation supérieure à 1 000 mètres (ci-après la « fenêtre de températures »). En dehors de cette fenêtre, dans une marge de 10 degrés Celsius et au-dessus de 1 000 mètres d’altitude, dans un intervalle de 250 mètres, le taux de recyclage des gaz d’échappement est réduit linéairement à 0, ce qui entraîne une augmentation des émissions de NOx au-dessus des valeurs limites fixées par le règlement no 715/2007.

Ces trois affaires s’inscrivent dans le prolongement de l’arrêt du 17 décembre 2020, CLCV e.a. (Dispositif d’invalidation sur moteur diesel) (ci-après « l’arrêt CLCV ») (2), à l’occasion duquel la Cour a interprété, pour la première fois, la notion de « dispositif d’invalidation », au sens du règlement no 715/2007 (3), et a déterminé dans quelle mesure un tel dispositif est illicite au regard de la disposition de ce règlement (4) qui prévoit des exceptions à l’interdiction d’un dispositif d’invalidation, parmi lesquelles le besoin de protection du moteur contre des dégâts ou un accident et pour le fonctionnement en toute sécurité du véhicule.

C’est dans ce contexte que les trois juridictions de renvoi autrichiennes ont demandé à la Cour si un logiciel, tel que celui en cause, constitue un « dispositif d’invalidation », au sens du règlement no 715/2007. Dans l’affirmative, ces juridictions se demandent si ce logiciel peut être autorisé sur le fondement de l’exception à l’interdiction de tels dispositifs fondée sur le besoin de protection du moteur contre des dégâts ou un accident et pour le fonctionnement en toute sécurité du véhicule. Enfin, dans l’hypothèse où ledit logiciel n’est pas autorisé, lesdites juridictions souhaitent savoir si son utilisation peut conduire à l’annulation de la vente pour défaut de conformité du véhicule par rapport au contrat, sur le fondement de la directive relative à la vente et aux garanties des biens de consommation (5).

Par trois arrêts prononcés en grande chambre, la Cour juge, tout d’abord, que le logiciel en cause réduit l’efficacité du système de contrôle des émissions lors du fonctionnement et de l’utilisation normaux des véhicules et qu’il constitue donc un « dispositif d’invalidation » au sens du règlement no 715/2007. Elle considère ensuite qu’un dispositif d’invalidation qui sert principalement à ménager des pièces, telles que la vanne EGR, l’échangeur EGR et le filtre à particules diesel, ne relève pas de l’exception à l’interdiction de tels dispositifs si le fonctionnement de ces éléments n’affecte pas la protection du moteur. Enfin, la Cour indique qu’un véhicule équipé d’un tel dispositif n’est pas conforme au contrat de vente, au sens de la directive relative à la vente et aux garanties des biens de consommation, même s’il est couvert par une réception CE par type en cours de validité, et que le défaut dont il est entaché ne peut être qualifié de « mineur », ce qui exclurait par principe la possibilité pour l’acheteur de voir prononcer la nullité du contrat.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, afin de déterminer si le logiciel en cause constitue un « dispositif d’invalidation », au sens du règlement no 715/2007, la Cour procède à l’interprétation de la notion de « fonctionnement et [...] utilisation normaux » d’un véhicule.

À cet égard, elle constate qu’il ressort non seulement du libellé de la disposition du règlement no 715/2007 définissant un tel dispositif (6) mais également du contexte dans lequel s’inscrit cette disposition, ainsi que de l’objectif poursuivi par ce règlement, que cette notion renvoie à l’utilisation d’un véhicule dans des conditions de conduite normales, c’est-à-dire non pas uniquement à son utilisation dans les conditions prévues pour le test d’homologation, applicable à l’époque des faits du litige au principal. Cette notion renvoie ainsi à l’utilisation de ce véhicule dans des conditions de conduite réelles, telles qu’elles existent habituellement sur le territoire de l’Union. La Cour rappelle à cet égard que, ainsi qu’elle l’a jugé dans l’arrêt CLCV, la mise en place d’un dispositif qui permettrait d’assurer le respect des valeurs limites d’émission prévues par le règlement no 715/2007 uniquement lors de la phase de test d’homologation, alors même que cette phase de test ne permet pas de reproduire des conditions d’utilisation normales d’un véhicule, irait à l’encontre de l’obligation d’assurer une limitation effective des émissions dans de telles conditions d’utilisation. Il en va de même s’agissant de la mise en place d’un dispositif qui ne permettrait d’assurer ce respect que dans le cadre d’une fenêtre de températures qui, bien que couvrant les conditions dans lesquelles a lieu la phase de test d’homologation, ne correspond pas à des conditions de conduite normales.

Dans ces circonstances, la Cour considère qu’un logiciel, tel que celui en cause, qui garantit le respect des valeurs limites d’émission prévues par le règlement no 715/2007 uniquement lorsque la température extérieure se situe dans la fenêtre de températures, réduit l’efficacité du système de contrôle des émissions dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qu’elles se produisent lors du fonctionnement et de l’utilisation normaux des véhicules, au sens du règlement no 715/2007. Ce logiciel constitue donc un « dispositif d’invalidation » au sens de ce règlement (7).

En deuxième lieu, la Cour examine la question de savoir si un dispositif, tel que celui en cause, peut relever de l’exception à l’interdiction de l’utilisation des dispositifs d’invalidation relative au besoin de protection du moteur contre des dégâts ou un accident et pour le fonctionnement en toute sécurité du véhicule, prévue par le règlement no 715/2007 (8), dans la mesure où ce dispositif contribue à ménager des pièces, telles que la vanne EGR, l’échangeur EGR et le filtre à particules diesel.

À cet égard, la Cour rappelle que le règlement no 715/2007 prévoit des exceptions à l’interdiction de l’utilisation d’un dispositif d’invalidation, notamment lorsque « le besoin du dispositif se justifie en termes de protection du moteur contre des dégâts ou un accident et pour le fonctionnement en toute sécurité du véhicule ». En ce qui concerne, tout d’abord, la notion de « moteur », la Cour souligne que le droit de l’Union (9) établit une distinction claire entre, d’une part, le moteur visé par cette exception et, d’autre part, les paramètres du système de maîtrise de la pollution, qui incluent les filtres à particules et l’EGR. Par conséquent, la vanne EGR, l’échangeur EGR et le filtre à particules diesel constituent des composants distincts du moteur. En ce qui concerne, ensuite, les notions d’« accident » et de « dégâts », la Cour considère que l’encrassement et le vieillissement du moteur ne sauraient être considérés comme un « accident » ou un « dégât », au sens du règlement no 715/2007 (10), dès lors que ces événements sont, en principe, prévisibles et inhérents au fonctionnement normal d’un véhicule. Selon la Cour, seuls les risques immédiats de dégâts ou d’accident au moteur qui génèrent un danger concret lors de la conduite d’un véhicule sont, dès lors, de nature à justifier l’utilisation d’un dispositif d’invalidation, au titre du règlement no 715/2007.

Compte tenu du fait que l’exception à l’interdiction d’utilisation de dispositifs d’invalidation doit faire l’objet d’une interprétation stricte, la Cour considère que le « besoin » d’un tel dispositif au sens du règlement no 715/2007 existe uniquement lorsque, au moment de la réception CE par type de ce dispositif ou du véhicule qui en est équipé, aucune autre solution technique ne permet d’éviter des risques immédiats de dégâts ou d’accident au moteur qui génèrent un danger concret lors de la conduite du véhicule.

Par conséquent, la Cour juge qu’un dispositif d’invalidation qui ne garantit le respect des valeurs limites d’émission prévues par le règlement no 715/2007 que lorsque la température extérieure se situe dans la fenêtre de températures ne peut relever de l’exception à l’interdiction de l’utilisation de tels dispositifs, prévue par ce règlement, du seul fait que ce dispositif contribue à ménager des pièces, telles que la vanne EGR, l’échangeur EGR et le filtre à particules diesel. Il en va toutefois différemment s’il est établi que ledit dispositif répond strictement au besoin d’éviter les risques immédiats de dégâts ou d’accident au moteur, occasionnés par un dysfonctionnement de l’une de ces pièces, d’une gravité telle qu’ils génèrent un danger concret lors de la conduite du véhicule équipé du même dispositif. En tout état de cause, un dispositif d’invalidation qui devrait, dans des conditions normales de circulation, fonctionner durant la majeure partie de l’année pour que le moteur soit protégé contre des dégâts ou un accident et que le fonctionnement en toute sécurité du véhicule soit assuré ne saurait relever de l’exception prévue par le règlement no 715/2007.

Par ailleurs, la Cour précise que la circonstance qu’un dispositif d’invalidation, au sens du règlement no 715/2007, a été installé après la mise en service d’un véhicule, lors d’une réparation (11), n’est pas pertinente pour apprécier si l’utilisation de ce dispositif est interdite, en vertu de ce règlement (12).

En troisième et dernier lieu, la Cour se penche sur la question de savoir si l’utilisation d’un logiciel interdit peut conduire à l’annulation de la vente pour défaut de conformité du véhicule par rapport au contrat, sur le fondement de la directive relative à la vente et aux garanties des biens de consommation.

À cet égard, la Cour relève, d’une part, que les véhicules relevant du champ d’application de la directive 2007/46 (13) doivent faire l’objet d’une réception CE par type et, d’autre part, que cette réception ne peut être octroyée que si le type de véhicule en question satisfait aux dispositions du règlement no 715/2007, notamment à celles relatives aux émissions de polluants. En outre, en vertu de la directive 2007/46 (14), le constructeur délivre, en sa qualité de détenteur d’une réception CE par type, un certificat de conformité pour accompagner chaque véhicule complet, incomplet ou complété qui est fabriqué conformément au type de véhicule réceptionné. Ce certificat est obligatoire aux fins de l’immatriculation et de la vente ou de la mise en service d’un véhicule (15). Lorsqu’il acquiert un véhicule appartenant à la série d’un type de véhicule réceptionné et, par conséquent, accompagné d’un certificat de conformité, un consommateur peut raisonnablement s’attendre à ce que le règlement no 715/2007 soit respecté s’agissant de ce véhicule, et cela même en l’absence de clauses contractuelles spécifiques.

Par conséquent, la Cour estime qu’un véhicule à moteur, relevant du champ d’application du règlement no 715/2007, ne présente pas la « qualité habituelle des biens de même type à laquelle le consommateur peut raisonnablement s’attendre », au sens de la directive relative à la vente et aux garanties des biens de consommation (16), si, bien qu’étant couvert par une réception CE par type en vigueur et pouvant, par conséquent, être utilisé sur la route, ce véhicule est équipé d’un dispositif d’invalidation dont l’utilisation est interdite en vertu du règlement no 715/2007 (17).

Enfin, la Cour précise qu’un défaut de conformité consistant en la présence, dans le véhicule concerné, d’un dispositif d’invalidation dont l’utilisation est interdite en vertu du règlement no 715/2007 ne peut être qualifié de « mineur » (18), même si le consommateur aurait néanmoins acheté ce véhicule s’il avait eu connaissance de l’existence et du fonctionnement de ce dispositif.


1      Règlement (CE) no 715/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2007, relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la réparation et l’entretien des véhicules (JO 2007, L 171, p. 1).


2      Arrêt du 17 décembre 2020, CLCV e.a. (Dispositif d’invalidation sur moteur diesel) (C‑693/18, EU:C:2020:1040).


3      Au sens de l’article 3, point 10, du règlement no 715/2007. Cette disposition définit un « dispositif d’invalidation » comme étant « tout élément de conception qui détecte la température, la vitesse du véhicule, le régime du moteur en tours/minute, la transmission, une dépression ou tout autre paramètre aux fins d’activer, de moduler, de retarder ou de désactiver le fonctionnement de toute partie du système de contrôle des émissions, qui réduit l’efficacité du système de contrôle des émissions dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qu’elles se produisent lors du fonctionnement et de l’utilisation normaux des véhicules ».


4      Article 5, paragraphe 2, sous a), du règlement no 715/2007.


5      Directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation (JO 1999, L 171, p. 12, ci-après la « directive relative à la vente et aux garanties des biens de consommation »).


6      Article 3, point 10, du règlement no 715/2007.


7      Article 3, point 10, du règlement no 715/2007.


8      Article 5, paragraphe 2, sous a), du règlement no 715/2007.


9      Règlement (CE) no 692/2008 de la Commission, du 18 juillet 2008, portant application et modification du règlement no 715/2007 (JO 2008, L 199, p. 1), modifié par le règlement (UE) no 566/2011 de la Commission, du 8 juin 2011 (JO 2011, L 158, p. 1), annexe I.


10      Article 5, paragraphe 2, sous a), du règlement no 715/2007.


11      Au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 1999/44.


12      Article 5, paragraphe 2, du règlement no 715/2007.


13      Directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 septembre 2007, établissant un cadre pour la réception des véhicules à moteur, de leurs remorques et des systèmes, des composants et des entités techniques destinés à ces véhicules (directive-cadre) (JO 2007, L 263, p. 1), telle que modifiée par le règlement (UE) no 1229/2012 de la Commission du 10 décembre 2012 (JO 2012, L 353, p. 1).


14      En vertu de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2007/46.


15      Conformément à l’article 26, paragraphe 1, de la directive 2007/46.


16      Article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive 1999/44.


17      Article 5, paragraphe 2, du règlement no 715/2007.


18      En vertu de l’article 3, paragraphe 6, de la directive 1999/44.