Language of document : ECLI:EU:T:2021:690

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

13 octobre 2021 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Personnel de la Commission en service auprès du SEAE – Demande d’assistance – Article 24 du statut – Décision implicite de rejet de la demande – Décision de rejet de la réclamation – Article 90 du statut – AIPN compétente – Principe de bonne administration »

Dans l’affaire T‑219/20,

JK, représenté par Me N. de Montigny, avocate,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Bohr et T. Lilamand, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant à l’annulation de la décision implicite de la Commission du 5 juin 2019 rejetant la demande d’assistance du requérant introduite au titre de l’article 24 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne et de sa décision du 6 janvier 2020 rejetant la réclamation de ce dernier,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen, président, Mmes O. Porchia et M. Stancu (rapporteure), juges,

greffier : Mme M. Marescaux, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 20 avril 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, JK, est fonctionnaire à la Commission européenne, affecté à la direction générale (DG) « Politique européenne de voisinage et négociations d’élargissement ». Du 1er septembre 2015 au 31 août 2019, il a été transféré dans une délégation de l’Union européenne. Du 16 mai 2016 au 31 août 2019, il a travaillé en tant que chef de la section « Opérations », subordonné hiérarchiquement directement au chef de délégation. Depuis le 1er septembre 2019, le requérant a été réaffecté à Bruxelles (Belgique).

2        Le chef de délégation, en poste du 1er septembre 2016 au 31 août 2018, était fonctionnaire du Service européen pour l’action extérieure (SEAE).

3        De mars à septembre 2018, le requérant a été en congé de maladie.

4        Le 5 février 2019, le requérant a introduit une demande d’assistance (ci-après la « demande d’assistance ») au titre de l’article 24 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), au motif qu’il aurait, de janvier à août 2018, fait l’objet de la part du chef de délégation en poste pendant cette période d’un harcèlement moral, au sens de l’article 12 bis du statut.

5        La demande d’assistance a été adressée à l’unité HR.E.2 « Recours et suivi des cas » de la Commission (ci-après l’« unité HR.E.2 »).

6        L’instruction de la demande d’assistance a été effectuée par les services de la Commission pour le compte du SEAE en vertu d’un accord conclu entre ceux-ci (ci-après l’« accord de service ») qui permet à l’unité HR.E.2 et à l’Office d’investigation et de discipline (IDOC) d’instruire les demandes d’assistance concernant les fonctionnaires du SEAE au nom et pour le compte de ce dernier.

7        À cet égard, le requérant a reçu un courriel en date du 25 février 2019 accusant réception de sa demande d’assistance et lui indiquant que cette dernière avait bien été enregistrée par l’unité HR.E.2 et que cette unité agissait pour le compte du SEAE.

8        L’IDOC a ensuite effectué l’analyse préliminaire des éléments soumis par le requérant, en vue d’évaluer l’existence d’un commencement de preuve d’un harcèlement moral.

9        Le 12 avril 2019, le requérant a été reçu par l’IDOC et l’unité HR.E.2 afin d’apporter des précisions sur sa demande d’assistance.

10      Le 15 mai 2019, le requérant a fait parvenir ses commentaires relatifs aux conclusions préliminaires de l’IDOC sur la demande d’assistance à l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») du SEAE.

11      Le 17 mai 2019, l’IDOC a finalisé l’analyse préliminaire de la demande d’assistance et a conclu que les faits invoqués par le requérant pris isolément ou examinés dans leur globalité révélaient certes une relation conflictuelle entre celui-ci et le chef de délégation dans un contexte administratif difficile, mais ne témoignaient pas d’actes présentant un caractère abusif. Les comportements décrits par le requérant auraient plutôt démontré une gestion maladroite de la situation conflictuelle par le chef de délégation et non une volonté délibérée d’agir de manière abusive à son égard.

12      À la suite de la clôture de l’analyse préliminaire, l’unité HR.E.2 a transmis le dossier au SEAE.

13      En se fondant sur les conclusions de cette analyse qui ont été portées à son attention, le directeur de la DG « Budget et administration, ressources humaines » du SEAE, en tant qu’AIPN du SEAE, a explicitement rejeté la demande d’assistance par décision du 5 juin 2019 (ci-après la « décision explicite de rejet du SEAE »).

14      Le 4 septembre 2019, le requérant a introduit une réclamation devant l’AIPN du SEAE au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision explicite de rejet du SEAE (ci-après la « réclamation du 4 septembre 2019 ») en demandant l’annulation de cette décision.

15      Par courriel en date du 6 décembre 2019, l’unité HR.E.2 a informé le requérant que les éléments présentés dans la réclamation du 4 septembre 2019 « ne sauraient être regardés comme un commencement de preuve du harcèlement imputé au fonctionnaire mis en cause » et l’a invité à faire part de ses observations dans un délai de sept jours à compter de la date de réception de ce courriel. Dans sa réponse, transmise par courriel du 10 décembre 2019, le requérant a indiqué qu’il n’était pas en mesure de faire part d’observations complémentaires en sus de celles déjà présentées dans la réclamation du 4 septembre 2019, dès lors que les motifs de rejet de sa réclamation ne lui avaient pas été précisés.

16      Par décision du 6 janvier 2020 (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »), le directeur général de la DG « Ressources humaines et sécurité » de la Commission, en tant qu’AIPN de la Commission, a rejeté la réclamation du 4 septembre 2019. Dans cette décision, est invoquée une décision implicite de l’AIPN de la Commission du 5 juin 2019 rejetant la demande d’assistance (ci-après la « décision implicite de rejet de la demande d’assistance »). Plus précisément, la Commission a indiqué, d’une part, que l’autorité compétente pour se prononcer sur la demande d’assistance du requérant, fonctionnaire de la Commission, était l’AIPN de la Commission et, d’autre part, que le défaut de réponse de la part de cette dernière à la demande d’assistance dans le délai de quatre mois prévu par l’article 90, paragraphe 1, du statut valait décision implicite de rejet susceptible de faire l’objet d’une réclamation au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut.

 Procédure et conclusions des parties

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 avril 2020, le requérant a introduit le présent recours.

18      Par acte séparé du 4 mai 2020, le requérant a demandé le bénéfice de l’anonymat conformément à l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, qui lui a été accordé le 22 juin 2020.

19      Le 8 juillet 2020, la Commission a déposé le mémoire en défense.

20      Le 7 septembre 2020, le requérant a déposé la réplique.

21      Le 12 octobre 2020, la Commission a déposé la duplique.

22      La phase écrite de la procédure a été clôturée à la suite du dépôt de la duplique le 12 octobre 2020.

23      Le 30 octobre 2020, le requérant a formulé une demande motivée, au titre de l’article 106, paragraphe 2, du règlement de procédure, aux fins d’être entendu dans le cadre de la phase orale de la procédure.

24      Le 5 mars 2021, le Tribunal a ouvert la phase orale de la procédure et décidé d’adresser aux parties des questions pour réponse écrite dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure. Les parties ont répondu à ces questions dans le délai imparti.

25      Le 30 mars 2021, le Tribunal a invité le requérant à présenter ses observations sur les réponses et les documents produits par la Commission et à compléter ses observations oralement lors de l’audience. Le requérant a transmis ses observations dans le délai imparti.

26      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 20 avril 2021.

27      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision implicite de rejet de la demande d’assistance et la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner la Commission aux dépens.

28      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en annulation comme étant non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

29      En réponse à une question posée lors de l’audience et ainsi qu’il a été acté dans le procès-verbal d’audience, le requérant a précisé que le recours était dirigé à l’encontre, d’une part, de la décision implicite de rejet de la demande d’assistance et, d’autre part, de la décision de rejet de la réclamation, adoptées par la Commission. Ainsi, la décision explicite de rejet du SEAE, initialement visée dans la requête, ne fait plus l’objet du présent litige.

 En droit

 Sur l’objet des conclusions en annulation

30      Selon une jurisprudence constante, la réclamation administrative et son rejet, explicite ou implicite, font partie intégrante d’une procédure complexe et ne constituent qu’une condition préalable à la saisine du juge. Dans ces conditions, le recours, même formellement dirigé contre le rejet de la réclamation, a pour effet de saisir le juge de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée, sauf dans l’hypothèse où le rejet de la réclamation a une portée différente de celle de l’acte contre lequel cette réclamation a été formée. Il a été jugé, à plusieurs reprises, qu’une décision explicite de rejet d’une réclamation pouvait, eu égard à son contenu, ne pas avoir un caractère confirmatif de l’acte contesté par le requérant. Tel est le cas lorsque la décision de rejet de la réclamation contient un réexamen de la situation du requérant, en fonction d’éléments de droit et de fait nouveaux, ou lorsqu’elle modifie ou complète la décision initiale. Dans ces hypothèses, le rejet de la réclamation constitue un acte soumis au contrôle du juge, qui le prend en considération dans l’appréciation de la légalité de l’acte contesté, voire le considère comme un acte faisant grief se substituant à ce dernier (voir arrêt du 21 septembre 2011, Adjemian e.a./Commission, T‑325/09 P, EU:T:2011:506, point 32 et jurisprudence citée).

31      En l’espèce, outre l’annulation de la décision implicite de rejet de la demande d’assistance, le requérant demande l’annulation de la décision de rejet de la réclamation. À cet égard, dans la mesure où cette dernière décision n’est pas purement confirmative de la décision implicite de rejet de la demande d’assistance, puisque l’AIPN de la Commission y a présenté une motivation pour la première fois et a notamment indiqué des éléments de procédure nouveaux, relatifs à l’incompétence de l’auteur de la décision explicite de rejet du SEAE et à sa décision implicite de rejet de la demande d’assistance, il y a lieu d’examiner les conclusions en annulation tant de la décision implicite de rejet de la demande d’assistance que de la décision de rejet de la réclamation (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées »).

 Sur les conclusions en annulation

32      À l’appui de son recours, le requérant soulève, en substance, trois moyens, tirés :

–        premièrement, d’une erreur de droit dans l’appréciation, d’une part, de la notion de « harcèlement moral » et, d’autre part, de l’intensité de la charge de la preuve qui incombe au plaignant dans le cadre d’une demande d’assistance ;

–        deuxièmement, d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que l’AIPN a conclu que les faits allégués ne seraient pas constitutifs d’un commencement de preuve d’un harcèlement moral ;

–        troisièmement, des irrégularités de la procédure précontentieuse résultant du fait que l’examen de la demande d’assistance a été effectué par une autorité incompétente, irrégularités qui, de surcroît, n’ont pas été corrigées par l’autorité compétente.

33      Il convient d’examiner, tout d’abord, le troisième moyen soulevé par le requérant, en ce qu’il porte sur la légalité externe des décisions attaquées.

34      Dans le cadre du troisième moyen, soulevé au stade de la réplique, le requérant soutient que toute la procédure administrative de traitement de la demande d’assistance est illégale tant en ce que celle-ci a été effectuée par le SEAE alors que l’examen préliminaire de cette demande aurait dû être effectué par les services de la Commission sur instructions de l’AIPN de celle-ci uniquement qu’en ce que la demande d’assistance a été examinée par l’AIPN du SEAE alors que l’AIPN compétente dans le cas d’espèce était celle de la Commission. En outre, le requérant ajoute que, dans le cadre de la procédure précontentieuse, la Commission a nié toute implication de la décision explicite de rejet du SEAE sans pour autant mettre fin à cette irrégularité en tant qu’AIPN compétente et a invoqué que ses droits et garanties avaient été respectés du fait qu’il avait été entendu par l’IDOC et par l’unité HR.E.2 au stade de l’examen préliminaire de la demande d’assistance. Par conséquent, le requérant allègue, d’une part, une violation du droit d’être entendu par l’AIPN compétente, étant donné que l’audition par l’IDOC et l’unité HR.E.2 a eu lieu au nom et pour le compte d’une autre autorité, le SEAE, et, d’autre part, que l’AIPN de la Commission, en tant qu’AIPN compétente, n’aurait pas eu accès à certaines informations détenues par le SEAE concernant le chef de délégation lorsqu’elle a statué sur la réclamation du 4 septembre 2019. En outre, en ce qui concerne la décision implicite de rejet de la demande d’assistance, le requérant fait valoir que le fait que l’AIPN de la Commission ait directement considéré dans la décision de rejet de la réclamation que la décision explicite de rejet du SEAE n’avait aucune implication, dès lors qu’elle était prononcée par l’autorité incompétente et que, par conséquent, il existait un défaut de réponse de sa part à la demande d’assistance dans le délai de quatre mois prévu par l’article 90, paragraphe 1, du statut qui valait décision implicite de rejet susceptible de faire l’objet d’une réclamation au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, a eu pour conséquence une violation de l’obligation de motivation du rejet de la demande d’assistance par l’AIPN compétente et une violation du droit d’être effectivement entendu par la même AIPN.

35      La Commission rétorque que ce moyen est irrecevable et, en tout état de cause, non fondé.

36      S’agissant de l’irrecevabilité, la Commission fait valoir que ce moyen est nouveau et qu’il a été soulevé pour la première fois au stade de la réplique, n’étant mentionné ni dans la requête ni dans la réclamation du 4 septembre 2019.

37      Quant au fond de ce moyen, la Commission fait valoir que l’affirmation du requérant, selon laquelle toute la procédure administrative de traitement de la demande d’assistance serait illégale en ce que celle-ci a été effectuée par le SEAE, alors que l’examen préliminaire de cette demande aurait dû être effectué par les services de la Commission sur instructions de l’AIPN de celle-ci uniquement, est erronée, étant donné que, en l’espèce, seule la décision explicite de rejet du SEAE a été prise par une autorité incompétente. En revanche, l’IDOC et l’unité HR.E.2, les services de la Commission ayant traité la demande d’assistance, ont agi dans les limites de leurs compétences à la suite de la saisine de cette demande par le requérant. À cet égard, la Commission indique que le SEAE et elle-même sont liés par l’accord de service et que, ainsi, l’unité HR.E.2 et l’IDOC instruisent les demandes d’assistance concernant les fonctionnaires et agents du SEAE. La Commission fait valoir que, à la suite de la demande d’assistance, l’IDOC a effectué une analyse préliminaire des éléments soumis par le requérant en vue d’évaluer s’il existait un commencement de preuve de harcèlement moral. Selon la Commission, l’IDOC et l’unité HR.E.2 ont entendu le requérant et ce dernier a également fait parvenir des commentaires quant aux conclusions préliminaires communiquées par l’unité HR.E.2. La Commission indique ensuite que le fait que, à la suite de la clôture de l’analyse préliminaire, l’unité HR.E.2 ait transmis par erreur le dossier à l’AIPN du SEAE et non à l’AIPN de la Commission ne constitue pas une violation du droit d’être entendu du requérant. En tout état de cause, la Commission précise que, étant donné que les services d’instruction des demandes d’assistance, à savoir l’unité HR.E.2 et l’IDOC, sont les mêmes que les plaignants en cause relèvent du SEAE ou de la Commission, le requérant n’explique pas en quoi la confusion opérée entre les AIPN aurait pu avoir une quelconque influence sur les documents figurant dans le dossier.

38      Quant à l’affirmation du requérant selon laquelle elle n’aurait pas eu accès à certaines informations détenues par le SEAE et concernant le chef de délégation, la Commission fait valoir que, d’une part, l’AIPN doit se prononcer sur la demande d’assistance sur la base des éléments soumis par le demandeur et que, d’autre part, en tout état de cause, le requérant ne précise pas quelle information détenue par le SEAE lui aurait manqué dans le cadre du traitement de la réclamation du 4 septembre 2019.

39      S’agissant de la violation de l’obligation de motivation et du droit d’être entendu par la décision implicite de rejet de la demande d’assistance, la Commission indique que la possibilité même d’un rejet implicite de la demande d’assistance implique qu’une telle décision peut être valablement adoptée, sans qu’elle soit automatiquement illégale pour violation du droit d’être entendu ou de l’obligation de motivation.

40      Dans sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure du 22 mars 2021, la Commission a également précisé que, bien que le requérant ait été un membre de son personnel, le traitement d’une demande d’assistance concernant un membre du personnel du SEAE requérait une collaboration entre ses services et ceux du SEAE. La Commission ajoute que l’analyse préliminaire de l’IDOC devait donc lui permettre de se prononcer sur la demande d’assistance et devait en même temps permettre au SEAE de déterminer si une enquête administrative devait être ouverte. La Commission en conclut que ses services ont travaillé simultanément pour sa propre AIPN et pour celle du SEAE.

41      Dans sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure du 12 avril 2021, le requérant a tout d’abord précisé que le moyen relatif à l’incompétence de l’institution ayant entamé et traité l’analyse préliminaire était d’ordre public et que la confusion d’AIPN était pour la première fois établie par la transmission de nouvelles annexes en réponse à une mesure d’organisation de la procédure. Ensuite, le requérant a indiqué que l’accord de service, produit par la Commission, démontrait que l’IDOC ne devait pas agir sur la base d’une demande formulée par le SEAE et qu’une collaboration entre la Commission et le SEAE n’avait en réalité pas eu lieu. Enfin, le requérant indique que l’AIPN de la Commission aurait dû recevoir le rapport de l’IDOC et lui transmettre ses propres conclusions afin qu’il soit entendu sur ces éléments. Le requérant ajoute qu’il n’a finalement fait valoir ses observations qu’auprès de l’AIPN du SEAE sur les intentions de cette dernière et que l’affirmation de la Commission selon laquelle les services de celles-ci auraient travaillé simultanément au service de l’AIPN de la Commission et de celle du SEAE est contredite par le fait que la Commission n’a finalement pas fait sien le contenu de la décision explicite de rejet du SEAE.

42      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure permet la production de moyens nouveaux à la condition que ceux-ci se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

43      En l’espèce, il convient de constater que c’est pour la première fois à la lecture du mémoire en défense que le requérant a pu comprendre la position de la Commission relative aux conséquences à tirer et à la teneur de l’absence de prise en compte de la décision explicite de rejet du SEAE et de l’invocation de sa décision implicite de rejet de la demande d’assistance.

44      Certes, déjà dans la décision de rejet de la réclamation, la Commission mentionne que l’autorité compétente pour se prononcer sur la demande d’assistance du requérant, fonctionnaire de la Commission, était sa DG « Ressources humaines et sécurité » et que le défaut de réponse de cette dernière, en tant qu’AIPN compétente, dans le délai de quatre mois vaut décision implicite de rejet de la demande d’assistance susceptible de faire l’objet d’une réclamation au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut.

45      Cependant, d’une part, ce n’est qu’au stade du mémoire en défense que la Commission a précisé le détail de la procédure ayant été suivie par l’IDOC et l’unité HR.E.2, au nom du SEAE, et l’existence de l’accord de service, dont le contenu n’a d’ailleurs été produit par elle-même qu’à la suite d’une mesure d’organisation de la procédure.

46      D’autre part, alors que, dans la décision de rejet de la réclamation, la Commission a pris position en partie sur les moyens avancés dans la réclamation du 4 septembre 2019, lesquels portaient, en substance, sur la décision explicite de rejet du SEAE, au stade du mémoire en défense, elle a précisé que l’argumentation du SEAE rejetant la demande d’assistance ne saurait être prise en compte.

47      Ce faisant, le requérant n’était pas en mesure d’avoir connaissance de ces données au stade de l’introduction de la requête, et encore moins au stade de la réclamation du 4 septembre 2019, et de développer un moyen relatif aux irrégularités entachant la procédure précontentieuse tout particulièrement devant la Commission, compte tenu de la confusion que celle-ci a entretenue sur ce point jusqu’au mémoire en défense.

48      Partant, en raison de cette prise de position au stade du mémoire en défense, le troisième moyen du requérant se fonde sur des éléments de droit et de fait révélés pendant la procédure devant le Tribunal.

49      Il convient donc de déclarer ce moyen recevable et de l’examiner au fond.

50      Ainsi que les parties l’observent, l’AIPN compétente pour traiter la demande d’assistance du requérant était celle de la Commission et non celle du SEAE. En effet, il ressort des pièces du dossier, notamment de l’annexe I, point V.11, de la décision C(2016) 1881 final de la Commission, du 4 avril 2016, modifiant la décision C(2013) 3288 de la Commission, du 4 juin 2013, relative à l’exercice des pouvoirs dévolus par le statut à l’AIPN et par le régime applicable aux autres agents à l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement, telle que produite par la Commission en réponse à une mesure d’organisation de la procédure, que l’AIPN compétente pour traiter les demandes d’assistance au titre de l’article 24 du statut introduites par les fonctionnaires de la Commission est le directeur général des ressources humaines et de la sécurité de la Commission.

51      En outre, il ressort du dossier, d’une part, que la procédure administrative relative à la demande d’assistance a été instruite par les services de la Commission pour le compte de l’AIPN du SEAE et, d’autre part, que l’AIPN de la Commission ne s’est pas considérée comme saisie de la demande d’assistance tout au long de la procédure administrative de traitement de cette dernière.

52      Ce n’est qu’au stade de l’examen de la réclamation du 4 septembre 2019, qui avait été valablement introduite par le requérant au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, contre la décision explicite de rejet du SEAE que l’AIPN de la Commission s’est rendu compte des erreurs commises lors du traitement de la demande d’assistance et, dans ce contexte, a considéré qu’elle avait rejeté la demande d’assistance, en tant qu’AIPN compétente, par une décision implicite à l’expiration du délai de quatre mois prévu par l’article 90 paragraphe 1, du statut et que cette décision implicite faisait l’objet de la réclamation du 4 septembre 2019.

53      Ces constatations et appréciations de la part de la Commission n’ont été portées à la connaissance du requérant que dans le rejet de la réclamation (voir point 44 ci-dessus).

54      Il y a dès lors lieu d’examiner les conséquences que cette façon de procéder de la Commission a eues sur la régularité de la procédure précontentieuse.

55      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’objectif de la procédure administrative de réclamation est de permettre et de favoriser un règlement amiable du différend surgi entre le réclamant et l’autorité compétente et d’imposer à cette autorité dont dépend le fonctionnaire de réexaminer sa décision, dans le respect des règles, à la lumière des objections éventuelles de celui‑ci (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2015, Z/Cour de justice, T‑88/13 P, EU:T:2015:393, point 144). Dans ce cadre, cette procédure permet au réclamant de préciser ses prétentions et à l’administration de corriger d’éventuelles erreurs, de reconsidérer sa position et de compléter la motivation de la décision contestée.

56      Ainsi, la procédure précontentieuse a été prévue non seulement dans l’intérêt de l’administration, mais également dans l’intérêt du fonctionnaire (voir, en ce sens, arrêt du 3 avril 1990, Pfloeschner/Commission, T‑135/89, EU:T:1990:26, point 17) qui doit bénéficier d’un réexamen régulier de la décision de l’administration.

57      Or, en l’espèce, le requérant a formulé la réclamation du 4 septembre 2019 contre la décision explicite de rejet du SEAE alors que la décision de rejet de ladite réclamation concerne une autre décision d’une autre autorité, à savoir la décision implicite de rejet de la demande d’assistance. Certes, dans la décision de rejet de la réclamation, la Commission a pris position en partie sur les moyens avancés dans la réclamation du 4 septembre 2019, mais, au stade du mémoire en défense, la Commission a précisé que l’argumentation dans la décision explicite de rejet du SEAE ne saurait être prise en compte (voir point 46 ci-dessus). Il en résulte qu’il n’est pas garanti que la procédure précontentieuse ait pu remplir ses fonctions.

58      À cet égard, il y a lieu de relever notamment que, alors que la confusion quant à l’AIPN compétente pour statuer a perduré pour l’administration jusqu’au stade du dépôt de la réclamation du 4 septembre 2019, elle n’a été signalée au requérant par l’AIPN compétente que dans la décision de rejet de la réclamation. En effet, l’accusé de réception du 12 septembre 2019 de la réclamation du 4 septembre 2019 a précisé que la demande avait été enregistrée à l’unité HR.E.2 au nom du SEAE et qu’une décision motivée de la part de ce dernier devait parvenir au requérant dans un délai de quatre mois à partir du jour de l’introduction de cette réclamation. Enfin, par un courriel du 6 décembre 2019, l’unité HR.E.2 a contacté le requérant en lui indiquant que l’institution, sans préciser quelle autorité, le SEAE ou la Commission, devait réexaminer la décision de refus d’assistance à la lumière des objections formulées par ce dernier dans ladite réclamation. L’unité HR.E.2 a également indiqué au requérant que les éléments présentés ne constituaient pas un commencement de preuve d’un harcèlement moral et l’a invité à faire part de ses observations dans un délai de sept jours à compter de la date de réception de ce courriel, sans plus ample précision.

59      Néanmoins, l’unité HR.E.2, tout en invitant le requérant à faire part de ses observations, n’a pas fait mention de l’erreur relative à l’AIPN compétente et n’a donc pas indiqué au requérant en quoi consistait le réexamen qu’elle comptait effectuer. À ce titre, le requérant a d’ailleurs répondu par un courriel en date du 10 décembre 2019 qu’il n’était pas en mesure de comprendre la position de l’AIPN, dès lors que les motifs sur la base desquels l’administration considérait que les faits ne constituaient pas un commencement de preuve d’un harcèlement moral ne lui étaient pas indiqués. Ainsi, l’AIPN de la Commission n’a pas, à ce stade de la procédure, indiqué au requérant l’erreur d’AIPN compétente qui avait eu lieu lors de l’examen de sa demande d’assistance et, ensuite, elle n’a pas invité ce dernier à présenter ses observations sur ces circonstances avant la décision de rejet de la réclamation. Le requérant n’a donc pas eu la possibilité de faire valoir son point de vue en toute connaissance de cause devant l’AIPN compétente avant l’adoption de la décision de rejet de la réclamation.

60      Il en découle que le requérant a été privé d’un réexamen précontentieux régulier du rejet de sa demande d’assistance, en violation de l’article 90, paragraphe 2, du statut. La décision de rejet de la réclamation est ainsi entachée d’illégalité.

61      Il en est de même de la décision implicite de rejet de la demande d’assistance, dès lors que celle-ci n’est manifestement qu’un support créé pour examiner la réclamation du 4 septembre 2019 introduite contre la décision explicite de rejet du SEAE. En effet, l’administration n’ayant identifié l’AIPN compétente pour prendre une décision sur la demande d’assistance qu’après l’introduction de la réclamation du 4 septembre 2019, cette AIPN n’a pas pu se prononcer sur cette demande.

62      Certes, s’il peut être considéré qu’une décision implicite, portant rejet d’une demande d’assistance au sens de l’article 24 du statut, intervient lorsque l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement ou l’AIPN ne fournit aucune réponse à cette demande dans le délai de quatre mois prévu à l’article 90, paragraphe 1, de ce même statut (voir, en ce sens, arrêt du 24 avril 2017, HF/Parlement, T‑570/16, EU:T:2017:283, point 54), une telle décision présuppose nécessairement que l’institution ait été saisie préalablement d’une telle demande. Or, en l’espèce, l’AIPN de la Commission ne s’est pas considérée comme saisie de la demande d’assistance lors de la procédure administrative de traitement de cette demande et ne s’est pas rendu compte de cette erreur avant que la réclamation du 4 septembre 2019 ne soit introduite.

63      De surcroît, l’objectif d’une décision implicite de rejet n’est pas de remédier aux potentiels vices d’une décision explicite de rejet prise le même jour, et cela d’autant plus lorsque les vices sont la conséquence des erreurs commises par l’AIPN compétente antérieurement dans le cadre de la procédure. À cet égard, dans sa jurisprudence en matière d’accès aux documents, le Tribunal a déjà précisé que le mécanisme d’une décision implicite de rejet a été établi afin de pallier le risque que l’administration ne réponde pas à une demande et échappe à tout contrôle juridictionnel (voir, en ce sens, ordonnance du 25 janvier 2012, MasterCard e.a./Commission, T‑330/11, non publiée, EU:T:2012:27, point 34). Or, l’administration a, en principe, l’obligation de fournir une réponse à toute demande d’un administré. La fonction du mécanisme de la décision implicite de rejet consiste donc à permettre aux administrés d’attaquer l’inaction de l’administration en vue d’obtenir une réponse motivée de celle-ci (voir, en ce sens, ordonnance du 25 janvier 2012, MasterCard e.a./Commission, T‑330/11, non publiée, EU:T:2012:27, point 34 et jurisprudence citée, et arrêt du 11 juin 2019, Frank/Commission, T‑478/16, EU:T:2019:399, point 86).

64      Il en résulte que la procédure précontentieuse s’agissant de la décision implicite de rejet de la demande d’assistance n’a pas été conforme à l’article 90, paragraphe 1, du statut. La Commission a par conséquent agi en violation du principe de bonne administration qui impose notamment à l’autorité compétente d’appliquer correctement les textes (voir arrêt du 22 mars 2018, Popotas/Médiateur, T‑581/16, EU:T:2018:169, point 161 et jurisprudence citée) et qui comporte, notamment, le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2020, SEAE/De Loecker, C‑187/19 P, EU:C:2020:444, point 67).

65      S’agissant des conséquences des irrégularités de la procédure et du non-respect du principe de bonne administration sur la légalité des décisions attaquées, il convient de rappeler que, pour que ceux-ci conduisent à l’annulation des actes attaqués, il faut en outre que, en l’absence de ces irrégularités et du non-respect de ce principe, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent (voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 2003, Staelen/Parlement, T‑24/01, EU:T:2003:52, point 53 et jurisprudence citée, et du 2 mai 2019, QH/Parlement, T‑748/16, non publié, EU:T:2019:274, point 62).

66      Or, il y a lieu de rappeler que, s’agissant de la mise en œuvre de l’article 24 du statut, l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation, sous le contrôle du juge de l’Union européenne, dans le choix des mesures, tant provisoires que définitives, devant être prises (voir arrêt du 12 juillet 2011, Commission/Q, T‑80/09 P, EU:T:2011:347, point 86 et jurisprudence citée). En outre, comme le souligne à juste titre le requérant, ce dernier a toujours fait valoir ses observations sur les intentions de l’AIPN du SEAE. Or, il ne saurait être exclu que, si le requérant avait bénéficié d’un dialogue effectif avec son AIPN, le contenu des décisions attaquées aurait été différent. En effet, en rejetant par la même occasion la demande d’assistance et la réclamation du requérant, dans la décision de rejet de la réclamation, l’AIPN de la Commission n’a pas donné au requérant la possibilité d’un règlement amiable du litige. Cela est d’autant plus vrai que, dans son courriel en date du 6 décembre 2019, qui était signé par le même auteur que l’accusé de réception du 12 septembre 2019 de la réclamation du 4 septembre 2019 et qui précisait que la demande avait été enregistrée à l’unité HR.E.2 au nom du SEAE, l’unité HR.E.2 n’a pas indiqué au requérant, d’une part, si la demande d’observations était effectuée pour le compte de l’AIPN de la Commission ou pour celui du SEAE et, d’autre part, pour quelle raison précisément il devait produire des observations supplémentaires. Dans ces conditions, il ne peut pas être entièrement exclu que, en l’espèce, si la procédure d’adoption de la décision sur la demande d’assistance avait été effectuée régulièrement par l’AIPN de la Commission, ou si les irrégularités de ladite procédure avaient été corrigées au stade de l’examen de la réclamation, en permettant au requérant d’obtenir un dialogue effectif et de faire valoir son point de vue auprès de ladite AIPN, en lui assurant le bénéfice d’un réexamen précontentieux régulier de la décision de l’institution, le contenu des décisions attaquées aurait pu être différent et aurait éventuellement mené à l’ouverture d’une enquête administrative (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 106).

67      Cette appréciation est renforcée par la circonstance qu’une décision qui rejette une demande d’assistance dans le cadre d’une plainte pour harcèlement moral, telle que les décisions attaquées, peut emporter de graves conséquences pour la personne concernée, les faits de harcèlement moral pouvant avoir des effets extrêmement destructeurs sur l’état de santé de cette personne et la reconnaissance par l’administration de l’existence d’un tel harcèlement étant, en elle-même, susceptible d’avoir un effet bénéfique dans le processus thérapeutique de reconstruction de ladite personne (arrêt du 4 juin 2020, SEAE/De Loecker, C‑187/19 P, EU:C:2020:444, point 74). Dans ce contexte, la garantie d’un dialogue effectif avec l’AIPN compétente doit être d’autant plus renforcée.

68      Sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres griefs invoqués par le requérant dans le cadre du troisième moyen ni les premier et deuxième moyens, il y a lieu d’annuler les décisions attaquées en raison de la violation de l’article 90, paragraphes 1 et 2, du statut ainsi que du principe de bonne administration.

 Sur les dépens

69      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision implicite de la Commission européenne du 5 juin 2019 rejetant la demande d’assistance de JK introduite au titre de l’article 24 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne et sa décision du 6 janvier 2020 rejetant la réclamation de ce dernier sont annulées.

2)      La Commission est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par JK.

Kanninen

Porchia

Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 octobre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.