Language of document : ECLI:EU:C:2018:596

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

25 juillet 2018 (*)

« Pourvoi – Marque de l’Union européenne – Marque tridimensionnelle représentant la forme d’une tablette de chocolat à quatre barres – Pourvoi dirigé contre des motifs – Irrecevabilité – Règlement (CE) no 207/2009 – Article 7, paragraphe 3 – Preuve d’un caractère distinctif acquis par l’usage »

Dans les affaires jointes C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P,

ayant pour objet trois pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits, les deux premiers, le 15 février 2017 et, le dernier, le 22 février 2017,

Société des produits Nestlé SA, établie à Vevey (Suisse), représentée par Me G.S.P. Vos, advocaat, et M. S. Malynicz, QC,

partie requérante,

soutenue par :

European Association of Trade Mark Owners (Marques), établie à Leicester (Royaume-Uni), représentée par Me M. Viefhues, Rechtsanwalt,

partie intervenante au pourvoi,

les autres parties à la procédure étant :

Mondelez UK Holdings & Services Ltd, anciennement Cadbury Holdings Ltd, établie à Uxbridge (Royaume-Uni), représentée par M. T. Mitcheson, QC, et M. J. Lane Heald, barrister, mandatés par MM. P. Walsh et J. Blum, solicitors,

partie demanderesse en première instance,

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agent,

partie défenderesse en première instance (C‑84/17 P),

Mondelez UK Holdings & Services Ltd, anciennement Cadbury Holdings Ltd, établie à Uxbridge, représentée par M. T. Mitcheson, QC, et M. J. Lane Heald, barrister, mandatés par MM. P. Walsh et J. Blum ainsi que par Mme C. MacLeod, solicitors,

partie requérante

les autres parties à la procédure étant :

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agent,

partie défenderesse en première instance,

Société des produits Nestlé SA, établie à Vevey, représentée par Me G.S.P. Vos, advocaat, et M. S. Malynicz, QC,

partie intervenante en première instance (C‑85/17 P),

et

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agent,

partie requérante ,

les autres parties à la procédure étant :

Mondelez UK Holdings & Services Ltd, anciennement Cadbury Holdings Ltd, établie à Uxbridge, représentée par M. T. Mitcheson, QC, et M. J. Lane Heald, barrister, mandatés par MM. P. Walsh et J. Blum, solicitors,

partie demanderesse en première instance,

Société des produits Nestlé SA, établie à Vevey, représentée par Me G.S.P. Vos, advocaat, et M. S. Malynicz, QC,

partie intervenante en première instance (C‑95/17 P),

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. J. Malenovský, M. Safjan, D. Šváby et M. Vilaras (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Wathelet,

greffier : Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 février 2018,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 avril 2018,

rend le présent

Arrêt

1        Par leurs pourvois respectifs, Société des produits Nestlé SA (ci‑après « Nestlé »), Mondelez UK Holdings & Services Ltd, anciennement Cadbury Holdings Ltd (ci‑après « Mondelez ») et l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 15 décembre 2016, Mondelez UK Holdings & Services/EUIPO – Société des produits Nestlé (Forme d’une tablette de chocolat) (T‑112/13, non publié, ci‑après l’« arrêt attaqué », EU:T:2016:735), par lequel celui‑ci a annulé la décision de la deuxième chambre de recours de l’EUIPO du 11 décembre 2012 (affaire R 513/2011-2), relative à une procédure de nullité entre Cadbury Holdings et Nestlé (ci‑après la « décision litigieuse »).

 Le cadre juridique

2        Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque [de l’Union européenne] (JO 2009, L 78, p. 1) :

« La marque [de l’Union européenne] a un caractère unitaire. Elle produit les mêmes effets dans l’ensemble de [l’Union] : elle ne peut être enregistrée, transférée, faire l’objet d’une renonciation, d’une décision de déchéance des droits du titulaire ou de nullité, et son usage ne peut être interdit, que pour l’ensemble de l’[Union]. Ce principe s’applique sauf disposition contraire du présent règlement. »

3        L’article 7 de ce règlement disposait :

« 1.      Sont refusés à l’enregistrement :

[...]

b)      les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif ;

[...]

2.      Le paragraphe 1 est applicable même si les motifs de refus n’existent que dans une partie de l’[Union]

3.      Le paragraphe 1, points b), c) et d) n’est pas applicable si la marque a acquis pour les produits ou services pour lesquels est demandé l’enregistrement un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait. »

4        L’article 52 dudit règlement était ainsi libellé :

« 1.      La nullité de la marque [de l’Union européenne] est déclarée, sur demande présentée auprès de l’[EUIPO] ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon :

a)      lorsque la marque [de l’Union européenne] a été enregistrée contrairement aux dispositions de l’article 7 ;

[...]

2.      Lorsque la marque [de l’Union européenne]a été enregistrée contrairement à l’article 7, paragraphe 1, point b), c) ou d), elle ne peut toutefois être déclarée nulle si, par l’usage qui en a été fait, elle a acquis après son enregistrement un caractère distinctif pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée.

3.      Si la cause de nullité n’existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels la marque [de l’Union européenne]est enregistrée, la nullité de la marque ne peut être déclarée que pour les produits ou les services concernés. »

5        L’article 65 du même règlement disposait :

« 1.      Les décisions des chambres de recours statuant sur un recours sont susceptibles d’un recours devant la Cour de justice.

2.      Le recours est ouvert pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité, du présent règlement ou de toute règle de droit relative à leur application, ou détournement de pouvoir.

3.      La Cour de justice a compétence aussi bien pour annuler que pour réformer la décision attaquée.

4.      Le recours est ouvert à toute partie à la procédure devant la chambre de recours pour autant que la décision de celle-ci n’a pas fait droit à ses prétentions.

5.      Le recours est formé devant la Cour de justice dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de la chambre de recours.

6.      L’[EUIPO] est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour de justice. »

 Les antécédents des litiges

6        Les antécédents des litiges figurent aux points 1 à 11 de l’arrêt attaqué et, pour les besoins de la présente procédure, ils peuvent être résumés de la manière suivante.

7        Le 21 mars 2002, Nestlé a demandé à l’EUIPO l’enregistrement du signe tridimensionnel suivant :

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8        L’enregistrement a été demandé pour des produits relevant de la classe 30, au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié. Le 28 juillet 2006, le signe susvisé a été enregistré en tant que marque de l’Union européenne pour les produits relevant de la classe 30, correspondant à la description suivante : « Bonbons [sweets] ; produits de boulangerie, articles de pâtisserie, biscuits ; gâteaux, gaufres » (ci‑après la « marque litigieuse »).

9        Le 23 mars 2007, Cadbury Schweppes plc (devenue Cadbury Holdings, puis Mondelez) a introduit auprès de l’EUIPO une action en nullité de l’enregistrement sur le fondement, notamment, de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009. Le 11 janvier 2011, la division d’annulation de l’EUIPO a fait droit à cette demande et a déclaré la nullité de la marque litigieuse. Sur recours de Nestlé, la deuxième chambre de recours de l’EUIPO a, par la décision litigieuse, annulé la décision de la division d’annulation. Elle a, notamment, considéré que, si, certes, la marque litigieuse était dépourvue de caractère distinctif inhérent pour les produits pour lesquels elle avait été enregistrée, Nestlé avait démontré, conformément à l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, que cette marque avait acquis un tel caractère pour les mêmes produits, par l’usage qui en avait été fait.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 février 2013, Mondelez a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. À l’appui de son recours, elle a soulevé trois moyens. Le Tribunal n’a examiné que le premier, tiré de la violation de l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 3, de ce règlement, et subdivisé en quatre branches.

11      Aux points 21 à 44 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a analysé et a accueilli la deuxième branche du premier moyen de Mondelez. Ainsi qu’il ressort des points 41 à 44 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que c’était à tort que la chambre de recours avait considéré que Nestlé avait démontré l’usage de la marque litigieuse pour les produits de boulangerie, les articles de pâtisserie, les gâteaux et les gaufres. Partant, le Tribunal n’a analysé les autres branches du premier moyen de Mondelez qu’en ce qui concerne les bonbons (sweets) et les biscuits. Les points 21 à 44 de l’arrêt attaqué ne sont visés par aucun des pourvois.

12      Aux points 45 à 64 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a analysé et a rejeté la première branche du premier moyen de Mondelez, relative à l’absence d’usage de la marque litigieuse sous la forme dans laquelle elle avait été enregistrée.

13      Aux points 65 à 111 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné et a rejeté la troisième branche du premier moyen de Mondelez, relative à l’absence d’usage de la marque litigieuse en tant qu’indicateur d’origine et à l’insuffisance des éléments de preuve à cet égard. À l’appui de cette décision, d’une part, au point 94 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que les éléments de preuve de l’usage sérieux de la marque litigieuse, présentés par Nestlé devant l’EUIPO, constituaient des éléments pertinents qui, appréciés globalement, étaient susceptibles de démontrer que, aux yeux du public pertinent, ladite marque était perçue comme une indication de l’origine commerciale des produits en cause. D’autre part, au point 107 du même arrêt, le Tribunal a considéré que la chambre de recours s’était livrée à un examen de l’acquisition du caractère distinctif de la marque litigieuse grâce à celle-ci et avait étayé concrètement ses conclusions relatives à une telle acquisition en ce qui concerne le Danemark, l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays‑Bas, l’Autriche, la Finlande, la Suède et le Royaume-Uni.

14      En dernier lieu, le Tribunal a analysé, aux points 112 à 178 de l’arrêt attaqué, la quatrième branche du premier moyen de Mondelez. Au point 143 de cet arrêt, il a relevé que la chambre de recours avait commis une erreur, en décidant, en substance, que, aux fins de prouver le caractère distinctif acquis par l’usage dans l’ensemble de l’Union, il était suffisant de démontrer qu’une partie substantielle du public pertinent dans l’Union, tous les États membres et toutes les régions confondus, percevait la marque considérée comme une indication de l’origine commerciale des produits que ladite marque désignait et qu’il n’était pas nécessaire de prouver le caractère distinctif acquis par l’usage d’une telle marque dans chacun des États membres concernés.

15      Néanmoins, ainsi qu’il ressort des points 144 et 145 dudit arrêt, le Tribunal a estimé qu’il n’était pas exclu que, nonobstant cette conception erronée en droit du critère d’examen destiné à établir le caractère distinctif acquis par l’usage d’une marque dans l’ensemble de l’Union, la chambre de recours ait fait une application correcte de ce critère lorsqu’elle a examiné les éléments de preuve présentés par Nestlé. Il a donc considéré qu’il convenait d’examiner l’appréciation desdits éléments par la chambre de recours.

16      À la suite de l’examen des éléments de preuve relatifs à la France, à l’Italie, à l’Espagne, au Royaume-Uni, à l’Allemagne, aux Pays-Bas, au Danemark et à la Suède, à la Finlande ainsi qu’à l’Autriche, le Tribunal a conclu, aux points, respectivement, 146, 148, 151, 153, 155, 158, 159, 164 et 167 de l’arrêt attaqué, que c’était à juste titre que la chambre de recours avait considéré qu’il avait été établi que la marque litigieuse avait acquis un caractère distinctif par l’usage dans tous ces États membres.

17      Toutefois, au point 173 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que la chambre de recours ne s’était pas prononcée explicitement sur la question de savoir s’il avait été établi que la marque litigieuse avait acquis un caractère distinctif en Belgique, en Irlande, en Grèce et au Portugal et qu’elle n’avait pas non plus inclus ces États membres parmi ceux pour lesquels elle avait estimé qu’une telle acquisition avait été prouvée.

18      Il ressort des points 177 à 179 du même arrêt que le Tribunal a, dès lors, fait droit à la quatrième branche du premier moyen de Mondelez et a annulé la décision litigieuse dans son intégralité, dès lors que l’examen de la chambre de recours relatif au caractère distinctif acquis par l’usage de la marque litigieuse n’avait pas été valablement effectué, cet organe ne s’étant pas prononcé sur la perception de ladite marque par le public pertinent notamment en Belgique, en Irlande, en Grèce ainsi qu’au Portugal et s’étant abstenu d’analyser les éléments de preuve présentés par Nestlé en ce qui concerne ces États membres.

 Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

19      Par son pourvoi dans l’affaire C‑84/17 P, Nestlé demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué au motif que le Tribunal a violé l’article 7, paragraphe 3, et l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, et

–        de condamner Mondelez aux dépens.

20      Par son pourvoi dans l’affaire C‑85/17 P, Mondelez demande à la Cour d’annuler les points 37 à 44, 58 à 64, 78 à 111 et 144 à 169 de l’arrêt attaqué ainsi que le point 177 du même arrêt, en ce qu’il relève, « [e]n effet, bien qu’il ait été établi que la marque [litigieuse] avait acquis un caractère distinctif par l’usage au Danemark, en Allemagne, en Espagne, en France, en Italie, aux Pays‑Bas, en Autriche, en Finlande, en Suède et au Royaume-Uni ».

21      Par son pourvoi dans l’affaire C‑95/17 P, l’EUIPO demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué et

–        de condamner Mondelez aux dépens.

22      Par décision du président de la Cour du 10 mai 2017, les affaires C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

23      Dans son mémoire en réponse, Nestlé demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi dans l’affaire C‑85/17 P comme manifestement irrecevable ou manifestement non fondé par voie d’ordonnance ou, à titre subsidiaire, par voie d’arrêt et

–        de condamner Mondelez aux dépens.

24      Dans son mémoire en réponse, Mondelez demande à la Cour :

–        de rejeter les pourvois dans les affaires C‑84/17 P et C‑95/17 P, et

–        de condamner, respectivement, Nestlé et l’EUIPO aux dépens dans ces deux affaires.

25      Dans son mémoire en réponse, l’EUIPO demande à la Cour :

–        d’accueillir le pourvoi dans l’affaire C‑84/17 P ;

–        de rejeter le pourvoi dans l’affaire C‑85/17 P, et

–        de condamner Mondelez aux dépens exposés par l’EUIPO.

26      Par acte déposé au greffe de la Cour le 13 novembre 2017, l’European Association of Trade Mark Owners (Marques) [Association européenne des propriétaires de marques (Marques)] a, sur le fondement de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, demandé à être admise à intervenir au litige dans l’affaire C‑84/17 P, au soutien des conclusions de Nestlé, partie requérante dans cette affaire. Par ordonnance du 12 janvier 2018, le président de la Cour a fait droit à cette demande.

 Sur la demande tendant à la réouverture de la phase orale de la procédure

27      Par lettre déposée au greffe de la Cour le 17 mai 2018, Nestlé a demandé que soit ordonnée la réouverture de la procédure orale, en application de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour.

28      À l’appui de sa demande, d’une part, elle invoque ce qui, selon elle, constitue un fait nouveau, apparu à la suite de la lecture des conclusions de M. l’avocat général. Ainsi, elle fait valoir qu’elle avait versé au dossier de l’affaire devant l’EUIPO des éléments visant à établir que, en ce qui concerne le produit couvert par la marque litigieuse, les preuves apportées pour les marchés danois, allemand, espagnol, français, italien, néerlandais, autrichien, finlandais, suédois et du Royaume-Uni valaient également pour les marchés belge, irlandais, grec, luxembourgeois et portugais. L’indication en sens contraire figurant au point 87 des conclusions de M. l’avocat général résulterait d’une réponse erronée de l’avocat de Nestlé, qui n’aurait pas compris le sens de la question que lui a posée, lors de l’audience, M. l’avocat général.

29      D’autre part, Nestlé fait valoir que l’existence d’une erreur dans la traduction en langue anglaise de l’arrêt du 24 mai 2012, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli/OHMI (C‑98/11 P, EU:C:2012:307), évoquée par M. l’avocat général au point 70 de ses conclusions, doit être débattue entre les parties.

30      Il convient de rappeler que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure ne prévoient pas la possibilité, pour les parties, de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity, C‑164/15 P et C‑165/15 P, EU:C:2016:990, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

31      En vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général a pour rôle de présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. La Cour n’est liée ni par les conclusions de l’avocat général ni par la motivation au terme de laquelle il parvient à celles-ci.

32      Par conséquent, le désaccord d’une partie avec les conclusions de l’avocat général, quelles que soient les questions qu’il examine dans celles-ci, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la procédure orale (arrêt du 28 février 2018, mobile.de/EUIPO, C‑418/16 P, EU:C:2018:128, point 30).

33      Toutefois, la Cour peut, en vertu de l’article 83 de son règlement de procédure, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner l’ouverture ou la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour.

34      Tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la Cour, l’avocat général entendu, considère qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer et que l’affaire ne doit pas être examinée au regard d’un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur sa décision ou d’un argument qui n’a pas été débattu devant elle.

35      En effet, les allégations de Nestlé, résumées au point 28 du présent arrêt, ne révèlent l’existence d’aucun fait nouveau, dans la mesure où elles se réfèrent à des éléments qui figuraient déjà au dossier de l’affaire avant l’audience. Ces allégations constituent, en réalité, une tentative de Nestlé de revenir sur les déclarations faites lors de l’audience par son avocat. Quant aux divergences entre les différentes versions linguistiques de l’arrêt du 24 mai 2012, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli/OHMI (C‑98/11 P, EU:C:2012:307), il y a lieu de relever que, à la date de l’audience, cet arrêt était disponible dans toutes les langues officielles et les parties étaient ainsi en mesure de présenter leurs observations sur d’éventuelles erreurs de traduction, si elles estimaient que de telles erreurs revêtaient une pertinence particulière pour les présentes affaires.

36      Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

 Sur les pourvois

 Sur la recevabilité du pourvoi dans l’affaire C85/17 P

 Argumentation des parties

37      Nestlé soutient que le pourvoi de Mondelez est irrecevable, dès lors que cette dernière demande uniquement à la Cour d’annuler certaines parties des motifs de l’arrêt attaqué et non pas le dispositif de cet arrêt.

38      Mondelez fait valoir que son pourvoi est recevable, malgré le fait que le Tribunal a annulé la décision litigieuse dans son intégralité. Le rejet, par le Tribunal, de certains de ses arguments aurait une incidence sur l’examen que la chambre de recours serait appelée à effectuer à la suite de l’annulation de la décision litigieuse. Dès lors que ladite chambre serait liée par le rejet de ces arguments, Mondelez estime qu’elle devrait pouvoir contester l’arrêt attaqué. Au soutien de son argumentation, elle invoque les points 19 à 26 de l’arrêt du 20 septembre 2001, Procter & Gamble/OHMI (C‑383/99 P, EU:C:2001:461).

 Appréciation de la Cour

39      En vertu de l’article 56, premier et deuxième alinéas, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, un pourvoi peut être formé devant la Cour contre les décisions du Tribunal mettant fin à l’instance, par « toute partie ayant partiellement ou totalement succombé en ses conclusions ».

40      Les conclusions des parties à l’instance sont, en principe, accueillies ou rejetées dans le dispositif d’un arrêt. C’est ainsi que l’article 169, paragraphe 1, du règlement de procédure impose que les conclusions du pourvoi tendent à l’annulation, totale ou partielle, de la décision du Tribunal, telle qu’elle figure dans le dispositif de cette décision.

41      Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 43 de ses conclusions, cette disposition vise le principe fondamental en matière de pourvoi selon lequel celui‑ci doit être dirigé contre le dispositif de la décision du Tribunal et ne peut pas se borner à viser la modification de certains motifs de cette décision (arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission, C‑122/16 P, EU:C:2017:861, point 51).

42      En effet, un pourvoi qui tend à obtenir non pas une annulation, fût-ce partielle, de l’arrêt attaqué, à savoir de son dispositif, mais seulement la modification de certains des motifs de cet arrêt est irrecevable (arrêt du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, points 44 ainsi que 50).

43      En l’espèce, il convient de constater que les conclusions du pourvoi de Mondelez visent l’annulation non pas du dispositif de l’arrêt attaqué, mais uniquement de certains motifs de cet arrêt.

44      Certes, dans l’arrêt du 20 septembre 2001, Procter & Gamble/OHMI (C‑383/99 P, EU:C:2001:461, points 19 à 26), la Cour a admis la recevabilité d’un pourvoi qui ne visait pas l’annulation d’un point précis du dispositif d’un arrêt du Tribunal, dès lors qu’il ressortait des motifs de cet arrêt que le Tribunal avait pris une décision qui n’était pas expressément énoncée dans son dispositif.

45      Toutefois, à la différence de ce qui était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à ce dernier arrêt, il ne ressort pas des motifs de l’arrêt attaqué, visés par le pourvoi de Mondelez, que ceux-ci contiennent une décision du Tribunal rejetant un chef de conclusions de cette dernière.

46      Dans la décision litigieuse, la chambre de recours a considéré que la marque litigieuse était dépourvue de caractère distinctif intrinsèque, mais avait acquis un tel caractère par l’usage, de sorte que la demande de Mondelez, tendant à la déclaration de la nullité de cette marque, devait être rejetée.

47      Le premier volet de la décision litigieuse qui, au demeurant, était favorable à Mondelezn’était pas concerné par le litige devant le Tribunal, dès lors que, comme il ressort du point 16 de l’arrêt attaqué, Nestlé s’était désistée,lors de l’audience, de son chef de conclusions tendant à l’annulation de ce premier volet.

48      Seul était alors en cause devant le Tribunal le second volet de la décision litigieuse. À cet égard, il ressort des points 12 et 15 de l’arrêt attaqué que les conclusions du recours de Mondelez tendaient seulement à l’annulation de la décision litigieuse ainsi qu’à la condamnation des autres parties aux dépens.

49      Or, bien que, dans les points de l’arrêt attaqué visés par le pourvoi de Mondelez, le Tribunal ait rejeté certains arguments invoqués par celleci à l’appui de sa demande d’annulation de la décision litigieuse, il en a accueilli d’autres et a, en définitive, fait droit aux conclusions en annulation de Mondelez, dès lors qu’il a annulé la décision litigieuse dans son intégralité.

50      Il s’ensuit que le pourvoi de Mondelez tend uniquement à obtenir une modification de certains des motifs de l’arrêt attaqué, de sorte qu’un tel pourvoi doit être déclaré irrecevable, conformément à la jurisprudence citée au point 42 du présent arrêt.

51      Au regard du caractère univoque de l’exigence établie à l’article 169, paragraphe 1, du règlement de procédure, cette conclusion ne saurait être infirmée sur la base de l’argument de Mondelez, selon lequel la chambre de recours serait liée par les motifs de l’arrêt attaqué, contestés par son pourvoi.

52      En tout état de cause, l’autorité de la chose jugée s’étend seulement aux motifs d’un arrêt qui constituent le soutien nécessaire de son dispositif et en sont, de ce fait, indissociables (arrêt du 15 novembre 2012, Al‑Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, point 49 et jurisprudence citée).

53      Par conséquent, en cas d’annulation par le Tribunal d’une décision de l’EUIPO, les motifs sur la base desquels cette juridiction a rejeté certains arguments évoqués par les parties ne sauraient être considérés comme ayant acquis l’autorité de la chose jugée.

54      Ainsi, en l’espèce, contrairement à ce que soutient Mondelez, la chambre des recours n’est pas liée par le rejet de certains arguments, opéré par le Tribunal, et cette société pourra soulever, le cas échéant, ces mêmes arguments, dans le cadre d’un éventuel nouveau recours contre la décision qui viendrait à être adoptée à la suite de l’annulation de la décision litigieuse par le Tribunal.

55      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi dans l’affaire C‑85/17 P doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur les pourvois dans les affaires C84/17 P et C95/17 P

56      À l’appui de son pourvoi dans l’affaire C‑84/17 P, Nestlé invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 3, du même règlement.

57      Pour sa part, l’EUIPO invoque deux moyens à l’appui de son pourvoi dans l’affaire C‑95/17 P, tirés de la violation, le premier, de l’obligation de motivation et, le second, de l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 3, du même règlement.

58      Il convient, toutefois, de constater, à l’instar de M. l’avocat général au point 49 de ses conclusions, que le premier moyen de ce dernier pourvoi, quoique formellement tiré de la violation de l’obligation de motivation, revient, en réalité, à reprocher au Tribunal la même erreur de droit que celle visée par le second moyen de ce même pourvoi. En effet, par ce premier moyen, l’EUIPO fait valoir que l’interprétation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, retenue par le Tribunal au point 139 de l’arrêt attaqué, est entachée d’une contradiction. Or, si tel était le cas, il devrait être conclu que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation de cette disposition.

59      Par conséquent, il y a lieu d’examiner conjointement le moyen unique du pourvoi dans l’affaire C‑84/17 P et les deux moyens du pourvoi dans l’affaire C‑95/17 P.

 Argumentation des parties

60      Nestlé, soutenue par Marques, et l’EUIPO font valoir que, en jugeant, au point 139 de l’arrêt attaqué, que l’acquisition, par une marque, d’un caractère distinctif par l’usage doit être démontrée dans l’ensemble du territoire de l’Union et non pas seulement pour une partie substantielle ou la majorité de celui-ci, et que, par conséquent, il ne saurait être conclu à l’acquisition de pareil caractère lorsque les éléments de preuve de l’usage ne couvriraient pas une partie de l’Union, même non substantielle ou ne consistant qu’en un seul État membre, le Tribunal a violé l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, tel qu’interprété par la Cour dans son arrêt du 24 mai 2012, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli/OHMI (C‑98/11 P, EU:C:2012:307).

61      Selon Nestlé, Marques et l’EUIPO, le Tribunal aurait, à tort, jugé que la chambre de recours avait commis une erreur de droit en estimant qu’il était suffisant de démontrer qu’une partie significative du public pertinent dans l’ensemble de l’Union, tous États membres et toutes régions confondus, percevait une marque comme une indication de l’origine commerciale des produits couverts par la marque litigieuse et qu’il n’était pas nécessaire de prouver le caractère distinctif acquis par l’usage dans tous les États membres concernés.

62      Par conséquent, ce serait à tort que le Tribunal a jugé que la chambre de recours avait commis une erreur de droit en décidant que la marque litigieuse avait acquis un caractère distinctif par l’usage, sans se prononcer sur la perception de cette marque par le public pertinent en Belgique, en Irlande, en Grèce ainsi qu’au Portugal, et sans analyser les éléments de preuve apportés pour ces États membres.

63      Nestlé, Marques et l’EUIPO soutiennent que, en se focalisant sur les marchés nationaux pris individuellement, cette décision du Tribunal est incompatible avec le caractère unitaire de la marque de l’Union européenne et l’existence même d’un marché unique. En effet, le caractère unitaire de la marque de l’Union européenne impliquerait l’absence de prise en compte des frontières territoriales des États membres, dans le cadre de l’appréciation de l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage, ainsi que le confirmerait le point 44 de l’arrêt du 19 décembre 2012, Leno Merken (C‑149/11, EU:C:2012:816).

64      À l’inverse, Mondelez considère que le Tribunal a correctement interprété et appliqué l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009 ainsi que l’arrêt du 24 mai 2012, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli/OHMI (C‑98/11 P, EU:C:2012:307). Selon elle, il ne suffit pas qu’une marque de l’Union européenne soit distinctive dans une partie importante de l’Union si elle n’est pas distinctive dans une autre partie de l’Union, même si cette autre partie ne consiste qu’en un seul État membre.

65      Mondelez estime qu’en décider autrement conduit au résultat paradoxal qu’une demande d’enregistrement de marque, qui aurait dû être refusée pour défaut de caractère distinctif dans un seul État membre, pourra néanmoins être enregistrée en tant que marque de l’Union européenne, avec pour conséquence qu’il sera possible de s’en prévaloir devant les juridictions de cet État membre.

 Appréciation de la Cour

66      Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, la marque de l’Union européenne a un caractère unitaire et produit les mêmes effets dans l’ensemble de l’Union.

67      Comme le Tribunal l’a relevé, à juste titre, aux points 119 et 120 de l’arrêt attaqué, il résulte du caractère unitaire de la marque de l’Union européenne que, pour être admis à l’enregistrement, un signe doit posséder un caractère distinctif dans l’ensemble de l’Union. C’est ainsi que, aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, lu en combinaison avec le paragraphe 2 du même article, une marque doit être refusée à l’enregistrement si elle est dépourvue de caractère distinctif dans une partie de l’Union.

68      Or, l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, qui permet l’enregistrement des signes qui ont acquis un caractère distinctif par l’usage, doit être lu à la lumière de cette exigence. Ainsi, il résulte du caractère unitaire de la marque de l’Union européenne que, pour être admis à l’enregistrement, un signe doit posséder un caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage, dans l’ensemble de l’Union.

69      À cet égard, il y a lieu, d’emblée, d’indiquer que l’arrêt du 19 décembre 2012, Leno Merken (C‑149/11, EU:C:2012:816), invoqué par Nestlé et l’EUIPO, est dépourvu de pertinence, car il concerne l’interprétation de l’article 15, paragraphe 1, de ce règlement, relatif à l’usage sérieux d’une marque de l’Union européenne déjà enregistrée.

70      Certes, la Cour a jugé que les exigences prévalant en ce qui concerne la vérification de l’usage sérieux d’une marque, au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), disposition qui a été reprise sans modification à l’article 15, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 207/2009, sont analogues à celles concernant l’acquisition du caractère distinctif d’un signe par l’usage en vue de son enregistrement, au sens de l’article 7, paragraphe 3, de ce règlement (arrêt du 18 avril 2013, Colloseum Holding, C‑12/12, EU:C:2013:253, point 34).

71      Toutefois, il importe de relever que, contrairement à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 décembre 2012, Leno Merken (C‑149/11, EU:C:2012:816), dans lequel la Cour a précisé que, pour apprécier l’existence d’un « usage sérieux dans la Communauté » au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, il convient de faire abstraction des frontières du territoire des États membres, l’arrêt du 18 avril 2013, Colloseum Holding (C‑12/12, EU:C:2013:253), porte non pas sur l’étendue géographique pertinente pour apprécier l’existence d’un usage sérieux au sens de cette disposition, mais sur la possibilité de considérer que la condition de l’usage sérieux d’une marque au sens de ladite disposition est remplie lorsqu’une marque enregistrée, qui a acquis son caractère distinctif par suite de l’usage d’une autre marque complexe dont elle constitue l’un des éléments, n’est utilisée que par l’intermédiaire de cette autre marque complexe, ou lorsqu’elle n’est utilisée que conjointement avec une autre marque, la combinaison de ces deux marques étant, de surcroît, elle-même enregistrée comme marque.

72      Le point 34 de l’arrêt du 18 avril 2013, Colloseum Holding (C‑12/12, EU:C:2013:253), ne saurait donc être lu en ce sens que les exigences prévalant en ce qui concerne l’appréciation de l’étendue territoriale permettant l’enregistrement d’une marque par l’usage sont analogues à celles permettant le maintien des droits du titulaire d’une marque enregistrée.

73      Il convient également de relever que, en matière d’usage sérieux d’une marque de l’Union européenne déjà enregistrée, il n’existe pas de disposition analogue à celle de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, de sorte qu’il ne saurait être d’emblée considéré qu’un tel usage fait défaut, au seul motif que la marque concernée n’a pas été utilisée dans une partie de l’Union.

74      Ainsi, la Cour a jugé que, s’il était justifié de s’attendre à ce qu’une marque de l’Union européenne fasse l’objet d’un usage sur un territoire plus vaste que celui d’un seul État membre pour que celui-ci puisse être qualifié d’« usage sérieux », il n’est pas exclu que, dans certaines circonstances, le marché des produits ou des services pour lesquels une marque de l’Union européenne a été enregistrée soit, de fait, cantonné au territoire d’un seul État membre, de sorte qu’un usage de ladite marque sur ce territoire pourrait répondre à la condition de l’usage sérieux d’une marque de l’Union européenne (arrêt du 19 décembre 2012, Leno Merken, C‑149/11, EU:C:2012:816, point 50).

75      En revanche, s’agissant de l’acquisition par une marque d’un caractère distinctif à la suite de l’usage qui en a été fait, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà indiqué qu’un signe ne peut être enregistré en tant que marque de l’Union européenne, en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, que si la preuve est rapportée qu’il a acquis, par l’usage qui en a été fait, un caractère distinctif dans la partie de l’Union dans laquelle il n’avait pas ab initio un tel caractère, au sens du paragraphe 1, sous b), du même article (arrêt du 22 juin 2006, Storck/OHMI, C‑25/05 P, EU:C:2006:422, point 83). La Cour a également précisé que la partie de l’Union visée au paragraphe 2 dudit article peut être constituée, le cas échéant, d’un seul État membre.

76      Il s’ensuit que, s’agissant d’une marque dépourvue de caractère distinctif ab initio dans l’ensemble des États membres, une telle marque ne peut être enregistrée en vertu de cette disposition que s’il est démontré qu’elle a acquis un caractère distinctif par l’usage dans l’ensemble du territoire de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2012, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli/OHMI, C‑98/11 P, EU:C:2012:307, points 61 et 63).

77      Certes, au point 62 de l’arrêt du 24 mai 2012, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli/OHMI (C‑98/11 P, EU:C:2012:307), invoqué par Nestlé et l’EUIPO, la Cour a relevé que, même s’il est vrai que l’acquisition, par une marque, d’un caractère distinctif par l’usage doit être démontrée pour la partie de l’Union dans laquelle cette marque n’avait pas ab initio un tel caractère, il serait excessif d’exiger que la preuve d’une telle acquisition soit rapportée pour chaque État membre pris individuellement.

78      Toutefois, contrairement à ce qu’allèguent Nestlé et l’EUIPO, il ne découle pas de cette considération que, lorsqu’une marque est dépourvue de caractère distinctif intrinsèque dans l’ensemble de l’Union, il suffit, pour obtenir son enregistrement en tant que marque de l’Union européenne en application de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, de prouver qu’elle a acquis un caractère distinctif par l’usage dans une partie significative de l’Union, quand bien même cette preuve n’aurait pas été rapportée pour chacun des États membres.

79      À cet égard, il y a lieu de souligner la distinction entre, d’une part, les faits qui doivent être prouvés, à savoir l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage par un signe dépourvu d’un tel caractère intrinsèque, et, d’autre part, les moyens de preuve susceptibles de démontrer ces faits.

80      En effet, aucune disposition du règlement no 207/2009 n’impose d’établir par des preuves distinctes l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage dans chaque État membre pris individuellement. Il ne saurait, dès lors, être exclu que des éléments de preuve de l’acquisition, par un signe déterminé, d’un caractère distinctif par l’usage présentent une pertinence en ce qui concerne plusieurs États membres, voire l’ensemble de l’Union.

81      Notamment, comme M. l’avocat général l’a, en substance, relevé au point 78 de ses conclusions, il est possible que, pour certains produits ou services, les opérateurs économiques aient regroupé plusieurs États membres au sein du même réseau de distribution et aient traité ces États membres, en particulier du point de vue de leurs stratégies marketing, comme s’ils constituaient un seul et même marché national. Dans cette hypothèse, les éléments de preuve de l’usage d’un signe sur un tel marché transfrontalier sont susceptibles de présenter une pertinence pour tous les États membres concernés.

82      Il en ira de même lorsque, en raison de la proximité géographique, culturelle ou linguistique entre deux États membres, le public pertinent du premier possède une connaissance suffisante des produits ou des services présents sur le marché national du second.

83      Il ressort de ces considérations que, s’il n’est pas nécessaire, aux fins de l’enregistrement, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, d’une marque dépourvue ab initio de caractère distinctif dans l’ensemble des États membres de l’Union, que la preuve soit apportée, pour chaque État membre pris individuellement, de l’acquisition par cette marque d’un caractère distinctif par l’usage, les preuves apportées doivent permettre de démontrer une telle acquisition dans l’ensemble des États membres de l’Union.

84      Cela étant, la question de savoir si les éléments de preuve produits suffisent à prouver l’acquisition, par un signe déterminé, d’un caractère distinctif par l’usage dans la partie du territoire de l’Union dans laquelle ce signe ne possédait pas ab initio un tel caractère relève de l’appréciation des preuves qui incombe, en premier lieu, aux instances de l’EUIPO.

85      Cette appréciation est soumise au contrôle du Tribunal lequel, lorsqu’un recours est formé devant lui contre une décision d’une chambre de recours, est seul compétent pour constater les faits et, donc, pour les apprécier. En revanche, l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation, par le Tribunal, des éléments qui lui ont été soumis, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 19 septembre 2002, DKV/OHMI, C‑104/00 P, EU:C:2002:506, point 22 et jurisprudence citée).

86      Il n’en demeure pas moins que, si les instances de l’EUIPO ou le Tribunal, après avoir apprécié l’ensemble des éléments de preuve qui leur ont été soumis, jugent que certains de ces éléments suffisent à prouver l’acquisition, par un signe déterminé, d’un caractère distinctif par l’usage dans la partie de l’Union dans laquelle il est dépourvu d’un tel caractère ab initio et à justifier, ainsi, son enregistrement en tant que marque de l’Union européenne, ils doivent clairement énoncer ce chef de décision dans leurs décisions respectives.

87      En l’espèce, d’une part, il résulte des considérations qui précèdent que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré, au point 139 de l’arrêt attaqué, que, aux fins de l’application de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, dans le cas d’une marque qui ne possède pas un caractère distinctif intrinsèque dans l’ensemble de l’Union, le caractère distinctif acquis par l’usage de cette marque doit être démontré dans l’ensemble de ce territoire, et non pas seulement dans une partie substantielle ou la majorité du territoire de l’Union, de sorte que, bien qu’une telle preuve puisse être rapportée de façon globale pour tous les États membres concernés ou bien de façon séparée pour différents États membres ou groupes d’États membres, il n’est en revanche pas suffisant que celui à qui en incombe la charge se borne à produire des éléments de preuve d’une telle acquisition qui ne couvriraient pas une partie de l’Union, même consistant en un seul État membre.

88      D’autre part, au regard des mêmes considérations, c’est à bon droit que le Tribunal a considéré, aux points 170 à 178 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse était entachée d’une erreur de droit, en ce que la chambre de recours a considéré que la marque litigieuse avait acquis un caractère distinctif par l’usage, de nature à justifier l’application, à son égard, de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, sans se prononcer sur l’acquisition, par cette marque, d’un tel caractère distinctif en Belgique, en Irlande, en Grèce et au Portugal.

89      Il s’ensuit que l’unique moyen du pourvoi dans l’affaire C‑84/17 P et les deux moyens du pourvoi dans l’affaire C‑95/17 P ne sont pas fondés et doivent être rejetés, tout comme ces pourvois dans leur intégralité.

 Sur les dépens

90      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. L’article 138, paragraphes 1 et 2, du même règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose, d’une part, que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens et, d’autre part, que la Cour décide du partage des dépens si plusieurs parties succombent.

91      Tous les pourvois ayant été rejetés, chacune des parties supportera ses propres dépens, y compris Marques, en sa qualité de partie intervenante au pourvoi, conformément à l’article 140, paragraphe 3, du règlement de procédure.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :

1)      Les pourvois sont rejetés.

2)      Société des produits Nestlé SA, European Association of Trade Mark Owners (Marques), Mondelez UK Holdings & Services Ltd ainsi que l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) supportent leurs propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.