Language of document : ECLI:EU:T:1998:202

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

15 septembre 1998 (1)

«Fonctionnaires - Quotité de rémunération transférée - Coefficient correcteur - Changement de capitale - Rétroactivité»

Dans l'affaire T-3/96,

Roland Haas, Hans-Werner Schmidt, Siegfried Schweikle, Albert Veith, et Horst Wohlfeil , fonctionnaires de la Commission des Communautés européennes, demeurant au Luxembourg, représentés par Mes Georges Vandersanden et Laure Levi, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Gianluigi Valsesia, conseiller juridique principal, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l'Union européenne, représenté initialement par MM. Yves Cretien, conseiller juridique, Antonio Lucidi et Diego Canga Fano, membres du service juridique, puis uniquement par MM. Lucidi et Canga Fano, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie intervenante,

ayant pour objet, d'une part, une demande de condamnation de la Commission au paiement des compléments de rémunération résultant de la prise en considération du coefficient correcteur pour l'Allemagne calculé sur la base du coût de la vie à Berlin pour la période du 1er octobre 1990 au 31 décembre 1994, en ce qui concerne la quotité transférée en marks allemands, avec intérêts de retard au taux de 10 % l'an et, d'autre part, pour autant que de besoin, une demande d'annulation de la décision de la Commission du 9 mars 1995 rejetant les demandes des requérants visant au paiement desdits compléments de rémunération,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, C. P. Briët et A. Potocki, juges,

greffier: H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 18 septembre 1997,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Les requérants sont des fonctionnaires de la Commission, demeurant au Luxembourg.

2.
    En application de l'article 17 de l'annexe VII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»), ils ont fait transférer au cours de périodes diverses entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 une partie de leur rémunération vers l'Allemagne en marks allemands.

3.
    En vertu du paragraphe 3 de cette disposition, les montants transférés sont affectés «du coefficient résultant du rapport qui existe entre le coefficient correcteur fixé pour le pays dans la monnaie duquel le transfert est effectué et le coefficient correcteur fixé pour le pays d'affectation du fonctionnaire», soit en l'espèce le rapport entre le coefficient correcteur pour l'Allemagne et celui pour le Luxembourg.

4.
    L'article 6, troisième alinéa, de la réglementation fixant les modalités relatives aux transferts d'une partie des émoluments des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «réglementation relative aux transferts») dispose:

«Une augmentation rétroactive de la rémunération ne peut donner lieu à une modification rétroactive du montant transféré. La modification du taux de change ou des coefficients correcteurs visés à l'article 17, paragraphe 3, de l'annexe VII du statut n'entraîne pas une correction de la contre-valeur des montants transférés.»

5.
    En vertu de l'annexe XI du statut, les coefficients correcteurs nationaux sont établis sur la base du coût de la vie dans la capitale de chaque État membre.

6.
    Par ailleurs, l'article 3, paragraphe 1, de cette annexe XI dispose:

«Avec effet au 1er juillet et conformément à l'article 65, paragraphe 3, du statut, le Conseil décide avant la fin de chaque année de l'adaptation des rémunérations proposée par la Commission [...]»

7.
    A la suite de la réunification de l'Allemagne, Berlin est devenue, en octobre 1990, la capitale de cet État.

8.
    Dans ses arrêts du 27 octobre 1994, Benzler/Commission (T-536/93, RecFP p. II-777, ci-après «arrêt Benzler»), et Chavane de Dalmassy e.a./Commission (T-64/92, RecFP p. II-723, ci-après «arrêt Chavane»), le Tribunal a déclaré illégaux, pour autant qu'ils fixaient un coefficient correcteur provisoire pour l'Allemagne sur la base du coût de la vie à Bonn, d'une part, l'article 6, paragraphe 2, du règlement (CEE, Euratom, CECA) n° 3761/92 du Conseil, du 21 décembre 1992, adaptant, à compter du 1er juillet 1992, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 383, p. 1), et, d'autre part, l'article 6, paragraphe 2, du règlement (CECA, CEE, Euratom) n° 3834/91 du Conseil, du 19 décembre 1991, adaptant à compter du 1er juillet 1991 les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 361, p. 13, rectificatif publié au JO 1992, L 10, p. 56). Il a estimé que ces articles violaient le principe résultant de l'annexe XI du statut, selon lequel le coefficient correcteur d'un État membre doit être fixé par référence au coût de la vie dans la capitale, dès lors que Berlin était devenue lacapitale de l'Allemagne depuis le 3 octobre 1990. Il a en conséquence annulé un bulletin de pension et des bulletins de rémunération établis sur la base de ces règlements.

9.
    Après le prononcé de ces arrêts, la Commission a introduit deux propositions de règlement auprès du Conseil, au cours du mois de décembre 1994. La première proposition portait sur l'adaptation annuelle des rémunérations prévue à l'annexe XI du statut [SEC(94) 2024 final], la seconde [SEC(94) 2085 final] portait modification d'une proposition du 10 septembre 1991 [SEC(91) 1612 final] visant à remplacer rétroactivement les coefficients correcteurs provisoires pour l'Allemagne en vigueur depuis 1990 (ci-après «seconde proposition modifiée»).

10.
    Le Conseil n'a pas, à ce jour, adopté de règlement modifiant, avec effet rétroactif au mois d'octobre 1990, le coefficient correcteur pour l'Allemagne sur la base de la seconde proposition modifiée.

11.
    Le 19 décembre 1994, le Conseil a adopté le règlement (CECA, CE, Euratom) n° 3161/94, adaptant, à partir du 1er juillet 1994, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 335, p. 1, ci-après «règlement n° 3161/94»). L'article 6, paragraphe 1, de ce règlement prévoit, avec effet au 1er juillet 1994, un coefficient correcteur pour l'Allemagne fondé sur le coût de la vie à Berlin, ainsi que la création de coefficients correcteurs spécifiques pour Bonn, Karlsruhe et Munich.

12.
    Lors de l'établissement des bulletins de rémunération des requérants de décembre 1994, relatifs à la période du 1er juillet au 31 décembre 1994, la Commission a appliqué le règlement n° 3161/94.

13.
    Les requérants, estimant que la Commission aurait dû appliquer aux montants transférés en marks allemands le coefficient correcteur fondé sur le coût de la vie à Berlin à compter du mois d'octobre 1990, ont introduit auprès de l'autorité investie du pouvoir de nomination, entre le 3 et le 20 février 1995, des demandes visant à ce que la Commission effectue un nouveau calcul sur la base dudit coefficient et à ce que leur soit payé l'excédent correspondant.

14.
    Ces demandes ayant été rejetées par lettres du 9 mars 1995, les requérants ont introduit des réclamations entre le 10 mai et le 14 juin 1995.

15.
    Ces réclamations ont fait l'objet de décisions explicites de rejet de la Commission, datées du 4 octobre 1995.

Procédure

16.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 janvier 1996, les requérants ont introduit le présent recours.

17.
    Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 14 mars 1996, le Conseil a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la partie défenderesse. Cette demande a été admise par ordonnance du président de la troisième chambre du Tribunal du 1er avril 1996.

18.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans mesures d'instruction préalables. Toutefois, les parties ont été invitées à répondre à certaines questions et à produire certains documents avant l'audience, en application de l'article 64 du règlement de procédure.

19.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique du 18 septembre 1997.

Conclusions des parties

20.
    Les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    condamner la Commission au paiement des compléments de rémunération résultant de la prise en considération du coefficient correcteur pour l'Allemagne calculé sur la base du coût de la vie à Berlin pour la période du 1er octobre 1990 au 31 décembre 1994, en ce qui concerne la quotité transférée en marks allemands, avec intérêts de retard au taux de 10 % l'an;

-    pour autant que de besoin, annuler les décisions de la Commission du 9 mars 1995 rejetant les demandes des requérants visant au paiement desdits compléments de rémunération;

-    condamner la Commission aux dépens.

21.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme irrecevable ou, subsidiairement, comme non fondé;

-     statuer sur les dépens comme de droit.

22.
    Le Conseil conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme irrecevable;

-    à titre subsidiaire, le rejeter comme non fondé;

-    condamner les requérants aux dépens.

Sur l'objet du recours

23.
    Il ressort des conclusions des requérants que ceux-ci visent en substance à obtenir un dédommagement de la Commission pour le préjudice qu'ils ont subi en raison de l'application de coefficients correcteurs erronés à leurs bulletins de rémunération.

Sur la recevabilité

24.
    La Commission considère que le recours est irrecevable, au motif que les requérants n'ont pas respecté le délai prévu à l'article 90, paragraphe 2, du statut pour l'introduction d'une réclamation contre les actes faisant grief, à savoir, en l'espèce, les bulletins de rémunération mensuels de chacun d'eux, qui reflétaient toutes les opérations de transfert au titre de l'article 17, paragraphe 3, de l'annexe VII du statut.

25.
    Cependant, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de procéder directement à l'examen au fond du recours.

Sur le fond

26.
    Les requérants invoquent en substance cinq moyens à l'appui de leur recours, dont les trois premiers mettent en cause la légalité du règlement n° 3161/94. Le premier moyen est tiré d'une violation des articles 63 à 65 bis du statut ainsi que de l'annexe XI de celui-ci, le deuxième d'une méconnaissance des effets s'attachant aux arrêts Chavane et Benzler, le troisième d'une violation du principe d'égalité de traitement, le quatrième d'une violation du devoir de sollicitude et d'assistance, et le cinquième de l'inapplicabilité de l'article 6, troisième alinéa, de la réglementation relative aux transferts.

27.
    Il apparaît utile d'examiner d'abord le dernier moyen puis les trois premiers et, enfin, le quatrième.

Sur le cinquième moyen, tiré de l'inapplicabilité de l'article 6, troisième alinéa, de la réglementation relative aux transferts

Arguments des parties

28.
    Les requérants soulignent que, dans les décisions de rejet de leurs demandes et de leurs réclamations, la Commission invoque l'article 6, troisième alinéa, de la réglementation relative aux transferts pour refuser de faire droit à leurs prétentions.

29.
    Ils estiment que cette disposition ne peut justifier la position de la Commission, dès lors qu'elle s'inscrit dans le processus d'adaptation annuelle des rémunérations et des coefficients correcteurs, prévu par le statut, alors que la modification du coefficient correcteur pour l'Allemagne résulte d'un fait politique majeur, étranger à cette adaptation annuelle.

30.
    Par ailleurs, l'article 6, troisième alinéa, viserait des coefficients correcteurs définitifs, alors que, de la volonté même du Conseil, les coefficients correcteurs fixés entre le 1er octobre 1990 et le 30 juin 1994 pour l'Allemagne auraient été des coefficients correcteurs provisoires. Les requérants relèvent à ce propos que l'article 6, troisième alinéa, renvoie à l'article 17, paragraphe 3, de l'annexe VII du statut, qui est lui-même fondé sur les articles 63 et suivants du statut. Or, ces dispositions du statut concerneraient des coefficients correcteurs définitifs. La règle prévue à l'article 6, troisième alinéa, ne pourrait dès lors se comprendre que dans le cadre de l'exercice d'adaptation annuelle des rémunérations et des coefficients correcteurs.

31.
    Enfin, l'interdiction de correction rétroactive prévue par l'article 6, troisième alinéa, s'expliquerait par l'existence d'un délai entre, d'une part, la date d'adoption des règlements portant adaptation annuelle en fin d'année civile et, d'autre part, la date de prise d'effet de ces règlements, c'est-à-dire le 1er juillet de l'année de référence. En conséquence, les nouveaux coefficients correcteurs adoptés en décembre ne seraient pris en considération qu'à partir du 1er janvier de l'année qui suit. Étant donné que, en l'occurrence, la correction rétroactive demandée par les requérants ne résulterait pas de l'exercice d'adaptation annuelle, mais serait la conséquence directe d'un fait politique majeur, l'article 6, troisième alinéa, ne trouverait pas application.

32.
    La Commission, se référant aux conclusions de l'avocat général M. Capotorti sous l'arrêt de la Cour du 4 juin 1981, Curtis/Commission et Parlement (167/80, Rec. p. 1499, 1512, 1553), estime que la réglementation concernée a explicitement souligné le caractère définitif de l'opération de transfert, non susceptible d'une quelconque correction ultérieure en présence d'une modification rétroactive des coefficients correcteurs.

33.
    La distinction introduite par les requérants entre, d'une part, les processus ordinaires d'adaptation annuelle et, d'autre part, le cas d'espèce qui résulterait d'un fait politique majeur et concernerait la modification d'un coefficient correcteur provisoire serait douteuse. En effet, l'article 6, troisième alinéa, de la réglementation relative aux transferts ne comporterait pas le moindre élément permettant d'en restreindre la portée.

34.
    Quant aux dispositions de l'article 17 de l'annexe VII du statut, elles seraient de nature dérogatoire par rapport au principe général selon lequel le paiement des sommes dues au fonctionnaire se fait au lieu et dans la monnaie du pays où celui-ci exerce ses fonctions. Elles seraient donc d'interprétation stricte et ne pourraient être étendues que par une disposition expresse.

35.
    Enfin, dans la mesure où la modification d'un coefficient correcteur se traduirait nécessairement par l'adoption d'une décision du Conseil, une telle situation serait couverte par les prescriptions de l'article 6, troisième alinéa, de la réglementation relative aux transferts. Le caractère provisoire initial des coefficients correcteurs n'affecterait pas non plus cette situation.

36.
    La Commission conclut que, pour l'ensemble de ces raisons, le nouveau coefficient correcteur fondé sur le coût de la vie à Berlin n'a pu trouver application qu'à partir des transferts de rémunération opérés à compter du mois de janvier 1995.

Appréciation du Tribunal

37.
    L'article 6, troisième alinéa, de la réglementation relative aux transferts, dont le texte figure au point 4, exclut expressément une modification rétroactive du montant transféré non seulement dans l'hypothèse d'une modification rétroactive des coefficients correcteurs, mais également en cas de modification rétroactive de la rémunération des fonctionnaires concernés ou en cas de modification des taux de change.

38.
    Il vise donc en substance à rendre définitifs et incontestables l'ensemble des transferts de rémunération déjà réalisés, en vue d'éviter les nombreuses contestations qui pourraient être soulevées après la réalisation de tels transferts. En d'autres termes, le législateur communautaire a désiré exclure de façon générale toute modification rétroactive des montants transférés.

39.
    L'article 6, premier alinéa, de la réglementation relative aux transferts confirme cette interprétation. Il prévoit que la demande de transfert ne peut pas avoir d'effet rétroactif et qu'elle est valable pour une période minimale de six mois, sans préjudice de l'introduction d'une demande par le fonctionnaire concerné en cas de modification de la rémunération ou de changement de la situation justifiant le transfert au cours de cette période. Il démontre ainsi la volonté du législateur communautaire d'éviter autant que possible toute modification des montants transférés.

40.
    L'article 6, troisième alinéa, de la réglementation relative aux transferts excluant toute modification rétroactive des montants transférés résultant d'une modification rétroactive des coefficients correcteurs, la circonstance que les coefficients correcteurs fixés par les règlements antérieurs au règlement n° 3161/94 présentaient un caractère provisoire est sans pertinence. En tout état de cause, en vertu du principe de la hiérarchie des normes, explicité dans l'arrêt Chavane (point 52), les règlements annuels portant adaptation des rémunérations, des pensions et des coefficients correcteurs ne sauraient déroger à la réglementation relative aux transferts, qui fait partie intégrante du statut. En effet, dans la mesure où ils concernent les transferts de rémunération, ces règlements annuels portent simplement exécution de la réglementation statutaire à caractère général fixant les modalités des transferts.

41.
    En conséquence, le cinquième moyen doit être rejeté.

Sur les trois premiers moyens, tirés en substance de l'illégalité du règlement n° 3161/94

42.
    Par leurs trois premiers moyens, les requérants font valoir que le règlement n° 3161/94 est illégal, dans la mesure où il fixe sa date d'effet au 1er juillet 1994. Selon eux, le Conseil aurait dû faire rétroagir ce règlement à la date du 1er janvier 1990. En leur appliquant ce règlement illégal, la Commission aurait violé les articles 63 à 65 bis du statut et de l'annexe XI du statut (premier moyen), méconnu les effets s'attachant aux arrêts Chavane et Benzler (deuxième moyen) et violé le principe d'égalité de traitement (troisième moyen).

43.
    Toutefois, comme cela a déjà été constaté ci-dessus, l'article 6, troisième alinéa, de la réglementation relative aux transferts exclut toute modification rétroactive des montants transférés, notamment dans l'hypothèse d'une modification rétroactive des coefficients correcteurs visés à l'article 17, paragraphe 3, de l'annexe VII du statut. Dès lors, à supposer même que le Conseil eût fait rétroagir le règlement n° 3161/94 à la date du 1er janvier 1990, cela n'aurait pu entraîner aucune modification rétroactive des montants transférés par les requérants.

44.
    Dans ces conditions, les trois premiers moyens sont inopérants.

45.
    En tout état de cause, en vertu du principe de la hiérarchie des normes (voir ci-dessus point 40), un règlement portant modification rétroactive des coefficients correcteurs ne peut déroger à l'article 6, troisième alinéa, de la réglementation relative aux transferts. Il ne peut donc pas prévoir une modification rétroactive des montants transférés en vertu de cette dernière réglementation.

Sur le moyen tiré d'une violation du devoir de sollicitude et d'assistance

Arguments des parties

46.
    Les requérants estiment que toute institution est tenue, à l'égard des membres de son personnel, de veiller à l'application correcte du statut et, en particulier, de s'assurer qu'ils ne sont pas lésés dans leurs droits essentiels, notamment dans leur droit à rémunération. La Commission aurait méconnu ce devoir, dans la mesure où elle aurait manqué de veiller à ce qu'un coefficient correcteur régulier fût appliqué à leur rémunération.

47.
    Ils relèvent encore que la Commission n'a pas introduit de recours en annulation à l'encontre du règlement n° 3161/94 et a également décidé qu'il était inopportun d'introduire la procédure prévue à l'article 175 du traité, bien que le Conseil n'eût réservé aucune suite à sa seconde proposition modifiée.

48.
    Enfin, il ressortirait de la réponse fournie par le Conseil dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Benzler (voir point 25 de celui-ci) que la Commission n'aurait pas pris toutes les mesures utiles afin de voir sa seconde proposition de règlement aboutir, dans la mesure où elle aurait tardé à fournir au Conseil l'analyse approfondie demandée par cette institution à propos de différents aspects de cette proposition.

49.
    La Commission estime qu'elle a pris, avec sollicitude, les initiatives appropriées en 1991 et en 1994 pour amener le Conseil à adopter les mesures nécessaires en vue de la fixation du coefficient correcteur pour l'Allemagne sur la base du coût de la vie à Berlin, à compter du 1er octobre 1990.

50.
    Le Conseil se serait limité à adopter le règlement n° 3161/94 avec une portée rétroactive limitée. Le devoir de sollicitude de la Commission aurait donc trouvé sa limite dans le respect des normes en vigueur, telles qu'exprimées dans ce règlement (arrêts du Tribunal du 27 mars 1990, Chomel/Commission, T-123/89, Rec. p. II-131, point 32, et du 17 juin 1993, Arauxo-Dumay/Commission, T-65/92, Rec. p. II-597, point 37).

51.
    Quant à la procédure en carence prévue à l'article 175 du traité, la Commissionestime qu'il lui appartient à elle seule d'en évaluer l'opportunité (conclusions de l'avocat général M. Lenz sous l'arrêt de la Cour du 14 février 1989, Star Fruit/Commission, 247/87, Rec. p. 291, 294). Elle soutient par ailleurs qu'elle n'aurait pas pu mettre en cause la légalité du règlement n° 3161/94, lequel s'inscrit dans le cadre législatif qui lui est propre.

Appréciation du Tribunal

52.
    Le devoir de sollicitude reflète l'équilibre des droits et des obligations réciproques que le statut a créés dans les relations entre l'autorité publique et les agents du service public. Cette obligation suppose que, dans toute appréciation à propos d'un ou de plusieurs de ses fonctionnaires, l'institution concernée prenne en considération l'ensemble des éléments qui sont susceptibles de déterminer sa décision et que, ce faisant, elle tienne compte non seulement de l'intérêt du service, mais aussi de l'intérêt des fonctionnaires concernés (arrêt de la Cour du 29 juin 1994, Klinke/Cour de justice, C-298/93 P, Rec. p. I-3009, point 38; arrêts du Tribunal du 16 décembre 1993, Turner/Commission, T-80/92, Rec. p. II-1465, point 77, et du 13 juillet 1995, Saby/Commission, T-44/93, RecFP p. II-541, point 47).

53.
    Compte tenu toutefois du large pouvoir d'appréciation dont disposent les institutions dans l'évaluation de l'intérêt du service, le contrôle du juge communautaire doit se limiter à la question de savoir si l'institution concernée s'est tenue dans des limites raisonnables et n'a pas usé de son pouvoir d'appréciation de manière manifestement erronée.

54.
    Les institutions disposent également d'un large pouvoir d'appréciation dans le cadre de leur obligation d'assistance, énoncée à l'article 24 du statut (arrêt du Tribunal du 11 octobre 1995, Baltsavias/Commission, T-39/93 et T-553/93, RecFP p. II-695, point 59).

55.
    Or, en l'occurrence, les requérants n'ont pas démontré que la Commission ait commis une erreur manifeste d'appréciation. En effet, dès lors que l'article 6, troisième alinéa, de la réglementation relative aux transferts faisait obstacle à ce que la Commission appliquât rétroactivement des coefficients correcteurs modifiés aux transferts de rémunération litigieux, c'est à bon droit que l'institution a estimé que le cadre législatif en vigueur constituait une limite à son devoir de sollicitude et d'assistance.

56.
    En ce qui concerne l'argument selon lequel la Commission aurait violé son devoir de sollicitude et d'assistance en ne soumettant pas à la censure du juge communautaire la légalité du règlement n° 3161/94 et l'abstention du Conseil de statuer sur la seconde proposition modificative qu'elle lui avait soumise, il convient de constater que l'adoption d'un règlement modifiant le coefficient correcteur pour l'Allemagne avec effet rétroactif au 1er janvier 1990 n'aurait pu entraîner aucune modification des montants déjà transférés. L'argument présenté est donc inopérant.

57.
    En tout état de cause, eu égard au large pouvoir d'appréciation dont disposent les institutions communautaires dans le choix des mesures et des moyens à mettre en oeuvre en vue de remplir leur devoir d'assistance et de sollicitude, un particulier ne saurait obliger la Commission à engager un recours en carence ou un recours en annulation (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 9 janvier 1996, Koelman/Commission, T-575/93, Rec. p. II-1, point 71, confirmé par l'ordonnance de la Cour du 16 septembre 1997, Koelman/Commission, C-59/96 P, Rec.

p. I-4809). En décider autrement reviendrait à porter atteinte à son pouvoir d'appréciation.

58.
    Enfin, on ne saurait déduire du simple fait, mentionné au point 25 de l'arrêt Benzler, que le Conseil a demandé à la Commission de fournir des informations et des analyses complémentaires en vue de statuer sur l'application rétroactive du coefficient correcteur fondé sur le coût de la vie à Berlin que la Commission a violé son devoir de sollicitude ou son devoir d'assistance.

59.
    Le quatrième moyen doit dès lors être rejeté.

60.
    Il résulte de l'ensemble des éléments qui précèdent que le recours doit être rejeté dans son intégralité.

Sur les dépens

61.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. En l'espèce, les parties requérantes et défenderesse supporteront donc chacune leurs propres dépens.

62.
    Conformément à l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, le Conseil, partie intervenante, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) Chaque partie supportera ses propres dépens.

Vesterdorf                    Briët                    Potocki    

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 septembre 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le français.