Language of document : ECLI:EU:T:2012:45

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA DEUXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

1er février 2012 (*)

« Intervention – Intérêt à la solution du litige »

Dans l’affaire T‑149/10,

Hynix Semiconductor, Inc., établie à Gyeonggi-do (Corée du Sud), représentée par MM. A. Woodgate et O. Heinisch, solicitors,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. S. Noë, Mme A. Antoniadis, MM. J. Bourke et F. Castillo de la Torre, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Rambus, Inc., établie à Los Altos, Californie (États-Unis), représentée par MM. I. Forrester, QC, J. Killick, barrister, et MP. Berghe, avocat,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2010) 150 de la Commission, du 15 janvier 2010, portant rejet de la plainte introduite par Hynix Semiconductors, Inc. à l’encontre de Rambus, Inc., pour violation des articles 102 TFUE et 54 EEE,

LE PRÉSIDENT DE LA DEUXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Contexte du litige et procédure administrative

1        Rambus, Inc. (ci-après « Rambus ») conçoit et développe des technologies de connexion par carte à puce à large bande pour ordinateurs, produits électroniques grand public et produits de communication (dont des mémoires systèmes, des cartes graphiques pour PC, des produits multimédias, des postes de travail, des consoles de jeux vidéo et des commutateurs de réseau), qu’elle concède également sous licence.

2        Le 18 décembre 2002, la requérante, Hynix Semiconductor, Inc. (ci-après « Hynix »), a adressé à la Commission européenne une plainte visant Rambus, au titre de l’article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204). Il était notamment reproché à celle-ci de réclamer des redevances abusives pour l’utilisation de certains brevets portant sur des puces mémoires dynamiques à accès aléatoire (ci-après les « DRAM »). Les puces DRAM sont un type de mémoire électronique utilisée avant tout dans les systèmes informatiques, mais également dans un large éventail d’autres produits qui ont besoin de stocker temporairement des données, tels que les serveurs, les stations de travail, les imprimantes, les PDA et les appareils photo. Selon la plaignante, Rambus s’était livrée intentionnellement à une duperie dans le cadre du processus de normalisation concernant ces puces entrepris par l’organisme américain JEDEC, en ne révélant pas l’existence de brevets et de demandes de brevets, dont elle a déclaré ultérieurement qu’ils concernaient la norme adoptée. Un tel comportement est connu sous le vocable d’« embuscade tendue au moyen de brevets ». Les puces DRAM conformes à la norme JEDEC représentent environ 95 % du marché et sont utilisées dans presque tous les ordinateurs personnels. En 2008, les ventes mondiales de DRAM ont dépassé 34 milliards d’USD (soit plus de 23 milliards d’EUR).

3        Le 27 juillet 2007, la Commission a engagé une procédure en vue d’arrêter une décision au titre du chapitre III du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1), et elle a adopté une communication des griefs exposant les problèmes de concurrence qu’elle avait recensés. Selon elle, cette communication des griefs constitue également une évaluation préliminaire au sens de l’article 9 du règlement n° 1/2003.

4        À cette occasion, la Commission est parvenue à la conclusion provisoire qu’au moment où elle avait commencé à revendiquer ses brevets, soit en janvier 2000, Rambus détenait une position dominante sur le marché mondial de la technologie d’interface DRAM, position dominante qu’elle avait conservée depuis lors. La Commission a également estimé à titre préliminaire que les pratiques de Rambus consistant à réclamer des redevances pour l’utilisation de ses brevets aux fabricants de DRAM conformes aux normes de l’industrie, redevances d’un montant qu’elle n’aurait pu imposer si elle ne s’était pas livrée intentionnellement à la duperie présumée, posaient problème quant à leur compatibilité avec l’article 82 CE. En outre, la Commission est parvenue à la conclusion provisoire que le comportement de Rambus sapait la confiance dans le processus de normalisation, compte tenu du fait que, dans le secteur en cause, un processus de normalisation efficace est une condition préalable à l’évolution technologique et au développement général du marché dans l’intérêt des consommateurs.

5        Cette communication des griefs a été notifiée à Rambus le 30 juillet 2007. Celle-ci y a répondu le 31 octobre 2007. Une audition s’est par ailleurs tenue les 4 et 5 décembre 2007 à la demande de Rambus. Cinq entreprises ont été admises en tant que tierces parties intéressées et ont formulé des observations sur la communication des griefs.

6        Le 8 juin 2009, Rambus a présenté à la Commission des engagements liminaires en réponse aux allégations exposées dans la communication des griefs (ci-après les « engagements initiaux »), tout en réfutant les conclusions provisoires de cette dernière.

7        Les engagements initiaux de Rambus comportaient trois sections : i) une section générale, qui prévoyait une licence mondiale de cinq ans pour les futurs produits DRAM pour tous ses brevets ; ii) une section qui prévoyait l’octroi de licences pour les puces DRAM, ainsi que les taux de redevance maximum qui pouvaient être imposés ; et iii) une section prévoyant l’octroi de licences pour les contrôleurs de mémoire, ainsi que les taux de redevance maximum qui pouvaient être imposés.

8        Le 12 juin 2009, une communication a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne, conformément à l’article 27, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003. Cette communication résumait l’affaire ainsi que les engagements initiaux et invitait les tierces parties intéressées à présenter leurs observations.

9        Parmi les tierces parties intéressées, Nvidia Corporation (ci-après « Nvidia ») a présenté des observations à la Commission concernant les contrôleurs de mémoire.

10      Le 23 juillet 2009, la Commission a informé Rambus des observations sur les engagements initiaux reçues de la part de Nvidia et d’autres tierces parties intéressées. Le 14 août 2009, Rambus a présenté des engagements modifiés (ci‑après les « engagements révisés » ou les « engagements »).

11      Aux termes des engagements révisés, Rambus a accepté, premièrement, de ne pas réclamer de redevances pour les normes SDRAM et DDR qui avaient été adoptées à l’époque où elle était membre du JEDEC et ou elle se livrait intentionnellement à la duperie présumée. Deuxièmement, Rambus s’est engagée à réclamer une redevance de 1,5 % maximum pour les générations ultérieures de normes adoptées par le JEDEC après qu’elle s’en était retirée. Troisièmement, Rambus s’est engagée à étendre ce taux maximum à tous les acteurs du marché et a garanti que l’industrie ne devrait pas payer davantage.

12      Nvidia a demandé à pouvoir examiner et commenter les engagements révisés en ce qu’ils étaient liés aux contrôleurs de mémoire. La Commission n’a pas réservé suite à cette demande.

13      Le 13 octobre 2009, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 et 82 du traité CE (JO L 123, p. 18), la Commission a informé Hynix qu’elle avait adopté la position préliminaire que le degré d’intérêt de l’Union n’était pas suffisant pour conduire plus loin l’enquête sur l’infraction supposée. Hynix a transmis des commentaires supplémentaires le 12 novembre 2009.

14      Par décision du 9 décembre 2009, relative à une procédure d’application des articles 102 TFUE et 54 EEE (affaire COMP/38.636 – Rambus), la Commission a accepté et rendu contraignants les engagements pris par Rambus, conformément à l’article 9 du règlement n° 1/2003, et a conclu qu’il n’y avait plus lieu d’agir dans ladite affaire (ci-après la « décision relative aux engagements »).

15      Par décision du 15 janvier 2010, la Commission a rejeté la plainte introduite par Hynix contre Rambus, conformément à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 (ci-après la « décision de rejet »).

 Procédure contentieuse devant le Tribunal

16      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 mars 2010, Hynix a introduit un recours visant à l’annulation de la décision de rejet.

17      L’avis concernant ce recours visé à l’article 24, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal a été publié au Journal officiel de l’Union européenne le 5 juin 2010.

18      Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 30 septembre 2010, Rambus a été admise à intervenir au présent litige, au soutien des conclusions de la Commission.

19      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 26 juillet 2010, Nvidia, représentée par M. D. Lahnborg et Mme E. Turner, solicitors, a demandé à intervenir au présent litige, au soutien des conclusions de Hynix.

20      La demande d’intervention a été signifiée aux parties requérante et défenderesse, conformément à l’article 116, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

21      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 septembre 2010, la Commission a soulevé des objections à l’encontre de cette demande. Hynix n’a pas soumis d’observations dans le délai imparti.

22      Par actes respectivement déposés au greffe du Tribunal le 26 octobre et le 4 novembre 2010, Nvidia et Hynix ont soumis des observations en réponse aux observations de la Commission.

23      Aucune des parties n’a sollicité de traitement confidentiel au sens de l’article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure.

 Sur la demande en intervention

 Arguments de la demanderesse en intervention et des parties

24      Nvidia fait valoir qu’elle remplit les conditions auxquelles est soumis le droit d’intervention des particuliers et qu’elle doit, dès lors, être admise à intervenir au litige au soutien des conclusions de Hynix.

25      La Commission considère que Nvidia ne peut être admise à intervenir au litige. Selon cette institution, en effet, ni la décision de rejet (pas plus d’ailleurs que la décision relative aux engagements) ni son annulation éventuelle n’ont d’effet direct et immédiat sur la situation juridique de Nvidia, à la différence de ce qui a été constaté à l’égard d’Alrosa dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 11 juillet 2007, Alrosa/Commission (T‑170/16, Rec. p. II‑2601, point 39).

26      D’une part, la Commission souligne que la décision de rejet a pour seul effet juridique de rejeter la plainte d’Hynix, tandis que Nvidia elle-même n’était pas plaignante et n’a pas pris part à la procédure administrative, du moins pas avant la publication de la communication prévue à l’article 27, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003. Cette décision n’affecterait donc en aucune façon Nvidia. Quant à la décision relative aux engagements, celle-ci n’obligerait pas Nvidia à recourir aux services de Rambus ni ne la priverait de cette possibilité. Elle n’obligerait pas non plus Nvidia à accepter les taux de redevance maximum mentionnés dans les engagements, l’intéressée demeurant libre de négocier de meilleures conditions. Enfin, Nvidia, qui n’a pas qualité de plaignante, ne serait pas en droit d’exiger de la Commission qu’elle mène et poursuive l’enquête.

27      D’autre part, en cas d’annulation de la décision de rejet, la « réactivation » de la plainte de Hynix n’aurait aucune incidence sur les droits de Nvidia, notamment parce que celle-ci n’a pas elle-même déposé de plainte contre Rambus. Par ailleurs, en cas d’annulation de la décision relative aux engagements, ceux-ci ne seraient plus contraignants pour Rambus. Nvidia n’expliquerait toutefois pas en quoi elle pourrait avoir un intérêt à une telle issue, notamment pour ce qui concerne l’accord qu’elle a conclu avec Rambus, en août 2010, concernant une licence de brevet portant sur la technologie utilisée dans certains contrôleurs de mémoire. Quant à la circonstance que la Commission serait tenue de prendre les mesures qui s’imposent en vertu de l’article 266 TFUE pour se conformer à l’arrêt du Tribunal, elle n’impliquerait pas automatiquement le constat d’un comportement abusif de la part de Rambus concernant les contrôleurs de mémoire, comme Nvidia le souhaite. Dans ce contexte, la Commission soutient que les sept années d’enquête sur le comportement de Rambus ont porté sur les puces DRAM, et non sur les contrôleurs de mémoire. L’ouverture d’une nouvelle enquête les concernant ne découlerait donc pas nécessairement d’une annulation de la décision de rejet et/ou de la décision relative aux engagements.

28      Pour le surplus, la Commission fait valoir, en premier lieu, que Nvidia n’a participé que tardivement à la procédure, soit après la publication de la communication relative au marché du 12 juin 2009, ce qui ne serait pas suffisant pour établir son intérêt à intervenir.

29      La Commission soutient, en deuxième lieu, que la prétendue influence de la contribution de Nvidia sur le contenu de la décision de rejet ne suffit pas à justifier son intervention.

30      La Commission soutient, en troisième lieu, que l’éventualité qu’une enquête soit menée sur le marché distinct des contrôleurs de mémoire est trop éloignée de la solution du présent litige pour fonder un intérêt direct à intervenir. En réalité, Nvidia tenterait de modifier l’objet et le cadre du recours en annulation, tels qu’ils ont été définis par Hynix. La présente affaire ne concernerait pas les contrôleurs de mémoire, lesquels ne seraient mentionnés qu’à trois reprises, et de façon incidente, dans la requête en annulation (points 75, 169 et 213).

31      En quatrième lieu, la Commission estime dénuée de toute pertinence l’expertise alléguée par Nvidia dans le domaine des contrôleurs de mémoire.

 Appréciation du président

32      Il est constant, en l’espèce, que la décision de rejet et la décision relative aux engagements sont intrinsèquement liées, la première ayant d’ailleurs été adoptée sur le seul fondement de la seconde (voir points 92 et 93 de la décision de rejet). Au demeurant, il découle de l’article 9, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement n° 1/2003 que l’adoption de la décision relative aux engagements impliquait nécessairement la conclusion qu’il n’y avait plus lieu que la Commission agisse en réponse à la plainte de Hynix. Par ailleurs, il découle de l’article 9, paragraphe 2, dudit règlement que la Commission n’est en droit de rouvrir la procédure, sur demande ou de sa propre initiative, que dans trois hypothèses, à savoir, en cas de changement important de l’un des faits sur lesquels la décision relative aux engagements repose, en cas de violation des engagements par Rambus, ou s’il devait apparaître que la décision relative aux engagements repose sur des informations incomplètes, inexactes ou dénaturées.

33      Il s’ensuit que, en principe, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution du litige ayant pour objet la validité de la décision relative aux engagements doit être considérée comme justifiant également d’un intérêt à la solution du litige ayant pour objet la validité de la décision de rejet.

34      Or, par ordonnance du président de la deuxième chambre de ce jour, Hynix/Commission (T‑148/10, non publiée au Recueil), Nvidia a été reconnue comme disposant d’un intérêt direct et certain à ce que les conclusions de Hynix tendant à l’annulation de la décision relative aux engagements soient accueillies et elle a, dès lors, été. admise à intervenir dans l’affaire T‑148/10 au soutien de ces conclusions.

35      La Commission n’ayant fait état d’aucune circonstance particulière justifiant qu’il soit dérogé, en l’espèce, au principe énoncé au point 33 ci-dessus, il y a dès lors lieu de reconnaître que Nvidia dispose également d’un intérêt direct et certain à ce que les conclusions de Hynix tendant à l’annulation de la décision de rejet soient accueillies.

36      La demande d’intervention ayant été introduite conformément à l’article 115 du règlement de procédure et Nvidia ayant justifié son intérêt à la solution du litige, il y a lieu de l’admettre, conformément à l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice. La communication au Journal officiel de l’Union européenne visé à l’article 24, paragraphe 6, du règlement de procédure ayant été publiée le 5 juin 2010, la demande d’intervention a été présentée dans le délai prévu à l’article 115, paragraphe 1, du même règlement et les droits de l’intervenante seront ceux prévus à l’article 116, paragraphes 2 à 4, dudit règlement.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA DEUXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Nvidia Corporation est admise à intervenir dans l’affaire T‑149/10 au soutien des conclusions de Hynix Semiconductor, Inc.

2)      Une copie de toutes les pièces de procédure sera signifiée, par les soins du greffier, à la partie intervenante.

3)      Un délai sera fixé à la partie intervenante pour exposer, par écrit, les moyens à l’appui de ses conclusions.

4)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 1er février 2012.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       N. J. Forwood


* Langue de procédure : l’anglais.