Language of document : ECLI:EU:T:2012:43

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA DEUXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

1er février 2012 (*)

« Intervention – Intérêt à la solution du litige »

Dans l’affaire T‑148/10,

Hynix Semiconductor, Inc., établie à Gyeonggi-do (Corée du Sud), représentée par MM. A. Woodgate et O. Heinisch, solicitors,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. S. Noë, Mme A. Antoniadis, MM. J. Bourke et F. Castillo de la Torre, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Rambus, Inc., établie à Los Altos, Californie (États-Unis), représentée par MM. I. Forrester, QC, J. Killick, barrister, et MP. Berghe, avocat,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission du 9 décembre 2009, relative à une procédure d’application des articles 102 TFUE et 54 EEE (affaire COMP/38.636 – Rambus), rendant contraignants les engagements pris par Rambus, Inc. de plafonner pendant cinq ans ses taux de redevances sur certains brevets portant sur les semi-conducteurs pour mémoires RAM dynamiques (DRAM) et mettant fin à la procédure, conformément à l’article 9 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1),

LE PRÉSIDENT DE LA DEUXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Contexte du litige et procédure administrative

1        Rambus, Inc. (ci-après « Rambus ») conçoit et développe des technologies de connexion par carte à puce à large bande pour ordinateurs, produits électroniques grand public et produits de communication (dont des mémoires systèmes, des cartes graphiques pour PC, des produits multimédias, des postes de travail, des consoles de jeux vidéo et des commutateurs de réseau), qu’elle concède également sous licence.

2        Le 18 décembre 2002, la requérante, Hynix Semiconductor, Inc. (ci-après « Hynix »), a adressé à la Commission européenne une plainte visant Rambus, au titre de l’article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204). Il était notamment reproché à celle-ci de réclamer des redevances abusives pour l’utilisation de certains brevets portant sur des puces mémoires dynamiques à accès aléatoire (ci-après les « DRAM »). Les puces DRAM sont un type de mémoire électronique utilisée avant tout dans les systèmes informatiques, mais également dans un large éventail d’autres produits qui ont besoin de stocker temporairement des données, tels que les serveurs, les stations de travail, les imprimantes, les PDA et les appareils photo. Selon la plaignante, Rambus s’était livrée intentionnellement à une duperie dans le cadre du processus de normalisation concernant ces puces entrepris par l’organisme américain JEDEC, en ne révélant pas l’existence de brevets et de demandes de brevets, dont elle a déclaré ultérieurement qu’ils concernaient la norme adoptée. Un tel comportement est connu sous le vocable d’« embuscade tendue au moyen de brevets ». Les puces DRAM conformes à la norme JEDEC représentent environ 95 % du marché et sont utilisées dans presque tous les ordinateurs personnels. En 2008, les ventes mondiales de DRAM ont dépassé 34 milliards d’USD (soit plus de 23 milliards d’EUR).

3        Le 27 juillet 2007, la Commission a engagé une procédure en vue d’arrêter une décision au titre du chapitre III du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1), et elle a adopté une communication des griefs exposant les problèmes de concurrence qu’elle avait recensés. Selon elle, cette communication des griefs constitue également une évaluation préliminaire au sens de l’article 9 du règlement n° 1/2003.

4        À cette occasion, la Commission est parvenue à la conclusion provisoire qu’au moment où elle avait commencé à revendiquer ses brevets, soit en janvier 2000, Rambus détenait une position dominante sur le marché mondial de la technologie d’interface DRAM, position dominante qu’elle avait conservée depuis lors. La Commission a également estimé à titre préliminaire que les pratiques de Rambus consistant à réclamer des redevances pour l’utilisation de ses brevets aux fabricants de DRAM conformes aux normes de l’industrie, redevances d’un montant qu’elle n’aurait pu imposer si elle ne s’était pas livrée intentionnellement à la duperie présumée, posaient problème quant à leur compatibilité avec l’article 82 CE. En outre, la Commission est parvenue à la conclusion provisoire que le comportement de Rambus sapait la confiance dans le processus de normalisation, compte tenu du fait que, dans le secteur en cause, un processus de normalisation efficace est une condition préalable à l’évolution technologique et au développement général du marché dans l’intérêt des consommateurs.

5        Cette communication des griefs a été notifiée à Rambus le 30 juillet 2007. Celle-ci y a répondu le 31 octobre 2007. Une audition s’est par ailleurs tenue les 4 et 5 décembre 2007 à la demande de Rambus. Cinq entreprises ont été admises en tant que tierces parties intéressées et ont formulé des observations sur la communication des griefs.

6        Le 8 juin 2009, Rambus a présenté à la Commission des engagements liminaires en réponse aux allégations exposées dans la communication des griefs (ci-après les « engagements initiaux »), tout en réfutant les conclusions provisoires de cette dernière.

7        Les engagements initiaux de Rambus comportaient trois sections : i) une section générale, qui prévoyait une licence mondiale de cinq ans pour les futurs produits DRAM pour tous ses brevets ; ii) une section qui prévoyait l’octroi de licences pour les puces DRAM, ainsi que les taux de redevance maximum qui pouvaient être imposés ; et iii) une section prévoyant l’octroi de licences pour les contrôleurs de mémoire, ainsi que les taux de redevance maximum qui pouvaient être imposés.

8        Le 12 juin 2009, une communication a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne, conformément à l’article 27, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003. Cette communication résumait l’affaire ainsi que les engagements initiaux et invitait les tierces parties intéressées à présenter leurs observations.

9        Parmi les tierces parties intéressées, Nvidia Corporation (ci-après « Nvidia ») a présenté des observations à la Commission concernant les contrôleurs de mémoire.

10      Le 23 juillet 2009, la Commission a informé Rambus des observations sur les engagements initiaux reçues de la part de Nvidia et d’autres tierces parties intéressées. Le 14 août 2009, Rambus a présenté des engagements modifiés (ci‑après les « engagements révisés » ou les « engagements »).

11      Aux termes des engagements révisés, Rambus a accepté, premièrement, de ne pas réclamer de redevances pour les normes SDRAM et DDR qui avaient été adoptées à l’époque où elle était membre du JEDEC et où elle se livrait intentionnellement à la duperie présumée. Deuxièmement, Rambus s’est engagée à réclamer une redevance de 1,5 % maximum pour les générations ultérieures de normes adoptées par le JEDEC après qu’elle s’en était retirée. Troisièmement, Rambus s’est engagée à étendre ce taux maximum à tous les acteurs du marché et a garanti que l’industrie ne devrait pas payer davantage.

12      Nvidia a demandé à pouvoir examiner et commenter les engagements révisés en ce qu’ils étaient liés aux contrôleurs de mémoire. La Commission n’a pas réservé de suite à cette demande.

13      Le 13 octobre 2009, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 et 82 du traité CE (JO L 123, p. 18), la Commission a informé Hynix qu’elle avait adopté la position préliminaire que le degré d’intérêt de l’Union n’était pas suffisant pour conduire plus loin l’enquête sur l’infraction supposée. Hynix a transmis des commentaires supplémentaires le 12 novembre 2009.

14      Par décision du 9 décembre 2009, relative à une procédure d’application des articles 102 TFUE et 54 EEE (affaire COMP/38.636 – Rambus), la Commission a accepté et rendu contraignants les engagements révisés pris par Rambus, conformément à l’article 9 du règlement n° 1/2003, et a conclu qu’il n’y avait plus lieu d’agir dans ladite affaire (ci-après la « décision relative aux engagements »).

15      Par décision du 15 janvier 2010, la Commission a rejeté la plainte introduite par Hynix contre Rambus, conformément à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 (ci-après la « décision de rejet »).

 Procédure contentieuse devant le Tribunal

16      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 mars 2010, Hynix a introduit un recours visant à l’annulation de la décision relative aux engagements.

17      L’avis concernant ce recours visé à l’article 24, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal a été publié au Journal officiel de l’Union européenne le 5 juin 2010.

18      Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 30 septembre 2010, Rambus a été admise à intervenir au présent litige, au soutien des conclusions de la Commission.

19      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 12 juillet 2010, Nvidia, représentée par M. D. Lahnborg et Mme E. Turner, solicitors, a demandé à intervenir au présent litige, au soutien des conclusions de Hynix.

20      La demande d’intervention a été signifiée aux parties requérante et défenderesse, conformément à l’article 116, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

21      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 septembre 2010, la Commission a soulevé des objections à l’encontre de cette demande. Hynix n’a pas soumis d’observations dans le délai imparti.

22      Par actes respectivement déposés au greffe du Tribunal le 26 octobre et le 4 novembre 2010, Nvidia et Hynix ont soumis des observations en réponse aux observations de la Commission.

23      Aucune des parties n’a sollicité de traitement confidentiel au sens de l’article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure.

 Sur la demande en intervention

 Arguments de la demanderesse en intervention et des parties

24      Nvidia fait valoir qu’elle remplit les conditions auxquelles est soumis le droit d’intervention des particuliers et qu’elle doit, dès lors, être admise à intervenir au litige au soutien des conclusions de Hynix.

25      Elle expose, tout d’abord, qu’elle conçoit, produit et distribue des technologies informatiques visuelles, notamment des processeurs graphiques (graphic processing unit – « GPU »), des processeurs de haute performance qui génèrent des graphiques sur des stations de travail, des ordinateurs personnels, des consoles de jeux et des appareils mobiles. Les systèmes et les composants que Nvidia développe incluent les contrôleurs de mémoire intégrés. Ceux-ci sont conçus pour se connecter à des supports de mémoire comme les puces DRAM afin d’aider au stockage des informations sur ces supports de mémoire. Les contrôleurs de mémoire sont souvent intégrés ou insérés dans une autre puce comme le GPU.

26      Nvidia fait ensuite valoir, en premier lieu, qu’elle a joué un rôle très actif et de pointe pour identifier les questions critiques essentielles concernant les contrôleurs de mémoire soulevées par les engagements initiaux, en présentant des observations écrites à la Commission.

27      En deuxième lieu, Nvidia soutient que l’importance et la pertinence des questions qu’elle a soulevées se reflètent dans la décision relative aux engagements.

28      En troisième lieu, Nvidia fait valoir que ses droits et ses intérêts ont été affectés de manière directe et négative par la décision relative aux engagements. Elle expose, notamment, qu’elle-même et Rambus ont été engagées dans des négociations laborieuses d’octroi de licences et dans des litiges concernant la prétendue violation de brevets liés à la technologie revendiquée par Rambus. Dans ce contexte, Nvidia reproche à la Commission de ne pas avoir correctement enquêté sur l’impact des « embuscades tendues au moyen de brevets » de Rambus et sur l’adéquation des engagements concernant l’octroi de licences pour les contrôleurs de mémoire. Bien que les DRAM et les contrôleurs de mémoire soient des produits distincts, l’impact du comportement prétendument abusif de Rambus se ferait en effet ressentir à travers toutes les industries qui utilisent ces technologies intrinsèquement liées. De ce fait, la décision relative aux engagements aurait eu un effet négatif sur le marché et sur les intérêts de Nvidia. Elle permettrait en effet à Rambus de continuer à bénéficier de ses pratiques abusives, en « verrouillant » les effets anticoncurrentiels et les taux de redevance excessifs découlant de son « embuscade », notamment envers Nvidia.

29      En quatrième lieu, Nvidia estime pouvoir apporter à l’affaire, qui concernerait tant les DRAM que les technologies des contrôleurs de mémoire, des connaissances qu’aucune autre partie à la procédure ne détient.

30      La Commission considère que Nvidia ne peut être admise à intervenir au litige. Selon cette institution, en effet, ni la décision relative aux engagements ni son annulation éventuelle n’ont d’effet direct et immédiat sur la situation juridique de Nvidia, à la différence de ce qui a été constaté à l’égard d’Alrosa dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 11 juillet 2007, Alrosa/Commission (T‑170/06, Rec. p. II‑2601, point 39).

31      D’une part, la Commission souligne que la décision relative aux engagements n’oblige pas Nvidia à recourir aux services de Rambus ni ne la prive de cette possibilité. Elle n’obligerait pas non plus Nvidia à accepter les taux de redevance maximum mentionnés dans les engagements, l’intéressée demeurant libre de négocier de meilleures conditions. Enfin, Nvidia, qui n’a pas qualité de plaignante, ne serait pas en droit d’exiger de la Commission qu’elle mène et poursuive l’enquête.

32      D’autre part, en cas d’annulation de la décision relative aux engagements, ceux-ci ne seraient plus contraignants pour Rambus. Nvidia n’expliquerait toutefois pas en quoi elle pourrait avoir un intérêt à une telle issue, notamment pour ce qui concerne l’accord qu’elle a conclu avec Rambus, en août 2010, concernant une licence de brevet portant sur la technologie utilisée dans certains contrôleurs de mémoire. Quant à la circonstance que la Commission serait tenue de prendre les mesures qui s’imposent en vertu de l’article 266 TFUE pour se conformer à l’arrêt du Tribunal, elle n’impliquerait pas automatiquement le constat d’un comportement abusif de la part de Rambus concernant les contrôleurs de mémoire, comme Nvidia le souhaite. Dans ce contexte, la Commission soutient que les sept années d’enquête sur le comportement de Rambus ont porté sur les puces DRAM, et non sur les contrôleurs de mémoire. L’ouverture d’une nouvelle enquête les concernant ne découlerait donc pas nécessairement d’une annulation de la décision relative aux engagements.

33      Pour le surplus, la Commission fait valoir, en premier lieu, que Nvidia n’a participé que tardivement à la procédure, soit après la publication de la communication relative au marché du 12 juin 2009, ce qui ne serait pas suffisant pour établir son intérêt à intervenir. Selon la Commission, cela s’explique par le fait que son enquête portait sur le comportement de Rambus concernant les puces DRAM, et non les contrôleurs de mémoire. Ceux-ci seraient certes mentionnés dans la communication des griefs, mais de façon incidente. Cela étant, la Commission admet que les contrôleurs de mémoire fonctionnent nécessairement avec des puces DRAM et doivent donc respecter les normes concernant ces dernières. Il serait possible, par conséquent, que le comportement de Rambus ait eu des répercussions sur eux, ce qui expliquerait pourquoi ils sont également visés par les engagements.

34      La Commission soutient, en deuxième lieu, que la prétendue influence de la contribution de Nvidia sur le contenu de la décision relative aux engagements ne suffit pas à justifier son intervention. En l’espèce, les observations de Nvidia n’auraient pas eu d’incidence significative ou déterminante sur cette décision. Son nom n’y apparaîtrait d’ailleurs pas une seule fois.

35      La Commission soutient, en troisième lieu, que l’éventualité qu’une enquête soit menée sur le marché distinct des contrôleurs de mémoire est trop éloignée de la solution du présent litige pour fonder un intérêt direct à intervenir. En réalité, Nvidia tenterait de modifier l’objet et le cadre du recours en annulation, tels qu’ils ont été définis par Hynix. La présente affaire ne concernerait pas les contrôleurs de mémoire, lesquels ne seraient mentionnés qu’à deux reprises, et de façon incidente, dans la requête en annulation (points 154 et 198).

36      En quatrième lieu, la Commission estime dénuée de toute pertinence l’expertise alléguée par Nvidia dans le domaine des contrôleurs de mémoire.

 Appréciation du président

37      En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige autre qu’un litige entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, est en droit d’intervenir à ce litige.

38      Il résulte d’une jurisprudence constante que la notion d’intérêt à la solution du litige, au sens de ladite disposition, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens et arguments soulevés. En effet, par « solution du litige », il faut entendre la décision finale demandée au juge saisi, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt. Il convient, notamment, de vérifier que l’intervenant est touché directement par l’acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain (voir ordonnance du président de la grande chambre du Tribunal du 28 novembre 2005, Microsoft/Commission, T‑201/04, non publiée au Recueil, point 44, et la jurisprudence citée).

39      Il convient de rappeler, par ailleurs, que, une décision au titre de l’article 9 du règlement n° 1/2003 ayant pour effet de mettre fin à la procédure de constatation et de sanction d’une infraction aux règles de concurrence, elle ne saurait être considérée comme étant une simple acceptation par la Commission d’une proposition librement formulée par un partenaire de négociations, mais constitue une mesure obligatoire mettant fin à une situation infractionnelle ou potentiellement infractionnelle, à l’occasion de laquelle la Commission exerce l’ensemble des prérogatives que lui confèrent les articles 81 CE et 82 CE, sous la réserve de cette seule particularité que la présentation d’offres d’engagements par les entreprises concernées la dispense de poursuivre la procédure réglementaire imposée par l’article 85 CE et, en particulier, de prouver l’infraction (arrêt Alrosa/Commission, précité, point 87).

40      En rendant obligatoire un comportement donné d’un opérateur vis-à-vis des tiers, une décision adoptée au titre de l’article 9 du règlement n° 1/2003 peut comporter indirectement des effets juridiques erga omnes que l’entreprise concernée n’aurait pas été en mesure à elle seule de créer; la Commission en est donc l’unique auteur, à partir du moment où elle donne force obligatoire aux engagements offerts par l’entreprise concernée, et en assume donc seule la responsabilité (arrêt Alrosa/Commission, précité, point 88).

41      Par ailleurs, la possibilité de rouvrir la procédure, conformément à l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, existe dans trois hypothèses seulement : en cas de changement important de l’un des faits sur lesquels la décision repose ; en cas de violation des engagements par les entreprises concernées ; lorsque la décision repose sur des informations incomplètes, inexactes ou dénaturées. Les situations justifiant une réouverture étant ainsi limitativement énumérées, un tiers intéressé ne pourrait pas demander une réouverture de la procédure pour violation du principe de proportionnalité. En outre, la Commission pourrait discrétionnairement refuser une telle réouverture (arrêt Alrosa/Commission, précité, point 155).

42      Cette jurisprudence permet de rejeter d’emblée l’argumentation de la Commission résumée aux points 30 et 31 ci-dessus, pour autant que celle-ci repose sur la prémisse qu’une entreprise tierce ne serait, sauf circonstances exceptionnelles telles que celles à l’origine de l’arrêt Alrosa/Commission, précité, pas suffisamment affectée par une décision adoptée au titre de l’article 9 du règlement n° 1/2003 pour obtenir le statut d’intervenant dans le cadre d’une procédure visant à son annulation. La Cour a d’ailleurs déjà jugé, de façon générale et sans exprimer de réserve, qu’il est loisible à une entreprise tierce s’estimant affectée par une telle décision de protéger ses droits par la voie d’un recours contre cette décision (arrêt du 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C‑441/07 P, Rec. p. I‑5949, point 90). Il doit en aller de même, par analogie, s’agissant de la voie de l’intervention dans un tel recours.

43      En l’espèce, la présente affaire soulève, entre autres, la question de savoir ce qui constitue une pratique abusive en matière de normalisation, notamment pour ce qui concerne les « embuscades tendues au moyen de brevets » par une entreprise en position dominante. Plus spécifiquement, la présente affaire soulève la question de savoir si les engagements offerts par Rambus, notamment sous forme de redevances plafonnées, sont suffisants pour éliminer les problèmes de concurrence constatés par la Commission, ce qui peut également impliquer d’apprécier dans quelle mesure et à quelles conditions Rambus est en droit de réclamer des redevances pour ses brevets portant sur les semi-conducteurs pour mémoires DRAM, sans que cela suscite des doutes fondés de la part de la Commission.

44      Dans la mesure où, conformément à l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, la décision relative aux engagements a pour corollaire que la Commission s’est, en principe, interdit d’encore constater que la réclamation par Rambus de redevances ainsi plafonnées pour l’utilisation de ses brevets aux fabricants de DRAM et de contrôleurs de mémoire conformes aux normes de l’industrie est incompatible avec l’article 82 CE, alors même que, dans son évaluation préliminaire, la Commission envisageait de procéder à un tel constat et n’excluait pas d’imposer à Rambus des redevances nulles, ladite décision produit des effets directs et immédiats sur la situation de Nvidia, celle-ci étant présente et active dans le secteur en aval des contrôleurs de mémoire DRAM directement affecté par le comportement de Rambus dénoncé dans la plainte de Hynix (voir, par analogie, arrêt Alrosa/Commission, précité, point 39). Tant la position juridique de Nvidia que ses intérêts économiques et commerciaux sont donc susceptibles d’être affectés par la solution que le Tribunal donnera au présent litige (voir, par analogie, ordonnance Microsoft/Commission, précitée, points 46 et 47).

45      À cet égard, Nvidia expose qu’elle incorpore de la technologie revendiquée par Rambus dans la fabrication de ses processeurs graphiques et qu’elle a été et continue à négocier avec Rambus pour l’octroi d’une licence relative à cette technologie. La décision relative aux engagements est, selon elle, un élément fondamental de ces négociations, puisqu’elle détermine les conditions de base de tout accord en résultant. Par conséquent, le prétendu défaut de la Commission d’imposer à Rambus des mesures correctives adéquates placerait Nvidia dans une position plus défavorable que si la Commission avait conduit un examen correct et minutieux de l’affaire.

46      Nvidia précise que, à la suite d’une ordonnance d’exclusion prononcée à son encontre, le 27 juillet 2010, par la United States International Trade Commission (Commission du commerce international des États-Unis), à la demande de Rambus, elle n’a pas eu d’autre choix que de conclure avec cette dernière un accord de licence de brevet par défaut, pour permettre la poursuite de la vente de ses produits aux États-Unis. Dans le cadre de la négociation de cet accord, Rambus aurait renvoyé à la décision relative aux engagements (y compris à sa partie relative aux taux de redevance) comme définissant les conditions standard et uniques, non négociables, en vertu desquelles Nvidia pourrait prendre une licence pour la technologie en cause.

47      Force est effectivement de constater, au vu de ces arguments et des éléments d’appréciation auxquels ils renvoient, que, en tant que fabricant de contrôleurs de mémoire DRAM conformes aux normes de l’industrie et eu égard à la position occupée par Rambus sur le marché concerné grâce à ses brevets, Nvidia est le cocontractant actuel ou potentiel obligé de celle-ci, dans le cadre d’une relation commerciale dont le contenu est défini, en partie, par la décision relative aux engagements. Cette décision est ainsi de nature à affecter substantiellement la position économique et financière de Nvidia dans ses relations avec Rambus.

48      Quant à l’argumentation de la Commission tirée de ce que la plainte de Hynix, de même que son enquête, auraient porté sur les puces DRAM, et non sur les contrôleurs de mémoire (voir points 32, 33 et 35 ci-dessus), il convient d’ajouter que la décision relative aux engagements porte bien sur ces deux produits. Comme le relève Hynix, la technologie d’interface DRAM standardisée au sein du JEDEC est pertinente tant pour les DRAM que pour les contrôleurs de mémoire DRAM. Les contrôleurs de mémoire DRAM devant être conçus spécifiquement pour interagir avec une puce DRAM, et leur interface devant donc être conforme à cette technologie standardisée, l’argument selon lequel il s’agit de produits distincts est dénué de pertinence. Les répercussions du comportement de Rambus sont en effet identiques, qu’il s’agisse de l’un ou l’autre produit, puisqu’il concerne leur technologie d’interface. Dans sa communication des griefs (point 574), la Commission a du reste exposé son intention « d’ordonner à Rambus de fournir une licence […] aux entreprises produisant ou vendant des DRAM et des produits non DRAM qui se conforment aux normes DRAM du JEDEC… », à savoir, selon la note 901 de ladite communication des griefs, les « contrôleurs de mémoire ou autres composants qui ne sont pas des puces mémoire ». Au demeurant, la Commission reconnaît elle-même, dans ses observations sur la demande d’intervention, que les contrôleurs de mémoire fonctionnent nécessairement avec des puces DRAM et doivent donc respecter les normes concernant ces dernières (voir point 33 ci-dessus).

49      Au surplus, Nvidia a participé activement à la procédure administrative ayant mené à l’adoption de la décision relative aux engagements.

50      Il convient de relever, à cet égard, que Nvidia a soumis des observations écrites à la Commission les 3, 10 et 17 juillet 2009, soit après qu’elle eut appris que l’enquête de la Commission et les engagements proposés par Rambus concernaient également le secteur des contrôleurs de mémoire. Comme le détaille Nvidia dans sa demande d’intervention, ces observations ont porté, notamment, sur la prétendue « embuscade tendue au moyen de brevets » par Rambus, sur les relations d’affaires existant entre les intéressées, sur les litiges en cours entre elles aux États-Unis, sur le standard juridique approprié pour l’appréciation des engagements, sur l’étendue et les conditions de la licence par défaut proposée, sur les taux et la base de la redevance, sur la « clause du preneur de licence le plus favorisé » et sur la réservation des droits du preneur de licence. Nvidia s’est en outre efforcée de démontrer ce qu’elle estimait être de graves défauts affectant les engagements proposés et comment ceux-ci ne corrigeaient pas, selon elle, le comportement abusif identifié par la Commission. De surcroît, le 7 septembre 2009, Nvidia a présenté des observations écrites supplémentaires et a demandé, en vain, à être consultée sur les engagements révisés. Enfin, Nvidia soutient, sans être contredite, que ses représentants ont participé à une importante conférence avec les agents de la Commission en charge du dossier, le 29 juin 2009, et qu’ils ont rencontré ceux-ci à Bruxelles le 27 août 2009.

51      En conséquence de cette participation à la procédure, la décision relative aux engagements fait référence (notamment aux points 52, 53, 54, 56, 59 et 60), pour les rejeter, à des faits et à des arguments avancés par Nvidia dans ses observations écrites, même s’il est vrai que son nom n’y est pas cité.

52      Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que Nvidia est financièrement et juridiquement affectée par la décision attaquée.

53      Quant à l’argumentation de la Commission résumée au point 32 ci-dessus, s’il est constant, en effet, que Nvidia n’aurait aucun droit à obtenir une décision conforme à la plainte de Hynix, en cas de reprise de la procédure administrative à la suite du prononcé d’un arrêt d’annulation dans la présente espèce, ni même aucune garantie en ce sens, il demeure néanmoins qu’elle avait un intérêt direct à ce qu’une telle décision soit adoptée et, par suite, un intérêt direct à intervenir au soutien du recours de Hynix contestant le rejet de cette plainte, lequel est lui-même le corollaire de l’adoption de la décision relative aux engagements. En effet, dans l’hypothèse d’une annulation, la Commission serait tenue de prendre à nouveau en considération la plainte de Hynix, en tenant compte de l’appréciation effectuée par le Tribunal, ce qui donnerait à Nvidia une chance supplémentaire de voir cette plainte aboutir à un résultat favorable pour elle (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 14 février 2008, Provincia di Imperia/Commission, T‑351/05, Rec. p. II‑241, point 33, confirmé sur pourvoi par ordonnance de la Cour du 5 mars 2009, Commission/Provincia di Imperia, C‑183/08 P, non publiée au Recueil, point 20).

54      Il en découle nécessairement que Nvidia dispose d’un intérêt direct et certain à ce que les conclusions de Hynix tendant à l’annulation de la décision attaquée soient accueillies.

55      La demande d’intervention ayant été introduite conformément à l’article 115 du règlement de procédure et Nvidia ayant justifié son intérêt à la solution du litige, il y a lieu de l’admettre, conformément à l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice. La communication au Journal officiel de l’Union européenne visé à l’article 24, paragraphe 6, du règlement de procédure ayant été publiée le 5 juin 2010, la demande d’intervention a été présentée dans le délai prévu à l’article 115, paragraphe 1, du même règlement et les droits de l’intervenante seront ceux prévus à l’article 116, paragraphes 2 à 4, dudit règlement.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA DEUXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Nvidia Corporation est admise à intervenir dans l’affaire T‑148/10 au soutien des conclusions de Hynix Semiconductor, Inc.

2)      Une copie de toutes les pièces de procédure sera signifiée, par les soins du greffier, à la partie intervenante.

3)      Un délai sera fixé à la partie intervenante pour exposer, par écrit, les moyens à l’appui de ses conclusions.

4)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 1er février 2012.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       N. J. Forwood


* Langue de procédure : l’anglais.