Language of document : ECLI:EU:T:2001:177

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

5 juillet 2001 (1)

«Concurrence - Contrats de fourniture de bière - Plainte - Article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE)»

Dans l'affaire T-25/99,

Colin Arthur Roberts et Valerie Ann Roberts, demeurant à Kempston (Royaume-Uni), représentés par M. B. Bedford, barrister, Mme S. Ferdinand et M. J. Kelly, solicitors,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Klaus Wiedner, en qualité d'agent, assisté de M. Nicholas Khan, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission du 12 novembre 1998,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. J. Azizi, président, K. Lenaerts et M. Jaeger, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 8 février 2001,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Au Royaume-Uni, la vente au détail de boissons alcooliques à consommer sur place ne peut être effectuée que par des établissements titulaires d'une licence. Il en existe actuellement trois catégories:

-    les grandes licences (full on-licences), qui autorisent la vente de boissons alcooliques à une personne, sans obligation de résidence ou de prise d'un repas. Elles sont délivrées aux pubs, bars d'hôtels et bars à vins;

-    les licences restreintes (restricted on-licences), qui autorisent la vente de boissons alcooliques sous réserve d'une obligation de résidence du client ou de la prise d'un repas. Elles sont accordées aux hôtels et restaurants;

-    les licences «clubs» (clubs), qui autorisent la vente de boissons alcooliques sous réserve que le client soit membre du club concerné.

2.
    La plupart des établissements au Royaume-Uni vendant des boissons alcooliques à consommer sur place appartiennent ou sont liés à un brasseur, qui s'assure ainsi un débouché pour l'écoulement de sa bière. Il existe, en substance, trois modes d'exploitation desdits établissements:

-    le brasseur est propriétaire de l'établissement, qui est tenu par un de ses salariés;

-    le brasseur est propriétaire de l'établissement et le donne à bail à un exploitant, qui s'engage, outre au paiement d'un loyer, au respect d'une obligation d'achat de la bière produite par le brasseur (tied tenanted public houses);

-    le brasseur n'est pas propriétaire de l'établissement, mais noue un lien avec celui-ci en accordant un prêt avantageux à son propriétaire, qui assume en contrepartie, notamment, une obligation d'achat de la bière dudit brasseur (loan tied houses).

3.
    Depuis 1989, le marché britannique de la bière à consommer sur place a subi, dans sa structure, de profondes mutations. L'année susvisée, la Monopolies and Mergers Commission a établi un rapport sur la fourniture de bière contenant des recommandations. Celles-ci ont été suivies d'effet par l'adoption du Supply of Beer (Tied Estate) Order 1989, arrêté concernant la fourniture de bière aux établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place ayant conclu des contrats d'achat exclusif (ci-après l'«arrêté de 1989»), et du Supply of Beer (Loan Ties, Licensed Premises and Wholesale Prices) Order 1989, arrêté de la même année concernant la fourniture de bière aux établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place, liés à un brasseur par des prêts avantageux. L'objet de ces arrêtés était de limiter le nombre d'établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place appartenant ou liés aux brasseries.

4.
    Des concentrations dans le secteur de la brasserie du Royaume-Uni ont conduit à l'apparition, au milieu des années 1990, de quatre brasseries dont les intérêts et le marché géographique n'étaient plus régionaux, comme c'était traditionnellement le cas, mais nationaux. Il s'agit de Scottish & Newcastle, Bass, Carlsberg Tetley Brewing et Whitbread, qui assuraient 78 % de l'approvisionnement en bière du marché du Royaume-Uni. Il reste un certain nombre de brasseries régionales, dont celle dénommée «Greene King».

5.
    M. Colin Arthur Roberts et Mme Valerie Ann Roberts exploitent dans le Bedfordshire un pub appartenant à Greene King. En qualité de locataires, ils sont soumis à une obligation d'approvisionnement en bière auprès de Greene King.

6.
    Ils ont contesté devant le juge national la légalité de l'obligation d'achat de bière stipulée dans leur bail, soutenant que cette obligation enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE).

7.
    Dans ce contexte, ils ont déposé, le 23 mai 1997, une plainte au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlementd'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), dans laquelle ils ont fait valoir que le bail utilisé par Greene King est contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

8.
    Le 7 novembre 1997, la Commission a, au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 (JO 1963, 127, p. 2268), adressé aux requérants une lettre (ci-après la «lettre au titre de l'article 6»), dans laquelle elle informe ces derniers que les éléments recueillis ne justifient pas qu'il soit donné une suite favorable à la plainte, leur indique les motifs de cette position et leur impartit un délai pour présenter par écrit leurs observations éventuelles.

9.
    Par sa décision du 12 novembre 1998 (ci-après la «décision attaquée»), elle a rejeté la plainte au motif que le contrat de location type, utilisé par Greene King, n'entre pas dans le champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité. En réponse à une allégation des requérants, contenue dans leurs observations sur la lettre au titre de l'article 6, au sujet de l'existence d'une entente sur les prix entre les brasseurs du Royaume-Uni, la Commission indique, dans le cadre d'une première réaction, que l'appréciation des arguments des requérants ne permet pas de conclure à l'existence d'une telle entente.

Procédure et conclusions des parties

10.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 janvier 1999, M. Colin Arthur Roberts et Mme Valerie Ann Roberts ont introduit le présent recours.

11.
    Par ordonnance du 20 octobre 1999, le président de la troisième chambre du Tribunal a admis les requérants au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite.

12.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Dans le cadre de mesures d'organisation de la procédure, il a invité la Commission à répondre par écrit à certaines questions, invitation à laquelle il a dûment été déféré.

13.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 8 février 2001.

14.
    Les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    condamner la Commission aux dépens.

15.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner les requérants aux dépens.

En droit

I - Sur l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 1, du traité aux contrats types conclus par Greene King

A - Sur la définition du marché en cause

16.
    Au paragraphe 60 de la décision attaquée, la Commission a défini le marché des produits en cause comme étant celui de la distribution de bière dans les établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place. À cette fin, elle s'est notamment référée au point 16 de l'arrêt de la Cour du 28 février 1991, Delimitis (C-234/89, Rec. p. I-935) dans lequel il est indiqué, à propos des contrats de fourniture de bière, ce qui suit:

«[Le marché en cause] est défini, en premier lieu, en fonction de la nature de l'activité économique en cause, en l'occurrence la vente de la bière. Celle-ci est réalisée tant par la voie du commerce de détail que par celle des débits de boissons. Du point de vue du consommateur, le secteur des débits de boissons, comprenant notamment les cafés et restaurants, se distingue de celui du commerce de détail, au motif que la vente dans les débits est associée non pas uniquement au simple achat d'une marchandise, mais également à une prestation de services et que la consommation de bière dans les débits ne dépend pas essentiellement de considérations d'ordre économique. Cette spécificité des ventes dans les débits est confirmée par le fait que les brasseries ont organisé des systèmes de distribution propres à ce secteur nécessitant des installations spéciales et que les prix pratiqués dans ce secteur sont, en général, supérieurs à ceux pratiqués pour les ventes dans le commerce de détail.»

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

17.
    Les requérants considèrent que la définition du marché retenue par la Commission est gravement erronée en droit et motivée de manière imparfaite.

18.
    Ils estiment que le marché en cause ne concerne que les pubs, donc uniquement l'un des types d'établissements titulaires d'une grande licence.

19.
    Ils justifient cette thèse en soutenant, en premier lieu, que l'arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, sur lequel la Commission s'est fondée dans la décision attaquée, n'est pas pertinent pour résoudre la question en cause. En effet, il n'aurait pour objet que de confirmer le fait, contesté dans le cadre dudit arrêt, mais non dans le cas présent, que le marché des établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place se distingue du commerce de détail.

20.
    En deuxième lieu, ils font valoir que les consommateurs distinguent les pubs des clubs. À cet égard, ils se réfèrent à la circonstance, relevée par la Commission au paragraphe 59 de la décision attaquée, que le prix de la bière dans les clubs représente seulement 82 à 83 % de celui pratiqué dans les pubs, de sorte que l'écart de prix est de l'ordre de 17 à 18 %. En outre, ils se fondent sur la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5), dans laquelle il est indiqué au paragraphe 17:

«[...] la question posée est de savoir si les clients [...] se tourneraient vers des produits de substitution facilement accessibles ou vers des fournisseurs implantés ailleurs, en cas d'augmentation légère (de 5 à 10 %), mais permanente, des prix relatifs des produits considérés dans les territoires concernés.»

21.
    Ils font observer que, nonobstant l'écart de prix entre les pubs et les clubs, la consommation de bière dans les clubs n'aurait pas augmentée au détriment de celle constatée dans les pubs. Ils concluent, partant, à l'existence de deux marchés de produit distincts.

22.
    En troisième lieu, ils exposent que les brasseurs distinguent les pubs des autres établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place. À l'appui de cette allégation, ils se réfèrent, d'une part, au rapport annuel 1995-1996 de Greene King dans lequel une telle distinction est opérée et, d'autre part, au Pub Industry Handbook 1997, publié par The Publican Newspaper, une publication commerciale qui ne fournit d'informations que sur les pubs, à l'exclusion des hôtels, bars à vins, restaurants et clubs.

23.
    En quatrième lieu, ils font valoir que l'article 1er, paragraphe 2, de l'arrêté de 1989 exclut de son champ d'application les établissements titulaires d'une licence restreinte. Cette exclusion s'expliquerait par le fait que ce type d'établissement ne représenterait qu'un instrument négligeable du pouvoir des brasseurs nationaux de fermer le marché. En effet, la part desdits établissements dans le volume total des ventes de bière représenterait, ainsi que la Commission l'aurait elle-même reconnu au paragraphe 61 de la décision attaquée, beaucoup moins de 10 %. Sa prise en compte dans la définition du marché ne s'imposerait donc pas.

24.
    En cinquième lieu, ils exposent que la Commission a récemment, dans une autre affaire concernant le brasseur national Whitbread, apprécié le marché de la façon préconisée dans la présente affaire. À cet égard, ils se réfèrent à la communicationfaite conformément à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 dans le cadre de l'affaire IV/35.079/F3 - Whitbread (JO 1997, C 294, p. 2, ci-après la «communication Whitbread»), et notamment au paragraphe 3, dans lequel la Commission énonce que les «1 970 débits [de boissons loués par Whitbread] représentent 2,4 % des établissements [du Royaume-Uni] exploités avec une 'grande licence‘».

25.
    La Commission expose que la question soulevée par la plainte est identique à celle dont la Cour a été saisie dans le cadre de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Delimitis, précité, et que la décision attaquée se fonde sur les critères élaborés dans cet arrêt, lesquels sont pertinents dans le cas présent. Les arguments que les requérants ont opposés à cette conclusion ne seraient pas fondés.

Appréciation du Tribunal

26.
    Afin de vérifier le bien-fondé de la définition du marché retenue par la Commission, au paragraphe 60 de la décision attaquée, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que la délimitation du marché en cause est essentielle pour analyser les effets des contrats de fourniture de bière assortis d'une obligation d'achat exclusif sur le jeu de la concurrence et, notamment, les possibilités pour des nouveaux concurrents nationaux et étrangers de s'implanter sur le marché de la consommation de bière ou d'agrandir leur part de marché (voir arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, points 15 et 16, et arrêts du Tribunal du 8 juin 1995, Langnese-Iglo/Commission, T-7/93, Rec. p. II-1533, point 60, et Schöller/Commission, T-9/93, Rec. p. II-1611, point 39).

27.
    La délimitation du marché en cause à laquelle la Commission a procédé dans la décision attaquée reprend celle retenue par la Cour dans son arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus. Dans celui-ci, la Cour a notamment été amenée à se prononcer, dans le cadre d'un litige opposant un locataire d'un débit de boissons à un brasseur allemand, sur la compatibilité des contrats de fourniture de bière avec l'article 85, paragraphe 1, du traité. Elle a conclu que le marché de référence correspondait à celui de la distribution de la bière dans le secteur des débits de boissons qui se distingue du commerce de détail et comprend notamment les cafés et restaurants (arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, point 17) et donc s'étend à l'ensemble des établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place.

28.
    La Cour a relevé que la vente de la bière est réalisée tant par la voie du commerce de détail que par celle des établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place. Elle a constaté que, du point de vue du consommateur, le secteur des établissements précités, comprenant notamment les cafés et les restaurants, se distingue de celui du commerce de détail, au motif que la vente dans les premiers ne dépend pas essentiellement de considérations d'ordre économique. Elle a ajouté que cette spécificité des ventes dans ces établissementsest confirmée par le fait que les brasseries ont organisé des systèmes de distribution propres à ce secteur nécessitant des installations spéciales et que les prix pratiqués dans ce secteur sont, en général, supérieurs à ceux pratiqués pour les ventes dans le commerce de détail (arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, point 16).

29.
    Il y a lieu de considérer que c'est à juste titre que la Commission a repris cette définition du marché en l'espèce, étant donné que les motifs qui la justifiaient dans le cadre de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, sont transposables au cas présent.

30.
    En effet, les établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place présentent, tant au Royaume-Uni qu'en Allemagne, une caractéristique commune: du point de vue du consommateur, la vente y est associée à une prestation de services et la consommation de bière ne dépend pas essentiellement de considérations d'ordre économique, et, du point de vue des brasseurs, la distribution est organisée selon des systèmes propres à ce secteur et les prix pratiqués sont, en général, supérieurs à ceux pratiqués pour les ventes dans le commerce de détail.

31.
    À cet égard, la Commission relève à juste titre, au paragraphe 59 de la décision attaquée, que l'ensemble des établissements qui sont au Royaume-Uni titulaires d'une licence autorisant la vente de boissons alcooliques à consommer sur place, qu'ils soient titulaires de grandes licences, de licences restreintes ou de licences clubs, présentent les caractéristiques communes suivantes: les boissons sont achetées pour être consommées sur place, la notion de service est importante et il existe un système de distribution spécifique commun à l'ensemble de ces établissements, comprenant notamment des installations spéciales pour la vente à la pression. Si la Commission reconnaît que le prix de la bière dans les clubs est inférieur à celui pratiqué dans les autres établissements, ce qu'elle explique par le fait que les clubs ne poursuivent pas de but lucratif, elle précise que le prix est, néanmoins, plus élevé que celui appliqué dans les supermarchés.

32.
    Ces caractéristiques communes, pertinentes pour la délimitation du marché en cause, s'appliquent indistinctement à l'ensemble des établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place, nonobstant la circonstance que ces établissements présentent entre eux des différences assez importantes en ce qui concerne le cadre et l'ambiance dans lesquels la vente est effectuée, la nature des services qui y sont associés et même, le cas échéant, les prix qui sont pratiqués dans lesdits établissements.

33.
    Cette diversité des types d'établissements partageant les caractéristiques précitées et relevant donc du marché en cause est illustrée par la circonstance que la Cour a cité, à titre d'exemples, au sujet desquels elle a d'ailleurs expressément précisé qu'ils n'étaient pas limitatifs, les cafés et les restaurants (arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, point 16), donc des types d'établissements qui se différencient les uns des autres, en général, par le cadre et l'ambiance, la nature des servicesfournis et les prix pratiqués pour la vente de boissons alcooliques, y compris la bière.

34.
    Ces différences, certes non négligeables dans l'esprit du consommateur mais secondaires par rapport aux caractéristiques communes précitées, ne sont donc pas de nature à infirmer la conclusion selon laquelle les établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place relèvent tous du même marché.

35.
    À cet égard, il y a lieu de considérer que les arguments présentés par les requérants en vue de démontrer que le marché en cause est représenté par les seuls pubs, à l'exclusion des autres établissements titulaires de grandes licences et des établissements titulaires de licences restreintes et de licences clubs, ne sont pas fondés.

36.
    En premier lieu, les requérants soutiennent que l'arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, n'aurait pour objet que de confirmer le fait, non contesté en l'espèce, que le marché des établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place se distingue de celui du commerce de détail. Il convient d'observer, à cet égard, qu'il est vrai que, dans le cadre de la procédure ayant abouti à l'arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, qui fait suite à un renvoi préjudiciel en interprétation, la partie défenderesse au principal a soutenu qu'il y avait lieu d'inclure dans le marché en cause les ventes de bière effectuées par les supermarchés et les autres commerçants vendant au détail (voir rapport d'audience dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, Rec. p. I-945). Il ne s'ensuit pas, toutefois, que la délimitation du marché en cause à laquelle a procédé la Cour dans cette affaire ne serait pertinente qu'à titre de réfutation de cette thèse, qui ne faisait d'ailleurs pas l'objet, en tant que telle, d'une question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi. La Cour a en effet précisé que cette définition du marché s'inscrivait, conformément à son arrêt du 12 décembre 1967, Brasserie de Haecht (23/67, Rec. p. 525), dans le souci de prendre en considération le contexte économique et juridique au sein duquel le contrat de fourniture de bière se situe (arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, point 14) et constituait la prémisse de l'analyse des effets qu'un tel contrat produit, en combinaison avec d'autres contrats de même type, sur les possibilités, pour les concurrents nationaux ou originaires d'autres États membres, de s'implanter sur le marché de la consommation de la bière (arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, point 15). Sa démarche était guidée par un seul critère, à savoir la nature de l'activité économique en cause, en l'occurrence la vente de la bière. La définition du marché répondait donc à des considérations beaucoup plus larges que celle de vérifier si le marché en cause englobait aussi le commerce de détail.

37.
    En deuxième lieu, les requérants soutiennent que les consommateurs distinguent les pubs des clubs et en déduisent que ces derniers ne relèvent pas du même marché que les pubs. À cet égard, ils tirent argument du fait, mentionné par la Commission au paragraphe 59 de la décision attaquée, que le prix de la bière dansles clubs représentait (en décembre 1994) 82 à 83 % de celui pratiqué dans les pubs. Ils confrontent cette circonstance avec la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence dans laquelle il est précisé que l'appréciation de la substituabilité de la demande entraîne une détermination de l'éventail des produits perçus comme substituables par le consommateur (paragraphe 15). La Commission cite, à titre d'exemple de critère pouvant fournir des indications sur les éléments pertinents pour la définition des marchés, les effets que pourraient entraîner sur la substitution du côté de la demande des variations légères mais permanentes des prix relatifs (paragraphe 15). À cet égard, la Commission fait observer dans la communication que la question est de savoir si les clients des parties se tourneraient vers des produits de substitution facilement accessibles ou vers des fournisseurs implantés ailleurs, en cas d'augmentation légère (de 5 à 10 %), mais permanente, des prix relatifs des produits considérés dans les territoires concernés. Si la substitution suffit, en raison du recul des ventes qui en découle, à ôter tout intérêt à une augmentation des prix, les produits de substitution seraient intégrés dans le marché en cause (paragraphe 17).

38.
    Se référant à ces éléments, les requérants font valoir que l'écart de prix entre les pubs et les clubs est, en considération des chiffres fournis par la Commission au paragraphe 59 de la décision attaquée, de l'ordre de 17 à 18 % et que rien ne montre un accroissement de la consommation de bière dans les clubs par rapport aux pubs. Ils concluent donc à l'existence de deux marchés distincts.

39.
    Il y a lieu de rappeler que la circonstance que le consommateur opère une différenciation entre plusieurs types d'établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place n'est pas pertinente pour considérer que chacun de ces types d'établissement constitue un marché distinct, étant donné que l'ensemble de ces établissements présentent, tant du point de vue du consommateur (l'achat de bière est associé à une prestation de services et la consommation de bière dans ces établissements ne dépend pas essentiellement de considérations d'ordre économique) que du point de vue des brasseurs (existence de systèmes de distribution spécifiques et supériorité des prix de vente par rapport à ceux pratiqués dans le commerce de détail), des caractéristiques communes qui obligent à les considérer comme relevant d'un seul marché.

40.
    Les requérants, qui se fondent sur un exemple très simple, tiré de la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, n'envisagent la question de la substituabilité du côté de la demande qu'en vertu du seul critère de la différence de prix. Ils ne tiennent donc pas compte d'une circonstance spécifique à la vente de bière, relevée par la Cour dans l'arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, à savoir que la consommation de cet alcool dans les établissements vendant de la bière à consommer sur place, ne dépend pas essentiellement de considérations d'ordre économique. À cet égard, la Commission indique à juste titre dans ses écritures que le choix que le consommateur opère parmi ces établissements estsurtout influencé par l'environnement et l'ambiance de ceux-ci, et ce même à l'intérieur de la sous-catégorie des pubs distinguée par les requérants.

41.
    En troisième lieu, les requérants font valoir que les pubs constituent pour les brasseurs un marché distinct. À l'appui de cette thèse, ils se réfèrent au rapport annuel 1995-1996 de Greene King, qui différencierait les différents types d'établissements vendant de la bière à consommer sur place, et au Pub Industry Handbook 1997, publication commerciale qui ne fournirait d'informations que sur les pubs.

42.
    Il y a lieu de relever, à cet égard, que le rapport annuel de Greene King, qui est destiné à informer les actionnaires des résultats financiers de cette société, recense certes les différents canaux de distribution de la bière. Ce recensement englobe toutefois des catégories, telles celles des établissements liés et non liés à des brasseries, qui ne constituent pas, même selon les requérants, des marchés distincts. Le critère ayant servi, dans ce rapport annuel, à l'établissement d'une différenciation entre les différentes catégories d'établissements n'était donc manifestement pas la définition de marchés distincts.

43.
    La circonstance que le Pub Industry Handbook 1997 ne fournit d'informations que sur les pubs, à l'exclusion d'autres types d'établissements vendant de la bière à consommer sur place, s'explique par le fait que cette publication s'adresse essentiellement aux propriétaires et aux locataires de pubs. Cette circonstance illustre la diversité des établissements vendant de la bière à consommer sur place et la possibilité de les classer en différentes catégories. Il ne s'ensuit pas, toutefois, que chacune de ces catégories d'établissements devrait être considérée comme constituant un marché distinct. En effet, ainsi qu'il a été vu ci-dessus aux points 29 à 34, tous les établissements en question possèdent, nonobstant la catégorie à laquelle ils appartiennent, des caractéristiques communes qui obligent à les considérer comme relevant d'un seul et même marché.

44.
    Cette conclusion doit également être opposée à l'argument avancé en quatrième lieu par les requérants, tiré du fait que l'article 1er, paragraphe 2, de l'arrêté de 1989 exclut de son champ d'application les établissements titulaires d'une licence restreinte. Une telle exclusion par une disposition de droit national, dont la portée n'est d'ailleurs pas clairement déterminée, ainsi que le fait observer à juste titre la Commission au paragraphe 61 de la décision attaquée, ne constitue pas, à elle seule, un motif décisif pour considérer que ces établissements, qui présentent avec tous les autres établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place, les caractéristiques communes mentionnées ci-dessus au point 30, dont l'existence n'est d'ailleurs pas mise en cause par cette disposition, relèvent d'un autre marché.

45.
    En cinquième lieu, les requérants se réfèrent à la communication Whitbread. Ils soutiennent que la Commission y aurait mesuré la part de marché de cettebrasserie, non comme en l'espèce, au regard du nombre total des établissements titulaires d'une licence autorisant la vente des boissons alcooliques à consommer sur place, mais au regard des seuls établissements titulaires d'une grande licence. Ils justifient cette thèse en se prévalant d'une phrase issue du paragraphe 3 de cette communication, dans laquelle la Commission indique que les établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place appartenant à Whitbread et donnés à bail permanent représentent 2,4 % des établissements du Royaume-Uni exploités avec une grande licence.

46.
    Il y a lieu de constater à cet égard que, contrairement à ce que les requérants suggèrent en se prévalant d'un passage de la communication Whitbread, la Commission a défini le marché en cause dans cette affaire de la même façon qu'en l'espèce, donc comme englobant l'ensemble des établissements titulaires d'une licence autorisant la vente des boissons alcooliques à consommer sur place.

47.
    Cette conclusion se fonde, d'une part, sur la communication elle-même. En effet, aux paragraphes 12 et 13, ainsi qu'au tableau 1, sont pris en considération l'ensemble des établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place avec indication, respectivement, de leur nombre pour chacune des catégories d'établissement suivant la nature de la licence détenue et de la quantité de bière vendue. De plus, dans la même phrase extraite du paragraphe 3 de la communication, sur laquelle les requérants fondent leur argument, la Commission ajoute que les établissements de Whitbread donnés à bail achètent à ladite brasserie un nombre de barils de bière représentant 1,6 % de la consommation de bière dans les établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place au Royaume-Uni. La Commission mesure donc la part de marché de Whitbread en termes de quantité de bière achetée et écoulée par ses établissements donnés à bail par rapport à l'ensemble des établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place, qu'ils soient titulaires de grandes licences, de licences restreintes ou de licences clubs.

48.
    Cette conclusion se fonde, d'autre part, sur la décision 1999/230/CE de la Commission, du 24 février 1999, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (Affaire IV/35.079/F3 - Whitbread, JO L 88, p. 26, ci-après la «décision Whitbread»), adoptée postérieurement au dépôt de la requête dans la présente instance, et à laquelle il a été fait référence par les parties au cours de la procédure écrite. La Commission y procède, aux considérants 95 à 97, à une définition du marché en cause en tous points identiques à celle effectuée aux paragraphes 58 à 60 de la décision attaquée.

49.
    L'argument des requérants, qui ne serait d'ailleurs pertinent que pour établir une incohérence de la démarche de la Commission dans des affaires distinctes mais similaires, mais non une définition erronée du marché en l'espèce, n'est donc pas fondé.

50.
    Il résulte de ce qui précède que les requérants n'étaient pas fondés à invoquer l'existence d'une erreur de droit de la Commission dans la définition du marché en cause et d'une insuffisance de motivation.

51.
    Il y a lieu d'ajouter que la pertinence du moyen est très limitée. En effet, à supposer même que le marché de référence doive être défini de la façon préconisée par les requérants, la part de marché de Greene King, exprimée selon le paramètre le plus important, à savoir la quantité de bière vendue, qui est, sur la base de la définition du marché retenue par la Commission, de 1,3 %, passerait seulement à 1,86 %, en admettant la définition du marché en cause proposée par les requérants. Elle resterait donc très faible. L'expert mandaté par les requérants, le professeur M. Waterson reconnaît d'ailleurs que la définition du marché proposée par les requérants ne produirait qu'un effet limité sur la part de marché de Greene King (annexe A de la requête, p. 99).

52.
    Il résulte de ces considérations que le moyen doit être rejeté.

B - Sur la contribution du réseau d'accords de Greene King à la fermeture du marché

53.
    Dans la décision attaquée, la Commission a considéré, sur la base des critères élaborés par la Cour dans l'arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, que le marché en cause, à savoir le marché de la distribution de bière dans les établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place au Royaume-Uni, est fermé, mais que le réseau d'accords de Greene King, constitués par les baux assortis d'une obligation d'achat conclus entre cette brasserie et ses locataires, ne contribue pas de manière significative à cette fermeture du marché, de sorte que ces accords ne tombent pas sous le coup de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

54.
    Les requérants contestent cette conclusion. Ils estiment que le réseau d'accords de Greene King contribue d'une manière significative à la fermeture du marché. Ce constat s'imposerait en prenant en considération la contribution de ce réseau pris isolément et, subsidiairement, celle des contrats de fourniture de bière conclus par Greene King avec les brasseries nationales ajoutée à la contribution susvisée.

1. Sur la contribution du réseau d'accords de Greene King considéré isolément

55.
    Les requérants contestent l'appréciation faite par la Commission sur la part de Greene King dans le marché en cause et la durée des baux de celle-ci. Ils considèrent aussi que la Commission a omis d'indiquer les raisons pour lesquelles l'article 85, paragraphe 1, du traité n'a pas été appliqué nonobstant le défaut de respect par Greene King des critères de la communication relative aux règlements (CEE) n° 1983/83 et (CEE) n° 1984/83 de la Commission, du 22 juin 1983, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories respectivement d'accords de distribution exclusive et d'accords d'achat exclusif (JO1984, C 101, p. 2), telle que modifiée par la communication 92/C 121/02 de la Commission (JO 1992, C 121, p. 2) (ci-après la «communication relative aux règlements»).

a) Sur la part de Greene King dans le marché en cause

56.
    Dans la décision attaquée, la Commission a conclu, en premier lieu, que la part de marché de Greene King, exprimée en nombre d'établissements titulaires d'une licence autorisant la vente des boissons alcooliques à consommer sur place, est de 0,7 %. À cet effet, elle a constaté, d'une part, qu'il existe au Royaume-Uni 146 900 établissements de ce type, comprenant 83 100 établissements titulaires de grandes licences dont 57 000 pubs, le reste étant composé des bars d'hôtels et des bars à vins; 32 300 établissements titulaires de licences restreintes, regroupant des hôtels et des restaurants; 31 500 clubs. Elle a relevé, d'autre part, que Greene King est propriétaire de 1 101 établissements titulaires d'une licence autorisant la vente des boissons alcooliques à consommer sur place, dont 628 sont donnés en location à des exploitants tenus à une obligation d'achat de la bière du brasseur-propriétaire. Elle a observé, au paragraphe 29 de la lettre au titre de l'article 6, que s'ajoutent à ces 1 101 établissements ceux qui n'appartiennent pas à Greene King, mais à des exploitants qui se sont vu octroyer des prêts par cette brasserie et qui assument en contrepartie, notamment, une obligation d'achat de sa bière, dont le nombre s'élève à 1 500. Elle a noté que, même en incluant ces établissements, la part de Greene King dans le marché de la distribution de la bière au Royaume-Uni dans des établissements titulaires d'une licence autorisant la vente des boissons alcooliques à consommer sur place serait inférieure à 2 % (voir note 34 en bas de page de la décision attaquée).

57.
    En deuxième lieu, la Commission a constaté, au paragraphe 102 de la décision attaquée, que la bière vendue par l'ensemble des établissements de Greene King, à savoir les établissements qui lui appartiennent, gérés par un de ses salariés ou donnés en location, et ceux qui sont liés par des contrats de prêt, représente 1,3 % de la quantité de bière vendue au Royaume-Uni dans l'ensemble des établissements titulaires d'une licence autorisant la vente des boissons alcooliques à consommer sur place. Elle en a conclu que cette part de marché est de loin inférieure au 5 % ou plus détenus par chacun des quatre brasseurs nationaux.

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

58.
    Les requérants soutiennent que Greene King contribue d'une façon significative à fermer le marché au Royaume-Uni. À cet effet, ils critiquent les conclusions de la Commission dans la décision attaquée au sujet de la part de marché de ce brasseur, qu'ils considèrent être plus importante.

59.
    En ce qui concerne, en premier lieu, la part de marché de Greene King exprimée en nombre d'établissements, les requérants font observer que, si le marché du produit en cause ne comprend, comme ils l'affirment, que les pubs, le chiffre deréférence de l'ensemble des établissements par rapport auquel la part de marché doit être calculée n'est pas de 146 900, mais de 57 000 établissements.

60.
    Ils considèrent ensuite que le nombre des établissements appartenant à Greene King n'est pas, comme le relève la Commission dans la décision attaquée, de 1 101, mais, ainsi qu'il résulte du paragraphe 27 de la lettre au titre de l'article 6, de 1 133.

61.
    Ils estiment qu'il y a lieu d'ajouter à ces 1 133 établissements appartenant à Greene King les 1 500 liés par des contrats de prêts, de sorte que le chiffre de référence est de 2 633 établissements.

62.
    Ils en déduisent que la part de marché de Greene King n'est pas, comme l'affirme la Commission, de 0,7 %, mais de 4,6 %.

63.
    En ce qui concerne, en deuxième lieu, la part de marché de Greene King exprimée en quantité de bière vendue, les requérants sont d'avis que ladite part, calculée sur la base du marché de produit en cause tel que défini par eux, c'est-à-dire par rapport aux seules quantités de bière vendues dans les pubs, s'élève à 1,86 %.

64.
    La Commission estime que, quelle que soit l'analyse ou la présentation des faits, il ne saurait être considéré que, à elle seule, Greene King contribue de manière significative à la fermeture du marché.

Appréciation du Tribunal

65.
    Le calcul de la part de marché de Greene King proposé par les requérants diffère de celui effectué par la Commission dans la décision attaquée sur trois points: en premier lieu, la définition du marché de référence, qui doit englober, selon les requérants, les seuls pubs et non, comme le considère la Commission, tous les établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place; en deuxième lieu, la détermination du nombre d'établissements appartenant à Greene King, évalué par les requérants à 1 133 unités, au lieu des 1 101 unités retenues dans la décision attaquée; en troisième lieu, le nombre total d'établissements devant être pris en compte pour déterminer la part de marché, les requérants estimant qu'il y a lieu de retenir, outre les établissements appartenant à Greene King, ceux qui sont liés par un contrat de prêt, qu'ils évaluent à 1 500 unités.

66.
    En premier lieu, en ce qui concerne la définition du marché de référence proposée par les requérants, qui constitue la principale raison de la divergence entre ces derniers et la Commission quant au calcul de la part de marché de Greene King, il a été constaté ci-dessus (points 16 à 52) que c'est à bon droit que la Commission a considéré que tous les établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place relèvent du marché en cause. L'argument des requérants doit donc être rejeté.

67.
    En deuxième lieu, en ce qui concerne l'évaluation du nombre d'établissements appartenant à Greene King, le chiffre proposé par les requérants se fonde sur la teneur de la lettre au titre de l'article 6, dans laquelle la Commission constate, au paragraphe 27, que Greene King était propriétaire, au 4 mai 1997, de 1 133 établissements. Ce chiffre diffère de celui retenu par la Commission dans la décision attaquée, dans laquelle elle expose, au paragraphe 33, qu'au 6 juillet 1998 le nombre d'établissements en question était de 1 101. La divergence entre les requérants et la Commission s'explique donc par la différence des dates d'évaluation, cette dernière ayant préféré actualiser, au moment de la rédaction de la décision, les chiffres qu'elle avait relevés à l'époque de sa lettre au titre de l'article 6. Les requérants, d'ailleurs, ne mettent pas en cause l'exactitude des chiffres précités.

68.
    En tout état de cause, la différence chiffrée, qui n'est que de 32 unités, n'est manifestement pas de nature à avoir une incidence décisive sur l'évaluation de la part de marché de Greene King. L'argument doit donc être rejeté.

69.
    En troisième lieu, en ce qui concerne l'argument tiré de ce qu'il y a lieu de retenir, outre les établissements appartenant à Greene King ceux qui sont liés par un contrat de prêt, il y a lieu de relever que la Commission a bien pris en compte cette approche dans la décision attaquée. Elle y constate en effet à la note 34 en bas de page que, même en acceptant cette prémisse, la part de marché de Greene King exprimée en nombre d'établissements est inférieure à 2 %, donc négligeable, étant entendu que cette part de marché est calculée par rapport à l'ensemble des établissements vendant des boissons alcooliques à consommer sur place. L'incidence de cette prémisse sur la part de marché exprimée en quantité de bière vendue est d'ailleurs tout aussi faible. En effet, ainsi qu'il a été constaté ci-dessus au point 51, cette part de marché, même calculée en considération des trois prémisses des requérants, n'est que de 1,86 %. Enfin, l'expert mandaté par les requérants, le professeur M. Waterson, expose dans ses observations du 8 juillet 1997 (annexe A de la requête, p. 2, point 1) qu'il n'est pas convaincu que les établissements qui sont liés à Greene King par un contrat de prêt constituent un élément significatif dans l'appréciation de la contribution du réseau d'accords de Greene King à la fermeture du marché. En effet, le montant moyen des prêts serait assez modeste et un débitant n'aurait probablement pas trop de difficultés pour obtenir un prêt commercial classique comparable sans obligation d'achat. L'argument doit donc être rejeté.

b) Sur la durée des baux

70.
    La Commission a relevé au paragraphe 102 de la décision attaquée que la durée normale des contrats standard conclus par Greene King, qui est de neuf ans, est considérablement inférieure à la durée de 20 ans ou plus des contrats de bail standard d'autres opérateurs.

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

71.
    Les requérants contestent en premier lieu l'affirmation selon laquelle la durée des contrats types de Greene King n'est pas manifestement excessive par rapport à la durée moyenne des contrats généralement conclus sur le marché.

72.
    En deuxième lieu, ils soutiennent que, même si cette durée n'est pas excessive, il faudrait tenir compte du fait que les établissements appartenant à Greene King sont, à l'expiration du bail, reloués à un autre exploitant selon les mêmes modalités, et donc demeurent «rattachés» à la société.

73.
    À l'appui de cette thèse, ils se réfèrent à la décision 1999/474/CE de la Commission, du 16 juin 1999, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE (affaire IV/35.992/F3 - Scottish and Newcastle) (JO L 186, p. 28, ci-après la «décision Scottish & Newcastle»), dans laquelle il est mentionné ce qui suit:

«[...] tous les établissements appartenant à S & N sont en principe 'rattachés‘ à la société. C'est le cas non seulement des établissements gérés, mais aussi des débits loués qui, à l'expiration d'un bail (de courte ou de longue durée), sont reloués à un autre exploitant selon les mêmes modalités.» (Considérant 124.)

74.
    La Commission indique que les nombreuses informations recueillies au moment de l'adoption de la décision attaquée lui permettent d'affirmer que d'autres brasseries, possédant beaucoup plus d'établissements que Greene King, concluaient habituellement des baux de 20 ans.

75.
    Elle estime que les constats effectués dans la décision Scottish & Newcastle ne sont pas transposables au cas présent.

Appréciation du Tribunal

76.
    Il y a lieu de rappeler que, afin d'apprécier l'importance de la contribution des contrats de fourniture de bière conclus par une brasserie à l'effet cumulatif de blocage du marché produit par l'ensemble des contrats similaires, il faut prendre en considération la position des parties contractantes sur le marché. Cette contribution dépend, en outre, de la durée desdits contrats. Si cette durée est manifestement excessive par rapport à la durée moyenne des contrats généralement conclus sur le marché en cause, le contrat individuel relève de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité (arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, points 25 et 26, et arrêt de la Cour du 7 décembre 2000, Neste Markkinointi, C-214/99, non encore publié au Recueil, point 27). Une brasserie disposant d'une part de marché relativement réduite, qui lie ses points de vente pendant de nombreuses années, peut, en effet, contribuer à une fermeture du marché de manière aussi significative qu'une brasserie, ayant une position relativement forte sur le marché, qui libère régulièrement ses points de vente à intervalles rapprochés (arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, point 26).

77.
    En premier lieu, en ce qui concerne l'évaluation de la durée des contrats types de Greene King, il convient de relever qu'il résulte de décisions récentes, auxquelles les parties ont fait référence au cours de la procédure écrite ou de la procédure orale, rendues par la Commission dans des affaires concernant des brasseurs nationaux, que la durée normale des contrats standard conclus par Greene King, qui est de neuf ans, n'est pas manifestement excessive par rapport à la durée moyenne des contrats de fourniture de bière généralement conclus sur le marché. Ainsi, il résulte de la décision Whitbread (considérant 8) que, en février 1997, ce brasseur possédait 1 938 établissements loués en vertu d'un des contrats notifiés à la Commission, dont 1 643, soit 85 % du nombre total, dans le cadre d'un bail de vingt ans, 276, soit 14 % de l'ensemble, sur la base d'un bail de cinq ans et 19, soit 1 % du nombre total, dans le cadre d'un bail dit de «préretraite». Selon les considérants 8 et 39 de la décision 1999/473/CE de la Commission, du 16 juin 1999, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE (affaire IV/36.081/F3 - Bass) (JO L 186, p. 1), ce brasseur détenait, en mars 1997, 1 186 établissements loués en vertu de baux types qui étaient en général conclus pour une durée de dix ans, voire quinze ou vingt ans pour certains. Il résulte de la décision Scottish & Newcastle (considérants 8 et 37) que, à la date d'adoption de celle-ci, ce brasseur était propriétaire de 432 établissements loués en vertu de contrats conclus, sous réserve des baux de courte durée, pour une durée comprise entre trois et vingt ans.

78.
    Par ailleurs, selon la décision 2000/484/CE de la Commission, du 29 juin 2000, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE (affaires IV/36.456/F3 - Inntrepreneur et IV/36.492/F3 - Spring) (JO L 195, p. 49, ci-après la «décision Inntrepreneur»), qui concerne une chaîne de débits de boissons, celle-ci était propriétaire au 27 mars 1998 de 2 898 établissements, dont 2 286, soit 79 % de l'ensemble, étaient loués dans le cadre de baux de longue durée, à savoir d'une durée de 20 ans pour la plupart.

79.
    Il s'ensuit que les trois brasseurs nationaux du Royaume-Uni, sur les quatre existants, qui ont récemment fait l'objet de décisions de la Commission et l'une des principales chaînes de débits de boissons au Royaume-Uni ont, dans une large mesure, conclu des baux d'une durée plus longue que celle prévue dans les baux types de Greene King, ladite durée pouvant même s'étendre jusqu'à 20 ans.

80.
    La durée des contrats de Greene King n'est donc pas manifestement excessive au regard du critère défini par la Cour dans l'arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus.

81.
    En deuxième lieu, en ce qui concerne l'argument tiré de ce que les établissements appartenant à Greene King sont, à l'expiration du bail, reloués à un autre exploitant selon les mêmes modalités, et restent donc «rattachés» au brasseur quelle que soit la durée initiale prévue par le bail, la Commission a fait observer à juste titre dans ses écritures que cet argument est inopérant dans l'hypothèse des établissements qui, sans appartenir à Greene King, sont néanmoins liés à celle-ci par un contratde prêt. En effet, il n'y a aucune raison d'admettre que ces établissements restent liés à la brasserie concernée postérieurement au remboursement du prêt, étant observé que lesdits établissements réalisent 40 % des ventes de bières de Greene King (paragraphe 29 de la lettre établie au titre de l'article 6).

82.
    Dans ces conditions, les établissements pouvant être considérés comme «rattachés» à Greene King au sens de l'observation formulée par la Commission au considérant 124 de la décision Scottish & Newcastle sont ceux qui, appartenant au brasseur, sont soit gérés par lui soit liés par un bail assorti d'une obligation d'achat. Il résulte de la décision attaquée (paragraphes 33 et 102) que ces établissements de Greene King ne représentent que 0,7 % du nombre total d'établissements titulaires d'une licence autorisant la vente des boissons alcooliques à consommer sur place au Royaume-Uni.

83.
    Il en résulte aussi (paragraphe 102) que la quantité de bière vendue par l'ensemble des établissements de Greene King, soit ceux visés au point ci-dessus et ceux avec lesquels elle est liée par un contrat de prêt, représente 1,3 % de la quantité de bière consommée «sur place» au Royaume-Uni. Compte tenu du fait que 40 % des ventes de bière de Greene King sont réalisées par les établissements avec lesquels elle est liée par un contrat de prêt, la part des établissements lui appartenant dans la quantité de bière consommée «sur place» au Royaume-Uni est largement inférieure à 1 %.

84.
    À titre de comparaison, en 1997-1998, qui est la période de référence la plus rapprochée de celle pertinente en l'espèce, les établissements appartenant à Scottish & Newcastle représentaient 1,9 % du nombre total des établissements titulaires d'une licence autorisant la vente de boissons alcooliques à consommer sur place au Royaume-Uni et la quantité de bière vendue par eux représentait 4,12 % de la quantité totale de la bière consommée «sur place» au Royaume-Uni (considérant 123 de la décision Scottish & Newcastle).

85.
    Il s'ensuit que la part de marché des établissements pouvant être considérés comme «rattachés» à Greene King, au sens de l'observation formulée par la Commission au considérant 124 de la décision Scottish & Newcastle, est de loin inférieure à 1 %, que cette part de marché soit exprimée en nombre d'établissements ou, ce qui constitue un critère plus important, en quantité de bière vendue. Dès lors, la part de marché de Greene King étant si réduite, il n'y a manifestement pas lieu de considérer que l'existence de ce «rattachement» soit de nature à faire considérer que cette brasserie contribue de manière significative à la fermeture du marché.

86.
    L'argument doit donc être rejeté.

c) Sur le défaut de motivation

Arguments des parties

87.
    Les requérants rappellent que le fait qu'un brasseur ne peut pas se prévaloir de la communication relative aux règlements ne signifie pas nécessairement que l'article 85 du traité est applicable. Ils considèrent que si, comme en l'espèce, la Commission estime que cet article n'est pas applicable, elle doit en préciser les raisons, afin qu'il soit possible de savoir sur quelle base sa décision peut être contestée. Ils soutiennent que la défenderesse n'a pas, en l'espèce, indiqué les raisons justifiant la non-application de l'article précité.

88.
    La Commission estime que l'argument des requérants n'est pas fondé, étant donné qu'elle aurait pris soin de préciser les motifs pour lesquels le réseau d'accords de Greene King ne relève pas de l'article 85, paragraphe 1, du traité, nonobstant l'inapplicabilité, dans le cas présent, de la communication relative aux règlements.

Appréciation du Tribunal

89.
    Il y a lieu de rappeler que la motivation exigée par l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE) doit faire apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et au juge communautaire d'exercer son contrôle (arrêt de la Cour du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C-156/98, Rec. p. I-6857, point 96).

90.
    Il convient également de relever que la communication relative aux règlements ne vise qu'à définir les accords qui, selon la Commission, n'ont pas d'effet sensible sur la concurrence ou le commerce entre États membres. Il ne saurait toutefois en être déduit, avec certitude, qu'un réseau de contrats d'achats exclusifs est automatiquement susceptible d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence de manière sensible du seul fait que les seuils qui y sont prévus sont dépassés (arrêt Langnese-Iglo/Commission, cité au point 26 ci-dessus, point 98).

91.
    En l'espèce, la Commission, après avoir constaté l'inapplicabilité de la communication relative aux règlements (paragraphe 99 de la décision attaquée), examine de façon détaillée la situation spécifique de Greene King (paragraphes 100 à 106 de la décision attaquée), en particulier la part de marché de ce brasseur, la durée des contrats de fourniture de bière conclus avec ses débitants liés et l'incidence des contrats de fourniture passés avec des brasseurs nationaux, et expose, sur la base de ces éléments, les raisons pour lesquelles elle parvient à la conclusion que Greene King ne contribue pas de manière significative à la fermeture du marché.

92.
    Il résulte de ce qui précède que la Commission a, en l'espèce, suffisamment exposé les raisons pour lesquelles elle est parvenue à cette conclusion et a donc parfaitement mis les requérants et le Tribunal en mesure de connaître son raisonnement. Les requérants étaient donc à même d'apprécier s'il y avait lieu de contester la décision de la Commission, ce qu'ils ont d'ailleurs fait. Le Tribunal,pour sa part, a été en mesure d'apprécier la légalité de la décision attaquée à la lumière de cette motivation.

93.
    L'argument doit donc être rejeté.

2. Sur l'incidence des accords de fourniture conclus par Greene King avec les brasseries de dimension nationale

94.
    Dans la décision attaquée (paragraphes 103 à 106), la Commission a rejeté l'argument des requérants tiré de ce que le réseau d'accords de Greene King relève de l'article 85, paragraphe 1, du traité s'il est tenu compte de l'incidence des accords de fourniture de bière conclus par Greene King avec des brasseurs nationaux, dont le réseau d'accords tombe sous le coup de l'interdiction prévue à l'article précité. À cet égard, elle a considéré qu'il fallait différencier l'appréciation des accords conclus entre le brasseur, agissant comme «grossiste», et ses fournisseurs (les accords «en amont») de celle des accords passés entre le brasseur et ses débitants (les accords «en aval»). L'existence d'accords «en amont» ne devrait pas avoir d'effets sur l'appréciation du réseau d'accords «en aval». Ce réseau ne pourrait pas être simplement rattaché au réseau d'accords du brasseur-fournisseur qui contribue de manière significative à la fermeture du marché. De plus, compte tenu du caractère peu contraignant des contrats de fourniture conclus par Greene King avec des brasseurs nationaux, le contrat d'approvisionnement le plus contraignant ne contenant qu'une obligation d'achat minimal représentant moins de 20 % de la bière vendue aux débitants faisant partie du réseau d'accords de ladite brasserie, il serait évident que ce réseau ne pourrait pas être rattaché aux réseaux d'accords des brasseurs nationaux.

95.
    Les requérants soutiennent que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation et concluent également à un défaut de motivation.

a) Sur l'erreur manifeste d'appréciation

Arguments des parties

96.
    Les requérants soutiennent que Greene King contribue de manière significative à la fermeture du marché du fait de ses accords de fourniture avec les brasseurs nationaux. Selon la décision attaquée, elle aurait conclu de tels accords avec les quatre brasseurs nationaux. L'un des accords, d'une durée de cinq ans, comporterait une obligation d'achat minimal portant sur près de 20 % de la bière vendue en gros par Greene King. Les trois autres accords comporteraient des règles contraignantes en matière d'approvisionnement des stocks, la durée desdits accords étant d'un an et demi, de trois et de cinq ans.

97.
    Les requérants déduisent de ces chiffres figurant dans la décision attaquée (paragraphe 33), qu'environ 45 % seulement de la bière vendue dans les établissements appartenant à Greene King et donnés en location est brassée par cette dernière. Ils en concluent que 55 % de la bière vendue dans ces établissements, et probablement une proportion équivalente dans le cas des établissements appartenant à Greene King et gérés par elle-même, ainsi que de ceux liés par un contrat de prêt, est livrée à Greene King par d'autres brasseurs. Dans la réplique, ils ont modifié ces chiffres en se référant aux renseignements contenus dans la lettre au titre de l'article 6 et sont parvenus à la conclusion que la production de Greene King ne représente que 39 % de la quantité de bière vendue dans les établissements avec lesquels elle est liée, les 61 % restants étant livrés par d'autres brasseurs.

98.
    Dans la mesure où Greene King se serait ainsi engagée à vendre, à hauteur de plus de la moitié de la quantité de bière vendue par l'intermédiaire de ses établissements liés, de la bière fournie par d'autres brasseurs, au titre de contrats de fourniture d'une durée assez longue, les établissements dépendant de Greene King seraient aussi liés auxdits brasseurs.

99.
    À cet égard, les requérants se réfèrent, en premier lieu, à l'arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, dans lequel la Cour a constaté, au point 19, ce qui suit:

«[...] pour apprécier si l'existence de plusieurs contrats de fourniture de bière entrave l'accès au marché [...], il faut ensuite examiner la nature et l'importance de l'ensemble de ces contrats. Cet ensemble comprend tous les contrats similaires qui lient à plusieurs producteurs nationaux un nombre important de points de vente [...] L'incidence de ces réseaux de contrats sur l'accès au marché dépend, notamment, du nombre des points de vente ainsi liés aux producteurs nationaux par rapport à celui des débits de boissons qui ne le sont pas, de la durée des engagements souscrits, des quantités de bière sur lesquelles ces engagements portent, ainsi que de la proportion entre ces quantités et celles qui sont écoulées par les distributeurs non liés.»

100.
    Ils affirment, en deuxième lieu, que la Commission a admis, dans la communication relative aux règlements, le principe selon lequel la contribution d'un grossiste à la fermeture du marché peut être appréciée par référence à la situation du brasseur-fournisseur avec lequel un accord de fourniture de bière a été conclu. Ce principe justifierait le fait que la contribution d'un grossiste à la fermeture du marché et celle d'un seul brasseur peuvent être appréciées ensemble, sous la forme d'un agrégat, même si le brasseur n'est pas le fournisseur exclusif.

101.
    Ils se réfèrent, en troisième lieu, à une interprétation de la position de la Commission sur cette question à laquelle s'est livrée M. Dirk Van Erps, fonctionnaire de la Commission à la direction générale de la concurrence, dans une conférence donnée à Londres en juin 1997, intitulée «L'application du droit communautaire de la concurrence aux contrats concernant les débits de boissonsau Royaume-Uni», et à un communiqué de presse de la Commission dans l'affaire Inntrepreneur. Ils en déduisent que la Commission n'avait pas, antérieurement à la décision attaquée, distingué les accords «en amont», liant un grossiste et ses fournisseurs, des accords «en aval», liant un grossiste et ses débitants.

102.
    La Commission soutient, à titre principal, que les accords «en amont» sont sans intérêt pour l'appréciation des accords «en aval».

103.
    Elle ajoute, à titre subsidiaire, que, en tout état de cause, les accords «en amont» atténuent la contribution de Greene King à l'effet de fermeture. En effet, à la différence de la situation décrite dans le communiqué de presse relatif à l'affaire Inntrepreneur, les débitants de Greene King auraient un choix plus vaste de marques et il existerait donc une concurrence intermarques entre les débits de boissons liés à Greene King. Dans la mesure où Greene King agit en tant que chaîne de débits de boissons/grossiste, elle contribuerait à l'ouverture du marché de la bière à consommer sur place du Royaume-Uni.

Appréciation du Tribunal

104.
    L'argumentation des requérants a pour objet de rattacher, aux fins de l'analyse de l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 1, du traité, le réseau d'accords de Greene King, qui, selon les constatations de la Commission, ne contribue pas en lui-même de manière significative à la fermeture du marché, aux réseaux d'accords des brasseurs nationaux, qui, eux, contribuent de manière significative à cette fermeture.

105.
    Comme la Commission l'a exposé à juste titre au paragraphe 105 de la décision attaquée et aux considérants 57 et 58 de la décision Inntrepreneur, à laquelle les parties se sont référées au cours de la procédure orale, un tel rattachement suppose que deux conditions soient respectées.

106.
    D'abord, les accords de fourniture de bière conclus entre le brasseur-grossiste, en l'occurrence Greene King, et les brasseurs-fournisseurs, à savoir les brasseurs nationaux, donc les accords «en amont», peuvent être considérés comme faisant partie des réseaux d'accords des brasseurs-fournisseurs s'ils contiennent une disposition pouvant s'analyser en une obligation d'achat (engagements d'achat de quantités minimales, obligations de stockage ou obligations de non-concurrence). Il s'ensuit qu'un contrat de fourniture qui ne contient aucune obligation d'achat, sous quelque forme que ce soit, ne fait pas partie du réseau d'accords d'un brasseur-fournisseur même s'il porte sur une fraction importante de la bière vendue par les établissements liés au brasseur-grossiste.

107.
    Ensuite, pour que non seulement les accords «en amont», mais aussi les accords passés entre le brasseur-grossiste et les établissements qui lui sont liés, donc les accords «en aval», puissent être rattachés aux réseaux d'accords des brasseurs-fournisseurs, il est également nécessaire que les accords entre les brasseurs-fournisseurs et le brasseur-grossiste soient à ce point contraignants que l'accès au réseau d'accords «en aval» du brasseur-grossiste ne soit plus possible, ou à tout le moins soit rendu très difficile, pour d'autres brasseurs, du Royaume-Uni ou non.

108.
    En effet, si l'effet contraignant des accords «en amont» est limité, d'autres brasseurs ont la possibilité de conclure des contrats de fourniture avec le brasseur-grossiste et d'accéder ainsi au réseau d'accords «en aval» de ce dernier. Ils seraient ainsi en mesure d'avoir accès à tous les établissements faisant partie dudit réseau sans qu'il soit nécessaire de conclure des accords séparés avec chaque point de vente. L'existence d'un réseau d'accords «en aval» constitue donc un élément qui peut favoriser la pénétration du marché par d'autres brasseurs.

109.
    C'est donc à juste titre que la Commission a considéré que l'appréciation des accords de fourniture entre les brasseurs-grossistes et les débitants doit, en principe, et sous réserve de ce qui vient d'être précisé ci-dessus aux points 106 à 108, être distinguée de celle des accords de fourniture entre les brasseurs-fournisseurs et les brasseurs-grossistes.

110.
    Il résulte de la décision attaquée (paragraphe 32) que Greene King a conclu des contrats de fourniture avec tous les brasseurs nationaux et avec plusieurs brasseurs régionaux. Parmi ces contrats, quatre seulement comportent une disposition pouvant s'analyser en une obligation d'achat. Un de ces contrats, conclu pour une durée de cinq ans, contient un engagement d'achat de quantités minimales, qui porte sur moins de 20 % de la quantité de bière vendue en gros par Greene King. Les trois autres contrats contiennent des obligations de stockage.

111.
    Parmi l'ensemble des contrats de fourniture conclus par Greene King, ceux qui ne contiennent aucune d'obligation d'achat, sous quelque forme que ce soit, et qui, partant, ne peuvent pas être considérés comme faisant partie des réseaux d'accords des brasseurs-fournisseurs, n'entrent donc pas en ligne de compte dans la discussion sur le rattachement du réseau d'accords de Greene King à ceux des brasseurs nationaux.

112.
    Les autres contrats, à savoir les quatre comportant une disposition pouvant s'analyser en une obligation d'achat, doivent, en revanche, être pris en considération. Le rattachement susvisé suppose toutefois, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus au point 107, que les accords entre les brasseurs-fournisseurs et Greene King soient à ce point contraignants que l'accès au réseau d'accords «en aval» de cette dernière ne soit plus possible, ou à tout le moins soit rendu très difficile, pour d'autres brasseurs, du Royaume-Uni ou non.

113.
    Il convient d'observer, à cet égard, que l'obligation d'achat la plus contraignante a pour conséquence que Greene King doit acheter au brasseur-fournisseur concerné une quantité de bière minimale inférieure à 20 % de la quantité de bière qu'elle vend en gros, de sorte qu'au moins 80 % de ladite bière peut donc provenird'autres brasseurs-fournisseurs. Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que les obligations d'achat caractérisant les quatre contrats mentionnés ci-dessus sont si peu contraignantes que l'accès au réseau d'accords «en aval» de Greene King n'est pas sérieusement mis en cause pour d'autres brasseurs, et ce même en tenant compte de l'effet cumulatif produit par ces contrats.

114.
    C'est donc à juste titre que la Commission a conclu dans la décision attaquée (paragraphe 106) que le réseau d'accords «en aval» de Greene King ne peut pas être rattaché aux brasseurs-fournisseurs qui ont passé avec cette dernière des contrats de fourniture de bière.

115.
    À cet égard, les quatre arguments avancés par les requérants à l'appui de leur thèse doivent être rejetés.

116.
    En premier lieu, ils se réfèrent au point 19 de l'arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, duquel il résulte, notamment, que, pour apprécier si l'existence de plusieurs contrats de fourniture de bière entrave l'accès au marché, il faut examiner la nature et l'importance de l'ensemble de ces contrats, cet ensemble comprenant tous les contrats similaires qui lient à plusieurs producteurs nationaux un nombre important de points de vente.

117.
    Il y a lieu de constater que ce point de l'arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, décrit les éléments à prendre en considération afin de vérifier le respect du premier critère élaboré par la Cour en vue d'apprécier la conformité d'un contrat de fourniture de bière à l'article 85, paragraphe 1, du traité, et dont l'objet est de vérifier si le marché en cause est difficilement accessible. Or, le caractère fermé du marché a bien été constaté dans la décision attaquée (paragraphe 95) et n'a pas fait l'objet de discussions entre les parties. La question qui est au centre des débats est celle du respect du second critère défini par la Cour dans l'arrêt Delimitis, qui consiste, en l'espèce, à apprécier dans quelle mesure les contrats conclus par Greene King contribuent de manière significative à cette fermeture du marché. Il s'ensuit que le passage cité par les requérants est dépourvu de pertinence dans le cas présent.

118.
    En deuxième lieu, les requérants se réfèrent à la communication relative aux règlements, en ce que celle-ci prévoit:

«[...] En ce qui concerne les accords de fourniture exclusive de bière au sens de l'article 6 et de l'article 8, paragraphe 2, du règlement CEE n° 1984/83 qui sont passés par des grossistes, les principes mentionnés ci-dessus sont applicables mutatis mutandis compte tenu de la position de la brasserie dont la bière fait le principal objet de l'accord en question.» (Paragraphe 40, cinquième alinéa.)

119.
    Les requérants en déduisent que la contribution d'un grossiste à la fermeture du marché peut être appréciée avec celle du brasseur qui l'approvisionne.

120.
    Abstraction faite de la question de la pertinence de la communication relative aux règlements dans le cas présent, laquelle ne peut pas préjuger la position de la juridiction communautaire (paragraphe 3 de ladite communication), il y a lieu d'observer que ce passage n'a pas le sens que les requérants entendent lui donner. L'objectif visé est de permettre aux grossistes de bénéficier de la communication comme s'ils étaient des brasseurs, donc de se prévaloir de seuils au-dessous desquels l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité est exclue automatiquement. Le passage concerné n'évoque, en aucune façon, la possibilité d'une appréciation commune du réseau d'accords du grossiste et de celui du brasseur en vue de déterminer la réalité de la contribution significative du premier à la fermeture du marché.

121.
    De plus, comme la Commission le relève à juste titre, l'application, en l'espèce, de la communication relative aux règlements à la situation de Greene King, considérée comme un grossiste, conduirait, en vue d'apprécier la position de ce dernier, à tenir compte de la position de la brasserie dont la bière est le principal objet de l'accord en question, en l'occurrence les contrats types de Greene King. Or, la brasserie dont la bière est le principal objet de ces contrats types est incontestablement Greene King elle-même, qui cumulerait ainsi les qualités de grossiste et de brasseur au sens du paragraphe 40 de ladite communication. Cette circonstance démontre que le texte en cause ne peut donc pas s'appliquer en l'espèce.

122.
    En troisième lieu, les requérants se réfèrent à deux prises de position de la Commission desquelles ils entendent déduire que cette dernière n'a pas, antérieurement à la décision attaquée, effectué de différenciation entre les accords «en amont» et les accords «en aval».

123.
    À cet égard, ils font référence, d'une part, à la conférence précitée et plus particulièrement au passage suivant:

«[...] la position actuelle de la Commission sur cette question, c'est que le point essentiel est une fois de plus de savoir si [les contrats de fourniture entre sociétés propriétaires de débits de boissons et brasseurs] contribuent de manière sensible à fermer le marché. En dehors du nombre de débits de boissons, les éléments à prendre en compte sont la durée et le nombre des accords conclus [par les sociétés propriétaires de débits de boissons] avec les brasseurs du Royaume-Uni. En d'autres termes, plus le nombre des contrats est grand, et plus leur durée est brève, plus il est facile aux brasseurs britanniques et étrangers de passer des accords de fourniture avec ces sociétés propriétaires de débits de boissons (ce qui leur donne un accès immédiat à tous les débits de boissons gérés par la société) et donc plus limitée est leur contribution à la fermeture.»

124.
    Ils se réfèrent, d'autre part, à un communiqué de presse de la Commission relatif à l'affaire Inntrepreneur, selon lequel «la Commission considère que l'article 85, paragraphe 1, [du traité] s'applique aux baux de chacun des grands brasseurs [du Royaume-Uni] ainsi qu'aux sociétés propriétaires de pubs liées à un tel brasseur».

125.
    Il convient de rappeler d'abord que c'est à juste titre que la Commission a, dans la décision attaquée, distingué les accords «en amont» de ceux «en aval».

126.
    Le bien-fondé de cette distinction ne saurait, en tout état de cause, être mis en cause par d'éventuelles prises de position contraires antérieures de la Commission.

127.
    À cet égard, les documents cités par les requérants ne constituent manifestement pas des indices concluants de l'existence de telles prises de position.

128.
    Premièrement, en ce qui concerne la conférence de M. Van Erps, il y a lieu d'observer que le passage cité n'est pas en contradiction avec la décision attaquée. Il résulte de ce passage que les accords conclus «en amont» par les chaînes de débits de boissons peuvent être un facteur obligeant de conclure que le réseau d'accords «en aval» de ces compagnies contribue d'une manière significative à la fermeture du marché et que la question essentielle est de savoir dans quelle mesure ces accords conclus «en amont» empêchent d'autres brasseurs de conclure à leur tour des contrats de fourniture avec la chaîne de débits de boissons. Or, il a été exposé ci-dessus au point 107 que si ces accords «en amont» sont très contraignants au point de rendre impossible, ou à tout le moins très difficile, l'accès pour d'autres brasseurs au réseau d'accords «en aval» du brasseur-grossiste, alors ce réseau doit être rattaché au réseau d'accords du brasseur-fournisseur, qui par hypothèse contribue de manière significative à la fermeture du marché. À cette condition, le réseau d'accords «en aval» suit le sort du réseau d'accords «en amont» et, par l'effet de ce rattachement, est donc également considéré comme contribuant de manière significative à la fermeture du marché. Toutefois, ainsi qu'il a été constaté aux points 105 à 115 ci-dessus, cette condition n'est pas satisfaite en l'espèce.

129.
    Par ailleurs, le passage cité par les requérants se rapporte non aux brasseries régionales, comme Greene King, mais aux chaînes de débits de boissons. Or, il a été fait référence dans la conférence en cause aux brasseries régionales avec le constat que «le principe général en politique de concurrence est que les baux types des brasseries britanniques de petite taille et régionales échappent au champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, [du traité]».

130.
    Deuxièmement, en ce qui concerne le communiqué de presse de la Commission relatif à l'affaire Inntrepreneur, il y a lieu de préciser que cette chaîne de débits de boissons était liée à l'époque du communiqué, à une brasserie nationale, Scottish & Newcastle, l'accord conclu entre les deux sociétés comportant l'obligation pour ladite chaîne d'acheter la totalité de la bière nécessaire à son réseau auprès de cette brasserie nationale. La situation d'Inntrepreneur correspondait donc à l'hypothèse décrite ci-dessus aux points 106 à 108 dans laquelle le réseau d'accords «en aval» peut être rattaché au réseau d'accords «en amont» lié au brasseur-fournisseur. Cette situation n'est toutefois pas celle de Greene King, qui, ainsi qu'ila été constaté ci-dessus aux points 110 à 114, n'est pas liée à une brasserie nationale par un accord aussi contraignant.

131.
    Il résulte de ce qui précède que le moyen n'est pas fondé.

b) Sur le défaut de motivation

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

132.
    Les requérants reprochent à la Commission de ne pas avoir suffisamment précisé la teneur des accords de fourniture conclus entre Greene King et des brasseurs nationaux et, en particulier, leur durée et les quantités réelles de bière achetées en vertu de ces contrats. Il ne leur aurait, dès lors, pas été possible de déterminer s'il existe des motifs suffisants pour contester l'appréciation opérée par la Commission quant à la question de savoir si Greene King contribue d'une manière significative à la fermeture du marché.

133.
    La Commission considère que la décision attaquée est suffisamment motivée. Elle estime, en particulier, qu'elle n'était pas tenue de préciser les quantités de bière achetées par Greene King aux brasseries nationales. En effet, même si ladite décision évoquait les accords «en amont», le seul élément à prendre en considération afin d'évaluer leur effet restrictif serait la quantité de bière qui devait être achetée conformément aux obligations d'achat figurant dans ces accords et non celle effectivement achetée.

Appréciation du Tribunal

134.
    Afin d'apprécier si le réseau d'accords «en aval» de Greene King doit être rattaché aux réseaux d'accords «en amont» liés aux brasseurs-fournisseurs approvisionnant la brasserie précitée, il n'y a lieu, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus aux points 106 à 108, de ne tenir compte que des contrats de fourniture qui comportent une obligation d'achat si contraignante que l'accès au réseau d'accords «en aval» de Greene King n'est plus possible, ou est rendu très difficile pour d'autres brasseurs.

135.
    La Commission précise dans la décision attaquée (paragraphe 32) que Greene King a conclu des contrats de fourniture avec tous les brasseurs nationaux et avec plusieurs brasseurs régionaux, qu'un seul de ces contrats, d'une durée de cinq ans, contient une obligation d'achat de quantités minimales portant sur moins de 20 % de la quantité de bière vendue en gros par la brasserie précitée et qu'il existe trois autres accords contraignants prévoyant des obligations de stockage.

136.
    Elle apporte donc des informations sur les contrats de fourniture qui comportent une disposition pouvant s'analyser en une obligation d'achat, précise la nature et, du moins en ce qui concerne la plus contraignante d'entre elles, l'étendue exactede ces obligations d'achat et la durée de ces contrats. Elle fournit donc d'une façon suffisante les informations indispensables à l'appréciation de son raisonnement en l'espèce, permettant ainsi aux requérants de connaître les justifications de la décision attaquée et au juge d'exercer son contrôle conformément aux exigences de la jurisprudence rappelées au point 89 ci-dessus.

137.
    À cet égard, la Commission n'était pas tenue d'indiquer les quantités réelles de bière achetées aux brasseurs-fournisseurs. En effet, le rattachement du réseau d'accords «en aval» de Greene King aux réseaux d'accords «en amont» liés aux brasseurs-fournisseurs est conditionné par l'existence d'obligations d'achat très contraignantes à la charge de Greene King dans le cadre de ses relations contractuelles avec ses brasseurs-fournisseurs. La question pertinente est donc de savoir dans quelle mesure Greene King était tenue de s'approvisionner auprès de ses brasseurs-fournisseurs et non dans quelle mesure elle s'est effectivement approvisionnée auprès de ceux-ci. La raison en est que l'accès au réseau d'accords «en aval» de Greene King par d'autres brasseurs n'est influencé, du point de vue du droit communautaire de la concurrence, que par l'existence et l'étendue d'obligations d'achat pesant sur Greene King dans le cadre d'accords passés avec certains brasseurs-fournisseurs et l'empêchant, dans la mesure de ces obligations, de s'approvisionner auprès de tiers. En revanche, cet accès n'est pas influencé par la circonstance que Greene King s'approvisionne auprès d'un tel fournisseur sans être contrainte de le faire en vertu d'une obligation d'achat de nature contractuelle. En l'absence d'obligation d'achat, elle est en effet libre de s'adresser à tout fournisseur de son choix puis de s'approvisionner ultérieurement auprès d'autres brasseurs. Il s'ensuit que l'indication des quantités réelles de bière acquise par Greene King auprès de brasseurs-fournisseurs n'était pas pertinente en l'espèce.

138.
    Le moyen n'est donc pas fondé.

II - Sur l'existence d'une entente sur les prix entre les brasseries du Royaume-Uni

139.
    Dans la décision attaquée, la Commission a observé que les requérants avaient dans leurs commentaires sur la lettre au titre de l'article 6 suspecté les brasseurs du Royaume-Uni d'avoir opéré une entente sur les prix ayant pour objet d'exclure d'autres brasseurs de l'accès au marché. À titre d'éléments de preuve, les requérants avaient allégué, en premier lieu, qu'aucun des brasseurs régionaux et nationaux n'achetait une part substantielle de sa bière à des brasseurs autres que régionaux et nationaux, en deuxième lieu, que des augmentations de prix étaient survenues en même temps dans toute l'industrie concernée, en troisième lieu, que les brasseurs et grossistes de petite envergure ou régionaux ne répercutaient pas les remises de prix aux débitants liés et, en quatrième lieu, que le prix réel de la bière avait augmenté nonobstant une réduction de la demande.

140.
    Après avoir examiné chacune des allégations des requérants, la Commission a conclu, dans le cadre d'une première réaction, que ces dernières ne constituaientpas des indices établissant l'existence d'une entente entre Greene King et tout autre brasseur actif sur le marché du Royaume-Uni de la vente de bière à consommer sur place.

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

141.
    Au stade de la requête, les requérants ont fait valoir qu'ils se sont «plaints» de l'existence d'une entente horizontale entre brasseurs du Royaume-Uni qui viserait à obtenir la maîtrise du prix de gros de la bière fournie aux débits de boissons. Ils reprochent à la Commission d'avoir classé cette plainte, présentant pourtant un intérêt communautaire, sans avoir procédé préalablement à une enquête. Ce faisant, elle n'aurait pas cherché à mettre en balance ou correctement mis en balance l'importance de l'infraction alléguée pour le fonctionnement du marché commun, la probabilité de pouvoir établir son existence et l'étendue des mesures d'investigation nécessaires, ce qu'il lui appartient de faire en vue de remplir, dans les meilleures conditions, sa mission de surveillance du respect des articles 85 du traité et 86 du traité CE (devenu article 82 CE).

142.
    Au stade de la réplique, ils ont admis avoir formulé le grief en cause pour la première fois, non au stade de la plainte, mais dans le cadre de leurs observations sur la lettre de la Commission au titre de l'article 6. Ils considèrent que ce grief constitue un élément pertinent dans le cadre de leur plainte visant à établir que Greene King contribue de façon significative à la fermeture du marché des débits de boissons au Royaume-Uni, compte tenu de sa position sur le marché, du nombre des établissements qui lui sont liés et de ses accords avec les brasseurs nationaux.

143.
    La Commission fait observer que l'allégation d'entente horizontale entre les brasseurs n'apparaît pas dans la plainte, mais, pour la première fois, dans les réponses des requérants à la lettre de la Commission au titre de l'article 6. Elle estime que, à supposer que cette allégation puisse être considérée comme constituant également une plainte, ce qu'elle conteste, la réponse fournie à ce sujet dans la décision attaquée ne constituerait qu'une première réaction dépourvue de caractère décisionnel, donc non susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation.

Appréciation du Tribunal

144.
    Il y a lieu de constater, en premier lieu, que le grief allégué par les requérants, tenant à l'existence d'une entente horizontale sur les prix entre brasseurs nationaux, régionaux, dont Greene King, et sociétés propriétaires de débits de boissons, qui a été formulé pour la première fois au cours de la procédure administrative, n'était pas pertinent dans le cadre de l'instruction de la plainte, qui avait pour objet de déterminer si le réseau d'accords de Greene King contribuait de manière significative à la fermeture du marché et relevait donc de l'article 85, paragraphe1, du traité, et ce au regard des critères élaborés par la Cour dans l'arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus.

145.
    En effet, ce grief a été formulé dans le cadre d'une plainte relative à l'appréciation, suivant les critères élaborés dans l'arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, de l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 1, du traité à des contrats de fourniture de bière, donc des contrats qui n'ont pas pour objet de restreindre la concurrence au sens de cet article, mais qui pourraient, tout au plus, avoir pour effet de l'empêcher, de la restreindre ou d'en fausser le jeu (arrêt Delimitis, cité au point 16 ci-dessus, point 13). Or, le grief précité a pour objet de dénoncer une entente sur les prix, c'est-à-dire un accord qui a pour objet de restreindre la concurrence. Il se réfère donc à une infraction au droit de la concurrence non seulement beaucoup plus grave que celle qui constitue l'objet de la plainte, mais aussi totalement distincte de celle-ci. Le grief en cause est donc, de par sa nature différente, étranger au cadre tracé par la plainte.

146.
    Il s'ensuit que ce grief pourrait, tout au plus, être considéré comme une plainte nouvelle, différente de celle ayant donné lieu à la procédure administrative dans le cadre de laquelle il a été soulevé. À supposer qu'il puisse être qualifié de plainte, les observations formulées par la Commission dans la décision attaquée, selon lesquelles les requérants n'ont pas fourni, en l'état, d'éléments établissant l'existence d'une entente, peuvent, en raison de leur caractère provisoire, tout au plus être considérées comme une première réaction des services de la Commission, relevant de la première des trois phases du déroulement de la procédure régie par l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 et par l'article 6 du règlement n° 99/63, à savoir celle qui suit le dépôt de la plainte et qui précède celle de la communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99/63 et celle de la décision finale (arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T-64/89, Rec. p. II-367, points 45 à 47). Or, ces observations préliminaires relevant de la première phase de la procédure, elles ne sauraient être qualifiées d'actes attaquables (arrêt Automec/Commission, précité, point 45).

147.
    Le moyen doit donc être rejeté.

Sur les dépens

148.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

149.
    Les requérants ayant succombé, et la Commission ayant conclu à leur condamnation aux dépens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    Les requérants sont condamnés aux dépens.

Azizi
Lenaerts
Jaeger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 juillet 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Azizi


1: Langue de procédure: l'anglais.