Language of document : ECLI:EU:C:2019:678

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 5 septembre 2019 (1)

Affaire C228/18

Gazdasági Versenyhivatal

contre

Budapest Bank Nyrt.,

ING Bank NV Magyarországi Fióktelepe,

OTP Bank Nyrt.,

Kereskedelmi és Hitelbank Zrt.,

Magyar Külkereskedelmi Bank Zrt.,

Erste Bank Hungary Zrt.,

Visa Europe Ltd,

MasterCard Europe SA

[demande de décision préjudicielle formée par la Kúria (Cour suprême, Hongrie)]

« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Article 101, paragraphe 1, TFUE – Accords, décisions et pratiques concertées – Restriction de concurrence “par objet” ou “par effet” – Système de paiement par carte en Hongrie – Accord sur les commissions d’interchange – Participation »






I.      Introduction

1.        Depuis les origines du droit de la concurrence de l’Union, la dichotomie entre restriction de concurrence « par objet » et restriction de concurrence « par effet » a fait couler beaucoup d’encre (2). Il peut dès lors paraître surprenant qu’une telle distinction, qui procède de la formulation même de l’interdiction énoncée à (ce qui est désormais) l’article 101 TFUE, nécessite encore une interprétation de la part de la Cour.

2.        Cette distinction est relativement facile en théorie. Sa mise en œuvre en pratique s’avère néanmoins un peu plus complexe. Il convient en outre de reconnaître que la jurisprudence des juridictions de l’Union en la matière n’a pas toujours été d’une limpidité exemplaire. En effet, un certain nombre de décisions rendues par les juridictions de l’Union ont été critiquées par la doctrine pour avoir estompé la distinction entre ces deux notions (3).

3.        Dans la présente affaire, la Kúria (Cour suprême, Hongrie) invite la Cour à clarifier une dichotomie qui se trouve au cœur même de l’article 101 TFUE, ce qui fournit l’occasion à la Cour de développer davantage encore sa jurisprudence la plus récente en la matière, notamment les arrêts CB/Commission (4) et Maxima Latvija (5).

II.    Le droit hongrois

4.        L’article 11, paragraphe 1, de la tisztességtelen piaci magatartás és a versenykorlátozás tilalmáról szóló 1996. évi LVII. törvény (loi no LVII de 1996 portant interdiction des pratiques commerciales déloyales ou restrictives de la concurrence, ci‑après la « loi sur les pratiques commerciales déloyales ») dispose :

« Tous accords entre entreprises, toutes pratiques concertées et toutes décisions (ci‑après, ensemble, les “accords”) d’associations d’entreprises, d’organismes de droit public, d’associations et d’autres entités similaires (ci‑après, ensemble, les “associations d’entreprises”) qui ont pour objet ou qui ont ou sont susceptibles d’avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Ne relèvent pas de cette définition les accords conclus entre des entreprises qui ne sont pas indépendantes les unes des autres ».

III. Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

5.        Les opérations effectuées par carte de crédit telles que celles qui sont en cause dans le litige au principal, impliquent généralement quatre acteurs principaux : le détenteur de la carte, l’établissement financier qui a émis la carte de crédit (ci‑après la « banque émettrice »), le commerçant et l’établissement financier fournissant audit commerçant des services lui permettant d’accepter la carte en tant que moyen de régler l’opération de paiement concernée (ci‑après la « banque acquéreuse »).

6.        Selon la juridiction de renvoi, au début des années 90, le système de paiement par carte de crédit en Hongrie se trouvait encore à un stade embryonnaire. Au milieu des années 90, les entreprises de cartes de crédit Visa Europe Ltd et MasterCard Europe SA (ci‑après, respectivement, « Visa » et « MasterCard » et, ensemble, les « entreprises de cartes de crédit »), ont, en vertu de leurs règlements internes, permis que les banques émettrices et les banques acquéreuses déterminent en commun le montant des commissions d’interchange (ci‑après, également, la « CI »). La CI est le montant payé par les banques acquéreuses aux banques émettrices lorsqu’une opération de paiement par carte de crédit est effectuée.

7.        Entre 1991 et 1994, à l’époque où seules quelques banques participaient aux systèmes de paiement par carte de crédit en Hongrie, le montant des CI était fixé bilatéralement par les banques. Toutefois, en 1994, Visa a invité les banques participant à son système en Hongrie à créer un forum national dont l’une des missions devait être de mettre sur pied une politique locale des barèmes des CI. Au cours des années 1995 et 1996, les banques présentes dans le secteur des services de paiement par cartes de crédit ont institué une coopération multilatérale (ci‑après le « forum »), dans le cadre de laquelle ont été discutées des questions spécifiques touchant audit secteur et requérant une coopération.

8.        Dans le cadre du forum, sept banques, dont la plupart avaient adhéré aux systèmes institués par les deux entreprises de cartes de crédit, ont conclu, le 24 avril 1996, un accord relatif au niveau minimal de la commission de service à acquitter par les commerçants (ci‑après également, respectivement, l’« accord CSC » et la « CSC »). La CSC est celle que la banque acquéreuse facture aux commerçants qui acceptent les paiements par carte de crédit. Néanmoins, l’accord CSC n’est finalement jamais entré en vigueur.

9.        Le 28 août 1996, le même groupe de banques a conclu un accord, entré en vigueur le 1er octobre 1996, par lequel elles ont introduit une commission multilatérale d’interchange (ci‑après la « CMI ») uniformisée applicable aux deux entreprises de cartes de crédit (ci‑après l’« accord CMI »). Les entreprises de cartes de crédit n’étaient pas présentes à la réunion au cours de laquelle l’accord CMI a été conclu, mais chacune d’elles a reçu une copie de l’accord qui leur a été transmise par Kereskedelmi és Hitelbank Zrt., qui agissait en qualité d’interlocuteur. Puis, d’autres banques ont adhéré à l’accord CMI et se sont jointes au forum.

10.      Le 31 janvier 2008, le Gazdasági Versenyhivatal (autorité de la concurrence, Hongrie, ci‑après le « GVH ») a ouvert une enquête sur l’accord CMI. L’accord CMI est demeuré en vigueur jusqu’au 30 juillet 2008.

11.      Dans une décision rendue le 24 septembre 2009 (ci‑après la « décision attaquée »), le GVH a constaté que, en mettant en place une CMI et en en concevant la structure uniforme, ainsi qu’en prévoyant un cadre pour l’accord CMI dans leurs règlements internes et en faisant la promotion, les 22 banques parties à l’accord CMI et les deux entreprises de cartes de crédit avaient conclu des accords anticoncurrentiels contraires à l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur les pratiques déloyales et, après le 1er mai 2004, à l’article 81, paragraphe 1, CE (devenu l’article 101, paragraphe 1, TFUE). Le GVH a infligé aux sept banques qui avaient initialement conclu l’accord CMI et aux deux entreprises de cartes de crédit des amendes de montants variables, s’élevant au total à 1 922 000 000 forints hongrois (HUF).

12.      Dans la décision attaquée, le GVH a considéré que l’accord CMI constituait une restriction de concurrence selon son objet. Le GVH a également qualifié ledit accord de restriction de concurrence selon ses effets.

13.      Les entreprises de cartes de crédit et six des banques condamnées à une amende (ci‑après les « requérantes au principal ») ont saisi le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale, Hongrie) d’un recours contre cette décision. Cette juridiction a rejeté le recours.

14.      Les requérantes au principal, à l’exception de MasterCard, ont interjeté appel contre ce jugement devant la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest‑Capitale, Hongrie), qui a partiellement annulé la décision attaquée et renvoyé l’affaire au GVH afin que celui‑ci mène une nouvelle procédure d’enquête. Cette juridiction a estimé que le comportement incriminé ne pouvait constituer à la fois une restriction par objet et une restriction par effet. Elle a en outre considéré que l’accord litigieux n’avait pas pour objet la restriction de la concurrence.

15.      Le GVH s’est quant à lui pourvu en cassation devant la Kúria (Cour suprême). Cette juridiction, nourrissant des doutes quant à l’interprétation correcte de l’article 101 TFUE, a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 81, paragraphe 1, CE (devenu article 101, paragraphe 1, TFUE) peut-il être interprété en ce sens qu’un même comportement est susceptible d’être qualifié d’infraction à cette disposition par son objet anticoncurrentiel et par ses effets anticoncurrentiels simultanément, quoique sur des fondements différents ?

2)      L’article 81, paragraphe 1, CE (devenu article 101, paragraphe 1, TFUE) peut-il être interprété en ce sens que l’accord conclu entre des banques membres hongroises, en cause au principal, constitue une restriction de la concurrence par son objet dans la mesure où il fixe à un montant uniforme pour les deux entreprises de cartes de crédit Visa et MasterCard la commission d’interchange revenant aux banques émettrices en contrepartie de l’utilisation des cartes desdites entreprises ?

3)      L’article 81, paragraphe 1, CE (devenu article 101, paragraphe 1, TFUE) peut-il être interprété en ce sens que sont également considérées comme parties à l’accord interbancaire les entreprises de cartes de crédit, lesquelles n’ont pas participé directement à la détermination du contenu de l’accord mais ont permis la conclusion de cet accord, et l’ont également accepté et appliqué, ou faut-il conclure à l’existence d’une pratique concertée entre elles et les banques ayant conclu l’accord ?

4)      L’article 81, paragraphe 1, CE (devenu article 101, paragraphe 1, TFUE) peut-il être interprété en ce sens que, pour constater une infraction au droit de la concurrence, il n’est pas nécessaire de faire une distinction entre le point de savoir si l’affaire, vu son objet, concerne une participation en tant que partie à l’accord interbancaire ou une pratique concertée avec les banques qui sont parties à l’accord ? »

16.      Des observations écrites ont été déposées par huit des requérantes au principal (Budapest Bank Nyrt., ING Bank NV Magyarországi Fióktelepe, OTP Bank Nyrt., Kereskedelmi és Hitelbank Zrt., Magyar Külkereskedelmi Bank Zrt., Erste Bank Hungary Zrt., Visa et MasterCard), le GVH, le gouvernement hongrois, l’Autorité de surveillance de l’Association européenne de libre-échange (AELE), ainsi que par la Commission européenne. Ces mêmes parties, à l’exception de Kereskedelmi és Hitelbank Zrt., ont également présenté des observations orales lors de l’audience du 27 juin 2019.

IV.    Appréciation

17.      J’estime qu’il est relativement aisé de répondre aux première, troisième et quatrième questions de la juridiction de renvoi. Je commencerai par répondre succinctement à la première question, en rappelant qu’un même comportement peut effectivement être qualifié de restriction de concurrence à la fois par son objet et par ses effets, à condition que les preuves produites soient suffisantes (partie A). Je me pencherai ensuite sur la question que je considère comme étant au cœur de la présente affaire : dans quelles conditions un accord tel que l’accord CMI peut-il être considéré comme constituant une restriction selon son objet (partie B) ? Je terminerai par les troisième et quatrième questions, qui sont liées entre elles, en abordant en premier lieu la question de la portée de l’obligation qui incombe à l’autorité de concurrence de constater si le comportement incriminé constitue un accord ou une pratique concertée (partie C), pour ensuite conclure avec la question de savoir si les entreprises de cartes de crédit ont été parties à un accord ou à une pratique concertée dans le cadre de la présente affaire (partie D).

A.      Première question

18.      Par sa première question, la juridiction de renvoi pose à la Cour la question de savoir si un même comportement d’une entreprise peut constituer une restriction de concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE à la fois par son objet et par ses effets.

19.      Il ne fait aucun doute qu’il convient de répondre à cette question par l’affirmative. Une telle réponse résulte non seulement de l’économie et du contexte de cette disposition, mais également d’une jurisprudence désormais bien établie de la Cour.

20.      La juridiction de renvoi nourrit des doutes quant au sens exact des termes « pour objet ou pour effet ». Plus précisément, la juridiction de renvoi se demande si le caractère alternatif de ces conditions signifie qu’un accord déterminé ne peut être considéré comme ayant simultanément pour objet et pour effet de restreindre la concurrence. Dans la décision attaquée, le GVH avait en effet estimé que l’accord CMI constituait une restriction de concurrence à la fois par son objet et par ses effets.

21.      Du point de vue de la logique (formelle), la conjonction « ou » indique habituellement une disjonction (inclusive). Une affirmation contenant deux propositions liées par la conjonction « ou » ne sera vraie que si l’une ou l’autre ou les deux propositions la composant sont vraies. Par conséquent, il peut y avoir une restriction de concurrence uniquement par objet, uniquement par effet, ou à la fois par objet et par effet.

22.      Certes, la question de savoir si la logique est (ou devrait être) un instrument général d’interprétation du droit de l’Union ferait certainement l’objet d’un débat passionnant, mais, dans le cas d’espèce, l’interprétation de la conjonction « ou » en tant que disjonction inclusive dans l’expression « pour objet ou pour effet » est pleinement conforme au but et à la finalité de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

23.      L’article 101, paragraphe 1, TFUE est libellé en des termes très généraux. Il vise à inclure toute forme de collusion entre entreprises (« tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées »), peu importe l’objectif qu’elle poursuit et son objet (« qui ont pour objet ou pour effet »), susceptible d’avoir une incidence négative sur la concurrence au sein de l’Union (« d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur »). Dès lors, la portée de cette disposition s’étend à tous les types de comportement qui y sont énumérés, peu importe qu’ils se produisent séparément, ou, à plus forte raison, simultanément.

24.      En outre, les accords qui sont anticoncurrentiels par leur objet et ceux qui sont anticoncurrentiels en raison de leurs effets ne sont pas différents sur le plan ontologique. D’un point de vue substantiel, il n’y a aucune différence entre eux : l’un et l’autre restreignent la concurrence dans le marché intérieur et c’est la raison pour laquelle ils sont en principe interdits. La distinction entre ces deux notions repose davantage sur des considérations d’ordre procédural. Elle a pour but d’indiquer aux autorités de concurrence quel type d’analyse elles sont tenues d’effectuer aux fins de l’appréciation d’accords au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

25.      Cette interprétation a été mise en lumière par la Cour dès 1966 dans l’arrêt LTM, dans lequel elle a relevé que, eu égard à l’utilisation de la conjonction disjonctive « ou » dans le libellé de l’article 85, paragraphe 1, du traité CEE, l’autorité de concurrence devrait en premier lieu examiner un accord dans son objet. Au cas néanmoins où l’analyse de l’accord dans son objet « ne révélerait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait alors d’examiner les effets de l’accord » (6).

26.      Cet aspect a également été clairement mis en évidence dans certains arrêts plus récents de la Cour. Dans l’arrêt CB/Commission, la Cour a rappelé que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence. Dans ces cas, il serait « inutile, aux fins de l’application de l’[article 101, paragraphe 1, TFUE], de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché ». En effet, « l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs » (7). Des constatations similaires ont été également faites dans l’arrêt Maxima Latvija (8).

27.      Par conséquent, la dichotomie entre restriction par objet et restriction par effet est un instrument de nature largement procédurale destiné à guider l’autorité de concurrence quant à l’analyse qu’il lui incombe d’effectuer en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en fonction des circonstances propres à chaque affaire (9). Une autorité de concurrence n’est pas tenue d’effectuer une analyse complète des effets d’un accord, qui est souvent plus longue et exige davantage de ressources (10), pour constater et démontrer qu’un accord est anticoncurrentiel par son objet.

28.      Toutefois, dans la mesure où ces deux types d’accords ne sont pas intrinsèquement différents, l’autorité de concurrence pourrait parfaitement décider, dans tel ou tel cas, d’examiner un accord à la fois sous un angle et sous l’autre dans le cadre de la même décision et vérifier ainsi si les deux conditions sont remplies. Une telle pratique peut être justifiée, ainsi que le font valoir la Commission et l’Autorité de surveillance AELE, par souci d’efficacité procédurale : si le caractère anticoncurrentiel de l’objet d’un accord est contesté, il peut s’avérer « plus sûr » pour l’autorité de concurrence, en cas de contrôle juridictionnel ultérieur, de faire la démonstration qu’un accord est également anticoncurrentiel en raison de ses effets (11). En effet, la Cour a expressément admis qu’il est possible que des entreprises participent « à une concertation qui a pour objet et pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché intérieur, au sens de l’article 101 TFUE » (12).

29.      Cela étant, il y a lieu de souligner un point important : accepter la possibilité, sur le plan conceptuel, qu’un accord puisse constituer à la fois l’un et l’autre type de restriction de concurrence ne déleste assurément pas l’autorité de concurrence compétente de l’obligation qui lui incombe, premièrement, d’étayer sa constatation des deux types de restriction par les preuves nécessaires et, deuxièmement, d’apprécier et de classer les preuves collectées en fonction de leur qualification juridique appropriée.

30.      J’estime important de souligner cet aspect de manière suffisamment claire, non pas en raison du libellé de la présente demande de décision préjudicielle, mais plutôt en raison du raisonnement sur lequel elle repose. Il ne serait guère suffisant pour une autorité de concurrence, y compris à des fins de contrôle juridictionnel ultérieur, qu’elle se borne, dans sa décision, à collecter les preuves factuelles et, sans indiquer ce qu’elle en déduit à l’issue de leur appréciation juridique, à simplement suggérer qu’un comportement déterminé est susceptible de constituer l’une ou l’autre infraction, confiant ainsi le soin à la juridiction saisie d’un recours d’assembler les différents éléments factuels et de parvenir à une conclusion. En d’autres termes, le fait de disposer de différentes options juridiques n’autorise pas à demeurer approximatif, tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’infliger de lourdes sanctions administratives.

31.      J’aborde à présent, pour finir, trois autres arguments invoqués par la juridiction de renvoi dans la demande de décision préjudicielle qui l’ont menée à émettre des doutes quant à la question de savoir si une autorité peut constater un comportement contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE en s’appuyant sur ce double fondement.

32.      Premièrement, dans la mesure où il n’y a aucune différence entre une restriction par objet et une restriction par effet sur le plan conceptuel, il n’est pas étonnant qu’une autorité compétente puisse évoquer le même ensemble de faits et de considérations économiques pour constater le caractère anticoncurrentiel d’un accord en raison à la fois de son objet et de ses effets. Sous réserve que la qualification juridique soit claire, comme il est rappelé ci‑dessus, la différence dans l’analyse qui incombe à l’autorité dans l’une et l’autre situation touche davantage au degré et à l’ampleur de cette analyse qu’à la nature de celle‑ci. Ces deux types d’analyse ne sont en réalité rien de plus que des moyens différents pour l’autorité, à la lumière du savoir et de l’expérience qu’elle a acquis, de répondre à une seule et même question : celle de savoir si l’accord en cause est susceptible d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur.

33.      Deuxièmement, Il n’y a pas de corrélation automatique entre le fait de qualifier un accord de restrictif par son objet ou par ses effets et la détermination des sanctions susceptibles d’être infligées aux entreprises responsables. L’article 23, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1/2003 dispose que « [p]our déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle‑ci » (13). Certes, les accords dont il est constaté qu’ils restreignent le jeu de la concurrence par leur objet sont davantage susceptibles d’être considérés comme donnant lieu à des infractions graves au droit de la concurrence. Néanmoins, il ne s’agit là que de la conséquence inévitable du fait que la notion de restriction « par objet » ne désigne que certains types de coordination entre entreprises « révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence » (14). Plus important encore, il n’est nullement exclu, d’une part, que certaines restrictions par objet puissent être considérées, au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes, comme des infractions de gravité moindre et, d’autre part, que des restrictions par effet puissent être réputées constituer des infractions particulièrement graves au droit de la concurrence.

34.      Troisièmement, le fait de qualifier un accord de restrictif par objet ou par effet n’a pas non plus la moindre incidence sur la possibilité de bénéficier d’une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. Rien dans le libellé de cette disposition ne permet de penser que des exemptions ne peuvent être applicables qu’à des accords qualifiés de restrictifs de concurrence en raison de leurs effets. Il serait du reste difficile de concilier une telle position avec le fait que, comme expliqué au point 24 des présentes conclusions, il n’existe pas de différence entre les deux types d’accords sur le plan conceptuel.

35.      En effet, dans l’arrêt Matra Hachette/Commission, le Tribunal de l’Union européenne a estimé que toutes les formes de pratique anticoncurrentielle visées à l’article 101, paragraphe 1, TFUE peuvent être exemptées, dès lors que les conditions prévues à l’article 101, paragraphe 3, TFUE sont cumulativement satisfaites (15). Cette conclusion n’a pas été remise en question dans l’arrêt Beef Industry Development Society et Barry Brothers (16). Le point 21 de celui‑ci ne saurait être lu en ce sens que la distinction entre restriction par objet et restriction par effet est pertinente aux fins de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. Dans ce passage, la Cour entendait simplement relever que le fait que les entreprises parties à un accord aient agi sans aucune intention subjective de restreindre la concurrence n’exclut pas qu’un accord puisse être considéré comme étant anticoncurrentiel par nature. C’est pourquoi la Cour a précisé que, dès lors que le caractère restrictif de concurrence d’un accord est avéré, même s’il poursuit également d’autres objectifs (prétendument légitimes), ceux‑ci ne peuvent être pris en considération, le cas échéant, qu’aux fins d’obtenir une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.

36.      Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre à la première question en ce sens qu’un même comportement d’une entreprise est susceptible d’être qualifié d’infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE par son objet et par ses effets restrictifs de concurrence sur le marché intérieur simultanément.

B.      Deuxième question

37.      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi pose la question de savoir si l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’un accord tel que l’accord CMI constitue une restriction de la concurrence par son objet.

38.      Je ne pense pas que la Cour puisse répondre à la question de la manière dont elle est posée. Dans le cadre de la présente affaire, toute appréciation au fond doit nécessairement reposer sur les informations (relativement limitées) relatives à l’accord CMI et aux marchés concernés qui ont été communiquées dans la demande de décision préjudicielle ou qui peuvent être glanées parmi les observations des parties. Or, dans la plupart des cas, il n’est pas aisé d’analyser la nature anticoncurrentielle d’un accord (que ce soit par son objet ou par ses effets). Cela requiert une bonne compréhension de la relation contractuelle unissant les parties à l’accord et une connaissance approfondie du marché sur lequel l’accord a été mis en œuvre.

39.      Dans les affaires dans lesquelles la Cour est saisie par la voie d’une demande de décision préjudicielle, c’est la juridiction de renvoi qui, inévitablement, possède ces informations et est à même de mener une telle expertise. Par conséquent, au lieu de se hasarder à entreprendre le contrôle indirect d’une décision administrative (nationale), tâche qu’il n’appartient pas à la Cour d’accomplir (17), je ne peux que me limiter à proposer quelques indications et critères concernant la façon dont la juridiction de renvoi devrait effectuer un tel contrôle, en tenant compte des informations disponibles.

1.      Sur la notion de restrictions « par objet »

40.      Ainsi que la Cour l’a mis en évidence dans sa jurisprudence récente, la notion de restriction de concurrence « par objet » doit être interprétée de manière restrictive et ne peut être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (18). Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence, dans la mesure où elles produisent habituellement des résultats économiques inefficaces et réduisent le bien-être des consommateurs (19).

41.      Il résulte de la jurisprudence que, pour établir qu’un accord est anticoncurrentiel par objet, l’autorité de concurrence doit procéder à une analyse en deux temps.

42.      La première étape consiste pour l’autorité à se concentrer principalement sur le contenu des dispositions de l’accord et ses objectifs (20). Cette étape procédurale a essentiellement pour but de vérifier si l’accord incriminé relève d’une catégorie d’accords dont le caractère nocif est, au vu de l’expérience acquise, avéré et facilement décelable (21). À cet égard, l’expérience doit s’entendre de « ce qui ressort traditionnellement de l’analyse économique, telle qu’elle a été entérinée par les autorités chargées de la concurrence, confortée, le cas échéant, par la jurisprudence » (22).

43.      La seconde étape consiste pour l’autorité de concurrence à vérifier que la nature anticoncurrentielle présumée de l’accord, déterminée à l’issue d’une appréciation purement formelle de celui‑ci, n’est pas remise en question par des considérations liées au contexte économique et juridique dans lequel il a été mis en œuvre. Pour ce faire, il y a lieu de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (23). En outre, bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d’un accord entre entreprises, ce facteur peut être, le cas échéant, pris en considération (24).

44.      C’est la portée et l’ampleur de cette seconde étape procédurale qui apparaît peu claire à la juridiction de renvoi. Je conçois qu’elle nourrisse des doutes : une telle analyse n’est-elle pas, de fait, un examen des effets de l’accord incriminé ? Où la seconde étape de l’analyse de l’objet s’arrête-t-elle et où commence l’analyse des effets ? En particulier, une distinction peut-elle en effet être établie lorsque, dans le cadre d’une affaire, il apparaît que l’autorité de concurrence nationale a mené ces deux types d’analyse aux fins d’une seule et même décision ?

45.      Premièrement, pourquoi une (certaine) analyse du contexte juridique et économique serait-elle requise lorsqu’un accord semble comporter une restriction par son objet ? La raison en est que l’appréciation purement formelle d’un accord complètement détachée de la réalité pourrait donner lieu à la condamnation d’accords inoffensifs voire favorables à la concurrence. Il n’y aurait aucune justification d’ordre juridique ou économique pour interdire un accord qui, bien que répondant aux caractéristiques d’une catégorie d’accords considérés d’ordinaire comme anticoncurrentiels, n’est néanmoins, en raison de certaines circonstances, absolument pas de nature à produire le moindre effet nocif sur le marché, voire même est favorable à la concurrence (25).

46.      C’est pourquoi la jurisprudence de la Cour a toujours été cohérente à cet égard : l’appréciation d’une pratique au regard des règles de concurrence de l’Union ne saurait être effectuée de manière abstraite, mais exige un examen de cette pratique à la lumière des conditions juridiques et économiques sur les marchés concernés. L’importance de ce principe est confirmée par le fait que sa validité a été reconnue à l’égard aussi bien de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (26) que de l’article 102 TFUE (27). Le contexte économique et juridique ne peut être totalement ignoré, même lorsqu’il s’agit de formes de comportement telles que la fixation des prix, la répartition du marché ou l’interdiction d’exporter, qui sont généralement reconnues comme particulièrement nocives à l’égard de la concurrence (28).

47.      Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Toshiba Corporation/Commission, la Cour a estimé, s’agissant d’accords réputés anticoncurrentiels par leur objet, que « l’analyse du contexte économique et juridique dans lequel la pratique s’insère peut […] se limiter à ce qui s’avère strictement nécessaire en vue de conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet » (29). Que cela signifie-t-il en pratique ?

48.      À mon sens, cela signifie que, en appliquant l’article 101, paragraphe 1, TFUE, l’autorité de concurrence est tenue de vérifier, compte tenu des éléments du dossier, que des circonstances particulières ne sont pas susceptibles de faire naître un doute sur la nocivité présumée de l’accord concerné. Si l’expérience acquise nous enseigne que l’accord examiné relève d’une catégorie d’accords qui, le plus souvent, sont préjudiciables pour la concurrence, une analyse approfondie de l’incidence d’un tel accord sur les marchés concernés paraît superflue. Il suffit pour l’autorité de vérifier que le ou les marchés concernés et l’accord en cause ne comportent pas de caractéristiques particulières qui indiqueraient que le cas examiné est susceptible de faire exception à la règle de l’expérience. Bien que peu fréquente, l’éventualité qu’un accord présente effectivement de telles caractéristiques ne peut être écartée que si le contexte réel dans lequel il s’insère est pris en compte. Par exemple, si la concurrence sur un marché déterminé est impossible et qu’elle n’existe pas, il ne peut y avoir restriction de concurrence.

49.      La seconde étape consiste donc en un contrôle de base de la réalité. Elle requiert simplement de l’autorité de concurrence qu’elle vérifie, de manière assez générale, si des circonstances d’ordre juridique ou factuel excluent que l’accord ou la pratique examinée restreigne la concurrence. Il n’existe pas de type d’analyse standard ou d’exigence prédéfinie quant à l’intensité et au degré de précision que l’autorité serait tenue de mettre en œuvre lorsqu’elle procède à ce contrôle. La complexité de l’analyse exigée de l’autorité aux fins d’établir le caractère anticoncurrentiel de l’objet d’un accord dépend de l’ensemble des circonstances pertinentes de l’affaire. Il est impossible (ou à tout le moins il m’est impossible) d’établir, en des termes abstraits, une distinction claire entre (la seconde étape de) l’analyse de l’objet d’un comportement et l’analyse de ses effets.

50.      Dès lors, comme je l’ai déjà évoqué, il s’agit d’une différence davantage de degré que de nature. Il est néanmoins clair que si, lorsque l’autorité étudie le contexte juridique et économique d’un accord présumé comporter une restriction de concurrence « par objet », les éléments relevés par elle apparaissent contradictoires, une analyse de ses effets devient nécessaire. Dans un tel cas, comme dans chaque cas où un accord n’est pas réputé anticoncurrentiel par son objet, une analyse complète de ses effets doit être menée pour les besoins de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Une telle analyse a pour objectif de déterminer l’incidence sur la concurrence que l’accord est susceptible de produire sur le marché concerné. En substance, l’autorité doit effectuer une comparaison entre la structure concurrentielle induite par l’accord incriminé et celle qui aurait prévalu en son absence (30). Par conséquent, l’analyse ne saurait s’en tenir à mettre en évidence la seule aptitude de l’accord à produire des effets négatifs sur la concurrence sur le marché concerné (31), mais doit préciser si les effets nets de l’accord sur le marché sont positifs ou négatifs.

51.      Pour employer une métaphore quelque peu extrême, si une chose a l’apparence et l’odeur d’un poisson, il est à supposer qu’il s’agit bien d’un poisson. À moins qu’il n’y ait, à première vue, quelque chose de curieux à propos du poisson en question, par exemple qu’il soit dépourvu de nageoires, flotte dans les airs ou exhale un parfum de lys, aucune dissection du poisson n’est nécessaire pour le désigner comme tel. En revanche, si le poisson en question se distingue par quelque particularité sortant de l’ordinaire, il se peut également qu’il s’agisse en effet d’un poisson, mais ce ne sera qu’à l’issue d’un examen détaillé de la créature que l’on pourra le désigner comme tel.

2.      L’accord CMI comporte-t-il une restriction par son objet ?

52.      Soutenu dans ses conclusions par le gouvernement hongrois et par la Commission, le GVH considère que l’accord CMI est intrinsèquement anticoncurrentiel, contrairement aux requérantes au principal qui contestent ce point de vue.

53.      Comme indiqué au point 9 des présentes conclusions, l’accord CMI a essentiellement uniformisé le montant de la CI, à savoir la commission que les banques acquéreuses paient aux banques émettrices lorsqu’une opération de paiement par carte de crédit est effectuée. Par conséquent, ainsi que la juridiction de renvoi le relève justement, un tel accord n’est ni un pur accord horizontal de fixation de prix ni, j’ajouterais, un accord qui pourrait être qualifié d’emblée d’accord vertical d’imposition des prix de vente. L’accord CMI ne fixe pas de prix de vente ou d’achat pour les consommateurs finaux, mais ne fait qu’« uniformiser » un aspect de la structure des coûts de certains services activés par l’utilisation de cartes de crédit en tant que moyen de paiement.

54.      Eu égard à ces considérations, l’on aurait pu s’attendre à ce que les parties plaidant la thèse de la restriction « par objet » aient abordé en particulier les points suivants. À titre liminaire, le comportement qui constitue, selon leurs allégations, une restriction de concurrence par son objet aurait dû être identifié sans équivoque et ses principales caractéristiques expliquées (parties responsables, marchés affectés, nature du comportement en cause et période pertinente) [sous a)]. Ensuite, l’accord CMI aurait dû faire l’objet d’une appréciation à la lumière du cadre analytique suivant : en premier lieu, il convenait de faire la démonstration, en s’appuyant sur l’expérience solide et fiable acquise en la matière, du caractère intrinsèquement anticoncurrentiel du comportement incriminé [sous b)] et, en second lieu, d’expliquer en quoi le contexte juridique et économique de l’accord ne remet pas en cause sa nature anticoncurrentielle présumée [sous c)].

55.      J’aborderai ci‑après brièvement chacun de ces points, en tenant compte des éléments portés à l’attention de la Cour tout au long de la présente procédure, tout en rappelant qu’il n’est pas du ressort de la Cour d’opérer un contrôle juridictionnel indirect d’une décision administrative nationale. Il appartiendra dès lors à la juridiction de renvoi de vérifier que le GVH s’est acquitté, dans la décision attaquée, de la charge de la preuve lui incombant.

a)      L’infraction alléguée a-t-elle été clairement identifiée et expliquée ?

56.      La conclusion selon laquelle une pratique déterminée constitue une restriction par objet ne peut être justifiée que si l’infraction prétendument manifeste est clairement définie. Or, le manque de précision à cet égard dans la présente affaire qui apparaît d’emblée dans les observations écrites, s’est amplifié lors de l’audience de plaidoiries, au cours de laquelle les parties favorables à la qualification de restriction « par objet » semblaient toutes plaider des affaires quelque peu différentes. En particulier, lorsqu’il leur a été demandé d’expliquer, sans ambiguïté, quelle forme d’atteinte à la concurrence était susceptible de résulter d’accords tels que l’accord CMI, elles se sont « éparpillées » dans leurs argumentations en se référant tantôt à un marché tantôt à un autre et en concluant successivement à une variété de types d’atteinte, sans faire preuve de la limpidité et de la précision requises.

57.      Au moins trois marchés qui auraient prétendument été affectés par l’infraction alléguée ont été cités : le marché des services interbancaires liés aux transactions par carte de crédit (directement concerné par l’accord CMI), le marché (partiellement en aval) des services fournis par les commerçants et liés aux transactions par carte de crédit (qui préoccupait le plus GVH) et le marché (effectivement en amont) des émetteurs de cartes de crédit (sur lequel la Commission s’est particulièrement concentrée). Il est indéniable que ces trois marchés sont étroitement imbriqués et leurs interactions ne peuvent être ignorées (32).

58.      S’agissant du premier marché, l’accord CMI a effectivement introduit un élément de fixation de prix. Néanmoins, les effets nocifs sur la concurrence identifiés par le GVH et la Commission ne se matérialisent pas sur ce marché. Les effets nocifs relevés par le GVH et la Commission concernent plutôt les deux autres marchés.

59.      En ce qui concerne d’abord le marché des services fournis aux commerçants liés à des transactions par carte de crédit, le GVH et la Commission soutiennent la thèse que, dans la pratique, la CI fonctionne comme un prix minimal recommandé. En effet, il était peu probable que les banques acquéreuses facturent aux commerçants un montant de commission CSC inférieur à celui de la CI versée à la banque émettrice, puisque cela n’aurait pas été économiquement rentable. De ce point de vue, un certain degré de restriction de concurrence est en effet plausible : l’incitation pour les banques à se faire concurrence pour les commerçants en baissant la CSC est susceptible dans la pratique d’être limitée en raison de la CMI convenue. De même, en ce qui concerne le marché des émetteurs de cartes de crédit et dans la mesure où l’accord CMI concernait à la fois MasterCard et Visa, il ne peut être exclu que celui‑ci était susceptible de neutraliser un élément de concurrence par les prix entre ces deux sociétés.

60.      Toutefois, je ne suis pas certain que les interactions entre ces marchés aient été suffisamment expliquées. Si une analyse de l’objet de l’accord peut simplifier la tâche qui incombe à l’autorité de concurrence de prouver le caractère anticoncurrentiel d’un comportement donné, elle ne dispense pas cette autorité de l’obligation d’identifier clairement la nature de la nocivité alléguée. Plus important encore, les points de vue exprimés sur les interactions entre ces marchés semblent reposer sur un certain nombre de supputations, dont certaines sont vivement contestées par les requérantes au principal. Il est sans nul doute possible que l’accord CMI produise des effets nocifs, mais de tels effets sont-ils aussi facilement identifiables et probables à un point tel que l’accord incriminé puisse être considéré comme restrictif « par objet » ?

61.      Un certain nombre d’acteurs divers étaient présents sur plusieurs marchés connexes et les interactions et les effets croisés entre ces marchés ne semblent pas être évidents à première vue. À cette complexité en termes de qui fait quoi et s’ajoute l’aspect chronologique. L’accord CMI a eu une durée de plus de douze ans. Je doute que les conditions sur les marchés concernés en Hongrie soient demeurées essentiellement immuables tout au long de cette période. Il est malgré tout permis de supposer (et le nombre de banques parties à l’accord peut être considéré comme un signe indirect de cette évolution) que, entre 1996 et 2008, le marché des services de cartes de crédit en Hongrie, tout comme ailleurs en Europe, a connu une mutation profonde. Ainsi, s’il a pu paraître utile, voire nécessaire à une certaine époque de poursuivre un objectif favorable à la concurrence, à savoir l’établissement effectif d’un marché, tel n’est peut-être plus le cas lorsque les conditions de concurrence sur le marché se sont modifiées de manière substantielle. Cette hypothèse, à supposer qu’elle soit correcte, pourrait signifier qu’il ne serait pas possible d’envisager l’ensemble de la période sous le même angle et avec la même clarté aux fins d’apprécier dans quelle mesure une restriction de concurrence par objet peut être constatée.

62.      En résumé, la complexité accrue en raison du nombre d’acteurs présents sur plusieurs marchés sur une longue période rend davantage nécessaire de faire preuve de clarté et de précision dans les définitions, tout particulièrement lorsque c’est l’hypothèse d’une restriction de concurrence par objet qui est avancée : qui est présumé avoir fait quoi précisément, sur quel(s) marché(s) et avec quelles conséquences ? En outre, plus l’équation comporte de variables en termes de complexité structurelle, plus l’éventualité est forte, en général, qu’il ne soit pas possible de conclure clairement à une restriction par objet.

b)      Y a-t-il abondance d’expérience solide et fiable en matière d’accords tels que celui en cause en l’espèce ?

63.      Ensuite, eu égard plus particulièrement à la complexité des circonstances de fait en cause au principal, je me serais attendu à ce que les parties plaidant la thèse de la restriction « par objet » se réclament d’une expérience fiable et solide démontrant que des accords tels que l’accord CMI sont communément considérés comme étant intrinsèquement anticoncurrentiels. Existe-t-il une pratique suffisamment répandue et cohérente des autorités de concurrence européennes et/ou des juridictions des États membres qui viendrait appuyer la thèse selon laquelle des accords tels que celui en cause au principal sont généralement nocifs pour la concurrence ?

64.      Interrogé au cours de l’audience de plaidoiries, le GVH a indiqué s’être pour l’essentiel appuyé (uniquement) sur la pratique de la Commission. La Commission a déclaré quant à elle que la nature intrinsèquement anticoncurrentielle des accords tels que l’accord CMI découlait des arrêts rendus par les juridictions de l’Union dans la jurisprudence MasterCard (33).

65.      Je me demande s’il s’agit là de l’expérience solide et fiable requise pour soutenir une conclusion selon laquelle un type déterminé de comportement est manifestement et généralement anticoncurrentiel.

66.      En ce qui concerne la pratique de la Commission, je relève que, en 2002, la Commission a accordé des exemptions au titre de l’(actuel) article 101, paragraphe 3, TFUE à certains accords fixant des CMI (34). Elle a estimé que ces accords avaient un effet (et non un objet) restrictif de concurrence mais qu’ils avaient contribué à une évolution technique et économique dans la mesure où ils favorisaient la promotion d’un système de paiement international de grande ampleur produisant des externalités de réseau positives. Dans une décision du 19 décembre 2007, la Commission a estimé que certaines décisions fixant une « CI par défaut » multilatérale étaient constitutives d’une restriction de concurrence par effet, sans prendre position sur la question de savoir si ces accords étaient également restrictifs par leur objet (35). Ensuite, le 22 janvier 2019, la Commission a considéré que certaines règles en matière d’acquisition transfrontalière appliquées par MasterCard, en particulier concernant les CI interrégionales, constituaient une restriction par objet (36). Il convient encore de mentionner les décisions de 2010, 2014 et 2019, dans lesquelles la Commission a accepté des engagements pris par les entreprises de cartes de crédit afin de plafonner ou de réduire le montant de certains types de CI (37). Il va sans dire que les décisions d’acceptation d’engagements ne comportent aucune constatation formelle d’infraction au droit de la concurrence.

67.      Il me semble par conséquent que la pratique de la Commission peut difficilement être qualifiée d’uniforme. Il ne s’agit pas là d’un reproche, mais plutôt du constat que la Commission semble avoir progressivement développé sa propre compréhension de cette catégorie d’accords, grâce à l’expérience acquise précisément tout au long des affaires susmentionnées. Il est du reste clair que la notion d’« expérience » évolue nécessairement avec le temps, compte tenu des connaissances et de l’expérience accrues assimilées par les autorités administratives et juridictionnelles compétentes, de la création d’instruments d’analyse plus sophistiqués et des progrès en matière de pensée économique.

68.      Néanmoins, même en faisant abstraction du très controversé élément chronologique (38), je ferais preuve de prudence avant de conclure qu’une poignée de décisions administratives (tout particulièrement lorsqu’elles sont adoptées par une seule autorité et qu’elles évoluent dans le temps), qui concernaient des formes de coordination analogues, constituent un fondement suffisant pour en déduire que tout accord comparable peut être réputé illicite.

69.      En outre, la pratique d’autres autorités nationales compétentes susceptibles d’avoir effectué des appréciations d’accords semblables à celui en cause au principal aurait certainement été pertinente si elle avait été disponible.

70.      S’agissant de la jurisprudence, il est tout aussi important de vérifier dans quelle mesure les juridictions de l’Union et des États membres (39) qui se sont penchées sur cette catégorie d’accords ont retenu une approche cohérente en la matière (40).

71.      À cet égard, la validité de la décision susmentionnée de la Commission de 2007 a en effet été confirmée d’abord par le Tribunal puis par la Cour (41). Néanmoins, ce qui importe et est essentiel en l’espèce est de savoir si ces arrêts indiquent que la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE retenue par la Commission était manifeste à un point tel qu’elle aurait pu être établie en l’absence d’une analyse d’effets complète. J’ai l’impression que, eu égard à l’ampleur et au caractère détaillé de l’argumentaire exposé par les juridictions de l’Union pour rejeter les prétentions des requérants, il est difficile d’interpréter ces arrêts au soutien de l’une ou de l’autre thèse.

72.      Enfin, je suis quelque peu surpris que, dans leurs observations, les parties ayant plaidé en faveur de la thèse d’une restriction « par objet » n’aient pas mentionné, à l’appui de leur thèse, la moindre trace d’études ou de rapports élaborés par des auteurs indépendants et fondés sur des méthodes, principes et normes reconnues par la communauté économique internationale. En effet, il me semble qu’il serait de la plus haute importance de savoir si un consensus suffisant existe entre économistes quant au caractère intrinsèquement anticoncurrentiel d’accords tels que celui en cause au principal. La notion de « restriction de concurrence » est après tout d’ordre principalement économique.

73.      Pour conclure, l’expérience acquise invoquée devant la Cour pour soutenir la thèse que des accords tels que celui en cause au principal sont, par leur nature même, nocifs à l’égard de la concurrence, me semble somme toute plutôt modique. Il appartiendra toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier ce point en détail, en se fondant sur les arguments et la documentation produits dans la décision administrative en question.

c)      Le contexte juridique et économique de l’accord CMI remet-il en cause son caractère anticoncurrentiel présumé ?

74.      Si la juridiction de renvoi devait se convaincre de l’analyse du GVH selon laquelle l’accord CMI relève effectivement d’une catégorie d’accords généralement considérés comme anticoncurrentiels, elle devrait, dans la deuxième phase de son examen, vérifier la validité de ce constat préliminaire en portant son attention sur le contexte juridique et économique dans lequel l’accord a été mis en œuvre. Y a-t-il la moindre caractéristique particulière de l’accord CMI ou des marchés affectés susceptible de faire naître un doute quant aux effets nocifs de cet accord sur la concurrence ? Dès lors, peut-on, à première vue, raisonnablement contester la thèse du caractère généralement nocif d’un tel accord dans le cas d’espèce ?

75.      Les requérantes au principal soutiennent que l’accord CMI n’avait pas d’objet anticoncurrentiel ou que, en tout état de cause, il produisait même certains effets favorables à la concurrence.

76.      Premièrement, ces parties fournissent une justification alternative quant à la logique économique de l’accord CMI : elles font valoir que l’uniformisation de la CI s’imposait en vue de garantir un fonctionnement adéquat et harmonieux du système, étant donné que le système de cartes de crédit en Hongrie était encore à un stade élémentaire au moment de la conclusion de l’accord CMI. L’accord en question aurait donc contribué, selon elles, à l’établissement et à l’expansion du marché des cartes de crédit en Hongrie. Deuxièmement, elles affirment que l’accord CMI visait également à limiter la tendance à la hausse du montant des CI sur le marché. En témoignerait, prétendent-elles, l’arrêt MasterCard e.a./Commission (42), ainsi que le fait que dans plusieurs juridictions (y compris la Hongrie et l’Union européenne (43)) le législateur serait intervenu pour plafonner le montant des CI.

77.      Je suis d’avis qu’il n’est pas possible, dans le cadre de cette affaire, de prendre fermement position sur la question de savoir si ces arguments sont ou non à première vue plausibles. Les informations figurant au dossier sont tout simplement insuffisantes à cet effet.

78.      Il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner ces affirmations afin de vérifier dans quelle mesure elles sont suffisamment crédibles pour qu’un examen plus approfondi soit justifié. Si la juridiction de renvoi devait parvenir à la conclusion que l’accord CMI pourrait raisonnablement avoir eu des effets favorables pour la concurrence et que ces effets positifs ne sont pas largement contrebalancés par d’autres effets anticoncurrentiels plus profonds, cet accord ne saurait être qualifié de restrictif de concurrence par son objet. Dans une telle hypothèse, une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne pourrait être établie qu’à l’issue d’une analyse des effets de l’accord.

79.      Dès lors, le critère devrait être celui d’une hypothèse en sens contraire, qui est plausible à première vue et qui remet en cause, dans l’affaire au principal, la sagesse conventionnelle. Deux éléments sont essentiels à cet égard : premièrement, l’explication contraire doit sembler crédible à première vue pour justifier un examen plus approfondi. Deuxièmement, toutefois, il convient d’appliquer le principe de l’hypothèse contraire raisonnable. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit établie, argumentée et prouvée : cela devra être effectué dans le cadre de l’analyse complète des effets.

80.      À cet égard, il convient d’ajouter que la Cour a longtemps reconnu que des accords poursuivant un « objectif légitime » ne relèvent pas nécessairement de l’interdiction de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (44). Cela signifie que les accords qui comportent des effets à la fois favorables à la concurrence et anticoncurrentiels ne relèvent de l’interdiction de l’article 101, paragraphe 1, TFUE que lorsque ces derniers effets l’emportent (45). Par exemple, une réduction de la concurrence par les prix peut être acceptable lorsqu’il s’agit d’un moyen d’accroître la concurrence à l’égard de facteurs autres que le prix (46). Plus généralement, un accord qui, bien que restreignant la liberté d’agir des parties, cherche, par exemple, à ouvrir un marché, à créer un nouveau marché ou à permettre l’entrée d’un nouveau concurrent sur un marché, peut avoir des effets proconcurrentiels (47). Il découle de même d’une jurisprudence constante que, dans certaines conditions, des restrictions qui sont directement liées et indispensables à la mise en œuvre d’une opération principale, qui n’a elle‑même pas un caractère anticoncurrentiel, ne constitue pas des restrictions de concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (48).

81.      Par conséquent, chaque fois qu’un accord présente des effets ambivalents sur le marché, une analyse de ses effets est requise (49). En d’autres termes, lorsqu’il ne peut être exclu en l’absence d’un examen de ses effets concrets sur le marché qu’un accord, par sa logique économique, puisse être potentiellement favorable à la concurrence, un tel accord ne peut être qualifié de restrictif « par objet » (50). Je ne peux donc partager le point de vue de la Commission selon lequel tout effet légitime et profitable à la concurrence de l’accord CMI ne peut être pris en considération qu’aux fins de bénéficier d’une éventuelle exemption en vertu de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. Sans faire de déclaration à l’égard de l’accord CMI en particulier, plus généralement, une interprétation de l’article 101 TFUE selon laquelle un accord bienfaisant, dans l’ensemble, pour la concurrence est par principe prohibé par l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais peut être immédiatement exempté au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, n’est pas tout à fait convaincante.

82.      Eu égard à ce qui précède, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier dans quelle mesure l’accord CMI constitue une restriction par son objet même. Pour ce faire, la juridiction de renvoi doit tout d’abord examiner la teneur et l’objectif de l’accord en vue de déterminer s’il relève d’une catégorie d’accords qui, au regard de l’expérience, sont généralement considérés comme préjudiciables à la concurrence. Si elle constate que tel est en effet le cas, la juridiction de renvoi se doit ensuite de vérifier qu’une telle conclusion n’est pas remise en cause par des considérations tenant au contexte juridique et économique dans lequel s’insère cet accord en particulier. La juridiction de renvoi devrait tout particulièrement vérifier si une autre justification selon laquelle l’accord CMI aurait pour logique de favoriser la concurrence est, à premier vue, plausible, en tenant également compte de la période au cours de laquelle l’accord a été appliqué.

C.      Quatrième question

83.      Par la quatrième question, qui sera examinée ci‑après, la juridiction de renvoi se demande si une autorité de concurrence est tenue, aux fins d’établir une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de préciser expressément, concernant le comportement des entreprises, s’il s’agit d’un accord ou d’une pratique concertée.

84.      Je partage le point de vue du GVH, du gouvernement hongrois, de la Commission et de l’Autorité de surveillance AELE, selon lequel il convient de répondre à cette question par la négative.

85.      Dans l’arrêt Commission/Anic Partecipazioni, la Cour a précisé que la notion d’« accord » et celle de « pratique concertée » visées à l’article 101, paragraphe 1, TFUE « appréhendent des formes de collusion qui partagent la même nature et ne se distinguent que par leur intensité et par les formes dans lesquelles elles se manifestent ». Par conséquent, bien que ces notions comportent des éléments constitutifs partiellement différents, « elles ne sont pas réciproquement incompatibles ». La Cour a expressément reconnu que les violations de l’article 101, paragraphe 1, TFUE peuvent souvent « comport[er] des formes de conduite différentes, [qui peuvent] répondre à des définitions différentes, mais toutes visées par la même disposition et toutes également interdites ». La Cour en a conclu qu’il n’est pas exigé d’une autorité de concurrence qu’elle qualifie d’accord ou de pratique concertée une forme déterminée de comportement (51). Ce principe a été confirmé de manière constante dans la jurisprudence ultérieure (52).

86.      En effet, dans la plupart des cas, il ne serait ni raisonnable ni nécessaire pour une autorité de concurrence de s’efforcer de qualifier d’accord ou de pratique concertée une forme particulière de comportement. À vrai dire, ces notions se recoupent dans une certaine mesure, ce qui rend souvent difficile de tracer la frontière entre un accord et une pratique concertée. En outre, l’expérience démontre que les infractions sont susceptibles d’évoluer avec le temps. Elles peuvent initialement revêtir une certaine forme, puis progressivement acquérir les caractéristiques d’une autre (53).

87.      C’est pourquoi la Cour a également relevé que, peu importe qu’un type de comportement reçoive la qualification juridique de « pratique concertée », d’« accord entre entreprises » ou de « décision d’association d’entreprises », l’analyse juridique qui s’impose en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne s’en trouvera pas modifiée (54). Dans le cadre de la présente affaire, il peut être utile de souligner qu’un comportement peut être jugé anticoncurrentiel par objet qu’il s’agisse d’un accord ou d’une pratique concertée (55).

88.      À l’évidence, cela ne signifie pas qu’une autorité de concurrence ne reste pas tenue d’établir, à suffisance de droit, que le comportement incriminé répond aux conditions de sa qualification en tant qu’« accord et/ou pratique concertée » (56).

89.      Naturellement, les entreprises auxquelles il est fait grief d’avoir participé à l’infraction ont la possibilité de contester, pour chacun de ces comportements, la qualification ou les qualifications retenues par l’autorité de concurrence en faisant valoir que celle‑ci n’a pas apporté la preuve des éléments constitutifs des différentes formes d’infractions alléguées (57).

90.      Eu égard à ce qui précède, j’estime qu’il n’est pas exigé d’une autorité de concurrence, lorsqu’elle établit une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, qu’elle qualifie une forme déterminée de comportement d’accord ou de pratique concertée, à condition qu’elle apporte la preuve des éléments constitutifs des différentes formes d’infractions alléguées.

D.      Troisième question

91.      Par sa troisième question, que j’examinerai pour finir, la juridiction de renvoi demande à la Cour si, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle les entreprises de cartes de crédit n’ont pas participé directement à la détermination du contenu de l’accord mais ont permis la conclusion de cet accord, et l’ont également accepté et appliqué, doivent être également considérées, aux fins de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, comme parties à l’accord interbancaire les entreprises de cartes de crédit, ou s’il faut conclure à l’existence d’une pratique concertée entre elles et les banques ayant conclu l’accord.

92.      Ainsi que cela a été exposé dans la partie précédente des présentes conclusions, une autorité de concurrence n’est, en général, pas tenue, aux fins d’établir une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de qualifier un comportement donné d’accord ou de pratique concertée.

93.      En l’espèce, il suffirait dès lors que la forme de collusion ou de coordination entre les entreprises de cartes de crédit et les banques parties à l’accord CMI atteigne le seuil au-delà duquel elle peut être considérée comme une « pratique concertée » pour que lesdites entreprises de carte de crédit puissent être tenues responsables de l’infraction alléguée par l’autorité de concurrence.

94.      Deux autres points soulevés par les parties devant la Cour méritent de s’y attarder.

95.      Premièrement, le fait que les entreprises de cartes de crédit opèrent sur un marché différent de celui sur lequel l’accord incriminé a été mis en œuvre signifie-t-il que ces entreprises ne peuvent pas être tenues responsables de l’infraction présumée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ?

96.      Il ne fait aucun doute qu’il convient de répondre à cette question par la négative. Le principe sur lequel repose l’article 101 TFUE est que toute entreprise doit déterminer de manière autonome la politique qu’elle entend suivre sur le marché et s’abstenir de toute forme de contact de nature à affecter indûment sa liberté d’action (58). À cet effet, l’article 101, paragraphe 1, TFUE est pourvu, comme indiqué au point 23 des présentes conclusions, d’un champ d’application suffisamment large pour appréhender toute forme de collusion ou de coordination susceptible de mener à un tel résultat.

97.      La notion d’« accord » au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne se limite pas à des accords dits « horizontaux » entre entreprises opérant sur le même marché (et donc concurrentes, réelles ou potentielles). Nombre d’exemples peuvent être cités dans la jurisprudence des juridictions de l’Union dans lesquels des accords entre entreprises opérant à des stades différents de la chaîne de production ou sur des marchés voisins ont été jugés constitutifs d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (59). La même logique doit s’appliquer également aux pratiques concertées (60).

98.      Ces principes ont été très clairement réaffirmés, voire développés, dans l’arrêt récent AC-Treuhand/Commission (61), que les parties ont cité à plusieurs reprises dans leurs observations. Dans cet arrêt, la Cour a souligné qu’il ne ressortait pas plus du libellé que de l’économie de l’article 101, paragraphe 1, TFUE que son champ d’application est limité à des formes de collusion donnant lieu à « une limitation réciproque de la liberté d’action sur un même marché sur lequel seraient présentes l’ensemble des parties » (62). La Cour a ensuite souligné que sa jurisprudence n’avait jamais limité la portée de cette disposition à des entreprises présentes sur le marché concerné, ou encore sur des marchés situés en amont, en aval ou voisins dudit marché (63). La participation d’une entreprise à un accord ou à une pratique concertée est susceptible de constituer une violation de l’article 101 TFUE, indépendamment du type d’activité commerciale exercée par cette entreprise et/ou des marchés sur lequel elle est présente, pourvu qu’elle contribue à fausser la concurrence sur un marché déterminé (64).

99.      L’arrêt AC-Treuhand concernait une société de conseil qui avait fourni une aide à une entente moyennant la prestation de services de nature administrative (65). La Cour a constaté que le but même des services fournis par cette société sur la base des contrats de prestation de services conclus avec les membres de l’entente était la réalisation des objectifs anticoncurrentiels en question. Cette entreprise avait donc joué un rôle actif dans la mise en œuvre et la gestion de l’entente et avait parfaitement connaissance du caractère illicite d’une telle activité (66).

100. La question longuement débattue entre les parties de savoir si les entreprises de carte de crédit peuvent satisfaire aux conditions énoncées dans l’arrêt AC-Treuhand concernant la responsabilité d’un « modérateur » aux fins de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, relève quelque peu du leurre en l’espèce. La raison en est simple. Compte tenu des circonstances de fait et de droit de la présente affaire, les entreprises de cartes de crédit n’étaient pas dans une situation comparable à la société AC-Treuhand, à savoir celle de simple « modérateur ». Selon les faits tels qu’ils ont été exposés par la juridiction de renvoi, elles semblent être bien plus que cela.

101. Selon les informations fournies par la juridiction de renvoi, les entreprises de cartes de crédit ont fait bien davantage que simplement « faciliter » la conclusion de l’accord. Elles ont encouragé les banques à trouver un accord et, bien qu’elles n’aient pas été officiellement présentes au cours des négociations, leurs intérêts y étaient représentés par une banque (Kereskedelmi és Hitelbank Zrt.). En outre, les entreprises de cartes de crédit ont prévu l’accord dans leurs règlements internes, ont été informées de la conclusion de l’accord et ont dûment mis en œuvre celui‑ci, y compris à l’égard des banques qui ont adhéré au réseau ultérieurement.

102. Par ailleurs, contrairement à la société AC-Treuhand, les entreprises de cartes de crédit avaient un intérêt plus direct et immédiat à l’exécution réussie de l’accord. En effet, elles n’étaient pas de simples prestataires de services engagés par les banques pour mener à bien certaines tâches spécifiques. MasterCard et Visa étaient des émetteurs des cartes de crédit dont l’utilisation faisait l’objet de l’accord CMI. Les entreprises de cartes de crédit n’opéraient donc pas sur un marché sans rapport avec celui affecté par l’accord CMI, mais sur un marché en amont directement concerné. La circonstance que, selon toute apparence, elles n’aient perçu aucune part de la CMI directement ne modifie en rien le fait qu’elles avaient un intérêt à ce que l’exécution de l’accord CMI soit un succès.

103. Par conséquent, il me semble que la situation dans la présente affaire relève bel et bien de l’hypothèse plus « traditionnelle » d’un comportement de type vertical : il est désormais bien établi que des accords ou des pratiques concertées entre entreprises opérant à des stades différents de la chaîne de production sont susceptibles d’être jugés constitutifs d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (67).

104. Le second et dernier point découlant de la question préjudicielle est celui des conditions dans lesquelles, dans le litige en cause au principal, les entreprises de cartes de crédit peuvent être tenues pour responsables de l’infraction dans son intégralité au même titre que les banques qui ont été parties à l’accord CMI.

105. La réponse à cette question se trouve également dans la jurisprudence bien établie. Pour qu’elle soit en mesure d’établir tous les éléments permettant de conclure à la participation d’une entreprise à une infraction et à sa responsabilité pour les différents éléments qu’elle comporte, l’autorité de concurrence se doit notamment de prouver que l’entreprise a entendu contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (68).

106. Dans la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi souligne que les entreprises de cartes de crédit n’ont pas pris part à la rédaction de l’accord CMI ou à la fixation de la CI. Toutefois, comme indiqué au point 101 des présentes conclusions, la juridiction de renvoi considère que ces sociétés ont encouragé l’élaboration de l’accord, ont permis sa conclusion et l’ont également accepté et appliqué.

107. S’il ressortait des faits du litige que tel est effectivement le cas, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, je n’hésiterais pas à conclure que, eu égard à leur rôle et à leur position à l’égard des banques parties à l’accord CMI, les entreprises de cartes de crédit ont bel et bien participé à l’infraction alléguée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il résulte d’une jurisprudence constante que le fait qu’une entreprise n’a pas participé à tous les éléments constitutifs d’un stratagème anticoncurrentiel ou qu’elle a joué un rôle mineur dans les aspects auxquels elle a participé n’est pas pertinent pour établir l’existence d’une infraction dans son chef (69).

108. Par conséquent, je propose à la Cour de répondre à la troisième question en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle les entreprises de cartes de crédit n’ont pas participé directement à la détermination du contenu de l’accord dont il est allégué qu’il est contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais ont permis sa conclusion et l’ont également accepté et appliqué, circonstances qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, lesdites entreprises peuvent être tenues pour responsables d’une telle infraction.

V.      Conclusion

109. Je propose à la Cour les réponses suivantes aux questions préjudicielles posées par la Kúria (Cour suprême, Hongrie) :

–        un même comportement d’une entreprise est susceptible d’être qualifié d’infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE par son objet et par ses effets restrictifs de concurrence sur le marché intérieur simultanément ;

–        il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier dans quelle mesure l’accord sur la commission multilatérale interchange (CMI) constitue une restriction par son objet même. Pour ce faire, la juridiction de renvoi doit tout d’abord examiner la teneur et l’objectif de l’accord en vue de déterminer s’il relève d’une catégorie d’accords dont il est généralement reconnu, au regard de l’expérience, qu’ils sont préjudiciables à la concurrence. Si elle constate que tel est en effet le cas, la juridiction de renvoi se doit ensuite de vérifier qu’une telle conclusion n’est pas remise en cause par des considérations tenant au contexte juridique et économique dans lequel s’insère cet accord en particulier. La juridiction de renvoi devrait tout particulièrement vérifier si une autre justification selon laquelle l’accord CMI aurait pour logique de favoriser la concurrence est, à premier vue, plausible, en tenant également compte de la période au cours de laquelle l’accord a été appliqué ;

–        il n’est pas exigé d’une autorité de concurrence, lorsqu’elle établit une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, qu’elle qualifie une forme déterminée de comportement d’accord ou de pratique concertée, à condition qu’elle apporte la preuve des éléments constitutifs des différentes formes d’infractions alléguées ;

–        dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle les entreprises de cartes de crédit n’ont pas participé directement à la détermination du contenu de l’accord dont il est allégué qu’il est contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais ont permis sa conclusion et l’ont également accepté et appliqué, circonstances qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, lesdites entreprises peuvent être tenues pour responsables d’une telle infraction.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Voir, par exemple, Baumbach, A., et Hefermehl, W., Wettbewerbs- und Warenzeichenrecht, 8. Aufl., C. H. Beck’sche Verlagsbuchhandlung, München-Berlin, 1960, p. 1500 ; Focsaneanu, L., « Pour objet ou pour effet », Revue du Marché commun, 1966, p. 862 à 870, et Van Gerven, W., Principes du droit des ententes de la Communauté économique européenne, Bruylant, Bruxelles, 1966, p. 67 à 70.


3      Voir, par exemple, Whish, R., Competition Law, 5e éd., Lexis Nexis, Londres, 2003, p. 110 et 111.


4      Arrêt du 11 septembre 2014 (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204).


5      Arrêt du 26 novembre 2015 (C‑345/14, EU:C:2015:784).


6      Arrêt du 30 juin 1966, LTM (56/65, EU:C:1966:38, p. 359). Mise en italique par mes soins.


7      Arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, points 50 et 51).


8      Arrêt du 26 novembre 2015 (C‑345/14, EU:C:2015:784, point 19).


9      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:1958, point 30).


10      Voir, de même, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire T-Mobile Netherlands e.a. (C‑8/08, EU:C:2009:110, point 43).


11      Il arrive parfois également qu’une autorité de concurrence laisse sans réponse la question de savoir si un accord est restrictif de concurrence dans son objet, parce qu’elle a constaté que l’accord a des effets anticoncurrentiels : voir Bailey, D., et John, L.E. (eds), Bellamy & Child – European Union Law of Competition, 8e éd., Oxford University Press, Oxford, p. 164, et références citées.


12      Voir arrêt du 9 juillet 2015, InnoLux/Commission (C‑231/14 P, EU:C:2015:451, point 72 et jurisprudence citée). Mise en italique par mes soins.


13      Règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1). Mise en italique par mes soins.


14      Voir arrêt du 26 novembre 2015, Maxima Latvija (C‑345/14, EU:C:2015:784, point 18 et jurisprudence citée). Mise en italique par mes soins.


15      Arrêt du 15 juillet 1994, Matra Hachette/Commission (T‑17/93, EU:T:1994:89, point 85).


16      Arrêt du 20 novembre 2008 (C‑209/07, EU:C:2008:643).


17      Voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a. (C‑32/11, EU:C:2013:160, point 29).


18      Voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 58), et du 26 novembre 2015, Maxima Latvija (C‑345/14, EU:C:2015:784, point 18).


19      Arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 50 et jurisprudence citée).


20      Voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a. (C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, EU:C:2009:610, point 58 et jurisprudence citée).


21      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:1958, point 56), et arrêt de la cour AELE du 22 décembre 2016, Ski Taxi SA and Others (E-3/16, EFTA Court Report 2016, p. 1002, point 61).


22      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:1958, point 79).


23      Voir arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission (C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 156 et jurisprudence citée).


24      Voir, notamment, arrêts du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a. (C‑32/11, EU:C:2013:160, points 36 et 37), et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission (C‑286/13 P, EU:C:2015:184, points 117 et 118).


25      Voir, pour un débat approfondi, Ibáñez Colomo, P., et Lamadrid, A., « On the Notion of Restriction of Competition : What We Know and What We Don’t Know We Know », Gerard, D., Merola, M., et Meyring, B. (eds), The Notion of Restriction of Competition : Revisiting the Foundations of Antitrust Enforcement in Europe, Bruylant, Bruxelles, 2017, p. 336 à 339.


26      Voir, entre autres, arrêts du 30 juin 1966, LTM (56/65, EU:C:1966:38, p. 250), et du 15 décembre 1994, DLG (C‑250/92, EU:C:1994:413, point 32).


27      Voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission (322/81, EU:C:1983:313, point 57) ; du 6 octobre 2015, Post Danmark (C‑23/14, EU:C:2015:651, point 29), et du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 138 à 147).


28      Voir, en ce sens, arrêts du 19 avril 1988, Erauw-Jacquery (27/87, EU:C:1988:183, points 8 à 20) ; du 22 juin 1994, IHT Internationale Heiztechnik et Danzinger (C‑9/93, EU:C:1994:261, point 59), et du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, points 136 et 143).


29      Arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission (C‑373/14 P, EU:C:2016:26, point 29). Mise en italique par mes soins.


30      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire MasterCard e.a./Commission (C‑382/12 P, EU:C:2014:42, point 52).


31      Voir arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a. (C‑8/08, EU:C:2009:343, point 31).


32      Voir, de même, arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 79 et jurisprudence citée).


33      Arrêts du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201), et du 24 mai 2012, MasterCard e.a./Commission (T‑111/08, EU:T:2012:260).


34      Décision 2002/914/CE de la Commission du 24 juillet 2002 relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/29.373 – Visa International – Commission multilatérale d’interchange) [notifiée sous le numéro C(2002) 2698] (JO 2002, L 318, p. 17).


35      Décision de la Commission du 19 décembre 2007 relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité instituant la Communauté européenne et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/34.579 – MasterCard, Affaire COMP/36.518 – EuroCommerce, Affaire COMP/38.580 – Commercial Cards) [notifiée sous le numéro C(2007) 6474] (JO 2009, C 264, p. 8). Il convient de préciser que la « commission d’interchange par défaut » est la commission d’interchange qui s’applique par défaut, en l’absence de tout accord bilatéral entre la banque acquéreuse et la banque émettrice ou d’une commission d’interchange collectivement fixée au niveau national.


36      Décision de la Commission du 22 janvier 2019 relative à une procédure d’application de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article 53 de l’accord EEE (AT.40049 – MasterCard II) [notifiée sous le numéro C(2019) 241 final] (JO 2019, C 185, p. 10).


37      Voir décision de la Commission du 8 décembre 2010 relative à une procédure d’application de l’article 101 du traite sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/39.398 – VISA MIF) [notifiée sous le numéro C(2010) 8760 final] (JO 2011, C 79, p. 8), décision de la Commission du 26 février 2014 relative à une procédure d’application de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire AT.39398 VISA MIF) [notifiée sous le numéro C(2014) 1199 final] (JO 2014, C 147, p. 7), et décision de la Commission du 29 avril 2019 (Case COMP/AT.39398 – Visa MIF).


38      L’argument des requérantes au principal quant à la violation alléguée du principe de sécurité juridique, au motif que le caractère anticoncurrentiel d’un accord tel que l’accord CMI n’était nullement manifeste en 2008, ne serait alors pas pris en considération.


39      Ou encore, le cas échéant, des autorités ou juridictions en dehors de l’Union appliquant des règles de concurrence similaires.


40      Par souci de clarté, je tiens à souligner qu’un tel échange « horizontal » de connaissances (une autorité de concurrence nationale tenant compte de décisions d’autres autorités de concurrence nationales ou de juridictions d’autres États membres) n’a rien à voir avec le type d’obligation dont il est question dans l’arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335, point 16), qui incombe, à tout le moins théoriquement, aux juridictions de dernier ressort dans le cadre de l’article 267, paragraphe 3, TFUE. Par un tel échange, j’entends plutôt l’échange visant d’éventuelles sources de connaissance susceptible de venir étayer la thèse qu’un certain type d’accords constitue sans équivoque une restriction par objet.


41      Voir note 33 des présentes conclusions.


42      Voir également arrêt du 24 mai 2012 (T‑111/08, EU:T:2012:260, point 137).


43      Voir, respectivement, article 141 de la loi no CXLIII de 2013, portant modification de certaines lois dans le cadre de la loi relative à la Banque nationale de Hongrie et autres modifications et règlement (UE) 2015/751 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2015, relatif aux commissions d’interchange pour les opérations de paiement liées à une carte (JO 2015, L 123, p. 1).


44      Voir, notamment, arrêts du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (C‑439/09, EU:C:2011:649, point 40), et du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 75).


45      Voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado (C‑238/05, EU:C:2006:734, points 46 à 63).


46      Voir arrêt du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (C‑439/09, EU:C:2011:649, point 40).


47      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:467, point 53 et jurisprudence citée).


48      Voir, notamment, en ce sens, arrêts du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission (42/84, EU:C:1985:327, points 19 et 20) ; du 28 janvier 1986, Pronuptia de Paris (161/84, EU:C:1986:41, points 15 à 17), et du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 89).


49      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:1958, point 56).


50      Voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204 (points 80 à 87), et du 26 novembre 2015, Maxima Latvija (C‑345/14, EU:C:2015:784, points 22 à 24).


51      Arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356, points 131 à 133).


52      Voir, notamment, arrêts du 9 décembre 2014, SP/Commission (T‑472/09 et T‑55/10, EU:T:2014:1040, point 159), et du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission (T‑655/11, EU:T:2015:383, point 419).


53      Voir, par exemple, Faull, J., et Nikpay, A. (éds.), The EU Law of Competition, 3e éd., Oxford University Press, Oxford, 2014, p. 225 et 226.


54      Arrêt du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado (C‑238/05, EU:C:2006:734, point 32).


55      Voir, par exemple, arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a. (C‑8/08, EU:C:2009:343, en particulier points 24 et 28 à 30).


56      Voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356, points 134 et 135).


57      Arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 136).


58      Voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 1999, Hüls/Commission (C‑199/92 P, EU:C:1999:358, point 159 et jurisprudence citée).


59      Voir, par exemple, arrêt du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission (56/64 et 58/64, EU:C:1966:41). Voir également arrêt, plus récent, du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (C‑439/09, EU:C:2011:649).


60      Voir point 85 des présentes conclusions.


61      Arrêt du 22 octobre 2015 (C‑194/14 P, EU:C:2015:717), ci‑après l’« arrêt AC-Treuhand ».


62      Arrêt AC-Treuhand, point 33.


63      Arrêt AC-Treuhand, point 34.


64      Arrêt AC-Treuhand, point 35.


65      Un tel rôle est souvent désigné comme celui d’un « modérateur d’entente » (« cartel facilitator »).


66      Arrêt AC-Treuhand, points 37 à 39.


67      Voir point 97 des présentes conclusions.


68      Voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356, points 86 et 87), et du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C 219/00 P, EU:C:2004:6, point 83).


69      Voir, par exemple, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 86).