Language of document : ECLI:EU:T:2022:542

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

14 septembre 2022 (*)

« Marchés publics de services – Prestations de services d’assistance technique au Haut conseil judiciaire et aux autorités ukrainiennes – Irrégularités dans la procédure d’attribution des marchés – Recouvrement des montants indûment versés – Note de débit – Administrateur de la société – Base juridique – Responsabilité non contractuelle »

Dans l’affaire T‑775/20,

PB, représenté par Me L. Levi, avocate,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J. Baquero Cruz, J. Estrada de Solà et Mme A. Katsimerou, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. E. Rebasti et Mme I. Demoulin, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme V. Tomljenović, présidente, MM. F. Schalin (rapporteur) et I. Nõmm, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        la décision du 3 juin 2021 admettant le Conseil à intervenir au soutien des conclusions de la Commission et ordonnant qu’une version non confidentielle de tous les actes de procédure signifiés aux parties principales lui soit communiquée,

–        la mesure d’organisation de la procédure du 20 janvier 2022 invitant les parties à se prononcer, notamment, sur la différence entre le régime juridique des mesures administratives visées à l’article 4 du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1995, L 312, p. 1), et celui des sanctions administratives visées à l’article 5 du même règlement,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours, le requérant, PB, demande, d’une part, sur le fondement de l’article 263 TFUE, l’annulation de la décision C(2020) 7151 final de la Commission, du 22 octobre 2020, relative à l’application d’une mesure administrative à l’encontre de l’administrateur de la société [Confidentiel] (ci-après la « décision attaquée »), retirant les montants indûment perçus au titre du contrat portant la référence TACIS/2006/101-510 (ci-après le « marché TACIS ») et du contrat portant la référence CARDS/2008/166-429 (ci-après le « marché CARDS »), et, d’autre part, sur le fondement de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, le remboursement de tous les montants éventuellement recouvrés par la Commission européenne sur la base de cette décision ainsi que le paiement de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, sous réserve de parfaire.

 Antécédents du litige

 Marché TACIS

2        Le 25 janvier 2006, l’Union européenne, représentée par sa délégation en Ukraine (ci-après la « délégation en Ukraine »), a lancé un appel d’offres portant la référence EuropeAid/122038/C/SV/UA dans le but de conclure le marché TACIS, à savoir un marché de services pour la fourniture d’une assistance technique aux autorités ukrainiennes en vue du rapprochement de la législation ukrainienne avec la législation de l’Union.

3        Le marché TACIS s’inscrivait dans le cadre du programme d’assistance technique à la Communauté des États indépendants (TACIS), dont l’objet était de favoriser la transition vers une économie de marché et de renforcer la démocratie et l’État de droit dans les États partenaires d’Europe orientale et d’Asie centrale. Le programme TACIS a été institué en vertu du règlement (CE, Euratom) no 99/2000 du Conseil, du 29 décembre 1999, relatif à la fourniture d’une assistance aux États partenaires d’Europe orientale et d’Asie centrale (JO 2000, L 12, p. 1).

4        Le 17 juin 2006, le marché TACIS a été attribué au consortium coordonné par [Confidentiel] (ci-après la « société coordinatrice »), société de droit belge ayant le requérant comme gérant. Le contrat avec [Confidentiel] a été signé le 17 juillet 2006 pour une valeur maximale de marché de 4 410 000 euros.

5        Les 9 juin et 23 juillet 2006, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a reçu deux courriels anonymes contenant des allégations selon lesquelles la société coordinatrice avait disposé du cahier des charges de l’appel d’offres avant les autres soumissionnaires concurrents.

6        À la suite de ces allégations, l’OLAF a effectué une mission d’enquête. Dans un rapport d’analyse du 7 avril 2009, il a relevé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption.

7        Les premières constatations de l’OLAF, qui concernaient plusieurs marchés publics et impliquaient tant la société coordinatrice qu’une société intermédiaire d’intelligence économique (ci-après la « société intermédiaire ») qui l’avait assistée lors de la participation à l’appel d’offres du marché TACIS, moyennant le versement d’une prime de succès, ont donné lieu à une transmission aux autorités judiciaires françaises, le 27 juin 2008, et belges, le 14 septembre 2009.

8        Le 16 juillet 2009, l’exécution du marché TACIS et les paiements s’y rapportant ont été suspendus.

9        Le 19 avril 2010, l’OLAF a transmis à la Commission son rapport d’enquête final, qui a confirmé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption. Elle a recommandé à la délégation en Ukraine de résilier le marché TACIS et de procéder à des recouvrements des montants indûment versés.

10      Par lettre du 8 février 2012, la société coordinatrice a contesté le maintien de la suspension du marché TACIS et a demandé la libération de la garantie bancaire qu’elle avait constituée. Le 22 février 2012, la délégation en Ukraine a informé la société coordinatrice du maintien de sa position.

11      Le 20 avril 2012, la délégation en Ukraine a informé la société coordinatrice de son intention de lever la suspension du marché TACIS, au motif, d’une part, de la durée prolongée de l’enquête judiciaire menée par les autorités belges et, d’autre part, de ce que ledit marché pouvait être considéré comme exécuté.

12      Le 19 mars 2013, la délégation en Ukraine a informé la société coordinatrice que le marché TACIS pouvait être considéré comme ayant été exécuté, à la suite de l’approbation du rapport final, du paiement de la facture finale et du remboursement de la garantie bancaire.

13      Le 24 mai 2018, la délégation en Ukraine a notifié à la société coordinatrice son intention de recouvrer toutes les sommes versées au titre du marché TACIS, soit un montant de 4 241 507 euros.

 Marché CARDS

14      Le 24 octobre 2007, l’Union, représentée par l’Agence européenne pour la reconstruction (AER), a lancé un appel d’offres portant la référence EuropeAid/125037/D/SER/YU dans le but de conclure le marché CARDS, à savoir un marché de services pour la fourniture de services d’assistance technique au Haut conseil judiciaire, en Serbie.

15      Le marché CARDS, ainsi que cela était mentionné au paragraphe 3 de l’avis de marché, s’inscrivait dans le cadre du programme d’assistance communautaire pour la reconstruction, le développement et la stabilisation (CARDS), dont l’objet était de fournir une assistance communautaire aux pays de l’Europe du Sud-Est en vue de leur participation au processus de stabilisation et d’association avec l’Union. Le programme CARDS a été institué en vertu du règlement (CE) no 2666/2000 du Conseil, du 5 décembre 2000, relatif à l’aide à l’Albanie, à la Bosnie-et-Herzégovine, à la Croatie, à la République fédérale de Yougoslavie et à l’ancienne République yougoslave de Macédoine et abrogeant le règlement (CE) no 1628/96 ainsi que modifiant les règlements (CEE) no 3906/89 et (CEE) no 1360/90 et les décisions 97/256/CE et 1999/311/CE (JO 2000, L 306, p. 1). L’instrument d’aide de préadhésion (IAP), institué en vertu du règlement (CE) no 1085/2006 du Conseil, du 17 juillet 2006, établissant un instrument d’aide de préadhésion (IAP) (JO 2006, L 210, p. 82), lui a succédé au titre de la période 2007-2013.

16      Le 10 juin 2008, le marché CARDS a été attribué au consortium coordonné par la société coordinatrice. Le contrat avec la société coordinatrice a été signé le 30 juillet 2008 pour une valeur maximale de marché de 1 999 125 euros.

17      À la suite de la disparition de l’AER en décembre 2008, le marché CARDS a été transféré à la délégation de l’Union en Serbie (ci-après la « délégation en Serbie »).

18      Le 24 septembre 2008, l’OLAF a reçu une lettre anonyme contenant des allégations selon lesquelles, d’une part, les curriculum vitae d’experts non principaux communiqués par la société coordinatrice dans le cadre de l’appel d’offres étaient faux et, d’autre part, le cahier des charges avait été adapté au profit de certains experts.

19      À la suite de ces allégations, l’OLAF a effectué une mission d’enquête. Dans un rapport d’analyse du 7 avril 2009, l’OLAF a relevé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption.

20      Le 31 mars 2010, l’exécution du marché CARDS a été suspendue. Par courriers des 1er et 20 avril 2010, la société coordinatrice a demandé des informations complémentaires au sujet de cette décision. Le 21 avril 2010, la délégation en Serbie a informé la société coordinatrice que la suspension se fondait sur les informations reçues de l’OLAF selon lesquelles la société coordinatrice aurait eu accès au cahier des charges trois semaines avant la publication de l’appel d’offres.

21      Le 28 novembre 2011, l’OLAF a transmis à la Commission son rapport d’enquête final, qui a confirmé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption. L’OLAF a recommandé à la délégation en Serbie de résilier le marché CARDS et de procéder à des recouvrements.

22      Le 28 juillet 2014, l’OLAF a adopté un rapport d’analyse complémentaire dans lequel il a présenté des éléments de preuve supplémentaires qui confirmaient les conclusions des rapports antérieurs.

 Procédures pénales nationales

23      Les premières constatations de l’OLAF, qui concernaient plusieurs marchés publics et impliquaient tant la société coordinatrice que la société intermédiaire qui l’avait à nouveau assistée lors de la participation à l’appel d’offres du marché CARDS, moyennant le versement d’une prime de succès, ont donné lieu à une transmission aux autorités judiciaires françaises, le 27 juin 2008, et belges, le 14 septembre 2009.

24      Le 3 mai 2016, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles (France) a jugé que certains éléments de preuve fournis par l’OLAF contre la société coordinatrice et le requérant devaient être considérés comme irrecevables dans l’ordre juridique interne, de sorte que ladite juridiction a prononcé l’« annulation » des rapports de l’OLAF qui, dès lors, ne pouvaient plus être utilisés dans les procédures judiciaires nationales. Sur cette base, le juge d’instruction français a rendu le 5 décembre 2017 une ordonnance de non-lieu en ce qui concernait la société coordinatrice et le requérant, mais de renvoi devant une juridiction pénale en ce qui concernait la société intermédiaire et ses dirigeants ainsi qu’un membre du personnel de l’Union.

25      Le 5 octobre 2017, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles (Belgique), statuant sur l’instance concernant, notamment, l’attribution des marchés CARDS et TACIS, a rendu un jugement par lequel il a déclaré les poursuites pénales engagées, notamment, contre la société coordinatrice et le requérant, irrecevables. Il a estimé que les rapports portés à l’attention de la justice belge par les fonctionnaires de l’OLAF étaient fondés sur des éléments de preuve préalablement déclarés nuls par la justice française et qui étaient entachés par la même nullité.

26      Le 18 octobre 2018, le tribunal de grande instance de Paris (France) a rendu un jugement de condamnation de la société intermédiaire, de ses dirigeants et du membre du personnel de l’Union, pour corruption. Un appel a été formé à l’encontre de ce jugement.

 Mesures de recouvrement à l’encontre de la société coordinatrice

27      Le 15 octobre 2019, la Commission a adopté la décision C(2019) 7318 final, relative à la réduction des montants dus au titre du marché [TACIS] et au recouvrement des montants indûment versés (ci-après la « décision de recouvrement TACIS »). La Commission a, en particulier, considéré que la procédure relative à ce marché était entachée d’une irrégularité substantielle au sens de l’article 103 du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1, ci-après le « règlement financier de 2002 »), que ladite irrégularité était imputable au consortium coordonné par la société coordinatrice et qu’elle était suffisamment grave pour justifier que le montant dudit marché soit réduit de 4 410 000 euros à 0 euro. Tous les paiements effectués, d’un montant total de 4 241 507 euros, ont ainsi été considérés comme ayant été indûment versés et devant faire l’objet d’un recouvrement.

28      Le même jour, la Commission a adopté la décision C(2019) 7319 final, relative à la réduction des montants dus au titre du [marché CARDS] et au recouvrement des montants indûment versés (ci-après la « décision de recouvrement CARDS »). La Commission a, en particulier, considéré que la procédure relative à ce marché était entachée d’une irrégularité substantielle au sens de l’article 103 du règlement financier de 2002, que ladite irrégularité était imputable au consortium coordonné par la société coordinatrice et qu’elle était suffisamment grave pour justifier que le montant dudit marché soit réduit de 1 199 125 euros à 0 euro. Tous les paiements effectués, d’un montant total de 1 197 055,86 euros, ont ainsi été considérés comme ayant été indûment versés et devant faire l’objet d’un recouvrement. Lors de sa notification à la société coordinatrice, la décision attaquée était accompagnée d’une note de débit datée du 16 octobre 2019, portant sur le paiement par ladite société de la somme de 1 197 055,86 euros au plus tard le 15 novembre 2019.

29      Le 19 novembre 2019, la société coordinatrice a saisi le Tribunal de deux recours contestant la légalité des décisions de recouvrement TACIS et CARDS et comportant des demandes indemnitaires au titre de la responsabilité non contractuelle de l’Union. Par arrêts du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑795/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:917), et du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑796/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:918), les deux recours ont été rejetés comme irrecevables, en ce qu’ils tendaient à l’annulation des décisions de recouvrement TACIS et CARDS, et comme non fondés, en ce qu’ils tendaient à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union. La Commission a formé à l’encontre de ces deux arrêts des pourvois, actuellement pendants devant la Cour, enregistrés sous les numéros C‑161/22 P et C‑160/22 P.

 Procédure judiciaire nationale

30      Le 7 février 2020, la société coordinatrice a attrait l’Union, représentée par la Commission, devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, à qui, en substance, elle a demandé, au titre du marché TACIS, de juger que l’Union n’était pas en droit d’ordonner la réduction à zéro du montant dudit marché et, au titre du marché CARDS, de juger que l’Union n’était pas en droit de résilier celui-ci. À titre subsidiaire, elle a sollicité la condamnation de l’Union au paiement de dommages et intérêts contractuels équivalents à l’intégralité du montant des marchés TACIS et CARDS.

31      Le 19 février 2021, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a rendu un jugement par lequel il a déclaré qu’il disposait du pouvoir de juridiction requis pour connaître de l’action introduite par la société coordinatrice contre l’Union, tant en ce qui concernait le marché TACIS que le marché CARDS, et qu’il se réservait de statuer sur le surplus des demandes dans l’attente de la ou des décision(s) mettant fin à l’instance dans l’affaire T‑795/19, HB/Commission, et dans l’affaire T‑796/19, HB/Commission. Il a, notamment, jugé que l’affaire qui avait été portée devant lui et les deux recours que la société coordinatrice avait introduits devant le Tribunal semblaient avoir le même objet. Ces derniers auraient certes visé à obtenir l’annulation de la décision de recouvrement TACIS et de la décision de recouvrement CARDS plutôt qu’un jugement disant que la Commission n’était pas en droit de les adopter, mais, hormis cette différence, l’effet concret que la société coordinatrice escomptait aurait été identique dans les deux cas.

 Mesures de recouvrement à l’encontre du requérant

32      Le 13 décembre 2019, la Commission a adressé deux lettres au requérant afin de l’informer qu’elle avait l’intention d’adopter à son égard des mesures administratives, telles que prévues aux articles 4 et 7 du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1995, L 312, p. 1). Elle a exposé qu’elle considérait que la responsabilité personnelle du requérant était engagée dans la mesure où il avait participé à la réalisation des irrégularités lors de l’attribution des marchés TACIS et CARDS et que, en tout état de cause, en sa qualité d’administrateur de la société coordinatrice, il était la personne qui aurait dû veiller à ce que ces irrégularités ne fussent pas commises.

33      Le 22 octobre 2020, à la suite d’un échange de correspondance entre le requérant et la Commission, cette dernière a adopté la décision attaquée, dont le dispositif est libellé comme suit :

« Article premier

[Le requérant] a participé activement à la réalisation des irrégularités visées dans la présente décision en ce qui concerne les [marchés TACIS et CARDS].

En sa qualité d’administrateur de [la société coordinatrice], il est également pleinement responsable dans la mesure où il aurait dû éviter qu’elles soient commises.

Article 2

[Le requérant] est solidairement responsable avec [la société coordinatrice] du paiement des montants imposés par la [décision décision de recouvrement TACIS] de 4 241 507 [euros] (quatre millions deux cent quarante et un mille cinq cent sept euros).

Il est également solidairement responsable avec [la société coordinatrice] du paiement des montants imposés par la [décision de recouvrement CARDS] de 1 197 055,86 [euros] (un million cent quatre-vingt-dix-sept mille cinquante-cinq euros et quatre-vingt-six cents), diminué du montant de 399 825 [euros] (trois cent quatre-vingt-dix-neuf mille huit cent vingt-cinq euros) constituant la garantie financière no 10‑533063, et donc d’un montant total de 797 230,86 [euros] (sept cent quatre-vingt-dix-sept mille deux cent trente euros et quatre-vingt-six cents).

Article 3

Les montants indiqués à l’article 2 sont à verser sur le compte de la Commission […]

Le délai de paiement est de 30 jours à compter de la date de notification de la présente décision. Si le compte de la Commission n’est pas crédité à la date d’échéance, des intérêts seront exigibles sur le montant établi par l’Union européenne au taux appliqué par la Banque centrale européenne [BCE] à ses opérations principales de refinancement tel que publié au Journal officiel de l’Union européenne, série C, en vigueur le premier jour calendrier du mois de l’échéance, majoré de 7 points de pourcentage.

À défaut de paiement de la dette dans le délai susmentionné, la Commission procèdera au recouvrement forcé soit en adoptant une décision formant titre exécutoire conformément à l’article 299 [TFUE], soit en engageant une action en justice. »

 Conclusions des parties

34      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’Union à rembourser tous les montants éventuellement recouvrés par la Commission sur la base de la décision attaquée, augmentés des intérêts de retard au taux appliqué par la Banque centrale européenne (BCE), majoré de 7 points ;

–        condamner l’Union au paiement de 10 000,00 euros à titre de dommages et intérêts, sous réserve de parfaire ;

–        condamner la Commission aux entiers dépens.

35      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le deuxième chef de conclusions de la requête irrecevable ;

–        rejeter la demande en annulation comme non fondée ;

–        rejeter comme irrecevables ou en tout état de cause non fondés l’ensemble de la demande indemnitaire et les autres demandes du requérant ;

–        condamner le requérant aux dépens.

36      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter la demande en annulation comme non fondée ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

37      À l’appui du recours, en ce qu’il tend à l’annulation de la décision attaquée, le requérant invoque dix moyens.

38      Le premier moyen est tiré de l’illégalité des constatations des rapports de l’OLAF et des irrégularités retenues contre la société coordinatrice dont le requérant est gérant. Le deuxième moyen est tiré de la prescription de la créance alléguée et, en toute hypothèse, de la violation du délai raisonnable, de l’article 73 bis, paragraphe 1, du règlement financier de 2002, du droit à une bonne administration tel que consacré par l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et de l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. Le troisième moyen est tiré de l’absence de base juridique régulière et de la violation du principe de la légalité des peines et du principe de l’application de la loi pénale la plus douce. Le quatrième moyen est tiré de la violation du jugement du tribunal de première instance francophone de Bruxelles du 5 octobre 2017 et de l’adage selon lequel « le pénal tient l’administratif en l’état ». Le cinquième moyen est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation dont serait entachée la décision attaquée. Le sixième moyen est tiré du fait que, en vertu du droit belge des sociétés, le requérant ne pourrait pas être tenu responsable des illégalités reprochées à la société coordinatrice. Le septième moyen est tiré de la violation des droits de la défense. Le huitième moyen est tiré de la violation du principe de bonne administration, du principe d’exécution de bonne foi des contrats et du principe de l’interdiction de l’« abus de droit ». Le neuvième moyen est tiré d’une exception d’illégalité soulevée à l’égard de l’article 103 du règlement financier de 2002, en ce qu’il méconnaîtrait le principe général de l’interdiction de l’enrichissement sans cause. Le dixième moyen, soulevé à titre subsidiaire, est tiré de la violation de l’article 103 du règlement financier de 2002 et du principe de proportionnalité.

39      Dans le cadre de la demande indemnitaire, le requérant fait valoir que les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE sont remplies.

40      Tout d’abord, la Commission fait valoir que le deuxième chef de conclusions du requérant est irrecevable dans la mesure où, en vertu de la jurisprudence, le Tribunal ne peut adresser une injonction aux institutions de l’Union ou se substituer à ces dernières dans le cadre du contrôle de légalité qu’il exerce. Ensuite, elle expose les raisons pour lesquelles elle considère que la demande d’annulation doit être rejetée comme étant non fondée. Enfin, elle estime que la demande indemnitaire du requérant est irrecevable, dans la mesure où elle méconnaît les dispositions de l’article 76 du règlement de procédure du Tribunal, car elle n’est étayée ni en droit ni en fait. En tout état de cause, cette demande serait manifestement infondée.

41      Le Conseil expose qu’il intervient au soutien de la Commission, mais que son intervention porte uniquement sur le neuvième moyen du requérant, tiré de la prétendue illégalité de l’article 103 du règlement financier de 2002. Il fait valoir que ladite exception d’illégalité est non fondée.

 Sur le chef de conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée

42      En l’espèce, le Tribunal estime opportun de commencer par l’examen du troisième moyen, tiré de l’absence de base juridique régulière et de la violation des principes de la légalité des peines et de l’application de la loi pénale la plus douce.

43      Le requérant expose que, selon l’article 103 du règlement financier de 2002, seul le cocontractant de l’Union dans le cadre des marchés CARDS et TACIS, à savoir la société coordinatrice dont il est le gérant, peut faire l’objet d’un recouvrement. Cette disposition serait suffisamment claire pour ne pas devoir être interprétée à la lumière de l’article 7 du règlement no 2988/95. La Commission aurait également violé le principe de l’application de la loi « pénale » la plus douce ou encore le principe de la légalité des peines, consacré par l’article 49 de la Charte, en cherchant à appliquer une obligation juridique plus sévère que celle prévue par le règlement financier de 2002, qui n’a été consacrée à l’égard des personnes physiques, prises en tant qu’opérateurs économiques, que lors de l’adoption du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement financier de 2018 »). En outre, le requérant fait valoir qu’il n’est pas un opérateur économique, qu’il n’a obtenu aucun avantage des prétendues illégalités, n’a été destinataire d’aucun paiement de la part de l’autorité contractante et n’a certainement jamais perçu un avantage équivalent à la totalité de la valeur des deux marchés en cause.

44      La Commission conteste le fait que la décision attaquée souffre d’un défaut de base juridique, dans la mesure où, dans cette décision, elle ne se limite pas à appliquer l’article 103, troisième alinéa, du règlement financier de 2002 à la lumière de l’article 7 du règlement no 2988/95, mais ces deux dispositions ensemble. En outre, le requérant ne serait pas visé en tant qu’opérateur économique, mais, conformément à l’article 7 du règlement no 2988/95, en tant que personne ayant participé à la réalisation de l’irrégularité ou n’ayant pas évité qu’elle fût commise. Il y aurait donc lieu de rejeter l’argument du requérant tenant à l’extension de la notion d’opérateur économique aux personnes physiques par le règlement financier de 2018. Au demeurant, cette notion incluait déjà les personnes physiques en vertu de l’article 116, paragraphe 6, du règlement (CE, Euratom) no 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement [financier de 2002] (JO 2002, L 357, p. 1).

45      Par ailleurs, le requérant se serait vu appliquer par la décision attaquée une mesure administrative, telle que visée par l’article 4, paragraphe 4, du règlement no 2988/95, et non une mesure de nature pénale ou une sanction administrative. Dès lors, le principe de l’application de la loi « pénale » la plus douce et le principe de la légalité des peines, consacré par l’article 49 de la Charte, ne trouveraient pas à s’appliquer en l’espèce. Enfin, la mise en œuvre conjointe de l’article 103 du règlement financier de 2002 et de l’article 7 du règlement no 2988/95 ne serait pas conditionnée par le fait que le requérant ait obtenu directement un avantage.

46      En l’espèce, ainsi que cela résulte des considérants 39 à 44 de la décision attaquée, sous le titre « Règles de procédure et règles de fond applicables dans le présent cas », ladite décision, qui, selon son intitulé, applique une mesure administrative à l’encontre du requérant en sa qualité d’administrateur de la société coordinatrice, a été adoptée sur le fondement des règles procédurales découlant de l’article 98 du règlement financier de 2018, en particulier son paragraphe 2, et sur le fondement des règles de fond découlant de l’article 103 du règlement financier de 2002 ainsi que des articles 4 et 7 du règlement no 2988/95.

47      L’article 103 du règlement financier de 2002 dispose notamment :

« Lorsque la procédure de passation ou l’exécution d’un marché sont entachées soit d’erreurs ou d’irrégularités substantielles, soit de fraude, les institutions suspendent l’exécution dudit marché.

Si ces erreurs, irrégularités ou fraudes sont le fait du contractant, elles peuvent, en outre, refuser d’effectuer le paiement ou recouvrer les montants déjà versés, proportionnellement à la gravité desdites erreurs, irrégularités ou fraudes. »

48      Le considérant 5 du règlement no 2988/95 est formulé comme suit :

« [L]es comportements constitutifs d’irrégularités, ainsi que les mesures et sanctions administratives y relatives, sont prévus dans des réglementations sectorielles en conformité avec le présent règlement. »

49      L’article 4 du règlement no 2988/95 dispose :

« 1.      Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l’avantage indûment obtenu :

–        par l’obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus,

–        par la perte totale ou partielle de la garantie constituée à l’appui de la demande d’un avantage octroyé ou lors de la perception d’une avance.

2.      L’application des mesures visées au paragraphe 1 est limitée au retrait de l’avantage obtenu augmenté, si cela est prévu, d’intérêts qui peuvent être déterminés de façon forfaitaire.

3.      Les actes pour lesquels il est établi qu’ils ont pour but d’obtenir un avantage contraire aux objectifs du droit communautaire applicable en l’espèce, en créant artificiellement les conditions requises pour l’obtention de cet avantage, ont pour conséquence, selon le cas, soit la non-obtention de l’avantage, soit son retrait.

4.      Les mesures prévues par le présent article ne sont pas considérées comme des sanctions. »

50      L’article 7 du règlement no 2988/95 dispose :

« Les mesures et sanctions administratives communautaires peuvent s’appliquer aux opérateurs économiques visés à l’article 1er, à savoir les personnes physiques ou morales, ainsi que les autres entités auxquelles le droit national reconnaît la capacité juridique, qui ont commis l’irrégularité. Elles peuvent également s’appliquer aux personnes qui ont participé à la réalisation de l’irrégularité, ainsi qu’à celles qui sont tenues de répondre de l’irrégularité ou d’éviter qu’elle soit commise. »

51      Premièrement, il y a lieu de constater que, au regard du considérant 5 du règlement no 2988/95, le législateur de l’Union a clairement retenu le principe selon lequel les sanctions et les mesures administratives à l’égard des auteurs de comportements constitutifs d’irrégularités devaient résulter de règlementations sectorielles spécifiques afin d’être mises en œuvre en conformité avec ledit règlement.

52      À cet égard, s’agissant des sanctions administratives, par l’arrêt du 28 octobre 2010, SGS Belgium e.a. (C‑367/09, EU:C:2010:648), la Cour, saisie dans le cadre d’une question préjudicielle, a confirmé la portée du règlement no 2988/95, en ce qu’il concourait à la mise en place de mécanismes destinés à la protection des intérêts financiers de l’Union par le biais de telles sanctions, et la nécessité qu’il fût appliqué en référence à une règlementation sectorielle.

53      La Cour a jugé qu’il ressortait de l’article 2 du règlement no 2988/95, et notamment de son paragraphe 3, lu en combinaison avec les considérants 5 et 8 du même règlement, qu’il appartenait au législateur de l’Union de prévoir des réglementations sectorielles instaurant des sanctions administratives, à l’instar de celles qui existaient déjà lors de l’adoption dudit règlement dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). En outre, ainsi que cela ressortait du considérant 7 du même règlement, ce dernier tendait à établir des règles générales s’imposant à de telles réglementations sectorielles (arrêt du 28 octobre 2010, SGS Belgium e.a., C‑367/09, EU:C:2010:648, point 37).

54      Ainsi, le règlement no 2988/95 doit être considéré comme un règlement-cadre, qui, sans établir de règles précises définissant les comportements susceptibles de donner lieu à des sanctions administratives ou les catégories de personnes ou d’entités susceptibles d’être visées par lesdites sanctions, permet au législateur de l’Union d’adopter des actes de droit dérivé concourant à définir les modalités précises de protection des intérêts financiers de l’Union dans les secteurs où cette protection s’avère nécessaire.

55      Il a, notamment, été jugé que les articles 5 et 7 du règlement no 2988/95, à défaut d’une règlementation sectorielle, ne s’appliquaient pas d’une manière telle qu’une sanction administrative pouvait être infligée sur le fondement de ces seules dispositions et qu’il était nécessaire, antérieurement à la commission de l’irrégularité sanctionnée, que, notamment, le législateur de l’Union ait adopté une règlementation sectorielle définissant une telle sanction et les conditions de son application à la catégorie de personnes visées (voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2010, SGS Belgium e.a., C‑367/09, EU:C:2010:648, point 43).

56      Les dispositions du règlement no 2988/95, en ce qu’elles régissent les sanctions administratives concourant à la sauvegarde des intérêts financiers de l’Union, sont donc dépourvues de caractère autonome.

57      En effet, la Cour a estimé que, si les dispositions du règlement no 2988/95 régissant les sanctions administratives nécessitaient, pour leur mise en œuvre, l’adoption de mesures d’application soit par le législateur de l’Union lui-même, soit par les États membres, cela tenait au fait que l’article 5 du règlement no 2988/95 se limitait à prévoir que les irrégularités intentionnelles ou causées par négligence « p[ouvai]ent » conduire à certaines des sanctions administratives énumérées à cet article tandis que, s’agissant des catégories d’acteurs susceptibles de faire l’objet de telles sanctions, l’article 7 dudit règlement prévoyait que lesdites sanctions « p[ouvai]ent » s’appliquer non seulement aux opérateurs économiques ayant commis l’irrégularité, mais également aux personnes ayant participé à la réalisation de l’irrégularité ainsi qu’à celles qui sont tenues de répondre de l’irrégularité ou d’éviter qu’elle soit commise. Or, selon la Cour, ces dispositions se bornent à établir les règles générales de contrôles et de sanctions dans un but de protection des intérêts financiers de l’Union, mais sans déterminer précisément la catégorie d’acteurs devant faire l’objet d’une telle sanction dans un tel cas (voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2010, SGS Belgium e.a., C‑367/09, EU:C:2010:648, points 35 et 36).

58      Deuxièmement, il y a lieu de relever que, dans sa jurisprudence, la Cour ne semble pas opérer de différences significatives entre la mise en œuvre des sanctions prévues par le règlement no 2988/95 et celle des mesures administratives prévues par le même règlement, leur mise en œuvre nécessitant qu’une règlementation sectorielle prévoie spécifiquement la possibilité de les adopter.

59      À cet égard, la Cour a, notamment, jugé, en ce qui concernait des subventions attribuées dans le cadre des fonds structurels, que le règlement (CEE) no 4253/88 du Conseil, du 19 décembre 1988, portant dispositions d’application du règlement (CEE) no 2052/88 en ce qui concerne la coordination entre les interventions des différents Fonds structurels, d’une part, et entre celles-ci et celles de la Banque européenne d’investissement et des autres instruments financiers existants, d’autre part (JO 1988, L 374, p. 1), constituait le fondement juridique pertinent aux fins de la récupération, et non le règlement no 2988/95, lequel se bornait à établir les règles générales de contrôles et de sanctions dans un but de protection des intérêts financiers de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, Chambre de commerce et d’industrie de l’Indre, C‑465/10, EU:C:2011:867, point 33).

60      De même, en ce qui concernait des subventions accordées dans le cadre du Fonds européen pour les réfugiés, la Cour a rappelé que le règlement no 2988/95 se bornait à établir des règles générales de contrôles et de sanctions dans un but de protection des intérêts financiers de l’Union et que c’était donc sur le fondement d’autres dispositions, à savoir, le cas échéant, sur le fondement de dispositions sectorielles, que devait s’effectuer une récupération de fonds mal employés (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, Somvao, C‑599/13, EU:C:2014:2462, point 37).

61      Troisièmement, il est exact que, ainsi que cela résulte de la jurisprudence, dans certains des domaines d’intervention de l’Union, il a pu être considéré que l’avantage obtenu sous la forme d’un financement octroyé par l’Union à la suite d’une pratique irrégulière devait faire l’objet d’une récupération au titre d’une mesure administrative pour laquelle une base légale claire et non ambiguë n’était pas nécessaire, au motif qu’il s’agissait de la simple conséquence de la constatation que les conditions requises pour l’obtention de cet avantage avaient été artificiellement créées et que l’objectif poursuivi par la réglementation de l’Union n’avait pas été atteint, ce qui rendait en tout état de cause indu l’avantage perçu et justifiait, dès lors, l’obligation de le restituer (voir, par analogie, arrêt du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke, C‑110/99, EU:C:2000:695, points 56 et 57).

62      Il y a toutefois lieu de rappeler, ainsi que cela résulte, en substance, des considérants 8 et 9 du règlement no 2988/95, que le régime des sanctions et mesures administratives a initialement été instauré, avant même l’entrée en vigueur dudit règlement, afin de réaliser les objectifs de la PAC et que, dans ce domaine, la règlementation autorise la récupération des montants indûment versés par l’Union, sans que la référence aux dispositions de ce règlement soit indispensable, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les fonds agricoles européens ne financent que les interventions effectuées conformément aux dispositions du droit de l’Union dans le cadre de l’organisation commune des marchés agricoles (voir arrêt du 27 février 2013, Pologne/Commission, T‑241/10, non publié, EU:T:2013:96, point 20 et jurisprudence citée).

63      Cela explique le fait que, selon la Cour, dans le domaine de la PAC, la constatation que les conditions requises pour l’obtention de l’avantage résultant du droit de l’Union ont été artificiellement créées rend en tout état de cause indu l’avantage perçu et justifie, dès lors, l’obligation de le restituer (voir, par analogie, arrêt du 13 décembre 2012, FranceAgriMer, C‑670/11, EU:C:2012:807, point 65).

64      D’autres domaines de l’action de l’Union peuvent obéir à des règles équivalentes, notamment, celui de la politique commerciale commune, où il a également été jugé que l’obligation de restituer un avantage indûment perçu au moyen d’une pratique irrégulière ne méconnaissait pas le principe de légalité, mais était la simple conséquence de la constatation que les conditions requises pour l’obtention de l’avantage résultant de la réglementation de l’Union avaient été artificiellement créées (voir, par analogie, arrêt du 4 juin 2009, Pometon, C‑158/08, EU:C:2009:349, point 28).

65      Le règlement no 2988/95 ne peut donc constituer à lui seul le fondement juridique pertinent aux fins de l’adoption de mesures administratives visant à la récupération de montants indûment perçus. Dans les hypothèses où sa mise en œuvre ne s’appuie pas sur la référence spécifique à un règlement-cadre, cela tient au fait que, en tout état de cause, la violation par le bénéficiaire de l’une des obligations fondamentales lui incombant en vertu de la règlementation sectorielle concernée autorise la récupération de montants indûment perçus afin, en particulier, de produire l’effet dissuasif nécessaire à la bonne gestion des fonds issus du budget de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2011, Chambre de commerce et d’industrie de l’Indre, C‑465/10, EU:C:2011:867, point 40).

66      Or, dans la mesure où le règlement financier de 2002, qui était en vigueur au moment de la passation des marchés CARDS et TACIS, constituait la règlementation sectorielle qui concourait à la protection des intérêts financiers de l’Union lors de la procédure de passation ou d’exécution de ces marchés, il y a lieu de relever que l’article 103, deuxième alinéa, dudit règlement ne visait pas d’autres entités ou personnes que le contractant avec lequel l’Union s’engageait, qui, dès lors que des erreurs, irrégularités ou fraudes pouvaient lui être imputées, pouvait se voir imposer un refus de paiement ou le recouvrement des montants déjà versés, proportionnellement à la gravité desdites erreurs, irrégularités ou fraudes.

67      Quant aux dispositions du règlement no 2988/95 qui définissent les mesures administratives, en l’occurrence l’article 4 dudit règlement, elles mentionnent, notamment, « l’obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus », mais sans mentionner que lesdites mesures peuvent s’appliquer à d’autres personnes ou entités que leur bénéficiaire, en particulier en imposant à un tiers le remboursement des sommes indûment perçues par ledit bénéficiaire. Or, à l’instar de ce qui concerne les sanctions administratives, il y a lieu de relever que l’article 7 du règlement no 2988/95 n’apporte pas de précisions s’agissant de la catégorie d’acteurs devant faire l’objet d’une mesure administrative dans un tel cas (voir point 65 ci-dessus).

68      En outre, la Commission ayant versé les fonds litigieux au titre des marchés CARDS et TACIS, il convient de rappeler qu’elle n’a jamais prétendu agir en vertu des stipulations desdits marchés, mais en vertu de prérogatives de puissance publique, et qu’elle n’a pas davantage soutenu que ces marchés auraient emporté des obligations spécifiques dans le chef du gérant de la société coordinatrice, ce dernier demeurant un tiers en ce qui concerne les engagements souscrits.

69      Il en résulte que, contrairement à ce que soutient la Commission, l’application conjointe de l’article 103, troisième alinéa, du règlement financier de 2002 et des articles 4 et 7 du règlement no 2988/95 ne permettait pas l’adoption à l’encontre du requérant d’une mesure administrative comme celle que comportait la décision attaquée, dans la mesure où il est constant qu’il n’avait pas la qualité de contractant et qu’il n’était pas le bénéficiaire direct des paiements effectué par l’Union.

70      Ainsi, l’argumentation tirée, en substance, de l’absence de base légale autorisant la Commission à adopter la décision attaquée à l’égard du requérant est fondée.

71      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le troisième moyen et, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens, d’annuler la décision attaquée.

 Sur le chef de conclusions tendant à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union

72      Le requérant, ainsi que cela ressort des points 189 à 199 de la requête, a inclus dans ses conclusions indemnitaires la totalité de ses chefs de conclusions autres que la demande d’annulation de la décision attaquée. Il y a donc lieu de considérer lesdits chefs de conclusions comme relevant d’un chef de conclusions unique, tendant à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union.

73      À cet égard, le requérant expose, en substance, que les manquements imputés à la Commission dans le cadre du présent recours en ce qu’il tend à l’annulation de la décision attaquée, notamment la violation du délai de prescription, l’absence de base légale de ladite décision, la méconnaissance de l’autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal de première instance francophone de Bruxelles du 5 octobre 2017 et de l’adage « le pénal tient l’administratif en l’état », constituent des violations suffisamment caractérisées d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

74      Le requérant expose par ailleurs que son préjudice matériel est réel et certain, car la Commission a engagé à son égard le recouvrement forcé des sommes réclamées dont le montant est particulièrement élevé pour une personne physique. Ce préjudice serait également détachable de l’illégalité fondant la demande d’annulation de la décision attaquée et ne pourrait être intégralement réparé par l’annulation de cette dernière. Le requérant invoque, à cet égard, un état d’incertitude prolongé, une atteinte à sa dignité et à sa réputation ainsi qu’une altération de son état de santé.

75      La Commission a soulevé une fin de non-recevoir à l’égard du chef de conclusions tendant à ce que le Tribunal lui ordonne le remboursement de tous les montants éventuellement recouvrés sur la base de la décision attaquée, assortis d’intérêts de retard, au motif que, selon la jurisprudence, le Tribunal ne peut adresser une injonction aux institutions ou se substituer à ces dernières dans le cadre du contrôle de légalité.

76      Sur le fond, la Commission fait en outre valoir qu’aucune des conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union n’est remplie. Premièrement, elle conteste l’illégalité du comportement qui lui est reproché en renvoyant, à cet égard, à ses arguments relatifs à la réfutation de la demande en annulation de la décision attaquée. Deuxièmement, elle expose que le requérant n’a fourni aucun élément de nature à démontrer le lien de causalité entre le manquement reproché et le préjudice invoqué, en violation de l’article 76 du règlement de procédure, ce qui pourrait rendre la requête irrecevable en ce qui concerne son volet indemnitaire. Troisièmement, le préjudice matériel invoqué par le requérant, consistant en les montants éventuellement recouvrés en exécution de la décision attaquée, ne se serait pas encore matérialisé à la date de soumission de la requête et il ne reposerait que sur de vagues allégations et spéculations.

77      S’agissant enfin du préjudice moral, il ne serait pas avéré et son évaluation à hauteur de 10 000 euros ne serait pas justifiée. Le certificat médical produit par le requérant ne permettrait pas d’établir un lien entre la détérioration alléguée de son état de santé à partir du mois d’octobre 2020 et les actions entreprises pour recouvrer les sommes réclamées. Ces actions n’ayant pas été portées à la connaissance d’un tiers, elles n’auraient, au demeurant, pas généré d’atteinte à sa réputation.

78      À le supposer néanmoins avéré, le préjudice moral pourrait être suffisamment réparé par l’annulation de la décision attaquée. Enfin, la Commission aurait accepté de suspendre l’exécution des deux décisions formant titre exécutoire contre le requérant et la société coordinatrice dans les affaires T‑407/21 R, PB/Commission, et T‑408/21 R, HB/Commission, et ce jusqu’à ce que les affaires T‑795/19, HB/Commission, et T‑796/19, HB/Commission, soient jugées.

79      Il convient de rappeler que le juge de l’Union est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond un recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52).

80      Dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal considère que, dans un souci de bonne administration de la justice, il y a lieu d’examiner d’emblée le bien-fondé du second chef de conclusions du recours, en ce qu’il se rattache à la demande indemnitaire du requérant, sans statuer préalablement sur la fin de non-recevoir soulevée par la Commission, le chef de conclusions en question étant, en tout état de cause et pour les motifs exposés ci-après, dépourvu de fondement (voir, par analogie, arrêt du 16 mars 2022, BSEF/Commission, T‑113/20, non publié, EU:T:2022:142, point 15).

81      En vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

82      L’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses organismes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêt du 2 mars 2010, Arcelor/Parlement et Conseil, T‑16/04, EU:T:2010:54, point 139 et jurisprudence citée).

83      Le caractère cumulatif de ces trois conditions d’engagement de la responsabilité implique que, lorsque l’une d’entre elles n’est pas remplie, le recours en indemnité doit être rejeté dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêts du 8 mai 2003, T. Port/Commission, C‑122/01 P, EU:C:2003:259, point 30, et du 11 juillet 2007, Schneider Electric/Commission, T‑351/03, EU:T:2007:212, point 120).

84      S’agissant de la condition de la responsabilité non contractuelle de l’Union tenant à la réalité du dommage, il importe de rappeler que ce dernier doit être réel et certain, ainsi qu’évaluable. En revanche, un dommage purement hypothétique et indéterminé ne donne pas droit à réparation (voir ordonnance du 7 juillet 2006, Établissements Toulorge/Parlement et Conseil, T‑167/02, non publiée, EU:T:2006:193, point 28 et jurisprudence citée).

85      En outre, il incombe à la partie requérante d’apporter des éléments de preuve au juge de l’Union afin d’établir l’existence et l’ampleur de son préjudice (arrêt du 21 mai 1976, Roquette frères/Commission, 26/74, EU:C:1976:69, points 22 à 24, et ordonnance du 7 juillet 2006, Établissements Toulorge/Parlement et Conseil, T‑167/02, non publiée, EU:T:2006:193, point 29).

86      En premier lieu, s’agissant du chef de préjudice invoqué par le requérant qui correspond aux montants que la Commission aurait éventuellement recouvrés à son égard sur la base de la décision attaquée, assortis d’intérêts de retard, il y a lieu de constater qu’il ne s’est pas réalisé, ni à la date d’introduction du recours ni postérieurement, et que, par conséquent, il demeure hypothétique et est dépourvu de caractère certain. Si le requérant invoque le fait que, à la suite de l’adoption de ladite décision, la Commission a engagé à son égard le recouvrement forcé des sommes réclamées, notamment en lui notifiant le 6 mai 2021 une décision lui enjoignant de payer les sommes réclamées au titre des marchés CARDS et TACIS, il n’en demeure pas moins que, à ce stade, il n’est pas démontré que le recouvrement effectif desdites sommes serait intervenu et, compte tenu de l’annulation de cette décision par la présente décision, cette situation n’est pas susceptible d’évoluer.

87      Faute pour le requérant d’avoir démontré la réalité du dommage en question, la demande d’indemnisation du présent chef de préjudice n’est donc pas fondée et il y a lieu de la rejeter, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la fin de non-recevoir soulevée par la Commission à l’encontre du deuxième chef de conclusions du requérant, tirée du fait que le Tribunal ne peut adresser une injonction aux institutions ou se substituer à ces dernières dans le cadre du contrôle de légalité.

88      En second lieu, s’agissant du préjudice moral invoqué par le requérant, évalué, ex æquo et bono, à la somme de 10 000 euros, sous réserve de parfaire, les éléments produits par le requérant ne permettent de constater ni sa réalité, ni le lien qu’il présenterait avec le comportement fautif que le requérant impute à la Commission.

89      À cet égard, il y a lieu de relever que, s’agissant de l’atteinte alléguée à sa réputation, le requérant ne produit aucun élément susceptible d’en démontrer la réalité, dans la mesure où, par exemple, des tiers auraient eu connaissance de la décision attaquée. En outre, le requérant ne démontre pas davantage que la Commission a donné une quelconque publicité à ladite décision, ce qui aurait été susceptible de porter atteinte à sa réputation. Par conséquent, le présent chef de préjudice ne saurait fonder une quelconque demande indemnitaire, les conditions tenant à la réalité du dommage et à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement imputé à la Commission et le préjudice allégué n’étant pas réunies.

90      En outre, si le requérant a produit un certificat médical daté du 8 juin 2021 faisant état de « symptômes en lien avec une situation de stress important », les termes de ce certificat sont beaucoup trop vagues pour établir une relation entre lesdits symptômes et le comportement fautif attribué à la Commission, de sorte que la condition tenant à l’existence d’un lien de causalité n’est pas remplie.

91      Au vu des considérations qui précèdent, il apparaît que toutes les conditions d’engagement de la responsabilité de l’Union ne sont pas réunies cumulativement pour les chefs de préjudice invoqués par le requérant. Il y a donc lieu de considérer que le chef de conclusions tendant à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union est non fondé et de le rejeter.

 Sur les dépens

92      Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

93      En l’espèce, dans la mesure où le chef de conclusions du requérant tendant à l’annulation de la décision attaquée a été accueilli, tandis que son chef de conclusions tendant à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union a été rejeté, il y a lieu de condamner le requérant et la Commission à supporter leurs propres dépens.

94      Par ailleurs, en vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Il s’ensuit que le Conseil supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C(2020) 7151 final de la Commission, du 22 octobre 2020, relative à l’application d’une mesure administrative à l’encontre de l’administrateur de la société [Confidentiel], retirant les montants indûment perçus au titre des contrats TACIS/2006/101-510 et CARDS/2008/166-429, est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      PB, la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne supporteront chacun leurs propres dépens.

Tomljenović

Schalin

Nõmm

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 septembre 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.