Language of document : ECLI:EU:T:2004:307

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
14 octobre 2004 (1)

« Fonctionnaires – Recours en indemnité – Exposition à l'amiante – Maladie professionnelle – Préjudice »

Dans l'affaire T-257/02,

K, fonctionnaire de la Cour de justice des Communautés européennes, demeurant à Luxembourg (Luxembourg), représentée par Mes J. Iturriagagoitia Bassas et K. Delvolvé, avocat,

partie requérante,

contre

Cour de justice des Communautés européennes, représentée par M. M. Schauss, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de réparation des préjudices physique, moral, professionnel et financier prétendument subis par la requérante,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),



composé de M. H. Legal, président, Mme V. Tiili et M. M. Vilaras, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 6 mai 2004,

rend le présent



Arrêt




Faits à l’origine du litige

1
La requérante est entrée au service de la défenderesse le 18 novembre 1987 et a été affectée à la division de l’interprétation.

2
Dans le cadre de la campagne de dépistage individuel, lancée par la défenderesse en décembre 1996, en vue de déterminer les conséquences d’une éventuelle exposition du personnel de l’institution à l’amiante, la requérante a subi un examen radiologique. Les conclusions du rapport du Dr Feintrenie, pneumologue, faisant suite à cet examen, sont libellées de la manière suivante : « bilan pneumologique révélant quelques épaississements pleuraux et un test de diffusion au [monoxyde de carbone] à la limite inférieure à la normale. Ces anomalies, sans être spécifiques, sont compatibles avec une asbestose pleuro-parenchymateuse débutante ». Ces résultats ont été communiqués à la requérante le 21 avril 1997.

3
Le 7 octobre 1999, la requérante a présenté une demande tendant à la reconnaissance d’une maladie professionnelle en application de l’article 73 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut »). À cette demande était joint un rapport établi par le DFettmann le 4 octobre 1999 évoquant à propos de la requérante « la découverte radiologique d’épaississements pleuraux [qui] peuvent être compatibles avec une asbestose pleuyro-parenchymateuse débutante ».

4
Dans le cadre de la procédure prévue par la réglementation relative à la couverture des risques d’accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après la « réglementation de couverture »), elle a été examinée par les professeurs De Vuyst et Genevois, respectivement, pneumologue et radiologue, et par le médecin désigné par l’institution, le DDalem. Sur la base des conclusions des premiers nommés, selon lesquelles les clichés radiologiques de l’intéressée ne mettent pas en évidence de pathologie pleurale ou parenchymateuse suggestive de lésion induite par l’exposition à l’amiante, le DDalem a conclu son rapport du 12 octobre 2000 dans les termes suivants :

« invalidité : il ne s’agit pas de lésion liée à l’amiante.

syndrome neuropsychique : 10 % » .

5
Le 18 décembre 2000, la requérante a, en vertu de l’article 21, deuxième alinéa, de la réglementation de couverture, demandé la saisine de la commission médicale prévue à l’article 23 de la même réglementation. Cette commission, composée des Drs Dalem et Fettmann, choisis respectivement par la défenderesse et la requérante, et du PBignon, désigné d’un commun accord par les deux autres médecins, a rendu ses conclusions le 6 avril 2001, à l’unanimité de ses membres. Ces conclusions sont ainsi libellées :

« […]

1. Il n’existe aucune pathologie décelable sur le plan pulmonaire en rapport avec l’exposition à l’amiante.

2. Les conditions de travail exposées par [la requérante] montrent qu’elle a exercé ses fonctions dans une atmosphère de haute dangerosité.

3. Il n’existe aucune séquelle pulmonaire mais par contre une perturbation d’ordre psychologique qui justifie l’octroi d’une invalidité permanente de 13 % […].

4. La date de début de l’invalidité doit être fixée au 21/04/97, date de la révélation des lésions pulmonaires décrites par le pneumologue consulté par [la requérante].

5. La date de consolidation doit être fixée au 04/10/99 (date du rapport du docteur Fettmann). »

6
Le 31 mai 2001, le chef de la division du personnel de la Cour, M. Pommiès, en sa qualité d’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN »), a adopté une décision, fondée sur les conclusions de la commission médicale, reconnaissant que la requérante est atteinte d’une maladie qui trouve son origine dans l’exercice de ses fonctions au service de la défenderesse et qui entraîne une invalidité permanente de 13 %. À ce titre, la requérante a perçu une indemnité de 74 578,56 euros. La décision dispose, en outre, que les frais médicaux directement liés à la maladie professionnelle et encourus par la requérante après la date de consolidation, fixée au 4 octobre 1999, sont à la charge de la défenderesse.

7
Le 30 août 2001, la requérante a introduit une réclamation contre la décision du 31 mai 2001 portant reconnaissance d’une maladie professionnelle. Cette réclamation a été enregistrée sous le numéro Cont. 4/01‑R(c).

8
Le 4 octobre 2001, la requérante a introduit une demande au titre de l’article 90 du statut tendant à obtenir, sur le fondement de l’article 288 CE, une indemnisation chiffrée à 350 000 euros pour les « dommages et préjudices moraux de toute nature » prétendument subis en raison de l’exposition à l’amiante.

9
Par mémorandum du 25 octobre 2001, le greffier de la Cour a rejeté la demande indemnitaire susvisée aux motifs que la requérante n’avait fourni aucune pièce justifiant la réalité ou l’étendue des préjudices allégués.

10
Le 20 novembre 2001, le comité chargé des réclamations de la Cour a sollicité, dans le cadre de la réclamation Cont. 4/01‑R(c), des compléments d’informations de la part de la commission médicale. Ces compléments lui sont parvenus le 29 avril 2002.

11
Le 25 janvier 2002, la requérante a introduit une réclamation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, contre la décision du 25 octobre 2001 portant rejet de sa demande d’indemnité. Cette réclamation a été enregistrée sous le numéro Cont. 2/02‑R(c).

12
Par décision du 14 mai 2002, notifiée à l’intéressée le 27 mai suivant, le comité chargé des réclamations a rejeté les réclamations Cont. 4/01‑R(c) et Cont. 2/02‑R(c). S’agissant de la motivation du rejet de la seconde réclamation, le comité a indiqué qu’il ne disposait d’aucun élément lui permettant de considérer que la réparation des préjudices allégués devait être fixée à un montant supérieur à l’indemnité de 74 578,56 euros, calculée sur la base de constatations médicales.


Procédure et conclusions des parties

13
C’est dans ces circonstances que la requérante a, par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 août 2002, introduit le présent recours.

14
Conformément à l’article 50 du règlement de procédure du Tribunal, les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur la jonction aux fins de la procédure orale des affaires T‑1/02, Polinsky/Cour de justice, T‑255/02, H/Cour de justice, T‑256/02, I/Cour de justice, T‑257/02, K/Cour de justice, T‑389/02, Sandini/Cour de justice, et T‑390/02, Cagnato/Cour de justice, et sur la tenue éventuelle d’une audience à huis clos en application de l’article 57 dudit règlement.

15
Par ordonnance du 29 avril 2004, à la suite de l’accord exprimé par les parties, le président de la quatrième chambre du Tribunal a décidé de joindre les affaires susvisées aux fins de la procédure orale. Conformément à la demande exprimée par les parties requérantes dans ces affaires, les débats ont eu lieu publiquement.

16
Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 6 mai 2004.

17
La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

à titre principal :

annuler la décision prise par la défenderesse le 14 mai 2002 « dans le cadre de la demande concernant une indemnisation pour les dommages et préjudices moraux et de toute nature subis » pour cause de maladie professionnelle,

condamner la défenderesse à lui payer, à titre de réparation pour les préjudices « qu’elle a subis et subira à l’avenir », la somme de 350 000 euros, fixée sous toute réserve, majorée des intérêts moratoires au taux de 10 % l’an à partir du 4 octobre 1999 jusqu’à la date du paiement de ladite somme,

condamner la défenderesse aux dépens ;

à titre subsidiaire : ordonner une expertise médicale.

18
La défenderesse conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner la requérante à supporter ses propres dépens.


En droit

Arguments des parties

Sur la demande de réparation des préjudices physique, moral, professionnel et financier prétendument subis par la requérante

19
La requérante indique avoir introduit un recours en indemnité sur le fondement de l’article 288 CE et fait référence à la jurisprudence qui prévoit le droit du fonctionnaire de demander une indemnisation complémentaire lorsque l’institution est responsable, selon le droit commun, de l’accident ou de la maladie et que les prestations du régime statutaire ne suffisent pas pour assurer la pleine réparation du préjudice subi (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 octobre 1986, Leussink e.a./Commission, 169/83 et 136/84, Rec. p. 2801, point 13).

20
S’agissant des conditions d’application de l’article 288 CE, la requérante prétend, en premier lieu, que le comportement adopté à son endroit par l’institution défenderesse est incontestablement fautif.

21
La requérante affirme que la défenderesse, d’une part, était parfaitement au courant de la présence d’amiante dans le bâtiment communément appelé le « Palais », ce qu’elle a d’ailleurs reconnu dans ses écritures, et, d’autre part, connaissait ou aurait dû connaître les risques pour la santé humaine inhérents à la présence de ce produit, la toxicité de l’amiante étant notoire.

22
Or, la défenderesse, sur laquelle pèse une obligation de sécurité en sa qualité d’employeur, aurait manifestement omis d’agir avec diligence et n’aurait pas pris les mesures de sécurité adéquates, méconnaissant ainsi différents textes, sources d’obligations pour elle, et, notamment, la réglementation luxembourgeoise concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à une exposition à l’amiante et les normes juridiques européennes visant l’amiante en tant que substance toxique.

23
La présence de plaques pleurales chez la requérante démontrerait que les mesures adoptées par la défenderesse étaient insuffisantes et que celle-ci a manqué à son obligation de résultat en matière de sécurité, ledit manquement constituant une faute inexcusable au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation française concernant la réparation des préjudices des victimes de l’amiante. Dans un tel contexte, il conviendrait de considérer que la charge de la preuve est inversée et qu’il appartiendrait donc à la défenderesse de prouver qu’elle n’a pas commis une faute inexcusable. Une même conclusion pourrait être déduite de l’arrêt Leussink e.a./Commission, précité.

24
La requérante soutient, en second lieu, que les conditions d’engagement de la responsabilité de la défenderesse tenant à l’existence d’un préjudice et d’un lien de causalité avec la faute alléguée sont également satisfaites. Le préjudice subi serait d’une triple nature.

25
La requérante invoque, tout d’abord, un préjudice physique consistant dans la présence d’épaississements pleuraux et d’une asbestose débutante causés par l’exposition à l’amiante, lesquels ont été diagnostiqués par le DFettmann sur la base des rapports des Drs Feintrenie et Rodde. Elle indique qu’elle était en parfait état de santé lors de son entrée en fonctions et qu’elle a travaillé pendant plusieurs années dans des cabines de traduction simultanée qui présentaient un réel danger en raison de la présence, dans les faux plafonds de celles-ci, d’une forte concentration d’amiante. En outre, ces derniers auraient fait l’objet de différents travaux ayant pour conséquence plusieurs épisodes d’exposition directe du personnel à l’amiante.

26
Elle allègue, ensuite, un préjudice « psychique, affectif, familial, social et moral ». Ce préjudice serait caractérisé par une angoisse permanente née de la conscience de la survenance probable d’une pathologie très grave, à plus ou moins brève échéance et par le sentiment d’une diminution de sa qualité de vie. Cette angoisse serait aggravée par le fait que son frère souffrirait des mêmes maux, survenus dans des circonstances identiques, et par ses interrogations sur l’avenir d’un autre frère. La situation d’incertitude permanente dans laquelle se trouverait la requérante l’amènerait à interpréter tout malaise en relation avec son exposition à l’amiante et au risque accru d’être victime d’une maladie irréversible. N’importe quelle affection banale pourrait déclencher chez elle une réaction d’impuissance et de frustration. L’état psychologique désastreux serait à l’origine de multiples perturbations dans sa vie familiale et sociale. Ainsi, elle indique que, à la suite de la communication des résultats des examens radiologiques, elle a quitté son compagnon et a renoncé à la maternité. La totalité de ses projets, notamment familiaux, seraient conditionnés par son état de santé et par le risque d’aggravation de ce dernier avec le développement d’un cancer fulgurant.

27
La requérante fait état, enfin, d’un préjudice professionnel et financier. Plus particulièrement, elle excipe, d’une part, de la diminution de la possibilité d’une promotion professionnelle et, d’autre part, du fait que si elle était amenée à déclarer son état de santé dans le cadre de la souscription d’une police d’assurance vie ou d’un emprunt hypothécaire, tout organisme financier devrait prendre en compte, comme facteur de risque supplémentaire, les conséquences de son exposition à l’amiante.

28
Elle indique que la nature des préjudices subis rend difficile une preuve documentaire et que la reconnaissance de sa maladie professionnelle prouve, per se, que son état permanent d’anxiété et de dépression aura nécessairement un impact sur d’autres éléments de sa vie et pas seulement sur son état de santé.

29
La requérante reproche à la défenderesse de confondre en l’espèce les deux régimes d’indemnisation prévus par l’article 73 du statut et par l’article 288 CE et de s’en tenir à l’examen du caractère approprié de l’indemnisation octroyée en application de l’article 73 du statut. Or, le présent litige ne porterait pas sur le taux d’invalidité permanente fixé à la suite des conclusions de la commission médicale, la requérante ne disposant d’aucun élément objectif pour prétendre à une aggravation de la pathologie diagnostiquée. La requérante indique que la présente procédure a pour objet la réparation des préjudices subis de « nature non médicale » ou, envisagé de manière globale, du « dommage collatéral » consécutif à son exposition à l’amiante dans les locaux de la défenderesse.

30
Elle conteste plus particulièrement la position de la défenderesse qui, d’une part, intègre dans la « perturbation d’ordre psychologique » diagnostiquée par la commission médicale la totalité du préjudice d’ordres affectif, familial, social et moral subis et, d’autre part, prétend, sur le fondement des conclusions de ladite commission, que la seule cause de sa pathologie réside dans la campagne de dépistage à laquelle elle a participé.

31
Outre le fait que cette argumentation de la défenderesse méconnaît la définition légale de la notion d’invalidité, la requérante fait observer que les conclusions de la commission médicale ont été formulées au terme d’un examen incomplet, par des médecins qui ne sont pas des psychiatres et dont la mission n’était pas définie de manière à leur permettre de résoudre les questions posées dans le cadre de la présente procédure d’indemnisation, lesquelles relevaient d’abord de la seule appréciation de l’institution, puis désormais du Tribunal. Selon la requérante, l’origine du litige se trouve bien dans la présence d’amiante au « Palais », laquelle est la cause des épaississements de la plèvre et du début d’asbestose décelés lors de la campagne de dépistage. La requérante s’étonne que ces constats médicaux ne soient plus mentionnés dans les conclusions de la commission médicale. Dans l’hypothèse où le Tribunal aurait des hésitations sur le lien de causalité entre l’exposition à l’amiante et les anomalies radiologiques observées lors de la campagne de dépistage, la requérante sollicite que soit ordonnée une expertise aux fins de vérification de l’existence dudit lien.

32
Par ailleurs, la requérante souligne qu’elle a une parfaite conscience de l’évolution probable de l’amiante dans son organisme et que, « si une quote‑part de cette prise de conscience est assurément susceptible de diagnostic et de traitement médical, une autre quote-part de celle-ci n’offre [pas de] symptômes médicaux [et] n’est [pas], par conséquent, susceptible d’être traitée médicalement ».

33
La requérante prétend, enfin, en se référant aux arrêts de la Cour du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil et Commission (C‑ 237/98 P, Rec. p. I‑4549, points 17 à 19), et du Tribunal du 6 décembre 2001, Area Cova e.a./ Conseil et Commission (T‑196/99, Rec. p. II‑3597, points 171 et suivants), que les conditions d’engagement d’une responsabilité sans faute de l’institution défenderesse sont également réunies en l’espèce.

34
La défenderesse soutient que la requérante ne rapporte pas la preuve de la réunion, en l’espèce, des trois conditions, cumulatives, d’engagement de la responsabilité de la Communauté, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage allégué et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué. Elle conclut, en conséquence, au rejet de la demande de dommages et intérêts.

Sur la demande de réparation du préjudice lié au traitement du dossier par la défenderesse

35
La requérante affirme que la défenderesse a violé le devoir de sollicitude qui pèse sur l’administration à l’égard de ses agents ainsi que le principe de bonne administration.

36
Elle rappelle que le devoir de sollicitude de l’administration, selon la jurisprudence de la Cour, reflète l’équilibre des droits et obligations réciproques que le statut a créé dans les relations entre l’autorité publique et les agents du service public. Le principe de bonne administration, lié au devoir de sollicitude, aurait voulu que, afin de sauvegarder cet équilibre, l’administration ait pris en considération « l’ensemble des éléments susceptibles de définir les préjudices des fonctionnaires ».

37
Elle prétend que la défenderesse a violé les articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1), et invoque également l’article 41 de ladite charte, qui prévoit que toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l’Union. Or, contrairement aux aspirations de la requérante, sa demande n’aurait pas été traitée rapidement, l’administration ayant épuisé, à chaque stade de la procédure, les délais disponibles. La violation du principe de bonne administration serait constituée dans l’hypothèse d’une durée excessive de procédure, ce qui devrait donner lieu à réparation de la part de l’administration. À cet égard, la requérante invoque, notamment, les démarches entreprises, les frais supplémentaires encourus et les désagréments de toute sorte endurés.

38
La requérante soutient encore que la défenderesse a commis un détournement de pouvoir. Elle relève, à ce titre, que la défenderesse a traité la demande et sa réclamation sur la base de l’article 73 du statut et que « la correcte application de l’article 288 CE est une manifestation de plus du détournement de pouvoir commis ». Celle-ci aurait poursuivi, en l’espèce, des fins autres que celles excipées, sa position étant dictée par un souci d’économie pour le budget de l’institution.

39
La défenderesse conclut au rejet de tous les griefs soulevés par la requérante comme étant non fondés.

Sur le montant de l’indemnité réclamée

40
S’agissant du montant de dommages et intérêts sollicités, la requérante fait valoir que l’évaluation du préjudice est tributaire de la gravité et du caractère évitable de celui-ci. Faisant référence aux sommes allouées par la Cour à la victime dans l’arrêt Leussink e.a./Commission, précité, la requérante relève que l’indemnisation accordée était approximativement égale à la moitié du montant de dommages et intérêts réclamés.

41
En l’absence de décisions des juridictions communautaires fixant des montants de dommages et intérêts en réparation de préjudices identiques à ceux subis par elle, la requérante se réfère également aux indemnisations octroyées par des juridictions nationales dans des cas similaires.

42
La défenderesse indique que l’estimation du préjudice effectuée par la requérante à hauteur de 350 000 euros ne repose sur aucune base sérieuse.

Appréciation du Tribunal

Sur la portée du recours

43
Il convient de relever, en premier lieu, que la requérante sollicite la condamnation de la défenderesse au paiement de dommages et intérêts ainsi que l’annulation de la décision rejetant la réclamation introduite contre la décision explicite de la défenderesse portant rejet de sa demande d’indemnité.

44
Le recours n’est donc pas dirigé contre la décision portant reconnaissance d’une maladie professionnelle et octroi d’une indemnité au titre d’une invalidité permanente partielle, calculée en fonction du traitement de base et du taux d’invalidité retenu. Alors que la requérante avait initialement introduit une réclamation contre ladite décision, force est de constater que cette dernière n’est pas visée par le présent recours et qu’aucune autre procédure contentieuse n’a été diligentée contre cette décision.

45
En outre, la requérante a précisé dans ses écritures que « le litige ne porte pas […] sur les lésions de nature physiologique ou psychologique subies […] à cause de son exposition à l’amiante du Palais », ce point ayant déjà été « adjugé » dans le cadre de la procédure d’indemnisation forfaitaire. Elle a également indiqué que le litige ne porte pas sur le taux d’invalidité permanente fixé à la suite des conclusions du médecin désigné par l’institution, dans la mesure où elle ne dispose d’aucun élément objectif pour prétendre à une aggravation de son «processus» médical.

46
Il y a lieu, dès lors, de considérer que les conclusions d’ordre médical, qui fondent la décision de l’AIPN portant reconnaissance d’une maladie professionnelle et octroi d’une indemnité au titre d’une invalidité permanente partielle, doivent être tenues pour acquises par le Tribunal dans le cadre de la présente instance.

47
Il importe de rappeler, en second lieu, que, selon une jurisprudence constante, la décision d’une institution portant rejet d’une demande en indemnité fait partie intégrante de la procédure administrative préalable au recours en responsabilité formé devant le Tribunal et que, par conséquent, les conclusions en annulation ne peuvent pas être appréciées de manière autonome par rapport aux conclusions en indemnité. En effet, l’acte contenant la prise de position de l’institution pendant la phase précontentieuse a uniquement pour effet de permettre à la partie qui aurait subi un préjudice de saisir le Tribunal d’une demande en indemnité (arrêts du Tribunal du 18 décembre 1997, Gill/Commission, T‑90/95, RecFP p. I‑A‑471 et II‑1231, point 45 ; du 6 mars 2001, Ojha/Commission, T‑77/99, RecFP p. I‑A‑61 et II‑293, point 68, et du 5 décembre 2002, Hoyer/Commission, T‑209/99, RecFP p. I‑A‑243 et II‑1211, point 32). Par conséquent, il n’y a pas lieu de statuer de façon autonome sur les conclusions en annulation formulées par la requérante.

Sur les conditions d’engagement de la responsabilité de la Communauté

48
Il importe, en premier lieu, de relever que le litige entre la requérante et l’institution défenderesse trouve sa source dans la relation de travail qui les unit et qu’il ne relève pas, dès lors, de l’article 288 CE, mais de l’article 236 CE et des articles 90 et 91 du statut.

49
Il convient, en second lieu, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’une demande de dommages et intérêts formulée par un fonctionnaire, l’engagement de la responsabilité de la Communauté suppose la réunion d’un ensemble de conditions concernant l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage allégué et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué, la preuve de la réunion de ces conditions incombant à la partie requérante (arrêt de la Cour du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C‑136/92 P, Rec. p. I‑1981, point 42, et arrêt du Tribunal du 26 mai 1998, Bieber/Parlement, T‑205/96, RecFP p. I‑A‑231 et II‑723, point 48).

50
Les trois conditions d’engagement de la responsabilité de la Communauté précitées sont cumulatives, ce qui implique que, dès lors que l’une de celles-ci n’est pas satisfaite, la responsabilité de la Communauté ne peut être engagée (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, Rec. p. I‑5251, point 14, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Lucaccioni/Commission, T‑165/95, RecFP p. I‑A‑203 et II‑627, point 57).

51
À cet égard, il convient de relever que, à supposer même que la référence faite par la requérante aux arrêts Dorsch Consult/Conseil et Commission et Area Cova e.a./Conseil et Commission, précités, contenant prétendument l’affirmation du principe d’une responsabilité sans faute de la Communauté, puisse être considérée comme pertinente en l’espèce, la preuve d’un préjudice, qui devrait, de plus, être anormal et spécial, et du lien de causalité entre celui-ci et le comportement imputé à l’institution concernée demeurerait nécessaire.

52
Il y a lieu d’examiner si, dans le cas présent, la requérante a effectivement rapporté la preuve des préjudices invoqués, en rapport avec le comportement fautif allégué, ce qui peut impliquer de tenir compte des prestations qu’elle a perçues au titre de l’article 73 du statut.

53
En effet, il convient de rappeler que les fonctionnaires sont en droit de demander une indemnisation complémentaire auxdites prestations, lorsque l’institution est responsable de l’accident ou de la maladie professionnelle selon le droit commun et que les prestations statutaires ne suffisent pas pour assurer la pleine réparation du préjudice subi. En revanche, l’indemnisation forfaitaire ne peut conduire à une double indemnisation du préjudice subi. En ce sens, les deux systèmes d’indemnisation ne sont pas indépendants (voir, en ce sens, arrêt Leussink e.a./Commission, précité, points 10 à 14, et arrêt du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, précité, points 19 à 22).

Sur la demande de réparation des préjudices physique, moral, professionnel et financier prétendument subis par la requérante

– Préjudice d’ordre physique

54
La requérante se plaint, en substance, d’un préjudice d’ordre physique constitué par la présence de plaques pleurales ou d’épaississements pleuraux ayant pour origine une exposition à l’amiante. Elle évoque même une asbestose débutante. Dans le cas où le Tribunal aurait des hésitations sur le lien de causalité entre l’exposition à l’amiante et ces lésions ou cette pathologie, la requérante a présenté, à titre subsidiaire, une demande d’expertise aux fins de vérification de l’existence dudit lien.

55
Il convient de rappeler que, le 11 avril 1997, la requérante s’est soumise à un examen radiologique dans le cadre de la campagne de dépistage individuel lancée par la défenderesse en vue de déterminer les conséquences d’une éventuelle exposition du personnel de l’institution à l’amiante. Le radiologue ayant procédé à cet examen a conclu ainsi son rapport: «petits épaississements pleuraux des lobes supérieures sans caractère typique en faveur d’une asbestose. Ce diagnostic ne peut bien sûr être éliminé compte tenu de l’exposition».

56
Dans le bilan pneumologique réalisé par le DFeintrenie à l’issue de cet examen radiologique, le médecin fait état d’une spirographie ne montrant pas d’anomalie significative. Il conclut son rapport de la manière suivante: « quelques épaississements pleuraux et un test de diffusion au [monoxyde de carbone] à la limite inférieure à la normale », anomalies qui, « sans être spécifiques, sont compatibles avec une asbestose pleuro-parenchymateuse débutante ».

57
Outre le constat du fonctionnement normal de l’appareil respiratoire de la requérante, il y a lieu de relever que l’existence d’une atteinte corporelle induite par une exposition à l’amiante a été clairement écartée lors de la procédure visant à la reconnaissance d’une maladie professionnelle.

58
Il ressort du rapport de la commission médicale que la requérante a été examinée par deux médecins spécialistes, les professeurs De Vuyst et Genevois, respectivement, pneumologue spécialisé en pathologie de l’amiante et radiologue particulièrement connu sur le plan international pour ses travaux sur l’imagerie médicale de l’amiante. Les professeurs De Vuyst et Genevois ont tous deux conclu à l’absence de lésion en rapport avec une exposition à l’amiante, les examens concernant la requérante ne révélant l’existence que d’anciennes lésions de remaniements pulmonaires liés à une primo-infection tuberculeuse.

59
Au surplus, la commission médicale a soumis les différents clichés concernant la requérante au DLarde, radiologue spécialisé en imagerie diagnostique, qui a confirmé dans un rapport du 31 mars 2001 que « la recherche de plaques fibro-hyalines sur le versant pariétal de la plèvre [était] négative », que « [d]e même, la plèvre diaphragmatique [apparaissait] normale » et que « l’étude du parenchyme pulmonaire ne [révélait] aucune particularité (absence de syndrome interstitiel) ». La commission médicale a donc conclu qu’il « n’[existait] aucune pathologie décelable sur le plan pulmonaire en rapport avec l’exposition à l’amiante ». Selon la commission, la requérante ne présente « aucune séquelle pulmonaire » mais une « perturbation d’ordre psychologique qui justifie l’octroi d’une invalidité ».

60
Dans ces circonstances, l’existence, alléguée par la requérante, de lésions ou d’une pathologie pulmonaires dues à une exposition à l’amiante ne peut être retenue par le Tribunal.

61
Il convient de rappeler que, eu égard à la portée du recours définie aux points 43 à 46 ci-dessus, les conclusions d’ordre médical, qui fondent la décision de l’AIPN portant reconnaissance d’une maladie professionnelle et fixation du degré d’invalidité permanente, doivent être tenues pour acquises par le Tribunal dans le cadre de la présente instance, et il ne saurait, dès lors, être fait droit à une demande d’expertise, qui ne fait au demeurant l’objet d’aucune motivation sérieuse, par laquelle la requérante semble vouloir faire renaître une voie de recours contre ladite décision.

62
Il y a lieu, enfin, de relever que la requérante paraît également invoquer dans ses écritures un trouble psychosomatique particulier, en l’occurrence le fait qu’elle souffre de claustrophobie. Or, une doléance identique a précisément été exprimée par la requérante devant le DNols, neuropsychiatre, et prise en considération par celui-ci, lors de l’expertise psychiatrique réalisée dans le cadre de la procédure visant à la reconnaissance d’une maladie professionnelle. La requérante a ainsi indiqué avoir le sentiment d’étouffer dans les cabines d’interprétation et qu’il lui arrivait fréquemment de lever les yeux au plafond pour voir s’il n’y avait pas d’ouverture. Il convient de considérer, dans ces circonstances, que la requérante n’a pas démontré que le trouble psychosomatique invoqué est dissociable de l’affection psychique diagnostiquée par ledit médecin et indemnisée en vertu de l’article 73 du statut.

– Préjudice « psychique, affectif, familial, social et moral »

63
Il convient, à titre liminaire, d’observer que la défenderesse soutient qu’il ressort des rapports médicaux établis dans le cadre de la procédure de reconnaissance d’une maladie professionnelle et plus particulièrement du rapport d’expertise, daté du 12 avril 2000, du DNols, neuropsychiatre, que le préjudice d’ordres psychique, affectif, familial, social et moral dont se plaint la requérante est précisément celui qui a fait l’objet d’une indemnisation en application de l’article 73 du statut et que l’intéressée n’a pas démontré que l’indemnisation ainsi accordée est insuffisante.

64
Eu égard à la jurisprudence relative à l’articulation entre la couverture statutaire des risques de maladie professionnelle et l’indemnisation complémentaire au titre du droit commun (voir point 53 ci-dessus), il y a lieu de vérifier, en premier lieu, si le préjudice allégué par la requérante a été pris en compte par l’AIPN lors de l’octroi de l’indemnité versée au titre de l’article 73 du statut et d’examiner, à cette fin, les conclusions médicales sur lesquelles repose la décision de l’AIPN.

65
Préalablement à cette analyse, il importe de rappeler que le taux d’invalidité permanente partielle est, en principe, fixé d’après un barème figurant en annexe à la réglementation de couverture. Dans cette annexe, il est indiqué que, pour les cas d’invalidité permanente partielle non prévus dans le barème en cause, le degré d’invalidité est déterminé par référence au Barème officiel belge des invalidités (ci-après le « BOBI »), abstraction faite toutefois des éléments de ce barème qui se rapportent aux victimes des faits de guerre.

66
Dans le cadre d’une partie du BOBI consacrée à la neuropsychiatrie et plus particulièrement aux affections psychiques, il est mentionné que « l’objectivation des troubles psychiatriques requiert l’observation des comportements de relation entre le malade et son entourage » et que, s’agissant des troubles névrotiques et psychosomatiques, « la gravité sera jugée en tenant compte de la nature, de la durée et des répercussions sociales des symptômes ». Le BOBI comprend un certain nombre d’articles correspondant à des affections psychiques précises et, notamment, les dispositions suivantes :

« Art. 647. Anxiétés ou angoisse :

a)
syndrome anxieux mineur avec inhibition psychomotrice, sans grande influence sur la vie sociale (0 à 20 %)

b)
syndrome anxieux plus important, ayant une répercussion marquée sur la vie sociale (20 à 50 %)

c)
syndrome d’angoisse grave, avec grand désordre psychomoteur et neurovégétatif (50 à 80 %)

Art. 648. Dépression (non endogène) :

a)
syndrome dépressif mineur, sans grande répercussion sociale (0 à 15 %)

b)
syndrome dépressif plus important ayant une répercussion sociale marquée (15 à 30 %). »

67
En ce qui concerne la requérante, il résulte du rapport du DNols du 12 avril 2000, du rapport de la commission médicale du 6 avril 2001 et du rapport complémentaire de celle-ci du 15 février 2002 que, à la suite de la révélation d’une possible pathologie pulmonaire en rapport avec une contamination par l’asbeste, la requérante a développé un état dépressif, avec des réactions anxieuses aggravées par les résultats des mêmes examens subis par son frère.

68
Dans son rapport, le Dr Nols indique que ces réactions « se sont rapidement muées en sentiments d’incompréhension, de désolation, de révolte et de ressentiment à l’égard de l’administration » et ce « à la mesure [d’une] attente idéalisée à l’égard des institutions européennes ». Il précise que les conditions de vie familiale de la requérante, notamment durant son adolescence, et, ultérieurement, l’absence de vie de couple stable et de maternité ont amené celle-ci à investir notablement les activités intellectuelles et professionnelles. Dans le cadre de l’évocation de la vie affective de la requérante, le médecin note qu’il est « difficile de se faire une idée explicative des motivations qui ont poussé [la requérante] à provoquer la rupture de son couple », laquelle est intervenue au cours de l’automne 1997, et qu’on peut « se demander si d’autres éléments n’ayant rien à voir avec [l’exposition de la requérante à] l’amiante, ne sont pas aussi intervenus ». Le DNols relève que les symptômes anxiodépressifs proprement dits sont de faible importance, avec fort peu ou quasiment pas de références à la maladie ou à la mort, à côté des sentiments réactionnels de révolte. Compte tenu de « tous les éléments […] discutés et aussi de la tendance à une certaine amplification dramatique sous-tendant une attitude revendicative », il évalue à 10 % l’invalidité permanente partielle en se référant aux articles 647 et 648 du BOBI.

69
La commission médicale a finalement estimé, en se fondant notamment sur le rapport du DNols, que la perturbation d’ordre psychologique justifiait l’octroi d’une invalidité permanente de 13 %. Sur la base de ces conclusions, l’AIPN a adopté une décision portant reconnaissance de l’origine professionnelle de l’affection psychique diagnostiquée et d’un taux d’invalidité permanente de 13 %, ce qui a entraîné l’octroi d’une indemnité de 74 578,56 euros.

70
Il résulte des considérations qui précèdent que, ainsi que l’affirme à juste titre la défenderesse, le préjudice « psychique, affectif, familial, social et moral » invoqué par la requérante a déjà été pris en compte et indemnisé au titre de l’article 73 du statut.

71
En effet, la requérante se plaint, en substance, d’une angoisse, qui peut être qualifiée de cancérophobie, ayant des répercussions négatives sur son état psychique et dans ses relations aux autres, ainsi que l’attesteraient des membres de son entourage. Or, ces éléments ont été clairement évoqués dans les rapports médicaux ayant abouti à l’octroi de l’indemnité susvisée et plus particulièrement dans le rapport du DNols, neuropsychiatre, dont les conclusions sur l’invalidité sont fondées, de manière expresse, sur les articles pertinents du BOBI. Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, ce texte comprend, dans la définition de l’affection psychique en cause et de sa gravité, la prise en compte de la dimension sociale, et donc familiale, de l’individu concerné. Il ressort incontestablement du rapport très détaillé du DNols, qui a interrogé et écouté la requérante dans l’évocation de ses difficultés, que les conséquences des troubles d’ordre psychique de cette dernière sur son humeur et dans ses relations aux autres ont fait partie du champ d’analyse du médecin spécialiste.

72
Il convient, en deuxième lieu, de relever que les écritures de la requérante ne contiennent pas d’éléments précis et objectifs démontrant que le préjudice allégué est distinct de celui pris en considération par la commission médicale dont les conclusions ont servi de base à la décision de l’AIPN.

73
D’une part, la requérante affirme que la pathologie reconnue comme maladie professionnelle entraîne un « dommage moral, lié, certes, à la pathologie principale, mais apte à être clairement distingué du volet médical des conséquences subies à la suite d’une exposition à l’amiante ». Elle indique, à cet égard, avoir une parfaite conscience de l’évolution probable de l’amiante dans son organisme et que, « si une quote-part de cette prise de conscience est assurément susceptible de diagnostic et de traitement médical, une autre quote-part de celle-ci n’offre [pas de] symptômes médicaux [et] n’est [pas], par conséquent, susceptible d’être traitée médicalement ».

74
Cette subdivision du préjudice moral en deux parties bien distinctes relève d’une construction intellectuelle purement subjective et ne constitue une démonstration ni de l’existence d’un préjudice distinct de celui couvert par l’indemnité versée au titre de l’article 73 du statut ni, au demeurant, de la réparation non adéquate de celui-ci.

75
D’autre part, la requérante fait référence dans ses écritures aux notions de pretium doloris et de préjudice d’agrément dans les termes suivants :

« Le pretium doloris comprend le préjudice des souffrances physiques mais également les souffrances morales dérivées d’une maladie professionnelle reconnue ; le préjudice d’agrément doit inclure la privation de certaines activités, y compris les activités de loisirs. »

76
S’agissant du pretium doloris, la requérante ne rapporte pas la preuve de l’existence de souffrances physiques présentant un lien causal avec une exposition à l’amiante. En outre, il ne peut être valablement retenu au titre de la preuve d’un préjudice moral spécifique l’allégation de « souffrances morales dérivées d’une maladie professionnelle reconnue » lorsque cette dernière est précisément constituée par une affection d’ordre psychologique caractérisée par l’état d’anxiété ou d’angoisse de la requérante.

77
Il convient de rappeler qu’il a été constaté au point 62 ci-dessus que le trouble psychosomatique particulier invoqué par la requérante, à savoir la claustrophobie, avait été exprimé devant le DNols, neuropsychiatre, et pris en considération par celui-ci, lors de l’expertise psychiatrique réalisée dans le cadre de la procédure visant à la reconnaissance d’une maladie professionnelle et qu’il a été considéré, dans ces circonstances, que la requérante n’a pas démontré que le trouble psychosomatique en cause est dissociable de l’affection psychique diagnostiquée par ledit médecin et indemnisée en vertu de l’article 73 du statut.

78
Quant au préjudice d’agrément, qui résulte de la privation définitive des agréments normaux de l’existence et, notamment, de l’impossibilité de se livrer à une activité ludique ou sportive, la requérante fait état d’une « diminution de la qualité de vie perçue ».

79
Au-delà de l’imprécision de l’allégation, il convient, là encore, de rappeler que l’on se trouve dans un cas spécifique où l’invalidité permanente partielle de la requérante est justifiée par des troubles d’ordre psychologique et non par une atteinte à l’intégrité physique de la personne qui rendrait objectivement et concrètement impossible la poursuite de certaines activités auparavant exercées avec assiduité par celle-ci. Dans un tel cas de figure, le préjudice d’agrément, qui constitue un préjudice d’ordre psychologique dans la mesure où il s’agit de l’expression d’une souffrance morale, n’est pas, en tant que tel, dissociable des perturbations neuropsychologiques prises en compte dans les différents rapports médicaux ayant servi de base à la décision de la défenderesse portant reconnaissance de la maladie professionnelle de la requérante et fixation d’un taux d’invalidité permanente partielle.

80
Il convient, en troisième lieu, de considérer que les critiques formulées par la requérante à l’encontre de la conclusion de l’identité entre le préjudice allégué et le préjudice indemnisé ne peuvent être retenues.

81
La requérante fait valoir qu’une telle conclusion contredit la définition de la notion d’invalidité qui ne permet pas une assimilation entre préjudices médicaux et préjudices moraux, est fondée sur les rapports médicaux de la commission médicale, établis au terme d’un examen incomplet, par des médecins qui ne sont pas psychiatres ou psychologues et qui, par définition, ignoraient ses revendications au titre de la réparation des « préjudices non médicaux » dont l’appréciation relève de la compétence de l’administration, puis du Tribunal, le cas échéant.

82
Il importe, premièrement, de rappeler que, dans une affaire où les parties s’opposaient sur la question de savoir si les troubles qui n’affectent pas directement les facultés intellectuelles, mais relèvent uniquement du domaine affectif, peuvent entrer en ligne de compte au titre de l’invalidité prévue à l’article 73 du statut, la Cour a, dans son arrêt du 2 octobre 1979, B./Commission (152/77, Rec. p. 2819, point 10), fourni la réponse suivante :

« [R]ien ne permet d’interpréter la notion d’invalidité de manière restrictive. Au sens de l’article [73 du statut], doit être considérée comme invalide la personne qui, à la suite d’un accident ou d’une maladie professionnelle, n’est plus en état, entièrement ou partiellement, de mener une vie active normale. S’il est établi par expertise médicale qu’une lésion psychique affectant la seule sphère affective répond à cette condition, rien ne s’oppose à ce qu’elle soit considérée comme relevant de la notion d’invalidité au sens de l’article 73 du statut. »

83
La notion d’invalidité visée à l’article 73 du statut couvre donc l’incapacité à mener une vie active normale, en ce compris la sphère affective. Il s’ensuit que rien n’empêche le médecin désigné par l’institution ou une commission médicale, dans le cadre de la procédure visant à la reconnaissance d’une maladie professionnelle, de tenir compte du préjudice moral subi par un fonctionnaire à l’occasion de l’exercice de son activité professionnelle lorsque ce préjudice le rend inapte à mener une vie active normale.

84
Il y a lieu, deuxièmement, de relever que c’est dans ce contexte et au vu des conclusions du DNols fondées sur les articles pertinents du BOBI, qui impliquent la prise en compte de la dimension sociale de l’individu concerné, que la commission médicale a estimé que la requérante devait se voir reconnaître un taux d’invalidité permanente au titre de troubles d’ordre psychique qui correspondent au préjudice « de nature non médicale » invoqué par la requérante. À cet égard, il est indifférent que la commission médicale n’ait pas été informée des préjudices tels que formulés par la requérante dans le cadre de la présente instance. Quelle que soit la formulation des préjudices présentée aujourd’hui par la requérante, il convient de considérer que le DNols était, au moment de l’examen neuropsychologique, en mesure d’apprécier l’étendue du préjudice d’ordre psychologique subi par la requérante, y compris dans sa dimension sociale. Au demeurant, cette dernière a clairement précisé dans ses écritures que le présent recours ne porte pas sur le taux d’invalidité permanente, dans la mesure où elle ne dispose d’aucun élément objectif pour prétendre à une aggravation des constats médicaux ayant fondé la fixation dudit taux.

85
S’agissant des griefs relatifs à la compétence des membres de la commission médicale et au déroulement des examens médicaux dont la requérante a fait l’objet, il y a lieu de rappeler que, eu égard à la portée du présent recours, les appréciations d’ordre médical formulées dans le cadre de la procédure ouverte au titre de l’article 73 du statut doivent être considérées comme définitives et ne peuvent donc être remises en cause d’une manière ou d’une autre par la requérante. À titre surabondant, il suffit de relever que la requérante a fait l’objet d’une exploration neuropsychologique minutieuse de la part du Dr Nols ayant donné lieu à un rapport très détaillé, lequel a été expressément pris en compte par la commission médicale pour fonder ses conclusions sur l’invalidité.

86
Dans la mesure où, ainsi qu’il a été constaté ci-dessus, le préjudice « psychique, affectif, familial, social et moral » allégué par la requérante est précisément celui qui a été indemnisé au titre de l’article 73 du statut, il y a lieu de vérifier, en dernier lieu, si l’indemnité octroyée à la requérante, soit la somme de 74 578,56 euros, a réparé intégralement ledit préjudice.

87
Dans le but de justifier le montant de 350 000 euros de dommages et intérêts réclamés, la requérante fait référence aux indemnisations octroyées par des juridictions nationales dans des cas prétendument similaires et à celle allouée à la partie requérante par la Cour dans l’arrêt Leussink e.a./Commission, précité.

88
Les décisions des juridictions nationales produites aux débats ne peuvent fonder la conclusion d’une réparation inadéquate du préjudice d’ordre psychologique subi par la requérante. Elles s’inscrivent dans des cadres juridiques distincts, mentionnent des indemnisations bien inférieures à celle réclamée par la requérante et concernent généralement des personnes souffrant de pathologies pulmonaires avérées et graves résultant d’une exposition à l’amiante avec lesquelles l’affection psychique dont souffre la requérante n’est pas comparable.

89
La référence à l’arrêt Leussink e.a/Commission, précité, n’est pas davantage de nature à fonder les prétentions de la requérante, en raison des circonstances particulières de cette affaire.

90
À cet égard, il convient de rappeler que, au cours d’une mission, M. Leussink, fonctionnaire de la Commission, avait été victime d’un accident de la circulation survenu dans un véhicule défectueux appartenant à l’institution concernée. Il avait été grièvement blessé et souffrait de nombreuses séquelles : perte de l’œil droit, déformation du globe oculaire gauche, baisse de l’ouïe, perte de l’odorat et du goût, baisse de la capacité pulmonaire, diminution de la force du membre supérieur gauche, perte de plus de 6 cm2 du tissu crânien, séquelles neurologiques et psychologiques. À ce titre, il s’était vu reconnaître un taux d’invalidité de 75 %. L’accident avait également eu des conséquences désastreuses sur le plan privé : dissolution de la vie familiale (après seize années de mariage heureux, M. Leussink, devenu impulsif et agressif, était allé habiter seul), privation des joies de la vie et du travail en général (impossibilité de pratiquer le tennis, le ski et la natation ; indifférence aux plaisirs de la table; rupture avec les anciennes relations) (conclusions de l’avocat général Sir Gordon Slynn sous l’arrêt Leussink e.a./Commission, précité, Rec. p. 2812, 2818). Dans cette affaire, la Cour avait jugé que l’indemnité versée à M. Leussink au titre de l’article 73 du statut était insuffisante eu égard à « l’extrême gravité des conséquences non économiques que l’accident a[vait] entraînées pour M. Leussink » (point 20 de l’arrêt).

91
Dans le cas présent, il ressort des rapports du DNols et de la commission médicale que la situation de la requérante ne présente pas une telle gravité. L’absence d’atteinte aux fonctions respiratoires permet de considérer que la requérante n’est pas privée de la possibilité de pratiquer une activité sportive ou simplement ludique. La requérante n’a, par ailleurs, subi ni diminution ni disparition de certains sens, situation génératrice, à l’évidence, de très importantes souffrances morales.

92
Il est, certes, constant que la requérante a vécu une situation de rupture conjugale. Par ailleurs, elle prétend, aujourd’hui, avoir pris la décision de renoncer à la maternité. Il résulte, toutefois, du rapport du DNols que tant l’origine de ladite rupture que le renoncement allégué à la maternité ne peuvent être attribués avec certitude ou, en tout état de cause, exclusivement aux troubles psychiques apparus à la suite de la prise de connaissance des résultats des examens radiologiques réalisés dans le cadre de la campagne de dépistage.

93
Évaluant le préjudice d’ordre psychologique de la requérante ex aequo et bono, le Tribunal ne considère pas, dans ces circonstances, qu’il puisse être fixé à un montant supérieur à la somme de 74 578,56 euros qui lui a déjà été versée, laquelle constitue une réparation adéquate dudit préjudice.

– Préjudice professionnel et financier

94
La requérante prétend subir un préjudice professionnel constitué par la diminution de la possibilité d’une promotion professionnelle.

95
Force est, toutefois, de constater que les déclarations de la requérante ne sont étayées par aucun élément concret, objectif, et ne peuvent être qualifiées que de simples supputations. Il ne saurait, dès lors, être considéré que la requérante a satisfait aux exigences de preuve de la réalité du préjudice allégué.

96
S’agissant du préjudice financier, la requérante excipe du fait que, si elle était amenée à déclarer son état de santé dans le cadre d’une demande de souscription d’une police d’assurance vie ou d’un emprunt hypothécaire, tout organisme financier devrait prendre en compte, comme facteur de risque supplémentaire, sa pathologie et les conséquences d’une exposition à l’amiante.

97
Il résulte de la formulation conditionnelle employée par la requérante que le préjudice allégué ne peut être considéré que comme hypothétique, et ce à plusieurs titres, qu’il s’agisse de la conclusion même d’une des deux conventions visées, de la nécessité de remplir à cette fin un questionnaire médical et du surenchérissement consécutif du coût de la convention. Or, il ne saurait être alloué des dommages et intérêts pour compenser un préjudice purement hypothétique. Par ailleurs, cette incertitude se traduit dans l’évaluation du préjudice financier allégué, la requérante n’ayant aucunement avancé ni a fortiori justifié un quelconque montant au titre dudit préjudice.

98
Il résulte de tout ce qui précède que la demande de la requérante visant à la réparation des préjudices physique, moral, professionnel et financier doit, en tout état de cause, être rejetée, sans qu’il soit nécessaire pour le Tribunal de se prononcer sur la question de savoir si la défenderesse a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

Sur la demande de réparation du préjudice lié au traitement du dossier par la défenderesse

99
La requérante fait valoir que le traitement de son dossier par la défenderesse a été fautif et lui a été préjudiciable. À cet égard, elle prétend que cette dernière a violé le principe de bonne administration combiné, d’une part, avec le devoir de sollicitude pesant sur l’administration et, d’autre part, avec l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et a commis un détournement de pouvoir.

– Sur le grief tiré de la violation du principe de bonne administration combiné avec le devoir de sollicitude

100
La requérante soutient que le principe de bonne administration, lié au devoir de sollicitude, aurait dû amener l’administration à prendre en considération l’ « ensemble des éléments susceptibles de définir les préjudices des fonctionnaires ». La requérante se plaint ainsi du traitement infligé au personnel par l’administration qui connaissait l’existence de l’amiante dans le « Palais » et qui n’a pas satisfait à ses obligations fondamentales.

101
Il apparaît que le grief ainsi formulé relève, en réalité, de la discussion sur la demande de réparation des préjudices physique, moral, professionnel et financier et plus particulièrement sur l’existence éventuelle d’une faute de la défenderesse. Or, il a été constaté ci-dessus que cette demande doit être rejetée, sans qu’il soit nécessaire pour le Tribunal de se prononcer sur la question de savoir si la défenderesse a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

102
En tout état de cause, à supposer même que ledit grief puisse être rattaché à l’examen d’un prétendu comportement fautif de la défenderesse dans la conduite des procédures et que ce comportement puisse constituer une violation des principes invoqués, force est de constater qu’il repose sur les seules affirmations de la requérante, qui n’a pas même précisé les éléments que l’administration aurait omis de prendre en considération.

103
Il s’ensuit que le grief tiré de la violation du principe de bonne administration combiné avec le devoir de sollicitude doit être écarté.

– Sur le grief tiré de la violation du principe de bonne administration combiné avec l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

104
L’examen de la situation de la requérante permet d’écarter le grief tiré d’une violation du principe de bonne administration, en ce que la durée de la procédure ne pourrait être considérée comme raisonnable, étant observé que l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne reprend les solutions jurisprudentielles ayant consacré l’existence du principe susvisé.

105
Il convient de relever que, après l’introduction, le 7 octobre 1999, d’une demande de reconnaissance d’une maladie professionnelle, l’institution a désigné un médecin chargé de remettre ses conclusions conformément aux articles 17 et 19 de la réglementation de couverture. Dans le cadre de la procédure ainsi engagée, le DDalem, médecin désigné par l’institution, a procédé et fait procéder à des examens médicaux, notamment par les professeurs De Vuyst et Genevois et par le Dr Nols, neuropsychiatre. La procédure menée au titre de l’article 73 du statut a donc comporté la réalisation de plusieurs examens médicaux, de travaux d’analyse et la rédaction de rapports médicaux. Consécutivement à la présentation d’un projet de décision par l’AIPN fondée sur les conclusions du Dr Dalem datées du 12 octobre 2000, la requérante a introduit, le 18 décembre 2000, une demande de saisine de la commission médicale prévue à l’article 23 de la réglementation de couverture, laquelle s’est entretenue avec la requérante, a examiné les rapports précités et a rédigé son propre rapport, sur la base desquels l’AIPN a adopté, le 31 mai 2001, la décision portant reconnaissance d’une maladie professionnelle. Dans ces conditions, la durée de la procédure de reconnaissance de la maladie professionnelle de la requérante, en l’occurrence d’un peu moins de 20 mois, ne saurait être qualifiée d’excessive.

106
Il en va de même de la procédure d’examen de la demande indemnitaire, laquelle a été introduite le 4 octobre 2001 et fait l’objet d’une réponse négative de l’AIPN le 25 octobre 2001, c’est-à-dire dans le délai de quatre mois prévu à l’article 90, paragraphe 1, du statut.

107
La requérante a introduit des réclamations contre la décision portant reconnaissance de sa maladie professionnelle, le 30 août 2001, et contre la décision rejetant sa demande d’indemnité, le 25 janvier 2002. Après avoir, le 20 novembre 2001, invité la commission médicale à fournir un complément d’information en lien avec l’examen de la réclamation contre la première décision susmentionnée, le comité chargé des réclamations de la Cour a décidé, à juste titre, de traiter conjointement les réclamations visant les deux décisions compte tenu du lien existant entre ces réclamations. Il a dû attendre, à cette fin, la remise du complément d’information requis, laquelle est intervenue le 29 avril 2002. Le comité a statué sur les réclamations dès le 14 mai 2002, soit moins d’un mois après la réception du rapport complémentaire de la commission médicale.

108
Dans ces circonstances, la durée de la procédure précontentieuse, en l’occurrence de près de neuf mois à compter de la première réclamation du 30 août 2001, ne peut être considérée comme excessive.

109
Il résulte des considérations qui précèdent que la requérante n’a pas établi l’existence de retards fautifs dans le traitement de son dossier de nature à engager la responsabilité de la Communauté et que le grief tiré de la violation du principe de bonne administration combiné avec l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être rejeté.

110
Il convient encore de relever que dans une partie de ses écritures consacrée au grief susvisé, la requérante prétend également que la défenderesse a violé les articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatifs, respectivement, à l’« égalité en droit » et à la « non-discrimination ».

111
Il y a lieu de rappeler que, selon l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure, la requête introductive d’instance doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui. La requête doit, de ce fait, expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure (arrêts du Tribunal du 12 janvier 1995, Viho/Commission, T‑102/92, Rec. p. II‑17, point 68, et du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II‑1989, point 333).

112
La seule référence, dans les écritures de la requérante, à la violation des articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en l’absence d’allégations précises concernant la discrimination dénoncée, ne saurait être considérée comme suffisante au regard du règlement de procédure, et il convient, dès lors, d’écarter également le grief en cause.

– Sur le grief tiré d’un détournement de pouvoir

113
La requérante fait grief à la défenderesse d’avoir commis un détournement de pouvoir en traitant la demande d’indemnité fondée sur l’article 288 CE sur la base d’une autre disposition, à savoir l’article 73 du statut. La décision de rejet de la demande indemnitaire aurait été dictée par un souci d’économie pour le budget de l’institution.

114
Selon une jurisprudence constante, la notion de détournement de pouvoir a une portée précise et se réfère au fait, pour une autorité administrative, d’avoir usé de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés. Une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées (arrêt de la Cour du 5 juin 2003, O’Hannrachain/Parlement, C‑121/01 P, Rec. p. I‑5553, point 46 et arrêt du Tribunal du 12 juin 1997, Krämer/Commission, T‑104/96, RecFP p. I‑A‑151 et II‑463, point 67).

115
En l’espèce, il convient de rappeler que la jurisprudence relative à l’articulation entre la couverture statutaire des risques de maladie professionnelle et la possible indemnisation complémentaire au titre de la responsabilité de droit commun (voir point 53 ci-dessus) impliquait que la défenderesse prenne en considération l’indemnité versée à la requérante au titre de l’article 73 du statut pour apprécier si la condition de l’existence d’un préjudice non réparé était remplie. En tout état de cause, une application erronée des normes pertinentes ne démontrerait pas par elle-même l’existence d’un détournement de pouvoir.

116
En l’absence de tout indice de nature à corroborer l’allégation selon laquelle la décision de la défenderesse portant rejet de la demande indemnitaire a pour réel motif un souci d’économie budgétaire, il y a lieu de rejeter le grief tiré d’un détournement de pouvoir.

117
Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.


Sur les dépens

118
Contrairement aux affirmations de la requérante, qui procèdent d’une lecture erronée des écrits de la défenderesse, cette dernière s’est bornée à demander, conformément à l’article 88 du règlement de procédure, la condamnation de chaque partie à supporter ses propres dépens et non la condamnation de la requérante, en application de l’article 87, paragraphe 3, deuxième alinéa, dudit règlement, à l’intégralité des dépens aux motifs qu’ils seraient frustratoires ou vexatoires.

119
Il n’y a pas lieu, dès lors et contrairement à la demande présentée en ce sens par la requérante, de déclarer irrecevable ce chef de conclusions de la défenderesse au motif qu’il n’aurait fait l’objet d’aucun développement dans les écrits de cette dernière.

120
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. La requérante ayant succombé, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)
Le recours est rejeté.

2)
Chaque partie supportera ses propres dépens.

Legal

Tiili

Vilaras

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 octobre 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

H. Legal


1
Langue de procédure : le français.