Language of document : ECLI:EU:C:2009:119

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

3 mars 2009 (*)

«Manquement d’État – Violation de l’article 307, deuxième alinéa, CE – Absence d’adoption des mesures appropriées pour éliminer les incompatibilités entre les accords bilatéraux conclus avec des pays tiers avant l’adhésion de l’État membre à l’Union européenne et le traité CE – Accords conclus par le Royaume de Suède avec la République argentine, la République de Bolivie, la République de Côte d’Ivoire, la République arabe d’Égypte, Hong-Kong, la République d’Indonésie, la République populaire de Chine, la République de Madagascar, la Malaisie, la République islamiste du Pakistan, la République du Pérou, la République du Sénégal, la République socialiste démocratique de Sri Lanka, la République tunisienne, la République socialiste du Viêt Nam, la République du Yémen et l’ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie en matière d’investissements»

Dans l’affaire C‑249/06,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 29 mai 2006,

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme C. Tufvesson, MM. B. Martenczuk et H. Støvlbæk, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Royaume de Suède, représenté par Mmes A. Falk et K. Wistrand, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par:

République de Lituanie, représentée par M. D. Kriaučiūnas, en qualité d’agent,

République de Hongrie, représentée par Mmes J. Fazekas et K. Szíjjártó, ainsi que par M. M. Fehér, en qualité d’agents,

République de Finlande, représentée par Mme A. Guimaraes-Purokoski et M. J. Heliskoski, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts, M. Ilešič, A. Ó Caoimh et J.-C. Bonichot (rapporteur), présidents de chambre, MM. G. Arestis, A. Borg Barthet, J. Malenovský, U. Lõhmus et E. Levits, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 mai 2008,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 juillet 2008,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en ayant omis de recourir aux moyens appropriés pour éliminer des incompatibilités relatives aux dispositions en matière de transfert de capitaux contenues dans les accords d’investissement conclus avec la République argentine, la République de Bolivie, la République de Côte d’Ivoire, la République arabe d’Égypte, Hong-Kong, la République d’Indonésie, la République populaire de Chine, la République de Madagascar, la Malaisie, la République islamiste du Pakistan, la République du Pérou, la République du Sénégal, la République socialiste démocratique de Sri Lanka, la République tunisienne, la République socialiste du Viêt Nam, la République du Yémen et l’ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie, le Royaume de Suède a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 307, deuxième alinéa, CE.

 Le cadre juridique

2        Le Royaume de Suède a conclu, avant son adhésion à l’Union européenne, des accords bilatéraux d’investissement, publiés au Sveriges internationella överenskommelser (ci-après le «SÖ»), avec la République argentine [accord entré en vigueur le 28 septembre 1992 (SÖ 1992:91)], la République de Bolivie [accord entré en vigueur le 3 juillet 1992 (SÖ 1992:19)], la République de Côte d’Ivoire [accord entré en vigueur le 3 novembre 1966 (SÖ 1966:31)], la République arabe d’Égypte [accord entré en vigueur le 29 janvier 1979 (SÖ 1979:1)], Hong-Kong [accord entré en vigueur le 26 juin 1994 (SÖ 1994:19)], la République d’Indonésie [accord entré en vigueur le 18 février 1993 (SÖ 1993:68)], la République populaire de Chine [accord entré en vigueur le 29 mars 1982 (SÖ 1982:28)], la République de Madagascar [accord entré en vigueur le 23 juin 1967 (SÖ 1967:33)], la Malaisie [accord entré en vigueur le 6 juillet 1979 (SÖ 1979:17)], la République islamiste du Pakistan [accord entré en vigueur le 14 juin 1981 (SÖ 1981:8)], la République du Pérou [accord entré en vigueur le 1er août 1994 (SÖ 1994:22)], la République du Sénégal [accord entré en vigueur le 23 février 1968 (SÖ 1968:22)], la République socialiste démocratique de Sri Lanka [accord entré en vigueur le 30 avril 1982 (SÖ 1982:16)], la République tunisienne [accord entré en vigueur le 13 mai 1985 (SÖ 1985:25)], la République socialiste du Viêt Nam [accord entré en vigueur le 2 août 1994 (SÖ 1994:69)], la République du Yémen [accord entré en vigueur le 23 février 1984 (SÖ 1983:110)] et l’ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie [accord entré en vigueur le 21 novembre 1979 (SÖ 1979:29)].

3        Ces accords contiennent une clause selon laquelle chaque partie garantit aux investisseurs de l’autre partie, sans retard indu, le libre transfert en monnaie librement convertible des paiements en rapport avec un investissement.

 La procédure précontentieuse

4        Estimant que ces accords bilatéraux pouvaient faire échec à l’application des restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements que le Conseil de l’Union européenne peut adopter en vertu des articles 57, paragraphe 2, CE, 59 CE et 60, paragraphe 1, CE, la Commission a adressé le 12 mai 2004 une lettre de mise en demeure au Royaume de Suède.

5        Par lettre du 12 juillet 2004, cet État membre a transmis à la Commission ses observations sur ladite lettre de mise en demeure. Il a fait valoir que les stipulations litigieuses des accords d’investissement en cause ne faisaient pas obstacle au respect de ses obligations découlant des articles 57, paragraphe 2, CE, 59 CE et 60 CE.

6        Estimant que les arguments avancés par le Royaume de Suède étaient insuffisants et que cet État membre avait omis, contrairement aux prescriptions de l’article 307, deuxième alinéa, CE, de recourir aux moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités relatives aux dispositions en matière de transfert contenues dans les différents accords d’investissement en cause, la Commission lui a adressé, le 21 mars 2005, un avis motivé.

7        Par lettre du 19 mai 2005, le Royaume de Suède a transmis à la Commission ses observations en réponse audit avis motivé. Elle a maintenu les arguments invoqués dans ses observations relatives à la lettre de mise en demeure.

8        Considérant que ces arguments ne permettaient pas de réfuter les griefs formulés dans l’avis motivé, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Sur la demande de réouverture de la procédure orale

9        Par lettre du 18 juillet 2008, le Royaume de Suède a demandé à la Cour d’ordonner la réouverture de la procédure orale en application de l’article 61 du règlement de procédure, au motif que la Commission avait irrégulièrement présenté un nouveau grief au cours de la procédure orale et que, par suite, les conclusions de l’avocat général étaient fondées sur des faits et des arguments qui n’avaient pu être utilement débattus entre les parties.

10      En effet, la Commission aurait, pour la première fois, soutenu que le maintien en l’état des accords bilatéraux d’investissement en cause était incompatible avec l’article 10 CE.

11      Or, M. l’avocat général, aux points 33 à 43 et 71 de ses conclusions, proposerait à la Cour de fonder le manquement reproché sur l’article 10 CE au même titre que sur les articles 57, paragraphe 2, CE, 59 CE et 60, paragraphe 1, CE.

12      À cet égard, il y a lieu de rappeler, d’une part, que la Cour peut, d’office ou sur proposition de l’avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 61 de son règlement de procédure, si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (voir arrêts du 14 décembre 2004, Swedish Match, C‑210/03, Rec. p. I-11893, point 25, et du 14 septembre 2006, Stichting Zuid-Hollandse Milieufederatie, C‑138/05, Rec. p. I‑8339, point 23; ordonnance du 4 février 2000, Emesa Sugar, C‑17/98, Rec. p. I‑665, point 18).

13      D’autre part, en vertu de l’article 222, deuxième alinéa, CE, l’avocat général a pour rôle de présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice, requièrent son intervention. Étant donné que la Cour n’est liée ni par les conclusions de l’avocat général ni par la motivation au terme de laquelle il parvient à celles-ci, il n’est pas indispensable de rouvrir la procédure orale, conformément à l’article 61 du règlement de procédure, chaque fois que l’avocat général soulève un point de droit qui n’a pas fait l’objet d’un échange entre les parties.

14      En l’occurrence, la Cour s’estimant suffisamment éclairée pour statuer et l’affaire ne nécessitant pas d’être tranchée sur la base d’arguments qui n’auraient pas été débattus entre les parties, notamment au cours de l’audience, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de réouverture de la procédure orale.

 Sur l’incompatibilité des accords d’investissement avec le traité CE

 Argumentation des parties

15      La Commission estime que l’absence, dans les accords en cause, de toute stipulation réservant expressément la possibilité pour le Royaume de Suède d’appliquer les mesures qui pourraient, le cas échéant, être décidées par le Conseil sur la base des articles 57 CE, 59 CE et 60 CE est susceptible de rendre plus difficile, voire impossible, le respect par cet État membre de ses obligations communautaires et que, en n’ayant pas recouru aux moyens appropriés pour éliminer une telle incompatibilité, cet État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 307, deuxième alinéa, CE.

16      La Commission fait valoir que, en cas d’adoption par le Conseil de restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements, le délai nécessaire à la dénonciation ou à la renégociation des accords en cause aurait pour conséquence d’obliger, en vertu du droit international, le Royaume de Suède à continuer à appliquer, dans l’intervalle, les accords en question, y compris leur clause de transfert, conformément à ce que prévoit d’ailleurs l’article 307, premier alinéa, CE. Il en résulterait une absence d’application uniforme dans la Communauté européenne des mesures adoptées par le Conseil.

17      Le Royaume de Suède, soutenu par les interventions de la République de Hongrie et de la République de Finlande ainsi que, lors de l’audience, par la République de Lituanie, estime que la Commission ne pourrait démontrer une infraction résultant des stipulations litigieuses des accords bilatéraux en cause que si elle établissait que, en raison des droits garantis dans ces accords aux investisseurs de pays tiers, le Royaume de Suède n’avait pas la possibilité de mettre en œuvre les mesures restrictives concrètes instaurées par le droit communautaire.

18      C’est donc exclusivement à la suite de l’adoption effective des mesures autorisées par les dispositions pertinentes et, en cas de défaut ou d’inefficacité des moyens tirés du droit international, visant à remédier à une incompatibilité dans un cas donné, que se présenterait la situation envisagée à l’article 307, deuxième alinéa, CE. C’est alors seulement que, en invoquant une mesure restrictive concrète, la contradiction réelle entre cette mesure et l’accord litigieux ainsi que les mesures prises ou non afin d’éliminer cette contradiction, la Commission pourrait engager, à l’égard d’un acte communautaire identifié, un recours fondé sur la violation de l’article 307, deuxième alinéa, CE.

19      La République de Hongrie et la République de Finlande insistent sur les graves conséquences pouvant résulter de la position de la Commission, qui permettrait de faire constater un manquement au titre de l’article 307, deuxième alinéa, CE dans tous les cas où une convention, conclue avec un pays tiers soit avant l’entrée en vigueur du traité soit avant l’adhésion de l’État membre concerné, s’applique dans un domaine où la Communauté n’a pas encore exercé la compétence dont elle dispose en vertu du traité, c’est-à-dire dans un domaine où elle n’a pas encore légiféré. Une telle interprétation donnerait à l’article 307, deuxième alinéa, CE une portée illimitée, ce qui serait contestable du point de vue tant de la sécurité juridique que du partage des compétences entre la Communauté et les États membres, et romprait l’équilibre créé par l’article 307, premier et deuxième alinéas, CE.

20      L’incompatibilité future et éventuelle, avec le droit communautaire dérivé, d’une convention passée avec un pays tiers n’entrerait pas dans le champ d’application de l’article 307 CE et ne pourrait être éventuellement constatée que si le Conseil exerçait effectivement sa compétence dans ce domaine.

21      À cet égard, le Royaume de Suède fait valoir que des mesures restrictives de la circulation des capitaux prises à l’encontre de la République de Côte d’Ivoire et de l’ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie n’ont pas été gênées par les accords d’investissement passés entre ces États et le Royaume de Suède, ce que la Commission ne contesterait d’ailleurs pas.

22      La République de Hongrie s’interroge, en outre, sur les conséquences de la démarche de la Commission dans la mesure où les États membres ont conclu avec des pays tiers quelque 1 000 conventions bilatérales d’investissement comportant des clauses comparables en matière de transferts, dont la compatibilité avec le droit communautaire n’a jamais été contestée par la Commission.

23      Le Royaume de Suède, la République de Lituanie, la République de Hongrie et la République de Finlande estiment que, contrairement à ce que soutient la Commission, les mesures de sauvegarde visées aux articles 57, paragraphe 2, CE, 59 CE et 60, paragraphe 1, CE ne peuvent être mises en œuvre que dans des cas exceptionnels bien précis qui ne pouvaient être prévus lors de la conclusion des conventions en cause. Ainsi, le Royaume de Suède pourrait faire jouer le principe rebus sic stantibus pour suspendre provisoirement les dispositions relatives à la liberté de transfert dans le cas où la Communauté prendrait des mesures de sauvegarde sur le fondement de ces dispositions du traité.

24      Les États membres ayant déposé des observations font valoir que la Commission ne démontre pas l’existence du manquement allégué et qu’elle ne peut, conformément à la jurisprudence de la Cour, se fonder sur des présomptions.

 Appréciation de la Cour

25      Les différents accords d’investissement en cause, conclus par le Royaume de Suède, contiennent des stipulations équivalentes qui assurent la liberté du transfert, sans retard indu, des paiements en rapport avec un investissement en monnaie librement convertible.

26      Sont ainsi garanties, en particulier, la liberté de transférer des fonds en vue de la réalisation d’un investissement, de la gestion et de l’extension de ce dernier, celle de rapatrier les recettes que cet investissement aura procurées, ainsi que la liberté de transférer les fonds nécessaires au remboursement d’emprunts et ceux provenant de la liquidation ou de la cession dudit investissement.

27      Ces accords sont en cela conformes à la lettre de l’article 56, paragraphe 1, CE, aux termes duquel «[...] toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites», et à celle de l’article 56, paragraphe 2, CE, aux termes duquel «[...] toutes les restrictions aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites», et ils vont dans le sens de l’objectif que cet article poursuit.

28      Il est vrai que les dispositions du traité visées par le présent recours de la Commission donnent au Conseil le pouvoir de restreindre, dans certaines circonstances, les mouvements de capitaux et les paiements entre les États membres et des pays tiers, au nombre desquels figurent les mouvements visés par les clauses de transfert en cause.

29      Les dispositions en question, qui figurent aux articles 57, paragraphe 2, CE, 59 CE et 60, paragraphe 1, CE, introduisent, en vue de la protection de l’intérêt général de la Communauté et pour permettre à cette dernière de satisfaire, le cas échéant, à ses obligations internationales et à celles des États membres, des exceptions au principe de la libre circulation des capitaux et des paiements entre les États membres ainsi qu’entre ceux-ci et les pays tiers.

30      L’article 57, paragraphe 2, CE permet au Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, d’adopter certaines mesures restrictives relatives aux mouvements de capitaux en ce qui concerne notamment les investissements directs à destination ou en provenance de pays tiers. Lorsque ces mesures constituent «un pas en arrière» dans le droit communautaire en ce qui concerne la libéralisation des mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers, l’unanimité est requise.

31      L’article 59 CE autorise le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation de la Banque centrale européenne, à adopter des mesures de sauvegarde lorsque les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers «causent ou menacent de causer des difficultés graves pour le fonctionnement de l’Union économique et monétaire», à condition que ces mesures soient strictement nécessaires et qu’elles portent sur une période «ne dépassant pas six mois».

32      L’article 60, paragraphe 1, CE permet au Conseil, sur proposition de la Commission, afin de mettre en œuvre une position ou une action communes dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune, de prendre les «mesures urgentes nécessaires» en ce qui concerne les mouvements de capitaux et les paiements. Une telle action peut s’avérer nécessaire, par exemple, pour mettre à exécution une résolution du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies.

33      Il est constant que les accords en cause ne contiennent aucune disposition réservant ces possibilités de limitation, par la Communauté, des mouvements de fonds en rapport avec des investissements. Il convient donc d’examiner si le Royaume de Suède était, pour cette raison, tenu de recourir aux moyens appropriés auxquels se réfère l’article 307, deuxième alinéa, CE.

34      En vertu de l’article 307, premier alinéa, CE, les droits et les obligations résultant d’une convention conclue antérieurement à la date d’adhésion d’un État membre entre ce dernier et un État tiers ne sont pas affectés par les dispositions du traité. Cette disposition a pour objet de préciser, conformément aux principes du droit international, que l’application du traité n’affecte pas l’engagement de l’État membre concerné de respecter les droits des États tiers résultant d’une convention antérieure et d’observer ses obligations (voir arrêts du 14 octobre 1980, Burgoa, 812/79, Rec. p. 2787, point 8; du 4 juillet 2000, Commission/Portugal, C‑84/98, Rec. p. I‑5215, point 53, ainsi que du 18 novembre 2003, Budĕjovický Budvar, C‑216/01, Rec. p. I‑13617, points 144 et 145).

35      L’article 307, deuxième alinéa, CE oblige les États membres à recourir à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées entre les conventions conclues antérieurement à leur adhésion et le droit communautaire. Selon cette disposition, en cas de besoin, les États membres se prêtent une assistance mutuelle en vue d’arriver à cette fin et adoptent le cas échéant une attitude commune.

36      Les dispositions des articles 57, paragraphe 2, CE, 59 CE et 60, paragraphe 1, CE confèrent une compétence au Conseil pour restreindre, dans certaines hypothèses précises, les mouvements de capitaux et les paiements entre les États membres et les États tiers.

37      Pour assurer l’effet utile desdites dispositions, il est nécessaire que les mesures restreignant la libre circulation des capitaux puissent être, dans le cas où elles seraient adoptées par le Conseil, immédiatement appliquées à l’égard des États qu’elles concernent et qui peuvent être certains des États ayant signé l’un des accords en cause avec le Royaume de Suède.

38      Par suite, ces compétences du Conseil, consistant à adopter unilatéralement des mesures restrictives à l’égard des États tiers dans une matière qui est identique ou connexe à celle réglée par un accord antérieur conclu entre un État membre et un État tiers, font apparaître une incompatibilité avec ledit accord lorsque, d’une part, celui-ci ne prévoit pas de disposition permettant à l’État membre concerné d’exercer ses droits et de remplir ses obligations en tant que membre de la Communauté et que, d’autre part, aucun mécanisme de droit international ne le permet non plus.

39      Or, contrairement à ce que soutient le Royaume de Suède, les mesures mises en avant par ce dernier et qui seraient, selon lui, de nature à lui permettre de satisfaire à ses obligations communautaires ne paraissent pas garantir qu’il en soit ainsi.

40      En premier lieu, les délais inhérents à toute négociation internationale qui seraient nécessaires pour rediscuter les accords en cause sont par nature incompatibles avec l’effet utile de ces mesures.

41      En second lieu, la possibilité d’avoir recours à d’autres moyens offerts par le droit international, comme la suspension de l’accord, voire la dénonciation des accords en cause ou de certaines de leurs stipulations, est trop incertaine dans ses effets pour garantir que les mesures prises par le Conseil pourraient être utilement appliquées.

42      Or, il est constant que, dans les cas visés par la Commission, le Royaume de Suède n’a entamé, dans le délai imparti par cette dernière dans son avis motivé, aucune démarche à l’égard des États tiers concernés pour éliminer le risque de conflit avec les mesures que le Conseil peut adopter en vertu des articles 57, paragraphe 2, CE, 59 CE et 60, paragraphe 1, CE pouvant naître de l’application des accords d’investissements conclus avec ces États tiers.

43      Il y a lieu d’ajouter que, ainsi qu’il ressort de l’arrêt rendu ce jour dans l’affaire Commission/Autriche (C-205/06, non encore publié au Recueil), les incompatibilités avec le traité auxquelles conduisent les accords d’investissement avec des États tiers et qui s’opposent à l’application des restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements que peut adopter le Conseil en vertu des articles 57, paragraphe 2, CE, 59 CE et 60, paragraphe 1, CE ne se limitent pas à l’État membre défendeur dans la présente affaire.

44      Il convient, par conséquent, d’indiquer que, conformément à l’article 307, deuxième alinéa, CE, en cas de besoin, les États membres se prêtent une assistance mutuelle en vue d’arriver à éliminer les incompatibilités constatées et adoptent le cas échéant une attitude commune. Dans le cadre de la responsabilité, qui incombe à la Commission en vertu de l’article 211 CE, de veiller à l’application des dispositions du traité, il appartient à celle-ci de prendre toute initiative susceptible de faciliter l’assistance mutuelle entre les États membres concernés ainsi que l’adoption par lesdits États membres d’une attitude commune.

45      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en ayant omis de recourir aux moyens appropriés pour éliminer des incompatibilités relatives aux dispositions en matière de transfert de capitaux contenues dans les accords d’investissement conclus avec la République argentine, la République de Bolivie, la République de Côte d’Ivoire, la République arabe d’Égypte, Hong-Kong, la République d’Indonésie, la République populaire de Chine, la République de Madagascar, la Malaisie, la République islamiste du Pakistan, la République du Pérou, la République du Sénégal, la République socialiste démocratique de Sri Lanka, la République tunisienne, la République socialiste du Viêt Nam, la République du Yémen et l’ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie, le Royaume de Suède a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 307, deuxième alinéa, CE.

 Sur les dépens

46      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume de Suède et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. En application du paragraphe 4, premier alinéa, du même article, la République de Lituanie, la République de Hongrie et la République de Finlande, qui sont intervenues au litige, supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      En ayant omis de recourir aux moyens appropriés pour éliminer des incompatibilités relatives aux dispositions en matière de transfert de capitaux contenues dans les accords d’investissement conclus avec la République argentine, la République de Bolivie, la République de Côte d’Ivoire, la République arabe d’Égypte, Hong-Kong, la République d’Indonésie, la République populaire de Chine, la République de Madagascar, la Malaisie, la République islamiste du Pakistan, la République du Pérou, la République du Sénégal, la République socialiste démocratique de Sri Lanka, la République tunisienne, la République socialiste du Viêt Nam, la République du Yémen et l’ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie, le Royaume de Suède a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 307, deuxième alinéa, CE.

2)      Le Royaume de Suède est condamné aux dépens.

3)      La République de Lituanie, la République de Hongrie et la République de Finlande supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le suédois.