Language of document : ECLI:EU:T:2021:104

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

24 février 2021 (*) (1)

« Clause compromissoire – Programmes Tempus IV – Conventions de subvention – Nature contractuelle du litige – Requalification du recours – Coûts éligibles – Irrégularités systémiques et récurrentes – Remboursement intégral des sommes versées – Proportionnalité – Droit d’être entendu – Obligation de motivation – Article 41 de la charte des droits fondamentaux »

Dans l’affaire T‑108/18,

Universität Koblenz-Landau, établie à Mayence (Allemagne), représentée par Mes C. von der Lühe et I. Felder, avocats,

partie requérante,

contre

Agence exécutive « Éducation, audiovisuel et culture » (EACEA), représentée par M. H. Monet, en qualité d’agent, assisté de Mes R. van der Hout et C. Wagner, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation des lettres du 21 décembre 2017 et du 7 février 2018 de l’EACEA relatives aux sommes versées à la requérante dans le cadre des conventions de subvention conclues pour la réalisation de trois projets dans le domaine de l’éducation supérieure et, à titre subsidiaire, une demande fondée sur l’article 272 TFUE et tendant à faire déclarer le droit au recouvrement réclamé comme non constitué,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie),

composé de MM. S. Papasavvas, président, A. Kornezov (rapporteur), E. Buttigieg, Mme K. Kowalik‑Bańczyk et M. G. Hesse, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 16 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Universität Koblenz-Landau, est un établissement d’enseignement supérieur allemand de droit public.

2        En 2008 et en 2010, dans le cadre des programmes de l’Union européenne de coopération avec des pays tiers visant à la modernisation des systèmes d’enseignement supérieur de ces pays, dénommés Tempus IV, la requérante a signé les trois conventions de subvention suivantes :

–        la convention de subvention du 5 décembre 2008, portant la référence no 2008‑4744, pour la réalisation du projet « Educational Centers Network on Modern Technologies of Local Governing » (réseau de centres éducatifs sur les techniques modernes de gouvernance locale) (ci-après la « convention Ecesis »), signée entre la requérante, en tant que bénéficiaire unique, et la Commission européenne ;

–        la convention de subvention du 18 octobre 2010, portant la référence no 2010‑2844, pour la réalisation du projet « Development and Integration of University Self-assessment Systems » (développement et intégration des systèmes d’auto-évaluation universitaires) (ci-après la « convention Diusas »), signée notamment entre la requérante, en qualité de coordinatrice et cobénéficiaire, et l’Agence exécutive « Éducation, audiovisuel et culture » (EACEA) ;

–        la convention de subvention du 30 septembre 2010, portant la référence no 2010‑2862, concernant la réalisation du projet « Development of Quality Assurance System in Turkmenistan on the base of Bologna Standards » (développement d’un système d’assurance de la qualité au Turkménistan sur le fondement des critères du processus de Bologne) (ci-après la « convention Deque »), signée notamment entre la requérante, en qualité de coordinatrice et cobénéficiaire, et l'EACEA.

3        Conformément à l’article I.8, premier alinéa, de la convention Ecesis, l’octroi de la subvention en faisant l’objet est régi, à titre principal, par les stipulations de cette convention et les règles du droit de l’Union applicables et, à titre subsidiaire, par le droit belge relatif à l’octroi de subventions. Quant aux conventions Diusas et Deque, selon l’article I.9 de chacune d’entre elles, celles-ci sont régies par les stipulations contractuelles et les règles du droit de l’Union applicables.

4        L’article I.8, deuxième alinéa, de la convention Ecesis et l’article I.9 des conventions Diusas et Deque (ci-après, dénommées ensemble, les « conventions litigieuses ») stipulent que les décisions de l’EACEA concernant l’application des clauses de la convention de subvention concernée ainsi que les modalités de sa mise en œuvre peuvent faire l’objet d’un recours formé par les bénéficiaires devant le juge de l’Union.

5        En application des conventions litigieuses, l’EACEA a versé à la requérante des subventions, respectivement, de 756 381,89 euros, dans le cadre de la convention Ecesis, de 736 493,52 euros, dans le cadre de la convention Diusas, et de 345 500,10 euros, dans le cadre de la convention Deque.

6        En 2014, l’EACEA a engagé une société spécialisée pour effectuer un audit auprès de la requérante visant à vérifier si les coûts déclarés par la requérante étaient conformes aux stipulations des conventions litigieuses.

7        Le 22 avril 2016, les auditeurs ont communiqué à la requérante le projet de rapport d’audit, daté du 16 novembre 2015 (ci-après le « projet de rapport d’audit »). L’enquête des auditeurs était fondée sur les informations présentées par la requérante, ainsi que sur des informations recueillies par ceux-ci durant des inspections dans les locaux de la requérante, ayant eu lieu entre le 10 et le 14 novembre 2014. Les auditeurs ont effectué également une visite sur place dans les locaux de certains cobénéficiaires dans le cadre de la convention Deque à Achgabat (Turkménistan) entre le 1er et le 7 juin 2015. Sur la base d’un examen couvrant, selon ledit rapport, 90,93 % des coûts réclamés dans le cadre du projet relatif à la convention Ecesis, 90,05 % des coûts réclamés dans le cadre du projet relatif à la convention Diusas et 93,42 % des coûts réclamés dans le cadre du projet relatif à la convention Deque, les auditeurs ont relevé plusieurs irrégularités, potentiellement de nature systémique, concernant les dépenses financées par les subventions reçues.

8        Le 23 mai 2016, l’EACEA et la requérante ont tenu une réunion à Bruxelles (Belgique) au sujet des constatations figurant dans le projet de rapport d’audit. Par courrier électronique du 29 juillet 2016, la requérante a envoyé à l’EACEA ses commentaires concernant le procès-verbal de cette réunion.

9        Par lettre du 30 août 2016, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a informé la requérante qu’il avait également ouvert une enquête concernant, notamment, les dépenses relatives aux conventions litigieuses et des soupçons de fraude à cet égard.

10      Par lettre du 29 septembre 2016, dont une copie a été adressée également à l’OLAF, la requérante a communiqué à l’EACEA ses observations sur le projet de rapport d’audit.

11      Par lettre du 11 novembre 2016, la requérante a fait parvenir à l’OLAF ses observations en réponse à la lettre de ce dernier du 30 août 2016.

12      Par lettres du 4 juillet 2017, l’EACEA a demandé à la requérante de lui fournir, dans un délai déterminé et à l’aide d’un tableau, des informations concernant les sommes reçues par cette dernière au titre des conventions Diusas et Deque et versées par la suite par celle-ci aux cobénéficiaires des projets relatifs auxdites conventions.

13      Par lettre du 26 juillet 2017, l’EACEA a communiqué à la requérante le rapport final d’audit, daté du 16 décembre 2016 (ci-après le « rapport final d’audit »), confirmant les constatations d’irrégularités dans la gestion des conventions litigieuses, identifiées dans le projet de rapport d’audit, en y joignant également le rapport final de l’OLAF, daté du 21 novembre 2016 (ci-après le « rapport final de l’OLAF »).

14      Les auditeurs ont recommandé le recouvrement de 754 670,95 euros sur la somme totale de 2 123 470,12 euros au titre des conventions litigieuses, à savoir 389 123,88 euros au titre de la convention Ecesis, 302 179,34 euros au titre de la convention Diusas et 63 367,73 euros au titre de la convention Deque. Les auditeurs ont néanmoins précisé, au point I.2.1 du rapport final d’audit, que le montant des ajustements nécessaires était tellement important qu’ils ne pouvaient pas conclure que les coûts réclamés reflétaient correctement des dépenses éligibles ou que ces coûts avaient été encourus par le bénéficiaire en conformité avec les stipulations contractuelles. Ils ont recommandé, au point I.2.2. du même rapport, que l’EACEA fasse de toute urgence une enquête additionnelle à cet égard auprès de la requérante et des autres cobénéficiaires.

15      Le rapport final de l’OLAF a fait état de suspicions de fraude dans la mise en œuvre des conventions litigieuses, en raison des doutes quant à la fiabilité de nombreuses factures émises par différents fournisseurs et quant à la réalité des activités commerciales exercées par les fournisseurs pour un montant de 374 031,31 euros. Quant aux irrégularités concernant les sommes versées directement sur les comptes privés des deux personnes physiques employées par la requérante et gestionnaires des conventions litigieuses et prétendument payées, par la suite, en espèces par celles-ci, l’OLAF a indiqué qu’il n’avait pas pu vérifier si les sommes en cause avaient été payées au personnel concerné, car de telles vérifications « aurai[en]t nécessité une autorisation judiciaire ».

16      Par lettre du 26 juillet 2017, l’EACEA a également informé la requérante que, en raison de la gravité des irrégularités constatées dans le rapport final d’audit et le rapport final de l’OLAF, ainsi que de leur caractère systémique et récurrent, elle envisageait le recouvrement de la totalité des sommes versées à la requérante au titre des conventions litigieuses, sur le fondement de l’article II.19, paragraphes 3 et 5, de ces dernières ainsi que de l’article 135, paragraphe 4, du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p.1). Cependant, en ce qui concerne les conventions Diusas et Deque, l’EACEA a indiqué avoir l’intention de demander le remboursement des seules sommes reçues par la requérante en tant que bénéficiaire final et d’en exclure ainsi les sommes versées par cette dernière aux autres cobénéficiaires de ces deux conventions. L’EACEA a indiqué à cet égard qu’elle ne disposait pas d’informations concernant la ventilation des subventions reçues par les cobénéficiaires et, par conséquent, des sommes reçues par la requérante en tant que bénéficiaire final. Ainsi, la requérante a été invitée à présenter, d’une part, l’original des factures énumérées dans l’annexe III de la même lettre dans un délai de 15 jours et, d’autre part, ses observations concernant le recouvrement envisagé, y compris des copies des justificatifs bancaires, dans un délai de 60 jours. En outre, l’EACEA a informé la requérante qu’elle avait enregistré son nom dans le système de détection rapide et d’exclusion (EDES DB).

17      Par lettre du 9 août 2017, la requérante a informé l’EACEA qu’elle ne pouvait pas présenter les factures demandées, puisque celles-ci avaient été saisies par le parquet de Coblence (Allemagne). Par lettre du 24 août 2017, la requérante a confirmé une nouvelle fois que le parquet de Coblence avait indiqué à ses avocats que ces documents ne pouvaient pas être consultés.

18      Par lettre du 25 septembre 2017, la requérante a présenté ses observations, annexes à l’appui, sur l’ensemble des constatations figurant dans la lettre de l’EACEA du 26 juillet 2017.

19      Par lettre du 21 décembre 2017 (ci-après la « lettre du 21 décembre 2017 »), l'EACEA a informé la requérante qu’elle avait décidé de recouvrer un montant de 756 381,89 euros au titre de la convention Ecesis. En ce qui concerne les conventions Diusas et Deque, elle a informé la requérante de son intention de seulement demander le remboursement des sommes qu’elle avait reçues dans le cadre de ces conventions en tant que bénéficiaire final, à l’exclusion donc des sommes transférées par celle-ci à des cobénéficiaires, dont le montant devait encore lui être communiqué par elle. L’EACEA a précisé que, si elle n’obtenait pas d’informations concernant les montants versés aux cobénéficiaires au titre de ces deux conventions, elle demanderait le remboursement intégral de ces montants ou le remboursement d’une somme « plus élevée ».

20      Par lettre du 7 février 2018 (ci-après la « lettre du 7 février 2018 »), d’une part, l'EACEA a constaté que la requérante n’avait pas présenté les informations nécessaires pour déterminer le montant des sommes qui lui avaient été versées au titre des conventions Diusas et Deque et transférées par la suite à d’autres entités cobénéficiaires. D’autre part, l’EACEA a indiqué avoir elle‑même pris contact avec ces derniers et avoir reçu, de la part de certains d’entre eux, les informations demandées. Sur la base des informations ainsi recueillies, l’EACEA a fixé le montant à rembourser à 695 919,31 euros pour la convention Diusas et à 343 525,10 euros pour la convention Deque. L’EACEA a invité la requérante à lui soumettre, le cas échéant, ses observations dans un délai de quinze jours calendaires, en précisant que, à défaut de telles observations, elle procéderait au recouvrement des montants susmentionnés.

21      Le 13 février 2018, l’EACEA a adressé à la requérante une note de débit d’un montant de 756 381,89 euros au titre de la convention Ecesis (ci-après la « note de débit »).

22      La somme totale réclamée au titre des trois conventions s’est élevée ainsi à 1 795 826,30 euros.

 Procédure

23      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 février 2018, la requérante a introduit le présent recours. Celui-ci était dirigé contre la « Commission […], représentée par [l’]EACEA ».

24      Conformément à la décision du président du Tribunal du 28 mars 2018, le présent recours a été considéré comme dirigé contre l’EACEA ainsi que contre la Commission.

25      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 4 mai 2018, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure du Tribunal en ce que le recours était dirigé contre elle. La requérante a déposé ses observations sur cette exception le 18 juin 2018.

26      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 15 juin 2018, l’EACEA a déposé le mémoire en défense.

27      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 7 août 2018, la requérante a déposé la réplique.

28      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 25 septembre 2018, l’EACEA a déposé la duplique.

29      Par lettre du 8 octobre 2018, le Tribunal a invité la Commission, en application de l’article 89, paragraphe 3, sous d), du règlement de procédure, à produire certains documents. La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti.

30      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 2 novembre 2018, la requérante a présenté ses observations sur les documents produits par la Commission.

31      Sur demandes de la requérante, la procédure a été suspendue à deux reprises, par décisions des 28 février et 11 juin 2019, au motif que la requérante et l’EACEA avaient entamé des discussions visant à parvenir à un accord amiable éventuel.

32      Par décision du 5 septembre 2019, une troisième demande de suspension de la procédure a été rejetée.

33      Par ordonnance du 23 octobre 2019, Universität Koblenz‑Landau/Commission et EACEA (T‑108/18, non publiée, EU:T:2019:768), le Tribunal a rejeté le recours comme irrecevable en ce qu’il était dirigé contre la Commission et a condamné la requérante aux dépens relatifs à cette instance.

34      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, par décision du président du Tribunal du 24 octobre 2019, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, la présente affaire a été réattribuée à la dixième chambre.

35      Conformément à l’article 106, paragraphe 2, du règlement de procédure, l’EACEA a introduit, le 6 novembre 2019, une demande visant à être entendue lors d’une audience de plaidoiries.

36      Par décision du 11 mars 2020, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire à la dixième chambre siégeant en formation élargie à cinq juges.

37      Dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure des 12 mars et 27 mai 2020, adoptées au titre de l’article 89, paragraphe 3, sous a) et d), du règlement de procédure, le Tribunal a posé des questions aux parties qui y ont déféré dans les délais impartis.

38      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

39      Le 16 septembre 2020, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience à l’issue de laquelle la phase orale de la procédure a été close.

40      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 3 février 2021, la requérante a présenté une demande de réouverture de la phase orale de la procédure, au titre de l’article 113, paragraphe 2, sous c), du règlement de procédure du Tribunal en se fondant sur une ordonnance du parquet de Coblence du 28 décembre 2020, qui lui avait été signifiée le 28 janvier 2021. Par décision du 4 février 2021, le président de la dixième chambre élargie du Tribunal a rejeté cette demande, ce dont les parties ont été informées par lettres du greffe du 5 février 2021.

 Conclusions

41      Dans la requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la lettre du 21 décembre 2017 ;

–        annuler la lettre du 7 février 2018 ;

–        suspendre l’exécution forcée de la lettre du 21 décembre 2017 et de la lettre du 7 février 2018 ainsi que de la note de débit, jusqu’à ce qu’il soit définitivement statué sur le présent recours en annulation ;

–        condamner la partie défenderesse aux dépens.

42      Dans la réplique, la requérante conclut, à titre subsidiaire, à ce qu’il plaise au Tribunal de requalifier le présent recours en recours fondé sur l’article 272 TFUE et de constater que la créance de 756 381,89 euros exigée au titre de la convention Ecesis et celle de 1 039 444,41 euros exigée au titre des conventions de subvention Diusas et Deque n’existent pas.

43      En outre, la requérante a indiqué qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le troisième chef de conclusions présenté dans la requête, dans la mesure où l’EACEA avait décidé de suspendre le recouvrement des sommes réclamées dans les lettres des 21 décembre 2017 et 7 février 2018, ce dont la requérante a été informée par lettre du 9 avril 2018, présentée en annexe C.5 au mémoire en défense. La requérante a confirmé lors de l’audience, en réponse à une question posée par le Tribunal à cet égard, qu’elle avait retiré son troisième chef de conclusions, ce dont il a été pris acte dans le procès‑verbal de l’audience.

44      L’EACEA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme manifestement irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

45      Lors de l’audience, l’EACEA a déclaré qu’elle renonçait à contester sa qualité de partie défenderesse et, partant, la recevabilité du recours en ce qu’il était dirigé contre elle, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal d’audience.

 En droit

 Sur la compétence du Tribunal et les fins de non-recevoir soulevées par l’EACEA

46      L’EACEA soutient, en substance, que le présent recours, en ce qu’il est fondé sur l’article 263 TFUE, est irrecevable, dans la mesure où les lettres des 21 décembre 2017 et 7 février 2018 ainsi que la note de débit ne constituent pas des actes attaquables susceptibles d’être annulés dans le cadre d’un tel recours.

47      En l’espèce, il y a lieu de constater que la requérante a indiqué, au début de la requête, que son recours était fondé sur l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Néanmoins, au point 40 de la requête, elle a précisé que le Tribunal était compétent pour connaître de la présente affaire en vertu de l’article I.8 de la convention Ecesis et de l’article I.9 des conventions Diusas et Deque.

48      Dans la réplique, tout en affirmant que son recours était correctement fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante a néanmoins déclaré que, si son recours devait être considéré comme étant irrecevable sur ce fondement, il devrait être requalifié en un recours fondé sur l’article 272 TFUE. Elle a présenté, à titre subsidiaire, un chef de conclusions expressément fondé sur l’article 272 TFUE (voir point 42 ci‑dessus).

49      Dans ces conditions, il y a lieu d’apprécier, dans un premier temps, la recevabilité du présent recours au regard des dispositions de l’article 263 TFUE avant d’examiner, le cas échéant, dans un second temps, si, dans l’hypothèse où le recours en annulation s’avérerait irrecevable, ce recours pourrait néanmoins être requalifié en recours fondé sur les dispositions de l’article 272 TFUE.

 Sur la recevabilité des conclusions en annulation au regard des dispositions de l’article 263 TFUE

50      Selon la jurisprudence, en présence d’un contrat liant le requérant à l’une des institutions, organes ou organismes de l’Union, les juridictions de l’Union ne peuvent être saisies d’un recours sur le fondement de l’article 263 TFUE que si l’acte attaqué vise à produire des effets juridiques contraignants qui se situent en dehors de la relation contractuelle liant les parties et qui impliquent l’exercice de prérogatives de puissance publique conférées à l’institution contractante en sa qualité d’autorité administrative (arrêt du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission, C‑584/17 P, EU:C:2020:576, point 65).

51      En outre, la Cour a précisé qu’une note de débit ou une mise en demeure, qui ont pour objet le recouvrement d’une créance sur le fondement de la convention de subvention concernée, et qui comportent l’indication d’une date d’échéance ainsi que les conditions de paiement de la créance qu’elles constatent, ne sauraient être assimilées à un titre exécutoire en tant que tel, même si celles-ci mentionnent la voie exécutoire de l’article 299 TFUE comme étant une voie possible parmi d’autres s’offrant à la Commission dans l’hypothèse où le débiteur ne s’exécuterait pas à la date d’échéance fixée (arrêt du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission, C‑584/17 P, EU:C:2020:576, point 66).

52      Il s’ensuit qu’une telle note de débit ou de mise en demeure ne produit pas d’effets juridiques qui trouveraient leur origine dans l’exercice de prérogatives de puissance publique, mais doit, au contraire, être regardée comme étant indissociable des rapports contractuels existant entre le requérant et l’institution, organe ou organisme de l’Union concerné.

53      C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient, dès lors, d’examiner si les lettres des 21 décembre 2017 et 7 février 2018 ainsi que la note de débit figurent au nombre des actes qui peuvent être annulés par le juge de l’Union, en vertu de l’article 263 TFUE, ou si, au contraire, elles revêtent une nature contractuelle.

54      S’agissant de la lettre du 21 décembre 2017, dont la teneur a été rappelée au point 19 ci-dessus, le Tribunal constate que, par cette lettre, d’une part, l’EACEA a indiqué à la requérante qu’elle avait décidé de réclamer le remboursement d’une somme de 756 381,89 euros versée au titre de la convention Ecesis. Par cette même lettre, d’autre part, l’EACEA a informé la requérante qu’elle envisageait de demander le remboursement de l’intégralité des sommes qui lui avaient été versées au titre des conventions Diusas et Deque en sa qualité de bénéficiaire final desdites conventions, en excluant ainsi les sommes reçues par la requérante et versées par cette dernière aux autres cobénéficiaires. En conséquence, elle a mis en demeure la requérante et l’a invitée à présenter des informations lui permettant d’établir ledit montant au plus tard à la fin du mois de janvier 2018. L’EACEA a précisé, au point II de cette lettre, qu’elle avait décidé de demander le remboursement des sommes versées au titre des conventions litigieuses sur la base des articles II.19, paragraphes 3 et 5, desdites conventions et de l’article 135, paragraphe 4, du règlement no 966/2012, en raison, en substance, des irrégularités systémiques et récurrentes constatées dans l’exécution des conventions litigieuses.

55      Quant à la lettre du 7 février 2018, par celle-ci, l’EACEA a informé la requérante du fait qu’elle avait fixé le montant du recouvrement envisagé à 695 919,31 euros pour la convention Diusas et à 343 525,10 euros pour la convention Deque. L’EACEA a néanmoins invité la requérante à soumettre, le cas échéant, des observations dans un délai de quinze jours calendaires et a indiqué que, après l’expiration de ce délai, elle lui adresserait une note de débit pour ces montants, à savoir pour une somme totale de 1 039 444,41 euros, précisant les conditions et le délai de paiement. L’EACEA a fait valoir également qu’elle adopterait une décision formant titre exécutoire au cas où la requérante n’honorerait pas la créance indiquée dans ladite note de débit.

56      Ainsi, contrairement à ce que maintient la requérante, la teneur des lettres des 21 décembre 2017 et 7 février 2018 ne permet pas de conclure que l’EACEA ait agi, en l’espèce, en faisant usage de ses prérogatives de puissance publique et non en mettant en œuvre les droits et obligations découlant des conventions litigieuses. En effet, il s’agit de simples lettres mettant la requérante en demeure d’exécuter une obligation contractuelle au titre des conventions en cause.

57      De même, s’agissant de la note de débit du 13 février 2018 fixant la somme à recouvrer au titre de la convention Ecesis et le délai de paiement s’y rapportant, elle indique que, si ledit montant n’était pas versé dans le délai prescrit, une décision formant titre exécutoire en vertu de l’article 299 TFUE serait adoptée.

58      Il s’ensuit que ni les lettres des 21 décembre 2017 et 7 février 2018, ni la note de débit ne visent à produire des effets juridiques contraignants se situant en dehors de la relation contractuelle liant les parties et impliquant l’exercice de prérogatives de puissance publique. Partant, ces lettres et cette note ne peuvent être considérées comme constituant des actes susceptibles d’un recours en annulation en vertu de l’article 263 TFUE.

59      Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions en annulation doivent être déclarées irrecevables en tant qu’elles sont fondées sur l’article 263 TFUE.

 Sur la requalification du recours comme étant fondé sur l’article 272 TFUE

60      Lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation ou d’un recours en indemnité, alors que le litige est, en réalité, de nature contractuelle, le Tribunal requalifie le recours si les conditions d’une telle requalification sont réunies (arrêts du 24 octobre 2014, Technische Universität Dresden/Commission, T‑29/11, EU:T:2014:912, point 42, et du 10 octobre 2019, Help – Hilfe zur Selbsthilfe/Commission, T‑335/17, non publié, EU:T:2019:736, point 78).

61      La requalification du recours est possible pour autant que la volonté expresse de la partie requérante ne s’y oppose pas et qu’au moins un moyen tiré de la violation des règles régissant la relation contractuelle en cause soit invoqué dans la requête conformément aux dispositions de l’article 76 du règlement de procédure. Ces deux conditions sont cumulatives (arrêts du 24 octobre 2014, Technische Universität Dresden/Commission, T‑29/11, EU:T:2014:912, point 44, et du 20 juin 2018, KV/EACEA, T‑306/15 et T‑484/15, non publié, EU:T:2018:359, point 49).

62      En l’espèce, ces deux conditions sont remplies. D’une part, ainsi qu’il a été relevé aux points 42 et 48 ci-dessus, la requérante indique expressément, dans la réplique, que son recours doit être requalifié en tant que recours fondé sur l’article 272 TFUE, dans l’hypothèse où le recours devrait être jugé irrecevable, en tant qu’il est fondé sur l’article 263 TFUE. La requérante a donc exprimé sa volonté de requalifier le recours en recours fondé sur l’article 272 TFUE.

63      D’autre part, il convient de constater que l’ensemble des moyens soulevés à l’appui du recours sont susceptibles d’être invoqués dans le cadre d’un litige de nature contractuelle, ainsi qu’il ressort des points 68 à 164 ci‑après.

64      De surcroît, les conventions litigieuses contiennent, ainsi que le fait valoir la requérante elle-même, une clause compromissoire au sens de l’article 272 TFUE, donnant compétence exclusive au juge de l’Union pour connaître de tout litige entre les parties relatif à la validité, à l’exécution ou à l’interprétation desdites conventions. Dans la mesure où l’article 272 TFUE érige le juge de l’Union en juge de plein contentieux, lui permettant, par opposition au juge de la légalité saisi sur le fondement de l’article 263 TFUE, de connaître de tout type d’action en vertu d’une clause compromissoire, cet article 272 TFUE constitue la base juridique appropriée pour statuer sur la demande des requérants visant à la constatation de l’inexistence de la créance contractuelle litigieuse (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2016, Trivisio Prototyping/Commission, T‑184/15, non publié, EU:T:2016:652, point 62 et jurisprudence citée).

65      Il résulte de ce qui précède que, d’une part, le présent recours introduit initialement sur le fondement de l’article 263 TFUE doit être requalifié en recours introduit sur le fondement de l’article 272 TFUE et, d’autre part, que le Tribunal a compétence pour statuer sur ce recours, conformément à l’article 272 TFUE et aux clauses compromissoires contenues à l’article I.8 de la convention Ecesis et à l’article I.9 des conventions Diusas et Deque.

 Sur le fond

66      À l’appui du recours, la requérante invoque quatre moyens, tirés, le premier, d’une violation du droit d’être entendu, le deuxième, d’une « mauvaise application du droit européen », le troisième, d’un défaut de motivation et, le quatrième, d’une violation du principe de proportionnalité.

67      Il convient d’examiner, tout d’abord, les premier et troisième moyens, ensuite, le deuxième moyen et, enfin, le quatrième moyen.

 Sur les premier et troisième moyens, tirés, respectivement, le premier, d’une violation du droit d’être entendu et, le troisième, d’un défaut de motivation

–       Sur l’invocabilité du droit d’être entendu et de l’obligation de motivation dans le cadre d’un litige de nature contractuelle

68      L’EACEA fait valoir que le droit d’être entendu et l’obligation de motivation ne peuvent être utilement invoqués dans le cadre d’un litige de nature contractuelle. Partant, selon l’EACEA, elle n’avait ni l’obligation d’entendre la requérante avant de lui adresser les lettres des 21 décembre 2017 et 8 février 2018 et la note en débit, ni l’obligation de motiver celles-ci.

69      Cette objection doit être rejetée.

70      À cet égard, il convient de souligner que le droit d’être entendu et l’obligation de motivation, invoqués par la requérante dans le cadre de ses premier et troisième moyens, ont été inscrits à l’article 41, paragraphe 2, sous a) et c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), aux termes duquel les institutions, organes et organismes de l’Union sont, d’une part, tenus au respect du droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise contre elle et, d’autre part, obligés de motiver leurs décisions.

71      Ainsi, le Tribunal a déjà eu l’occasion de juger que la Charte, qui fait partie du droit primaire, prévoit, à son article 51, paragraphe 1, sans exception, que ses dispositions « s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité » et que, dès lors, les droits fondamentaux ont vocation à régir l’exercice des compétences qui sont attribuées aux institutions de l’Union, y compris dans un cadre contractuel (arrêts du 3 mai 2018, Sigma Orionis/Commission, T‑48/16, EU:T:2018:245, points 101 et 102, et du 3 mai 2018, Sigma Orionis/REA, T‑47/16, non publié, EU:T:2018:247, points 79 et 80 ; voir également, par analogie, arrêt du 13 mai 2020, Talanton/Commission, T‑195/18, non publié, sous pourvoi, EU:T:2020:194, point 73).

72      De même, selon la Cour, lorsque les institutions, organes ou organismes de l’Union exécutent un contrat, ils restent soumis aux obligations qui leur incombent en vertu de la Charte et des principes généraux du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission, C‑584/17 P, EU:C:2020:576, point 86).

73      La Cour a également souligné que, si les parties décident, dans leur contrat, au moyen d’une clause compromissoire, d’attribuer au juge de l’Union la compétence pour connaître des litiges afférents à ce contrat, ce juge sera compétent, indépendamment du droit applicable stipulé audit contrat, pour examiner d’éventuelles violations de la Charte et des principes généraux du droit de l’Union (arrêt du 16 juillet 2020, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P, EU:C:2020:575, point 81).

74      Par ailleurs, il convient de souligner que les institutions, organes et organismes de l’Union ne sont pas tout à fait comparables à des parties contractantes privées, lorsqu’ils agissent dans un cadre contractuel. Ainsi, d’une part, les subventions octroyées par ceux-ci puisent dans les deniers publics de l’Union, de sorte que, lorsqu’ils octroient de telles subventions, les institutions, organes et organismes de l’Union restent encadrées notamment par les exigences budgétaires découlant de l’article 317 TFUE et les règles financières prévues à cet égard par le règlement financier applicable. D’autre part, en présence d’un contrat contenant, comme en l’espèce, une clause compromissoire attribuant compétence au juge de l’Union, notamment la Commission dispose de prérogatives exorbitantes du droit commun lui permettant de formaliser la constatation d’une créance contractuelle en adoptant unilatéralement, sur le fondement de l’article 72, paragraphe 2, du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1), ou de l’article 79, paragraphe 2, du règlement no 966/2012, une décision formant titre exécutoire en vertu de l’article 299 TFUE, dont les effets et la force obligatoire émanent desdites dispositions (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission, C‑584/17 P, EU:C:2020:576, points 68 à 70 et 73). De surcroît, force est de constater que, conformément à l’article 108, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 1605/2002 et à l’article 121, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 966/2012, une subvention peut être octroyée soit par le biais d’une convention écrite, soit par le biais d’une décision de la Commission notifiée au bénéficiaire. Ainsi, le législateur de l’Union a prévu qu’une subvention pouvait être octroyée tant par la voie contractuelle que par la voie administrative. Or, les institutions, organes et organismes de l’Union ne sauraient, à leur gré, se soustraire à leurs obligations découlant du droit primaire, y compris de la Charte, en fonction de leur choix d’octroyer des subventions par voie de convention plutôt que par décision.

75      Partant, il y a lieu d’écarter l’objection de l’EACEA concernant l’invocabilité du droit d’être entendu et de l’obligation de motivation dans des litiges de nature contractuelle.

–       Sur le droit d’être entendu

76      La requérante fait valoir que l’EACEA n’a pas respecté son droit d’être entendue en procédant au recouvrement litigieux de manière prématurée. En particulier, la requérante aurait signalé à l’EACEA ne pas être en possession des documents demandés au motif que ceux-ci auraient été saisis dans le contexte d’une procédure pénale d’enquête en cours menée par le parquet de Coblence, diligentée contre deux personnes physiques qui étaient, à l’époque, chargées, au sein de la requérante, de l’exécution et du suivi des projets faisant l’objet du financement au titre des conventions litigieuses. Pour cette raison, les informations manquantes ou les factures originales réclamées par l’EACEA ne pouvaient pas être présentées, la requérante précisant qu’elle n’avait pas été autorisée à consulter les documents saisis par le parquet de Coblence. Ainsi, le recouvrement envisagé des sommes versées au titre des conventions litigieuses ne serait pas justifié, la requérante étant temporairement dans l’impossibilité de présenter les documents demandés, alors qu’il n’y avait pas de risque de défaillance, car la requérante serait un organisme de droit public.

77      L’EACEA conteste les arguments de la requérante.

78      En premier lieu, il convient de vérifier si l’EACEA a garanti à la requérante la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue avant de lui communiquer les lettres des 21 décembre 2017 et 7 février 2018 et la note de débit du 13 février 2018.

79      En effet, la Cour a déjà eu l’occasion de juger que les institutions, organes ou organismes de l’Union étaient tenus, conformément, notamment, aux exigences du principe de bonne administration, de respecter le principe du contradictoire dans le cadre d’une procédure d’audit telle que celle prévue à l’article II.19 des conventions litigieuses. Les institutions, organes ou organismes de l’Union doivent s’entourer de toutes les informations pertinentes, et notamment de celles que leur cocontractant est en mesure de leur fournir, avant de prendre la décision de procéder au recouvrement, d’émettre une note de débit, de résilier un contrat ou de refuser d’effectuer des paiements supplémentaires au cocontractant (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2015, EMA/Commission, C‑100/14 P, non publié, EU:C:2015:382, point 123).

80      À cet égard, premièrement, le Tribunal constate que le projet de rapport d’audit a été communiqué à la requérante et que l’EACEA a invité cette dernière à faire valoir sa position relative aux constatations des auditeurs, ce qu’elle a effectivement fait de manière détaillée dans ses lettres des 29 septembre et 11 novembre 2016 (voir points 10 et 11 ci-dessus). En particulier, le projet de rapport d’audit faisait état du caractère potentiellement systémique et récurrent des irrégularités constatées. Dans les lettres mentionnées ci-dessus, la requérante a pris position sur l’ensemble des constats figurant dans le projet de rapport d’audit.

81      Deuxièmement, par lettre du 26 juillet 2017, l’EACEA a communiqué à la requérante le rapport final d’audit et le rapport final de l’OLAF. Ce premier faisait état des observations et des éléments de preuve présentés par la requérante dans ses lettres des 29 septembre et 11 novembre 2016, en relation avec chacun des 35 constats financiers (Financial Audit Findings) et des 7 constats concernant la gestion (Management Audit Findings), en expliquant à chaque fois les appréciations portées par les auditeurs à cet égard.

82      Troisièmement, dans la lettre du 26 juillet 2017, l’EACEA a indiqué que, en raison de la gravité des irrégularités constatées, ainsi que de leur caractère systémique et récurrent, elle envisageait le recouvrement de la totalité des sommes versées à la requérante au titre des conventions litigieuses. La requérante a été invitée à présenter ses observations concernant le recouvrement envisagé dans un délai de 60 jours.

83      La requérante a déféré à cette invitation par lettre du 25 septembre 2017 et a déposé des documents une nouvelle fois.

84      Dans ces circonstances, par lettre du 21 décembre 2017, l’EACEA a, notamment, s’agissant des conventions Diusas et Deque, indiqué son intention de réclamer le remboursement d’une somme correspondante à celle reçue par la requérante en tant que bénéficiaire final et que, en raison du fait que la requérante n’avait pas fourni les informations nécessaires lui permettant d’établir la réalité de cette somme, elle n’avait pas d’autre choix que de déterminer celle-ci sur la base des informations disponibles. L’EACEA a également informé la requérante de sa décision de recouvrer la somme intégrale versée par elle au titre de la convention Ecesis, dans le cadre de laquelle la requérante était le seul bénéficiaire.

85      Par lettre du 7 février 2018, l’EACEA a fixé les sommes à recouvrer au titre des conventions Diusas et Deque sur la base des informations qu’elle a pu elle‑même recueillir auprès de certains cobénéficiaires.

86      Dans ces circonstances, il y a lieu de constater que la requérante a eu la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, et ce à maintes reprises, son point de vue avant que ne lui soient communiquées les lettres des 21 décembre 2017 et 7 février 2018 ainsi que la note de débit, tant en ce qui concerne la nature et l’ampleur des irrégularités constatées qu’en ce qui concerne les montants à recouvrer.

87      En second lieu, la requérante fait néanmoins valoir qu’elle se trouvait dans l’impossibilité de présenter des originaux de certaines factures, telles que demandées par l’EACEA dans sa lettre du 26 juillet 2017, au motif que, à ce moment-là, elle ne les avait plus en sa possession, car ces factures auraient été saisies dans le contexte d’une procédure pénale d’enquête en cours menée par le parquet de Coblence.

88      À cet égard, il convient de relever que, en principe, l’impossibilité objective et avérée, pour des raisons non imputables à la personne visée, de présenter certains documents à la demande de l’EACEA, peut, dans certains cas, priver cette personne de toute possibilité de faire connaître son point de vue, de manière utile et effective, en ce qui concerne les faits faisant l’objet de ces documents, lorsque la non‑présentation de ceux-ci a eu une incidence sur la détermination des sommes faisant l’objet des demandes de remboursement.

89      Tel n’est cependant pas le cas de l’espèce. En effet, s’il n’est pas contesté que la requérante se trouvait dans l’impossibilité objective et avérée, pour des raisons qui ne lui sont pas imputables, de présenter les originaux des factures demandées par l’EACEA dans sa lettre du 26 juillet 2017, il n’en reste pas moins que ce défaut de présentation n’a eu aucune incidence sur la détermination des sommes faisant l’objet des demandes de remboursement contenues dans les lettres des 21 décembre 2017 et 7 février 2018 et dans la note de débit du 13 février 2018.

90      En effet, d’une part, il ressort du dossier que la saisie des documents par le parquet de Coblence a eu lieu le 22 juin 2017, tandis que tant l’audit que l’enquête de l’OLAF avaient été effectués dans la période allant de 2014 à 2016, c’est-à-dire antérieurement à la saisie en cause, de sorte que tant les auditeurs que l’OLAF ont pu consulter le contenu des factures en cause et en tirer des conclusions appropriées, comme l’admet d’ailleurs la requérante dans ses observations en réponse à la mesure d’organisation de la procédure adoptée par le Tribunal le 27 mai 2020. De même, cette saisie a eu lieu après la communication à la requérante du projet de rapport d’audit le 22 avril 2016, lequel contenait déjà l’essentiel des constats concernant la gestion des conventions litigieuses. Il ressort dudit rapport, en particulier, que les conclusions des auditeurs se fondent sur un examen de la quasi-totalité des coûts réclamés dans le cadre des conventions litigieuses (voir point 7 ci-dessus). De surcroît, par lettres des 29 septembre et 11 novembre 2016, c’est-à-dire toujours bien avant la saisie en cause, la requérante a fait valoir ses observations quant aux constats figurant dans le projet de rapport d’audit, de sorte qu’elle a pu, à ce moment-là, consulter l’ensemble de la documentation pertinente en sa possession, y compris les factures faisant l’objet de la saisie ultérieure, et faire ainsi valoir sa position en toute connaissance de cause.

91      D’autre part, certes, l’EACEA a demandé la production de certaines factures originales dans sa lettre du 26 juillet 2017. Toutefois, dans la lettre du 21 décembre 2017, l’EACEA a pris note du fait que la requérante n’était pas en possession des factures originales demandées et qu’il lui était donc impossible de les présenter. Elle n’en a pourtant tiré aucune conséquence. En effet, aucun élément de cette lettre ou de celle du 7 février 2018 ne fait apparaître que la non-présentation desdites factures ait eu une quelconque incidence sur la détermination des sommes faisant l’objet des demandes de remboursement contenues dans les lettres des 21 décembre 2017 et 7 février 2018 et dans la note de débit du 13 février 2018. Ainsi que l’explique l’EACEA dans sa réponse à une question posée dans le cadre de la mesure d’organisation de la procédure du 12 mars 2020 et lors de l’audience, sans être contredite à cet égard par la requérante, parmi les nombreuses irrégularités détectées dans les rapports finaux d’audit et de l’OLAF, certaines avaient trait notamment aux incohérences relatives au contenu des factures (voir point 15 ci-dessus) et non pas au fait que celles‑ci n’étaient pas originales.

92      En outre, le fait que la requérante n’était pas en possession des factures originales demandées n’était pas non plus de nature à faire obstacle à la présentation de l’information nécessaire aux fins de la ventilation, demandée par l’EACEA, entre les montants perçus par la requérante en tant que bénéficiaire final des conventions Diusas et Deque et ceux transférés par elle aux cobénéficiaires desdites conventions. En effet, selon la lettre de l’EACEA du 26 juillet 2017, cette ventilation devait se faire sur la base de virements bancaires ou de relevés bancaires, et non sur la base desdites factures.

93      Il s’ensuit que la non-présentation des originaux des factures demandées par l’EACEA dans sa lettre du 26 juillet 2017 n’a eu aucune incidence sur la détermination des sommes faisant l’objet des demandes de remboursement contenues dans les lettres des 21 décembre 2017 et 7 février 2018 et dans la note de débit.

94      Partant, le premier moyen du recours, tiré d’une violation du droit d’être entendu, doit être rejeté comme non fondé.

–       Sur l’obligation de motivation

95      La requérante fait valoir que les lettres des 21 décembre 2017 et 7 février 2018 sont entachées d’un défaut et d’une insuffisance de motivation, dans la mesure où l’EACEA se serait bornée à avancer des considérations générales, alors même que la requérante aurait joint à ses observations du 25 septembre 2017 de nombreuses annexes, afin d’apporter la preuve de l’utilisation correcte des moyens qui avaient été mis à sa disposition.

96      L’EACEA conteste les arguments de la requérante.

97      L’étendue de l’obligation de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances concrètes, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que le destinataire peut avoir à recevoir des explications, et il importe, pour apprécier le caractère suffisant de la motivation, de la replacer dans le contexte factuel et juridique dans lequel s’inscrit l’adoption de l’acte en cause. Ainsi, un acte est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu du destinataire concerné qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir, par analogie, arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, points 53 et 54 et jurisprudence citée ; du 24 octobre 2011, P/Parlement, T‑213/10 P, EU:T:2011:617, point 30, et du 27 septembre 2012, Applied Microengineering/Commission, T‑387/09, EU:T:2012:501, points 64 à 67).

98      En l’espèce, premièrement, le Tribunal constate que les lettres des 21 décembre 2017 et 7 février 2018 identifient clairement le fondement juridique du recouvrement envisagé, à savoir l’article II.19, paragraphes 3 et 5, des conventions litigieuses et l’article 135, paragraphe 4, du règlement no 966/2012 (voir points 16 à 20 ci‑dessus), et les sommes que l’EACEA a considéré comme devant être recouvrées.

99      Deuxièmement, les nombreux échanges écrits entre les parties qui ont eu lieu à partir de la communication du projet de rapport d’audit à la requérante par lettre du 22 avril 2016 et rappelés aux points 7 à 20 ci‑dessus contiennent des informations suffisantes et concordantes permettant à la requérante de comprendre les raisons pour lesquelles l’EACEA a décidé de réclamer le remboursement en cause et la façon dont les sommes à rembourser ont été déterminées. En particulier, comme il a été relevé aux points 80 et 81 ci-dessus, le rapport final d’audit, sur les conclusions duquel s’appuie l’EACEA aux fins du recouvrement envisagé, a pris en compte l’ensemble des observations de la requérante et les éléments de preuve qu’elle a présentés, les a examinés et les a rejetés individuellement, en expliquant à chaque reprise les raisons pour lesquelles ces observations ou éléments de preuve ne mettaient pas en cause les constats auxquels étaient parvenus les auditeurs.

100    Troisièmement, dans la lettre du 21 décembre 2017, l’EACEA a, d’une part, répondu à tous les arguments soulevés par la requérante dans ses lettres des 9 août et 25 septembre 2017 et, d’autre part, a clairement expliqué que les sommes à recouvrer n’étaient pas déterminées en fonction des coûts considérés comme inéligibles, mais sur la base de la constatation d’irrégularités graves, systémiques et récurrentes affectant la mise en œuvre des conventions litigieuses.

101    Il s’ensuit que les lettres des 21 décembre 2017 et 7 février 2018 contiennent une motivation suffisante pour permettre à la requérante de comprendre les raisons pour lesquelles l’EACEA avait décidé de réclamer le remboursement des sommes en cause et au juge de l’Union d’exercer son contrôle.

102    Partant, le troisième moyen du recours, tiré d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation, doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une « mauvaise application du droit européen »

103    Les arguments de la requérante avancés dans le cadre de son deuxième moyen s’articulent autour de trois griefs qu’il convient d’examiner successivement ci-après.

–       Sur le premier grief, tiré de l’absence de base légale permettant un recouvrement intégral des sommes versées

104    La requérante estime que ni l’article II.19, paragraphes 3 et 5, des conventions litigieuses, ni l’article 135, paragraphe 4, du règlement no 966/2012 ne permettent à l’EACEA de procéder au recouvrement intégral des sommes qui lui ont été versées dans le cadre des conventions litigieuses.

105    L’EACEA conteste les arguments de la requérante.

106    En l’espèce, le Tribunal constate que, conformément à l’article I.8, premier alinéa, de la convention Ecesis, l’octroi de la subvention en faisant l’objet est régi par les stipulations de cette convention, les « règles communautaires applicables » et, à titre subsidiaire, le droit belge relatif à l’octroi de subventions. Quant aux conventions Diusas et Deque, selon l’article I.9 de chacune d’entre elles, celles-ci sont régies par les stipulations contractuelles et les règles de droit de l’Union applicables.

107    En premier lieu, s’agissant des stipulations contractuelles pertinentes, il convient de relever que, conformément à l’article II.19, paragraphe 3, de chacune de ces conventions, l’EACEA a le droit d’effectuer des contrôles concernant l’utilisation des subventions. D’après cette disposition, les résultats des contrôles peuvent donner lieu à des décisions de recouvrement. De même, l’article II.19, paragraphe 5, des conventions précise que l’OLAF a le droit d’effectuer des contrôles qui peuvent également conduire à des décisions de recouvrement.

108    Ces clauses, dont la requérante allègue l’infraction, n’excluent donc pas la possibilité pour l’EACEA de procéder au recouvrement intégral des sommes versées au titre desdites conventions. En effet, elles indiquent que l’EACEA peut procéder au « recouvrement » des subventions, sans limitation quelconque à cet égard.

109    En deuxième lieu, en ce qui concerne les « règles de l’Union applicables » au sens de l’article I.8, premier alinéa, de la convention Ecesis et de l’article I.9 des conventions Diusas et Deque, le Tribunal relève que, en l’espèce, sont applicables rationae temporis, tout d’abord, le règlement no 1605/2002, abrogé avec effet au 1er janvier 2013 (article 212 du règlement no 966/2012) et, ensuite, le règlement no 966/2012, ce dernier ayant été abrogé à son tour avec effet au 2 août 2018 par le règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1). En effet, en vertu de l’article 187, deuxième alinéa, du règlement no 1605/2002 et de l’article 212 du règlement no 966/2012, le règlement no 1605/2002 s’appliquait, en règle générale, du 1er janvier 2003 jusqu’au 1er janvier 2013, alors que les conventions litigieuses ont été conclues, respectivement, en 2008 et en 2010 (voir point 2 ci‑dessus). De plus, la période d’exécution des conventions et, par conséquent, la période auditée, a été la période allant du 15 janvier 2009 au 14 janvier 2011 pour la convention Ecesis, du 15 octobre 2010 au 14 octobre 2012 pour la convention Diusas et du 15 octobre 2010 au 14 octobre 2013 pour la convention Deque. Il s’ensuit, d’une part, que le règlement no 1605/2002 était applicable rationae temporis aux conventions Ecesis et Diusas et, d’autre part, que ce même règlement et le règlement no 966/2012 étaient successivement applicables à la convention Deque.

110    Aux termes de l’article 119, paragraphe 2, du règlement no 1605/2002, « [e]n cas de non-respect par le bénéficiaire de ses obligations, la subvention est suspendue, réduite ou supprimée dans les cas prévus par les modalités d’exécution après que le bénéficiaire a été mis en mesure de formuler ses observations ». L’emploi du terme « supprimée » fait ainsi allusion à l’hypothèse d’un recouvrement de l’intégralité des sommes perçues.

111    Quant à l’article 135, paragraphe 4, du règlement no 966/2012, celui-ci se lit comme suit : 

« Lorsque ces erreurs, ces irrégularités ou ces fraudes sont imputables au bénéficiaire, ou si le bénéficiaire devait manquer à ses obligations au titre d’une convention ou d’une décision de subvention, l’ordonnateur compétent peut, en outre, réduire la subvention ou recouvrer les montants indûment versés au titre de la convention ou de la décision de subvention, en proportion à la gravité des erreurs, des irrégularités, de la fraude ou de la violation des obligations, à condition d’avoir donné la possibilité au bénéficiaire de présenter ses observations. »

112    En outre, l’article 135, paragraphe 5, du règlement no 966/2012 prévoit ce qui suit :

« Si des contrôles ou audits révèlent l’existence d’erreurs, d’irrégularités, de fraudes ou de violations des obligations systémiques ou récurrentes imputables au bénéficiaire et ayant une incidence matérielle sur plusieurs subventions qui ont été octroyées audit bénéficiaire dans des conditions similaires, l’ordonnateur compétent peut suspendre la mise en œuvre de toutes les subventions concernées ou, le cas échéant, résilier les conventions ou décisions de subvention concernées passées avec ce bénéficiaire, en proportion de la gravité des erreurs, des irrégularités, des fraudes ou des violations des obligations, à condition que le bénéficiaire ait eu la possibilité de présenter des observations.

L’ordonnateur compétent peut, en outre, à l’issue d’une procédure contradictoire, réduire la subvention ou recouvrer les montants indûment versés au titre de toutes les subventions affectées par les erreurs, irrégularités, fraudes ou violations des obligations visées au premier alinéa susceptibles de faire l’objet d’un audit en vertu des conventions ou décisions de subvention. »

113    Ainsi, ni l’article 119, paragraphe 2, du règlement no 1605/2002, ni l’article 135, paragraphe 4, du règlement no 966/2012 ne font obstacle au recouvrement intégral d’une subvention. En effet, il suffit de relever, d’une part, que cette dernière disposition exige expressément de tenir compte de la gravité des erreurs, des irrégularités, des fraudes ou des violations des obligations constatées. Ainsi, le fait que celles-ci sont de nature systémique ou récurrente est, à l’évidence, un élément à prendre en compte pour apprécier la gravité desdites irrégularités. Dès lors, lorsque la gravité des erreurs, des irrégularités, des fraudes ou des violations des obligations constatées est telle qu’elle compromet l’ensemble du système de contrôle et de gestion des conventions en cause, et ainsi, l’ensemble des dépenses réclamées, alors le recouvrement intégral des sommes versées ne saurait être regardé comme disproportionné.

114    Cette conclusion est corroborée, en outre, par l’article 135, paragraphe 5, second alinéa, du règlement no 966/2012, aux termes duquel, en cas d’irrégularités systémiques et récurrentes imputables à la personne bénéficiaire et ayant une incidence matérielle sur plusieurs subventions, l’ordonnateur peut « recouvrer les montants indûment versés » au titre de toutes les conventions affectées par ces irrégularités. Cette disposition n’exclut donc pas la possibilité de procéder au recouvrement intégral d’une subvention donnée, si la gravité des irrégularités constatées est telle que l’ensemble des montants en cause sont à considérer comme indûment versés.

115    Cette conclusion est également conforme au principe de bonne et saine gestion financière des ressources de l’Union prévu à l’article 317 TFUE. Ainsi, en cas de non-respect des conditions fixées par une convention de subvention, les institutions, organes ou organismes de l’Union sont tenus de récupérer la subvention versée à concurrence des montants considérés comme non fiables ou non vérifiables.

116    De surcroît, le juge de l’Union a déjà eu l’occasion de juger que, dans le système d’octroi des concours financiers de l’Union, l’utilisation de ces concours est soumise à des règles qui peuvent aboutir à la restitution partielle ou totale d’un concours déjà octroyé (arrêts du 7 juillet 2010, Commission/Hellenic Ventures e.a., T‑44/06, non publié, EU:T:2010:284, point 85, et du 16 décembre 2010, Commission/Arci Nuova associazione comitato di Cagliari et Gessa, T‑259/09, non publié, EU:T:2010:536, point 61).

117    Il s’ensuit, eu égard à tout ce qui précède, que les stipulations contractuelles et les dispositions pertinentes du règlement no 1605/2002 et du règlement no 966/2012, telles qu’interprétées par le juge de l’Union, n’empêchent pas, en principe, l’EACEA de procéder à un recouvrement de l’intégralité des sommes versées à la requérante au titre des conventions litigieuses. La question de savoir si un tel recouvrement est, dans le cas d’espèce, conforme au principe de proportionnalité, fait l’objet du quatrième moyen du recours et sera donc examinée ci-après.

118    Partant, il y a lieu de rejeter le premier grief du deuxième moyen comme non fondé.

–       Sur le deuxième grief, tiré de l’absence d’irrégularités de nature systémique et récurrente

119    Selon la requérante, l’EACEA ne pouvait pas procéder au recouvrement des sommes en cause au motif de l’existence d’irrégularités « de nature systémique et récurrente », puisque, premièrement, lesdits termes ne figureraient pas dans l’article 135, paragraphe 4, du règlement no 966/2012 et ne seraient pas non plus définis dans une autre disposition. Deuxièmement, les irrégularités constatées concerneraient tout au plus une ou deux personnes physiques, de sorte qu’il ne pouvait pas s’agir, selon la requérante, d’irrégularités systémiques dans son système de gestion. Troisièmement, dans une lettre du 24 juin 2013, l’EACEA aurait elle-même fait l’éloge du système mis en place par la requérante pour la gestion des subventions en cause. Quatrièmement, les irrégularités alléguées feraient l’objet d’une procédure pénale en cours et il ne s’agirait dès lors pas de faits avérés. Enfin, le rapport final d’audit confirmerait que les irrégularités ne seraient que partiellement systémiques, mais non globalement.

120    L’EACEA conteste les arguments de la requérante.

121    Selon la jurisprudence, l’obligation, prévue dans un contrat de subvention, de remettre à une institution, organe ou organisme de l’Union, dans les formes et délais prescrits, les relevés des coûts prétendument éligibles a un caractère impératif et l’exigence de produire ces relevés en bonne et due forme n’a d’autre objectif que de permettre à l’institution, organe ou organisme de l’Union concerné de disposer des données nécessaires afin de vérifier si les fonds de l’Union ont été utilisés en conformité avec les stipulations de la convention (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2010, Commission/Arci Nuova associazione comitato di Cagliari et Gessa, T‑259/09, non publié, EU:T:2010:536, point 63 et jurisprudence citée).

122    Toujours selon la jurisprudence, dans le cadre d’un contrat qui contient une clause compromissoire au sens de l’article 272 TFUE, il incombe à la partie qui a déclaré des coûts à une institution, organe ou organisme de l’Union pour l’attribution d’une contribution financière de l’Union, d’apporter la preuve que lesdits coûts étaient des coûts réels qui avaient effectivement été nécessaires et encourus pour l’exécution du projet pendant la durée de celui-ci. Toutefois, dans l’hypothèse où l’institution, organe ou organisme de l’Union concerné demande le remboursement d’une créance à la suite d’un audit financier, il lui incombe de prouver que, à condition que la personne bénéficiaire ait produit les relevés de frais et autres renseignements pertinents, la prestation contractuelle est défectueuse ou que les relevés de frais ne sont pas exacts ou crédibles (voir, en ce sens, arrêts du 3 juin 2009, Commission/Burie Onderzoek en Advies, T‑179/06, non publié, EU:T:2009:171, point 100 ; du 26 janvier 2017, Diktyo Amyntikon Viomichanion Net/Commission, T‑703/14, non publié, EU:T:2017:34, point 84, et du 13 juillet 2017, Talanton/Commission, T‑65/15, non publié, EU:T:2017:491, point 54).

123    En l’espèce, s’agissant des stipulations contractuelles, les obligations principales de la requérante en matière d’éligibilité de coûts sont régies par l’article II.14.1 des conventions litigieuses. Cet article prévoit que, afin de pouvoir être considérés comme des coûts éligibles de l’action faisant l’objet du contrat, les coûts doivent répondre notamment aux critères généraux suivants : être en relation avec l’objet du contrat et être prévus dans le budget prévisionnel qui lui est annexé ; être nécessaires pour la réalisation de l’action faisant l’objet du contrat ; être identifiables et vérifiables, et notamment inscrits dans la comptabilité d’un bénéficiaire et déterminés conformément aux normes comptables applicables du pays dans lequel le bénéficiaire est établi, ainsi qu’aux pratiques habituelles du bénéficiaire en matière de comptabilité des coûts ; satisfaire aux dispositions de la législation fiscale et sociale applicable, et être raisonnables, justifiés et respecter les exigences de la bonne gestion financière, notamment en ce qui concerne l’économie et l’efficience. En outre, les procédures de comptabilité et de contrôle interne des bénéficiaires doivent permettre une réconciliation directe des coûts et recettes déclarés au titre de l’action avec les états comptables et les pièces justificatives correspondantes.

124    En premier lieu, il y a lieu de souligner que le rapport final d’audit a relevé plusieurs erreurs et irrégularités qu’il a qualifiées comme étant, par leur nature, en partie potentiellement systémiques (point I.2.2 dudit rapport).

125    Ainsi, premièrement, il a été constaté que le personnel engagé pour la réalisation des projets a été payé en espèces par les deux personnes physiques qui travaillaient à l’époque pour la requérante. La requérante versait les sommes en cause sur les comptes bancaires privés de ces personnes physiques chargées par elle de la gestion des conventions litigieuses, qui les retiraient par la suite de leurs comptes afin d’effectuer des paiements en espèces au personnel des projets. Ainsi, les auditeurs ont constaté un manque de clarté et de certitude quant aux paiements déclarés à ce titre, ce qui les a empêchés de formuler une opinion claire quant à l’éligibilité de ces coûts. À cet égard, il ressort d’une lettre de la requérante du 25 septembre 2017 (en annexe A. 20 à la requête), que celle-ci versait, en effet, sur les comptes bancaires privés des deux personnes physiques chargées de la gestion des conventions litigieuses des sommes très importantes, sans que les dépenses ultérieures censées leur correspondre soient proprement documentées. L’une de ces personnes avait ainsi reçu 463 224,27 euros dans le cadre de la convention Ecesis et les deux personnes avaient reçu ensemble 249 000 euros dans le cadre de la convention Diusas et 105 000 euros dans le cadre de la convention Deque sur leurs comptes bancaires privés.

126    Deuxièmement, les frais de voyage et de séjour du personnel auraient également été payés en espèces par les mêmes personnes physiques, sans pour autant que la requérante ait pu présenter des preuves de paiements adéquates.

127    Troisièmement, les auditeurs ont considéré que le processus d’achat de matériel n’était pas compréhensible et qu’il n’existait pas de listes d’inventaire susceptibles de prouver que le matériel prétendument acheté avait effectivement été installé chez les cobénéficiaires. Ainsi, la réalité des achats de matériel déclarés ne pouvait pas être confirmée, puisque de nombreuses factures prétendument issues de sociétés indépendantes l’une de l’autre comportaient de grandes similitudes quant à leur apparence et contenu, ce qui pouvait indiquer l’existence de falsifications ou de duplications. De surcroît, les auditeurs n’ont pas pu confirmer, sur la base de sources d’information indépendantes, l’existence de certainеs sociétés, ni s’il existait des liens entre elles.

128    En deuxième lieu, les auditeurs ont indiqué que le montant des ajustements nécessaires était tellement important qu’ils ne pouvaient pas conclure que les coûts réclamés reflétaient correctement des dépenses éligibles ou que ces coûts avaient été encourus par le bénéficiaire en conformité avec les stipulations contractuelles. Ils ont recommandé, au point I.2.2. du même rapport, que l’EACEA fasse de toute urgence une enquête additionnelle à cet égard auprès de la requérante et de ses cobénéficiaires.

129    En troisième lieu, les auditeurs ont constaté que les procédures et les contrôles internes mis en place par la requérante ne pouvaient pas assurer une gestion financière adéquate des activités opérationnelles, ne fonctionnaient pas de manière satisfaisante, n’étaient pas en conformité avec les bases légales et contractuelles des activités en cause et ne présentaient pas de garanties raisonnables de prévention et détection de cas d’erreurs, d’irrégularités ou de fraude.

130    En quatrième lieu, le rapport final de l’OLAF a confirmé l’existence d’irrégularités graves. En particulier, l’OLAF a constaté, sur la base d’un échantillon de 100 factures, émises par 26 fournisseurs différents, que celles-ci présentaient des anomalies, soulevant ainsi une suspicion de falsification. Les anomalies relevées étaient notamment les suivantes : des factures émises prétendument par des fournisseurs indépendants les uns des autres présentaient des similitudes tandis que des factures émises par le même fournisseur présentaient des différences ; les coordonnées bancaires de la requérante figurant sur certaines factures étaient différentes de celles indiquées dans les conventions litigieuses ; les coordonnées bancaires sur certaines factures désignaient des comptes dits « de correspondants », ce qui aurait indiqué une relation commerciale entre une banque à l’étranger et une banque nationale, alors que, en l’espèce, le fournisseur et le client avaient leur siège dans le même pays ; certaines factures du même fournisseur avaient le même numéro de référence, bien qu’elles aient été prétendument émises à des dates différentes, et les signatures des mêmes personnes présentaient de différences et, sur une même facture, les montants indiqués en chiffres ne correspondaient pas aux montants indiqués en lettres. En outre, sur la base d’une recherche dans des sources publiques d’information, l’OLAF a constaté que certains fournisseurs étaient en procédure de liquidation ou n’exerçaient pas d’activité commerciale, d’autres étaient enregistrés dans des zones « offshore » (Îles Vierges britanniques et Hong Kong), ou encore un fournisseur était radié du registre commercial national (Nouvelle-Zélande) à cause de soupçons de participation à des activités criminelles de grande ampleur. Quant aux irrégularités concernant les sommes versées directement sur les comptes privés des deux personnes physiques employées par la requérante et gestionnaires des conventions litigieuses et prétendument payées, par la suite, en espèces par celles-ci, l’OLAF a indiqué ne pas avoir pu vérifier si de tels paiements avaient réellement eu lieu.

131    Le rapport final d’audit et le rapport final de l’OLAF ont ainsi relevé, de manière concordante, l’existence d’une série d’irrégularités de nature récurrente affectant l’ensemble des conventions litigieuses et démontrant une défaillance systémique dans la gestion des ressources versées par l’Union à la requérante en sa qualité de bénéficiaire et de coordinatrice desdites conventions.

132    Dans ces circonstances, l’EACEA pouvait considérer, conformément aux stipulations des clauses contractuelles et aux dispositions du droit de l’Union applicables, que les irrégularités constatées par les auditeurs et par l’OLAF étaient de nature systémique et récurrente, que le système de contrôle et de gestion mis en place par la requérante était défaillant et que, dès lors, ces irrégularités étaient susceptibles d’affecter globalement la gestion de chacune des conventions litigieuses.

133    Aucun des arguments avancés par la requérante n’est en mesure de remettre en cause cette conclusion.

134    Premièrement, il est vrai, comme le souligne la requérante, que le rapport final d’audit fait état d’irrégularités « en partie potentiellement systémiques par leur nature ». Toutefois, d’une part, cette précision n’enlève rien au caractère systémique de certaines des irrégularités constatées, d’autant plus que les auditeurs ont relevé que le montant des ajustements nécessaires était tellement important qu’ils ne pouvaient pas conclure que les coûts réclamés reflétaient correctement des dépenses éligibles ou que ces coûts avaient été encourus par le bénéficiaire en conformité avec les stipulations contractuelles. D’autre part, la gravité de ces irrégularités a été confirmée par le rapport final de l’OLAF.

135    En tout état de cause, une procédure d’audit n’est qu’une procédure préalable et préparatoire, distincte de la procédure pouvant éventuellement aboutir à un recouvrement, cette dernière étant menée par les services opérationnels de l’institution, organe ou organisme de l’Union concerné, qui ne sont aucunement liés par les conclusions du rapport d’audit (voir, en ce sens, ordonnance du 4 décembre 2014, Talanton/Commission, T‑165/13, non publiée, EU:T:2014:1027, point 47, et arrêt du 5 octobre 2016, European Children’s Fashion Association et Instituto de Economía Pública/EACEA, T‑724/14, non publié, EU:T:2016:600, point 66) et qui peuvent, par conséquent, parvenir à leurs propres conclusions. En l’espèce, ainsi qu’il ressort des points 124 à 131 ci-dessus, l’EACEA pouvait, conformément aux stipulations des clauses contractuelles et aux dispositions du droit de l’Union applicables, conclure au caractère systémique et récurrent des irrégularités constatées.

136    Deuxièmement, l’argument tiré du fait que les irrégularités constatées concerneraient « tout au plus une ou deux personnes » ne peut qu’être rejeté. En effet, c’est la requérante, en tant que partie contractante aux conventions litigieuses, et en tant que bénéficiaire des subventions, qui était responsable de l’exécution desdites conventions et, dès lors, des comportements fautifs de ses employés ou collaborateurs, en vertu de son obligation de surveillance. Ainsi, en vertu de l’article II.1.1 des conventions litigieuses, la bénéficiaire est seule responsable du respect des obligations légales qui lui sont applicables. Par ailleurs, en vertu de l’article 1.3.1, sous a), des conventions Diusas et Deque, la coordinatrice assume toute la responsabilité d’assurer que le projet soit mis en œuvre en conformité avec la convention et, en vertu de l’article 1.3.1, sous i), des mêmes conventions, la coordinatrice est tenue, dans le cadre des audits, vérifications et évaluations, mentionnés notamment dans l’article II.19 de celles-ci, de présenter tous les documents nécessaires.

137    Troisièmement, le fait que les irrégularités constatées font l’objet d’une procédure pénale en cours est également dénué de pertinence. En effet, la question de la responsabilité pénale des deux personnes physiques en cause est tout autre que celle de la responsabilité contractuelle de la requérante.

138    Quatrièmement, l’argument de la requérante tiré du fait que l’EACEA aurait fait l’éloge dans le passé, en particulier dans une lettre du 24 juin 2013 (en annexe A.23 à la requête, p. 1), de la base de données mise en place par la requérante pour le suivi des conventions litigieuses, ne peut que rester sans incidence sur la solution du présent litige. Ce constat, émis à une époque antérieure aux procédures d’audit et de contrôle en cause dans la présente affaire, n’implique aucunement que l’EACEA ne puisse changer son appréciation à la lumière de nouveaux éléments apparus en cours de l’audit ultérieur de l’exécution des conventions litigieuses. Ainsi, il a été déjà jugé qu’il était normal, comme c’est le cas en l’espèce, qu’un contrôle entamé en raison d’éléments nouveaux, ayant fait naître le soupçon qu’il existait des irrégularités concernant certains projets, soit plus approfondi et donne des résultats différents d’un contrôle de routine antérieur, entrepris en l’absence de tout soupçon (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2009, CPEM/Commission, T‑444/07, EU:T:2009:227, point 135 et jurisprudence citée).

139    Enfin, la requérante ne saurait tirer aucun argument du fait que l’article 135, paragraphe 4, du règlement no 966/2012 ne fait pas référence à des irrégularités systémiques et récurrentes ou que ces notions ne seraient pas définies dans ledit règlement. En effet, il suffit de relever, d’une part, que cette disposition exige expressément de tenir compte de la gravité des irrégularités constatées. Le fait que celles-ci sont de nature systémique ou récurrente est, à l’évidence, un élément à prendre en compte pour apprécier la gravité desdites irrégularités. D’autre part, le fait que le règlement no 966/2012 emploie ces notions, notamment à son article 135, paragraphe 5, sans les définir expressément, ne peut que demeurer sans une incidence quelconque sur le recouvrement envisagé, dès lors que la teneur de ces notions découle, sans doute possible, du sens usuel de celles-ci, selon lequel les irrégularités systémiques et récurrentes sont celles qui se caractérisent par leur répétitivité et par le fait qu’elles affectent l’ensemble du système de contrôle et de gestion, telles que celles relevées aux points 124 à 131 ci-dessus.

140    Partant, il y a lieu de rejeter le deuxième grief du deuxième moyen comme non fondé.

–       Sur le troisième grief, tiré des spécificités du système de gestion financière de la requérante

141    La requérante fait valoir qu’elle ne pouvait pas apporter les preuves de paiement demandées par l’EACEA, puisque les paiements en son nom ne seraient pas gérés par elle-même, mais par deux organismes allemands, la Landeshochschulkasse de Rhénanie-Palatinat (caisse du Land de Rhénanie-Palatinat pour les hautes écoles, ci-après la « LHSK ») et la Landesoberkasse de Rhénanie-Palatinat (caisse supérieure du Land de Rhénanie-Palatinat, ci-après la « LOK »), de sorte qu’elle ne pourrait agir sur aucun flux financier. Tous les paiements auraient été effectués tel qu’il est indiqué sur les « listes » soumises à l’EACEA. Elle fait valoir, en outre, que le mode de gestion financière des conventions litigieuses ne permet ni la présentation ni la ventilation des fonds perçus par elle en qualité de bénéficiaire final. La requérante aurait uniquement transféré une partie de la subvention aux cobénéficiaires et assuré la gestion « fiduciaire » d’une grande partie de celle-ci pour leur compte, consistant à régler des dépenses engagées par les cobénéficiaires. Pour cette raison, les tableaux annexés aux lettres de l’EACEA du 4 juillet 2017, relatives aux conventions Diusas et Deque, aux fins de la ventilation des fonds entre la requérante et les autres cobénéficiaires ne pourraient pas être remplis (voir point 12 ci-dessus).

142    L’EACEA conteste les arguments de la requérante.

143    À cet égard, force est de constater, premièrement, que, dans la lettre du 21 décembre 2017, l’EACEA a reconnu que les paiements effectués par le biais de la LHSK et de la LOK étaient de nature à apporter la preuve que certains paiements avaient été effectués, mais a relevé que lesdits documents n’apportaient aucune information en ce qui concerne les transferts effectués aux cobénéficiaires. Dans sa réponse à une question posée par le Tribunal dans le cadre de la mesure d’organisation de la procédure du 12 mars 2020, l’EACEA a précisé que ces documents attestaient, certes, de l’existence de paiements, mais que, en revanche, ceux-ci avaient été effectués en faveur de tierces personnes et non en faveur des cobénéficiaires (point 7 de la réponse).

144    Interrogée lors de l’audience sur la question de savoir comment, selon elle, le fait de devoir gérer ses paiements par le biais de la LHSK et de la LOK l’empêchait de mettre en place un système de contrôle et de gestion conforme à ses obligations contractuelles découlant des conventions litigieuses, la requérante n’a pas été en mesure de fournir une explication adéquate et cohérente.

145    Le fait que le système de gestion financière des conventions litigieuses que la requérante a mis en place ne permet pas, selon ses propres aveux, la ventilation des fonds reçus par elle en sa qualité de bénéficiaire final et de ceux qu’elle a transférés aux autres cobénéficiaires suffit pour constater une méconnaissance grave de son obligation découlant de l’article II.14.1 des conventions litigieuses, lequel lui impose, et ce dès la signature de la convention correspondante, de garantir que les coûts encourus soient identifiables et vérifiables. En effet, afin que l’EACEA puisse exercer son rôle de contrôle, les bénéficiaires doivent démontrer la réalité des coûts imputés aux projets subventionnés, la fourniture par ces bénéficiaires d’informations fiables étant indispensable au bon fonctionnement du système de contrôle et de preuve mis en place pour vérifier si les conditions d’octroi des concours sont remplies (voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 2014, Technische Universität Dresden/Commission, T‑29/11, EU:T:2014:912, point 71 et jurisprudence citée).

146    Ce constat est également corroboré par le fait que la requérante était seule responsable, en tant que coordinatrice des conventions Diusas et Deque, de toute somme reçue au titre de ces dernières (voir point 136 ci-dessus).

147    Pour les motifs exposés ci-dessus, le troisième grief du deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

148    La requérante fait valoir que l’EACEA a violé le principe de proportionnalité. Premièrement, le recouvrement intégral ne pourrait être imposé qu’en dernier ressort, dans certaines circonstances exceptionnelles, qui font défaut en l’espèce. Deuxièmement, la requérante aurait fait tout ce qui était en son pouvoir pour présenter à l’EACEA l’ensemble des documents pouvant servir à élucider l’affaire. Toutefois, elle ne serait pas en mesure de présenter des documents « correspondants » au motif que le parquet de Coblence les aurait saisis. Troisièmement, le montant du recouvrement que le rapport final d’audit recommande serait considérablement inférieur à celui réclamé dans les lettres des 21 décembre 2017 et 7 février 2018, et ce sans que ces lettres contiennent une analyse détaillée des informations produites par la requérante préalablement à leur adoption.

149    L’EACEA conteste les arguments de la requérante.

150    Le principe de proportionnalité constitue un principe général de droit de l’Union, qui est consacré par l’article 5, paragraphe 4, TUE. Ce principe exige que les actes des institutions, organes et organismes de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché. Ce principe a vocation à régir tous les modes d’action de l’Union, qu’ils soient ou non contractuels (voir arrêt du 10 octobre 2019, Help – Hilfe zur Selbsthilfe/Commission, T‑335/17, non publié, EU:T:2019:736, points 197 et 198 et jurisprudence citée).

151    Ce principe est, d’ailleurs, reflété dans les dispositions des règlements nos 1605/2002 et 966/2012, citées aux points 110 à 112 ci-dessus.

152    Ainsi qu’il a été relevé aux points 106 à 117 ci-dessus, les stipulations contractuelles et les dispositions pertinentes des règlements nos 1605/2002 et 966/2012, telles qu’interprétées par le juge de l’Union, n’empêchent pas, en principe, l’EACEA de procéder à un recouvrement de l’intégralité des sommes versées au titre d’une convention. Il convient d’examiner à présent si un tel recouvrement est, dans le cas d’espèce, conforme au principe de proportionnalité.

153    Cela étant rappelé, le Tribunal constate, à titre liminaire, que l’EACEA a décidé de réclamer le remboursement intégral des sommes versées à la requérante uniquement dans le cadre de la convention Ecesis. En effet, s’agissant des conventions Diusas et Deque, l’EACEA a envisagé le recouvrement des seules sommes reçues par la requérante en tant que bénéficiaire final et d’exclure donc du recouvrement les sommes transférées par elle aux autres cobénéficiaires de ces deux conventions.

154    C’est donc à la lumière de cette précision qu’il convient d’examiner si le recouvrement envisagé est conforme au principe de proportionnalité.

155    À cet égard, premièrement, le Tribunal rappelle que l’EACEA pouvait considérer, à juste titre, que la gestion globale des conventions litigieuses était viciée par des irrégularités systémiques et récurrentes et que le système de contrôle mis en place par la requérante était défaillant (voir points 124 à 131 ci-dessus). L’ampleur et la nature de ces irrégularités, constatées dans le rapport final d’audit et le rapport final de l’OLAF, remettent ainsi en cause la fiabilité de l’ensemble des coûts réclamés au titre de ces conventions.

156    Deuxièmement, certes, comme le souligne la requérante, il a été proposé, dans le rapport final d’audit, le recouvrement d’une partie des sommes versées au titre des conventions litigieuses. Toutefois, ce seul fait n’est pas susceptible de démontrer que le remboursement des sommes réclamées est disproportionné. En effet, ainsi qu’il a été constaté au point 134 ci‑dessus, selon les auditeurs, le montant des ajustements nécessaires était tellement important qu’ils ne pouvaient pas conclure que les coûts réclamés reflétaient correctement des dépenses éligibles ou que ces coûts avaient été encourus par le bénéficiaire en conformité avec les stipulations contractuelles. Ils ont ainsi recommandé que l’EACEA fasse de toute urgence une enquête additionnelle à cet égard auprès de la requérante et de ses cobénéficiaires, ce qui démontre que les conclusions chiffrées figurant dans ce rapport n’étaient pas exhaustives.

157    En outre, dans la lettre du 21 décembre 2017, l’EACEA a expliqué à juste titre que les montants à recouvrer indiqués dans le rapport final d’audit et ceux fixés par l’EACEA résultaient d’analyses distinctes. Tandis que les premiers reflétaient les différents coûts considérés par les auditeurs comme non éligibles, les seconds étaient justifiés par les irrégularités commises par la requérante dans l’exécution des projets en cause. Il convient encore de rappeler que, selon la jurisprudence citée au point 135 ci-dessus, une procédure d’audit n’est qu’une procédure préalable et préparatoire, distincte de la procédure pouvant éventuellement aboutir à un recouvrement, cette dernière étant menée par les services opérationnels de l’institution, organe ou organisme de l’Union concerné, qui ne sont aucunement liés par les conclusions du rapport d’audit.

158    Dans ces circonstances, le seul fait que le rapport final d’audit recommandait le recouvrement d’une somme inférieure à celle faisant l’objet de la lettre du 21 décembre 2017 et de la note de débit du 13 février 2018 ne rend pas en soi cette dernière somme disproportionnée.

159    Troisièmement, il convient de souligner que, malgré l’ampleur et la gravité des irrégularités systémiques et récurrentes constatées, l’EACEA a décidé, en ce qui concerne les conventions Diusas et Deque, de ne réclamer le remboursement que des sommes perçues par la requérante en sa qualité de bénéficiaire final, ne lui demandant donc pas le remboursement des sommes transférées par elle aux cobénéficiaires, et ce en dépit du fait que la requérante était seule responsable à l’égard d’elle, en sa qualité de coordinatrice, de l’exécution de ces conventions. Cette démarche de l’EACEA démontre que celle-ci a cherché, dans la mesure du possible, à agir en conformité avec le principe de proportionnalité.

160    Or, faute d’informations pertinentes lui permettant d’établir le montant des sommes que la requérante aurait reçues en sa qualité de bénéficiaire final dans le cadre desdites conventions, l’EACEA s’est elle‑même adressée aux autres cobénéficiaires pour obtenir ces informations et a exclu, en conséquence, les sommes que certains de ces cobénéficiaires ont confirmé avoir reçues de la requérante au titre des conventions Diusas et Deque (voir annexe C.3 du mémoire en défense).

161    Quatrièmement, la requérante ne saurait tirer utilement argument du fait qu’elle aurait coopéré avec l’EACEA. En effet, cette circonstance n’est pas pertinente pour établir le montant faisant l’objet du recouvrement envisagé.

162    Enfin, s’agissant de l’argument de la requérante tiré de l’impossibilité de présenter certains documents au motif que ceux-ci auraient été saisis par le parquet de Coblence, il convient pour l’écarter de renvoyer aux points 87 à 93 ci-dessus.

163    Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que l’EACEA n’a pas méconnu le principe de proportionnalité en décidant de réclamer le remboursement des sommes indiquées aux points 19 à 22 ci-dessus au titre des conventions litigieuses.

164    Partant, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen comme non fondé et le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

165    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EACEA.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Universität Koblenz-Landau est condamnée aux dépens.

Papasavvas

Kornezov

Buttigieg

Kowalik-Bańczyk

 

      Hesse

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 février 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.