Language of document : ECLI:EU:T:2023:496

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

6 septembre 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Inscription et maintien du nom du requérant sur les listes des personnes, des entités et des organismes concernés – Obligation de motivation – Article 2, paragraphe 1, sous a) et d), de la décision 2014/145/PESC – Erreur d’appréciation – Droit d’être entendu »

Dans l’affaire T‑252/22,

Gennady Nikolayevich Timchenko, demeurant à Genève (Suisse), représenté par Mes T. Bontinck, A. Guillerme, L. Burguin, S. Bonifassi, E. Fedorova, J. Goffin et J. Bastien, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme M.-C. Cadilhac et M. V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, V. Valančius et T. Tóth (rapporteur), juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure, notamment la lettre du requérant en date du 27 avril 2023 jointe au dossier de la procédure,

à la suite de l’audience du 3 mai 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours, le requérant, M. Gennady Nicolayevich Timchenko, demande, premièrement, sur le fondement de l’article 263 TFUE, l’annulation, d’une part, de la décision (PESC) 2022/337 du Conseil, du 28 février 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 59, p. 1) , et du règlement d’exécution (UE) 2022/336 du Conseil, du 28 février 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 58, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), et, d’autre part, de la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien »), en tant que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») le concernent et, deuxièmement, sur le fondement de l’article 268 TFUE, la réparation du préjudice moral qu’il aurait subi du fait de l’adoption de ces actes.

I.      Antécédents du litige

2        Le requérant est un homme d’affaires de nationalités russe et finlandaise.

3        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).

4        Le même jour, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

5        À la suite de l’invasion de l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie, le Conseil a adopté, le 25 février 2022, la décision (PESC) 2022/329 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), afin notamment d’adapter les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes peuvent être visés par les mesures restrictives en cause.

6        L’article 2, paragraphe 1, de la décision 2014/145 dans sa version modifiée par la décision 2022/329 (ci-après la « décision 2014/145 modifiée ») se lit comme suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

a) à des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques ;

[...]

d) à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs ;

[…]

et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe. »

7        Les modalités de ce gel des fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

8        L’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2014/145 modifiée proscrit l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, sous a) et d), de cette même décision

9        Le 25 février 2022, le règlement 2022/330, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L. 51, p. 1) a introduit dans le règlement 269/2014 les mêmes critères que ceux mentionnés au point 6 ci-dessus.

10      Le 28 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté les actes initiaux.

11      Par ces actes, le nom du requérant a été ajouté, respectivement, sous le numéro 694, à la liste annexée à la décision 2014/145 modifiée et, sous ce même numéro, à celle figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014 tel que modifié par le règlement 2022/330 aux motifs suivants (ci-après la « motivation contestée ») :

« [M.] Gennady [Nicolayevich] Timchenko est une connaissance de longue date du président de la Fédération de Russie, [M.] Vladimir Poutine, et est, dans l’ensemble, présenté comme l’un de ses confidents.

Il tire avantage de ses relations avec des décideurs russes. Il est fondateur et actionnaire de Volga Group, un groupe d’investissement disposant d’un portefeuille d’investissements dans des secteurs essentiels de l’économie russe. Volga Group contribue de manière significative à l’économie russe et à son développement.

M. Gennady N[icolayevich] Timchenko est aussi un actionnaire de [la] Bank Rossiya, qui est considérée comme la banque personnelle des hauts fonctionnaires de la Fédération de Russie. Depuis l’annexion illégale de la Crimée, [la] Bank Rossiya a ouvert des succursales en Crimée et à Sébastopol, consolidant ainsi son intégration dans la Fédération de Russie.

Par ailleurs, [la] Bank Rossiya détient d’importantes participations dans le National Media Group, qui contrôle des chaînes de télévision soutenant activement les politiques du gouvernement russe visant à déstabiliser l’Ukraine.

Il est donc responsable de soutenir des actions et politiques qui compromettent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

Il est également responsable d’apporter un soutien financier et matériel aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, et de retirer un avantage de ces décideurs. »

12      Le 1er mars 2022, un avis à l’attention des personnes et entités faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2014/145 modifiée et par le règlement no 269/2014 tel que modifié par le règlement 2022/330 a été publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2022, C 101, p. 4).

13      Par lettre du 25 mars 2022, le requérant a sollicité le Conseil aux fins de lui donner accès à l’ensemble du dossier le concernant, ce qui a été fait le 13 avril 2022 par transmission du dossier WK 2807/2022 (ci-après le « dossier WK initial »).

14      À la suite d’une demande de communication de documents complémentaires sollicitée par le requérant le 15 avril 2022, le Conseil lui a communiqué ces documents qui figurent dans le dossier WK 12005/2019, ainsi que des documents répertoriés MD 2015 293, 294, 296 et 297 Kovalchuk, le 28 avril 2022 (ci-après le « dossier WK complémentaire » et, pris ensemble avec le dossier WK initial, le « dossier WK »).

15      Par lettre du 6 mai 2022, le requérant a adressé une demande de réexamen au Conseil, laquelle a été complétée par un courrier du 31 mai 2022.

16      Le 14 septembre 2022, le Conseil a adopté les actes de maintien, lesquels maintenaient l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause sur le fondement de la motivation contestée.

17      Le 15 septembre 2022, le Conseil a notifié au requérant les actes de maintien, en le renvoyant à son mémoire en défense et en lui indiquant, en substance, que, étant un ami de longue date de M. Vladimir Poutine et à la tête d’un « empire économique » intervenant dans des secteurs de l’économie russe, le Conseil considérait qu’il tirait avantage du président de la Fédération de Russie et qu’il soutenait les actions et politiques menées à l’encontre de l’Ukraine par l’intermédiaire de la Bank Rossiya, laquelle avait implanté des succursales en Crimée et était associée au National Media Group, groupe de média qui soutenait la politique menée par le président de la Fédération de Russie.

18      Le 31 octobre 2022, le requérant a introduit auprès du Conseil une demande de réexamen.

II.    Conclusion des parties

19      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués ;

–        condamner le Conseil à payer 1 000 000 d’euros « à titre provisionnel » au titre de son préjudice moral ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

20      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en annulation ;

–        rejeter le recours en indemnité ;

–        condamner le requérant aux dépens.

III. En droit

21      À l’appui de son recours, le requérant a initialement invoqué cinq moyens, tirés le premier, d’une violation de l’obligation de motivation et du droit à une protection juridictionnelle effective, le deuxième, d’une violation du principe de proportionnalité et des droits fondamentaux, le troisième, d’une erreur manifeste d’appréciation, le quatrième, d’une violation du principe d’égalité de traitement et, le cinquième, de la violation des traités. Le requérant fait enfin valoir que l’illégalité du comportement du Conseil lui a causé un préjudice qu’il convient d’indemniser.

22      Dans son mémoire en adaptation, le requérant a fait valoir un sixième moyen, tiré d’une violation du droit d’être entendu dans le cadre de l’adoption des actes de maintien.

23      Par lettre du 27 avril 2023, le requérant a indiqué se désister des deuxième, quatrième et cinquième moyens, ce dont le Conseil a pris acte lors de l’audience.

24      Compte tenu de ce désistement, il n’y a lieu de traiter que du premier moyen, relatif à la violation de l’obligation de motivation et du droit à une protection juridictionnelle effective, le troisième moyen, relatif à une erreur manifeste d’appréciation, le sixième moyen, tiré d’une violation du droit d’être entendu dans le cadre de l’adoption des actes de maintien et, enfin, le recours indemnitaire.

A.      Sur la demande en annulation

1.      Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation et du droit à une protection juridictionnelle effective

25      Le premier moyen est divisé en deux branches tirées de la violation, la première, de l’obligation de motivation et, la seconde, du droit à une protection juridictionnelle effective, prévu à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte »).

a)      Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une violation de l’obligation de motivation

26      Le requérant fait valoir que les trois critères généraux retenus par le Conseil, à savoir, premièrement, le critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 modifiée [ci-après le « critère a) »], deuxièmement, le critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous d), de cette décision [ci-après le « critère d) »] et, troisièmement, le fait de contribuer, par l’intermédiaire de Volga Group, de manière significative à l’économie russe, ne se rattachent pas par un lien suffisamment précis, concret et concordant aux allégations factuelles mentionnées dans les actes attaqués.

27      À cet égard, s’agissant spécifiquement du critère d), il souligne, notamment, ne pas être en mesure de déterminer l’identité des décideurs russes auxquels il apporte un soutien ou dont il tire avantage, pas plus que de connaître la nature du soutien ou des avantages retirés de ces décideurs.

28      Dans le mémoire en adaptation, le requérant maintient son argumentation.

29      Le Conseil conclut au rejet de ce moyen.

30      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue le corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien-fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 60 et jurisprudence citée).

31      Il convient également de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 61 et jurisprudence citée).

32      La motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure de gel des fonds doit permettre que soient identifiées les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles celui-ci considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 63 et jurisprudence citée).

33      Cependant, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires peuvent avoir à recevoir des explications (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 64 et juriprudence citée).

34      Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 65 et jurisprudence citée).

35      En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 66 et jurisprudence citée).

36      Enfin, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’un acte consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cet acte. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond dudit acte, mais non la motivation de celui-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 96 et jurisprudence citée).

37      En l’espèce, s’agissant, en premier lieu, du grief tiré de l’impossibilité dans laquelle se serait trouvé le requérant de comprendre les critères sur lesquels le Conseil s’est appuyé pour justifier l’inscription de son nom sur les listes en cause, il y a lieu de relever que la conclusion figurant dans la motivation contestée se réfère explicitement tant au critère a) qu’au critère d), dont les références sont intégralement reprises dans le dossier WK initial.

38      À cet égard, il y a lieu de relever que les écritures du requérant mettent en évidence qu’il a bien compris que les critères sur lesquels le Conseil se fondait pour édicter les mesures restrictives dont il fait l’objet étaient les deux critères mentionnés au point 37 ci-dessus, de sorte qu’il y a lieu de rejeter son argument selon lequel le Conseil se serait aussi fondé sur un troisième critère, fondé sur le fait de contribuer, par l’intermédiaire de Volga Group, de manière significative à l’économie russe.

39      Ainsi, dès lors qu’il n’y a aucun doute possible quant aux critères sur lesquels se fondent les actes attaqués, il y a lieu de rejeter ce premier grief.

40      S’agissant, en second lieu, du grief relatif à l’insuffisance ou à l’absence de motivation alléguée en ce qui concerne le critère d), il y a lieu de relever que la motivation contestée se réfère, premièrement, aux liens d’amitié très forts qui unissent le requérant à M. Poutine et, deuxièmement, au fait que le requérant  est détenteur de participations capitalistiques dans des secteurs essentiels de l’économie russe, en ce compris la Bank Rossiya, qui est considérée comme la banque des hauts fonctionnaires de la Fédération de Russie.

41      Quant au critère a), la lecture de la motivation contestée met en évidence, premièrement, que Volga Group, que détient le requérant, contribue de manière significative à l’économie russe et à son développement, deuxièmement, que la Bank Rossiya, dont il est actionnaire, a ouvert des succursales en Crimée et à Sébastopol et détient en outre d’importantes participations dans Media Group, lequel contrôle lui-même des chaînes de télévision qui soutiennent l’action déstabilisatrice de la Russie en Ukraine.

42      La lecture des documents figurant dans le dossier WK, conjointement avec la motivation contestée et indépendamment de leur valeur probante, dans la mesure où cette question relève du fond de l’affaire, confirme, tout en la précisant, l’analyse mentionnée aux points 40 et 41 ci-dessus.

43      En effet, s’agissant du critère d), les documents du dossier WK font notamment état du fait que le requérant, qui est décrit comme servant de « portefeuille » de M. Poutine (document no 1 du dossier WK initial) et comme ayant des intérêts liés avec ce dernier par l’intermédiaire de la société Gunvor (documents nos 1, 3, 5 du dossier WK initial), est très proche du cercle de la Dacha Ozero, qui regroupe le cercle rapproché des proches de M. Poutine, au nombre desquels figure notamment une partie des actionnaires de la Bank Rossiya, [document no 3 du dossier WK initial et article de la Novayja gazeta, du 11 novembre 2011, du dossier WK complémentaire, joint en annexe A 9 à la requête (ci-après l’« article de la Novayja gazeta »)]. La lecture conjointe du document no 3 et des documents nos 6 et 7 du dossier WK initial met en outre en évidence le fait que le requérant est propriétaire de près de 10 % de la Bank Rossyia, laquelle est décrite comme étant la banque personnelle des hauts fonctionnaires de la Fédération de Russie.

44      Il résulte ainsi des éléments mentionnés aux points 40 et 43 ci-dessus que, à la lecture conjointe de la motivation contestée et des documents composant le dossier WK, le requérant était en mesure de comprendre que, en ce qui concerne le critère d), les actes attaqués reposaient sur le fait que, étant un ami très proche de M. Poutine ainsi que du cercle de la Dacha Ozero et détenteur de participations conséquentes dans des secteurs stratégiques russes, dont la Bank Rossiya dont il est actionnaire et qui est connue pour être la banque privée des hauts fonctionnaires de la Fédération de Russie, le requérant tire avantage de ses relations avec M. Poutine et le soutient sur un plan matériel ou financier.

45      Quant au critère a), il y a lieu de relever que des documents contenus dans le dossier WK complémentaire confirment les éléments de la motivation contestée, en ce qu’il en ressort que la Bank Rossiya s’est implantée en Crimée et y permet la réalisation d’investissements, de sorte que le requérant est considéré comme soutenant les actions ou politiques qui compromettent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de la Crimée. Il s’agit notamment :

–        de la dépêche de l’agence Russian news and information (RIA) du 10 septembre 2014, ainsi que du communiqué de presse de la Bank Rossiya du 3 juin 2014, qui font état du fait que cette banque a ouvert des succursales en Crimée ;

–        du communiqué de presse du journal RBC du 26 avril 2016, qui fait état du fait que les autorités de Crimée ont transféré le contrôle de l’aéroport de Simferopol à la Bank Rossiya ;

–        du communiqué de presse de la Bank Rossiya du 10 janvier 2019, selon lequel cette banque a consenti un prêt d’un milliard de roubles (RUB) à la compagnie de chemin de fer de Crimée.

46      Il y a lieu de relever que les éléments mentionnés aux points 40 à 45 valent aussi pour les actes de maintien, dans la mesure où ces actes ont repris dans leur intégralité la motivation contestée.

47      Il en résulte que le Conseil a motivé les actes attaqués en faisant référence à des raisons suffisamment individuelles, spécifiques et concrètes pour permettre au requérant de se défendre, de sorte que le grief tiré d’une insuffisance ou d’une absence de motivation doit être rejeté.

b)      Sur la seconde branche du premier moyen, tirée d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective

48      S’agissant de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective, le requérant fait, en premier lieu, valoir que le Conseil ne lui a communiqué la totalité des éléments de preuve sur lesquels s’appuyaient les actes initiaux que tardivement, ce qui était d’autant plus gênant que ces éléments concernaient une autre personne sanctionnée.

49      Il indique, en deuxième lieu, que la formulation trop large des éléments factuels mentionnés dans les actes attaqués ne lui permet pas d’apprécier le bien-fondé de ces actes, pas plus que d’être en mesure d’apprécier et de discuter les éléments de preuve dont se prévaut le Conseil.

50      En troisième lieu, il fait, en substance, valoir que la motivation contestée s’appuie sur des éléments de preuve insuffisants, dès lors qu’ils sont uniquement constitués par des articles de journaux.

51      Il en conclut qu’il se trouve dans la situation impossible d’avoir à rapporter la preuve négative des faits généraux qui lui sont reprochés, ce qui constituerait un renversement illégal de la charge de la preuve.

52      À cet égard, s’agissant, en premier lieu, du grief relatif au manque de temps dont se plaint le requérant, du fait du retard lié à la communication du dossier WK complémentaire et dont il ne s’est pas désisté en vertu de la lettre du 27 avril 2023, il y a lieu de relever que les dix jours qu’il prétend avoir consacrés pour analyser le dossier WK complémentaire, composé seulement de six courtes dépêches de presse, ainsi que d’un article, certes, plus conséquent, de la Novayja gazeta, étaient suffisants pour lui permettre de se défendre utilement, de sorte qu’il y a lieu de rejeter ce grief.

53      En tout état de cause, il y a lieu de relever que, eu égard à la date de publication au Journal officiel de l’Union européenne des actes initiaux, le 28 février 2022 et à l’application conjointe des articles 59 et 60 du règlement de procédure du Tribunal, le requérant disposait en réalité de plus de 20 jours pour étudier ce dossier WK complémentaire, dès lors que la date limite pour le dépôt de la requête en annulation était le 24 mai 2022.

54      S’agissant, en deuxième lieu, du grief tiré d’une formulation trop large de la motivation et de l’impossibilité pour le requérant d’être en mesure de discuter des éléments de preuve dont se prévaut le Conseil, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe de protection juridictionnelle effective implique que l’institution de l’Union qui adopte ou maintient des mesures restrictives individuelles à l’égard d’une personne communique les motifs sur lesquels ces mesures sont fondées, soit au moment où ces mesures sont adoptées, soit, à tout le moins, aussi rapidement que possible après leur adoption, afin de permettre à ces personnes ou à ces entités l’exercice de leur droit de recours (voir arrêt du 21 avril 2021, El-Qaddafi/Conseil, T‑322/19, EU:T:2021:206, point 51 et jurisprudence citée).

55      Cette situation découle de la nature particulière des actes imposant des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, lesquels s’apparentent à la fois à des actes de portée générale, dans la mesure où ils interdisent à une catégorie de destinataires déterminés de manière générale et abstraite, notamment, de mettre des fonds et des ressources économiques à la disposition des personnes et des entités dont les noms figurent sur les listes établies dans leurs annexes, et à un faisceau de décisions individuelles à l’égard de ces personnes et de ces entités (voir arrêt du 21 avril 2021, El-Qaddafi/Conseil, T‑322/19, EU:T:2021:206, point 52 et jurisprudence citée).

56      En l’espèce et ainsi qu’il est mentionné aux points 44 et 45 ci-dessus, la conjonction des éléments contenus dans la motivation contestée ainsi que des documents du dossier WK était suffisante pour permettre au requérant de comprendre, avant l’introduction de son recours, les raisons concrètes, spécifiques et individuelles qui ont amené le Conseil à considérer qu’il devait faire l’objet de mesures restrictives.

57      S’agissant, en troisième lieu, de la contestation des éléments de preuve du dossier, il suffit de relever que, pour les raisons mentionnées au point 36 ci-dessus, une telle contestation relève du fond du litige et de l’appréciation du bien-fondé des actes attaqués et non, en tant que telle, du droit à une protection juridictionnelle effective, lequel relève de leur légalité externe.

58      Quant à l’impossibilité dans laquelle se serait trouvé le requérant d’infirmer les allégations du Conseil et du grief relatif à un prétendu renversement illégal de la charge de la preuve, il suffit de relever que les allégations du Conseil s’appuient sur des éléments de preuve qui seront examinés dans le cadre de l’appréciation du troisième moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, dont l’invocation même démontre qu’il a pu contester les appréciations du Conseil sur le fond.

59      Il en résulte qu’il convient de rejeter la seconde branche du premier moyen et, partant, le premier moyen dans son ensemble.

2.      Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation 

60      Le troisième moyen est divisé en deux branches. Par la première, le requérant conteste la valeur probante des documents sur lesquels le Conseil se fonde pour appuyer ses allégations. Par la seconde, il se prévaut d’une erreur manifeste d’appréciation commise par le Conseil.

61      À titre liminaire, il importe de relever que le troisième moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont satisfaits, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de l’ensemble des actes de l’Union (voir en ce sens arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 61 et jurisprudence citée).

62      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme étant suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).

63      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non pas de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

64      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).

65      C’est à l’aune de ces éléments que seront étudiées les deux branches du troisième moyen.

a)      Sur la première branche du troisième moyen, tiré de la valeur probante des documents du Conseil

66      Le requérant fait valoir que l’ensemble des documents du dossier WK initial sont dénués de toute force probante, dès lors que, soit ils ne s’appuient sur aucun élément objectif crédible, soit ils concernent des faits passés qui n’existent plus, soit ils sont contredits objectivement.

67      Il en serait ainsi des documents nos 1 et 3 du dossier WK initial, en ce qui concerne la société Gunvor, qu’il a quittée depuis 2014 et à l’égard de laquelle, notamment, le journal The Economist a publié un démenti en ce qui concerne les prétendus liens financiers que M. Poutine aurait eus avec cette société et les allégations selon lesquelles la réussite de cette société et celle du requérant étaient liées à des pratiques de corruption.

68      S’agissant plus spécifiquement du document no 4 du dossier WK initial, le requérant fait valoir que c’est à tort que cet article de presse le présente comme étant un membre du cercle rapproché de M. Poutine, qui tire avantage des sanctions contre la Russie en achetant une entreprise dont la croissance est liée à l’édiction de ces sanctions. À cet effet, il indique que, outre le fait que cette entreprise est déficitaire, les négociations pour l’achat de l’entreprise ont été entamées au cours de l’année 2013, alors que les sanctions ont été prononcées au mois de septembre 2014.

69      De manière plus générale, le requérant fait grief au Conseil de s’être abstenu de mener sa propre enquête contradictoire et de s’être contenté de rapporter des éléments de preuve non fiables, dès lors que leur véracité est remise en cause sur la base d’éléments objectifs.

70      À cet égard, il convient de relever que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse, des rapports des services secrets ou d’autres sources d’information similaires. Or, selon la jurisprudence, les articles de presse peuvent être utilisés aux fins de corroborer l’existence de certains faits lorsqu’ils sont suffisamment concrets, précis et concordants quant aux faits qui y sont décrits (voir arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 59 et jurisprudence citée).

71      De plus, des documents qui ont été rédigés ou publiés à une date relativement éloignée de celle de l’adoption de mesures restrictives peuvent conserver toute leur force probante, pour autant que d’autres éléments probatoires plus récents confirment et établissent que les éléments mentionnés dans les premiers documents perdurent, indépendamment du temps passé.

72      Enfin, si un document comporte un élément d’information sinon erroné, du moins que le requérant conteste, parce que, par exemple, la situation considérée a été modifiée depuis la publication du document, un tel défaut ne saurait à lui seul retirer la force probante de la totalité du document considéré. En effet, la force probante d’un document doit s’apprécier globalement, en tenant compte, notamment, de la qualité de la source dont le document est issu ainsi que des autres éléments d’information qui y sont présentés.

73      En l’espèce, il n’y a lieu d’apprécier le bien-fondé des griefs du requérant tirés de la force probante des documents en cause que pour autant que ces documents sont utiles pour déterminer si le Conseil a commis ou non une erreur d’appréciation.

74      À cet égard, le document no 3 du dossier WK initial, publié le 20 mars 2014, est tiré du site Internet du U. S. Department of the Treasury’s Office of Foreign Assets Control (OFAC, bureau de contrôle des actifs étrangers du département du Trésor des États-Unis). Ce document fait, certes, état des intérêts financiers que M. Poutine entretient avec la société Gunvor, à l’égard desquels le requérant apporte des éléments de preuve en sens contraire. Il demeure que ce document, qui comporte des éléments d’informations pertinents, notamment en ce qui concerne la Bank Rossiya, M. Yuri Kovalchuk, ainsi que le cercle de la Dacha Ozero, émane d’une source d’informations fiable, de sorte que sa force probante ne saurait être contestée.

75      Indépendamment du fait que le document no 4 du dossier WK initial, qui est un article de l’agence de presse Reuters daté du 28 décembre 2004, comporte des éléments d’information contestés par le requérant en ce qui concerne le lien de causalité entre l’achat de la société Alma et la cessation de l’importation de produits agricoles par la Fédération de Russie, il demeure que cet article comporte des informations pertinentes en ce qui concerne les liens d’amitié de M. Poutine et du requérant, au demeurant non contestés par ce dernier, de sorte que ce document doit être retenu comme établissant cet élément.

76      Quant au document no 6 du dossier WK initial, qui est une capture d’écran du site officiel de Volga Group, donc non susceptible d’être taxé d’une quelconque partialité, il y a lieu de relever que le Conseil y a eu accès au moment de l’édiction des mesures initiales et que, par conséquent, le requérant ne saurait faire grief au Conseil de se prévaloir de données non mises à jour.

77      En tout état de cause, ce document, ainsi que les éléments d’explication donnés par le requérant aux points 27, 115 et 116 de la requête, mettent en évidence que ce dernier est détenteur d’actifs stratégiques russes tant dans le domaine de l’énergie, notamment par ses participations dans Transoil, Novatek et Sibur, que dans le domaine bancaire et financier, notamment par le biais de ses participations dans la Bank Rossiya et Sogaz.

78      Le document no 7 du dossier WK initial est une capture d’écran d’une page du site Internet de la Bank Rossiya, publiée au mois de juillet 2017 par une association non gouvernementale. Ce document, qui présente l’actionnariat de la Bank Rossiya, est contesté par le requérant qui se prévaut du document produit en annexe A 15 à la requête, qui est une information du journal Forbes datée de 2022. Dans la mesure où ce dernier document présente une situation plus actualisée de l’actionnariat de cette banque par rapport à la date d’adoption des actes initiaux, il y aura lieu d’en tenir compte dans l’appréciation de la prétendue erreur d’appréciation du Conseil.

79      Il y a également lieu de relever que le requérant ne conteste pas en tant que telle la force probante de l’article du 11 novembre 2011 de la Novayja gazeta, hormis en ce qui concerne sa datation, trop éloignée de la date d’édiction des mesures restrictives.

80      À cet égard, cet article est certes antérieur à l’invasion de la Crimée. Il demeure qu’il comporte des informations utiles pour comprendre le fonctionnement systémique du capitalisme russe, ainsi que la pratique des affaires ayant cours dans le cercle restreint des amis de M. Poutine appartenant à la coopérative de la  Dacha Ozero ou de ceux qui, sans en faire partie, gravitent toutefois autour. Enfin, et comme indiqué au point 71 ci-dessus, la force probante d’un tel document est susceptible d’être prise en compte à la date de l’adoption des actes attaqués, pour autant que des documents plus proches de cette date mettent en évidence la continuation d’un tel fonctionnement systémique.

81      De plus, à supposer même que le requérant discute la qualité de l’article et du journal dont il est issu, mentionnés aux points 79 et 80 ci-dessus,  il y a lieu de relever que les éléments sur lesquels cet article se fonde constituent des éléments objectifs, que ne remet au demeurant pas en cause le requérant par d’autres éléments de preuve. De plus, ledit article émane d’un journal notoirement connu pour son indépendance éditoriale, de sorte qu’il y a lieu de retenir la force probante de ce document.

82      S’agissant du document produit en annexe B 15 b du mémoire en défense, qui est tiré du journal The Guardian du 3 avril 2016, il y a lieu de relever que cet article, qui est issu d’un journal britannique réputé, se fonde sur des éléments objectifs tirés de l’analyse des Panama papers, de sorte que sa valeur probante doit être retenue.

83      Il en va de même du document produit en annexe du document B 15 a, tiré du journal The Guardian du 20 mars 2014, qui présente les sanctions des autorités américaines prononcées à l’encontre de la Bank Rossiya. À cet égard, il y a lieu de relever que, contrairement à ce qu’indique le requérant, cet article ne se contente pas de reprendre, en tant que telle, l’analyse des autorités américaines mentionnée au point 74 ci-dessus, mais présente aussi comme étant notoire le fait que cette banque a des liens étroits avec les plus hautes personnalités du Kremlin.

84      Quant aux documents évoqués au point 45 ci-dessus, il y a lieu de relever que leur force probante n’est pas contestée par le requérant, ce qui est d’autant plus justifié que rien ne permet de considérer que les sources dont émanent ces documents seraient sujettes à caution, pas plus que les éléments d’information qu’ils relatent.

85      N’est pas non plus contestée par le requérant la force probante de la dépêche de l’agence TASS, figurant dans le dossier WK complémentaire, laquelle, certes non datée, contient toutefois des éléments d’information permettant de considérer qu’elle a été rédigée postérieurement au 1er mars 2014.

86      Enfin, concernant le grief selon lequel le Conseil s’est abstenu de mener sa propre enquête sur les faits reprochés au requérant, il suffit de relever que, ainsi que mentionné au point 70 ci-dessus, l’état de tensions existant au niveau international autour de la Fédération de Russie justifie à lui seul que le Conseil n’a pas pu mener une telle enquête et qu’il a ainsi été contraint d’étayer la motivation contestée sur la base d’éléments probatoires essentiellement constitués par des articles de presse.

87      Il en résulte qu’il y a lieu de rejeter ce grief et en conséquence, la première branche du troisième moyen.

b)      Sur la seconde branche du troisième moyen, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation

88      Le requérant conteste l’appréciation du Conseil selon laquelle le critère relatif au soutien matériel ou financier des décideurs russes et celui relatif au soutien des actions ou politiques compromettant l’intégrité territoriale de l’Ukraine sont constitués à son égard et considère que, en procédant ainsi, cette institution a commis une erreur manifeste d’appréciation.

89      S’agissant du critère d), qu’il convient d’analyser en premier lieu, le requérant conteste tout d’abord le qualificatif qui lui a été attribué et selon lequel il serait le « confident » de M. Poutine, ce qui, au demeurant, n’impliquerait nullement qu’il soutient matériellement et financièrement ce dirigeant.

90      À cet égard, il indique, d’abord, que M. Poutine, s’il est bien l’un de ses amis, n’a pour autant jamais joué aucun rôle dans la réussite de ses affaires, notamment dans la réussite de la société Gunvor, ainsi qu’il en rapporte la preuve.

91      Le requérant souligne, ensuite, que, pour fonder son appartenance au cercle étroit des personnes qui exercent une influence auprès de M. Poutine, le Conseil ne s’appuie que sur le fait qu’il a commencé sa carrière concomitamment à l’ascension politique de M. Poutine, ainsi que sur deux articles qui n’ont rien à voir avec lui, l’un portant sur l’existence d’une messagerie commune d’hommes d’affaires en relation avec M. Poutine et l’autre sur l’approche adoptée par la société Uber pour tenter de pénétrer le marché russe.

92      À cet égard, s’agissant de l’allégation spécifique selon laquelle il serait le « confident » de M. Poutine, le requérant fait valoir qu’il s’agit d’une rumeur totalement spéculative, publiée notamment par le journal en ligne Insider, peu crédible, connu pour ses titres racoleurs, dont l’article est joint à l’annexe B 8 du mémoire en défense.

93      Il en conclut que ces éléments sont de simples allégations qui ne prouvent pas qu’il aurait exercé ou exercerait une quelconque influence sur M. Poutine depuis la date de l’invasion de l’Ukraine, à savoir à partir de 2014, seule période devant être prise en compte pour apprécier le bien-fondé des mesures restrictives adoptées à son égard par les actes attaqués.

94      Il affirme enfin, que, à défaut de présomption prévue expressément par les textes sur lesquels se fondent les mesures restrictives dont il fait l’objet, il ne saurait lui être appliqué une quelconque présomption qui établirait un lien entre sa réussite dans les affaires et un prétendu soutien matériel ou financier aux dirigeants de la Fédération de Russie.

95      S’agissant, en second lieu, du critère a), le requérant fait, en substance, valoir, d’une part, qu’aucune entreprise qu’il détient n’est impliquée dans l’activité militaire ayant cours en Ukraine et, d’autre part, qu’il ne saurait être tenu pour responsable des agissements de la Bank Rossiya, dont il ne détient qu’une participation minoritaire de 10 % et qui n’est elle-même qu’actionnaire minoritaire du groupe de média National Media Group.

96      S’agissant de la seconde branche du troisième moyen, tiré de l’erreur d’appréciation, il convient de déterminer, en premier lieu, si le Conseil a, sans commettre d’erreur d’appréciation, considéré que le critère d) est constitué à l’encontre du requérant et, en second lieu, si le critère a) l’est également.

1)      Sur le critère d)

97      Concernant le critère d), il y a tout d’abord lieu de relever que le requérant ne conteste pas l’existence d’une amitié très ancienne et forte qui le lie à M. Poutine, ainsi qu’il est indiqué dans le document no 4 du dossier WK initial.

98      S’agissant de la Bank Rossiya, dont il est actionnaire, l’article de l’agence TASS, mentionné au point 85 ci-dessus, fait état du fait que, à la date du 1er mars 2014, le capital de cette banque s’élevait à 45,2 milliards de RUB, avec un revenu de 125,2 milliards de RUB, qui la plaçait en 2013 au quinzième  rang des banques russes en termes de capitalisation.

99      De plus, le document no 3 du dossier WK initial indique ce qui suit : 

« [L]a Banque Rossiya […] est la banque personnelle des hauts fonctionnaires de la Fédération de Russie. Les actionnaires de la Bank Rossiya incluent les membres du cercle rapproché du président de la Fédération de Russie associés à la coopérative Dacha Ozero, une communauté de vie dans laquelle ils habitent. La Bank Rossiya est aussi contrôlée par [M.] Kovalchuk […] »

100    À cet égard, il y a lieu de relever que, en se référant aux hauts fonctionnaires de la Fédération de Russie, les autorités du bureau de contrôle des actifs étrangers du département du Trésor des États-Unis ont englobé dans cette référence l’ensemble des hauts fonctionnaires de cet État, en ce compris le premier d’entre eux, à savoir le président de la Fédération de Russie. Cela est d’ailleurs confirmé par le fait que, dans ce même document no 3 du dossier WK initial, les autorités américaines ont, dans la notice réservée à M. Kovalchuk, inclus le président de la Fédération de Russie parmi les hauts fonctionnaires de cet État.

101    L’article du Guardian du 20 mars 2014 confirme une partie des informations mentionnées au point 99 ci-dessus en ce qu’il présente comme un fait notoire que la Bank Rossiya est la banque russe connue pour ses rapports étroits avec les hautes personnalités du Kremlin et qu’il indique que, selon les autorités américaines, elle est sur le point de subir des mesures restrictives à l’occasion de la nouvelle vague de sanctions de la part des autorités américaines.

102    Cela est aussi confirmé par le document joint en annexe A 15 à la requête et mentionné au point 78 ci-dessus, qui, sans faire aucune allusion au contenu du document no 3 du dossier WK initial, le conforte pourtant, en présentant également comme notoire le fait que la Bank Rossiya « est connue pour les bonnes relations de ses associés avec le président Vladimir Poutine ».

103    S’agissant, ensuite, de l’article de la Novayja gazeta, qui traite des relations entre les membres et proches du cercle de la Dacha Ozero, il fait, en substance, état de l’existence d’un réseau systémique très serré de solidarités, sinon amicales, en tous cas capitalistiques, dont le centre des amitiés et des relations se concentre sur la personne du président de la Fédération de Russie.

104    Ce réseau relationnel est, selon l’article, notamment composé de M. Kovalchuk, principal actionnaire de la Bank Rossiya, dont les actifs, évalués en 2010 à 231 milliards de RUB, ont été multipliés par plus de 35 entre 2004 et 2010 grâce à l’acquisition, avec l’accord de M. Poutine et à des conditions très avantageuses, d’actifs de Gazprombank, de M. Nicolay Shamalov, dont le fils Kiril a été vice-président de Sibur, une compagnie liée, à l’époque, d’un point de vue capitalistique au requérant et qui auparavant était une filiale de la société Gazprombank et enfin, du requérant, qui est décrit dans l’article comme étant « sinon un ami, du moins le “partenaire des partenaires” du Premier ministre [lequel était, à l’époque de la rédaction de l’article, M. Poutine] puisque, en 2010, il est aussi associé à la Bank Rossiya par le biais de la société Swiss Mapples et de Transoil ».

105    La proximité de la Bank Rossiya avec M. Poutine est confirmée par la lecture combinée du document mentionné au point 102 ci-dessus avec le document no 7 du dossier WK initial, laquelle met en évidence que cette banque bénéficie d’un actionnariat majoritaire stable, composé d’abord, de son premier plus grand actionnaire, M. Kovalchuk, à hauteur de 39,87 %, ensuite, du requérant, qui en est le deuxième plus grand actionnaire, à hauteur de 10,32 %, puis de M. Nicolay Shamalov, à hauteur de 9,64 %, et enfin, de M. Sergei Roldugin, à hauteur de 3,03 %, lequel est, ainsi que cela résulte du document joint en annexe B 15 b du mémoire en défense, le meilleur ami de M. Poutine.

106    Ainsi, dans la mesure où le requérant est le deuxième actionnaire de la Bank Rossiya et qu’il fait partie d’un noyau stable d’actionnaires majoritaires connus pour leur proximité avec M. Poutine, son influence très importante sur la prise de décision dans cette banque ne saurait être niée. De plus, il existe un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour considérer que la Bank Rossiya est la banque des hauts fonctionnaires de la Fédération de Russie, en ce compris M. Poutine. Le fait que la Bank Rossiya est la banque de M. Poutine, qui bénéficie en conséquence, de son soutien financier, est confirmé, si besoin était, par le document mentionné au point 82 ci-dessus et dont le Conseil s’est prévalu dans son mémoire en défense pour répondre aux dénégations du requérant relatives aux liens existant entre cette banque et M. Poutine.

107    Ce document analyse, en effet, la manière par laquelle la « banque personnelle de [M. Poutine] a fait transiter de l’argent vers des fonds offshore pour que, au final, cet argent revienne, à son profit, en Fédération de Russie ». Dans cette analyse, l’article met en cause non seulement MM. Kovalchuk et Roldugin, mais aussi la Bank Rossiya, laquelle est décrite comme étant « étroitement associée à [M.] Poutine et à ses amis [et dont les] dirigeants étaient derrière les milliards de dollars [en cause] dans des transactions offshore suspectes ».

108    Ainsi, au regard des éléments de preuve du document no 3 du dossier WK initial ainsi que de l’article de la Novayja gazeta figurant dans le dossier WK complémentaire, confirmés par les documents mentionnés aux points 100 à 102 et 105 à 107 ci-dessus, le Conseil a pu, sans commettre d’erreur d’appréciation, considérer qu’il existait des indices précis, concrets et concordants établissant que la Bank Rossiya est la banque personnelle des hauts fonctionnaires de la Fédération de Russie, en ce compris son président, M. Poutine, lequel bénéficie ainsi du soutien financier de cette banque.

109    S’agissant de la question de savoir si le requérant peut être déclaré personnellement responsable du soutien financier apporté par la Bank Rossiya à M. Poutine, il y a lieu de relever que, dans la mesure, notamment, où les mesures restrictives ne sont pas des sanctions pénales, une personne physique peut faire l’objet de mesures restrictives pour les actes commis par une société dont il est actionnaire lorsqu’il exerce une influence très importante, voire déterminante sur cette société.

110    Il peut en aller de même si, compte tenu des circonstances spécifiques de l’affaire, liées, notamment, à la composition de l’actionnariat, ainsi qu’à l’importance capitalistique de la société considérée, l’actionnaire de cette société dispose d’un pouvoir suffisant pour que les positions qu’il adopte en tant qu’actionnaire soient susceptibles d’influer sur le sens des décisions prises par ladite société.

111    Or, en l’espèce, en tenant compte du fait que, le requérant, ami de M. Poutine et deuxième plus grand actionnaire de la Bank Rossiya constitue, avec trois autres des amis de ce dernier, le bloc stable et majoritaire des associés de cette banque à la capitalisation conséquente, et que, ainsi, il est un actionnaire très influent de cette banque, le Conseil a pu, sans commettre d’erreur d’appréciation, considérer, d’une part, que le requérant ne pouvait pas ne pas savoir que la Bank Rossiya apportait un soutien financier à M. Poutine et, d’autre part, que, en laissant cet état de fait continuer alors qu’il avait le pouvoir d’influer sur les décisions de la Bank Rossiya, le requérant était lui-même responsable d’un tel soutien, de sorte qu’il pouvait ainsi faire l’objet de mesures restrictives à ce titre.

112    À cet égard, il y a lieu de souligner que le requérant aurait pu exprimer publiquement sa distanciation avec le financement de M. Poutine par la banque. Il aurait encore pu, antérieurement à toute distanciation publique, céder sa participation dans cette banque, ce qu’il n’a pas fait, même après l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie.

113    De plus, dès lors que le requérant ne conteste pas exercer une influence déterminante sur Transoil et donc sur les décisions que cette société prend en tant qu’associée de la Bank Rossiya, il importe peu que, comme il s’en est prévalu à l’audience, sa participation dans la banque Rossiya se fasse par l’intermédiaire de Transoil, dont Volga Group détient 100 % des actions.

114    Eu égard aux points 97 à 113 ci-dessus, le Conseil a pu considérer, sans commettre d’erreur d’appréciation, qu’il existait des indices suffisamment précis, concrets et concordants que, par l’intermédiaire de la Bank Rossiya, dont il est actionnaire et qui, selon la motivation contestée, est la banque personnelle des hauts fonctionnaires de la Fédération de Russie, le requérant apportait un soutien financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, en l’occurrence, M. Poutine.

115    Enfin, le requérant ne saurait affirmer, comme il le fait, qu’il se trouve dans l’obligation d’apporter des preuves négatives. En effet, les éléments notamment mentionnés aux points 97 à 113 ci-dessus constituent des éléments objectifs. De plus, rien n’empêche le Tribunal de tenir compte du fait que le requérant n’a apporté aucun élément tendant à prouver qu’il s’est distancié de la politique menée par la Bank Rossiya à l’égard de sa clientèle, ce qui peut être interprété, à tout le moins comme une approbation tacite de cette politique et, en conséquence, un soutien à une telle politique.

116    Il en résulte que, sans qu’il y ait lieu de faire application d’une quelconque présomption liant les possessions capitalistiques du requérant au critère relatif au soutien matériel et financier apporté aux décideurs russes, il ne saurait être reproché au Conseil d’avoir commis une erreur d’appréciation en considérant que le requérant remplissait les conditions requises pour répondre au critère d).

2)      Sur le critère a)

117    D’emblée, il convient de rappeler que le critère lié au soutien des actions ou des politiques compromettant l’intégrité territoriale de l’Ukraine implique que soit établie l’existence d’un lien, direct ou indirect, entre les activités ou les actions de la personne ou de l’entité visée et la situation en Ukraine à l’origine de l’adoption des mesures restrictives en cause. Autrement dit, ces personnes doivent, par leur comportement, s’être rendues responsables d’actions ou de politique qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 74).

118    En l’espèce, il résulte des éléments de preuve mentionnés au point 45 ci-dessus que la Bank Rossiya, en implantant des succursales en Crimée, en se voyant confier la gestion d’un aéroport en Crimée et en concédant un prêt à la compagnie des chemins de fer de Crimée, a, en s’implantant dans cette région nouvellement conquise et en finançant les infrastructures publiques de cette région, soutenu la politique d’annexion de la Crimée par les autorités de la Fédération de Russie, comme prévu au critère a).

119    De plus, ainsi que l’a confirmé le requérant à l’audience, ce dernier ne conteste pas n’avoir accompli aucune démarche positive pour faire en sorte que la Bank Rossiya cesse sa politique d’intégration en Crimée ainsi que les investissements qu’elle y réalisait, pas plus qu’il n’a cédé ses actions pour se désengager d’une société qui, par son action, soutenait et soutient ouvertement la politique d’intégration de la Crimée à la Fédération de Russie.

120    Or, dans le contexte de la présente affaire, et pour les raisons déjà mentionnées aux points 109 à 115 ci-dessus, c’est sans erreur d’appréciation que le Conseil a considéré que le requérant, en adoptant une attitude passive à l’égard du soutien de la Bank Rossiya à la politique d’annexion de la Crimée, est lui-même responsable de soutenir les actions et politiques qui compromettent la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

121    À cet égard, il y a lieu de souligner que l’argument selon lequel la décision d’implanter des succursales en Crimée n’était pas de son ressort, mais de celui du conseil d’administration de la banque, doit être rejeté.

122    En effet, outre le fait que la Bank Rossiya ne s’est pas contentée d’implanter des succursales en Crimée, mais y a aussi exercé des activités bancaires et d’investissements, comme cela a déjà été indiqué au point 118 ci-dessus, rien n’empêchait le requérant de se distancier de la politique menée par la Bank Rossiya en Crimée, ce qu’il n’a pas fait.

123    De plus, la lecture du mémoire en adaptation met en évidence que le requérant n’invoque aucun nouvel élément factuel à l’encontre des actes de maintien par rapport à ceux déjà développés à l’encontre des actes initiaux.

124    Ainsi, dès lors qu’il ne saurait être reproché au Conseil d’avoir commis une erreur d’appréciation lors de l’adoption des actes initiaux ou lors de celle des actes de maintien, il y a lieu de rejeter le troisième moyen dans son intégralité.

3.      Sur le sixième moyen, relatif à la violation du droit d’être entendu

125    Par son sixième moyen, le requérant fait valoir que, en ne répondant pas aux objections qu’il avait soulevées à l’occasion de l’adoption des actes initiaux dans le cadre de la procédure d’adoption des actes de maintien, le Conseil a violé son droit à être entendu.

126    À cet égard, il fait notamment valoir que le Conseil n’a pas répondu à ses objections en ce qui concerne, premièrement, l’absence de caractère probant des documents produits, deuxièmement, l’absence de tout lien entre les activités de Volga Group et l’invasion de l’Ukraine et, troisièmement, en ce qui concerne l’absence de prise en compte de son absence d’influence au sein de la Bank Rossiya, notamment dans les participations capitalistiques de cette banque dans le groupe de média National Media Group.

127    Le Conseil conclut au rejet de ce moyen.

128    Le droit d’être entendu dans toute procédure, prévu à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d’une procédure administrative et avant qu’une décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts ne soit prise à son égard (voir, en ce sens, arrêts du 11 décembre 2014, Boudjlida, C‑249/13, EU:C:2014:2431, points 34 et 36, et du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, points 65 et 67 et jurisprudence citée).

129    Dans le cadre d’une procédure portant sur l’adoption de la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste figurant à l’annexe d’un acte portant mesures restrictives, le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective exige que l’autorité compétente de l’Union communique à la personne concernée les éléments dont dispose cette autorité à l’encontre de ladite personne pour fonder sa décision, afin que cette personne puisse défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge de l’Union. Lors de cette communication, l’autorité compétente de l’Union doit permettre à cette personne de faire connaître utilement son point de vue à l’égard des motifs retenus à son égard (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 111 et 112 ; voir également, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, EU:T:2006:384, point 93).

130    L’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet toutefois des limitations à l’exercice des droits consacrés par celle-ci, pour autant que la limitation concernée respecte le contenu essentiel du droit fondamental en cause et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elle soit nécessaire et réponde effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 101 et jurisprudence citée). À cet égard, la Cour a, à plusieurs reprises, jugé que les droits de la défense pouvaient être soumis à des limitations ou dérogations, et ce notamment dans le domaine des mesures restrictives adoptées dans le contexte de la politique étrangère et de sécurité commune (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 67 et jurisprudence citée).

131    En outre, l’existence d’une violation des droits de la défense doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 102 et jurisprudence citée). Le droit d’être entendu préalablement à l’adoption d’actes maintenant le nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives s’impose lorsque le Conseil a retenu, dans la décision portant maintien de l’inscription de son nom sur cette liste, de nouveaux éléments contre cette personne, à savoir des éléments qui n’étaient pas pris en compte dans la décision initiale d’inscription de son nom sur cette même liste (voir arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 54 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 7 avril 2016, Central Bank of Iran/Conseil, C‑266/15 P, EU:C:2016:208, point 33).

132    Or, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que ni la réglementation en cause ni le principe général du respect des droits de la défense ne confèrent aux intéressés le droit à une audition, la possibilité de présenter leurs observations par écrit étant suffisante (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, T‑256/07, EU:T:2008:461, point 93, et du 6 septembre 2013, Bank Melli Iran/Conseil, T‑35/10 et T‑7/11, EU:T:2013:397, point 105).

133    Ainsi, lorsque des observations sont formulées par la personne concernée au sujet de l’exposé des motifs, l’autorité compétente de l’Union a l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, le bien-fondé des motifs allégués, à la lumière de ces observations et des éventuels éléments à décharge joints à celles-ci (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 114).

134    Enfin, il y a lieu de relever que le Conseil n’est pas tenu, dans le cadre de mesures de maintien dont les motifs sont inchangés, de répondre de manière exhaustive à l’ensemble des objections soulevées par le requérant.

135    En l’espèce, s’agissant des actes de maintien, le Conseil a publié un avis, le 1er mars 2022, à l’attention des personnes et entités concernées, par lequel elles ont été informées de la possibilité de présenter une demande de réexamen avant le 1er juin 2022.

136    Ainsi, le requérant a pu présenter sa demande de réexamen, ce qu’il a fait par l’envoi au Conseil des lettres des 6 et 31 mai 2022. Il a ainsi pu faire valoir ses observations devant le Conseil, qui a pu les apprécier, ainsi que cela résulte des dossiers WK 6654/2022 et WK 8332/2022, joints aux annexes F1 et F2 des observations au mémoire en adaptation.

137    En effet, le Conseil n’était pas tenu, pour respecter le droit d’être entendu du requérant, de lui communiquer à nouveau les éléments retenus à charge, dès lors que les actes de maintien ne contenaient aucun nouvel élément à son égard par rapport à ceux énoncés dans les actes initiaux.

138    De plus, s’agissant de l’évaluation de la nécessité du maintien des mesures à l’encontre du requérant, il y a lieu de relever que, dans la lettre du 15 septembre 2022, le Conseil, en se référant à son mémoire en défense et en y apportant des précisions, en indiquant, notamment et en substance, qu’il considérait que le requérant soutenait des actions ou politiques compromettant l’intégrité territoriale de l’Ukraine par l’intermédiaire de la Bank Rossiya, qui implantait des succursales en Crimée et à Sébastopol, a mis en évidence que les arguments qui lui étaient opposés par le requérant ne l’avaient pas convaincu, ce qui n’est pas constitutif d’une violation du droit d’être entendu.

139    À la lumière de l’ensemble des éléments mentionnés aux points 135 à 138 ci-dessus, le requérant ne saurait se prévaloir d’une violation du droit à être entendu à l’occasion de l’adoption des actes de maintien, de sorte qu’il y a lieu de rejeter le sixième moyen.

B.      Sur la demande indemnitaire

140    Au soutien de cette demande, le requérant fait valoir que les actes attaqués lui ont causé un préjudice moral dont il demande l’indemnisation.

141    Le Conseil conclut au rejet de cette demande.

142    Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union du fait d’un comportement illicite de ses organes, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué. Dans la mesure où ces trois conditions d’engagement de la responsabilité sont cumulatives, l’absence de l’une d’entre elles suffit pour rejeter un recours indemnitaire, sans qu’il soit dès lors nécessaire d’examiner les autres conditions (voir arrêt du 22 juin 2022, Haswani/Conseil, T‑479/21, non publié, EU:T:2022:383, point 155 et jurisprudence citée).

143    S’agissant du préjudice prétendument subi en raison de l’adoption des actes attaqués, il ressort des constatations exposées en ce qui concerne les conclusions en annulation que l’inscription et le maintien du nom du requérant sur les listes en cause ne sont pas entachés d’illégalité. Partant, l’une des conditions mentionnées au point 142 ci‑dessus faisant défaut, les conclusions en indemnité doivent être rejetées.

144    Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

IV.    Sur les dépens

145    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Gennady Nicolayevich Timchenko est condamné aux dépens.

Spielmann

Valančius

Tóth

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 septembre 2023.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.