Language of document : ECLI:EU:T:2022:728

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

30 novembre 2022 (*)

« Aides d’État – Industrie nucléaire – Aide envisagée par la Hongrie pour le développement de deux nouveaux réacteurs nucléaires sur le site de Paks – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur sous réserve du respect de certains engagements – Article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE – Conformité de l’aide avec le droit de l’Union autre que le droit des aides d’État – Lien indissociable – Promotion de l’énergie nucléaire – Article 192, premier alinéa, du traité Euratom – Principes de protection de l’environnement, du pollueur-payeur, de précaution et de durabilité  – Détermination de l’activité économique concernée – Défaillance du marché – Distorsion de la concurrence – Proportionnalité de l’aide – Nécessité d’une intervention de l’État – Détermination des éléments de l’aide – Procédure de passation de marchés publics – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑101/18,

République d’Autriche, représentée par Mme J. Schmoll, MM. F. Koppensteiner, M. Klamert et T. Ziniel, en qualité d’agents, assistés de Me H. Kristoferitsch, avocat,

partie requérante,

soutenue par

Grand-Duché de Luxembourg, représenté par MM. A. Germeaux et T. Schell, en qualité d’agents, assistés de Me P. Kinsch, avocat,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes K. Blanck, K. Herrmann et P. Němečková, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République tchèque, représentée par MM. M. Smolek, J. Vláčil, T. Müller, J. Pavliš et Mme L. Halajová, en qualité d’agents,

par

République française, représentée par Mme E. de Moustier et M. P. Dodeller, en qualité d’agents,

par

Hongrie, représentée par M. M. Fehér, en qualité d’agent, assisté de Mes P. Nagy, N. Gràcia Malfeito, B. Karsai, avocats, et M. C. Bellamy, KC,

par

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

par

République slovaque, représentée par Mme S. Ondrášiková, en qualité d’agent,

et par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par MM. F. Shibli, L. Baxter et Mme S. McCrory, en qualité d’agents, assistés de M. T. Johnston, barrister,

parties intervenantes,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé, lors des délibérations, de MM. M. van der Woude, président, G. De Baere et Mme G. Steinfatt (rapporteure), juges,

greffier : Mme A. Juhász-Tóth, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure, à la suite de l’audience du 10 mars 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la République d’Autriche demande l’annulation de la décision (UE) 2017/2112 de la Commission, du 6 mars 2017, relative à la mesure/au régime d’aides/à l’aide d’État SA.38454 – 2015/C (ex 2015/N) que la Hongrie envisage de mettre à exécution à titre de soutien en faveur du développement de deux nouveaux réacteurs nucléaires de la centrale nucléaire Paks II (JO 2017, L 317, p. 45, ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige et décision attaquée

2        Le 22 mai 2015, la Hongrie a notifié à la Commission européenne, sous le numéro C(2017) 1486, une mesure visant à fournir une contribution financière pour le développement de deux nouveaux réacteurs nucléaires (unités 5 et 6) sur le site de la centrale nucléaire de Paks, en Hongrie, sur lequel sont déjà exploités quatre réacteurs nucléaires. La bénéficiaire de la mesure notifiée est la société MVM Paks II Nuclear Power Plant Development Private Company Limited by Shares (ci-après la « société Paks II »), qui est censée devenir la propriétaire et la société d’exploitation des deux nouveaux réacteurs nucléaires. La société Paks II appartient à 100 % à l’État hongrois, auquel ses parts, qui étaient, à l’origine, intégralement détenues par le négociant en électricité et producteur énergétique Magyar Villamos Művek Zártkörűen Működő Részvénytársaság (ci‑après le « groupe MVM »), ont été transférées en novembre 2014.

3        Le 23 novembre 2015, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen, au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, concernant la mesure notifiée (JO 2016, C 8, p. 2, ci-après la « décision d’ouverture »).

4        Le 6 mars 2017, la Commission a adopté la décision attaquée.

5        La mesure notifiée par la Hongrie est décrite à la section 2 de la décision attaquée. La mesure concerne le développement de deux réacteurs nucléaires de type russe VVER 1200 (V491) de génération III+ (unités 5 et 6) en Hongrie, équipés de la technologie de refroidissement et de modération à l’eau et d’une puissance installée d’au moins 1 000 mégawatts (MW) par unité, et dont la construction est entièrement financée par l’État hongrois au profit de la société Paks II, qui détiendra et exploitera les nouveaux réacteurs. Quatre réacteurs nucléaires sont déjà exploités sur ce site. Ces réacteurs appartiennent à 100 % au groupe MVM qui est détenu par l’État hongrois. La capacité installée des quatre unités existantes de type russe VVER-440 (V213) de la centrale s’élève, au total, à 2 000 MW. Ces réacteurs sont censés être progressivement arrêtés d’ici 2037, en vue d’être remplacés par les deux nouveaux réacteurs, censés entrer en activité respectivement en 2025 et 2026.

6        Conformément à un accord intergouvernemental relatif à la coopération en matière d’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire conclu le 14 janvier 2014 entre la Fédération de Russie et le gouvernement hongrois, les deux pays coopèrent, dans le cadre d’un programme nucléaire, pour la maintenance et la poursuite du développement de l’actuelle centrale nucléaire de Paks. Selon cet accord, la Fédération de Russie et la Hongrie désignent toutes deux une organisation publique et contrôlée par l’État expérimentée, qui est financièrement et techniquement chargée de remplir ses obligations en tant que contractant ou propriétaire en ce qui concerne la conception, la construction, la mise en service et le démantèlement de deux nouveaux réacteurs 5 et 6 avec des réacteurs de type VVER. La Fédération de Russie a fait appel à la société de capitaux Nizhny Novgorod Engineering Company Atomenergoproekt (ci-après « JSC NIAEP »), qui réalisera la construction des nouveaux réacteurs, et la Hongrie a désigné la société Paks II pour leur détention et leur exploitation. À cette fin, JSC NIAEP et la société Paks II ont signé, le 9 décembre 2014, un accord sur un contrat d’ingénierie, d’achat et de construction des deux nouveaux réacteurs 5 et 6 devant être construits sur le site de la centrale nucléaire de Paks.

7        Dans l’accord intergouvernemental, la Fédération de Russie s’est engagée à accorder à la Hongrie un prêt d’État afin de financer le développement des nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks. Ce prêt est régi par l’accord intergouvernemental de financement du 28 mars 2014 et fournit une ligne de crédit renouvelable de 10 milliards d’euros dont l’utilisation est limitée exclusivement à la conception, à la construction et à la mise en service des nouveaux réacteurs 5 et 6 de la centrale nucléaire de Paks. La Hongrie fournira un montant supplémentaire de 2,5 milliards d’euros provenant de son propre budget afin de financer lesdits investissements.

8        La Hongrie ne transfèrera pas les fonds nécessaires pour payer le prix d’achat des deux nouveaux réacteurs sur les comptes de la société Paks II. La majeure partie de ces fonds sera détenue par la Vnesheconombank (banque de développement et des affaires économiques étrangères de Russie). Pour chaque étape considérée comme satisfaite, la société Paks II déposera une demande auprès de la banque de développement et des affaires économiques étrangères de Russie pour le paiement de 80 % du montant dû directement à JSC NIAEP. Elle déposera également une demande auprès de l’agence de gestion de la dette gouvernementale de Hongrie pour le paiement des 20 % restants.

9        Dans la décision attaquée, la Commission a constaté que la mesure notifiée constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et que les articles 107 et 108 TFUE étaient applicables même si l’investissement en cause entrait dans le champ d’application du traité Euratom. En ce qui concerne l’attribution directe de la construction des deux nouveaux réacteurs à l’entreprise JSC NIAEP, la Commission a considéré que celle-ci ne pouvait pas produire une distorsion supplémentaire de la concurrence et des échanges sur le marché pertinent, à savoir celui de l’électricité. Une procédure distincte aurait été conduite dans le cadre de laquelle le respect du droit de la passation des marchés publics par la Hongrie aurait été examiné. La Commission a estimé que la mesure en cause, visant à promouvoir l’énergie nucléaire, poursuivait un objectif d’intérêt commun consacré par le traité Euratom, tout en contribuant également à la sécurité de l’approvisionnement en électricité, et que toutes les distorsions potentielles étaient limitées et contrebalancées par l’objectif commun mis en évidence et poursuivi, qui devait être atteint de manière proportionnée, en particulier compte tenu des confirmations données par la Hongrie au cours de la procédure. La Commission a conclu que la mesure en cause, telle que modifiée par la Hongrie le 28 juillet 2016 et sous réserve des conditions énoncées à l’article 3 de la décision attaquée, était compatible avec le marché intérieur conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. L’article 3 de la décision attaquée oblige la Hongrie à prendre plusieurs mesures, afin de veiller à ce que la société Paks II respecte certaines obligations et restrictions concernant notamment sa stratégie d’investissement ou de réinvestissement, l’exploitation d’une plateforme de vente aux enchères et son autonomie juridique et structurelle.

 Conclusions des parties

10      La République d’Autriche, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

11      La Commission, soutenue par la République tchèque et la République slovaque, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal

–        rejeter le recours

–        condamner la République d’Autriche aux dépens.

12      La République française, la Hongrie, la République de Pologne et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord concluent à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

 En droit

13      La République d’Autriche invoque dix moyens au soutien de son recours. Par le premier moyen, elle fait valoir qu’une procédure de passation de marchés publics en vue de l’attribution des travaux de construction pour les deux nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks aurait dû être lancée. Le deuxième moyen est tiré d’une application erronée de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE en ce que la construction et la mise en service des deux nouveaux réacteurs ne visent pas à réaliser un objectif d’intérêt commun. Le troisième moyen est tiré d’une mauvaise application de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, fondée, d’une part, sur une délimitation incorrecte des « activités économiques » et, d’autre part, sur des suppositions erronées d’une défaillance des marchés. Le quatrième moyen vise à démontrer le caractère disproportionné de la mesure. Dans le cadre du cinquième moyen, la République d’Autriche avance que la mesure en cause entraîne des distorsions disproportionnées de la concurrence et des inégalités de traitement qui sont incompatibles avec le marché intérieur. Par le sixième moyen, la République d’Autriche fait valoir que la mesure en cause constitue un investissement dans un « projet en difficulté », ce qui fausse également la concurrence d’une manière disproportionnée, car les lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté autre que les établissements financiers (JO 2014, C 249, p. 1, ci-après les « lignes directrices sur les entreprises en difficulté ») n’ont pas été respectées. Le septième moyen est tiré du renforcement ou de la création d’une position dominante sur le marché de l’électricité. Le huitième moyen vise un risque de liquidité pour le marché de gros d’électricité hongrois. Le neuvième moyen est tiré de la détermination insuffisante de l’aide d’État. Le dixième moyen est tiré d’une violation de l’obligation de motivation.

14      La République d’Autriche a, lors de l’audience, renoncé aux deuxième et troisième moyens, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience. Il s’ensuit qu’il n’y a plus lieu d’examiner lesdits moyens.

 Sur le premier moyen, tiré de l’absence d’une procédure de passation de marché public

15      Par son premier moyen, la République d’Autriche fait valoir que la décision attaquée est entachée d’une illégalité dans la mesure où une procédure de passation de marché public pour la construction des nouveaux réacteurs nucléaires en faveur de la société Paks II n’a pas été lancée. Elle soutient que le fait que JSC NIAEP ait été directement chargée du développement et de la construction des deux nouveaux réacteurs sans procédure d’appel d’offres public constitue une violation de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65), et de la directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE (JO 2014, L 94, p. 243). Dès lors, la décision attaquée serait nulle en raison de la violation de dispositions fondamentales du droit de la passation des marchés publics dont le respect est indissociable de l’objet de l’aide.

16      La République d’Autriche fait valoir que, selon l’économie générale du traité FUE, la procédure d’aide ne doit jamais aboutir à un résultat contraire aux dispositions spécifiques de ce traité. Le respect des dispositions du traité autres que celles relatives aux aides d’État s’imposerait particulièrement dans l’hypothèse où ces autres dispositions visent également, comme le droit de la passation des marchés publics, à assurer une concurrence non faussée dans le marché intérieur et à garantir une utilisation efficace des ressources d’État.

17      Le caractère contraire au droit de l’Union européenne des modalités de l’aide qui sont indissociables de l’objet et de la finalité de cette dernière affecterait nécessairement la compatibilité de cette dernière avec le marché intérieur. Il n’en irait autrement que pour les éléments de l’aide pouvant être considérés comme n’étant pas nécessaires à la réalisation de son objectif ou à son fonctionnement.

18      En l’espèce, le fait d’avoir chargé JSC NIAEP du développement des nouveaux réacteurs constitue, selon la République d’Autriche, une modalité indissociable de l’objet de l’aide. Une mise en concurrence des concurrents aurait pu aboutir à une aide totalement différente, notamment au regard du montant et de la structure de celle-ci.

19      Le fait que ce ne soit pas JSC NIAEP, mais la société Paks II, qui, en tant que future propriétaire et exploitante des deux nouveaux réacteurs nucléaires, est la bénéficiaire de l’aide est, selon la République d’Autriche, dénué de pertinence dans ce contexte. La Commission aurait nié à tort, aux considérants 281 et 283 de la décision attaquée, le caractère indissociable du lien entre l’attribution directe du marché de construction, d’une part, et l’objet et la finalité de l’aide, d’autre part, en invoquant l’argument selon lequel la violation potentielle de la directive 2014/25 n’aurait pas permis de constater de distorsions supplémentaires de la concurrence ni des échanges sur le marché de l’électricité, une telle distorsion supplémentaire n’étant nullement exigée.

20      La République d’Autriche, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, ajoute que, en tout état de cause, à la lumière de l’arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C‑594/18 P, EU:C:2020:742), il importerait peu, dans le cas de l’aide litigieuse, de savoir s’il s’agit d’une « modalité indissociable » ou même d’une « modalité » de l’aide, dès lors que, de manière générale, une aide d’État qui viole des dispositions ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur. Il s’ensuivrait que la Commission aurait dû, dans la décision attaquée, apprécier la mesure au regard des dispositions du droit de l’Union sur la passation de marchés publics. Elle aurait alors dû constater que, le marché de construction n’étant pas exclu du champ d’application de la directive 2014/25 en vertu de l’article 20, paragraphe 1, ou de l’article 50, sous c), de cette dernière, l’attribution directe du marché de construction constituait une violation grave de cette directive.

21      La violation des dispositions contraignantes de la directive 2014/25 serait déjà, en tant que telle, de nature à influencer l’importance et la forme de l’aide en faveur de la société Paks II, de sorte que la décision attaquée serait, pour cette raison également, illégale.

22      Premièrement, la République d’Autriche critique le fait que la Commission se réfère, au considérant 285 de la décision attaquée, à la procédure en manquement qu’elle a engagée. Selon la République d’Autriche, le résultat de la procédure en manquement ne préjuge ni du résultat de la procédure au titre de l’article 108 TFUE, ni de celui du présent recours. La Commission ne pourrait faire dépendre l’examen des modalités d’une aide, qu’elle est tenue d’apprécier dans le cadre de l’article 108 TFUE, du résultat d’une procédure au titre de l’article 258 TFUE dont l’introduction et la poursuite dépendent de son pouvoir d’appréciation.

23      Deuxièmement, selon la République d’Autriche, la Commission n’explique pas les raisons pour lesquelles elle part du principe que les conditions d’application de l’article 50, sous c), de la directive 2014/25, qui concernent la possibilité de recourir à une procédure négociée sans publication préalable, sont réunies. La République d’Autriche rappelle que les exceptions doivent faire l’objet d’une interprétation stricte. De plus, la charge de la preuve incomberait à la partie qui se prévaut de l’exception en cause.

24      La Commission, la Hongrie, la République tchèque, le Royaume-Uni et la République française contestent les arguments de la République d’Autriche et du Grand-Duché de Luxembourg.

25      En premier lieu, il y a lieu de constater que la Commission a, dans la section 5.3.2 de la décision attaquée (considérants 279 à 287), vérifié la conformité de l’aide à des dispositions du droit de l’Union autres que les règles en matière d’aides d’État. Selon le considérant 280 de la décision attaquée, la Commission est partie du principe qu’elle était tenue, en vertu de l’économie générale du traité FUE, de respecter la cohérence entre les dispositions régissant les aides d’État et les dispositions spécifiques autres que celles relatives aux aides d’État et, ainsi, d’apprécier la compatibilité de l’aide en cause avec ces dispositions spécifiques, mais qu’une telle obligation s’imposait à elle uniquement s’agissant des modalités d’une aide à ce point indissolublement liées à l’objet de l’aide qu’il ne serait pas possible de les apprécier isolément. En se référant à l’arrêt du 3 décembre 2014, Castelnou Energía/Commission (T‑57/11, EU:T:2014:1021), elle a précisé qu’une obligation pour elle de prendre position de manière définitive, quel que soit le lien entre la modalité de l’aide et l’objet de l’aide en cause, dans le cadre d’une procédure en matière d’aides, sur l’existence ou l’absence d’une violation des dispositions du droit de l’Union distinctes de celles relevant des articles 107 et 108 TFUE se heurterait, d’une part, aux règles et aux garanties procédurales – en partie très divergentes et impliquant des conséquences juridiques distinctes – qui sont propres aux procédures spécialement prévues pour le contrôle de l’application de ces dispositions et, d’autre part, au principe d’autonomie des procédures administratives et des voies de recours. Selon cette jurisprudence, il en résulterait que, si la modalité d’aide en cause est indissolublement liée à l’objet de l’aide, sa conformité aux dispositions autres que celles relatives aux aides d’État sera appréciée par la Commission dans le cadre de la procédure prévue par l’article 108 TFUE et cette appréciation pourra aboutir à une déclaration d’incompatibilité de l’aide concernée avec le marché intérieur. En revanche, si la modalité en cause peut être détachée de l’objet de l’aide, la Commission ne se voit pas tenue d’apprécier sa conformité aux dispositions autres que celles relatives aux aides d’État dans le cadre de cette procédure.

26      La Commission a ensuite considéré, au considérant 281 de la décision attaquée, que l’évaluation de la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur pourrait être affectée par un éventuel non-respect de la directive 2014/25 si elle produisait une distorsion supplémentaire de la concurrence et des échanges sur le marché de l’électricité, ce dernier étant le marché sur lequel le bénéficiaire de l’aide, la société Paks II, serait actif. Un tel effet de distorsion supplémentaire qui serait dû au non-respect de la directive 2014/25 n’ayant pas été établi, il n’y aurait pas de « lien indissociable » entre la violation éventuelle de la directive 2014/25 et l’objet de l’aide, de sorte que l’évaluation de la compatibilité de l’aide ne saurait être affectée par cette violation éventuelle (considérants 283 et 284 de la décision attaquée).

27      S’agissant des arguments de la République d’Autriche tirés de l’arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C‑594/18 P, EU:C:2020:742), premièrement, il y a lieu de constater qu’il ressort notamment des points 40, 44 et 45 de cet arrêt que l’activité économique promue par l’aide doit être compatible avec le droit de l’Union. Or, aucune violation de dispositions du droit de l’Union du fait de l’activité soutenue, à savoir la production d’énergie nucléaire, n’a été invoquée dans le cadre du premier moyen.

28      Deuxièmement, aucune conséquence ne peut être tirée du fait que la Cour n’a pas examiné, dans son arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C‑594/18 P, EU:C:2020:742), l’existence d’un lien indissociable. En effet, ce fait s’explique par la circonstance que, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la prétendue violation de principes du droit de l’Union découlait de l’objet même de l’aide, à savoir le développement d’une centrale de production d’électricité d’origine nucléaire. Ainsi, la question de l’existence d’un lien avec une modalité de l’aide, distincte de son objet, ne se posait pas.

29      Troisièmement, contrairement à ce que fait valoir la République d’Autriche, il ne ressort pas de l’arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C‑594/18 P, EU:C:2020:742), que la Cour aurait entendu élargir l’étendue du contrôle qui incombait à la Commission dans le cadre d’une procédure visant à vérifier la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur. En effet, c’est en faisant référence à l’arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast (C‑390/06, EU:C:2008:224, points 50 et 51), que la Cour a rappelé, au point 44 de l’arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C‑594/18 P, EU:C:2020:742), qu’elle avait déjà jugé qu’une aide d’État qui violait des dispositions ou des principes généraux du droit de l’Union ne pouvait être déclarée compatible avec le marché intérieur. Ce principe s’inscrit effectivement dans une jurisprudence constante de la Cour, comme en témoignent les références contenues au point 50 de l’arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast (C‑390/06, EU:C:2008:224).

30      Par conséquent, étant donné que, au point 44 de l’arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C‑594/18 P, EU:C:2020:742), la Cour a fait référence à une jurisprudence constante, rien ne permet de conclure qu’elle a entendu abandonner sa jurisprudence selon laquelle il convenait d’opérer une distinction entre les modalités présentant un lien indissociable avec l’objet de l’aide et celles qui n’en avaient pas.

31      Par ailleurs, une obligation de la Commission de prendre position de manière définitive, quel que soit le lien entre la modalité d’aide et l’objet de l’aide en cause, dans le cadre d’une procédure en matière d’aides, sur l’existence ou l’absence d’une violation des dispositions du droit de l’Union distinctes de celles relevant des articles 107 et 108 TFUE, se heurterait, d’une part, aux règles et aux garanties procédurales – en partie très divergentes et impliquant des conséquences juridiques distinctes – qui sont propres aux procédures spécialement prévues pour le contrôle de l’application de ces dispositions et, d’autre part, au principe d’autonomie des procédures administratives et des voies de recours (arrêt du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission, T‑289/03, EU:T:2008:29, points 313 et 314 ; voir, également, arrêt du 3 décembre 2014, Castelnou Energía/Commission, T‑57/11, EU:T:2014:1021, point 183 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 15 juin 1993, Matra/Commission, C‑225/91, EU:C:1993:239, point 44).

32      Doit ainsi être rejetée l’interprétation de la République d’Autriche selon laquelle, au vu de l’arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C‑594/18 P, EU:C:2020:742), la Commission est désormais tenue de vérifier à l’égard de toute modalité de l’aide ou toute circonstance en relation avec l’aide, même si elle ne présente pas de lien indissociable avec celle-ci, qu’elle ne viole aucune disposition ou principe général du droit de l’Union.

33      Il y a lieu d’ajouter que, dans une situation où, comme dans la présente affaire, sont en cause deux procédures distinctes qui relèvent toutes deux de la compétence de la Commission et dont celle-ci doit respecter les règles respectives, surgirait un risque de contradiction ou de violation des règles desdites procédures si la Commission était tenue d’apprécier la même modalité de l’aide tant dans le cadre de la procédure concernant l’autorisation de l’aide en cause que dans le cadre d’une procédure de manquement.

34      Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’elle a estimé qu’il convenait de limiter son contrôle, dans le cadre de la procédure de l’article 108 TFUE, à la mesure d’aide elle-même ainsi qu’aux modalités présentant un lien indissociable avec celle-ci.

35      En deuxième lieu, c’est à tort que la République d’Autriche fait valoir que le fait d’avoir chargé JSC NIAEP de la construction des nouveaux réacteurs constitue une modalité indissociable de l’objet de l’aide, au motif qu’une mise en concurrence des concurrents aurait pu aboutir à une aide totalement différente, notamment au regard du montant et de la structure de cette dernière.

36      En l’espèce, l’aide en cause consiste en la mise à disposition à titre gratuit de deux nouveaux réacteurs nucléaires au profit de la société Paks II aux fins de leur exploitation. La question de savoir si l’attribution du marché de construction de ces deux réacteurs aurait dû faire l’objet d’une procédure d’appel d’offres concerne la fabrication et l’approvisionnement du bien qui sera mis à disposition à titre gratuit et se situe ainsi en amont de la mesure d’aide proprement dite. Ainsi, la décision d’attribution du marché de développement et de construction des deux nouveaux réacteurs ne constitue pas une modalité de l’aide elle-même.

37      La conduite d’une procédure de passation de marché public et l’éventuel recours à une autre entreprise pour la construction des réacteurs n’altérerait ni l’objet de l’aide, à savoir la mise à disposition à titre gratuit de deux nouveaux réacteurs aux fins de leur exploitation, ni le bénéficiaire de l’aide, qui est la société Paks II. Par ailleurs, une violation des règles relatives aux marchés publics produirait des effets uniquement sur le marché des travaux de construction de centrales nucléaires et ne saurait avoir des conséquences sur le marché visé par l’objet de la mesure d’aide litigieuse.

38      S’agissant de l’influence de l’absence d’une procédure d’appel d’offres public sur le montant de l’aide, c’est à bon droit que la Commission, la Hongrie et la République française font valoir qu’il n’a pas été démontré que d’autres soumissionnaires auraient pu fournir les deux réacteurs de la technologie VVER 1200 à de meilleures conditions ou à un prix inférieur. En outre, c’est également à bon droit que la Commission relève que la légalité de sa décision en matière d’aides d’État ne dépend pas du respect des règles de l’Union en matière de passation de marchés publics lorsque le choix d’une autre entreprise pour la construction des réacteurs ne modifierait pas l’appréciation au regard des règles relatives aux aides d’État. En effet, même dans l’hypothèse où le recours à une procédure d’appel d’offres aurait pu altérer le montant de l’aide, cette circonstance n’aurait eu en soi aucune conséquence sur l’avantage que ladite aide constituait pour son bénéficiaire, la société Paks II, étant donné que cet avantage consistait en la mise à disposition gratuite de deux nouveaux réacteurs en vue de leur exploitation. Par conséquent, une augmentation ou une diminution du montant de l’aide ne se traduit pas, en l’espèce, par une modification de l’aide proprement dite ni par une modification de son effet anticoncurrentiel.

39      Il s’ensuit que c’est à juste titre que la Commission a estimé que l’attribution du marché de construction des deux nouveaux réacteurs ne constituait pas une modalité de l’aide qui présentait un lien indissociable avec celle-ci.

40      En troisième lieu, s’agissant de l’argument de la République d’Autriche selon lequel la décision d’attribuer le marché de construction à JSC NIAEP a violé les dispositions de la directive 2014/25, ce marché n’étant pas exclu de son champ d’application en vertu de son article 20, paragraphe 1, ou de son article 50, sous c), il y a lieu de constater que la Commission a traité la question de l’applicabilité de la directive 2014/25 au considérant 285 de la décision attaquée. En ce qui concerne la question de savoir si le droit de l’Union prévoit une obligation d’engager une procédure d’appel d’offres pour le marché de l’ingénierie, de l’achat et de la construction des deux nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks, la Commission y a relevé que, en tout état de cause, le respect, par la Hongrie, de la directive 2014/25 avait été évalué par elle dans le cadre d’une procédure distincte, dans laquelle la conclusion préliminaire posée à partir des informations disponibles était que les procédures établies par la directive 2014/25 étaient inapplicables à l’attribution des travaux de construction de deux réacteurs sur la base de son article 50, sous c).

41      Contrairement à ce que fait valoir la République d’Autriche, c’est à juste titre que la Commission a considéré, dans l’intérêt de la cohérence des résultats de l’examen de la compatibilité de l’aide et de la procédure en manquement, qu’elle pouvait renvoyer à son appréciation effectuée dans le cadre de la procédure en manquement.

42      En effet, la Commission avait acquis la conviction, dans le cadre de la procédure en manquement, que l’attribution directe de la construction des deux nouveaux réacteurs ne violait pas le droit de l’Union en matière de passation de marchés publics. Cette conviction était fondée sur une analyse approfondie des exigences techniques que la Hongrie avait invoquées pour justifier l’absence d’une procédure d’appel d’offres.

43      Dans sa réponse aux questions écrites que le Tribunal lui a posées au titre d’une mesure d’organisation de la procédure, la Commission a confirmé que la « procédure distincte » visée au considérant 285 de la décision attaquée était la procédure en manquement NIF 2015/4231-32 engagée à l’encontre de la Hongrie au titre de l’article 258 TFUE. Dans le cadre de cette procédure et sur la base des informations fournies par les autorités hongroises compétentes, elle aurait conclu que l’attribution directe à la société JSC NIAEP des travaux de construction des deux réacteurs 5 et 6 pouvait être effectuée sans mise en concurrence préalable, car, pour des raisons techniques, il n’aurait pas existé de concurrence, de sorte que l’article 40, paragraphe 3, sous c), ii), de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JO 2004, L 134, p. 1) [devenu article 50, sous c), ii), de la directive 2014/25] était pertinent.

44      La réponse de la Commission est confirmée par la documentation présentée à cet égard à la suite de ladite mesure d’organisation de la procédure, notamment par deux « fiches NIF », portant les numéros 2015/4231 et 2015/4232 et exposant les raisons de la clôture de la procédure NIF 2015/4231‑32. Il en ressort notamment que la Commission a considéré que l’argument selon lequel le marché pouvait être attribué directement au contractant pour des raisons techniques [article 40, paragraphe 3, sous c), de la directive 2004/17] était justifié pour les parties essentielles du projet.

45      Il ressort également du même document présenté dans l’annexe X.5 que la Hongrie s’est engagée envers la Commission à suivre une procédure de marché public à l’égard de la plupart des autres parties du projet de manière transparente et en respectant les principes de base de traitement égal et de non-discrimination. Lors de l’audience, la Commission a expliqué que cet engagement pris par la Hongrie était reflété au considérant 372 de la décision attaquée, qu’il conviendrait de lire conjointement avec son considérant 285.

46      En outre, il ressort des documents présentés dans les annexes X.1 à X.3 que le Centre commun de recherche (JRC) de la Commission et les experts de la direction générale « Énergie » ont confirmé la singularité technique du réacteur VVER 1200 produit par Rosatom et choisi par la Hongrie selon son choix légitime caractérisé par des critères rationnels.

47      Par ailleurs, il ne saurait être admis que, au titre de la procédure relative à la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur, toutes les décisions prises antérieurement et qui ont déjà fait l’objet d’une procédure distincte, régie par des règles spécifiques au sens de l’arrêt du 15 juin 1993, Matra/Commission (C‑225/91, EU:C:1993:239, point 44), et différentes de celles applicables en matière d’aide d’État, soient remises en cause. Le principe de sécurité juridique s’oppose à ce que la Commission réexamine l’attribution du marché de construction dans le cadre de la procédure d’aide d’État tout en ne disposant pas de nouvelles informations par rapport au moment auquel elle a décidé de clore la procédure en manquement. À cet égard, la Commission a confirmé, dans sa réponse à une question posée par le Tribunal, que, au moment de l’adoption de la décision attaquée, à savoir le 6 mars 2017, elle disposait des mêmes informations que celles ayant étayé sa décision du 17 novembre 2016 de mettre fin à la procédure de manquement menée à l’encontre de la Hongrie du fait de l’attribution directe du marché de construction à JSC NIAEP.

48      Ne peut pas non plus prospérer l’argument de la République d’Autriche selon lequel la procédure en manquement ne peut préjuger de l’appréciation d’une éventuelle violation du droit des marchés publics dans le cadre de la procédure relative à l’aide d’État, dans la mesure où la procédure en manquement est régie par le principe de l’opportunité. En effet, le fait que la procédure en manquement soit régie par le principe de l’opportunité est sans pertinence étant donné que la Commission a effectivement engagé une telle procédure dans le cadre de laquelle elle a procédé à une analyse des raisons techniques sur lesquelles s’appuyait la Hongrie et à l’issue de laquelle elle est parvenue à la conclusion selon laquelle les conditions de l’article 50, sous c), de la directive 2014/25 étaient remplies. Lors de l’audience, la Commission a précisé que la notion d’opportunité, employée dans la décision de clore la procédure en manquement, renvoyait au moment de la décision et non à son contenu. En réponse à la troisième question posée dans le cadre de la mesure d’organisation de la procédure, la Commission a en outre précisé que le résultat de cette procédure avait été qualifié de « conclusion préliminaire » au considérant 285 de la décision attaquée, uniquement en raison de sa possibilité d’ouvrir à tout moment une nouvelle procédure de même nature sur la base de nouvelles informations.

49      Il s’ensuit que c’est sans commettre d’erreur de droitque la Commission s’est appuyée, en tout état de cause, sur le résultat de la procédure en manquement pour les besoins de la décision attaquée.

50      Il ressort de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le quatrième moyen,  tiré du caractère disproportionné de la mesure d’aide en cause

51      À l’appui de son quatrième moyen, qui s’articule en trois branches, la République d’Autriche fait valoir que la Commission est parvenue, à la section 5.3.7 de la décision attaquée, à des conclusions erronées quant au caractère proportionné de l’aide, notamment en ce qui concerne l’affirmation selon laquelle la mesure est limitée au minimum permettant l’exécution réussie du projet pour la réalisation de l’objectif d’intérêt commun poursuivi. Dès lors, selon la République d’Autriche, l’aide autorisée s’avère incompatible avec le marché intérieur.

52      La Commission, soutenue par la Hongrie, relève qu’elle a vérifié, à la section 5.3.7 de la décision attaquée, que l’aide était limitée au minimum et que la République d’Autriche n’a invoqué aucune erreur manifeste concernant son examen.

 Sur la première branche, tirée d’un examen incomplet du caractère nécessaire de la mesure en cause

53      La République d’Autriche fait valoir que, en l’absence d’un appel d’offres pour la construction des nouveaux réacteurs, la proportionnalité de l’aide n’est pas garantie en ce qu’il ne peut être garanti que le montant de l’aide accordée soit limité au minimum nécessaire à l’exécution du projet. À cet égard, la République d’Autriche fait référence aux lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020 (JO 2014, C 200, p. 1, ci-après les « lignes directrices AEE »), dont les points 69 et suivants prévoient que des aides sont considérées comme proportionnées lorsqu’elles sont limitées au minimum nécessaire. Ni l’absence de surcompensation ni l’obligation de remboursement des bénéfices ne seraient pertinentes pour la question de savoir si l’aide accordée à la société Paks II est limitée au minimum nécessaire.

54      La Commission, soutenue par la Hongrie et le Royaume-Uni, estime que, d’une part, une procédure d’appel d’offres n’est pas nécessaire pour que l’aide soit limitée au minimum et, d’autre part, la République d’Autriche n’a pas prouvé que d’autres fournisseurs auraient pu fournir les deux réacteurs de la technologie VVER 1200 à un prix inférieur.

55      À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, pour être compatible avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, une mesure d’aide doit être appropriée et nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt public poursuivi et, par ailleurs, l’altération des conditions des échanges et le faussement de la concurrence qu’elle cause ne doivent pas être démesurés par rapport aux effets positifs qui en résultent (voir arrêt du 12 juillet 2018, Autriche/Commission, T‑356/15, EU:T:2018:439, point 370 et jurisprudence citée).

56      En ce qui concerne l’étendue du contrôle que le Tribunal doit effectuer dans le présent contexte, il convient de rappeler que la Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation dans le cadre de l’application de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. Partant, le contrôle effectué par le Tribunal est limité (arrêt du 12 juillet 2018, Autriche/Commission, T‑356/15, EU:T:2018:439, point 372).

57      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les arguments de la République d’Autriche.

58      En premier lieu, si l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE exige que l’aide soit limitée au minimum, il ne s’ensuit pas pour autant que la conduite d’un appel d’offres est une condition de la proportionnalité d’une mesure d’aide.

59      En effet, la procédure d’appel d’offres n’est qu’un moyen parmi d’autres pour limiter une aide au minimum nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi. Aucune des références avancées par la République d’Autriche ne permet de conclure à une obligation absolue d’effectuer une procédure d’appel d’offres pour garantir que l’aide soit limitée au minimum.

60      Premièrement, la République d’Autriche se réfère aux lignes directrices AEE. Or, elle ne soutient pas que les lignes directrices AEE exigent d’effectuer une procédure d’appel d’offres pour garantir que l’aide soit limitée au minimum ni qu’il s’agirait d’une condition nécessaire. En effet, les lignes directrices AEE se limitent à préciser, au point 87, que, pour les aides au fonctionnement octroyées à l’issue d’une procédure de mise en concurrence, la proportionnalité de l’aide individuelle est réputée démontrée si les conditions générales sont remplies.

61      Deuxièmement, si la Commission a, depuis le 1er janvier 2017, lié, au point 126 des lignes directrices AEE, l’octroi des aides en faveur de l’électricité produite à partir des sources d’énergie renouvelable à la conduite d’un appel d’offres, c’est à bon droit qu’elle relève que, même dans ce cas de figure des aides au fonctionnement, cette exigence n’est pas absolue, comme en témoignent les exceptions prévues au point 126, ainsi que les points 127 et 128 des lignes directrices AEE.

62      Troisièmement, il ressort de l’annexe 1 des lignes directrices AEE que, même en l’absence d’une mise en concurrence, une aide est considérée comme pouvant être proportionnée.

63      Par conséquent, la République d’Autriche est restée en défaut d’identifier une quelconque règle qui aurait imposé à la Commission d’exiger un appel d’offres pour assurer la proportionnalité de l’aide.

64      En second lieu, c’est à juste titre que la Commission avance que l’affirmation de la République d’Autriche selon laquelle la construction des réacteurs aurait pu être réalisée à moindre coût et avec moins d’aides si une mise en concurrence avait eu lieu n’a pas été étayée par des éléments de preuve. Si, d’après l’évaluation du marché qui a été effectuée par la Hongrie et vérifiée par la Commission, d’autres fournisseurs appropriés n’étaient pas disponibles, il appartenait à la République d’Autriche de fournir des éléments indiquant une solution alternative pour la construction des réacteurs en question.

65      En tout état de cause, la question de savoir si la mesure d’aide était limitée au minimum nécessaire pour atteindre le but recherché vise en réalité la question de savoir si la mise à disposition à titre gratuit des deux nouveaux réacteurs n’était pas disproportionnée, cette dernière faisant l’objet de l’aide litigieuse. En revanche, même si le prix de la construction des réacteurs avait pu être inférieur à l’issue d’une procédure de mise en concurrence, cette circonstance n’affecterait pas la valeur de l’aide pour le bénéficiaire ni l’avantage qu’elle lui confère.

66      Partant, il y a lieu de rejeter la première branche du quatrième moyen.

 Sur la deuxième branche du quatrième moyen, tirée d’une mise en balance insuffisante des effets positifs et négatifs de l’aide en cause

67      Selon la République d’Autriche, la Commission a omis de vérifier que les effets négatifs ne primaient pas sur les éventuels avantages de l’aide. L’approche applicable, fondée sur une économie de marché, exigerait d’effectuer un contrôle du caractère proportionné au sens large, lequel demanderait une mise en balance, comparant les conséquences positives de l’aide, comme la contribution à la réalisation de l’objectif visé, la suppression d’une défaillance du marché et la contribution au développement des activités économiques concernées, aux conséquences négatives de celle-ci, à savoir, notamment, les distorsions de la concurrence provoquées par l’aide et l’affectation des échanges. La Commission n’aurait pas, ou n’aurait pas dûment, tenu compte des « externalités négatives » résultant de la construction et de l’exploitation des deux nouveaux réacteurs nucléaires. Les effets sur l’environnement, notamment en ce qui concerne l’élimination des déchets, tout comme les conséquences considérables pour les consommateurs, par exemple en tant que contribuables, n’auraient pas été dûment pris en considération.

68      En outre, lorsque la Commission, au considérant 238 de la décision attaquée, a indiqué que les coûts du traitement des déchets et de fermeture associés directement à la centrale n’étaient pas définitivement établis et pouvaient varier vers le haut, elle aurait admis que les coûts concernés n’avaient pas été calculés et n’avaient, par conséquent, pas non plus pu être pris en considération dans le cadre d’une mise en balance. De plus, la décision attaquée ne prévoirait aucun mécanisme garantissant qu’une aide plus importante ne serait pas accordée après l’arrêt des nouveaux réacteurs nucléaires de Paks, en ce qui concerne le traitement des déchets.

69      La Commission, la Hongrie et la République slovaque estiment que la deuxième branche du quatrième moyen est non fondée.

70      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’exigence de préserver et d’améliorer l’environnement, exprimée notamment à l’article 37 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi qu’à l’article 11 et à l’article 194, paragraphe 1, TFUE, tout comme les règles du droit de l’Union en matière d’environnement ont vocation à s’appliquer dans le secteur de l’énergie nucléaire. Il s’ensuit que, lorsque la Commission vérifie si une aide d’État en faveur d’une activité économique appartenant à ce secteur satisfait à la première condition posée à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, selon laquelle l’aide doit être destinée à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, elle doit vérifier que ladite activité ne viole pas les règles du droit de l’Union en matière d’environnement. Si elle constate une violation de ces règles, elle est tenue de déclarer ladite aide incompatible avec le marché intérieur sans autre forme d’examen (arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C‑594/18 P, EU:C:2020:742, point 100).

71      S’agissant cependant de la question de savoir si une telle aide d’État satisfait à la seconde condition posée à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, selon laquelle cette aide ne doit pas altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun, celle-ci implique de mettre en balance les effets positifs de l’aide envisagée pour le développement des activités qu’elle vise à soutenir et les effets négatifs que peut avoir cette aide sur le marché intérieur. Or, l’article 26, paragraphe 2, TFUE indique que ce marché « comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions des traités ». Partant, l’examen de la seconde condition prévue à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE implique que la Commission prenne en considération les effets négatifs de l’aide d’État sur la concurrence et les échanges entre les États membres, mais n’exige pas de prendre en compte d’éventuels effets négatifs autres que ceux-ci (arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C‑594/18 P, EU:C:2020:742, point 101).

72      En ce qui concerne l’argument avancé par la République d’Autriche selon lequel la Commission n’a pas dûment pris en considération les effets sur l’environnement notamment en ce qui concernait l’élimination des déchets, il convient de relever que la Commission n’était donc pas obligée, lors de l’identification des effets négatifs de la mesure en cause, de tenir compte de la mesure dans laquelle celle-ci était défavorable à la réalisation des principes de protection de l’environnement invoqués par la République d’Autriche (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C‑594/18 P, EU:C:2020:742, point 102).

73      Par ailleurs, s’agissant de l’argument de la République d’Autriche tiré de ce que la Commission a admis, au considérant 238 de la décision attaquée, que les coûts du traitement des déchets nucléaires et de la fermeture des nouveaux réacteurs n’étaient pas fixes et pouvaient augmenter et de ce que, dès lors, les coûts concernés n’avaient pas été calculés et n’avaient, par conséquent, pas non plus pu être pris en considération dans le cadre d’une mise en balance, il convient de noter que la mesure d’aide déclarée compatible dans la décision attaquée porte uniquement sur la mise à disposition à titre gratuit de deux réacteurs d’une centrale nucléaire et ne porte pas sur une éventuelle aide d’État visant à couvrir les dépenses relatives à la gestion et au stockage des déchets (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C‑594/18 P, EU:C:2020:742, point 103).

74      Il en va de même en ce qui concerne la critique de la République d’Autriche selon laquelle la décision attaquée ne prévoirait aucun mécanisme garantissant qu’une aide plus importante, en ce qui concerne le traitement des déchets, ne serait pas accordée après l’arrêt des nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire. La question de savoir si une nouvelle aide sera accordée dans une nouvelle procédure n’est pas un élément dont il convient de tenir compte dans l’appréciation de la proportionnalité de la mesure, d’autant moins que la Commission a expressément indiqué qu’aucun soutien supplémentaire ne serait accordé durant l’exploitation des réacteurs 5 et 6. Dès lors, la circonstance qu’une nouvelle mesure d’aide puisse être nécessaire à l’avenir pour l’élimination des déchets nucléaires n’est pas en conflit avec la proportionnalité de la mesure d’aide examinée.

75      En outre, la République d’Autriche avance que la Commission n’a pas suffisamment pris en compte les conséquences négatives de la mesure en cause pour les consommateurs, qui devraient supporter le prix de ladite mesure, notamment en leur qualité de contribuables.

76      À cet égard, premièrement, il convient de préciser que, contrairement à ce que soutient la République d’Autriche, la Commission a tenu compte des intérêts des consommateurs d’électricité dans le cadre du contrôle de proportionnalité. En effet, elle a examiné les effets de la mesure en cause sur les prix de l’électricité et a constaté qu’il ne fallait pas s’attendre à des effets significatifs à cet égard. Selon le considérant 369 de la décision attaquée, il ressort de l’étude de Nera Economic Consulting (NERA) (ci-après l’« étude NERA ») que la construction des nouveaux réacteurs créera une pression des prix à la baisse sur le marché hongrois à l’avenir, parce que le coût marginal de l’électricité produite par les nouveaux réacteurs nucléaires est un coût relativement faible par rapport à la capacité alternative des turbines à gaz qui seraient autrement construites. Toutefois, selon la Commission, il ressort également de l’étude NERA que, après la mise en service des nouveaux réacteurs, la centrale nucléaire de Paks restera un preneur de prix et que les prix en Hongrie continueront à être fixés à des niveaux supérieurs par d’autres centrales. Par conséquent, les importations en Hongrie resteraient rentables. Au considérant 376 de la décision attaquée, la Commission a confirmé que ce constat était également valable pendant la période de chevauchement de l’exploitation des réacteurs anciens et nouveaux de la centrale nucléaire de Paks, « lorsque la probabilité pour que le nucléaire soit la technologie de fixation des prix [serait] inférieure à 5 % à toute heure ».

77      Or, en ce qui concerne l’étude NERA, la République d’Autriche n’a pas soulevé de critiques à cet égard ni démontré de vices éventuels de cette étude.

78      Deuxièmement, en ce qui concerne les conséquences négatives de la mesure en cause pour les consommateurs en leur qualité de contribuables, il y a lieu de rappeler que l’examen de la seconde condition prévue à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE implique que la Commission prenne en considération les effets négatifs de l’aide d’État sur la concurrence et les échanges entre les États membres, mais n’exige pas de prendre en considération d’éventuels effets négatifs autres que ceux-ci (arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C‑594/18 P, EU:C:2020:742, point 101). Or, il ne ressort pas de la requête en quoi une éventuelle charge pour les contribuables hongrois produite par la présente mesure aurait un impact sur la concurrence et les échanges entre les États membres.

79      Il convient donc de conclure que la deuxième branche du quatrième moyen n’est pas fondée.

 Sur la troisième branche du quatrième moyen, tirée de l’absence d’une prise en compte des solutions de remplacement de l’énergie nucléaire

80      La République d’Autriche soutient que la Commission n’a pas suffisamment examiné l’existence d’autres moyens pour couvrir le besoin en électricité hongrois dans les années à venir. Si un secteur libéralisé comme celui de l’électricité devrait en principe fonctionner sans soutien étatique ou avec un soutien étatique plus réduit, le montant de la mesure d’aide s’avérerait disproportionné.

81      La Commission, la Hongrie et la République slovaque contestent cet argument.

82      À cet égard, premièrement, il convient de rappeler qu’il ressort de l’article 194, paragraphe 2, second alinéa, TFUE ainsi que de l’article 1er, deuxième alinéa, de l’article 2, sous c), et de l’article 192, premier alinéa, du traité Euratom qu’un État membre est libre de déterminer la composition de son bouquet énergétique (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C‑594/18 P, EU:C:2020:742, points 79 et 80). Partant, le choix de la Hongrie d’octroyer une aide en faveur de la promotion de l’énergie nucléaire ne saurait, à lui seul, être remis en cause, en dépit du fait qu’il implique que les ressources publiques consacrées à ce projet ne sont pas disponibles pour d’autres projets.

83      En outre, eu égard à l’article 2, sous c), et à l’article 192, premier alinéa, du traité Euratom, la Hongrie était également en droit de définir la construction de nouvelles capacités de production d’énergie nucléaire comme un objectif d’intérêt public au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2018, Autriche/Commission, T‑356/15, EU:T:2018:439, points 371 et 507).

84      Si, en conformité avec ses compétences, la Hongrie a choisi de garantir son approvisionnement en énergie par la production d’énergie nucléaire, il est d’emblée exclu que des aides pour les énergies renouvelables soient appropriées pour réaliser cet objectif spécifique. Dès lors, comme le notent à juste titre la Hongrie et la République slovaque, la Commission n’avait pas l’obligation d’effectuer, dans le cadre de l’examen de la proportionnalité de la mesure d’aide en cause, une analyse des solutions de remplacement pour la couverture du besoin en électricité hongrois dans les années à venir, mais devait se limiter à apprécier si la mesure concernée était de nature à réaliser l’objectif poursuivi par l’État membre et s’il existait une mesure moins contraignante dans le secteur énergétique que celle que ce dernier avait choisie.

85      Deuxièmement, la République d’Autriche n’invoque aucun élément visant à démontrer que, en raison de l’octroi des mesures en cause en faveur de la société Paks II, la Hongrie ne serait pas capable de satisfaire à ses obligations résultant du droit de l’Union en ce qui concerne la protection de l’environnement.

86      Eu égard à ces considérations, il convient de rejeter l’argument de la République d’Autriche tiré de ce que la Commission n’a pas suffisamment tenu compte du fait que le projet de développement des nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks restreignait les moyens publics et empêchait la poursuite de projets d’exploitation et de développement des sources d’énergie renouvelable ainsi que, de ce fait, l’ensemble des arguments tirés de ce que la Commission a omis de tenir compte de facteurs pertinents.

87      Dès lors, il convient d’écarter l’ensemble des arguments visant la mise en balance des effets positifs et négatifs de l’aide en cause ainsi que les arguments visant le caractère nécessaire de ladite aide, tout comme les arguments tirés de l’absence d’une prise en compte des solutions de remplacement de l’énergie nucléaire avancés dans le cadre du quatrième moyen. La République d’Autriche n’a ainsi pas démontré que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en évaluant la proportionnalité de l’aide en cause.

88      Partant, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen dans son ensemble.

 Sur le cinquième moyen, tiré de l’existence de distorsions disproportionnées de la concurrence et dinégalités de traitement qui rendraient l’aide incompatible avec le marché intérieur

89      Dans le cadre du cinquième moyen, la République d’Autriche soutient que l’aide est incompatible avec le marché intérieur en ce que son allocation produit des distorsions disproportionnées de la concurrence et des inégalités de traitement qui conduisent à l’éviction des producteurs d’énergie renouvelable du marché intérieur libéralisé de l’électricité.

90      En premier lieu, la République d’Autriche invoque des inégalités de traitement sous deux aspects, à savoir un aspect d’origine technique et un aspect d’origine régulatrice.

91      Premièrement, le subventionnement important de la mise à disposition de capacités de charge de base élevées provenant de l’énergie nucléaire désavantagerait les producteurs d’électricité alternative moins coûteuse, qui seraient obligés de réduire artificiellement leurs injections dans le réseau afin de ne pas compromettre la stabilité de ce dernier en cas de surcapacités temporaires sur le marché de l’électricité. L’aide en cause entraînerait ainsi des distorsions structurelles de la concurrence à long terme et des évictions de producteurs du marché intérieur libéralisé de l’électricité. Les réductions artificielles de la production affecteraient également les producteurs transfrontaliers exportant leur électricité vers la Hongrie.

92      Deuxièmement, la République d’Autriche soutient que, en l’espèce, tous les coûts entraînés par la planification, la construction, le financement extérieur et la mise en service d’un projet non compétitif et non rentable sont supportés par l’État, tandis que les producteurs d’énergie renouvelable bénéficient d’aides considérablement moins importantes et seulement à condition de respecter des conditions de compatibilité bien plus strictes, telles que définies dans les lignes directrices AEE. Il en résulterait une inégalité de traitement sous l’angle du droit des aides entre des producteurs du même produit qui sont en concurrence sur le même marché.

93      En second lieu, la République d’Autriche fait valoir que l’aide accordée à la société Paks II fausse également la concurrence au motif qu’elle est en contradiction avec des principes directeurs essentiels de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO 2009, L 211, p. 55), et, notamment, avec l’objectif de création de conditions de concurrence équitables pour toutes les entreprises d’électricité établies dans l’Union ainsi qu’avec l’objectif de fournir aux consommateurs de l’énergie au prix le plus compétitif possible.

94      En outre, la décision attaquée aurait valeur de précédent pour d’autres aides importantes en faveur d’autres centrales nucléaires, qui pourraient fausser de manière structurelle et disproportionnée la concurrence dans l’ensemble du marché intérieur de l’électricité.

95      Enfin, si, selon la décision attaquée, l’appréciation isolée de chaque aide individuelle ne serait pas dommageable pour la concurrence, même avec un ordre de grandeur de 12,5 milliards d’euros, toutes les aides seraient, au final, automatiquement compatibles avec le marché intérieur.

96      La Commission et la Hongrie contestent les arguments de la République d’Autriche.

97      En premier lieu, s’agissant du reproche de la République d’Autriche concernant le traitement inégal à l’égard des producteurs d’énergie renouvelable fondé, notamment, sur les principes directeurs de la directive 2009/72, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé qu’un État membre était libre de déterminer la composition de son bouquet énergétique (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C‑594/18 P, EU:C:2020:742, points 79 et 80). Partant, la Commission ne peut exiger que les financements de l’État soient affectés aux sources d’énergie alternatives. Il s’ensuit également qu’il ne peut être imposé à un État membre de prévoir des conditions de financement ou d’exploitation absolument identiques pour tous les producteurs d’énergie. Cette exigence exclurait par ailleurs toute aide à un projet précis de production d’énergie.

98      En deuxième lieu, comme l’a relevé à juste titre la Commission, la menace d’une certaine distorsion de la concurrence est inhérente à toute aide. Elle doit ainsi être acceptée, jusqu’à un certain point, dans le cadre de l’appréciation de la compatibilité d’une aide destinée à faciliter le développement de certaines activités avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, la limite étant dépassée si cette aide altère les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun.

99      Au considérant 391 de la décision attaquée, la Commission est parvenue à la conclusion selon laquelle les effets négatifs résultant éventuellement de l’aide en cause seraient au moins compensés par l’objectif d’intérêt commun poursuivi. L’ordre de grandeur de 12,5 milliards d’euros de cette aide constitue un élément devant être pris en compte dans le cadre de la mise en balance. Toutefois, pris isolément, cet élément ne saurait être décisif. Dans la mesure où il s’agit uniquement des coûts d’investissement dans deux nouveaux réacteurs visant à remplacer les quatre anciens réacteurs qui seront graduellement arrêtés en raison de leur âge, une aide au fonctionnement n’étant pas prévue, l’effet sur le marché de l’énergie ne sera que limité.

100    En effet, la Commission a exposé de façon motivée quelles parts de marché pouvaient être atteintes, d’une part, par la seule société Paks II après l’arrêt des anciens réacteurs et, d’autre part, par le groupe MVM et la société Paks II ensemble pendant la période limitée de l’opération parallèle sur le marché hongrois et, également, sur les marchés couplés de la Roumanie et de la Slovaquie. Comme le montre le graphique 10 figurant dans la décision attaquée, la part de la société Paks II sur ces marchés couplés ne dépassera pas 10 %. Les parts de marché communes du groupe MVM et de la société Paks II sur les marchés slovaque et roumain, couplés avec la Hongrie, ne dépasseraient, selon le même graphique, pas 20 %. Par conséquent, les effets des deux nouveaux réacteurs auront une portée limitée sur la répartition des parts de marché.

101    En ce qui concerne les intérêts des consommateurs de l’énergie d’obtenir le prix le plus compétitif possible, il convient de rappeler que, selon l’étude NERA, dont les résultats ne sont pas remis en question par la République d’Autriche, la centrale nucléaire de Paks restera un preneur de prix, ainsi qu’il ressort des considérants 113, 365, 369 et 376 de la décision attaquée. En effet, comme l’a expliqué la Commission, notamment au considérant 365 de la décision attaquée, les prix de l’électricité sont principalement déterminés par les coûts marginaux des producteurs participant à un certain marché. Les technologies renouvelables ont de faibles coûts marginaux, étant donné que la plupart d’entre elles peuvent opérer sans coûts de combustibles. La technologie nucléaire a également de faibles coûts de fonctionnement. En revanche, des technologies sur la base de combustibles, comme les centrales au charbon et les centrales de turbines à gaz, ont des coûts d’exploitation plus élevés et font ainsi augmenter le prix de l’électricité. Par conséquent, l’énergie nucléaire est un preneur de prix plutôt qu’un fixeur de prix. À cet égard, il n’y a donc pas de conflit entre l’aide en cause et les principes directeurs essentiels de la directive 2009/72 invoqués par la République d’Autriche.

102    De plus, dans la section 5.3.8.2 de la décision attaquée, la Commission a notamment examiné de façon approfondie les obstacles à l’entrée sur le marché pour de nouveaux acteurs. Cette question a notamment été analysée au vu des effets potentiels de la mesure sur le marché hongrois (considérants 357 à 365), de ses potentiels effets transfrontaliers (considérants 366 à 371) et des potentiels effets de l’exploitation parallèle des réacteurs anciens et nouveaux de la centrale nucléaire de Paks (considérants 372 à 376). La République d’Autriche n’a pas démontré d’erreurs manifestes dans cette appréciation. Dans la mesure où la République d’Autriche ne conteste pas, comme la Commission l’observe à juste titre, que la capacité des nouveaux réacteurs ne conduit pas à long terme à un accroissement de la capacité nucléaire installée totale en Hongrie, laquelle est estimée à 36 % de la consommation totale d’électricité, le remplacement des quatre réacteurs de la centrale nucléaire de Paks par deux réacteurs nouveaux produisant la même quantité d’énergie et financés grâce à l’aide à l’investissement en cause ne pourra pas causer une éviction considérable des producteurs d’énergie provenant d’autres sources.

103    En troisième lieu, il convient d’écarter l’argument de la République d’Autriche selon lequel la décision attaquée a une valeur de précédent pour d’autres aides importantes en faveur d’autres centrales nucléaires, qui pourront fausser de manière structurelle et disproportionnée la concurrence au sein du marché intérieur de l’électricité dans son ensemble. À cet égard, la Commission constate à bon droit que la valeur de précédent de la décision attaquée n’est pas un argument juridique, mais un argument politique qui ne saurait entraîner la nullité de cette décision.

104    Il résulte des considérations qui précèdent que le cinquième moyen n’est pas fondé et doit être rejeté.

 Sur le sixième moyen, tiré de l’illégalité d’une aide à une entreprise en difficulté

105    Par le sixième moyen, la République d’Autriche, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, fait valoir que la mesure en cause constitue un investissement dans un « projet en difficulté », ce qui fausserait la concurrence d’une manière disproportionnée, puisque les lignes directrices sur les entreprises en difficulté n’ont pas été prises en compte.

106    La République d’Autriche et le Grand-Duché de Luxembourg soutiennent, en substance, que, dans la présente affaire, la nécessité d’une aide d’État résulte du fait que l’investissement dans l’énergie nucléaire n’est pas rentable, de sorte que la Commission a méconnu le principe selon lequel aucune aide ne peut être accordée à des entreprises en difficulté. Étant donné que l’aide en cause n’a pas été examinée suivant les lignes directrices sur les entreprises en difficulté et qu’elle ne répond pas aux conditions prévues dans lesdites lignes directrices, elle n’aurait pas dû être autorisée sur la base de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

107    La République d’Autriche avance que, bien que, dans le cadre de la procédure de contrôle des aides d’État, les calculs de rentabilité soient fondés, pour les nouveaux réacteurs, sur une durée de vie prévue extrêmement longue de 60 ans, la Commission a confirmé, au considérant 303 de la décision attaquée, que le projet n’engendrerait pas un rendement suffisant pour couvrir les coûts d’un investisseur privé. En outre, au considérant 321 de la décision attaquée, la Commission citerait des informations provenant de services de notation démontrant que la note de crédit des entreprises d’électricité s’améliore lorsque ces dernières abandonnent le nucléaire. Il s’agirait en effet d’un projet non rentable dont la structure de coûts ne serait pas compétitive.

108    La République d’Autriche observe que des aides qui maintiennent artificiellement sur le marché des entreprises non rentables ou une « activité économique » non rentable ne contribuent généralement pas au développement d’activités économiques, mais faussent, au contraire, la concurrence d’une manière disproportionnée. Pour cette raison, elles seraient exclues, ce principe ressortant de l’économie générale de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

109    Le Grand-Duché de Luxembourg se réfère, comme la République d’Autriche, au règlement (UE) no 651/2014 de la Commission, du 17 juin 2014, déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 TFUE (JO 2014, L 187, p. 1). L’article 41 dudit règlement prévoirait qu’une aide en faveur des projets d’investissement promouvant les énergies renouvelables peut être accordée sous réserve, notamment, qu’il ne s’agisse pas d’une entreprise en difficulté au sens de l’article 2, point 18, dudit règlement.

110    La Commission et la Hongrie contestent les arguments de la République d’Autriche et du Grand-Duché de Luxembourg.

111    Il convient de relever que, dans la décision attaquée, la Commission ne répond pas à la question, soulevée par la République d’Autriche, de savoir si la mesure en cause constitue un investissement dans un « projet en difficulté » et si elle fausse dès lors la concurrence d’une manière disproportionnée.

112    La Commission n’ayant, par conséquent, pas pris en compte, dans la décision attaquée, les lignes directrices sur les entreprises en difficulté invoquées par la République d’Autriche et le Grand-Duché de Luxembourg, se pose la question de savoir si la Commission était tenue de les appliquer dans le cadre de son appréciation de l’approbation de l’octroi de l’aide à la société Paks II.

113    À cet égard, il convient d’observer que, selon le point 20 des lignes directrices sur les entreprises en difficulté, lequel figure dans la section 2.2 desdites lignes directrices, intitulée « Champ d’application matériel : notion d’entreprise en difficulté », une entreprise est considérée en difficulté lorsqu’il est pratiquement certain que, en l’absence d’intervention de l’État, elle sera contrainte de renoncer à son activité à court ou à moyen terme. Pour des sociétés à responsabilité limitée, cette condition est notamment considérée comme étant remplie lorsque plus de la moitié de son capital social souscrit a disparu en raison des pertes accumulées.

114    En outre, selon le point 21 des lignes directrices sur les entreprises en difficulté, une entreprise nouvellement créée ne peut bénéficier d’aides au titre des présentes lignes directrices, même si sa position financière initiale est précaire. Tel est notamment le cas lorsqu’une nouvelle entreprise naît de la liquidation d’une entreprise préexistante ou de la reprise de ses seuls actifs. Une entreprise est en principe considérée comme nouvellement créée pendant les trois premières années qui suivent son entrée en activité dans le domaine concerné.

115    Premièrement, la République d’Autriche et le Grand-Duché de Luxembourg n’ont pas démontré qu’il était pratiquement certain que la société Paks II serait contrainte de renoncer à son activité à court ou à moyen terme, comme l’exige la définition d’une entreprise en difficulté donnée au point 20 des lignes directrices sur les entreprises en difficulté.

116    Conformément au point 20, sous a), de ces lignes directrices, cette condition est remplie, s’agissant d’une société à responsabilité limitée, lorsque plus de la moitié de son capital social souscrit a disparu en raison des pertes accumulées. Bien que la société Paks II soit, selon le considérant 9 de la décision attaquée, une société à responsabilité limitée (Private Company Limited by Shares), la République d’Autriche ne fait toutefois pas valoir qu’une partie de son capital social aurait disparu.

117    En effet, selon les conditions de l’aide exposées en détail dans la section 2.5 de la décision attaquée (voir point 7 ci-dessus), la ligne de crédit renouvelable de 10 milliards d’euros couvrant 80 % du financement du développement des réacteurs nucléaires 5 et 6 de la centrale nucléaire de Paks constitue un prêt de la Fédération de Russie accordé à la Hongrie qui doit être remboursé par celle-ci et non par la bénéficiaire de l’aide. De plus, le remboursement par la société Paks II des 2,5 milliards d’euros couvrant les 20 % restants du financement du développement desdits réacteurs et financés par la Hongrie sur ses propres fonds n’est pas prévu. À cet égard, les autorités hongroises ont considéré que, à ce stade, il n’était pas nécessaire pour la société Paks II de contracter directement une dette, le reste de ses besoins financiers pendant la phase de construction étant couvert par les ressources propres provenant du budget de l’État hongrois (voir considérants 38 et 40 de la décision attaquée).

118    De plus, il convient de relever que les critères avancés par la République d’Autriche, à savoir le rendement du projet, la note de crédit de l’entreprise et la structure des coûts, ne sont pas pertinents en tant que tels pour déterminer, en conformité avec la définition donnée au point 20 des lignes directrices sur les entreprises en difficulté, s’il s’agit d’une entreprise en difficulté, lesdits critères n’ayant aucun rapport direct avec le pronostic d’une éventuelle contrainte de la société Paks II de renoncer à son activité à court ou à moyen terme. Par ailleurs, en ce qui concerne, notamment, le constat de la Commission, aux considérants 303, 320 et 321 de la décision attaquée, que le projet n’engendrerait pas de rendement suffisant pour couvrir les coûts d’un investisseur privé, il y a lieu de rappeler, comme cela est expliqué au point 116 ci-dessus, que ces coûts d’investissement seront entièrement financés par l’aide en cause, la bénéficiaire devenant propriétaire des deux nouveaux réacteurs sans être soumise à une obligation de remboursement.

119    Deuxièmement, comme le fait valoir à juste titre la Hongrie, la société Paks II ne saurait être considérée comme une entreprise en difficulté, dans la mesure où elle n’a pas encore commencé son activité de production d’énergie, les nouvelles unités n’étant pas encore construites. Cette société étant par conséquent en phase d’investissement, elle se trouve dans une situation en amont de celle des entreprises nouvellement créées, à l’égard desquelles le point 21, troisième phrase, des lignes directrices sur les entreprises en difficulté précise qu’elles sont considérées comme nouvellement créées pendant les trois premières années qui suivent leur entrée en activité dans le domaine concerné.

120    Conformément au point 24 des lignes directrices sur les entreprises en difficulté, aux fins des autres règlements et communications dans le domaine des aides d’État interdisant l’octroi d’aides aux entreprises en difficulté, la définition de la notion d’entreprise en difficulté, figurant au point 20 desdites lignes directrices, s’applique.

121    Partant, la société Paks II n’est pas une entreprise en difficulté au sens des règlements et des communications dans le domaine des aides d’État, qui interdisent l’octroi d’aides aux entreprises en difficulté.

122    Le projet en cause ne relevant donc pas du champ d’application des lignes directrices sur les entreprises en difficulté, comme la Commission et la Hongrie le soutiennent à juste titre, la Commission n’était pas tenue d’examiner dans la décision attaquée si les conditions desdites lignes directrices étaient remplies.

123    Dès lors, le sixième moyen est non fondé et doit être rejeté.

 Sur le septième moyen, tiré du renforcement ou de la création d’une position dominante sur le marché

124    Par le septième moyen, la République d’Autriche fait valoir que l’aide en cause aboutit à la création ou au renforcement d’une position dominante sur le marché hongrois de l’électricité des sociétés opératrices des anciens et des nouveaux réacteurs et que cette position dominante est constitutive d’une distorsion disproportionnée de la concurrence, ce qui rend l’aide incompatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

125    La République d’Autriche rappelle que les deux sociétés exploitant les anciens et les nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks sont détenues à 100 % par l’État hongrois, ce dernier étant le propriétaire indirect de ces sociétés par l’intermédiaire de MVM Hungarian Electricity Ltd., ce qui, dans la décision d’ouverture, aurait suscité des doutes en ce que la mise en service des nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks aboutirait à une concentration du marché très importante en Hongrie.

126    Selon la République d’Autriche, les deux engagements minimaux de la Hongrie prévus dans la décision attaquée ne sont pas suffisants. Le fait que la gestion des deux sociétés soit attribuée à des ministères différents ne changerait rien au fait que, en fin de compte, ce serait l’État hongrois qui, en tant que détenteur du capital, possèderait l’ensemble des parts des deux sociétés et serait en mesure de contrôler le comportement de ces dernières. Du point de vue fonctionnel, il conviendrait, dans le cadre de l’appréciation de la concentration du marché, d’additionner les parts des deux entreprises. La référence, faite par la Commission au considérant 353 de la décision attaquée, à sa communication juridictionnelle codifiée concernant le règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 2008, C 95, p. 1), ne changerait rien à l’appréciation qui précède.

127    S’agissant de l’exploitation en parallèle des anciens et des nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire, la République d’Autriche relève que le fait que cette dernière ne soit censée durer que sept ans n’est pas de nature à écarter les doutes au titre du droit de la concurrence. En réalité, durant cette période, des concurrents seraient tenus à l’écart du marché. En outre, la date prévue pour la fermeture des anciens réacteurs nucléaires ne serait pas garantie.

128    Par ailleurs, la Commission n’aurait pas examiné les répercussions sur les possibilités d’entrée de nouveaux opérateurs sur le marché, notamment pour la période allant de 2026 à 2032 ou 2037. Elle n’aurait pas tenu compte du fait que les investissements dans des centrales nucléaires contribuent de manière générale à une diminution des investissements étatiques dans les sources d’énergie renouvelable et, en même temps, à une augmentation significative de la concentration de l’ensemble du marché de l’énergie.

129    S’agissant du constat selon lequel les parts de marché combinées du groupe MVM et de la société Paks II dans le marché couplé de la Hongrie, de la Slovaquie et de la Roumanie n’excèdent pas 20 %, la République d’Autriche estime que ce seul fait ne suffit pas pour conclure à l’exclusion automatique d’un effet transfrontalier. Selon la République d’Autriche, la Commission aurait notamment dû également tenir compte de la structure du marché dans son ensemble. Eu égard au fait que la centrale nucléaire de Paks disposerait déjà avec les anciens réacteurs d’une part de marché de plus de 50 % en Hongrie, le risque d’un abus de cette position et d’une distorsion de la concurrence en résultant serait évident.

130    La Commission, la Hongrie et la République tchèque contestent l’argumentation de la République d’Autriche.

131    Il convient de rappeler que, conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, une aide ne peut être autorisée que si elle n’altère pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun, ce qui implique de mettre en balance les effets positifs de l’aide envisagée pour le développement des activités qu’elle vise à soutenir et les effets négatifs que peut avoir cette aide sur le marché intérieur (arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C‑594/18 P, EU:C:2020:742, point 101). De tels effets négatifs sur la concurrence existent notamment lorsque les aides provoquent la création ou le maintien d’une position dominante sur le marché du bénéficiaire de l’aide.

132    Dans cette perspective, la Commission a examiné, dans la section 5.3.8.1 de la décision attaquée, la question de savoir si l’augmentation d’une concentration éventuelle du marché résultait de la fusion de la propriété et de l’exploitation futures des anciens réacteurs de la centrale nucléaire de Paks avec les nouveaux.

133    Au considérant 347 de la décision attaquée, la Commission a noté que le marché hongrois de la production d’électricité était caractérisé par une concentration relativement forte, la centrale nucléaire actuelle de Paks (groupe MVM) produisant près de 50 % de l’électricité nationale. Il ressort du considérant 349 de la décision attaquée que la Commission était préoccupée par le fait qu’une séparation juridique de la société Paks II et du groupe MVM fût insuffisante ou ne pût être maintenue sans garantie supplémentaire à cet égard. Toutefois, la Commission a estimé que certaines informations répondaient à ses préoccupations, à savoir, premièrement, que l’objectif de la mesure hongroise était le remplacement progressif des capacités nucléaires existantes de la centrale nucléaire de Paks entre 2025 et 2037, deuxièmement, que la Hongrie avait fait valoir que le groupe MVM et la société Paks II étaient indépendants et sans lien et, troisièmement, que, selon la Hongrie, la société Paks II, ses successeurs et ses entreprises affiliées seraient totalement distincts sur les plans juridique et structurel et que leur maintenance, leur gestion et leur exploitation seraient indépendantes et sans lien avec le groupe MVM et l’ensemble de ses entreprises, de ses successeurs et de ses entreprises affiliées ainsi que d’autres entreprises sous contrôle étatique, présentes dans la production, la vente en gros ou en détail d’énergie (considérants 350 à 354 de la décision attaquée).

 Sur la puissance de la centrale nucléaire de Paks sur le marché hongrois et sur le marché intérieur de l’Union

134    La République d’Autriche fait valoir la création d’une position dominante sur le marché par l’aide en cause.

135    En premier lieu, la République d’Autriche affirme que la centrale nucléaire de Paks dispose déjà avec les anciens réacteurs d’une part de marché de plus de 50 % en Hongrie, donnant lieu à une présomption non irréfragable de l’existence d’une position dominante. Or, cet argument procède d’une erreur quant aux faits.

136    Selon le considérant 43 de la décision attaquée, « [e]n tant que producteur, le groupe MVM public a une présence significative sur le marché, en raison de sa principale installation de production, la centrale nucléaire de Paks, qui a fourni 52,67 % de l’électricité produite au niveau national en 2015 ». Or, ce constat, tout comme les considérants 18 et 347 de la décision attaquée, traite de la part de la centrale nucléaire de Paks dans l’énergie produite en Hongrie. Lesdits pourcentages n’indiquent toutefois pas la part de marché de la centrale nucléaire de Paks sur le marché hongrois de l’énergie électrique. Cette dernière ressort plutôt du graphique 1, également reproduit au considérant 43 de la décision attaquée, qui se réfère à la « consommation d’électricité totale en Hongrie en 2015 » et selon lequel la part de marché de la centrale nucléaire de Paks s’élève à 36,19 %. La Hongrie étant un importateur d’électricité net dont les importations représentent environ 30 % de la consommation d’électricité, comme la Commission l’a expliqué au considérant 47 de la décision attaquée, la part de marché de la centrale nucléaire de Paks se voit diminuée mécaniquement par lesdites importations qui couvrent une part substantielle de la consommation domestique en Hongrie.

137    C’est donc à juste titre que la Commission souligne que, au considérant 358 de la décision attaquée, elle s’est appuyée sur le fait que l’électricité produite par la centrale nucléaire de Paks couvrait 36 % de l’ensemble de la consommation électrique en Hongrie. En outre, au considérant 358 de la décision attaquée, la Commission a estimé que, premièrement, l’électricité produite à cet époque par la centrale nucléaire de Paks fournissait 36 % de la consommation globale de la Hongrie en électricité, deuxièmement, la proportion diminuerait compte tenu de la croissance de la demande escomptée et, troisièmement, la production des nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks devrait être similaire une fois que ses anciens réacteurs auraient progressivement été supprimés.

138    Il convient d’ajouter que les parts de marché ne déterminent pas en soi une position dominante, comme le signale à juste titre la Hongrie, mais qu’elles servent seulement de point de départ à une analyse du marché qui doit prendre en compte toutes les autres circonstances pertinentes, comme les obstacles à l’entrée et le développement du marché sur une période plus longue (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, 27/76, EU:C:1978:22, point 66), ou la structure du marché concerné. À cet égard, la Hongrie rappelle à juste titre que, d’une part, la construction des nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks est un projet qui vise au maintien de la capacité de production d’électricité et non à son élargissement et qui offre une solution en prévision d’une situation de pénurie, tout en contribuant à la stabilisation du réseau, et, d’autre part, la décision attaquée a été assortie, dans son article 3, de conditions, notamment sur l’utilisation des bénéfices, sur les modalités de négociation commerciale et sur la garantie de la séparation juridique et structurelle de la société Paks II et du groupe MVM, qui visent à limiter les effets anticoncurrentiels de l’aide et, de surcroît, pour lesquelles la Hongrie s’est engagée à soumettre des rapports annuels.

139    En effet, dans la décision attaquée, la Commission a fondé son appréciation d’une éventuelle distorsion du marché sur l’ensemble de ces éléments, sans que la République d’Autriche ait remis en question les études économiques concernant la situation actuelle et les pronostics du développement sur le marché hongrois et les marchés interconnectés sur lesquels la Commission s’est appuyée.

140    À cet égard, il convient notamment de rappeler que, selon lesdites études et comme la Commission l’a expliqué aux considérants 360 et 388 de la décision attaquée, la situation de pénurie énergétique en Hongrie persistera, de sorte que le pays restera un importateur net après la suppression progressive des quatre unités de la centrale nucléaire de Paks actuellement en fonctionnement. En outre, selon le considérant 373 de la décision attaquée, il ressort de l’étude NERA que même durant une exploitation parallèle des nouveaux et des anciens réacteurs de la centrale nucléaire de Paks de 2025 à 2037, la demande maximale nationale croissante escomptée ne sera pas satisfaite uniquement grâce aux centrales nationales (voir également considérant 389 de la décision attaquée). L’affirmation de la République d’Autriche selon laquelle, pendant l’exploitation parallèle des anciens et des nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire Paks entre 2026 et 2032, il y aurait un verrouillage du marché hongrois de l’électricité avec un obstacle à l’entrée sur le marché de nouveaux acteurs que la Commission n’aurait pas pris en compte dans la décision attaquée s’avère ainsi infondée.

141    S’agissant du grief relatif aux concurrents sur le marché hongrois et sur les marchés couplés de la Hongrie, de la Slovaquie et de la Roumanie, les effets sur ceux-ci ont été analysés aux considérants 357 et suivants et aux considérants 366 et suivants de la décision attaquée et pris en compte dans la conclusion sur les distorsions de la concurrence et la compensation globale au considérant 388 de la décision attaquée. À cet égard, il convient de rappeler que, contrairement à ce que soutient la République d’Autriche, il n’y a pas lieu de prendre en compte les parts de marché combinées des deux entreprises dans la mesure où l’indépendance de la société Paks II du groupe MVM a été prouvée et garantie, comme cela est exposé aux points 152 et suivants ci-après.

142    Indépendamment de ce qui précède, la critique de la République d’Autriche selon laquelle les sept années de production parallèle constitueraient une période durant laquelle des concurrents seraient tenus à l’écart du marché, de sorte qu’un effet d’éviction serait inévitable à long terme, n’est pas fondée. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Commission, au considérant 387 de la décision attaquée et sur la base d’études présentées dans celle-ci, est parvenue à la conclusion que tout obstacle à l’entrée d’autres types de capacités de production, en particulier au cours de la période limitée de l’exploitation parallèle des anciens et des nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks, était limité au motif que la pénurie dans la future capacité globale installée, établie par le gestionnaire des réseaux de transport hongrois, permettrait la pénétration d’autres technologies de production, renouvelables et non bas carbone, que les nouveaux réacteurs soient construits ou non.

143    S’agissant, enfin, d’une éventuelle éviction des producteurs d’énergie de sources nouvelles et renouvelables, il convient de tenir compte du fait, exposé dans les écritures et non contesté par la République d’Autriche, que ces énergies sont par nature intermittentes et ne peuvent que difficilement contribuer à la charge de base devant être couverte (voir considérant 181 de la décision attaquée).

144    En deuxième lieu, il convient d’écarter l’argument de la République d’Autriche selon lequel la Commission aurait dû tenir compte, dans le cadre de l’appréciation d’une éventuelle concentration du marché, d’une étude réalisée par Candole Partners, sur laquelle elle s’est fondée pour déterminer les avantages de l’aide en cause et qui contient des estimations concernant la concentration du marché. La République d’Autriche déduit de cette étude que les investissements dans des centrales nucléaires contribuent de manière générale à une diminution des investissements étatiques dans les sources d’énergie renouvelable et, dans un même temps, à une augmentation significative de la concentration du marché sur l’ensemble du marché de l’énergie.

145    Premièrement, il convient de rappeler qu’il appartient à l’État membre de déterminer librement son bouquet énergétique.

146    Par ailleurs, à cet égard, il ressort du considérant 362 de la décision attaquée que la stratégie nationale de la Hongrie prévoit l’énergie renouvelable dans son bouquet énergétique, conformément au paquet climat-énergie 2020 de l’Union, aux objectifs nationaux en matière d’énergie renouvelable sur le marché intérieur de l’électricité, fixés dans la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE (JO 2009, L 140, p. 16), et aux objectifs clés du cadre d’action pour le climat et l’énergie à l’horizon 2030. En outre, compte tenu des objectifs et des obligations au niveau de l’Union et au niveau national mentionnés en matière d’énergie renouvelable, la Hongrie ne serait pas une exception quant au déploiement de mécanismes de soutien afin de mettre en service de nouvelles centrales qui produisent de l’électricité à partir de sources renouvelables. La Commission a également noté qu’une partie du régime hongrois en matière d’énergie renouvelable était opérationnelle depuis janvier 2017, tandis que d’autres parties du régime liées à de plus grands producteurs à partir de sources renouvelables étaient à la date d’adoption de la décision attaquée en attente de son approbation au regard des règles sur les aides d’État.

147    Deuxièmement, les indices mesurant la concentration du marché reproduits par la République d’Autriche confirment seulement en chiffres ce que révèlent déjà les constatations de la Commission dans la décision attaquée : l’indice de Herfindahl-Hirschman (HHI) s’élève à des valeurs qui correspondent à une « concentration du marché élevée » de 2 594 aujourd’hui, de 6 889 en 2030 (période de chevauchement) et de 2 582 en 2040. Dès lors que la République d’Autriche ne précise pas dans quelle mesure des données ressortant de ladite étude pourraient influencer l’appréciation de l’étendue d’une éventuelle distorsion de la concurrence, il y a lieu de rejeter l’argument de ne pas avoir intégré dans la mise en balance l’étude réalisée par Candole Partners.

148    En conclusion, la Commission a considéré à juste titre, au considérant 372 de la décision attaquée, que l’incidence de l’aide en cause sur le marché était proportionnée au regard des objectifs de sécurité de l’approvisionnement et de la nécessité de préparer soigneusement le démantèlement des unités de la centrale nucléaire de Paks. La République d’Autriche n’a pas démontré une erreur manifeste d’appréciation de la Commission quant à l’examen de la concentration du marché pouvant résulter de l’aide en cause. Dès lors, il y a lieu de rejeter le présent grief.

 Sur la prolongation de l’exploitation parallèle des anciens et des nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks

149    Selon la République d’Autriche, la Commission aurait dû prévoir, dans la décision attaquée, l’obligation de fermer les anciens réacteurs de la centrale nucléaire de Paks en tant que condition de l’autorisation de l’aide. À défaut d’une telle condition, l’exploitation parallèle des anciens et des nouveaux réacteurs pourrait se poursuivre en théorie pendant longtemps, de sorte qu’il ne serait pas certain que les réacteurs 1 à 4 de la centrale nucléaire de Paks ne soient pas exploités au-delà de 2032, 2034, 2036 et 2037, dès lors que la prolongation de la durée de vie serait souhaitée ou mise en œuvre dans de nombreux États.

150    Or, en l’espèce, l’énoncé d’une condition dans le dispositif de la décision attaquée ne constitue pas une exigence impérative pour garantir la fiabilité dudit fait. Il ressort du considérant 350 de la décision attaquée, d’une part, que la période de chevauchement devrait se limiter à l’intervalle 2026-2032 et, d’autre part, que le retrait de toutes les capacités nucléaires des anciens réacteurs de la centrale nucléaire de Paks s’achèverait d’ici 2037. La programmation du retrait des capacités nucléaires est également contenue dans la description de l’aide dans la section 2 de la décision attaquée, intitulée « Description détaillée de la mesure », dans laquelle la Commission a précisé au considérant 10 que « [l]’exploitation des unités 5 et 6 devrait compenser la perte de capacité lors du retrait des unités 1 à 4 (2 000 MW conjointement) » et que « [l]a Hongrie a[vait] fait valoir que les unités 1 à 4 resteraient en exploitation jusqu’à la fin de 2032, 2034, 2036 et 2037 respectivement, sans qu’une nouvelle prolongation de leur durée de vie soit envisagée ». Partant, dans la description de l’aide, la mesure est décrite comme consistant en un remplacement progressif des capacités nucléaires des anciens réacteurs de la centrale nucléaire de Paks. Or, la décision de la Commission de déclarer l’aide compatible avec le marché intérieur ne vise que l’aide telle que décrite dans cette décision, de sorte que la décision attaquée n’autorise l’aide que pour autant qu’elle reste conforme à la mesure notifiée.

151    Par ailleurs, les arguments de la République d’Autriche mettant en cause la fiabilité de l’affirmation de la Hongrie selon laquelle la période prévue durant laquelle les quatre réacteurs actuellement en usage fonctionneront en parallèle avec les deux nouveaux devrait se limiter à l’intervalle 2026-2032, avec le retrait de toutes leurs capacités nucléaires d’ici 2037, n’ont pas été étayés par des éléments de preuve susceptibles de démontrer que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation quant à l’existence probable d’une position dominante.

 Sur l’indépendance de l’entreprise exploitant les anciens réacteurs de la centrale nucléaire de Paks à l’égard de l’entreprise exploitant les nouveaux réacteurs de la même centrale nucléaire

152    En ce qui concerne les deuxième et troisième éléments sur lesquels la Commission, aux considérants 351 à 353 de la décision attaquée, se fonde dans la perspective de dissiper ses préoccupations quant au renforcement d’une influence sur le marché hongrois de l’énergie, à savoir l’absence d’une combinaison de l’opérateur des anciens réacteurs de la centrale nucléaire de Paks, le groupe MVM, d’une part, et de la société Paks II exploitant les nouveaux réacteurs, d’autre part, ou d’une coordination de leurs activités, la République d’Autriche soutient, en substance, que les quatre caractéristiques sur lesquelles la Commission fonde sa constatation d’une séparation juridique et structurelle ne sont pas suffisantes à cet effet. Ces caractéristiques consistent en la gestion par différentes administrations (le ministère du Développement national gérant MVM et le cabinet du Premier ministre gérant la société Paks II), en l’absence de direction partagée ou commune au sein du comité directeur de chaque entreprise, en l’existence de garanties faisant en sorte que les entreprises n’échangent pas d’informations commercialement sensibles et confidentielles et en le fait que les pouvoirs de décision de chaque entreprise soient distincts et indépendants les uns des autres.

153    En premier lieu, il convient d’écarter l’argument de la République d’Autriche selon lequel la société Paks II faisait partie du groupe MVM lors de sa création. Il ressort du considérant 27 de la décision attaquée que les parts de la société Paks II, détenues à l’origine par le groupe MVM, ont été transférées à l’État hongrois en 2014. Or, la décision attaquée a été adoptée le 6 mars 2017, de sorte que, au moment où la Commission a adopté la décision attaquée, le fait que les parts de la société Paks II étaient initialement détenues par le groupe MVM était dénué de pertinence.

154    En deuxième lieu, l’allégation par laquelle la République d’Autriche vise à remettre en cause la validité du deuxième critère énuméré au considérant 352 de la décision attaquée (voir point 152 ci-dessus), à savoir l’existence d’un pouvoir de décision autonome, ne saurait être convaincante. La République d’Autriche soutient que, malgré la séparation juridique et structurelle des deux producteurs d’énergie, le fait que la gestion des deux sociétés soit attribuée à des ministères différents ne changerait rien au fait que, en fin de compte, ce serait l’État hongrois qui possède l’ensemble des parts des deux sociétés et qu’il est en mesure de diriger ou de coordonner le comportement de ces dernières, d’autant plus qu’il s’agit de ministres du même gouvernement et que notamment le « ministre président » joue un rôle particulier dans le gouvernement hongrois.

155    Toutefois, c’est à juste titre que la Hongrie relève que la République d’Autriche n’a fourni aucun élément afin de fonder l’allégation en vertu de laquelle le rôle particulier qu’occuperait le Premier ministre hongrois au sein du gouvernement hongrois lui permettrait de contrôler et de guider la stratégie de la société exploitant les anciens réacteurs et de l’entreprise exploitant les nouveaux réacteurs. La République d’Autriche n’a pas non plus fourni plus d’informations à l’égard d’éventuels droits d’instruction. En particulier, il ne saurait être supposé que le seul fait que le Premier ministre dispose, en vertu de la Constitution hongroise, du droit de proposer la révocation des ministres, comme l’a soutenu la République d’Autriche lors de l’audience, est un indice suffisant d’une gestion coordonnée de ces sociétés juridiquement distinctes.

156    En troisième lieu, la République d’Autriche conteste l’approche de la Commission suivie au considérant 353 de la décision attaquée pour déterminer l’indépendance de la société Paks II, de ses successeurs et de ses entreprises affiliées, sur les plans juridique et structurel, à l’égard du groupe MVM. À cet égard, la Commission s’est fondée sur les points 52 et 53 de sa communication juridictionnelle codifiée concernant le règlement no 139/2004. Le point 52 de cette communication traite des concentrations impliquant des entreprises publiques et utilise comme critère pour distinguer une restructuration interne d’une concentration le fait que les entreprises disposent d’un « pouvoir de décision autonome ».

157    À cet égard, la République d’Autriche n’explicite pas les raisons pour lesquelles cette approche serait incorrecte. Elle se borne à proposer l’application d’une approche différente en se référant au droit des marchés publics.

158    Or, en l’espèce, il ne s’agit pas de marchés conclus entre deux entités appartenant à la même personne juridique. Les critères prévus pour cette situation se trouvant à l’article 28, paragraphe 2, de la directive 2014/25 ne sont pas transposables à la question de savoir s’il y a lieu de faire l’addition de la puissance de deux entités sur un marché identique qui appartiennent toutes les deux à l’État, mais qui sont structurellement séparées. En effet, l’objectif poursuivi par l’article 28, paragraphe 2, de la directive 2014/25 n’est pas d’empêcher la création ou le renforcement d’une position dominante. La question de savoir si, dans une situation « in house » où l’une des entités est censée effectuer des services pour l’autre, celle-ci doit pouvoir effectuer lesdits services sans entrer en concurrence avec des entreprises externes n’est en effet pas comparable à celle de la détermination d’une éventuelle concentration sur le marché sur lequel les deux entités sont actives. La règle citée du droit des marchés publics n’a pas pour objet la concertation des activités de deux entités sur le même marché, mais traite de la situation d’un marché conclu entre les entités respectives. Dès lors, il est sans pertinence pour la présente affaire que, sur la base de la jurisprudence de la Cour dans le domaine du droit de la passation des marchés publics, relative aux situations dites « in house », le groupe MVM, d’une part, et la société Paks II, d’autre part, devraient, comme l’invoque la République d’Autriche, être imputés à l’État.

159    S’agissant de la référence de la République d’Autriche à un arrêt concernant le droit de la concurrence, celle-ci ne remet pas non plus en cause l’approche adoptée par la Commission. Dans l’arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a. (C‑222/04, EU:C:2006:8, points 112 et 113), la Cour n’a en effet pas constaté que toutes les entités qui étaient juridiquement ou de facto contrôlées par la même entité étaient considérées comme une seule entreprise, mais elle a jugé qu’une entité qui n’exerçait aucune autre activité économique que le contrôle d’une autre entreprise était elle-même qualifiée d’entreprise. Cette situation particulière propre au cas de figure de l’affaire ayant donné lieu audit arrêt n’a toutefois aucun rapport avec les circonstances de la présente affaire.

160    En quatrième lieu, il convient de noter que l’établissement ainsi que le maintien des garanties structurelles assurant une autonomie de décision du groupe MVM et de la société Paks II sont assurés par l’article 3, cinquième alinéa, de la décision attaquée, qui contient la condition suivante : « En outre, la Hongrie s’engage à ce que la société Paks II, ses successeurs et entreprises affiliées soient totalement distincts sur les plans juridique et structurel, et soient soumis à un pouvoir de décision autonome au sens des points 52 et 53 de la communication juridictionnelle sur les concentrations et à ce que leur maintenance, leur gestion et leur exploitation soient indépendantes et sans lien avec le groupe MVM et l’ensemble de ses entreprises, successeurs et entreprises affiliées ainsi que d’autres entreprises sous contrôle étatique, actives dans la production, la vente en gros ou en détail de l’énergie ». De plus, l’article 4 de la décision attaquée prévoit que « [l]a Hongrie soumet à la Commission des rapports annuels sur le respect des engagements visés à l’article 3 » et que « [l]e premier rapport est soumis un mois après la date de clôture du premier exercice de l’exploitation commerciale de Paks II ». Comme la Hongrie et la République tchèque le soulignent, grâce à cette condition et au considérant 381 de la décision attaquée, la situation du marché après le lancement des nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks est sous le contrôle permanent de la Commission. La Hongrie ajoute à juste titre que la méconnaissance de ces conditions entraînerait une nouvelle enquête de la Commission sur les aides d’État, ce qui compromettrait l’investissement en cours de la Hongrie dans le projet.

161    Il ressort de ce qui précède que la détermination de l’indépendance de la société Paks II à l’égard du groupe MVM opérée par la Commission ne contient aucune erreur d’appréciation et que des indices pour étayer la préoccupation de la République d’Autriche concernant le fait que l’État hongrois puisse exercer son influence de manière coordonnée sur les deux entreprises et, dès lors, renforcer sa position dominante font défaut.

162    Partant, le septième moyen doit être rejeté.

 Sur le huitième moyen, tiré du risque pour la liquidité du marché de gros d’électricité hongrois

163    Par le huitième moyen, la République d’Autriche soutient que la Commission n’a pas suffisamment pris en compte le risque pour la liquidité du marché de gros d’électricité hongrois.

164    La République d’Autriche avance que, dans le cadre de l’examen des répercussions économiques négatives de l’aide, il convient de vérifier les effets sur les marchés en aval. L’approbation de l’aide serait illégale dans la mesure où le risque de réduction de la liquidité du marché, concédé par la Commission elle-même au considérant 377 de la décision attaquée, subsisterait et serait même aggravé. Plusieurs facteurs augmenteraient le risque pour la liquidité, notamment l’exploitation parallèle des anciens et des nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks pendant une période relativement longue et la concentration élevée sur le marché de l’électricité hongrois. Selon la République d’Autriche, la Commission aurait accepté sans justification réelle de lever ses doutes selon lesquels le marché, au sein duquel les capacités de production sont largement contrôlées par l’État, pourrait devenir encore moins liquide, étant donné que les rares acteurs du marché pourraient limiter les offres d’approvisionnement. Il ne serait pas suffisant de constater, comme l’aurait fait la Commission, l’exclusion de liens entre la société Paks II et des opérateurs étatiques sur le marché de détail et de rappeler les autres conditions-cadres établies dans la décision attaquée prévoyant la garantie, par la Hongrie, d’une vente sur la bourse de l’électricité et de ventes aux enchères. En réalité, les liens existeraient toujours, la société Paks II, tout comme le groupe MVM, étant contrôlée par l’État, qui, même dans le cas d’une entreprise intermédiaire, en tant que propriétaire à 100 %, serait en mesure de prendre toutes les décisions nécessaires, notamment au sujet du personnel. De même, la division de compétences entre différents ministères pourrait être facilement modifiée en vertu du droit national et, au sein du gouvernement, il existerait un minimum de communication et de concertation. Malgré la distinction entre les deux entreprises aux niveaux juridique et structurel, l’État pourrait donc exercer son influence de manière coordonnée sur les deux entreprises, de sorte qu’une position dominante sur le marché ne pourrait être exclue. Quant à la garantie d’une vente à la bourse de l’électricité et de ventes aux enchères, la République d’Autriche avance que l’électricité subventionnée arriverait sur le marché et produirait des effets directs sur le prix du marché de l’électricité, quelle que soit la voie de vente. Dès lors qu’aucune quantité minimale d’électricité devant obligatoirement être vendue de cette manière n’est prévue, une stratégie commerciale du groupe MVM et de la société Paks II qui consisterait à réduire l’offre d’électricité afin de faire monter les prix pourrait parfaitement être envisagée.

165    La Commission et la Hongrie soutiennent qu’il convient de rejeter le huitième moyen.

166    La République d’Autriche fonde son huitième moyen, tiré de ce que la Commission n’aurait pas suffisamment pris en compte le risque pour la liquidité du marché de gros d’électricité hongrois, sur deux groupes d’arguments.

167    En premier lieu, il convient d’écarter d’emblée les arguments de la République d’Autriche qui se fondent sur l’affirmation d’une position dominante de la société Paks II.

168    À cet égard, d’une part, il convient de renvoyer à l’appréciation effectuée dans le cadre de l’examen du septième moyen aux points 131 et suivants ci-dessus. D’autre part, il y a lieu de souligner que la condition établie à l’article 3, cinquième alinéa, de la décision attaquée, cité au point 160 ci-dessus, qui vise à empêcher la création d’une position dominante sur le marché de l’énergie pendant la période d’opération parallèle des anciens et des nouveaux réacteurs, prévoit que la garantie de l’indépendance de la gestion et de l’exploitation des nouveaux réacteurs et de l’absence de tout lien avec le groupe MVM porte expressément sur d’autres entreprises sous contrôle étatique actives dans la vente en gros ou en détail de l’énergie. La conclusion de la Commission, au considérant 379 de la décision attaquée, selon laquelle l’exclusion de liens entre la société Paks II et des opérateurs étatiques sur le marché de détail a contribué à répondre à certaines de ses préoccupations n’est pas remise en question par l’argument de la République d’Autriche selon lequel la situation pourrait être facilement modifiée en vertu du droit national et selon lequel, au sein du gouvernement, il existerait un minimum de communication et de concertation. En effet, à cet égard, la Hongrie fait observer, à juste titre, que la Commission a déclaré que l’aide était compatible avec le marché intérieur sous réserve de conditions incluant, également, l’engagement précité concernant la dissociation des deux entreprises. Au regard de l’obligation de soumettre un rapport annuel établie à l’article 4 de la décision attaquée, le respect de ladite condition reste sous le contrôle de la Commission.

169    En deuxième lieu, en ce qui concerne la distribution de l’énergie produite, il convient de noter que, dans la décision attaquée, notamment dans sa section 2.6, la Commission a exprimé sa préoccupation quant à la situation des structures actuelles de la vente en gros de l’énergie produite dans la centrale nucléaire de Paks par le groupe MVM. Au considérant 377 de la décision attaquée, elle a indiqué que les transactions les plus courantes dans le secteur hongrois de la vente en gros d’électricité étaient conclues au moyen d’accords d’achat d’électricité bilatéraux et que la bourse d’échange d’électricité hongroise n’avait pas encore suscité un niveau de liquidité adéquat. Elle a relevé que les marchés pourraient devenir moins liquides étant donné que les acteurs concernés pourraient limiter le nombre d’offres d’approvisionnement disponibles sur le marché. Au considérant 378 de la décision attaquée, la Commission a également estimé que la manière dont l’électricité produite par les nouveaux réacteurs était vendue sur le marché pourrait affecter de manière significative la liquidité et que les coûts supportés par les concurrents en aval pourraient être augmentés par la restriction apportée à leur accès compétitif à un intrant important (verrouillage des intrants) et que cela pourrait se produire si l’électricité produite par la société Paks II était vendue principalement au moyen de contrats à long terme à certains fournisseurs uniquement, convertissant ainsi le pouvoir de marché de la société Paks II sur le marché de la production en pouvoir de marché sur le marché de détail.

170    Sur la base de l’analyse de cette situation, la Commission a prévu des conditions visant à limiter le risque de liquidité par l’engagement de la Hongrie à garantir le respect de certaines règles de négociation de la production de la société Paks II. Ces règles sont contenues à l’article 3, troisième et quatrième alinéas, de la décision attaquée et prévoient ce qui suit :

« La Hongrie veille à ce que la stratégie de négociation de la production de Paks II soit une stratégie commerciale d’optimisation du profit de pleine concurrence, exécutée à l’aide de modalités de négociation commerciale conclues au moyen de soumissions traitées sur une plateforme de négociation transparente ou une bourse d’échange. La stratégie de négociation de la production d’énergie de Paks II (à l’exclusion de la consommation propre de Paks II) se présente comme suit :

Niveau 1 : Paks II vend au moins 30 % de sa production d’électricité totale sur les marchés des transactions pour le lendemain, infrajournaliers et à terme de la bourse d’échange d’électricité hongroise (“HUPX”). D’autres échanges d’électricité similaires peuvent être utilisés sous réserve de l’accord ou du consentement des services de la Commission ou être rejetés dans un délai de deux semaines à compter de la demande formulée par les autorités hongroises.

Niveau 2 : Le reste de la production totale d’électricité de Paks II est vendu par Paks II selon des modalités objectives, transparentes et non discriminatoires au moyen d’enchères. Les conditions pour de telles enchères sont déterminées par le régulateur de l’énergie hongrois, à l’instar des exigences en matière d’enchères imposées à MVM Partner (décision 741/2011 du régulateur hongrois). Le régulateur de l’énergie hongrois supervise également la tenue de ces enchères.

La Hongrie veille à ce que la plateforme de vente aux enchères pour le niveau 2 soit exploitée par Paks II et à ce que les offres et les soumissions soient également accessibles à tous les négociants agréés ou enregistrés aux mêmes conditions du marché. Le système de compensation des offres est vérifiable et transparent. Aucune restriction n’est imposée à l’utilisation finale de l’électricité achetée. »

171    Comme il ressort de l’article 4 de la décision attaquée, la Hongrie s’est également engagée à soumettre à la Commission des rapports annuels sur le respect des engagements visés à l’article 3 de la décision attaquée, de sorte que leur mise en œuvre reste sous le contrôle continu de la Commission.

172    Aux considérants 383 et 384 de la décision attaquée, la Commission a constaté à juste titre qu’il avait ainsi été fait en sorte que l’électricité produite par les nouveaux réacteurs soit disponible sur le marché de gros pour tous les acteurs du marché, de manière transparente, et qu’il n’y avait donc pas de risque que l’électricité produite par la société Paks II soit monopolisée dans des contrats de longue durée, ce type de contrat posant un risque pour la liquidité du marché. Il s’avère dès lors que la Commission a conclu à juste titre que les risques qui pourraient se présenter pour la liquidité du marché étaient mineurs.

173    La République d’Autriche ne précise pas en quoi les conditions établies par la Commission ne seraient pas suffisantes pour remédier aux problèmes perçus lors de l’attribution de l’aide conduisant au remplacement de la production des anciens réacteurs par celle des nouveaux réacteurs. En effet, la liquidité sera augmentée et il n’y a aucun indice établissant que la situation résultant des conditions de l’aide figurant à l’article 3 de la décision attaquée produirait des distorsions disproportionnées de la concurrence sur le marché.

174    La critique de la République d’Autriche selon laquelle l’absence de fixation d’une quantité minimale d’électricité devant obligatoirement être vendue pourrait permettre une stratégie commerciale de la part du groupe MVM et de la société Paks II qui consisterait à réduire l’offre d’électricité afin de faire monter les prix également dans le cadre de la vente sur la bourse de l’électricité ou dans le cadre de ventes aux enchères n’est pas convaincante. En effet, la Commission rappelle à juste titre que les deux centrales nucléaires sont censées produire la capacité dite de base, de sorte qu’elles ne pourront pas baisser arbitrairement la puissance des réacteurs uniquement pour limiter l’offre d’électricité, le redémarrage des centrales nucléaires comportant des coûts élevés et impliquant une charge de travail importante.

175    Dès lors, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que l’attribution d’une aide d’État à la société Paks II pour effectuer le remplacement des anciens réacteurs de la centrale nucléaire de Paks par des nouveaux réacteurs était conforme à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE en ce qui concernait l’aspect de la liquidité du marché de gros de l’électricité.

176    Partant, le huitième moyen est non fondé et doit être rejeté.

 Sur le neuvième moyen, tiré de la détermination insuffisante de l’aide d’État

177    Par le neuvième moyen, la République d’Autriche soutient que la Commission a omis de rendre l’élément d’aide clairement déterminable. En particulier, les coûts du financement de la dette et les coûts du traitement des déchets n’auraient pas été mentionnés.

178    La République d’Autriche estime qu’il résulte du droit dérivé ainsi que de diverses lignes directrices et de communications en matière d’aides d’État qu’une aide ne peut, en principe, être autorisée que lorsque l’élément d’aide est déterminable au moment de l’octroi de l’aide. Cette exigence s’imposerait ne serait‑ce que pour permettre le contrôle du caractère nécessaire, approprié, proportionné et proportionnel de l’aide au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

179    La République d’Autriche soutient que, bien que la décision attaquée fournisse des détails sur le bénéficiaire, le montant et le financement de l’aide, d’autres éléments nécessaires pour rendre clairement déterminable l’importance globale de l’élément d’aide font défaut. En premier lieu, la Commission aurait omis de calculer notamment les coûts du financement externe (intérêts des emprunts), tels que ceux qu’un investisseur privé aurait dû payer dans des conditions conformes au marché.

180    En deuxième lieu, la décision attaquée ne permettrait pas de savoir clairement si la Commission partait ou pas, dans le cadre de la détermination de l’élément d’aide, du principe d’une probabilité de défaillance de 100 %, principe sous-tendant les lignes directrices sur les entreprises en difficulté ainsi que la pratique décisionnelle de la Commission quand un projet non compétitif ne trouve pas de financement privé conforme au marché.

181    En troisième lieu, il n’apparaîtrait pas clairement dans quelle mesure les coûts d’élimination des déchets liés à l’exploitation de la centrale ont été pris en considération dans le cadre de la décision attaquée, ou encore si la Commission aurait accepté l’idée d’aides supplémentaires qui seraient accordées à l’avenir. À l’article 2 de la décision attaquée, la Commission constaterait simplement que les bénéfices résultant de l’exploitation des nouveaux réacteurs seraient utilisés, notamment, aux fins de la gestion des déchets et du démantèlement des deux nouvelles unités nucléaires.

182    En quatrième lieu, la République d’Autriche fait grief à la Commission de ne pas avoir répondu à la question de savoir si les augmentations de coûts au cours des phases de planification, de construction et de mise en service des nouveaux réacteurs, auxquelles il convient généralement de s’attendre dans le cas de projets de cette envergure, sont encore couvertes par la décision attaquée même si elles excèdent les 12,5 milliards d’euros indiqués dans ladite décision.

183    La Commission, soutenue par la Hongrie, demande d’écarter comme inopérant le neuvième moyen.

184    À titre liminaire, il convient de rappeler que l’objectif de la détermination des éléments de l’aide est de permettre à la Commission de conclure, sur la base des éléments de l’aide, au caractère approprié, nécessaire et non démesuré de celle-ci. À cet égard, le Tribunal a déjà jugé que la Commission n’était pas obligée de quantifier le montant exact de l’équivalent-subvention résultant d’une mesure d’aide avant de procéder à l’examen de la proportionnalité de celle-ci à la lumière de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE (arrêt du 12 juillet 2018, Autriche/Commission, T‑356/15, EU:T:2018:439, point 250).

185    S’agissant, premièrement, des coûts de financement, il convient de rappeler que le considérant 28 de la décision attaquée fait état des coûts du financement de la dette sur toute la durée de la ligne de crédit renouvelable. La République d’Autriche n’avance aucun argument circonstancié susceptible de démontrer que, sur la base des indications des taux d’intérêt du prêt indiqués audit considérant, avec les spécifications ultérieures données dans la note en bas de page no 16 de la décision attaquée, la Commission n’était pas en mesure de contrôler le caractère proportionné de l’élément d’aide et à quoi servirait à cet égard l’indication des coûts du financement externe (intérêts des emprunts), tels que ceux qu’un investisseur privé aurait dû payer dans des conditions conformes au marché.

186    Deuxièmement, il convient de rejeter l’argument de la République d’Autriche selon lequel, au regard de l’absence de compétitivité du projet en cause prétendument admise dans la section 5.3.4 de la décision attaquée, la Commission aurait dû expliquer dans la décision attaquée si elle s’appuyait sur une probabilité de défaillance de 100 % dans le cadre de la détermination de l’élément d’aide. À cet égard, la Commission a, à juste titre, noté que le fait qu’un projet ne trouvait pas de financement privé conforme au marché donnait lieu à la conclusion que le bénéficiaire avait reçu un avantage économique au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et que cela avait été le constat unique fait au considérant 262 de la décision attaquée. La Commission avance à juste titre que ce constat ne qualifie pas en même temps le projet soutenu par un financement public d’« entreprise en difficulté » ou de non rentable. En effet, comme il a été constaté au point 121 ci-dessus, la société Paks II n’est pas une entreprise en difficulté.

187    Troisièmement, l’argument tiré du caractère indéterminable des coûts de traitement et de stockage des déchets nucléaires doit être écarté dans la mesure où la décision attaquée porte uniquement sur le développement de nouveaux réacteurs et non sur une éventuelle aide d’État visant à couvrir les dépenses relatives à la gestion et au stockage de ces déchets. Cela n’est pas remis en cause par la prise en compte des coûts pour le traitement des déchets nucléaires dans le cadre de l’évaluation du taux de rentabilité interne effectué pour l’appréciation de la viabilité économique du projet visé pendant toute sa durée.

188    Quatrièmement, s’agissant de l’argument relatif à la question de savoir si d’éventuelles augmentations de coûts au cours des phases de planification, de construction et de mise en service des nouveaux réacteurs, auxquelles il conviendrait généralement de s’attendre dans le cas de projets de cette envergure, sont encore couvertes par la décision d’autorisation même si elles excèdent la somme de 12,5 milliards d’euros indiquée dans la décision attaquée, il ressort, comme l’indique à juste titre la Commission, des considérants 15 et 16 de la décision attaquée que l’aide comprend une ligne de crédit renouvelable de 10 milliards d’euros et un montant supplémentaire de 2,5 milliards d’euros versé par l’État hongrois. Par ailleurs, le considérant 29 de la décision attaquée confirme également que, selon l’article 1er de l’accord intergouvernemental de financement du 28 mars 2014, la ligne de crédit renouvelable doit financer 80 % des coûts d’investissement confirmés, l’État hongrois finançant les 20 % restants.

189    L’affirmation selon laquelle tous les coûts susceptibles d’être rattachés à l’investissement sont compris dans le calcul sur lequel se fonde l’examen de la compatibilité réalisé dans la décision attaquée est confirmée par l’indication donnée par la Hongrie, selon laquelle le modèle qu’elle a soumis concernant le projet et qui a été examiné par la Commission au moyen, notamment, d’une analyse de sensibilité effectuée en supposant des écarts par rapport aux valeurs initialement entrées couvrait les coûts prévisibles de la mise en service des deux unités, en comprenant le prix du contrat d’ingénierie, d’achat et de construction, les coûts incombant au propriétaire, les coûts non prévus habituellement associés à un contrat ainsi que les sensibilités afférentes à d’éventuels retards et travaux supplémentaires non prévus initialement. De plus, il ressort du considérant 16 de la décision attaquée que la Hongrie a indiqué qu’elle n’avait pas l’intention d’accorder une autre aide à la société Paks II une fois que les nouvelles unités auraient été construites. D’éventuelles aides ultérieures ne font donc pas l’objet de la décision attaquée. Il convient, par conséquent, d’écarter ce grief.

190    Dans la mesure où la décision attaquée se limite à autoriser le projet notifié par la Hongrie, dans l’hypothèse où, postérieurement à cette décision, la Hongrie déciderait d’augmenter le montant de l’aide octroyée à la société Paks II, il s’agirait d’un avantage qui ne serait pas couvert par ladite décision et qui devrait donc être notifié à la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C‑594/18 P, EU:C:2020:742, point 135). La Commission indique à juste titre que tout financement qui dépasserait la somme de 12,5 milliards d’euros constituerait une modification de l’aide existante, qui doit être appréciée conformément à l’article 4 du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2004, L 140, p. 1).

191    Partant, la Commission ayant suffisamment déterminé l’aide en cause, il y a lieu de rejeter le neuvième moyen.

 Sur le dixième moyen, tiré d’une motivation insuffisante

192    Par son dixième moyen, la République d’Autriche fait valoir une motivation insuffisante de la décision attaquée en vertu de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE. Ledit moyen s’articule en six branches, qui visent différents éléments de la décision attaquée, également visés par d’autres moyens.

193    La Commission, la Hongrie et la République de Pologne contestent les arguments avancés par la République d’Autriche.

194    En vertu de l’article 296, paragraphe 2, TFUE, tous les actes juridiques des institutions de l’Union doivent être motivés. L’obligation pour les institutions de l’Union de motiver leurs décisions de manière circonstanciée résulte également de l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux.

195    Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution qui en est l’auteur, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Cette exigence doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 10 septembre 2015, Fliesen-Zentrum Deutschland, C‑687/13, EU:C:2015:573, points 75 et 76 et jurisprudence citée).

 Sur la première branche du dixième moyen, tirée de la motivation insuffisante de la décision attaquée quant à la compatibilité de l’aide avec d’autres dispositions du droit de l’Union

196    La République d’Autriche fait valoir que la Commission n’expose pas de manière adéquate les raisons pour lesquelles elle n’a pas reconnu l’existence d’une violation de dispositions fondamentales du droit de la passation des marchés publics, dont le respect est indissociable de l’objet de l’aide. Notamment, aux considérants 283 et suivants de la décision attaquée, la Commission n’aurait pas examiné en détail le point de savoir si le non-respect des dispositions du droit de la passation des marchés publics provoquait une « distorsion supplémentaire de la concurrence et des échanges sur le marché de l’électricité ». De même, la Commission aurait omis d’examiner, dans la décision attaquée, la question de savoir pour quel motif, en l’espèce, les conditions de l’article 50, sous c), de la directive 2014/25 étaient censées être réunies.

197    À cet égard, il convient de rappeler que la Commission, aux considérants 280 à 284 de la décision attaquée, a expliqué, en s’appuyant sur l’arrêt du 3 décembre 2014, Castelnou Energía/Commission (T‑57/11, EU:T:2014:1021), qu’elle avait estimé, dans un premier temps, que, en raison de l’absence d’un lien indissociable entre la violation éventuelle de la directive 2014/25 et l’objet de l’aide, la compatibilité de l’aide ne saurait être affectée par cette violation éventuelle. Dès lors, sur la base de cette conclusion intermédiaire, elle pouvait légitimement estimer qu’il n’était pas nécessaire d’examiner, dans un second temps, l’éventuelle violation des dispositions de la directive 2014/25 en raison de l’attribution directe prévue du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires.

198    Ainsi, c’est à bon droit que la Commission et la Hongrie relèvent que la Commission n’était pas tenue de justifier dans la décision attaquée les raisons pour lesquelles les conditions prévues à l’article 50, sous c), de la directive 2014/25 étaient remplies.

199    Comme la Commission l’a à juste titre évoqué, en soulevant une motivation insuffisante, la République d’Autriche déplore en réalité que la Commission ne se soit pas penchée dans la décision attaquée sur les aspects du droit des marchés publics que la République d’Autriche considérait comme pertinents, mais qu’elle se soit contentée d’expliquer les circonstances et les considérations qui avaient été à la base de sa conclusion concernant la compatibilité de l’aide en cause avec le marché intérieur. Or, telle est l’étendue précise de l’obligation de motivation qui incombait à la Commission. En revanche, la question de savoir si la prémisse selon laquelle une éventuelle violation des dispositions du droit des marchés publics n’affecterait pas la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur est correcte ou non est une question de fond.

200    Contrairement à ce que la République d’Autriche soutient, la Commission ne devait pas non plus examiner plus en détail, aux considérants 283 et suivants de la décision attaquée, le point de savoir si le non-respect de dispositions du droit de la passation des marchés publics provoquait une distorsion supplémentaire de la concurrence et des échanges sur le marché de l’électricité.

201    En effet, il ressort d’une lecture combinée des considérants 280 et 281 de la décision attaquée que la Commission a considéré qu’un lien indissociable existait lorsque l’illégalité de la modalité de l’aide avait un impact sur le marché visé par l’objet de l’aide. Au considérant 283 de la décision attaquée, la Commission a mis en exergue que, si un non-respect éventuel des règles relatives aux marchés publics en l’espèce pouvait produire des effets de distorsion sur le marché des travaux de construction nucléaire, aucun effet de distorsion supplémentaire sur la concurrence et les échanges sur le marché de l’électricité, qui serait dû au non-respect de la directive 2014/25, n’avait été établi.

202    En outre, il n’était pas nécessaire d’examiner l’éventuelle illégalité de l’attribution directe du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires (voir point 197 ci-dessus).

203    Partant, il y a lieu de rejeter la première branche du dixième moyen.

 Sur la deuxième branche du dixième moyen, tirée de la motivation insuffisante de la décision attaquée quant à la qualification de la promotion de l’énergie nucléaire d’intérêt commun

204    Par la deuxième branche du dixième moyen, la République d’Autriche reproche à la Commission d’avoir uniquement cité, en substance, la promotion de l’énergie nucléaire en tant qu’intérêt commun et d’avoir invoqué, dans ce contexte, le traité Euratom. Bien que l’interprétation du traité Euratom par la Commission soit manifestement en contradiction avec les dispositions du traité FUE, elle aurait exposé ses considérations à ce sujet d’une manière non vérifiable et insuffisante. Selon la République d’Autriche, la Commission aurait dû exposer de manière précise les avantages de l’énergie nucléaire en comparaison à d’autres sources d’énergie.

205    À cet égard, la Commission objecte à bon droit qu’elle n’était pas tenue de se prononcer davantage sur la contribution du nucléaire à la sécurité de l’approvisionnement en électricité, puisque la sécurité de l’approvisionnement n’a pas été invoquée par la Hongrie comme un objectif d’intérêt commun.

206    Il s’ensuit que, la Hongrie n’ayant pas invoqué la sécurité de l’approvisionnement en électricité comme un objectif d’intérêt commun, ne saurait non plus prospérer le grief relatif au considérant 295 de la décision attaquée, par lequel la République d’Autriche fait valoir que la Commission n’explique pas pour quel motif et dans quelle mesure la promotion de l’énergie nucléaire, dont la production dépend quasi exclusivement d’importations en provenance de l’étranger, est de nature à contribuer à la sécurité de l’approvisionnement.

207    Par ailleurs, comme le relève la République de Pologne, l’argument de la République d’Autriche selon lequel la Commission a retenu à tort l’existence d’un intérêt commun ne concerne en réalité pas un manque de motivation de la décision attaquée, mais vise son contrôle matériel. Or, en vertu d’une jurisprudence constante, l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle, qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux [voir arrêt du 5 février 2015, Aer Lingus/Commission, T‑473/12, EU:T:2015:78, point 33 (non publié) et jurisprudence citée].

208    N’est pas non plus justifié le grief de la République d’Autriche selon lequel la Commission a énoncé ses considérations en ce qui concernait l’existence d’un intérêt commun d’une manière non vérifiable et insuffisante. À cet égard, il convient de constater que la Commission a énoncé, notamment au considérant 292 de la décision attaquée, ses considérations quant à l’articulation entre le traité Euratom et le traité FUE, en fournissant également des citations dans les notes en bas de page, pour ensuite aboutir à la conclusion selon laquelle la promotion des investissements nucléaires pouvait être considérée comme un objectif d’intérêt commun aux fins du contrôle des aides d’État. À défaut d’une indication plus précise de la part de la République d’Autriche en quoi cette motivation serait insuffisante, il convient d’écarter cet argument.

209    Il résulte de ce qui précède que la deuxième branche du dixième moyen ne saurait être accueillie.

 Sur la troisième branche du dixième moyen, tirée de la motivation insuffisante de la décision attaquée quant à la délimitation du marché et à une défaillance du marché des capitaux

210    Dans le cadre de la troisième branche du dixième moyen, la République d’Autriche avance que la motivation de la décision attaquée est insuffisante quant à la délimitation du marché et à une défaillance du marché des capitaux.

211    En premier lieu, la République d’Autriche soutient que la décision attaquée ne fait pas apparaître les raisons pour lesquelles, en l’espèce, la Commission ne s’est pas fondée sur le marché de l’électricité libéralisé dans son ensemble en tant que marché de référence, mais uniquement sur celui de la construction de centrales nucléaires. Or, la Commission se réfèrerait, outre à l’objectif de promotion de l’énergie nucléaire, également à la sécurité de l’approvisionnement. Bien qu’il s’agisse d’une question déterminante pour l’examen de la légalité de l’aide, la décision attaquée ne contiendrait aucune motivation à cet égard.

212    Il ressort clairement du considérant 301 de la décision attaquée que la Commission a estimé que, pour apprécier la nécessité de l’aide, il n’était pas nécessaire de déterminer un marché pertinent. À cet égard, premièrement, elle a relevé que, pour établir s’il existait une défaillance du marché, elle devait d’abord déterminer quel objectif d’intérêt commun l’État membre poursuivait et si cet objectif pouvait être réalisé sans intervention de l’État ou si une défaillance du marché l’empêchait. La Commission a constaté que ledit objectif ne concernait ni l’électricité en général, ni des investissements dans la production d’électricité en général, mais qu’il concernait plutôt la promotion de nouveaux investissements nucléaires, ces derniers faisant partie du marché de l’électricité et contribuant à résoudre la future pénurie de la Hongrie dans sa capacité globale installée. Deuxièmement, selon la Commission, il y a lieu d’examiner si le libre jeu de l’offre et de la demande sur le marché de l’électricité garantit que l’objectif de nouvelles implantations nucléaires peut être atteint sans l’intervention de l’État.

213    Ce faisant, la Commission a expliqué à suffisance de droit pour quel motif elle avait laissé ouverte la question du marché pertinent. En tout état de cause, il n’est pas exigé que la motivation d’un acte spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2007, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, T‑475/04, EU:T:2007:196, point 54).

214    En second lieu, la République d’Autriche soutient que la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation en ce que la Commission a fondé, à la section 5.3.4 de la décision attaquée, son argumentation relative à l’existence d’une défaillance du marché des capitaux sur une étude d’ICF Consulting Services qui, selon le considérant 312 et la note en bas de page no 137, n’était pas encore publiée au moment où la décision a été prise. Dès lors, les réflexions contenues dans l’étude ne seraient ni vérifiables ni contrôlables.

215    À cet égard, il convient d’observer que la Commission, au considérant 312 de la décision attaquée, a réitéré de manière compréhensive et détaillée tous les points pertinents pour son évaluation qui ressortaient de l’étude concernée. Elle a également présenté des éléments sur la méthodologie de l’étude en mentionnant qu’ICF Consulting Services s’était notamment fondée sur des avis formulés par les parties consultées dans le cadre de cette étude. Elle a simultanément fourni des informations sur l’origine de l’étude citée, lesquelles étaient suffisamment détaillées pour permettre de se munir de l’étude au besoin. Étant donné que, selon le considérant 312 de la décision attaquée, l’étude a été réalisée par ICF Consulting Services pour la direction générale « Affaires économiques et financières » de la Commission, ladite étude se trouvait non seulement à la disposition de la direction générale « Concurrence » de la Commission, auteure de la décision attaquée, mais également à celle de la direction générale qui l’avait mandatée, la Commission étant obligée de donner accès aux documents dont elle dispose. Les informations données au considérant 312 permettaient ainsi à la requérante de se procurer l’étude citée par une demande d’accès aux documents. Par ailleurs, l’indication dans la note en bas de page selon laquelle l’étude ne serait « pas encore » publiée semble indiquer qu’une publication était néanmoins prévue. Au regard de l’ensemble de toutes ces circonstances, et en tenant compte de la jurisprudence citée au point 195 ci-dessus, selon laquelle il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents et selon laquelle la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée, la motivation de la Commission concernant certaines caractéristiques rendant le financement des projets nucléaires particulièrement difficile ne peut pas être qualifiée d’insuffisante. Il convient dès lors de rejeter la troisième branche du dixième moyen.

 Sur la quatrième branche du dixième moyen, tirée de la motivation insuffisante de la décision attaquée quant à la proportionnalité de l’aide

216    La République d’Autriche fait valoir que la proportionnalité de l’aide n’a pas été suffisamment motivée.

217    En premier lieu, l’argument de la République d’Autriche selon lequel, dans la section 5.3.7 de la décision attaquée, la Commission aurait dû examiner plus en détail l’existence possible d’options autres que le subventionnement de deux nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks ne peut prospérer. À cet égard, il suffit de rappeler que la Commission a envisagé la promotion de l’énergie nucléaire en tant qu’objectif d’intérêt commun, et non la sécurité de l’approvisionnement. Dès lors, elle n’était pas obligée de comparer les quantités d’énergie produites par les nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks avec les offres de fournisseurs d’énergies alternatives. En soutenant que ceux-ci produisent une quantité équivalente, voire supérieure, d’énergie électrique avec des aides d’État moins importantes, la République d’Autriche ne vise en réalité pas la violation des formes substantielles, mais la légalité au fond de la décision attaquée. Il en est de même en ce qui concerne l’argument selon lequel il aurait également fallu intégrer à l’analyse les mesures d’économie d’énergie ainsi que d’efficacité énergétique.

218    En deuxième lieu, il convient de rejeter la critique selon laquelle la Commission, aux considérants 339 et 341 de la décision attaquée, aurait d’abord dû tenir compte de manière adéquate des coûts externes résultant notamment du traitement et du stockage de déchets nucléaires, avant d’être en mesure de constater que la Hongrie n’octroierait pas de soutien supplémentaire durant l’exploitation des nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks. À cet égard, il convient de relever que la Commission est parvenue, auxdits considérants, à la conclusion selon laquelle une surcompensation du bénéficiaire en raison de la mesure d’aide était exclue. La République d’Autriche n’explique pas dans quelle mesure les coûts du traitement et du stockage de déchets nucléaires seraient directement pertinents pour cette question. En outre, la Commission a constaté que l’aide litigieuse ne comprenait aucun soutien supplémentaire pour la phase d’exploitation. Par ailleurs, au considérant 338 de la décision attaquée, la Commission a renvoyé à la section 5.1 de la décision attaquée dans laquelle, aux considérants 238 et 246, elle a tenu compte des coûts de la gestion des déchets pour l’appréciation de la rentabilité.

219    En troisième lieu, la République d’Autriche n’explique pas quelle pertinence le risque d’incidents et les coûts externes qui résultent de tels incidents pourraient avoir pour l’appréciation de la proportionnalité de l’aide.

220    En quatrième lieu, la République d’Autriche critique l’absence d’observations sur les spécificités du besoin de financement des centrales nucléaires, en ce que celles-ci engendrent, outre les coûts de construction, des coûts supplémentaires considérables en ce qui concerne le démantèlement des installations ainsi que le traitement et le stockage des déchets radioactifs à la fin du projet, tandis que, dans le cas des énergies renouvelables, les coûts les plus importants seraient supportés au début du projet, de sorte que le besoin de financement existe principalement au moment de la construction. Par cet argument, la République d’Autriche reproche à la Commission de ne pas avoir examiné, dans le cadre de l’appréciation de la proportionnalité de l’aide, un élément que la Commission n’a toutefois pas considéré comme pertinent. En effet, la Commission a concentré son analyse sur l’aspect de la limitation de l’aide à l’investissement et n’a pas traité des questions liées à la phase d’exploitation. Cela s’explique par la circonstance qu’elle s’est appuyée sur le fait, clairement évoqué au considérant 325 de la décision attaquée, que la Hongrie ne prévoyait pas d’accorder un soutien opérationnel à la société Paks II durant son exploitation et que l’aide d’État couvrait uniquement les coûts d’investissement pour l’achèvement du projet. Suivant son approche, la seule pertinence indirecte de la phase opérationnelle des nouveaux réacteurs est celle de la réalisation de bénéfices qui pourraient causer une surcompensation. Or, la question de la pertinence du fait que la phase d’exploitation d’une centrale nucléaire puisse engendrer des coûts relativement hauts, à la différence des centrales d’énergie renouvelable, pour la question de la proportionnalité sous l’angle d’un éventuel renforcement de la distorsion de la concurrence, est une question de fond et de légalité matérielle de la décision attaquée et ne concerne, dès lors, aucunement sa motivation.

221    En cinquième lieu, contrairement à ce que prétend la République d’Autriche, la décision attaquée n’est pas entachée d’un défaut de motivation dans la mesure où la Commission n’a pas considéré l’absence d’une procédure de mise en concurrence comme une circonstance aggravante en ce qui concerne les effets sur la concurrence. À cet égard, il convient d’observer que, au considérant 336 de la décision attaquée, la Commission a constaté que les règles en matière d’aides d’État n’exigeaient pas un appel d’offres pour estimer les coûts et les revenus et qu’un appel d’offres n’était que l’un des nombreux moyens permettant de réaliser une estimation.

222    Partant, il y a lieu de rejeter la quatrième branche du dixième moyen.

 Sur la cinquième branche du dixième moyen, tirée de la motivation insuffisante de la décision attaquée quant à l’absence de distorsion de la concurrence

223    Déplorant la motivation prétendument insuffisante de la décision attaquée quant à l’absence de distorsion de la concurrence, la République d’Autriche relève que, dans la décision d’ouverture, la Commission a attiré l’attention sur le risque d’une concentration considérable du marché de l’électricité en Hongrie. Toutefois, dans la décision attaquée, la Commission ne mentionnerait plus ces doutes sans fournir de motivation plus précise concernant ce revirement d’opinion. Notamment, la Commission n’aurait pas déterminé la structure du marché en Hongrie ni discuté à suffisance de la situation transfrontalière ou de la prétendue mise hors service des anciens réacteurs nucléaires en 2032.

224    Toutefois, aux considérants 346 et suivants de la décision attaquée, la Commission a évoqué les doutes qu’elle avait exposés dans la décision d’ouverture à l’égard d’un risque d’une concentration considérable du marché en Hongrie. Aux considérants 350 et suivants de la décision attaquée, elle a présenté les raisons pour lesquelles elle estimait que les informations supplémentaires fournies par la Hongrie et par le groupe MVM répondaient à toutes ses préoccupations en ce qui concernait d’éventuelles futures concentrations.

225    S’agissant de la détermination de la structure du marché en Hongrie, la République d’Autriche omet d’expliquer pourquoi elle doute du constat selon lequel une part de marché de 20 % ne permet pas de conclure à une position dominante. En ce qui concerne le constat selon lequel les parts de marché combinées du groupe MVM et de la société Paks II dans le marché couplé de la Hongrie, de la Slovaquie et de la Roumanie n’excèdent pas 20 %, il y a lieu de noter que la Commission a renvoyé, au considérant 370 de la décision attaquée, à son considérant 112 intégrant un graphique explicatif extrait de l’étude NERA.

226    En ce qui concerne l’argument de la République d’Autriche selon lequel le considérant 388 de la décision attaquée est insuffisamment motivé, il convient d’observer que, selon ledit considérant, l’exploitation des nouveaux réacteurs nucléaires ne devrait pas jouer « un rôle transfrontalier important » étant donné que la Hongrie restera un importateur net avec l’un des prix les plus élevés de la région et qu’il n’y a pas à redouter d’une augmentation drastique des prix de l’électricité dans les régions frontalières. Le considérant 388 de la décision attaquée présente la conclusion de la section relative aux distorsions de la concurrence et de la compensation globale, la motivation détaillée figurant dans les sections précédentes. Cette motivation plus précise dans les sections précédentes de la décision attaquée englobe des études prouvant que la Hongrie restera un importateur net avec l’un des prix les plus élevés de la région et que les effets de la mise en service des nouveaux réacteurs nucléaires sur les zones de prix de l’électricité se trouvant en dehors de celles directement voisines de la Hongrie seraient limités à cause de la distance et des contraintes du réseau qui rendraient l’électricité produite en Hongrie encore plus chère pour les régions plus éloignées. La question de savoir à partir de quel moment « un rôle transfrontalier » aboutit effectivement à une distorsion de la concurrence est théorique et sans pertinence pour la décision en cause, dans la mesure où la Commission a constaté que la taille des deux nouveaux réacteurs était similaire aux quatre unités actuellement en fonctionnement et que celle-ci ne devrait pas jouer un rôle transfrontalier important.

227    Enfin, si la République d’Autriche fait valoir que la motivation de la décision attaquée est insuffisante en ce que la Commission ne justifie pas sa certitude quant au fait que les anciens réacteurs seront mis hors service en 2032, comme cela ressortirait notamment des considérants 350 et 356 de la décision attaquée, il y a lieu de relever que la Commission ne se fonde pas sur le fait que les quatre anciens réacteurs seront mis hors service en 2032, mais sur le fait que la période « pendant laquelle les quatre réacteurs actuellement en usage fonctionneront en parallèle avec ceux de Paks II » se limite à l’intervalle 2026 à 2032. Comme il ressort de la première phrase du considérant 350 de la décision attaquée ainsi que des considérants 10 et 17 de cette même décision, le remplacement des capacités nucléaires existantes de la centrale nucléaire de Paks s’effectuera progressivement entre 2025 et 2037, cette circonstance faisant partie intégrante de la description de la mesure d’aide. Le reproche de la République d’Autriche tiré d’une motivation insuffisante à cet égard n’est dès lors pas justifié.

228    Ainsi, il y a lieu de rejeter la cinquième branche du dixième moyen.

 Sur la sixième branche du dixième moyen, tirée de la détermination insuffisante de l’aide

229    S’agissant de la critique selon laquelle la Commission a violé son obligation de motivation en n’ayant pas rendu l’aide suffisamment déterminable, la République d’Autriche se borne, à l’appui de cette branche, à renvoyer à son exposé relatif au neuvième moyen, par lequel elle a invoqué une détermination insuffisante de l’aide. Or, dans son exposé relatif au neuvième moyen, la République d’Autriche ne fait valoir aucun vice de motivation. En tout état de cause, il ressort de l’analyse figurant aux points 184 à 191 ci-dessus que la Commission a suffisamment déterminé l’aide en cause. En outre, l’argumentation présentée par la République d’Autriche dans le cadre du neuvième moyen révèle que la motivation de la décision attaquée à cet égard était suffisante en ce qu’elle lui a permis de connaître les justifications de la mesure prise, comme le requiert la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2015, Fliesen-Zentrum Deutschland, C‑687/13, EU:C:2015:573, point 75 et jurisprudence citée).

230    Il convient donc d’écarter la sixième branche du dixième moyen et de rejeter le dixième moyen dans son ensemble.

231    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours.

 Sur les dépens

232    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République d’Autriche ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

233    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Partant, d’une part, le Grand-Duché de Luxembourg et, d’autre part, la République tchèque, la République française, la Hongrie, la République de Pologne, la République slovaque et le Royaume-Uni supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La République d’Autriche supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      La République tchèque, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, la Hongrie, la République de Pologne, la République slovaque et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporteront leurs propres dépens.

Van der Woude

De Baere

Steinfatt

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 novembre 2022 .

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige et décision attaquée

Conclusions des parties

En droit

Sur le premier moyen, tiré de l’absence d’une procédure de passation de marché public

Sur le quatrième moyen, tiré du caractère disproportionné de la mesure d’aide en cause

Sur la première branche, tirée d’un examen incomplet du caractère nécessaire de la mesure en cause

Sur la deuxième branche du quatrième moyen, tirée d’une mise en balance insuffisante des effets positifs et négatifs de l’aide en cause

Sur la troisième branche du quatrième moyen, tirée de l’absence d’une prise en compte des solutions de remplacement de l’énergie nucléaire

Sur le cinquième moyen, tiré de l’existence de distorsions disproportionnées de la concurrence et d’inégalités de traitement qui rendraient l’aide incompatible avec le marché intérieur

Sur le sixième moyen, tiré de l’illégalité d’une aide à une entreprise en difficulté

Sur le septième moyen, tiré du renforcement ou de la création d’une position dominante sur le marché

Sur la puissance de la centrale nucléaire de Paks sur le marché hongrois et sur le marché intérieur de l’Union

Sur la prolongation de l’exploitation parallèle des anciens et des nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Paks

Sur l’indépendance de l’entreprise exploitant les anciens réacteurs de la centrale nucléaire de Paks à l’égard de l’entreprise exploitant les nouveaux réacteurs de la même centrale nucléaire

Sur le huitième moyen, tiré du risque pour la liquidité du marché de gros d’électricité hongrois

Sur le neuvième moyen, tiré de la détermination insuffisante de l’aide d’État

Sur le dixième moyen, tiré d’une motivation insuffisante

Sur la première branche du dixième moyen, tirée de la motivation insuffisante de la décision attaquée quant à la compatibilité de l’aide avec d’autres dispositions du droit de l’Union

Sur la deuxième branche du dixième moyen, tirée de la motivation insuffisante de la décision attaquée quant à la qualification de la promotion de l’énergie nucléaire d’intérêt commun

Sur la troisième branche du dixième moyen, tirée de la motivation insuffisante de la décision attaquée quant à la délimitation du marché et à une défaillance du marché des capitaux

Sur la quatrième branche du dixième moyen, tirée de la motivation insuffisante de la décision attaquée quant à la proportionnalité de l’aide

Sur la cinquième branche du dixième moyen, tirée de la motivation insuffisante de la décision attaquée quant à l’absence de distorsion de la concurrence

Sur la sixième branche du dixième moyen, tirée de la détermination insuffisante de l’aide

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’allemand