Language of document : ECLI:EU:T:2023:584

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

27 septembre 2023 (*)

« Aides d’État – Régime d’aides mis à exécution par l’Espagne – Déductions de l’impôt sur les sociétés permettant aux entreprises fiscalement domiciliées en Espagne d’amortir la survaleur résultant de prises de participations indirectes dans des entreprises étrangères par le biais d’une prise de participations directes dans des holdings étrangères – Décision déclarant le régime d’aides illégal et incompatible avec le marché intérieur et ordonnant la récupération des aides versées – Décision 2011/5/CE – Décision 2011/282/UE – Champ d’application – Retrait d’un acte – Sécurité juridique – Confiance légitime »

Dans les affaires T‑252/15 et T‑257/15,

Ferrovial, SA, établie à Madrid (Espagne),

Ferrovial Servicios SA, établie à Madrid,

Amey UK plc, établie à Oxford (Royaume-Uni),

représentées par Mes M. Muñoz Pérez et A. Santander Ruiz, avocats,

parties requérantes dans l’affaire T‑252/15,

Arcelormittal Spain Holding, SL, établie à Madrid, représentée par Me Muñoz Pérez,

partie requérante dans l’affaire T‑257/15,

contre

Commission européenne, représentée par M. B. Stromsky et Mme P. Němečková, en qualité d’agents, assistés de Me M. Segura Catalán, avocate,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé, lors des délibérations, de MM. J. Svenningsen, président, C. Mac Eochaidh (rapporteur) et Mme T. Pynnä, juges,

greffier : Mme P. Núñez Ruiz, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’ordonnance du 29 novembre 2017, Ferrovial e.a./Commission (T‑252/15 R, non publiée, EU:T:2017:850),

vu les décisions du 14 juillet 2015 suspendant la procédure jusqu’à la décision de la Cour mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑20/15 P, Commission/Autogrill España, ou dans l’affaire C‑21/15 P, Commission/Banco Santander et Santusa,

vu l’arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981), annulant les arrêts du 7 novembre 2014, Banco Santander et Santusa/Commission (T‑399/11, EU:T:2014:938), et du 7 novembre 2014, Autogrill España/Commission (T‑219/10, EU:T:2014:939),

vu les décisions du 18 mars 2019 de suspendre la procédure jusqu’à la dernière décision mettant fin à l’instance dans les affaires C‑51/19 P, World Duty Free Group/Commission, C‑53/19 P, Banco Santander et Santusa/Commission, C‑64/19 P, Espagne/Commission, et C‑65/19 P, Espagne/Commission, ou dans l’affaire C‑274/14, Banco de Santander,

vu les arrêts du 6 octobre 2021, Sigma Alimentos Exterior/Commission (C‑50/19 P, EU:C:2021:792), du 6 octobre 2021, World Duty Free Group et Espagne/Commission (C‑51/19 P et C‑64/19 P, EU:C:2021:793), du 6 octobre 2021, Banco Santander/Commission (C‑52/19 P, EU:C:2021:794), du 6 octobre 2021, Banco Santander e.a./Commission (C‑53/19 P et C‑65/19 P, EU:C:2021:795), du 6 octobre 2021, Axa Mediterranean/Commission (C‑54/19 P, EU:C:2021:796), et du 6 octobre 2021, Prosegur Compañía de Seguridad/Commission (C‑55/19 P, EU:C:2021:797),

à la suite de l’audience des 15 et 16 novembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par leurs recours fondés sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Ferrovial SA,  Ferrovial Servicios SA, Amey UK plc et Arcelormittal Spain Holding, SL, demandent l’annulation de la décision (UE) 2015/314 de la Commission, du 15 octobre 2014, relative à l’aide d’État SA.35550 (13/C) (ex 13/NN) (ex 12/CP) mise à exécution par l’Espagne – Régime relatif à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères (JO 2015, L 56, p. 38, ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

 Droit espagnol

2        L’article 12, paragraphe 5, de la Ley 43/1995 del Impuesto sobre Sociedades (loi 43/1995, relative à l’impôt sur les sociétés), du 27 décembre 1995 (BOE no 310, du 28 décembre 1995, p. 37072), introduit par la Ley 24/2001 de Medidas Fiscales, Administrativas y del Orden Social (loi 24/2001, portant adoption de mesures fiscales, administratives et d’ordre social), du 27 décembre 2001 (BOE no 313, du 31 décembre 2001, p. 50493), et repris par le Real Decreto Legislativo 4/2004 por el que se aprueba el Texto refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades (décret législatif royal 4/2004, portant approbation du texte remanié de la loi relative à l’impôt sur les sociétés), du 5 mars 2004 (BOE no 61, du 11 mars 2004, p. 10951, ci-après le « TRLIS »), est entré en vigueur le 1er janvier 2002.

3        Selon le considérant 17 de la décision attaquée, l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS prévoit ce qui suit :

« La survaleur financière est définie […] comme étant le montant de l’écart entre le prix de la prise de participations et sa valeur comptable à la date de l’acquisition qui n’a pas pu être imputé aux biens et droits de l’entité étrangère. La partie de l’écart qui n’a pas été imputée est déductible de l’assiette imposable, avec pour plafond annuel le vingtième de son montant. Cela s’entend sans préjudice de la législation comptable en vigueur. »

4        Le considérant 18 de la décision attaquée énonce ce qui suit :

« L’article 21 du TRLIS fixe les critères auxquels sont soumis les revenus de l’entité qui ne réside pas sur le territoire espagnol pour que l’entreprise résidente puisse appliquer la déduction prévue à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS :

a)      le pourcentage de la participation, directe ou indirecte, au capital ou aux capitaux propres de l’entité étrangère doit être au moins de 5 %. L’entreprise résidente doit en outre détenir la participation durant une période ininterrompue d’un an minimum ;

b)      l’entité étrangère doit être assujettie à un impôt étranger similaire à l’impôt espagnol des sociétés. Cette condition est réputée remplie si le pays de résidence de l’entreprise acquise a signé une convention fiscale avec le Royaume d’Espagne visant à éviter la double imposition internationale et pourvue d’une clause sur l’échange d’informations ;

c)      les revenus doivent provenir de la réalisation d’activités à l’étranger. Cette condition est remplie lorsqu[e] au moins 85 % des revenus satisfont aux critères suivants :

i)      les revenus de l’entité étrangère doivent provenir de l’étranger et ne peuvent être compris dans l’assiette imposable du fait de l’application des règles en matière de transparence fiscale. En particulier, sont réputés remplir ces conditions les revenus tirés des activités suivantes :

–        le commerce de gros, lorsque les biens sont mis à la disposition des acquéreurs dans le pays ou le territoire où réside l’entité étrangère ou dans tout autre pays ou territoire que l’Espagne, pour autant que les opérations soient réalisées par l’entité étrangère,

–        les services fournis sur le territoire sur lequel l’entreprise étrangère a son domicile fiscal, pour autant que ces prestations soient effectuées par l’entité étrangère,

–        les services financiers fournis à des bénéficiaires qui n’ont pas leur domicile fiscal en Espagne, pour autant que ces prestations soient effectuées par l’entité étrangère,

–        les services d’assurances relatifs à des risques situés en dehors de l’Espagne, pour autant que les services d’assurances soient fournis par l’entité étrangère ;

ii)      les dividendes ou participations aux bénéfices d’entités étrangères tirés de participations indirectes satisfaisant aux critères figurant à l’article 21, paragraphe 1, [sous] a), du TRLIS. De même, les revenus du capital tirés du transfert de participations dans des entreprises étrangères, pour autant que les critères fixés à l’article 21, paragraphe 2, du TRLIS soient satisfaits. »

5        Selon le considérant 25 de la décision attaquée, les prises de participations directes constituent des prises de participations aux capitaux propres d’une entreprise par une autre entreprise (ci-après les « prises de participations directes »). En revanche, les prises de participations indirectes constituent des prises de participations aux capitaux propres d’une filiale de deuxième niveau ou de niveau ultérieur par une autre entreprise en conséquence d’une prise de participations directes antérieure. Ce faisant, l’entreprise acquéreuse devient indirectement détentrice de participations dans des filiales de deuxième niveau ou de niveau ultérieur (ci-après les « prises de participations indirectes »).

6        Selon le considérant 40 de la décision attaquée, l’article 15 du Real Decreto 1777/2004 por el que se aprueba el Reglamento del Impuesto sobre Sociedades (décret royal 1777/2004, par lequel est approuvé le règlement sur l’impôt des sociétés), du 30 juillet 2004 (BOE no 189, du 6 août 2004, p. 28377), prévoit que les assujettis qui entendent bénéficier de la déduction fiscale prévue par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS soumettent, avec leur déclaration d’impôt sur les sociétés, diverses informations « en ce qui concerne l’entreprise détenue directement ».

7        Il ressort également de la décision attaquée que le système espagnol de recouvrement de l’impôt des sociétés se fonde sur une procédure d’autoliquidation, prévue à l’article 137 du TRLIS.

8        Cette procédure d’autoliquidation est définie à l’article 120 de la Ley 58/2003 General Tributaria (loi 58/2003, portant code général des impôts), du 17 décembre 2003 (BOE no 302, du 18 décembre 2003, p. 44987, ci-après la « LGT ») dans les termes suivants :

« l.      Les autoliquidations sont des déclarations dans lesquelles les assujettis, non seulement communiquent à l’administration les données nécessaires pour la liquidation de l’impôt ainsi que d’autres informations, mais effectuent eux-mêmes aussi les opérations de qualification et de quantification nécessaires pour déterminer et verser le montant de la dette fiscale ou, le cas échéant, déterminer le montant à rembourser ou à compenser.

2.      Les autoliquidations présentées par les assujettis peuvent faire l’objet de vérifications et d’un contrôle de l’administration, laquelle procédera, le cas échéant, à la liquidation qui s’impose [...] »

 Réponses aux questions de membres du Parlement

9        Par plusieurs questions écrites posées en 2005 et en 2006 (portant les références E-4431/05, E-4772/05, E-5800/06 et P-5509/06), des membres du Parlement européen ont interrogé la Commission européenne sur la compatibilité du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS avec les règles sur les aides d’État.

10      Dans ses réponses des 19 janvier et 17 février 2006, données respectivement aux questions E-4431/05 et E-4772/05, la Commission a affirmé que le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS n’entrait pas dans le champ d’application des règles relatives aux aides d’État.

 Décisions 2011/5 et 2011/282

11      Par lettre du 26 mars 2007, la Commission a invité les autorités espagnoles à lui fournir des informations afin d’évaluer la portée et les effets du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS. La Commission a invité, notamment, le Royaume d’Espagne à préciser quels types d’opérations étaient couverts par cette disposition. En effet, selon l’analyse préliminaire des services de la Commission, l’impossibilité de déduire les parts acquises dans une société holding restreignait de manière déraisonnable le nombre de bénéficiaires potentiels du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS.

12      Par lettre du 4 juin 2007, les autorités espagnoles ont répondu à la Commission que, selon le critère administratif alors applicable, seule la survaleur financière résultant de prises de participations directes était déductible au titre du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS (ci-après l’« interprétation administrative initiale »).

13      Par décision du 10 octobre 2007, dont un résumé a été publié le 21 décembre 2007 (JO 2007, C 311, p. 21), la Commission a ouvert une procédure formelle d’examen concernant le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS (ci-après la « première procédure formelle d’examen »).

14      Le 28 octobre 2009, la Commission a adopté la décision 2011/5/CE, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48, ci-après la « première décision »). Par cette décision, la Commission a déclaré incompatible avec le marché intérieur le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, lorsqu’il s’appliquait à des prises de participations dans des sociétés établies au sein de l’Union européenne (article 1er, paragraphe 1, de ladite décision), et a enjoint au Royaume d’Espagne de récupérer les aides correspondant aux réductions fiscales octroyées sur la base de ce régime (article 4 de la même décision).

15      Le 12 janvier 2011, la Commission a adopté la décision 2011/282/UE, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 135, p. 1, ci-après la « seconde décision »), à l’issue de la même procédure formelle que celle ayant donné lieu à la première décision. Par cette décision, qui concernait les prises de participations dans des sociétés étrangères établies non plus dans l’Union, mais en dehors de celle-ci, et qui a fait l’objet de correctifs les 3 mars et 26 novembre 2011, la Commission a, notamment, déclaré incompatible avec le marché intérieur le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, lorsqu’il s’appliquait à des prises de participations dans des entreprises établies en dehors de l’Union (article 1er, paragraphe 1, de ladite décision), et a enjoint au Royaume d’Espagne de récupérer les aides accordées (article 4 de la même décision).

16      Toutefois, compte tenu de sa reconnaissance, dans la première décision et dans la seconde décision (ci-après, prises ensemble, les « décisions initiales »), d’une confiance légitime à l’égard de certaines entreprises bénéficiaires du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, la Commission a admis que ce régime pouvait continuer à s’appliquer durant toute la période d’amortissement prévue par lui, premièrement, aux prises de participations opérées avant la publication au Journal officiel de l’Union européenne, le 21 décembre 2007, de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, deuxièmement, aux prises de participations dont la réalisation, subordonnée à l’autorisation d’une autorité de régulation à laquelle l’opération avait été notifiée avant cette date, était irrévocablement engagée avant le 21 décembre 2007, troisièmement, aux prises de participations majoritaires, opérées avant la publication au Journal officiel de l’Union européenne, le 21 mai 2011, de la seconde décision, dans des entreprises étrangères établies en Chine, en Inde ou dans d’autres pays tiers où l’existence d’obstacles juridiques explicites aux regroupements transfrontières d’entreprises avait été démontrée ou pouvait l’être et, quatrièmement, aux prises de participations dans des entreprises étrangères établies en Chine, en Inde ou dans d’autres pays tiers où l’existence d’obstacles juridiques explicites aux regroupements transfrontières d’entreprises avait été démontrée ou pouvait l’être et dont la réalisation, subordonnée à l’autorisation d’une autorité de régulation à laquelle l’opération avait été notifiée avant cette date, était irrévocablement engagée avant le 21 mai 2011 (article 1er, paragraphes 2 et 3, de la première décision et article 1er, paragraphes 2 à 5, de la seconde décision). Ainsi, les aides qui avaient été versées en application de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS et qui satisfaisaient à l’une des conditions susmentionnées n’étaient donc pas concernées par l’obligation de récupération (article 4, paragraphe 1, de la première décision et article 4, paragraphe 1, de la seconde décision).

 Nouvelle interprétation administrative

17      Par courrier électronique du 12 avril 2012, les autorités espagnoles ont informé la Commission que, le 21 mars 2012, la Dirección General de Tributos (direction générale des impôts, Espagne, ci-après la « DGT ») avait adopté l’avis contraignant portant la référence V0608-12, qui était également applicable aux opérations réalisées avant cette date (ci-après la « nouvelle interprétation administrative »).

18      Au considérant 40 de la décision attaquée, la Commission a résumé les principaux motifs qui auraient, selon elle, conduit la DGT et, à sa suite, le Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central, Espagne) à modifier la portée de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS pour y inclure les prises de participations indirectes. Ces motifs seraient les suivants :

« a)      premièrement, la DGT et le [Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central)] renvoient à l’article 21, paragraphe 1, [sous] c), du TRLIS pour affirmer que les prises de participations indirectes peuvent également donner droit à la déduction prévue à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS. D’après le [Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central)] et la DGT, le critère de l’exercice d’une activité économique peut être satisfait si l’entité opérationnelle est également présente dans des filiales de deuxième niveau ou de niveau ultérieur. Plus précisément, la DGT et le [Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central)] renvoient à l’article 21, paragraphe 1, [sous] c), second alinéa, du TRLIS[,] dans lequel il est explicitement établi que la disposition s’applique également aux dividendes ou participations résultant de prises de participations directes ou indirectes. La DGT et le [Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central)] concluent que le fait que l’entreprise soit présente dans des filiales de deuxième niveau ou de niveau ultérieur ne doit pas constituer un obstacle à l’application de la déduction prévue à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS ;

b)      deuxièmement, la DGT et le [Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central)] font référence à la logique de la disposition : étant donné que l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS vise à encourager l’internationalisation et l’investissement à l’étranger des entreprises espagnoles, il serait contraire à l’esprit de la disposition d’exclure de son champ d’application les investissements réalisés par des entreprises espagnoles dans des holdings étrangères. Par ailleurs, la DGT et le [Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central)] affirment que, comme en témoigne la réalité économique, la prise de participations dans des entreprises étrangères est généralement le fruit de l’acquisition d’une holding. Le fait qu’un investissement soit réalisé au travers de la prise de participations dans une holding est une circonstance extérieure qui ne dépend pas de l’entreprise qui acquiert des participations dans la holding, mais de la structure du marché. La présence d’entreprises intermédiaires, comme les holdings, ne devrait pas constituer un obstacle à la réalisation d’investissements, ni susciter une distinction entre différents types de prises de participations ;

c)      troisièmement, la DGT et le [Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central)] avancent que le texte des [décisions initiales] de la Commission fait constamment référence aux prises de participations aussi bien directes qu’indirectes. Sur la base de la formulation de ces deux décisions, la DGT et le [Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central)] concluent que la Commission […] admet la déduction de la survaleur financière aussi bien pour les prises de participations directes que pour les prises de participations indirectes ;

d)      quatrièmement, la DGT reconnaît également que cette interprétation est donnée en dépit de l’obligation de fournir des informations établie à l’article 15 du [décret royal 1777/2004, par lequel est approuvé le règlement sur l’impôt des sociétés]. Cet article exige uniquement que soient fournies toutes les informations relatives à la prise de participations d’une entreprise directement acquise afin de pouvoir appliquer l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS. Si la déduction était aussi applicable aux prises de participations indirectes, il aurait été logique d’inclure également les prises de participations indirectes aux fins d’une plus grande transparence. Néanmoins, cela ne doit pas être un élément déterminant pour donner une interprétation restrictive de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS ;

e)      enfin, pour appliquer la déduction aux prises de participations indirectes, il est nécessaire de convertir la participation indirecte en participation directe par une opération de concentration préalable. Il serait contraire au principe de neutralité fiscale de traiter différemment, d’un point de vue fiscal, une prise de participations entraînant un regroupement d’entreprises et une prise de participations n’ayant pas un tel effet. La DGT et le [Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central)] concluent que la déduction doit pouvoir également être appliquée à différents niveaux de prise de participations. À cet égard, il est nécessaire de démontrer, par un bilan consolidé ou tout autre élément de preuve admis en droit, qu’une partie du prix de la prise de participations correspond à la survaleur financière existant dans une prise de participations réalisée dans une entreprise opérationnelle acquise “indirectement”. »

 Procédure ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée

19      Entre le 4 juillet 2012 et le 1er juillet 2013, la Commission a adressé au Royaume d’Espagne diverses questions et demandes d’informations au sujet de la nouvelle interprétation administrative. Le 17 juillet 2013, la Commission a informé le Royaume d’Espagne de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, eu égard aux effets qui découleraient de cette nouvelle interprétation administrative (ci-après la « seconde procédure formelle d’examen »). Cette décision a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 7 septembre 2013 (JO 2013, C 258, p. 8). La Commission y a invité le Royaume d’Espagne et les tiers intéressés à présenter leurs observations.

20      À l’issue de la seconde procédure formelle d’examen, la Commission a adopté la décision attaquée.

21      Au considérant 94 de la décision attaquée, la Commission a précisé que cette décision concernait exclusivement les effets de la nouvelle interprétation administrative, qui avait été introduite par les autorités espagnoles après l’adoption des décisions initiales.

22      En effet, selon la Commission, l’objectif des décisions initiales était d’évaluer la compatibilité avec le marché intérieur du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, tel qu’il avait été présenté par les autorités espagnoles au cours de la procédure administrative qui avait mené à l’adoption de ces décisions. Or, dans la lettre du 4 juin 2007, visée au point 12 ci-dessus, le Royaume d’Espagne aurait expliqué à la Commission que la pratique administrative initiale autorisait uniquement la déduction de la survaleur financière en cas de prises de participations directes dans des entreprises opérationnelles. Enfin, toujours selon la Commission, la DGT et le Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central) auraient appliqué, de manière systématique et constante, l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS exclusivement aux prises de participations directes dans des entreprises opérationnelles depuis le 1er janvier 2002, date d’entrée en vigueur de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, jusqu’à l’adoption de la nouvelle interprétation administrative en mars 2012 (considérants 95 à 98 de la décision attaquée).

23      La Commission a également relevé que la nouvelle interprétation administrative, introduite par les autorités espagnoles en mars 2012, avait élargi le champ d’application de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, puisque la mesure aurait été désormais applicable non seulement à la survaleur financière résultant de prises de participations directes dans des entreprises étrangères, mais également à la survaleur financière résultant de prises de participations indirectes dans des entreprises étrangères par l’intermédiaire d’une prise de participations dans une holding (considérant 99 de la décision attaquée).

24      La Commission a déduit de ces éléments que la nouvelle interprétation administrative n’était pas couverte par les décisions initiales. De plus, cette nouvelle interprétation administrative ne pouvait pas, selon la Commission, être qualifiée d’« aide existante » au sens de l’article 1er, sous b), du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), puisque les décisions initiales avaient déjà conclu que le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, tel qu’il était appliqué par les autorités espagnoles, constituait un régime d’aides illégal et incompatible avec le marché intérieur. Selon la Commission, la nouvelle interprétation administrative constituait ainsi une « aide nouvelle », au sens de l’article 1er, sous c), de ce règlement (considérants 99 à 101 de la décision attaquée).

25      Le Royaume d’Espagne et les tiers intéressés ont néanmoins demandé que la confiance légitime reconnue dans les décisions initiales soit appliquée de la même manière aux prises de participations indirectes. Selon eux, l’existence d’une confiance légitime aurait dû être reconnue en raison des références faites aux prises de participations indirectes dans les réponses de la Commission aux questions parlementaires visées aux points 9 et 10 ci-dessus, dans le communiqué de presse du 10 octobre 2007 annonçant l’ouverture de la première procédure formelle d’examen (portant la référence IP/07/1469) ainsi que dans les décisions initiales (considérant 189 de la décision attaquée).

26      Cependant, contrairement à ce qu’elle avait décidé dans les décisions initiales (voir point 16 ci-dessus), la Commission a refusé, dans la décision attaquée, d’écarter la récupération des aides versées en application du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, relatives à des prises de participations indirectes et qui satisfaisaient aux mêmes conditions que celles visées au point 16 ci-dessus, en application du principe de protection de la confiance légitime (considérants 189 à 200 de la décision attaquée).

27      La Commission a donc conclu que la nouvelle interprétation administrative, qui, selon elle, avait élargi la portée de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS afin de couvrir les prises de participations indirectes dans des entreprises étrangères par l’intermédiaire de prises de participations directes dans des holdings étrangères et avait été exécutée de manière illégale par le Royaume d’Espagne en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, était incompatible avec le marché intérieur (article 1er de la décision attaquée). Par conséquent, la Commission a exigé que le Royaume d’Espagne mette un terme à ce régime d’aides et qu’il récupère les aides octroyées au titre de celui-ci (articles 4 à 7 de la décision attaquée), sauf dans les cas d’aides individuelles versées en application de ce régime et remplissant les conditions d’un règlement de minimis ou d’exemption par catégorie (articles 2 et 3 de la décision attaquée).

 Conclusions des parties

28      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

29      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

30      Les parties ayant été entendues, le Tribunal décide de joindre les affaires T‑252/15 et T‑257/15 aux fins du présent arrêt, conformément à l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

 Sur la recevabilité des recours

31      Dans ses écritures, la Commission a contesté la recevabilité des présents recours. Toutefois, lors de l’audience, la Commission a admis que les requérantes avaient bénéficié du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS pour les participations indirectes qu’elles avaient acquises, de sorte que leurs recours étaient recevables.

32      À cet égard, le Tribunal constate, sur le fondement des éléments qui lui ont été soumis, que les requérantes sont les bénéficiaires effectives d’aides individuelles octroyées au titre du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, ayant pris la forme de déductions opérées au titre de prises de participations indirectes, et s’exposent au remboursement de celles-ci, en application de l’ordre de récupération des aides versées en exécution de ce régime adressé par la Commission au Royaume d’Espagne, à l’article 4, paragraphes 2 à 5, de la décision attaquée.

33      Partant, les recours sont recevables.

 Sur le fond

34      Dans les requêtes, les requérantes ont initialement soulevé quatre moyens. Le premier moyen était tiré de la violation de l’obligation de motivation. Le deuxième moyen était tiré de la violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en raison d’une erreur de droit en ce qui concernait la condition de sélectivité. Le troisième moyen était tiré de l’absence d’aide nouvelle au sens de l’article 108, paragraphe 3, du TFUE, de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999, tel qu’applicable au moment de l’adoption de la décision attaquée, ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement no 659/1999 (JO 2004, L 140, p. 1). Le quatrième moyen était tiré de la violation des principes de protection de la confiance légitime, d’estoppel (ou des actes propres) et de sécurité juridique. Par ailleurs, les requérantes de l’affaire T‑252/15 avaient soulevé un cinquième moyen, tiré de la nullité de l’ordre de récupération en ce qu’il n’excluait pas les opérations antérieures au 10 mars 2005.

35      Dans leurs observations du 15 novembre 2021, à l’occasion desquelles elles ont pris position sur les implications des arrêts du 6 octobre 2021, Sigma Alimentos Exterior/Commission (C‑50/19 P, EU:C:2021:792), du 6 octobre 2021, World Duty Free Group et Espagne/Commission (C‑51/19 P et C‑64/19 P, EU:C:2021:793), du 6 octobre 2021, Banco Santander/Commission (C‑52/19 P, EU:C:2021:794), du 6 octobre 2021, Banco Santander e.a./Commission (C‑53/19 P et C‑65/19 P, EU:C:2021:795), du 6 octobre 2021, Axa Mediterranean/Commission (C‑54/19 P, EU:C:2021:796), et du 6 octobre 2021, Prosegur Compañía de Seguridad/Commission (C‑55/19 P, EU:C:2021:797), les requérantes ont renoncé au deuxième moyen, dès lors que, selon elles, la Cour avait statué à titre définitif sur le caractère sélectif du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS et sur la légalité des décisions initiales dans lesdits arrêts.

 Sur le troisième moyen

36      Par leur troisième moyen, les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission a erronément qualifié la nouvelle interprétation administrative d’aide nouvelle dans la décision attaquée.

37      Au soutien de la première branche du troisième moyen, les requérantes contestent l’applicabilité en l’espèce de la jurisprudence issue des arrêts du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C. (C‑138/09, EU:C:2010:291), et du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen Porzellan/Commission (C‑537/08 P, EU:C:2010:769), telle que mentionnée au considérant 96 de la décision attaquée. En effet, cette jurisprudence serait applicable uniquement si le régime litigieux avait été notifié par le Royaume d’Espagne à la Commission et si cette dernière avait constaté la compatibilité de ce régime avec le marché intérieur, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce. De surcroît, les décisions initiales n’ayant fait aucune référence au contenu de la lettre du 4 juin 2007 du Royaume d’Espagne, il ne saurait être tenu compte de cette lettre pour limiter la portée desdites décisions aux seules prises de participations directes.

38      Au soutien de la deuxième branche du troisième moyen, les requérantes affirment que la Commission a erronément apprécié la portée des avis contraignants de la DGT et des décisions du Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central). En effet, les requérantes font valoir que la nouvelle interprétation administrative n’a pas modifié le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, puisque ce régime était applicable, dès ses origines, aux prises de participations indirectes. À cet égard, elles font valoir que, en droit espagnol, la nouvelle interprétation administrative n’aurait pas pu modifier le champ d’application de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, dès lors qu’elle était dépourvue de toute force normative. Ce champ d’application n’aurait pu être modifié que par le législateur espagnol ou par la jurisprudence des juridictions espagnoles. Or, l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS n’aurait subi aucune modification substantielle depuis son entrée en vigueur, si ce n’est pour tenir compte des décisions initiales de la Commission. En outre, tant l’interprétation administrative initiale que la nouvelle interprétation administrative seraient dépourvues de tout effet juridique contraignant à l’égard des assujettis concernés. Ceux-ci auraient donc été en droit de suivre, ou non, ces interprétations administratives. Plusieurs assujettis auraient d’ailleurs appliqué l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS à des prises de participations indirectes bien avant l’adoption de la nouvelle interprétation administrative.

39      Au soutien de la troisième branche du troisième moyen, les requérantes font valoir que la Commission était pleinement consciente, lors de l’adoption des décisions initiales, du fait que le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS s’appliquait tant aux prises de participations directes qu’indirectes. Cette conclusion s’imposerait notamment en raison du fait que lesdites décisions font plusieurs références expresses aux prises de participations indirectes, mais également en raison de plusieurs prises de position publiques de la Commission antérieures aux décisions initiales. Dans ces conditions, la nouvelle interprétation administrative ne saurait être qualifiée d’aide nouvelle, puisqu’elle était déjà incluse dans le champ d’application matériel des décisions initiales.

40      S’agissant de la première branche du troisième moyen, la Commission fait valoir que la jurisprudence issue des arrêts du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C. (C‑138/09, EU:C:2010:291), et du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen Porzellan/Commission (C‑537/08 P, EU:C:2010:769), est applicable en l’espèce, quand bien même le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS ne lui avait pas été notifié. Eu égard aux informations transmises par les autorités espagnoles dans la lettre du 4 juin 2007, la portée du dispositif des décisions initiales devrait ainsi être limitée aux seules prises de participations directes.

41      S’agissant de la deuxième branche du troisième moyen, la Commission fait valoir que la nouvelle interprétation administrative a modifié le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, dès lors que, avant son adoption, seules les prises de participations directes entraient dans le champ d’application de cette disposition. En effet, l’interprétation administrative initiale excluait de manière constante, entre 2002 et 2012, les prises de participations indirectes du champ d’application de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS. Par ailleurs, la Commission conteste que les interprétations administratives soient dépourvues de tout effet juridique contraignant pour les assujettis, dès lors que l’administration fiscale espagnole serait tenue d’appliquer la même interprétation administrative à l’ensemble des assujettis se trouvant dans la même situation.

42      S’agissant de la troisième branche du troisième moyen, la Commission fait valoir que c’est à raison qu’elle a conclu dans la décision attaquée que la nouvelle interprétation administrative avait modifié le champ d’application du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS. En effet, les décisions initiales ne couvriraient pas les prises de participations indirectes, car elles auraient examiné le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, tel qu’il avait été présenté par les autorités espagnoles. Or, les autorités espagnoles auraient assuré à la Commission, dans leur lettre du 4 juin 2007, que le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS n’était applicable qu’aux prises de participations directes. Quant à ses prises de position publiques, la Commission soutient qu’elles seraient sans incidence, dès lors qu’elle n’aurait pas été tenue d’examiner la situation individuelle des entreprises concernées avant l’adoption des décisions initiales.

–       Sur l’objet du troisième moyen

43      Ainsi qu’il ressort des points 21 à 24 ci-dessus, la Commission a qualifié la nouvelle interprétation administrative d’aide nouvelle dans la décision attaquée. Par leur troisième moyen, les requérantes contestent que l’application du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS aux prises de participations indirectes puisse être qualifiée d’aide nouvelle.

44      En l’espèce, cependant, comme l’a exposé la Commission, notamment aux considérants 100 et 149 de la décision attaquée, il ne s’agit pas de déterminer si le régime d’aides en cause peut être qualifié de régime d’aides existant ou si la nouvelle interprétation administrative constitue une « modification substantielle » d’un régime d’aides existant, au sens de la jurisprudence, dans la mesure où les décisions initiales ont déjà conclu que l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, tel qu’appliqué par les autorités espagnoles, constituait un régime d’aides illégal et incompatible avec le marché intérieur. Il s’agit de déterminer, en revanche, si la portée des décisions initiales couvrait également, ou non, les prises de participations indirectes résultant d’une prise de participations directes dans une société holding et si, de ce fait, les entreprises ayant appliqué le régime de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS à de telles prises de participations indirectes peuvent également se prévaloir de la confiance légitime reconnue dans ces décisions.

45      Par leur argumentation, les requérantes visent ainsi, en réalité, à démontrer que les prises de participations indirectes étaient déjà couvertes par les décisions initiales et que, partant, la Commission n’était plus en droit d’adopter la décision attaquée, en ce qui concernait spécifiquement ce type d’opérations. En effet, pour les requérantes, la « question essentielle » des présentes affaires consiste à déterminer si les décisions initiales couvraient, ou non, les prises de participations indirectes. Sur ce point, les requérantes estiment que le raisonnement retenu par la Commission dans la décision attaquée est « non fondé », car cette institution était « parfaitement consciente » de l’applicabilité de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS aux prises de participations indirectes lorsqu’elle a adopté les décisions initiales.

46      C’est ainsi circonscrit que sera examiné le troisième moyen ci-après.

–       Sur la portée des décisions initiales

47      Les parties sont en désaccord sur la portée des décisions initiales. Les requérantes soutiennent que ces décisions visaient non seulement les prises de participations directes, mais également les prises de participations indirectes. En revanche, la Commission fait valoir que lesdites décisions ont analysé le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS tel qu’il avait été présenté par les autorités espagnoles au cours de la procédure administrative qui a conduit à l’adoption de ces décisions et que, partant, les prises de participations indirectes n’ont pas été examinées dans ce cadre. 

48      À cet égard, aux considérants 95, 96, 145 et 147 de la décision attaquée, la Commission a estimé que la portée des décisions initiales devait être déterminée, selon une jurisprudence constante, non seulement en se référant au texte même de celles-ci, mais également en tenant compte du régime d’aides notifié par l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêts du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C., C‑138/09, EU:C:2010:291, point 31 ; du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen Porzellan/Commission, C‑537/08 P, EU:C:2010:769, point 44, et du 20 septembre 2018, Carrefour Hypermarchés e.a., C‑510/16, EU:C:2018:751, point 38).

49      Il y a toutefois lieu de constater, d’emblée, que, en l’espèce, comme le font valoir les requérantes, à la différence de la situation en cause dans les arrêts mentionnés au point 48 ci-dessus, le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS n’a pas été notifié à la Commission par le Royaume d’Espagne et que les décisions initiales ont constaté non pas la compatibilité de ce régime avec le marché intérieur, mais, au contraire, son incompatibilité.

50      Le Tribunal rappelle par ailleurs que, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, TUE, le principe de coopération loyale entre les États membres et l’Union s’applique pendant toute la procédure relative à l’examen d’une mesure en matière d’aides d’État (voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 83 et jurisprudence citée).

51      Le principe de coopération loyale requiert que l’État membre concerné fournisse à la Commission les éléments qui lui permettent de se prononcer sur la nature d’aide d’État de la mesure en cause. Il requiert tout autant que la Commission, en vertu de son devoir d’examen diligent et impartial, examine avec soin les éléments qui lui sont fournis par cet État membre [voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, C‑131/15 P, EU:C:2016:989, point 34 et jurisprudence citée, et du 6 avril 2022, Mead Johnson Nutrition (Asia Pacific) e.a./Commission, T‑508/19, EU:T:2022:217, point 104 et jurisprudence citée].

52      De plus, il convient de rappeler que le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union (voir arrêt du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission, C‑81/10 P, EU:C:2011:811, point 100 et jurisprudence citée). Ce principe trouve également à s’appliquer lorsque la Commission adopte une décision en matière d’aides d’État, sur le fondement des articles 4 ou 7 du règlement no 659/1999, étant donné que l’État membre destinataire d’une décision l’obligeant à récupérer des aides illégales est tenu, en vertu de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution de ladite décision (voir arrêt du 26 juin 2003, Commission/Espagne, C‑404/00, EU:C:2003:373, point 21 et jurisprudence citée) et que ce caractère obligatoire s’impose à tous les organes de l’État destinataire d’une telle décision, y compris à ses juridictions (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C‑284/12, EU:C:2013:755, point 41).

53      Enfin, il convient de relever que, dans le cas spécifique d’un régime d’aides, comme en l’espèce, il ressort d’une jurisprudence constante que la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du régime en cause pour apprécier, dans les motifs de sa décision, si, en raison des modalités que ce régime prévoit, celui-ci assure un avantage aux bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter à des entreprises qui participent aux échanges entre les États membres. Ainsi, la Commission, dans une décision qui porte sur un tel régime, n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un tel régime. Ce n’est qu’au stade de la récupération des aides qu’il sera nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée (voir arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 65 et jurisprudence citée).

54      En l’espèce, il ressort, en premier lieu, de la lettre du 26 mars 2007 que, selon l’analyse préliminaire de la Commission, l’impossibilité de déduire les parts acquises dans une société holding restreignait de manière déraisonnable le nombre de bénéficiaires potentiels du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS.

55      En réponse à la lettre du 26 mars 2007, les autorités espagnoles ont indiqué, dans la lettre du 4 juin 2007, que, selon la pratique administrative en vigueur à ce moment, seule la survaleur financière résultant de prises de participations directes était déductible au titre du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS. En effet, les autorités espagnoles ont précisé que « le contrôle de l’investissement […] n’[était] possible qu’à travers la participation directe », que « la limitation des effets de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS au premier niveau […] empêch[ait] d’en étendre la portée aux survaleurs [générées dans des entreprises de deuxième niveau ou de niveau ultérieur] » et que le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS « [au]rait [été] difficilement gérable s’il [avait] port[é] aussi sur les survaleurs imputables à des entreprises étrangères [de deuxième niveau ou de niveau ultérieur], dans la mesure où ces participations [étaie]nt comptabilisées dans les actifs de ces autres entreprises étrangères, qui échapp[ai]ent au pouvoir de contrôle de la [DGT] ».

56      La lettre du 4 juin 2007 est certes évoquée au considérant 4 des décisions initiales. Toutefois, le Tribunal observe que lesdites décisions ne contiennent aucune référence au contenu de cette lettre. Or, si la Commission avait eu l’intention, eu égard aux informations figurant dans cette lettre, d’examiner le régime de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS uniquement en ce qu’il s’appliquait aux prises de participations directes, elle aurait dû l’énoncer clairement dans les décisions initiales, ce qu’elle n’a pas fait.

57      À cet égard, il est manifeste, au contraire, que les décisions initiales contiennent de nombreuses références explicites aux prises de participations indirectes. Celles-ci sont ainsi expressément visées dans les parties contenant la description détaillée du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS (considérant 21 de la première décision et considérant 30 de la seconde décision), la reconnaissance d’une confiance légitime (considérants 167 et 170 de la première décision et considérant 193 de la seconde décision) et la conclusion générale (considérant 175 de la première décision et considérant 210 de la seconde décision) ainsi que dans les dispositifs des décisions initiales (article 1er, paragraphe 2, de la première décision et article 1er, paragraphes 2 et 4, de la seconde décision).

58      Par ailleurs, la circonstance invoquée par la Commission, notamment au considérant 143 de la décision attaquée, selon laquelle, en mentionnant les prises de participations indirectes dans les décisions initiales, elle se serait fondée sur le texte de l’article 21 du TRLIS, auquel renvoie l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, tend à confirmer qu’elle a examiné ce régime dans son ensemble, ex ante, conformément à la jurisprudence citée au point 53 ci-dessus, et qu’elle n’excluait pas que ce régime pût aussi s’appliquer aux prises de participations indirectes, indépendamment de la pratique administrative en vigueur à ce moment. Au demeurant, la Commission a admis, notamment au point 12 des mémoires en défense, que les dispositions pertinentes du TRLIS, applicables au moment de l’adoption des décisions initiales, n’excluaient pas expressément les prises de participations indirectes.

59      Enfin, le Tribunal relève que la Commission a reconnu, au considérant 151 de la décision attaquée, que la distinction entre prises de participations directes et prises de participations indirectes n’avait pas été considérée comme étant pertinente aux fins de l’appréciation requise dans les décisions initiales.

60      Partant, il ressort du libellé des décisions initiales que la Commission y a examiné le régime de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS en tant que régime d’aides dans son ensemble comme visant tout à la fois les prises de participations directes et les prises de participations indirectes.

61      En second lieu, il convient de relever que, contrairement à ce que la Commission a considéré, notamment au considérant 99 de la décision attaquée, il ne saurait être valablement déduit des éléments qu’elle a mis en avant que la nouvelle interprétation administrative a élargi le champ d’application de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS.

62      Tout d’abord, compte tenu des éléments de droit espagnol portés à la connaissance du Tribunal et discutés devant lui, une telle interprétation repose en effet sur une compréhension erronée du fonctionnement du système de liquidation de l’impôt sur les sociétés en droit espagnol. Comme l’ont expliqué les requérantes, l’impôt sur les sociétés espagnol fonctionne selon un système d’autoliquidation prévu à l’article 137 du TRLIS, dont le mécanisme de fonctionnement est rappelé au point 8 ci-dessus.

63      Par conséquent, conformément à l’article 137 du TRLIS et à l’article 120 de la LGT, le système d’autoliquidation implique que c’est l’assujetti qui liquide sa propre dette, en appliquant la législation relative à l’impôt sur les sociétés. Aucune intervention de l’administration fiscale n’est nécessaire pour que cette dette fiscale soit considérée comme étant liquidée. S’il est vrai que les autoliquidations peuvent, dans certains cas, faire l’objet de contrôles par l’administration, il ne s’agit nullement d’une obligation et, dans la grande majorité des cas, les dettes fiscales font l’objet d’une autoliquidation sans contrôle de l’administration.

64      Ensuite, l’article 89 de la LGT prévoit qu’une interprétation administrative de la DGT n’a d’effets contraignants que pour les organes de l’administration fiscale chargés d’appliquer l’impôt. Ainsi, s’il est vrai que, comme le fait valoir la Commission, l’administration fiscale espagnole est liée par sa pratique administrative et qu’elle est tenue d’appliquer, en cas de contrôle des autoliquidations présentées par des assujettis, les mêmes critères à l’ensemble des assujettis qui se trouvent dans la même situation, il n’en reste pas moins que cet effet contraignant ne concerne pas les assujettis.

65      Il en va de même, aux termes de l’article 239, paragraphe 8, de la LGT, de la jurisprudence du Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central), qui lie les autres organes de la voie économique administrative ainsi que l’administration fiscale, mais pas les assujettis.

66      Ainsi, il ressort des éléments du dossier et des points 21 à 32 de l’arrêt du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission (T‑207/10, EU:T:2018:786), que, faisant application de ce principe, certaines entreprises ont appliqué la déduction à des prises de participations indirectes, même avant l’adoption de la nouvelle interprétation administrative.

67      Comme dans tout État de droit, les entreprises ne sont en effet pas tenues d’adopter la même interprétation de la loi que celle préconisée par l’administration fiscale. Elles peuvent appliquer la règle d’une manière différente, en se prévalant directement du texte de la loi, et contester, le cas échéant, devant les juridictions compétentes, les actes de l’administration qui corrigeraient leurs autoliquidations en application des avis fiscaux litigieux. En effet, comme le font valoir à juste titre les requérantes, il appartient au législateur ou, en cas de doutes ou de contestations, aux juridictions, et non à l’administration, de déterminer le champ d’application des dispositions légales. Or, la Commission n’a pas démontré que les prises de participations indirectes auraient été exclues du champ d’application de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS par le législateur ou par les juridictions espagnoles avant l’adoption de la nouvelle interprétation administrative.

68      S’agissant en particulier de Ferrovial, celle-ci a précisé avoir introduit une réclamation économico-administrative devant le Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central) à l’encontre des accords de liquidation résultant des actes d’inspection au titre de l’impôt sur les sociétés, pour les exercices de 2002 à 2005, dans lesquels l’administration fiscale a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’amortir la survaleur financière correspondant à l’acquisition des participations indirectes. La décision de ce tribunal, rendue le 17 février 2011, a rejeté les demandes de Ferrovial. Le 20 avril 2011, Ferrovial, a attaqué la décision de ce tribunal devant l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne).

69      À cet égard, le Tribunal observe que, dans son arrêt du 6 février 2014, mentionné, notamment, au considérant 41 de la décision attaquée, statuant sur le recours de Ferrovial postérieurement à l’adoption de la nouvelle interprétation administrative, l’Audiencia Nacional (Cour centrale) a certes considéré qu’« une survaleur ne p[ouvai]t pas être générée dans une entreprise sans activité matérielle » et que « la société [en cause dans cette affaire] ne p[ouvai]t pas générer de survaleur financière[,] puisqu’il s’agi[ssai]t d’une société qui ne fai[sai]t que détenir des actions et n’a[vait] aucune activité matérielle ».

70      Toutefois, l’Audiencia Nacional (Cour centrale) a également indiqué, dans son arrêt du 6 février 2014, que la question dont elle était saisie dans cette affaire était différente de celle qui avait été examinée dans l’avis contraignant portant la référence V0608-12, qui était à la source de la nouvelle interprétation administrative.

71      À cet égard, l’Audiencia Nacional (Cour centrale) a constaté que la question dont elle était saisie consistait à déterminer « s’il [était] possible de déduire la survaleur pour des sociétés sans activité et simples holdings », alors que, selon elle, la question qui était au cœur de l’avis contraignant portant la référence V0608-12 visait à « savoir si, aux fins du calcul de la survaleur, il [était] possible de tenir compte du fait que le contrôle a[vait] été pris directement ou indirectement par l’intermédiaire de sociétés holdings ». Après ce constat, l’Audiencia Nacional (Cour centrale) s’est limitée à conclure qu’« il s’agi[ssai]t de questions différentes qui appel[ai]ent des réponses différentes », excluant que son arrêt du 6 février 2014 pût soutenir la position retenue par la Commission dans la décision attaquée.

72      Au demeurant, il ressort des éléments du dossier que, saisi d’un recours contre l’arrêt de l’Audiencia Nacional (Cour centrale) du 6 février 2014, le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) a suspendu la procédure pendante devant lui, de sorte que le champ d’application du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS manque, encore à la date du présent arrêt, de précision et de clarté, comme l’a souligné la Commission aux considérants 184 et 195 de la décision attaquée ainsi que lors de l’audience.

73      Partant, en constatant que la nouvelle interprétation administrative avait « élargi » le champ d’application de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, la Commission n’a pas dûment pris en considération le droit espagnol, puisque, en vertu de ce droit, le champ d’application de cette disposition ne pouvait pas être déterminé par une simple interprétation administrative.

74      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que la Commission a conclu dans la décision attaquée, les décisions initiales couvraient déjà les prises de participations tant directes qu’indirectes.

75      Dans ces circonstances, il convient de vérifier si la Commission pouvait valablement adopter la décision attaquée.

–       Sur la possibilité, pour la Commission, d’adopter la décision attaquée compte tenu du champ d’application des décisions initiales

76      En l’espèce, si, certes, les décisions initiales et la décision attaquée constatent l’incompatibilité du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, il n’en demeure pas moins que l’article 4 de cette dernière décision exige que le Royaume d’Espagne récupère l’intégralité des aides octroyées en exécution de ce régime, tel qu’appliqué aux prises de participations indirectes, alors que certaines de ces aides échappaient à l’obligation de récupération au titre des décisions initiales en raison de la confiance légitime que la Commission avait reconnue dans lesdites décisions (voir point 16 ci-dessus).

77      Un tel résultat équivaut à un retrait des décisions initiales, dans la mesure où celles-ci visaient déjà les prises de participations indirectes et leur reconnaissaient, dans le respect de certaines conditions, le bénéfice de la confiance légitime.

78      À cet égard, selon l’article 9 du règlement no 659/1999, lu conjointement avec son article 13, paragraphe 3, et son considérant 10, la « révocation » d’une décision est possible dans le cas où cette décision reposait sur des informations inexactes transmises au cours de la procédure et d’une importance déterminante pour elle.

79      Toutefois, aucun élément du dossier ne démontre, et la Commission ne s’en prévaut d’ailleurs pas, qu’elle se serait fondée sur des informations inexactes transmises au cours de la procédure administrative ayant abouti à la décision attaquée. En particulier, comme cela a été indiqué au point 55 ci-dessus, la lettre du 4 juin 2007 décrivait correctement la pratique administrative qui avait cours, à ce moment précis, en Espagne.

80      En effet, c’est la Commission elle-même qui a estimé, dans la lettre du 26 mars 2007, qu’il serait déraisonnable d’exclure les prises de participations indirectes du champ d’application de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS (voir point 54 ci-dessus). Et c’est également la Commission elle-même qui a examiné, dans les décisions initiales, le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS ex ante, dans son ensemble, y compris en ce que ce régime pouvait s’appliquer aux prises de participations indirectes (voir point 58 ci-dessus).

81      Ainsi, contrairement à ce qu’affirme la Commission au considérant 147 de la décision attaquée, la portée des décisions initiales n’était pas limitée par les modalités d’application du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS décrites par les autorités espagnoles dans la lettre du 4 juin 2007.

82      Dès lors que les prises de participations indirectes ont déjà été prises en compte dans les décisions initiales et qu’il n’est pas démontré que ces dernières reposaient sur des informations inexactes, la Commission ne pouvait pas procéder à la « révocation », au titre de l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 659/1999, des décisions initiales dans la mesure où celles-ci visaient ce type d’opération.

83      Il est cependant vrai que la possibilité pour la Commission de retirer une décision statuant sur des aides d’État n’est pas limitée à la seule situation visée à l’article 9 du règlement no 659/1999, lu conjointement avec l’article 13, paragraphe 3, de ce même règlement. En effet, ces dispositions ne sont qu’une expression spécifique du principe général du droit selon lequel le retrait rétroactif d’un acte administratif illégal ayant créé des droits subjectifs est admis, notamment lorsque l’acte administratif en cause a été adopté sur la base d’indications fausses ou incomplètes fournies par l’intéressé. La possibilité de retirer de manière rétroactive un acte administratif illégal ayant créé des droits subjectifs n’est toutefois pas limitée à cette seule circonstance, un tel retrait pouvant toujours être opéré, sous réserve de l’observation par l’institution dont émane l’acte en cause des conditions relatives au respect d’un délai raisonnable et de la confiance légitime du bénéficiaire de cet acte, qui a pu se fier à la légalité de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2015, Deutsche Post/Commission, T‑421/07 RENV, EU:T:2015:654, point 47 et jurisprudence citée, et conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Repower/EUIPO, C‑281/18 P, EU:C:2019:426, point 65).

84      Toutefois, la Commission n’a jamais soutenu que les décisions initiales auraient été illégales en ce qu’elles visaient les prises de participations indirectes, ce qui aurait pu, le cas échéant, lui permettre, conformément à la jurisprudence citée au point 83 ci-dessus, de se prévaloir du principe général du droit autorisant le retrait d’une décision illégale. Du reste, le Tribunal et, à sa suite, la Cour ont rejeté les recours en annulation contestant la légalité des décisions initiales.

85      En réalité, et comme le Royaume d’Espagne et les tiers intéressés l’avaient déjà, en substance, relevé dans le cadre de la phase administrative (considérants 82 et 90 de la décision attaquée), il n’est nullement question en l’espèce du retrait d’un acte illégal, mais du retrait de deux décisions légales, à savoir les décisions initiales en ce qu’elles visaient les prises de participations indirectes.

86      Or, selon une jurisprudence constante, le retrait à titre rétroactif d’un acte administratif légal qui a conféré des droits subjectifs ou des avantages similaires est contraire aux principes généraux du droit (voir, en ce sens, arrêts du 22 mars 1961, Snupat/Haute Autorité, 42/59 et 49/59, EU:C:1961:5, p. 149 ; du 22 septembre 1983, Verli-Wallace/Commission, 159/82, EU:C:1983:242, point 8 et jurisprudence citée, et du 12 février 2020, ZF/Commission, T‑605/18, EU:T:2020:51, point 138 et jurisprudence citée).

87      À cet égard, et comme cela a été indiqué au point 76 ci-dessus, le Tribunal constate que les décisions initiales ont conféré, sous conditions et en raison de l’existence d’une confiance légitime, un droit subjectif au Royaume d’Espagne à pouvoir mettre à exécution le régime d’aides en cause pourtant déclaré incompatible et, accessoirement, aux entreprises bénéficiaires de ce régime à ne pas devoir rembourser certaines aides illégales. Le Tribunal constate également que la décision attaquée a ultérieurement retiré ce droit en ce qui concernait les prises de participations indirectes.

88      Ainsi, outre qu’elle est attentatoire au principe de sécurité juridique, la décision attaquée a remis en cause la confiance légitime que les autorités espagnoles et les entreprises concernées avaient pu tirer des décisions initiales en ce qui concernait l’application de ces dernières aux prises de participations indirectes. À cet égard, il suffit de rappeler que les décisions initiales faisaient référence aux prises de participations aussi bien directes qu’indirectes (voir point 57 ci-dessus).

89      Partant, il y a lieu d’accueillir le troisième moyen et d’annuler la décision attaquée dans son intégralité, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres arguments avancés par les requérantes dans le cadre de ce moyen.

90      À toutes fins utiles, le Tribunal précise néanmoins que, même si les décisions initiales doivent être interprétées en ce sens qu’elles portent tant sur les prises de participations directes que sur les prises de participations indirectes, à la lumière, notamment, de l’article 21 du TRLIS, qui mentionne expressément les prises de participations indirectes, il n’en demeure pas moins que, s’il y a lieu, il appartiendra aux seules juridictions espagnoles de déterminer si, en droit espagnol, ce type d’opération peut, ou non, bénéficier du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, notamment à l’aune des dispositions de l’article 15 du décret royal 1777/2004, par lequel est approuvé le règlement sur l’impôt des sociétés. En effet, ainsi que les requérantes l’ont indiqué dans leurs écritures, il revient aux juridictions espagnoles, et en dernier lieu au Tribunal Supremo (Cour suprême), voire au législateur de cet État, de définir la portée réelle de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS.

91      Par ailleurs, à supposer que la Commission ait été en droit d’adopter la décision attaquée, il y a lieu d’examiner, à titre surabondant, le quatrième moyen soulevé par les requérantes.

 Sur le quatrième moyen

92      Le quatrième moyen comprend trois branches, portant, respectivement, sur la violation du principe de protection de la confiance légitime, sur celle du principe d’estoppel (ou des actes propres) et sur celle du principe de sécurité juridique, lesquelles seraient susceptibles d’entraîner l’annulation de l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée.

93      Dans le cadre de la première branche du quatrième moyen, les requérantes font valoir, en substance, qu’elles devraient être exonérées de l’obligation de rembourser les déductions fiscales appliquées au titre de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS en ce qui concerne leurs prises de participations indirectes et bénéficier de la même confiance légitime que celle qui avait été reconnue dans les décisions initiales. En effet, la Commission aurait donné, notamment par le biais de déclarations publiques antérieures aux décisions initiales, des assurances précises, inconditionnelles et concordantes quant au fait que l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS ne constituait pas une aide d’État, sans distinction entre le caractère direct ou indirect des acquisitions. Par ailleurs, les décisions initiales auraient déjà visé les prises de participations indirectes et, ce faisant, auraient reconnu une confiance légitime aux requérantes.

94      La Commission soutient que les références aux prises de participations indirectes dans les décisions initiales s’expliquent par la reproduction du libellé de l’article 21 du TRLIS. La Commission réitère également son affirmation suivant laquelle l’interprétation administrative initiale excluait les prises de participations indirectes du champ de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS. Or, les requérantes avaient connaissance de cette interprétation administrative initiale et savaient donc que, avant le 21 mars 2012, les prises de participations indirectes n’étaient pas couvertes par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS. La confiance légitime reconnue dans les décisions initiales ne saurait donc être reconnue rétroactivement à des opérations qui, lors de l’adoption desdites décisions, n’entraient pas dans le champ d’application du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS. Quant aux prises de position publiques de la Commission, antérieures à l’adoption des décisions initiales, elles ne sauraient servir de fondement à une quelconque confiance légitime, car la Commission ignorait la structure des entités concernées et des opérations qu’elles avaient réalisées. En particulier, la Commission n’aurait pas examiné si ces opérations devaient être qualifiées de prises de participations directes ou indirectes. De toute manière, la Commission n’aurait pas été légalement tenue de procéder à une analyse détaillée de ces opérations à ce stade de la procédure. En toute hypothèse, ces prises de position publiques seraient antérieures à la nouvelle interprétation administrative et ne sauraient donc, pour cette raison également, créer une quelconque confiance légitime.

95      À cet égard, selon l’article 14 du règlement no 659/1999, en cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire, sauf si, ce faisant, elle va à l’encontre d’un principe général du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑207/10, EU:T:2018:786, points 35 et 36 et jurisprudence citée).

96      Sur ce point, il est constant que le principe de protection de la confiance légitime constitue un principe général du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑207/10, EU:T:2018:786, point 37 et jurisprudence citée).

97      Toutefois, compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides étatiques opéré par la Commission au titre de l’article 108 TFUE, d’une part, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient se prévaloir, en principe, d’une confiance légitime dans la régularité de cette aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue à cet article et, d’autre part, un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que cette procédure a été respectée. En particulier, lorsqu’une aide est mise à exécution sans notification préalable à la Commission, de telle sorte qu’elle est illégale en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, le bénéficiaire de cette aide ne peut, en principe, se prévaloir, à ce moment, d’une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de celle-ci. Il en va ainsi tant dans les cas d’aides individuelles que dans ceux d’aides octroyées en vertu d’un régime d’aides (voir, en ce sens, arrêts du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 120 et jurisprudence citée, et du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑207/10, EU:T:2018:786, point 41 et jurisprudence citée).

98      Ce n’est donc que dans des circonstances exceptionnelles que les bénéficiaires d’une aide non notifiée peuvent se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑207/10, EU:T:2018:786, points 40 à 43 et jurisprudence citée).

99      Selon une jurisprudence constante, le droit de se prévaloir de la confiance légitime suppose que l’institution de l’Union en cause ait fourni aux bénéficiaires des aides des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, mais également conformes aux normes applicables, de nature à faire naître une attente légitime dans leur esprit (voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 97 et jurisprudence citée, et du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑207/10, EU:T:2018:786, point 46 et jurisprudence citée).

100    En l’espèce, le Tribunal relève d’emblée que, à supposer qu’une confiance légitime puisse être reconnue aux bénéficiaires, une telle confiance légitime ne concernerait que les déductions opérées au titre de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS pour des prises de participations dans des sociétés établies sur le territoire d’un État membre de l’Union ou dans certains États tiers et antérieures au 21 décembre 2007 voire, pour certains types d’opérations, au 21 mai 2011 (voir point 16 ci-dessus).

101    À cet égard, le Tribunal rappelle que, en 2005 et en 2006, plusieurs membres du Parlement ont interrogé la Commission sur la compatibilité du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS avec les règles sur les aides d’État (questions écrites portant les références E-4431/05, E-4772/05, E-5800/06 et P-5509/06).

102    Dans sa réponse du 19 janvier 2006, donnée à la question portant la référence E-4431/05, la Commission a, notamment, indiqué ce qui suit :

« La Commission n’est pas en mesure de confirmer si les offres élevées des entreprises espagnoles sont dues à la législation fiscale espagnole qui permet aux entreprises d’amortir la survaleur financière plus rapidement que leurs homologues françaises ou italiennes. La Commission est toutefois en mesure de confirmer que ces législations nationales n’entrent pas dans le champ d’application des règles relatives aux aides d’État, mais qu’elles constituent plutôt des règles générales de dépréciation applicables à toutes les entreprises en Espagne. »

103    Dans sa réponse du 17 février 2006, donnée à la question portant la référence E-4772/05, la Commission a, notamment, indiqué ce qui suit :

« Selon les informations dont la Commission dispose actuellement, les règles fiscales espagnoles relatives à l’amortissement de la survaleur semblent être applicables à toutes les entreprises en Espagne, indépendamment de leur taille, du secteur, de la forme juridique ou du fait qu’elles soient privées ou publiques, dès lors qu’elles constituent des règles d’amortissement générales. Elles ne semblent donc pas entrer dans le champ d’application des règles relatives aux aides d’État. La Commission procédera bien sûr à une enquête approfondie sur toute information contraire qui serait portée à sa connaissance. »

104    Dans sa réponse du 5 février 2007, donnée à la question portant la référence P-5509/06, la Commission a, notamment, indiqué ce qui suit :

« En l’espèce, la Commission ne s’est pas, à ce jour, prononcée sur la compatibilité, au regard des aides d’État, des dispositions fiscales espagnoles relatives à la déductibilité fiscale de la survaleur financière, lesquelles ne semblent pas être contraires aux dispositions de la quatrième directive comptable […] La Commission tient, en tout état de cause, à signaler qu’il ne saurait être préjugé de l’issue d’une quelconque procédure ultérieure de contrôle des éventuelles mesures d’aide auxquelles l’Honorable Parlementaire fait référence. À cet égard, la Commission rappelle qu’elle est susceptible, au titre de ses pouvoirs en matière de contrôle des aides d’État, d’exiger la récupération de toute mesure d’aide incompatible avec le marché intérieur et illégalement octroyée afin de faire perdre à son bénéficiaire l’avantage dont il a bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents et, ce faisant, de rétablir la situation concurrentielle préexistante au versement de l’aide. »

105    Dans sa réponse du 9 mars 2007, donnée à la question portant la référence E-5800/06, la Commission a, notamment, indiqué ce qui suit :

« À ce jour, [l’avantage fiscal en cause] n’a pas été examiné par la Commission et l’Espagne n’a pas non plus notifié le régime [organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS] pour examen au titre des aides d’État. Néanmoins, la Commission vient d’entamer un examen préliminaire [de ce] régime afin de déterminer si cette mesure peut être considérée comme une aide d’État et, si tel est le cas, si elle est compatible avec le marché commun. »

106    Or, s’agissant des réponses des 19 janvier et 17 février 2006, visées aux points 102 et 103 ci-dessus, le Tribunal a déjà jugé, pour ce qui concernait l’ensemble des prises de participations antérieures au 21 décembre 2007, que ces réponses de la Commission, bien que vagues s’agissant du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS pris dans son ensemble, étaient néanmoins suffisamment précises pour fonder une confiance légitime quant au fait que ledit régime n’était pas sélectif et donc qu’il n’était pas constitutif d’une aide d’État (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑207/10, EU:T:2018:786, points 50 à 112).

107    En particulier, au point 111 de l’arrêt mentionné au point 106 ci-dessus, le Tribunal a, notamment, jugé que la confiance légitime dûment créée par les réponses de la Commission des 19 janvier et 17 février 2006 ne saurait avoir pris fin avec la réponse du 5 février 2007, visée au point 104 ci-dessus, dès lors qu’aucun doute sérieux quant à la légalité du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS ne ressortait de cette réponse.

108    La réponse du 9 mars 2007, visée au point 105 ci-dessus, n’a pas non plus pu mettre un terme à cette confiance légitime, dûment créée par les réponses de la Commission des 19 janvier et 17 février 2006. En effet, à cette occasion, la Commission n’a procédé à aucune appréciation, même sommaire ou vague, du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS pris dans son ensemble, mais s’est limitée à préciser qu’elle venait d’entamer un examen préliminaire de ce régime. Or, à défaut d’impliquer l’ouverture d’une procédure formelle d’examen du régime litigieux et, a fortiori, de présager l’issue d’une telle procédure, une telle réponse ne pouvait s’interpréter comme suscitant des doutes sérieux quant à la légalité du régime en cause (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑207/10, EU:T:2018:786, point 111).

109    À cet égard, l’argument de la Commission, exposé au considérant 197 de la décision attaquée, selon lequel les réponses aux questions parlementaires ne portaient pas sur la distinction entre les prises de participations directes et les prises de participations indirectes, ne saurait remettre en cause le fait que les réponses des 19 janvier et 17 février 2006 ont dûment créé, dans l’esprit des requérantes, une confiance légitime quant à l’absence de qualification d’aide d’État pour ce qui concernait l’ensemble des prises de participations antérieures au 21 décembre 2007.

110    En effet, d’une part, ces questions portaient précisément sur des prises de participations indirectes, notamment l’acquisition d’O2 par Telefónica, SA et celle de Scottish Power par Iberdrola, SA, ce que la Commission ne pouvait ignorer, à tout le moins s’agissant de l’acquisition de Scottish Power par Iberdrola, puisqu’elle avait autorisé l’opération de concentration en cause dans une décision du 26 mars 2007 (COMP/M.4517 Iberdrola/Scottish Power).

111    D’autre part, les réponses susmentionnées de la Commission aux questions parlementaires ont été formulées de telle manière que rien ne laissait entendre que l’absence de caractère sélectif du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS n’aurait concerné que les prises de participations directes. L’absence de mention du terme « indirectes » ne saurait conduire à une autre conclusion, dès lors que ces réponses n’ont pas davantage fait référence aux prises de participations « directes ».

112    Il en résulte que, par ces déclarations au Parlement, la Commission a offert des assurances précises, inconditionnelles et concordantes d’une nature telle que les bénéficiaires du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, que ce soit au titre de leurs prises de participations directes ou à celui de leurs prises de participations indirectes, ont nourri des espoirs justifiés dans le fait que le régime d’aides en cause était légal, en ce sens qu’il n’entrait pas dans le champ d’application des règles relatives aux aides d’État, et que, par conséquent, aucun des avantages découlant dudit régime ne pouvait faire l’objet par la suite d’une procédure de récupération.

113    Partant, à supposer qu’elle ait été en droit d’adopter la décision attaquée, la Commission ne pouvait, sans commettre d’erreur de droit, refuser de reconnaître, dans cette décision, une confiance légitime aux bénéficiaires du régime d’aides en cause au titre de leurs prises de participations indirectes effectuées avant le 21 décembre 2007, voire avant le 21 mai 2011, dans les mêmes termes que dans les décisions initiales.

114    Cette conclusion s’impose d’autant plus que, dans son libellé, l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, lu conjointement avec l’article 21 du TRLIS, n’excluait pas expressément les prises de participations indirectes. Ce point est d’ailleurs confirmé par le fait que l’administration fiscale espagnole a adopté la nouvelle interprétation administrative sur le fondement de ces mêmes dispositions légales, alors que celles-ci étaient restées substantiellement inchangées depuis leur adoption.

115    En outre, et nonobstant le fait que les requérantes ne pouvaient ignorer que l’article 15 du décret royal 1777/2004 évoquait uniquement les prises de participations directes, en ce qui concernait les informations devant être fournies aux autorités espagnoles afin de pouvoir appliquer l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS (considérants 40 et 159 de la décision attaquée), aucun des arguments avancés par la Commission dans le cadre des présents recours, qui correspondent, en substance, au contenu des considérants 189 à 200 de la décision attaquée, n’est susceptible de remettre en cause cette conclusion.

116    Tout d’abord, contrairement à ce que la Commission a considéré, en substance, au considérant 193 de la décision attaquée, le fait que les requérantes aient eu connaissance de l’interprétation administrative initiale, qui excluait les prises de participations indirectes du champ de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, ne prive pas de légitimité la confiance qu’elles ont pu tirer des déclarations de la Commission selon lesquelles le régime de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, en ce qui concernait tant les prises de participations directes que les prises de participations indirectes, n’était pas constitutif d’une aide d’État.

117    En effet, selon la jurisprudence, seules les déclarations et comportements émanant de la Commission doivent être pris en compte afin d’apprécier la confiance légitime des bénéficiaires du régime d’aides litigieux (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑207/10, EU:T:2018:786, point 71).

118    Ainsi, de la même manière que, selon la jurisprudence, le comportement d’une autorité nationale chargée d’appliquer le droit de l’Union, qui est en contradiction avec ce dernier, ne saurait fonder, pour un opérateur économique, une confiance légitime à bénéficier d’un traitement contraire au droit de l’Union (voir arrêt du 4 octobre 2007, Commission/Italie, C‑217/06, non publié, EU:C:2007:580, point 23 et jurisprudence citée), l’interprétation des autorités fiscales nationales quant au champ d’application du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS ne saurait affecter la portée de la confiance légitime née de déclarations faites, au niveau de l’Union, par la Commission.

119    Par suite, et compte tenu de la jurisprudence rappelée au point 117 ci-dessus, est sans incidence le fait que les requérantes aient eu, ou non, connaissance de ce que l’interprétation administrative initiale excluait les prises de participations indirectes du champ d’application de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, dès lors qu’elles avaient reçu des assurances précises de la part de la Commission quant au fait que le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, pris dans sa globalité et sans autres précisions, ne constituait pas une aide d’État.

120    De même, à supposer que la Commission ait ignoré, à l’époque de ses déclarations, que le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS couvrait aussi bien les prises de participations directes que les prises de participations indirectes, une telle circonstance est sans pertinence aux fins de la reconnaissance d’une confiance légitime aux bénéficiaires de ce régime en l’espèce. Seul importe le fait que, par ses déclarations publiques, la Commission ait laissé entendre que ce régime ne constituait pas une aide d’État, sans autres précisions.

121    Par ailleurs, ainsi que les requérantes l’ont admis lors de l’audience, celles-ci avaient connaissance de l’interprétation administrative initiale, mais elles avaient fait le choix délibéré de ne pas la suivre, car elles l’estimaient erronée.

122    Or, ainsi qu’il a été constaté au point 67 ci-dessus, en droit espagnol, les entreprises concernées étaient en droit, et le sont toujours, d’être en désaccord avec l’administration fiscale espagnole quant à l’interprétation correcte de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, tant que cette question n’avait pas été tranchée par les juridictions de cet État et, en dernier lieu, par le Tribunal Supremo (Cour suprême), voire par le législateur de cet État. Or, comme il a déjà été relevé aux points 70 et 90 ci-dessus, le Tribunal Supremo (Cour suprême) n’a pas encore tranché cette question, de sorte que le champ d’application du régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS manque, encore aujourd’hui, de précision et de clarté, comme l’a souligné la Commission dans la décision attaquée (considérants 184 et 195 de ladite décision) et lors de l’audience.

123    À cet égard, s’il est vrai que, comme le fait valoir la Commission, les requérantes n’ont pas rapporté la preuve que les prises de participations indirectes étaient acceptées par les autorités espagnoles avant le 21 décembre 2007, la Commission n’a pas non plus démontré que de telles prises de participations étaient exclues du champ d’application de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS par les juridictions espagnoles avant cette date.

124    Dans ces conditions, il ne saurait être exigé des requérantes qu’elles fassent preuve de plus de diligence que la Commission elle-même, ainsi que l’indique le considérant 166 de la première décision, auquel renvoie le point 89 de l’arrêt du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission (T‑207/10, EU:T:2018:786).

125    Ainsi, les requérantes, en tant qu’opérateurs économiques raisonnablement prudents, avisés et diligents (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑207/10, EU:T:2018:786, point 69 et jurisprudence citée), ont pu légitimement considérer, sur le fondement des réponses de la Commission aux questions parlementaires, que le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS n’était pas constitutif d’une aide d’État, en ce qui concernait tant les prises de participations directes que les prises de participations indirectes.

126    Compte tenu de ces éléments, et à supposer que la Commission ait été en droit d’adopter la décision attaquée, il y a lieu de considérer que la Commission a commis une erreur de droit en refusant de reconnaître une confiance légitime aux bénéficiaires du régime d’aides en cause au titre de leurs prises de participations indirectes dans la décision attaquée.

127    Une telle conclusion est également corroborée par le fait que les requérantes n’avaient pas connaissance du contenu de la lettre des autorités espagnoles du 4 juin 2007, à laquelle la Commission fait référence à plusieurs reprises dans la décision attaquée (voir considérants 33, 97, 136, et 145, notamment, de la décision attaquée), dont il ressort que, dans le cadre de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption des décisions initiales, les autorités espagnoles lui avaient expliqué que l’interprétation administrative initiale autorisait uniquement la déduction de la survaleur financière en cas de prises de participations directes dans des entreprises opérationnelles. En effet, à supposer même qu’une telle lettre puisse servir de fondement pour considérer, à l’instar de la Commission dans la décision attaquée, que les décisions initiales ne couvraient que les prises de participations directes, elle ne saurait servir de fondement pour dénier une confiance légitime quant à la légalité du régime d’aides en cause aux entreprises bénéficiaires dudit régime, qui n’en avaient pas connaissance.

128    Enfin, le fait que les décisions initiales avaient déjà déclaré illégal et incompatible avec le marché intérieur le régime organisé par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS (considérant 195 de la décision attaquée) est sans pertinence, puisque, d’une part, la confiance légitime des bénéficiaires ne trouve pas sa source dans lesdites décisions, mais bien dans les réponses susmentionnées de la Commission aux questions parlementaires (voir point 112 ci-dessus) et, que d’autre part, ces décisions sont postérieures au 21 décembre 2007, date à laquelle cette confiance légitime prend fin, sauf pour certaines opérations visées dans la seconde décision (voir points 16 et 100 ci-dessus).

129    Partant, à supposer que la Commission ait été en droit d’adopter la décision attaquée, il y a lieu d’accueillir le quatrième moyen, susceptible d’entraîner l’annulation de l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée.

 Sur les dépens

130    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé dans l’affaire T‑252/15 R, conformément aux conclusions des requérantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les affaires T252/15 et T257/15 sont jointes aux fins de l’arrêt.

2)      La décision (UE) 2015/314 de la Commission, du 15 octobre 2014, relative à l’aide d’État SA.35550 (13/C) (ex 13/NN) (ex 12/CP) mise à exécution par l’Espagne – Régime relatif à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères, est annulée.

3)      La Commission européenne est condamnée aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé dans l’affaire T252/15 R.

Svenningsen

Mac Eochaidh

Pynnä

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 septembre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.