Language of document : ECLI:EU:T:2018:881

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

6 décembre 2018 (*)

« Feader – Dépenses exclues du financement – Dépenses effectuées par le Portugal – Article 31, paragraphe 4, sous c), du règlement (CE) no 1290/2005 – Absence d’un élément de preuve du doute sérieux et raisonnable – Contrôles clés – Contrôles secondaires »

Dans l’affaire T‑22/17,

République portugaise, représentée par Mme P. Estêvão, MM. L. Inez Fernandes, M. Figueiredo et J. Saraiva de Almeida, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Rechena, A. Sauka et D. Triantafyllou, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision d’exécution (UE) 2016/2018 de la Commission, du 15 novembre 2016, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2016, L 312, p. 26), en ce qu’elle écarte les paiements effectués au titre du Feader par l’organisme payeur compétent de la République portugaise pour un montant total de 1 990 810,30 euros,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de M. S. Gervasoni, président, Mme K. Kowalik‑Bańczyk (rapporteur) et M. C. Mac Eochaidh, juges,

greffier : Mme M. Marescaux, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 12 juillet 2018,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par décision du 4 décembre 2007, la Commission des Communautés européennes a approuvé le programme de développement rural de la région autonome des Açores (Portugal) pour les années 2007 à 2013, le Prorural, établi par la République portugaise, conformément à l’article 18 du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil, du 20 septembre 2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2005, L 277, p. 1).

2        Conformément à l’article 37 du règlement (CE) no 1290/2005 du Conseil, du 21 juin 2005, relatif au financement de la politique agricole commune (JO 2005, L 209, p. 1), la Commission a organisé, entre le 17 et le 21 juin 2013, des contrôles à Ponta Delgada (Portugal) relatifs à la mise en œuvre du Prorural.

3        Par lettre du 12 septembre 2013, portant la référence Ares 3036530 (ci-après la « lettre du 12 septembre 2013 »), la Commission a, sur le fondement de l’article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) no 885/2006 de la Commission, du 21 juin 2006, portant modalités d’application du règlement no 1290/2005 en ce qui concerne l’agrément des organismes payeurs et autres entités ainsi que l’apurement des comptes du FEAGA et du Feader (JO 2006, L 171, p. 90), communiqué ses constatations aux autorités portugaises. Elle a ainsi informé ces dernières des défaillances qu’elle avait constatées en ce qui concerne certains contrôles administratifs qu’elles avaient effectués au titre de l’article 24, paragraphe 2, sous d), du règlement (UE) no 65/2011 de la Commission, du 27 janvier 2011, portant modalités d’application du règlement no 1698/2005 en ce qui concerne l’application de procédures de contrôle et de conditionnalité pour les mesures de soutien au développement rural (JO 2011, L 25, p. 8), lequel a succédé à l’article 26, paragraphe 2, sous d), du règlement (CE) no 1975/2006 de la Commission, du 7 décembre 2006, portant modalités d’application du règlement no 1698/2005 en ce qui concerne l’application de procédures de contrôle et de conditionnalité pour les mesures de soutien au développement rural (JO 2006, L 368, p. 74).

4        Plus précisément, la Commission a considéré que les contrôles administratifs effectués par les autorités portugaises n’avaient pas permis d’évaluer de manière appropriée le caractère raisonnable des coûts présentés par trois bénéficiaires de l’aide en faveur de la compétitivité des secteurs agricole et forestier concernant des mesures visant à restructurer et à développer le capital physique ainsi qu’à promouvoir l’innovation par l’accroissement de la valeur ajoutée des produits agricoles et sylvicoles, visée par l’article 20, sous b), iii), du règlement no 1698/2005 et correspondant à la mesure 123 codifiée dans l’annexe II du règlement (CE) no 1974/2006 de la Commission, du 15 décembre 2006, portant modalités d’application du règlement no 1698/2005 (JO 2006, L 368, p. 15) (ci-après la « mesure 123 »), lesquels portaient respectivement les numéros d’identification 4715781, 4716022 et 5221903 (ci-après les « trois bénéficiaires en cause »).

5        Par courrier du 16 décembre 2013, les autorités portugaises ont répondu aux observations de la Commission.

6        Le 18 février 2014, s’est tenue une réunion entre les représentants des autorités portugaises et de la Commission, conformément à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 885/2006.

7        Par lettre du 26 septembre 2014, portant la référence Ares 3174958 (ci-après la « lettre du 26 septembre 2014 »), la Commission a, en vertu de l’article 11, paragraphe 2, du règlement no 885/2006, communiqué officiellement aux autorités portugaises les conclusions auxquelles elle était parvenue sur la base des informations reçues dans le cadre de la procédure d’apurement de conformité. Dans cette communication, d’une part, la Commission a, en se référant au document no VI/5330/97, du 23 décembre 1997, intitulé « Orientations concernant le calcul des conséquences financières lors de la préparation de la décision d’apurement des comptes du FEOGA-Garantie » (ci-après le « document no VI/5330/97 »), présenté l’évaluation des dépenses ayant notamment trait à la mesure 123 qu’elle envisageait d’exclure du financement de l’Union européenne sur le fondement de l’article 31 du règlement no 1290/2005. D’autre part, elle a rappelé aux autorités portugaises que celles-ci pouvaient recourir à la procédure de conciliation prévue à l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 885/2006.

8        Par lettre du 7 novembre 2014, les autorités portugaises ont informé la Commission de leur volonté de recourir à cette procédure de conciliation.

9        À la suite de la procédure de conciliation, la Commission a adopté la décision d’exécution (UE) 2016/2018, du 15 décembre 2016, écartant du financement de l’Union certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole de garantie (Feader) (JO 2016, L 312, p. 26, ci-après la « décision attaquée »), excluant du financement de l’Union les paiements effectués par l’organisme payeur compétent de la République portugaise au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) dans le cadre de la mesure 123, pour un montant total de 1 990 810,30 euros.

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 janvier 2017, la République portugaise a introduit le présent recours.

11      La République portugaise conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée en ce qu’elle écarte du financement de l’Union des paiements effectués au titre du Feader par son organisme payeur compétent pour un montant total de 1 990 810,30 euros ;

–        condamner la Commission aux dépens.

12      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la République portugaise aux dépens.

 En droit

13      À l’appui du recours, la République portugaise soulève deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 31, paragraphe 4, sous c), du règlement no 1290/2005 et, le second, d’un « défaut de motif » résultant, en substance, d’une part, de l’absence de doute sérieux et raisonnable quant au caractère raisonnable des coûts présentés par les bénéficiaires de la mesure 123 et, d’autre part, de la méconnaissance du document no VI/5330/97.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 31, paragraphe 4, sous c), du règlement no 1290/2005

14      La République portugaise soutient que la Commission a appliqué à tort une correction financière aux dépenses effectuées au cours des exercices des années 2010 et 2011, dans la mesure où ces dépenses étaient antérieures de plus de 24 mois à la notification de la lettre du 12 septembre 2013.

15      La Commission conteste les arguments de la République portugaise.

16      Aux termes de l’article 31, paragraphe 4, sous c), du règlement no 1290/2005, un refus de financement ne peut pas porter sur « les dépenses relatives aux mesures prévues dans les programmes visés à l’article 4 [de ce règlement] autres que celles visées [à l’article 31, paragraphe 4, sous b), dudit règlement], pour lesquelles le paiement ou, le cas échéant, le paiement du solde, par l’organisme payeur, a été effectué plus de [24] mois avant que la Commission ait notifié par écrit à l’État membre concerné le résultat des vérifications ».

17      Il résulte donc de l’article 31, paragraphe 4, sous c), du règlement no 1290/2005 que la Commission peut écarter du financement de l’Union des dépenses non conformes aux règles du droit de l’Union pour lesquelles le paiement ou, le cas échéant, le paiement du solde a été effectué dans les 24 mois précédant la communication écrite par la Commission à l’État membre concerné des résultats de ses vérifications.

18      Le règlement no 885/2006, qui est le règlement d’application du règlement no 1290/2005, précise, à son article 11, paragraphe 1, le contenu de la communication écrite par laquelle la Commission communique le résultat de ses vérifications aux États membres.

19      À cet égard, il convient de relever que la date déterminante pour l’appréciation du point de savoir si un paiement a été effectué dans le délai de 24 mois est celle où le montant définitif de l’aide est fixé et le solde versé par l’État membre concerné (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 mai 2012, Espagne/Commission, C‑24/11 P, EU:C:2012:266, point 45 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que, conformément d’ailleurs aux termes employés dans l’article 31, paragraphe 4, sous c), du règlement no 1290/2005, qui mentionne des « dépenses » pour lesquelles le « paiement » ou, le cas échéant, le « paiement du solde » a été effectué avant le début de la période de 24 mois pertinente, la Commission peut appliquer une correction financière aux paiements effectués avant le début de cette période lorsqu’ils se rattachent à des dépenses pour lesquelles le montant définitif est fixé et le solde versé par l’État membre concerné après le début de la période de 24 mois pertinente.

20      En l’espèce, en premier lieu, il est constant entre les parties que la Commission a, par la lettre du 12 septembre 2013, communiqué, au titre de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 885/2006, le résultat de ses vérifications à la République portugaise.

21      Il s’ensuit que la période de 24 mois visée à l’article 31, paragraphe 4, sous c), du règlement no 1290/2005 a commencé le 12 septembre 2011 (ci-après la « période de 24 mois pertinente »).

22      En second lieu, il convient de relever que la Commission a considéré que la correction financière devait s’appliquer à certains paiements effectués par les autorités portugaises avant le 12 septembre 2011, dans la mesure où ces paiements se rattachaient à des projets pour lesquels d’autres paiements avaient été effectués au cours de la période de 24 mois pertinente.

23      La République portugaise soutient que la Commission ne saurait prendre en compte aux fins du calcul du montant de la correction financière des avances ou des paiements intermédiaires intervenus avant la période de 24 mois pertinente, dans la mesure où ces avances ou paiements intermédiaires ne seraient prévus ni par le droit portugais ni par l’article 31, paragraphe 4, sous c), du règlement no 1290/2005.

24      À cet égard, premièrement, il y a lieu de constater, ainsi qu’il a été mentionné au point 16 ci-dessus, et contrairement à ce que soutient la République portugaise, que l’article 31, paragraphe 4, sous c), du règlement no 1290/2005 fait expressément référence au paiement du solde des dépenses en cause, lequel implique nécessairement la possibilité de versements provisionnels anticipés de l’aide demandée, indépendamment du fait qu’une telle possibilité ne soit pas prévue par le droit national en cause.

25      Deuxièmement, il ressort de la lettre du 26 septembre 2014, ainsi que l’a expliqué la Commission en réponse à une mesure d’organisation de la procédure qui lui a été adressée, que certains bénéficiaires de la mesure 123 ont effectivement reçu des paiements anticipés, dont la nature provisionnelle est confirmée par le fait que lesdits bénéficiaires devaient, le cas échéant, rembourser une partie de ces paiements lorsque le montant de ceux-ci était supérieur au montant final de l’aide dû.

26      Troisièmement, il y a lieu de relever que la République portugaise ne conteste pas que les paiements antérieurs au 12 septembre 2011 identifiés par la Commission dans la lettre du 26 septembre 2014 se rattachent effectivement à des dépenses pour lesquelles le paiement du solde a été effectué par l’organisme payeur en cause ou, à tout le moins, le montant définitif a été fixé après le début de la période de 24 mois pertinente.

27      Par conséquent, il résulte de ce qui précède que la Commission a constaté à juste titre que les paiements antérieurs au 12 septembre 2011 qu’elle avait identifiés dans la lettre du 26 septembre 2014 étaient susceptibles d’être écartés du financement de l’Union, de sorte que le premier moyen, tiré de la violation de l’article 31, paragraphe 4, sous c), du règlement no 1290/2005, doit être écarté.

 Sur le second moyen, tiré d’un « défaut de motif »

28      Le second moyen de la République portugaise se divise en deux branches, tirées, la première, de l’absence d’un doute sérieux et raisonnable quant à la conformité des contrôles effectués par les autorités portugaises avec les règles de l’Union et, la seconde, de la méconnaissance du document no VI/5330/97.

29      La Commission conteste les arguments de la République portugaise.

 Sur la première branche du second moyen, tirée de l’absence de preuves du doute sérieux et raisonnable

30      La République portugaise soutient que la Commission ne saurait invoquer l’existence d’un doute sérieux et raisonnable à l’égard des contrôles, effectués par les autorités portugaises, du caractère raisonnable des coûts présentés par les bénéficiaires de la mesure 123 pour justifier l’application d’une correction financière.

31      Aux termes de l’article 26, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1975/2006, auquel a succédé l’article 24, paragraphe 2, sous d), du règlement no 65/2011, le contrôle administratif des demandes d’aide par les États membres porte sur le caractère raisonnable des coûts présentés, qui sont évalués à l’aide d’un système approprié d’évaluation tel que des coûts de référence, la comparaison de différentes offres ou un comité d’évaluation.

32      Or, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le Feader ne finance que les interventions effectuées conformément aux dispositions de l’Union (voir arrêt du 4 septembre 2015, Royaume-Uni/Commission, T‑503/12, EU:T:2015:597, point 52 et jurisprudence citée). À cet égard, il appartient à la Commission de prouver l’existence d’une violation de ces dispositions. Par conséquent, la Commission est obligée de justifier sa décision constatant l’absence ou les défaillances des contrôles mis en œuvre par l’État membre concerné. Toutefois, la Commission est tenue non pas de démontrer d’une façon exhaustive l’insuffisance des contrôles effectués par les administrations nationales ou l’irrégularité des chiffres transmis par elles, mais de présenter un élément de preuve du doute sérieux et raisonnable qu’elle éprouve à l’égard de ces contrôles ou de ces chiffres (voir, par analogie, arrêts du 9 janvier 2003, Grèce/Commission, C‑157/00, EU:C:2003:5, points 15 et 16 et jurisprudence citée, et du 24 février 2005, Grèce/Commission, C‑300/02, EU:C:2005:103, points 32 à 34 et jurisprudence citée).

33      L’État membre concerné, pour sa part, ne saurait infirmer les constatations de la Commission sans étayer ses propres allégations par des éléments établissant l’existence d’un système fiable et opérationnel de contrôle. Dès lors qu’il ne parvient pas à démontrer que les constatations de la Commission sont inexactes, celles-ci constituent des éléments susceptibles de faire naître des doutes sérieux quant à la mise en place d’un ensemble adéquat et efficace de mesures de surveillance et de contrôle (voir, par analogie, arrêts du 9 janvier 2003, Grèce/Commission, C‑157/00, EU:C:2003:5, point 18 et jurisprudence citée, et du 24 février 2005, Grèce/Commission, C‑300/02, EU:C:2005:103, point 35 et jurisprudence citée).

34      Cet allégement de l’exigence de la preuve pour la Commission s’explique par le fait que c’est l’État membre qui est le mieux placé pour recueillir et vérifier les données nécessaires à l’apurement des comptes du Feader et auquel il incombe, en conséquence, de présenter la preuve la plus détaillée et complète de la réalité de ses contrôles ou de ses chiffres et, le cas échéant, de l’inexactitude des affirmations de la Commission (voir, par analogie, arrêts du 9 janvier 2003, Grèce/Commission, C‑157/00, EU:C:2003:5, point 17 et jurisprudence citée, et du 24 février 2005, Grèce/Commission, C‑300/02, EU:C:2005:103, point 36 et jurisprudence citée).

35      En l’espèce, la Commission a considéré que les contrôles mis en œuvre par les autorités portugaises n’avaient pas permis d’évaluer de manière appropriée le caractère raisonnable des coûts présentés par les trois bénéficiaires en cause.

36      La République portugaise soutient que la Commission n’a identifié aucune défaillance en ce qui concerne l’évaluation du caractère raisonnable des coûts présentés par les bénéficiaires de la mesure 123 et que les autorités portugaises ont mis en œuvre, malgré les contraintes inhérentes au marché des Açores, un système approprié d’évaluation du caractère raisonnable des coûts présentés par ces bénéficiaires, conforme à l’article 26, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1975/2006 et à l’article 24, paragraphe 2, sous d), du règlement no 65/2011, dans la mesure où ce système était fondé sur des coûts de référence. De plus, la République portugaise fait valoir que la Commission n’a invoqué aucune irrégularité quant à la vérification de la réalité des dépenses déclarées par lesdits bénéficiaires et à la réalisation de contrôles sur les lieux de l’opération subventionnée ou sur le site de l’investissement.

37      À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que, contrairement à ce que soutient la République portugaise, la Commission a, dans la lettre du 12 septembre 2013, identifié de manière concrète et détaillée des défaillances en ce qui concerne l’évaluation, par les autorités portugaises, du caractère raisonnable des coûts présentés par les trois bénéficiaires en cause.

38      Ainsi, la Commission a notamment constaté, premièrement, que les listes de coûts de référence établies par les autorités portugaises s’étaient fondées parfois exclusivement sur les prix des entreprises finalement choisies par les bénéficiaires, de sorte que les autorités portugaises s’étaient contentées, dans certains cas, de comparer des prix provenant d’une même entreprise en vue de déterminer si les prix de cette entreprise étaient ou non raisonnables, deuxièmement, que les coûts de référence pouvaient être jusqu’à 4,5 fois supérieurs aux prix des entreprises sélectionnées par les bénéficiaires, ce qui, selon la Commission, indiquait qu’il n’existait aucun rapport entre les coûts de référence et les prix du marché, et, troisièmement, que la justification en ce qui concerne certains paiements dont le montant représentait plusieurs centaines de milliers d’euros pouvait être soit inexistante, soit insuffisante.

39      Or, il importe de noter que la République portugaise ne conteste pas l’exactitude des constatations de la Commission mentionnées au point 38 ci-dessus.

40      En deuxième lieu, le fait que les autorités portugaises aient mis en place un système d’évaluation fondé sur la comparaison des coûts présentés par les bénéficiaires de la mesure 123 avec des coûts de référence ne signifie pas que ledit système était approprié au sens des dispositions mentionnées au point 31 ci-dessus.

41      En effet, il ressort expressément de ces dispositions que les autorités portugaises avaient le choix du système d’évaluation qu’elles souhaitaient mettre en œuvre, de sorte qu’elles pouvaient choisir un autre système d’évaluation si, en pratique, il n’était pas possible d’établir des coûts de référence.

42      Dès lors, s’il n’est pas contesté que la mise en œuvre d’un système d’évaluation fondé sur la comparaison des coûts présentés par les bénéficiaires de la mesure 123 avec des coûts de référence était rendue difficile par les contraintes inhérentes à l’insularité ainsi qu’à la taille limitée du marché des Açores, il était néanmoins loisible aux autorités portugaises de mettre en œuvre un autre système d’évaluation qui aurait été à la fois fiable et opérationnel pour contrôler le caractère raisonnable des coûts présentés par lesdits bénéficiaires, tel que, par exemple, un système faisant intervenir un comité d’évaluation.

43      Or, en l’espèce, la République portugaise n’apporte aucun élément susceptible d’établir l’existence d’un système fiable et opérationnel de contrôle conforme aux dispositions mentionnées au point 31 ci-dessus.

44      En troisième lieu, le fait que les défaillances identifiées par la Commission ne portent ni sur la vérification de la réalité des dépenses déclarées par les bénéficiaires de la mesure 123 ni sur la réalisation de contrôles sur les lieux de l’opération subventionnée ou sur le site de l’investissement n’est pas de nature à remettre en cause le doute sérieux et raisonnable que la Commission pouvait éprouver à l’égard des contrôles, effectués par les autorités portugaises, du caractère raisonnable des coûts présentés par les bénéficiaires de la mesure 123.

45      Par conséquent, il résulte de ce qui précède que, eu égard aux défaillances mentionnées au point 38 ci-dessus, la Commission a présenté des éléments de preuve du doute sérieux et raisonnable, au sens de la jurisprudence citée au point 32 ci-dessus, qu’elle a éprouvé à l’égard des contrôles, effectués par les autorités portugaises, du caractère raisonnable des coûts présentés par les bénéficiaires de la mesure 123.

46      Dans ces conditions et eu égard à la jurisprudence mentionnée aux points 32 à 34 ci-dessus, la République portugaise ne saurait utilement reprocher à la Commission de ne pas avoir pu elle-même identifier les coûts présentés par les bénéficiaires de la mesure 123 qui n’auraient pas été raisonnables.

47      Partant, il y a lieu d’écarter la première branche du second moyen.

 Sur la seconde branche du second moyen, tirée de la méconnaissance du document no VI/5330/97

48      La République portugaise soutient que, eu égard aux défaillances constatées, la correction financière appliquée par la Commission est contraire au document no VI/5330/97 ainsi qu’à l’article 31, paragraphe 2, du règlement no 1290/2005.

49      À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée au point 32 ci-dessus, le Feader ne finance que les interventions effectuées conformément aux dispositions du droit de l’Union.

50      Ainsi, l’article 31 du règlement no 1290/2005 dispose, à son paragraphe 1, que la Commission décide des montants à écarter du financement de l’Union lorsqu’elle constate que des dépenses n’ont pas été effectuées conformément aux règles de l’Union et, à son paragraphe 2, que la Commission évalue les montants à écarter au vu, notamment, de l’importance de la non-conformité constatée, précisant, à cet égard, que la Commission tient compte de la nature et de la gravité de l’infraction ainsi que du préjudice financier causé à l’Union.

51      Toutefois, s’il appartient à la Commission de prouver l’existence d’une violation des règles de l’Union, une fois cette violation établie, il revient à l’État membre de démontrer, le cas échéant, que la Commission a commis une erreur quant aux conséquences financières à en tirer (arrêts du 24 avril 2008, Belgique/Commission, C‑418/06 P, EU:C:2008:247, point 135, et du 4 septembre 2015, Royaume-Uni/Commission, T‑503/12, EU:T:2015:597, point 53).

52      En effet, ainsi qu’il a été rappelé, en substance, au point 34 ci-dessus, la gestion du financement du Feader repose principalement sur les administrations nationales chargées de veiller à la stricte observation des règles de l’Union et est fondée sur la confiance entre les autorités nationales et les autorités de l’Union. Seul l’État membre est en mesure de connaître et de déterminer avec précision les données nécessaires à l’élaboration des comptes du Feader, la Commission ne jouissant pas de la proximité nécessaire pour obtenir les renseignements dont elle a besoin auprès des agents économiques (voir, par analogie, arrêts du 7 octobre 2004, Espagne/Commission, C‑153/01, EU:C:2004:589, point 133 et jurisprudence citée, et du 4 septembre 2015, Royaume-Uni/Commission, T‑503/12, EU:T:2015:597, point 54).

53      En ce qui concerne le type de correction appliquée, il convient de rappeler que, à la lumière du document no VI/5330/97, lorsqu’il n’est pas possible d’évaluer précisément les pertes subies par l’Union, une correction forfaitaire peut être envisagée par la Commission (arrêts du 18 septembre 2003, Royaume-Uni/Commission, C‑346/00, EU:C:2003:474, point 53, et du 24 avril 2008, Belgique/Commission, C‑418/06 P, EU:C:2008:247, point 136). À ce titre, il importe d’ajouter que, si le document no VI/5330/97 a été émis par la Commission dans le contexte du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) et contient, ainsi que l’indique son titre, les orientations concernant le calcul des conséquences financières lors de la préparation de la décision d’apurement des comptes du FEOGA, section « Garantie », rien n’interdit à la Commission d’appliquer ce document également dans l’exercice des compétences que l’article 31, paragraphe 1, du règlement no 1290/2005 lui attribue en vue de l’apurement des comptes du Feader (arrêt du 4 septembre 2015, Royaume-Uni/Commission, T‑503/12, EU:T:2015:597, point 55 ; voir également, en ce sens, arrêt du 17 mai 2013, Bulgarie/Commission, T‑335/11, non publié, EU:T:2013:262, point 86), ce que la République portugaise admet d’ailleurs dans la réplique.

54      À cet égard, il convient encore de relever, à la lumière du document no VI/5330/97, que, lorsque tous les contrôles clés sont effectués, mais sans que soit respectée, notamment, la rigueur préconisée par les règlements, il convient d’appliquer une correction forfaitaire à hauteur de 5 %, car il peut raisonnablement être conclu que ces contrôles n’offrent pas le niveau attendu de régularité des demandes et que le risque de pertes pour le Feader est significatif (voir arrêt du 4 septembre 2015, Royaume-Uni/Commission, T‑503/12, EU:T:2015:597, point 56 et jurisprudence citée).

55      Il ressort également du document no VI/5330/97 que le taux de correction doit être appliqué à la part des dépenses ayant constitué un risque. Lorsque la carence résulte de la non-adoption, par un État membre, d’un système de contrôle approprié, la correction doit, en raison même de son caractère forfaitaire, être appliquée à toutes les dépenses relevant de la mesure concernée (voir arrêt du 4 septembre 2015, Royaume-Uni/Commission, T‑503/12, EU:T:2015:597, point 57 et jurisprudence citée).

56      En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que la Commission a appliqué, en se référant au document no VI/5330/97, une correction forfaitaire de 5 % aux dépenses relatives à la mesure 123 pour lesquelles des paiements avaient été effectués au cours de la période de 24 mois pertinente. Elle a justifié l’application de cette correction par des défaillances constatées en ce qui concerne l’évaluation du caractère raisonnable des coûts présentés par les trois bénéficiaires en cause.

57      La République portugaise conteste la correction forfaitaire de 5 %, au motif que la Commission n’a pas identifié au cours de la procédure d’apurement de conformité, et notamment dans la lettre du 12 septembre 2013, une quelconque omission de contrôles clés, au sens du document no VI/5330/97, relatifs au caractère raisonnable des coûts présentés par les bénéficiaires de la mesure 123, qu’il s’agisse de leur nombre, de leur fréquence ou de leur rigueur, méconnaissant ainsi la « garantie procédurale » prévue par l’article 31, paragraphe 4, sous c), du règlement no 1290/2005. De plus, la République portugaise considère que la Commission lui a opposé, à tort, une obligation de résultat en ce qui concerne l’évaluation du caractère raisonnable desdits coûts et que, en tout état de cause, les défaillances constatées par la Commission ne portent que sur des contrôles secondaires, au sens du document no VI/5330/97, de sorte que seule une correction forfaitaire de 2 % était applicable.

58      À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que, ainsi que le fait valoir, en substance, la République portugaise, le non-respect de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 885/2006, mentionné au point 18 ci-dessus, sur le fondement duquel la Commission a notifié la lettre du 12 septembre 2013, pourrait vider de sa substance la garantie procédurale accordée aux États membres par l’article 31, paragraphe 4, sous c), du règlement no 1290/2005, lequel, ainsi qu’il a été mentionné au point 16 ci-dessus, limite dans le temps les dépenses sur lesquelles peut porter un refus de financement par le Feader (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 24 février 2005, Grèce/Commission, C‑300/02, EU:C:2005:103, point 70).

59      Toutefois, ainsi qu’il a été mentionné au point 37 ci-dessus, la Commission a, par la lettre du 12 septembre 2013, informé les autorités portugaises que les contrôles que ces dernières avaient effectués, au titre de l’article 24, paragraphe 2, sous d), du règlement no 65/2011, lequel a succédé à l’article 26, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1975/2006, n’avaient pas permis d’évaluer de manière appropriée le caractère raisonnable des coûts présentés par les trois bénéficiaires en cause. Ainsi, s’il est vrai que la Commission n’a pas remis en cause le nombre ou la fréquence des contrôles effectués par les autorités portugaises, il ne saurait être soutenu que la rigueur de ces contrôles, au sens du document no VI/5330/97 et de la jurisprudence citée au point 54 ci-dessus, n’ait pas été mise en doute par la Commission.

60      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par le fait que la Commission n’a pas précisément identifié, dans la lettre du 12 septembre 2013, quels coûts, parmi ceux présentés par les trois bénéficiaires en cause, n’étaient pas raisonnables. En effet, eu égard à ce qui a été mentionné aux points 45 et 46 ci-dessus, il suffisait à la Commission de démontrer l’existence d’un doute sérieux et raisonnable que les contrôles effectués par les autorités portugaises ne permettaient pas d’évaluer de manière appropriée le caractère raisonnable des coûts présentés par les bénéficiaires de la mesure 123 pour considérer que ces contrôles ne respectaient pas la rigueur, au sens du document no VI/5330/97 et de la jurisprudence citée au point 54 ci-dessus, préconisée par les règlements nos 1975/2006 et 65/2011.

61      Il s’ensuit que la Commission n’a pas méconnu la garantie procédurale accordée à la République portugaise par l’article 31, paragraphe 4, sous c), du règlement no 1290/2005.

62      En deuxième lieu, il importe de rappeler que, si le fait qu’une procédure soit perfectible ne justifie pas, en soi, une correction financière, une carence significative dans l’application des règles de l’Union exposant le Feader à un risque réel de perte ou d’irrégularité peut justifier l’application d’une correction financière (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 7 juillet 2005, Grèce/Commission, C‑5/03, EU:C:2005:426, point 51).

63      Or, ainsi qu’il a été mentionné au point 45 ci-dessus, la Commission a démontré qu’un doute sérieux et raisonnable à l’égard de la rigueur des contrôles effectués par les autorités portugaises pouvait exister, de sorte qu’il ne saurait être exclu que les coûts présentés par les bénéficiaires de la mesure 123 aient été surévalués et que, par conséquent, un risque réel de perte pour le Feader était établi.

64      Il s’ensuit que, si les autorités portugaises pouvaient choisir, ainsi qu’il a été rappelé au point 42 ci-dessus, le système d’évaluation qu’elles souhaitaient mettre en œuvre, elles étaient néanmoins tenues d’effectuer un contrôle fiable et opérationnel afin de ne pas exposer le Feader à un risque réel de perte.

65      En troisième lieu, il convient de noter que les autorités portugaises n’ont pas présenté de méthode de calcul permettant d’établir le montant réel des dépenses irrégulières ou de démontrer, conformément à la jurisprudence citée au point 51 ci-dessus, que la Commission avait commis une erreur quant aux conséquences financières à en tirer, la République portugaise ne contestant, au demeurant, pas, en soi, l’application d’une correction forfaitaire.

66      Par conséquent, dans la mesure où, ainsi qu’il a été mentionné au point 59 ci-dessus, la Commission reprochait aux autorités portugaises de ne pas avoir respecté la rigueur préconisée par les règlements applicables, il convenait d’appliquer, conformément au document no VI/5330/97 ainsi qu’à la jurisprudence citée au point 54 ci-dessus, une correction forfaitaire de 5 %, au titre de l’article 31, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1290/2005.

67      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’allégation de la République portugaise selon laquelle le contrôle portant sur le caractère raisonnable des coûts présentés ne constituait qu’un contrôle secondaire dont l’omission, en application du document no VI/5330/97, ne pourrait entraîner qu’une correction de 2 %.

68      En effet, il convient de rappeler que, aux termes du document no VI/5330/97, les contrôles clés correspondent aux vérifications physiques et administratives requises pour contrôler les éléments quant au fond, alors que les contrôles secondaires font référence à des opérations administratives nécessaires pour le traitement correct des demandes, telles que la vérification du respect des délais de soumission, l’identification de demandes en double pour un même objet, l’analyse du risque, l’application de sanctions et la supervision adéquate des procédures.

69      Or, d’abord, il convient de relever que la République portugaise n’étaye pas son affirmation selon laquelle les contrôles prévus à l’article 26, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1975/2006 et à l’article 24, paragraphe 2, sous d), du règlement no 65/2011 doivent être considérés comme des contrôles secondaires et non comme des contrôles clés.

70      Ensuite, il y a lieu de noter que le contrôle du caractère raisonnable des coûts constitue une vérification administrative requise pour éviter la surévaluation des demandes. Il s’agit donc du contrôle d’un des éléments quant au fond de ces demandes, devant être distingué des opérations administratives nécessaires au traitement desdites demandes.

71      Enfin, il ressort du document no VI/5330/97 que, si l’existence d’un risque de perte justifiant une correction de 5 % peut être présumée dès lors que des défaillances portant sur des contrôles clés sont constatées, il n’en demeure pas moins que c’est l’existence d’un risque de perte pour le Feader qui justifie, en définitive, l’imposition d’une telle correction (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 12 septembre 2007, Finlande/Commission, T‑230/04, non publié, EU:T:2007:259, point 71, et du 30 septembre 2009, Portugal/Commission, T‑183/06, non publié, EU:T:2009:370, point 99). Or, eu égard à la jurisprudence citée au point 51 ci-dessus, la République portugaise n’apporte aucun élément susceptible de démontrer que les conséquences financières à tirer des défaillances constatées à l’égard des contrôles effectués par les autorités portugaises au titre de l’article 26, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1975/2006 et de l’article 24, paragraphe 2, sous d), du règlement no 65/2011 seraient inférieures à 5 %.

72      Il résulte de ce qui précède qu’il convient d’écarter la seconde branche du second moyen et, par conséquent, de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

73      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

74      La République portugaise ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La République portugaise est condamnée aux dépens.

Gervasoni

Kowalik-Bańczyk

Mac Eochaidh

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 décembre 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : le portugais.