Language of document : ECLI:EU:T:2023:283

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

24 mai 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Biélorussie – Gel des fonds – Restriction en matière d’admission sur le territoire des États membres – Inscription du nom de la requérante sur les listes des personnes, des entités et des organismes concernés – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑556/21,

Sviatlana Lyubetskaya, demeurant à Minsk (Biélorussie), représentée par Me D. Litvinski, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes M.-C. Cadilhac et S. Saez Moreno, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen, président, J. Laitenberger et Mme M. Stancu (rapporteure), juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

vu la décision du 7 novembre 2022 du président de la cinquième chambre du Tribunal, de joindre les affaires T‑556/21, Lyubetskaya/Conseil et T‑557/21, Omeliyanyuk/Conseil, aux fins de la phase orale de la procédure,

à la suite de l’audience du 13 janvier 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Mme Sviatlana Lyubetskaya, demande l’annulation de la décision d’exécution (PESC) 2021/1002 du Conseil, du 21 juin 2021, mettant en œuvre la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2021, L 219 I, p. 70), et du règlement d’exécution (UE) 2021/997 du Conseil, du 21 juin 2021, mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2021, L 219 I, p. 3), en tant que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») la concernent.

 Antécédents du litige

2        La requérante est une ressortissante biélorusse, membre de la Chambre des représentants de l’Assemblée nationale de la République de Biélorussie et présidente de la commission parlementaire des lois.

3        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis 2004, en raison de la situation en Biélorussie en ce qui concerne la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme. Ainsi qu’il ressort des considérants des actes attaqués, elle est plus spécifiquement liée, premièrement, aux élections présidentielles du 9 août 2020 qui ont été jugées incompatibles avec les normes internationales et ternies par l’oppression visant les candidats indépendants et la répression exercée de manière brutale contre des manifestants pacifiques à la suite de ce scrutin ; deuxièmement, à l’escalade des violations graves des droits de l’homme en Biélorussie, et de la violente répression qui s’abat sur la société civile, l’opposition démocratique et les journalistes ainsi que sur les personnes appartenant à des minorités nationales ; troisièmement, à l’atterrissage forcé du vol Ryanair à Minsk (Biélorussie), le 23 mai 2021, au préjudice de la sécurité aérienne, ainsi qu’à la détention par les autorités biélorusses de M. Raman Pratassevitch et de Mme Sofia Sapega.

4        Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 18 mai 2006, sur le fondement des articles [75 et 215 TFUE], le règlement (CE) no 765/2006, concernant des mesures restrictives à l’encontre du président Lukashenko et de certains fonctionnaires de Biélorussie (JO 2006, L 134, p. 1) et, le 15 octobre 2012, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2012/642/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 285, p. 1).

5        Le critère sur le fondement duquel ont été adoptées les mesures restrictives individuelles à l’égard de la requérante (ci-après le « critère général litigieux ») est prévu, d’une part, à l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la décision 2012/642 et, d’autre part, à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de ladite décision, de même qu’à l’article 2, paragraphe 4, du règlement no 765/2006, dans leur version en vigueur au moment de l’adoption des actes attaqués.

6        L’article 3, paragraphe 1, sous a), de la décision 2012/642 prévoit l’interdiction d’entrée et de passage en transit sur le territoire de l’Union européenne pour les personnes qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre manière, à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie, et de toute personne qui leur est associée.

7        Selon l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2012/642 et l’article 2, paragraphe 4, du règlement no 765/2006, la dernière disposition renvoyant à la première, sont gelés tous les fonds et les ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par, notamment, des personnes, des entités ou des organismes responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre manière, à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie.

8        Par les actes attaqués, le nom de la requérante a été inscrit sur les listes des personnes, des entités et des organismes visés par les mesures restrictives qui figurent en annexe à la décision 2012/642 et à l’annexe I du règlement no 765/2006 (ci-après, prises ensemble, les « listes en cause »).

9        Dans les actes attaqués, le Conseil a justifié l’adoption des mesures restrictives visant la requérante en l’identifiant comme « [m]embre de la Chambre des représentants de l’Assemblée nationale de la République de Biélorussie, présidente de la commission permanente des lois » et par la mention des motifs suivants :

« En tant que présidente de la commission parlementaire des lois, [la requérante] est responsable de l’adoption du nouveau code des infractions administratives (entré en vigueur le 1er mars 2021) qui autorise les arrestations arbitraires et impose des sanctions plus lourdes [dans la version anglaise : imposed increased liability] pour la participation à des événements de masse, y compris pour l’affichage de symboles politiques. À travers ces activités législatives, elle est responsable de graves violations des droits de l’homme, notamment au droit de réunion pacifique, ainsi que de la répression de la société civile et de l’opposition démocratique. Ces activités nuisent également gravement à la démocratie et à l’État de droit en Biélorussie ».

 Conclusions des parties

10      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués en tant qu’ils la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

11      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

12      Au soutien de ses conclusions en annulation, la requérante invoque trois moyens, tirés, le premier, du caractère collectif de la responsabilité et de la sanction ainsi que d’une violation de l’obligation de motivation qui en résulte, le deuxième, d’une erreur d’appréciation et, le troisième, d’une violation du principe de proportionnalité.

13      En outre, lors de l’audience, la requérante a précisé qu’elle n’entendait pas soulever un moyen tiré de la violation de la liberté d’expression, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal d’audience.

 Sur le premier moyen, tiré du caractère collectif de la responsabilité et de la sanction ainsi que d’une violation de l’obligation de motivation

14      La requérante fait valoir, premièrement, que les actes attaqués ne sont pas suffisamment motivés, en ce qu’aucun fait concret, individuel et répréhensible n’est invoqué à son encontre par le Conseil. En effet, ce dernier aurait utilisé, pour elle, la même motivation que celle retenue pour un autre parlementaire, à savoir M. Aliaksandr Omeliyanyuk.

15      Deuxièmement, le Conseil l’indiquerait comme seule responsable de l’adoption du nouveau code des infractions administratives (ci-après le « nouveau CIA »), sans apporter d’éléments qui prouveraient sa responsabilité personnelle dans le cadre de cette adoption. En effet, il ne serait même pas certain qu’elle ait effectivement participé au vote d’adoption de ce code ni dans quelle mesure sa voix était déterminante pour convaincre les 109 autres membres de l’Assemblée nationale biélorusse d’approuver ledit code. Ainsi, le Conseil l’aurait sanctionnée tout simplement pour son statut de parlementaire.

16      Le Conseil conteste ces arguments.

17      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 92 et jurisprudence citée).

18      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications des mesures prises et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 93 et jurisprudence citée).

19      La motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive ne doit pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil, T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 116 et jurisprudence citée).

20      Cependant, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées par l’acte au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 95 et jurisprudence citée).

21      En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 96 et jurisprudence citée).

22      Il s’ensuit que, afin de déterminer si les actes attaqués satisfont à l’obligation de motivation, il y a lieu de vérifier si le Conseil a exposé de manière compréhensible et suffisamment précise, dans les motifs énoncés dans ces actes, les raisons l’ayant conduit à considérer que l’inscription du nom de la requérante sur les listes était justifiée au regard des critères juridiques applicables (voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil, T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 119).

23      Premièrement, ainsi qu’il ressort de façon claire et non équivoque de l’exposé des motifs d’inscription, repris au point 9 ci-dessus, le nom de la requérante a été inscrit sur les listes en cause au motif que le Conseil a considéré, d’une part, qu’à travers certaines de ses activités législatives, elle était responsable de graves violations des droits de l’homme, notamment au droit de réunion pacifique, ainsi que de la répression de la société civile et de l’opposition démocratique et, d’autre part, que ces activités législatives nuisaient également gravement à la démocratie et à l’État de droit en Biélorussie. Ces constats reposent sur sa responsabilité, en tant que présidente de la commission parlementaire des lois, dans l’adoption du nouveau CIA qui, selon le Conseil, autorise les arrestations arbitraires et impose des sanctions plus lourdes pour la participation à des évènements de masse. Ce faisant, le Conseil a fourni à la requérante les raisons spécifiques et concrètes justifiant l’inscription de son nom sur les listes en cause. En particulier, il ressort des motifs des actes attaqués que, en faisant référence à sa qualité de présidente de la commission parlementaire des lois, le Conseil a entendu mettre en exergue le pouvoir d’influence et la responsabilité qui résultent d’une telle fonction en ce qui concerne la supervision des travaux de ladite commission.

24      Deuxièmement, la mention, dans ledit exposé, des « graves violations des droits de l’homme », de la « répression de la société civile et de l’opposition démocratique » ainsi que des activités qui « nuisent également gravement à la démocratie et à l’État de droit en Biélorussie » renvoie explicitement au critère général litigieux, tel qu’indiqué aux points 6 et 7 ci-dessus. Ainsi, la requérante pouvait aisément identifier la base juridique des actes attaqués et, par conséquent, comprendre sur quel critère reposait l’inscription de son nom sur les listes en cause.

25      Troisièmement, les considérants des actes attaqués, tels que résumés au point 3 ci-dessus, expliquent de façon claire et non équivoque le contexte dans lequel les mesures en cause ont été adoptées par le Conseil. En particulier, il ressort de ces considérants que celles-ci sont notamment liées aux élections présidentielles du 9 août 2020, lesquelles ont été jugées incompatibles avec les normes internationales et ternies par l’oppression visant les candidats indépendants et la répression exercée de manière brutale contre des manifestants pacifiques à la suite de ce scrutin et à l’escalade des violations graves des droits de l’homme en Biélorussie ainsi qu’à la violente répression qui s’abat sur la société civile et l’opposition démocratique.

26      Quatrièmement, s’agissant du caractère prétendument stéréotypé du motif d’inscription qui serait le même que celui retenu pour M. Omelyanyuk, il y a lieu de relever que seule l’implication propre de la personne physique dans des agissements visés par la réglementation pertinente justifie l’adoption de mesures restrictives à son égard. En l’occurrence, si les considérations figurant dans la motivation retenue par le Conseil à l’égard de la requérante sont essentiellement les mêmes que celles sur le fondement desquelles d’autres personnes physiques mentionnées dans la liste ont été soumises à des mesures restrictives, elles visent néanmoins à décrire la situation concrète de la requérante dans la mesure où elle est identifiée et inscrite en tant que présidente de la commission parlementaire des lois (voir, par analogie, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 82 et jurisprudence citée).

27      Au vu des considérations qui précèdent, il convient de conclure que les actes attaqués sont motivés à suffisance de droit et d’écarter comme non fondé le grief tiré de la violation de l’obligation de motivation.

28      S’agissant du grief tiré du caractère collectif de la responsabilité, il convient de relever, tout d’abord, que le Conseil n’a pas identifié la requérante comme étant la « seule » responsable de l’adoption du nouveau CIA. En effet, le Conseil s’est limité à affirmer, dans l’exposé des motifs, que la requérante était « responsable » de l’adoption du nouveau CIA, sans préciser qu’elle était l’unique responsable de cette adoption. D’ailleurs, ainsi qu’il a été relevé au point 26 ci-dessus, le Conseil a inscrit sur les listes en cause au moins le nom d’un autre parlementaire qui serait également responsable de l’adoption du nouveau CIA.

29      Ensuite, le fait que la responsabilité des autres membres de l’Assemblée nationale ait dû ou pu être éventuellement recherchée et la circonstance selon laquelle il ne serait pas certain que la requérante ait effectivement participé au vote d’adoption de ce code ni dans quelle mesure sa voix aurait été déterminante pour convaincre les 109 autres députés d’approuver ledit code ne font pas obstacle, en eux-mêmes, à ce que la responsabilité de la requérante puisse être recherchée en tant que telle, compte tenu du rôle important de celle-ci en tant que présidente de la commission parlementaire des lois (voir, par analogie, arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 116).

30      Enfin, la requérante ne saurait valablement soutenir que son nom a été inscrit sur les listes en cause seulement en raison de son statut de parlementaire, dès lors que, comme il ressort du point 23 ci-dessus, l’inscription de son nom a été justifiée par ses fonctions précises au sein du Parlement biélorusse, par sa responsabilité dans l’adoption du nouveau CIA et, par voie de conséquence, dans les graves violations des droits de l’homme, la répression de la société civile et de l’opposition démocratique, et les graves atteintes à la démocratie et à l’État de droit.

31      Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter le second grief et, en conséquence, le premier moyen comme étant non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation

32      La requérante soutient que le Conseil a commis une erreur d’appréciation, en lui reprochant d’être personnellement responsable de l’adoption du nouveau CIA et en n’établissant pas à suffisance de droit que les motifs ayant justifié l’inscription de son nom satisfont au critère général litigieux.

33      Premièrement, le Conseil n’aurait prouvé ni quelles seraient les propositions faites par la requérante en ce qui concerne le nouveau CIA ni sa position lors du vote d’approbation de ce code. En outre, il serait contradictoire de reprocher à un parlementaire de mener des activités qui nuisent gravement à la démocratie et à l’État de droit en Biélorussie. En effet, le Parlement n’étant pas un organe répressif ni juridictionnel, il ne serait pas démontré que la requérante ait encouragé les forces de l’ordre et les magistrats à perpétrer des violences ou à enfreindre les principes de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

34      Lors de l’audience, la requérante a ajouté que les membres de la commission parlementaire des lois ne sont pas les auteurs du projet de texte, qui a été proposé par l’administration présidentielle. Le travail de cette commission se serait en effet limité au rassemblement de toutes les propositions d’amendement et à la vérification de la cohérence du projet de texte amendé.

35      Deuxièmement, à supposer que le nouveau CIA prévoie des sanctions plus lourdes pour certaines infractions, le Conseil n’aurait pas défini le terme « arbitraire » ni démontré que ce nouveau code autorise des arrestations arbitraires. En effet, ces arrestations disposeraient d’une base juridique et le choix d’adopter la sanction la plus grave relèverait de l’appréciation des juges.

36      Lors de l’audience, la requérante a, en outre, précisé que le Conseil critiquait seulement quelques articles de ce nouveau code, alors que celui-ci en compte 390. Pour certaines infractions administratives, les sanctions auraient même été allégées. La requérante a par ailleurs excipé de l’irrecevabilité de l’annexe D.2 aux réponses aux mesures d’organisation de la procédure, dès lors que cette annexe concerne le code pénal biélorusse et risquerait d’induire le Tribunal en erreur.

37      Le Conseil conteste ces arguments.

38      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119 et jurisprudence citée).

39      Il incombe à l’autorité compétente de l’Union, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. À cet effet, il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de ladite personne ou de l’entité concernée (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122).

40      Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

41      L’appréciation du bien-fondé d’une inscription doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non pas de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. Le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne ou l’entité sujette à des mesures restrictives et le régime ou, en général, les situations combattues (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Kazembe Musonda/Conseil, T‑177/18, non publié, EU:T:2020:59, point 95 et jurisprudence citée).

42      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le deuxième moyen par lequel la requérante vise, dans un premier temps, à remettre en cause, en substance, sa responsabilité dans l’adoption du nouveau CIA et l’allégation selon laquelle ce code autoriserait des arrestations arbitraires et, dans un second temps, à contester l’existence d’un lien entre ces motifs et le critère général litigieux en vertu duquel son nom a été inscrit sur les listes en cause.

 Sur la responsabilité de la requérante dans l’adoption du nouveau CIA et l’allégation selon laquelle ce code autoriserait des arrestations arbitraires

43      En ce qui concerne la responsabilité de la requérante dans l’adoption du nouveau CIA, il convient de relever, d’emblée, que celle-ci ne conteste pas sa qualité de présidente de la commission parlementaire des lois ni que cette commission était chargée de l’instruction du projet de texte du nouveau CIA. Elle conteste, en revanche, que, de par ce rôle, elle aurait été personnellement impliquée dans le processus d’adoption dudit code.

44      À cet égard, il convient de relever que les éléments de preuve contenus dans le document WK 6805/2021 INIT du 28 mai 2021 font état d’une implication personnelle de la requérante, en sa qualité de présidente de la commission parlementaire des lois, dans l’adoption du nouveau CIA.

45      En particulier, l’élément de preuve no 4, issu du site Internet officiel de la Chambre des représentants de l’Assemblée nationale de Biélorussie, identifie clairement la requérante comme la parlementaire responsable du projet de texte du nouveau CIA. De même, l’élément de preuve n5, un article de presse de l’Agence télégraphique biélorusse (BelTA) du 17 mars 2020, mentionne que, lors d’une conférence de presse au sujet du nouveau CIA donnée par la requérante en sa qualité de présidente de la commission parlementaire des lois, celle-ci a expliqué que cette commission était en train de vérifier les dispositions de l’ancien CIA qui n’étaient plus d’actualité et que plus de 600 propositions provenant des citoyens et des entreprises étaient à l’étude par ladite commission.

46      En outre, il n’apparaît pas que la requérante se soit désolidarisée à un moment ou à un autre du processus d’adoption de ce code, ni qu’elle ait émis la moindre protestation, réserve ou nuance sur le travail accompli par la commission parlementaire des lois en ce qui concerne le nouveau CIA (voir, par analogie, arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 144).

47      Ainsi, dans la mesure où la requérante a été l’une des parlementaires chargés de l’instruction du projet de texte du nouveau CIA, elle est intervenue publiquement en présentant les travaux législatifs de ce code en sa qualité de présidente de la commission parlementaire des lois et elle ne s’est jamais désolidarisée à un moment ou à un autre du processus d’adoption de ce code, elle ne saurait valablement soutenir qu’elle n’était pas personnellement impliquée dans l’adoption dudit code.

48      Par conséquent et sans qu’il soit besoin de vérifier quelles ont été éventuellement les propositions faites ou approuvées par la requérante en ce qui concerne le nouveau CIA ou sa position lors du vote d’approbation de ce code, il y a lieu de conclure que le Conseil a établi à suffisance de droit que cette dernière était responsable de l’adoption dudit code, étant donné qu’elle était impliquée dans l’élaboration du nouveau CIA en qualité de présidente de la commission parlementaire des lois.

49      En ce qui concerne le fait que le nouveau CIA autorise des arrestations arbitraires, il convient de se prononcer d’emblée sur la recevabilité de l’annexe D.2 des réponses aux mesures d’organisation de la procédure qui est contestée par la requérante (voir point 36 ci-dessus).

50      Cette annexe contient la traduction de la loi du 4 janvier 2022 no 144-Z, par laquelle des modifications ont été apportées au code pénal biélorusse ainsi qu’au nouveau CIA. Il s’agit plus particulièrement de l’ajout de l’article 193.1 au code pénal et de l’adjonction du paragraphe 7 à l’article 24.23 du nouveau CIA. Ainsi qu’il ressort de la note en bas de page no 1 figurant dans les réponses du Conseil, cette loi a été citée seulement pour informer le Tribunal que la version de l’article 24.23 du nouveau CIA citée dans lesdites réponses n’était pas celle en vigueur à la date d’adoption des actes attaqués et contenait un paragraphe 7 qui a été ajouté postérieurement.

51      Or, le fait que le Conseil ait produit l’intégralité de la loi du 4 janvier 2022 no 144-Z, qui modifie également une disposition du code pénal biélorusse, ne saurait, comme le soutient la requérante, induire en erreur le Tribunal. En effet, il ressort de façon claire et non équivoque des explications fournies par le Conseil dans ses réponses que ce dernier souhaitait attirer l’attention du Tribunal non pas sur la disposition du code pénal biélorusse, mais sur la teneur exacte de l’article 24.23 du nouveau CIA à la date d’adoption des actes attaqués.

52      Par conséquent, l’argument de la requérante tiré de l’irrecevabilité de l’annexe D.2 des réponses aux mesures d’organisation de la procédure doit être rejeté.

53      Sur le fond, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort du document WK 6805/2021 INIT du 28 mai 2021 et des réponses fournies par le Conseil aux mesures d’organisation de la procédure, premièrement, le nouveau CIA prévoit des sanctions plus lourdes pour la violation de la procédure d’organisation ou de tenue de manifestations de masse, ce que la requérante ne conteste d’ailleurs pas.

54      En particulier, l’article 24.23 de ce code dispose que les participants et les organisateurs de ces manifestations sont passibles d’une amende pouvant aller, respectivement, jusqu’à 100 ou 150 unités de base ou d’une détention administrative pouvant aller, d’après l’article 6.6 de ce même code, d’un minimum de 15 jusqu’à un maximum de 30 jours en cas de récidive. Cette dernière disposition sur la récidive concerne spécifiquement les infractions prévues à l’article 24.23, alors que, pour toutes les autres infractions du CIA, la détention administrative est plafonnée à 15 jours.

55      Il convient de relever, à cet égard, que, d’une part, le montant de l’amende a plus que triplé par rapport à la disposition équivalente contenue dans l’ancien CIA, dès lors que l’article 23.34 de ce dernier code prévoyait que les participants et les organisateurs desdites manifestations étaient passibles d’une amende pouvant aller, respectivement, jusqu’à 30 ou 40 unités de base. D’autre part, la durée de la détention administrative en cas de récidive a doublé par rapport à la disposition équivalente contenue dans l’ancien CIA. En effet, alors que l’article 6.7 de ce dernier code prévoyait que la détention administrative pouvait aller jusqu’à 15 jours, l’article 6.6 du nouveau CIA établit, pour un tel cas de figure, une durée minimale de 15 jours de détention pouvant aller jusqu’à un maximum de 30 jours. Ces informations sont également confirmées, en substance, par l’élément de preuve no 6, à savoir une présentation du nouveau CIA figurant sur le portail Internet biélorusse de diffusion du droit.

56      Or, le durcissement de ces sanctions, notamment la durée de la détention administrative en cas de récidive pour les infractions prévues à l’article 24.23 du nouveau CIA, témoigne d’une volonté claire des autorités biélorusses de dissuader et de réprimer encore plus lourdement les personnes participant aux manifestations contre le régime.

57      Une telle volonté ressort tout aussi clairement de l’élément de preuve no 3, non contesté par la requérante, à savoir l’avis de la Commission de Venise du mois de mars 2021 portant sur « la compatibilité avec les normes européennes de certaines dispositions de droit pénal utilisées pour poursuivre des manifestants pacifiques et les membres du “Conseil de Coordination” ».

58      En effet, il ressort d’une lecture combinée des points 38 et 85 de cet avis que, le nouveau CIA renforçant la responsabilité en cas de participation à des rassemblements de masse non autorisés, il est susceptible d’avoir des répercussions encore plus graves sur la liberté de réunion par rapport à l’ancien CIA, lequel autorisait déjà des arrestations arbitraires.

59      Deuxièmement, le nouveau CIA a déjà été utilisé, après son entrée en vigueur, pour des arrestations massives de manifestants. À cet égard, l’élément de preuve no 8, non contesté par la requérante, qui est un communiqué du ministère de l’Intérieur de la République de Biélorussie publié le 25 mars 2021, mentionne que plus de 200 personnes ont été détenues dans le pays pour avoir violé la législation sur les évènements de masse.

60      Or, compte tenu du fait que le nouveau CIA est entré en vigueur le 1er mars 2021, force est de constater qu’un nombre aussi élevé d’arrestations accomplies dans un laps de temps très court démontre que ce code constitue un instrument législatif qui permet aisément aux autorités biélorusses d’arrêter et de détenir les participants aux manifestations contre le régime.

61      Troisièmement, il convient de relever que les travaux législatifs ayant mené à l’adoption du nouveau CIA le 18 décembre 2020 ont eu lieu dans le contexte particulier, rappelé au point 3 ci-dessus, des manifestations liées aux élections présidentielles du 9 août 2020, jugées incompatibles avec les normes internationales et ternies par l’oppression visant les candidats indépendants et par la répression exercée de manière brutale contre les manifestants pacifiques.

62      Or, un tel contexte est révélateur de la volonté des autorités de se doter d’un instrument législatif, tel que le nouveau CIA, qui leur permet de réprimer les manifestants, ce qui a des conséquences particulièrement graves sur la liberté de réunion.

63      Au vu de tous ces éléments, à savoir, tout d’abord, le durcissement, dans un but dissuasif, des sanctions administratives, notamment la durée de la détention administrative, pour les manifestants, ensuite, les arrestations et détentions massives de ces manifestants perpétrées par les autorités biélorusses après l’entrée en vigueur de ce code, et, enfin, le contexte politique dans lequel ledit code a été adopté, il convient de conclure que l’allégation du Conseil selon laquelle le nouveau CIA autorise des arrestations arbitraires n’est pas entachée d’erreur d’appréciation.

64      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments de la requérante, selon lesquels les arrestations ne peuvent être définies comme arbitraires dans la mesure où elles disposent d’une base juridique et le Conseil ne critique que quelques articles parmi les 390 dont est composé le nouveau CIA.

65      En premier lieu, le caractère arbitraire des arrestations dérive non pas de la formulation des dispositions en tant que telle ou de la marge d’appréciation dont le juge peut disposer pour imposer la sanction, mais plutôt de l’esprit dans lequel de telles dispositions ont été conçues et adoptées et des conséquences qu’elles peuvent concrètement avoir sur la liberté de réunion en Biélorussie. Or, ainsi que cela ressort du point 63 ci‑dessus, le Conseil était fondé à considérer que le nouveau CIA autorisait des arrestations arbitraires.

66      En second lieu, le fait que les autres dispositions de ce code n’aient pas été contestées par le Conseil n’est pas pertinent, dans la mesure où il ressort clairement de l’exposé des motifs que ce dernier a entendu cibler non pas ledit code dans son intégralité, mais seulement les dispositions afférentes à la participation à des événements de masse.

67      Il ressort de tout ce qui précède que c’est sans commettre d’erreur que le Conseil a considéré que la requérante était responsable de l’adoption du nouveau CIA qui autorise les arrestations arbitraires et impose des sanctions plus lourdes pour la participation à des événements de masse.

 Sur l’existence d’un lien entre les motifs d’inscription du nom de la requérante et le critère général litigieux

68      Il ressort des points 53 à 67 ci-dessus que, ensemble ou isolément, le durcissement des sanctions prévu par le nouveau CIA et les arrestations arbitraires autorisées par ce code pour la participation à des événements de masse permettent des atteintes aux droits de l’homme et, notamment, au droit de réunion pacifique, ainsi que la répression de la société civile et de l’opposition démocratique, d’une part, et nuisent à la démocratie et à l’État de droit, d’autre part.

69      Par ailleurs, pour autant que la requérante conteste avoir encouragé les forces de l’ordre et des magistrats à perpétrer des violences ou enfreindre les principes de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il suffit de relever que cet argument se fonde sur une lecture erronée de l’exposé des motifs des actes attaqués. En effet, le Conseil n’a nullement reproché à la requérante d’avoir « encouragé » les forces de l’ordre et des magistrats à perpétrer des violences, mais sa responsabilité dans les violations des droits de l’homme, notamment au droit de réunion pacifique, dans la répression de la société civile ou dans de graves atteintes à la démocratie et à l’État de droit en Biélorussie en raison de sa qualité de présidente de la commission parlementaire des lois chargée de l’élaboration du nouveau CIA.

70      Par conséquent, le Conseil a établi l’existence d’un lien entre les motifs ayant justifié l’inscription du nom de la requérante et le critère général litigieux.

71      Le deuxième moyen doit donc être rejeté comme non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

72      La requérante fait valoir que les mesures restrictives adoptées à son encontre présentent un caractère disproportionné, notamment l’interdiction d’entrée et de transit sur le territoire de l’Union.

73      Premièrement, l’adoption du nouveau CIA serait un acte isolé et il ne serait pas démontré qu’il ait servi, depuis son entrée en vigueur, à la répression de la société civile. Deuxièmement, l’interdiction d’entrée et de transit sur le territoire de l’Union serait incohérente par rapport à la promotion des valeurs démocratiques, telles que prévues par la charte des droits fondamentaux, dans la mesure où cette interdiction l’empêcherait de voyager dans l’Union afin de s’en imprégner et d’en prendre connaissance. Troisièmement, la requérante ne saurait être sanctionnée, en raison de son statut de parlementaire, pour des actes adoptés par des instances collégiales, telles que l’Assemblée nationale ou la commission parlementaire des lois, alors même qu’il n’est pas démontré qu’elle ait participé au processus d’adoption du nouveau CIA.

74      Le Conseil conteste les arguments de la requérante.

75      Il y a lieu de rappeler que, par l’adoption d’actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), le Conseil peut, en principe, limiter le droit à la liberté de circulation et de séjour dans l’Union aux ressortissants de pays tiers. Cependant, il convient de vérifier si le Conseil a agi dans le respect du principe de proportionnalité (voir arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil, T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520, point 89 et jurisprudence citée).

76      Le principe de proportionnalité fait partie des principes généraux du droit de l’Union et exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient de nature à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (voir arrêt du 13 mars 2012, Melli Bank/Conseil, C‑380/09 P, EU:C:2012:137, point 52 et jurisprudence citée).

77      En l’espèce, il convient de constater que, contrairement à ce que soutient la requérante, il existe un rapport raisonnable entre les mesures restrictives adoptées à son encontre et l’objectif poursuivi par celles-ci.

78      Premièrement, il y a lieu d’observer que, par les mesures restrictives adoptées notamment en application du critère général litigieux, le Conseil vise à faire pression sur le régime du président Lukashenko pour qu’il mette fin à ses politiques et activités ayant pour effet le non-respect persistant des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit en Biélorussie, ce qui correspond à l’un des objectifs de la PESC, notamment l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE qui est ainsi libellé :

« L’Union définit et mène des politiques communes et des actions et œuvre pour assurer un haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin : […] de consolider et de soutenir la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les principes du droit international. »

79      Dans ce contexte, l’adoption par Conseil de mesures restrictives visant la requérante en raison de sa responsabilité dans l’adoption du nouveau CIA, qui autorise les arrestations arbitraires et impose des sanctions plus lourdes pour la participation à des événements de masse, ne peut pas être considérée comme une restriction disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par lesdites mesures restrictives, en application du critère général litigieux.

80      Deuxièmement, les mesures en cause sont réversibles et temporaires.

81      Tout d’abord, conformément à l’article 8 de la décision 2012/642 et à l’article 8 bis, paragraphe 4, du règlement no 765/2006, le maintien du nom de la requérante sur les listes en cause fait l’objet d’un suivi constant visant à vérifier que le maintien de sa désignation est compatible avec les critères d’inscription.

82      Ensuite, l’article 5 de la décision 2012/642 et l’article 3 du règlement no 765/2006 prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques.

83      Enfin, conformément à l’article 3, paragraphe 6, de la décision 2012/642, les États membres peuvent déroger aux mesures imposées au paragraphe 1 du même article lorsque le déplacement d’une personne se justifie pour des raisons humanitaires urgentes, ou lorsque la personne se déplace pour assister à des réunions intergouvernementales, y compris à des réunions dont l’initiative a été prise par l’Union ou organisées par celle-ci, ou à des réunions accueillies par un État membre assurant alors la présidence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), lorsqu’il y est mené un dialogue politique visant directement à promouvoir la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit en Biélorussie.

84      Ainsi, si la requérante soutient que les mesures restrictives en cause constituent une atteinte à sa liberté d’aller et venir, force est de constater que de telles restrictions ont pu légalement être apportées à son droit à la liberté de circulation et de séjour dans l’Union, étant donné que, en l’espèce, elles respectent le principe de proportionnalité (voir, par analogie, arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil, T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520, point 92).

85      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments de la requérante.

86      En premier lieu, le Conseil n’était pas tenu de prendre en considération, dans le cadre de cet examen, le fait que le nouveau CIA constituait un acte isolé ou encore que ce code avait été adopté par une instance collégiale.

87      D’une part, le caractère prétendument « isolé » d’un acte législatif ne saurait empêcher le Conseil d’adopter des mesures restrictives à l’encontre de la requérante, dès lors que ni l’article 29 TUE, ni l’article 215 TFUE, ni les actes attaqués adoptés sur le fondement de ces dispositions ne font de distinction quant au caractère isolé ou répété des actes et/ou des activités incriminés ou encore quant à la nature des actes et/ou des activités des personnes physiques ou morales pouvant faire l’objet de mesures restrictives. D’autre part, ainsi qu’il a été relevé au point 29 ci-dessus, le fait que la responsabilité des autres membres de l’Assemblée nationale ait dû ou pu être éventuellement recherchée ne conduit pas en soi à exclure que la responsabilité de la requérante puisse être recherchée en tant que telle, compte tenu du rôle important de celle-ci au sein de la commission parlementaire des lois.

88      En deuxième lieu, il convient également de rejeter l’argument de la requérante selon lequel il n’est pas démontré que ce code ait servi, depuis son entrée en vigueur, à la répression de la société civile. En effet, ainsi qu’il a été relevé aux points 59 et 63 ci-dessus, le Conseil a pu conclure à bon droit que le nouveau CIA autorise des arrestations arbitraires.

89      En troisième lieu, dans la mesure où, comme il résulte du point 83 ci-dessus, il n’est pas exclu que la requérante puisse se rendre dans les États membres pour assister, par exemple, à des réunions visant directement à promouvoir la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit en Biélorussie, son argument selon lequel les mesures restrictives en cause, notamment l’interdiction de se rendre sur le territoire de l’Union, l’empêcheraient de voyager pour s’imprégner et prendre connaissance des valeurs démocratiques européennes doit également être rejeté.

90      Le troisième moyen doit donc être rejeté et, partant, le recours dans sa totalité.

 Sur les dépens

91      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

92      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mme Sviatlana Lyubetskaya est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

Svenningsen

Laitenberger

Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 mai 2023.

Le greffier faisant fonction

 

Le président

T. Henze

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : le français.