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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

8 décembre 2021 (*)

« Recours en annulation – Union économique et monétaire – Union bancaire – Redressement et résolution des établissements de crédit – Mesures d’intervention précoce – Décision de la BCE de placer Banca Carige sous administration temporaire – Décisions de prorogation subséquentes – Délai de recours – Tardiveté – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑620/20,

Roberto Alessio, demeurant à Turin (Italie), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentés par Mes M. Condinanzi, L. Boggio, M. Cataldo et A. Califano, avocats,

parties requérantes,

contre

Banque centrale européenne (BCE), représentée par Mmes C. Hernández Saseta et A. Pizzolla, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, d’une part, de la décision de la BCE du 1er janvier 2019 plaçant Banca Carige SpA sous administration temporaire et, d’autre part, de sa décision du 29 mars 2019 prorogeant la durée de l’administration temporaire ainsi que des décisions de prorogation subséquentes,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, P. Nihoul (rapporteur) et J. Martín y Pérez de Nanclares, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Les requérants, M. Roberto Alessio et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe, sont 57 actionnaires minoritaires de Banca Carige SpA, un établissement de crédit de taille importante établi en Italie, coté en Bourse et soumis à la surveillance prudentielle directe de la Banque centrale européenne (BCE).

2        La BCE a indiqué que, à la fin du mois de septembre 2018, Banca Carige lui communiquait des ratios de fonds propres inférieurs aux prescriptions, fixées à 11,25 % pour les exigences totales de fonds propres au titre du processus de contrôle et d’évaluation prudentiels (Supervisory Review and Evaluation Process, SREP) et à 13,125 % pour les exigences globales de fonds propres.

3        À la suite de ces déclarations, le conseil d’administration de Banca Carige a, le 12 novembre 2018, adopté un plan destiné à renforcer les fonds propres et à restaurer la solidité financière de Banca Carige (ci-après le « plan de renforcement des fonds propres de novembre 2018 »). Ce plan devait notamment se déployer en deux temps, consistant, tout d’abord, en l’émission d’obligations subordonnées de catégorie 2 et, ensuite, en une augmentation de capital soumise à l’approbation des actionnaires. Les obligations visées dans la première étape devaient être souscrites par le fonds d’intervention volontaire du Fonds interbancaire de protection des dépôts (Fondo interbancario di tutela dei depositi ou FITD) à hauteur de 320 millions d’euros, et l’augmentation de capital concernée par la seconde étape devait être limitée à 80 millions d’euros.

4        Le 30 novembre 2018, Banca Carige a indiqué, dans un communiqué de presse, que la première étape du plan de renforcement des fonds propres de novembre 2018 avait été réalisée, avec une souscription d’obligations à hauteur de 318,2 millions d’euros par le fonds d’intervention volontaire du FITD et de 1,8 million d’euros par Banco di Desio e della Brianza SpA.

5        À l’issue de cette étape, Banca Carige respectait les exigences totales de fonds propres au titre du SREP ainsi que les exigences globales de fonds propres, mais elle était sur le point de violer les exigences globales de fonds propres, plus élevées, applicables à partir du 1er janvier 2019.

6        Pour passer à la seconde étape du plan de renforcement des fonds propres de novembre 2018, une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de Banca Carige a été convoquée le 22 décembre 2018. Selon la proposition du conseil d’administration, cette assemblée devait approuver une augmentation de capital afin d’organiser un échange des obligations subordonnées souscrites par le fonds d’intervention volontaire du FITD contre des actions nouvellement émises en vue de renforcer les fonds propres de base de catégorie 1 de Banca Carige.

7        Le 21 décembre 2018, un communiqué de presse de Banca Carige a annoncé que son conseil d’administration avait reçu l’autorisation de la BCE de mettre en œuvre le plan de renforcement des fonds propres de novembre 2018, à savoir l’émission de l’emprunt subordonné déjà réalisée et l’augmentation de capital avec droit préférentiel de souscription pour un maximum de 400 millions d’euros, soumise à l’approbation de l’assemblée extraordinaire convoquée pour le 22 décembre 2018 et devant avoir lieu avant le 30 avril 2019. Le communiqué indiquait également que la BCE avait notifié un projet de décision prévoyant la prorogation, jusqu’au 31 décembre 2019, du délai dans lequel Banca Carige devait se conformer de manière durable aux exigences de fonds propres.

8        Contrairement aux prévisions du conseil d’administration, cette augmentation de capital n’a toutefois pas été approuvée lors de l’assemblée générale extraordinaire du 22 décembre 2018. En effet, un ensemble d’actionnaires représentant environ 70 % du capital social se sont abstenus lors du vote, en demandant au conseil d’administration de reporter le vote à l’assemblée générale suivante, prévue en mars 2019, avec communication préalable du bilan de 2018 et du plan d’entreprise nécessaire. En l’espèce, ils estimaient ne pas pouvoir approuver l’augmentation de capital destinée au renforcement supplémentaire des exigences de fonds propres alors que le plan d’entreprise n’avait pas été présenté.

9        Le 23 décembre 2018, un communiqué de presse de Banca Carige a indiqué que, à la suite du rejet de l’augmentation de capital par les actionnaires, la vice-présidente et un autre membre du conseil d’administration de Banca Carige avaient démissionné avec effet immédiat.

10      Le 2 janvier 2019, un communiqué de presse de Banca Carige a annoncé la démission, avec effet à cette date, de cinq autres membres du conseil d’administration, y compris son président et le directeur général, ainsi que la dissolution en résultant du conseil d’administration. En effet, à la suite de la démission de plus de la moitié de ses membres, le conseil d’administration de Banca Carige devait être considéré comme déchu en application de l’article 18, paragraphe 12, de ses statuts et de l’article 2386 du code civil italien. Conformément aux statuts de Banca Carige, les quatre membres non démissionnaires du conseil d’administration sont restés en fonction pour gérer l’administration courante.

11      Le 2 janvier 2019 également, Banca Carige a annoncé, dans un communiqué de presse distinct, que la BCE avait ordonné son placement sous administration temporaire, en application des dispositions du decreto legislativo n. 385 – Testo unico delle leggi in materia bancaria e creditizia (décret législatif no 385 – Texte unique des lois en matière bancaire et de crédit), du 1er septembre 1993 (supplément ordinaire à la GURI no 230, du 30 septembre 1993), dans sa version applicable au litige (ci-après le « décret législatif no 385/1993 »), transposant l’article 29 de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190) (ci-après, la « décision de placement sous administration temporaire » ou la « première décision attaquée »).

12      La décision de placement sous administration temporaire a été adoptée par le conseil des gouverneurs de la BCE le 1er janvier 2019 et est entrée en vigueur le 2 janvier 2019. Cette décision a entraîné la dissolution du conseil d’administration et du conseil de surveillance de Banca Carige et leur remplacement par trois administrateurs temporaires et par un comité de surveillance composé de trois personnes. Ces personnes avaient pour mission de « prendre les mesures nécessaires afin de garantir que [Banca] Carige se conforme à nouveau aux exigences patrimoniales de manière durable, ce qui inclut la mission de rechercher des opportunités de fusion avec d’autres institutions financières en bonne santé ». La durée du régime d’administration temporaire, fixée à trois mois, pouvait être prorogée si nécessaire.

13      L’adoption de la décision de placement sous administration temporaire a également été annoncée par la BCE dans un communiqué de presse diffusé le 2 janvier 2019 sur son site Internet.

14      Toujours le 2 janvier 2019, la Commission nationale pour les sociétés et la Bourse (Consob) a ordonné la suspension de la négociation des titres émis ou garantis par Banca Carige « jusqu’à l’entrée en vigueur de la décision [de placement sous administration temporaire] ou jusqu’au rétablissement, notamment à la suite des nouvelles initiatives des autorités compétentes en matière de surveillance prudentielle, d’un cadre d’information complet sur les titres émis ou garantis par Banca Carige ».

15      Certains actionnaires de Banca Carige ont demandé une copie de la décision de placement sous administration temporaire à la BCE ainsi qu’à d’autres autorités italiennes. L’un deux a, le 15 janvier 2019, présenté auprès de la BCE une demande d’accès aux documents, au titre de l’article 6 de la décision BCE/2004/3 de la BCE, du 4 mars 2004, relative à l’accès du public à ses documents (JO 2004, L 80, p. 42). La décision confirmative de refus de la BCE, invoquant la confidentialité de la décision de placement sous administration temporaire, a fait l’objet de l’arrêt du 25 juin 2020, Malacalza Investimenti/BCE (T‑552/19, EU:T:2020:294), contre lequel la BCE a formé opposition.

16      Le 29 mars 2019, le conseil des gouverneurs de la BCE a adopté la décision référencée ECB-SSM-2019-ITCAR-13, prorogeant la durée du placement de Banca Carige sous administration temporaire jusqu’au 30 septembre 2019 (ci-après la « première décision de prorogation »). L’adoption de cette décision a été annoncée par Banca Carige dans un communiqué de presse le 30 mars 2019.

17      Le 9 août 2019, Banca Carige, Cassa Centrale Banca – Credito Cooperativo Italiano SpA, le FITD et le fonds d’intervention volontaire du FITD ont signé un accord-cadre définissant les caractéristiques d’un plan d’affaires prévoyant, entre autres, une augmentation de capital de 700 millions d’euros et l’émission de nouvelles obligations subordonnées de catégorie 2.

18      Le 20 septembre 2019, une assemblée générale extraordinaire des actionnaires a été convoquée pour approuver l’augmentation de capital visée dans l’accord-cadre du 9 août 2019. La proposition d’augmentation de capital a été approuvée par l’assemblée des actionnaires.

19      Le 30 septembre 2019, le conseil des gouverneurs de la BCE a adopté la décision référencée ECB-SSM-2019-ITCAR-20, prorogeant une deuxième fois la durée du placement sous administration temporaire de Banca Carige jusqu’au 31 décembre 2019 (ci-après la « deuxième décision de prorogation »).

20      Le 3 décembre 2019, Banca Carige a publiquement annoncé que, à la suite de l’approbation du prospectus d’augmentation de capital par la Consob, la période de souscription serait ouverte le 4 décembre et clôturée le 13 décembre 2019 afin de finaliser l’exécution de l’augmentation de capital pour le 20 décembre 2019.

21      Le 5 décembre 2019, les administrateurs temporaires de Banca Carige ont demandé à la BCE l’autorisation, en vertu de l’article 72, paragraphe 6, et de l’article 75, paragraphe 3, du décret législatif no 385/1993, de convoquer une assemblée générale des actionnaires après la réalisation de l’augmentation de capital, afin de rétablir le conseil d’administration et le conseil de surveillance de Banca Carige dans leurs fonctions. Dans la demande adressée à la BCE, les administrateurs temporaires ont précisé que l’assemblée générale des actionnaires devait se tenir le 31 janvier 2020.

22      Le 20 décembre 2019, par une décision référencée ECB-SSM-2019-ITCAR-26, le conseil des gouverneurs de la BCE a prorogé une troisième fois la durée de l’administration temporaire de Banca Carige jusqu’au 31 janvier 2020 afin de permettre la finalisation de l’opération de renforcement des fonds propres (ci-après la « troisième décision de prorogation » et, prise avec la décision de placement sous administration temporaire, la première décision de prorogation et la deuxième décision de prorogation, les « décisions attaquées »).

23      Le 31 janvier 2020, lors de l’assemblée générale ordinaire des actionnaires de Banca Carige, un nouveau conseil d’administration et un nouveau conseil de surveillance ont été élus. À la suite de ces élections, les administrateurs temporaires et le comité de surveillance ont transféré, à la même date, l’administration de Banca Carige aux organes nouvellement élus, mettant ainsi fin à l’administration temporaire de cet établissement de crédit qui aura duré au total près de treize mois.

24      Le 24 juillet 2020, les requérants ont eu accès à la décision de placement sous administration temporaire et à la première décision de prorogation, en étant parties à une procédure juridictionnelle initiée contre Banca Carige devant le Tribunale di Genova (tribunal de Gênes, Italie) au sujet de la légalité des délibérations votées au cours de l’assemblée générale des actionnaires du 20 septembre 2019, visée au point 18 ci-dessus.

 Procédure et conclusions des parties

25      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 octobre 2020, les requérants ont introduit le présent recours.

26      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 18 décembre 2020, la Commission européenne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la BCE.

27      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 18 décembre 2020 également, la BCE a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

28      Les requérants ont présenté des observations sur l’exception d’irrecevabilité, qu’ils ont déposées au greffe du Tribunal le 1er mars 2021.

29      Dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure prévue à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a, le 3 juin 2021, posé une question aux parties, lesquelles ont répondu dans le délai imparti.

30      Dans la requête, les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre de mesure d’organisation de la procédure, poser une question à la BCE en ce qui concerne le contenu confidentiel des deuxième et troisième décisions de prorogation ou en demander la production ;

–        à titre de mesure d’organisation de la procédure, poser une question à la BCE en ce qui concerne les communications écrites ou orales intervenues entre le président de Banca Carige, son directeur général et la BCE entre le 22 et le 31 décembre 2018 ;

–        annuler la décision de placement sous administration temporaire ainsi que les trois décisions de prorogation ;

–        condamner la BCE aux dépens.

31      Dans l’exception d’irrecevabilité, la BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours manifestement irrecevable ou, à titre subsidiaire, rejeter le recours comme étant irrecevable ;

–        rejeter les demandes de mesures d’organisation de la procédure ;

–        condamner les requérants aux dépens.

32      Dans les observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité ;

–        à titre subsidiaire, joindre au fond l’exception d’irrecevabilité ;

–        en tout état de cause, ouvrir la procédure orale notamment afin de statuer sur l’exception d’irrecevabilité.

 En droit

33      Soulevant plusieurs fins de non-recevoir, la BCE soutient notamment que les requérants auraient dû introduire leur recours dans un délai de deux mois à compter du jour où ils ont eu connaissance de l’existence des décisions attaquées. Or, ils en auraient eu connaissance dès le 2 janvier 2019, pour ce qui est de la première décision attaquée, lorsque la BCE et Banca Carige ont chacune publié un communiqué de presse informant le public du placement sous administration temporaire de l’établissement de crédit. Dans ces conditions, la BCE conclut que le recours déposé le 5 octobre 2020, soit près de deux ans après cette date, devrait être tenu pour manifestement irrecevable.

34      Pour ce qui est des décisions de prorogation, la BCE allègue en substance que, compte tenu du fait que leur adoption a été annoncée via des canaux officiels, par voie de communiqués de presse de Banca Carige ainsi que, pour certaines d’entre elles, dans la presse nationale et locale, les requérants ont également eu connaissance de leur existence dès les premiers jours qui ont suivi leur adoption et, en tout état de cause, au plus tard le 31 janvier 2020 lorsqu’ils ont été appelés à voter, en leur qualité d’actionnaires de Banca Carige, pour la reconstitution des organes d’administration et de surveillance ordinaires de l’établissement de crédit, comme cela a été indiqué au point 23 ci-dessus.

35      Cette position est contestée par les requérants.

36      À cet égard, il convient de relever que, en vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité ou l’incompétence sans engager le débat au fond.

37      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application des dispositions susvisées, de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

 Sur le calcul du délai de recours

38      En ce qui concerne l’introduction du recours, il convient de rappeler que, selon l’article 263, sixième alinéa, TFUE, les demandes en annulation doivent être formées dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance.

39      Aux termes de la jurisprudence, pour que la publication de l’acte attaqué soit le point de départ du délai de recours, au sens de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, une telle publication doit être exigée par une disposition du droit primaire ou dérivé de l’Union européenne, ou découler à tout le moins d’une pratique constante que la partie requérante pouvait légitimement escompter (voir ordonnance du 15 mai 2019, Metrans/Commission et INEA, T‑262/17, EU:T:2019:341, point 39 et jurisprudence citée).

40      Par ailleurs, au sens de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, la notification est l’opération par laquelle l’auteur d’un acte de portée individuelle, tel qu’une décision prise au titre de l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE, communique celui-ci à ses destinataires et les met ainsi en mesure de prendre connaissance de son contenu ainsi que des motifs sur lesquels il repose (voir ordonnance du 30 avril 2019, Roumanie/Commission, T‑530/18, EU:T:2019:269, point 26 et jurisprudence citée).

41      En l’espèce, il n’est pas contesté entre les parties que les décisions attaquées n’ont fait l’objet ni d’une publication ni d’une notification aux requérants au sens de la jurisprudence citée aux points 39 et 40 ci-dessus. Il ne saurait par ailleurs être considéré que les décisions attaquées devaient faire l’objet d’une telle publication ou notification aux requérants au sens de ladite jurisprudence. Le délai de recours contre ces actes a donc commencé à courir, comme le prévoit l’article 263, sixième alinéa, TFUE susvisé, lorsque les requérants en ont eu connaissance.

42      Selon la Cour, il appartient à celui qui a connaissance de l’existence d’un acte qui le concerne d’en demander le texte intégral dans un délai raisonnable (voir arrêts du 6 juillet 1988, Dillinger Hüttenwerke/Commission, 236/86, EU:C:1988:367, point 14 et jurisprudence citée, et du 19 février 1998, Commission/Conseil, C‑309/95, EU:C:1998:66, point 18 et jurisprudence citée).

43      Sous cette réserve, le délai de recours commence à courir, pour ce tiers concerné, à partir du moment où ce dernier a une connaissance exacte du contenu et des motifs de l’acte en cause de manière à pouvoir faire fruit de son droit de recours (voir arrêts du 6 juillet 1988, Dillinger Hüttenwerke/Commission, 236/86, EU:C:1988:367, point 14 et jurisprudence citée, et du 19 février 1998, Commission/Conseil, C‑309/95, EU:C:1998:66, point 18 et jurisprudence citée).

44      Ainsi, la jurisprudence met à la charge du tiers concerné, pour que le délai ne commence à courir à son égard qu’au moment où il connaît l’ensemble des éléments pertinents pour l’introduction du recours, l’obligation de demander avec diligence le texte intégral de l’acte le concernant (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 1988, Dillinger Hüttenwerke/Commission, 236/86, EU:C:1988:367, points 14 et 15).

45      Comme le reconnaissent les requérants, cette jurisprudence vise à éviter qu’un justiciable fasse preuve de négligence et que, en dépit du fait qu’il a eu connaissance de l’existence de l’acte lui faisant grief, il s’abstienne d’agir pour en obtenir une copie intégrale, afin de prendre connaissance de cet acte en vue d’exercer son droit de recours.

46      Dans la jurisprudence, il a été considéré que la connaissance de l’existence d’un acte pouvait être déduite de diverses circonstances.

47      Ainsi, la connaissance de l’existence d’un acte aurait pu être inférée de déclarations formulées oralement ou par écrit par le tiers concerné, ces déclarations permettant de considérer que ce dernier avait connaissance de l’adoption de l’acte attaqué, sans quoi il n’aurait pas tenu les propos qu’il a exprimés (voir, en ce sens, arrêt du 19 février 1998, Commission/Conseil, C‑309/95, EU:C:1998:66, points 21 et 22).

48      La même déduction a été tirée d’événements permettant de considérer que le tiers concerné avait été informé de l’existence de l’acte qu’il souhaitait mettre en cause. À titre d’exemple, il a été considéré, en ce sens, que les requérants devaient savoir qu’un acte avait été pris lorsque l’adoption de cet acte avait été signalée :

–        par la publication, au Journal officiel de l’Union européenne, d’une communication succincte concernant l’acte attaqué (ordonnance du 21 novembre 2005, Tramarin/Commission, T‑426/04, EU:T:2005:405, point 58) ; ou

–        par la publication, au journal officiel d’un État membre, d’un acte national se référant, même de manière imprécise, à l’acte attaqué (arrêt du 14 décembre 1962, Wöhrmann et Lütticke/Commission, 31/62 et 33/62, EU:C:1962:49, p. 981, et ordonnance du 3 septembre 2014, Kėdainių rajono Okainių e.a./Conseil et Commission, T‑386/13, non publiée, EU:T:2014:754, point 31).

49      Dans la jurisprudence, la connaissance de l’existence d’un acte a été déduite, enfin, de situations dans lesquelles ces circonstances étaient combinées, par exemple lorsque l’acte faisant grief avait été diffusé dans les médias et que des déclarations émanant du tiers concerné laissaient entendre qu’il savait qu’un acte avait été adopté, dans un contexte où il était manifeste qu’il suivait de près l’évolution du dossier (ordonnance du 15 juillet 1998, LPN et GEOTA/Commission, T‑155/95, EU:T:1998:167, points 36 à 42).

 Sur la décision de placementsous administration temporaire

50      En l’espèce, des circonstances de cette nature permettent de considérer que les requérants ont eu connaissance de l’existence de la décision de placement sous administration temporaire dans les jours ou les semaines ayant suivi l’adoption de cette décision.

51      Comme premier élément permettant d’établir une telle connaissance, il convient de relever, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 49 ci-dessus, que, ainsi qu’il ressort des écrits soumis au Tribunal par les requérants, ces derniers suivaient de près l’évolution de la situation de l’établissement de crédit dans lequel ils détiennent des participations.

52      Ainsi, les requérants soulignent, dans la requête, qu’« ils sont depuis longtemps actionnaires de [Banca] Carige et ont suivi avec attention les vicissitudes que celle-ci a subies au cours des cinq dernières années, en la soutenant dans la limite de leurs possibilités, également par de nouvelles injections de capitaux lors des augmentations ultérieures approuvées par l’assemblée ». Dans le même sens, ils précisent, dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, qu’ils « sont […] arrivés à détenir une participation non négligeable dans le capital social [de Banca Carige] et […] ont participé à la vie sociale de [celle-ci] au travers d’interventions à l’assemblée générale et de demandes adressées à l’organe de direction ».

53      Démontrant leur vigilance sur le sujet, ils décrivent avec précision les événements qui se sont succédés s’agissant de la situation de Banca Carige jusqu’à l’adoption de la décision de placement sous administration temporaire.

54      Dans ce cadre, ils relatent notamment les discussions intervenues entre les actionnaires et le conseil d’administration, lors de l’assemblée générale du 22 décembre 2018 visée au point 8 ci-dessus, d’une manière laissant apparaître qu’ils disposent d’une connaissance précise de l’état des relations entre ces acteurs de l’établissement de crédit, et en indiquant même que l’un des requérants avait pris une part active dans ces discussions.

55      De la même manière, les requérants décrivent l’enchaînement des événements ayant conduit à l’organisation de cette assemblée générale et de ceux ayant suivi la tenue de cette assemblée, en analysant les communiqués de presse publiés par Banca Carige, particulièrement celui publié le lendemain de ladite assemblée générale, afin d’annoncer la démission de deux membres du conseil d’administration, démontrant ainsi la constance dont ils ont fait preuve dans l’attention portée à l’établissement de crédit et à son évolution.

56      Au titre du deuxième élément permettant d’établir la connaissance, par les requérants, de l’existence de la première décision attaquée, il convient de relever que, dans leur requête et leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérants formulent des commentaires permettant de considérer non seulement qu’ils ont suivi de près l’évolution de la situation de Banca Carige, mais aussi qu’ils ont su, dans les jours ou les semaines ayant suivi l’adoption de cette décision, que l’établissement de crédit avait été placé sous administration temporaire.

57      C’est ainsi que, dans leur requête, les requérants déclarent avoir « ignoré la motivation de la décision […] jusqu’au 24 juillet 2020 », en précisant qu’« [i]l leur a donc été impossible pendant longtemps de savoir, de comprendre et d’apprécier s’il existait d’autres atteintes à leurs droits substantiels ».

58      Dans le même document, ils indiquent que, « pendant plus de dix-huit mois, [la BCE] a caché tant aux actionnaires qu’au public les raisons de la mesure d’administration extraordinaire sans que cela ne soit nullement justifié ».

59      Ainsi qu’il ressort de ces extraits, les requérants, dans les jours ou les semaines suivant l’adoption de ladite décision, n’étaient pas dans l’incertitude quant à la question de savoir si une mesure avait été prise à l’égard de Banca Carige ou quel type de mesure avait précisément été adopté. La question suscitant leur incertitude portait plutôt sur les raisons et la motivation ayant pu conduire la BCE à adopter, à l’égard de l’établissement de crédit, la mesure dont il est question.

60      Enfin, en tant que troisième élément permettant d’établir la connaissance, par les requérants, de l’existence de la première décision attaquée, il convient de rappeler que, comme cela a été indiqué dans les antécédents du litige, la décision de placer Banca Carige sous administration temporaire a fait l’objet d’une publicité, à trois reprises au moins, peu après son adoption, dans le but d’informer le public, dont les actionnaires, de la mesure prise par la BCE à l’égard de l’établissement de crédit.

61      Ainsi, le lendemain de l’adoption de la première décision attaquée, soit le 2 janvier 2019, deux communiqués ont été publiés pour annoncer la mesure d’administration temporaire. En l’occurrence, la première publication a été l’œuvre de Banca Carige elle-même, comme il ressort d’une pièce produite par les requérants durant la procédure devant le Tribunal. Quant à la seconde, elle a été effectuée le même jour par la BCE, laquelle a placé ce communiqué sur son site Internet.

62      Quinze jours plus tard, à savoir le 17 janvier 2019, deux actes adoptés par la Consob ont été publiés dans le Bollettino (numéro no 1/2019), qui est le document dans lequel cette autorité nationale de contrôle des marchés publie officiellement les décisions ayant un effet sur les entités placées sous son contrôle :

–        le premier est la décision no 20771, du 1er janvier 2019, par laquelle la Consob a prononcé la suspension de la négociation des titres émis ou garantis par Banca Carige, laquelle renvoie à une communication adressée le 31 décembre 2018 à cette autorité par les administrateurs de Banca Carige afin d’annoncer que des « communications relatives à la gouvernance d’entreprise ser[aie]nt probablement publiées [le] 2 janvier 2019 » ;

–        quant au second, à savoir la décision no 20772, du 2 janvier 2019, visée au point 14 ci-dessus, il s’agit d’une décision de la Consob confirmant la précédente, laquelle fait référence, de manière expresse dans un de ses visas, à la décision de placement sous administration temporaire.

63      Quelques semaines plus tard, le 2 mai 2019, afin de se conformer aux prescriptions de l’article 71, paragraphe 2, du décret législatif no 385/1993, qui prévoit que, dans les quinze jours suivant la notification de la nomination des administrateurs temporaires et du comité de surveillance, les administrateurs temporaires déposent une copie des actes de nomination en vue de leur inscription au registre des entreprises, la décision de placement sous administration temporaire a fait l’objet d’un dépôt, et d’un enregistrement, dans une version presque totalement expurgée, au registre des entreprises tenu par la Chambre du commerce, de l’industrie et de l’artisanat de Gênes (Italie), ville dans laquelle Banca Carige a son siège social.

64      Ainsi, l’analyse du dossier soumis au Tribunal montre, sur la base de différents éléments, conformément à la jurisprudence, que les requérants ont nécessairement eu connaissance de l’existence de la première décision attaquée dans les jours ou les semaines ayant suivi son adoption.

65      Selon la jurisprudence citée au point 42 ci-dessus, il leur appartenait alors de demander, dans un délai raisonnable, le texte intégral de la première décision attaquée, de manière à assurer que le délai commence à courir non pas immédiatement, mais à partir du moment où ils auraient connaissance du contenu et des motifs de celle-ci, ce qui leur permettrait de faire fruit de leur droit de recours.

66      Or, les requérants n’ont soumis au Tribunal aucun élément permettant de considérer que, en conformité avec cette exigence, ils ont entrepris, dans un délai raisonnable, une quelconque démarche en ce sens. Au contraire, ils reconnaissent dans leurs écrits avoir pris connaissance du texte de la décision non pas à la suite d’une telle démarche qu’ils auraient accomplie, mais « de façon totalement accidentelle », lorsque le texte de la décision a été divulgué dans le cadre d’une procédure juridictionnelle nationale.

67      Dans ces conditions, les requérants ne peuvent valablement prétendre que, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 43 ci-dessus, le délai de recours contre la première décision attaquée est calculé à leur égard à partir du moment où ils ont eu connaissance du contenu et des motifs de cette décision.

 Arguments présentés par les requérants

68      Sans contester avoir su, dans les jours ou les semaines ayant suivi l’adoption de la première décision attaquée, que cet acte avait été adopté, les requérants soutiennent que le point de départ du délai ne saurait dépendre, pour ce qui les concerne, de l’accomplissement d’une démarche consistant à demander, auprès de son auteur, le texte intégral de cette décision.

69      Au soutien de leur position, ils formulent plusieurs arguments.

70      En premier lieu, les requérants font état de ce que la règle soumettant le départ du délai à l’accomplissement d’une telle démarche a été développée, selon eux, dans des affaires où le tiers concerné avait été personnellement informé par une autorité de l’adoption de l’acte faisant grief. Au soutien de leur observation, ils citent notamment l’arrêt du 5 mars 1986, Tezi Textiel/Commission (59/84, EU:C:1986:102), où la partie requérante s’était vu adresser un coup de téléphone, deux lettres et une communication contenant le résumé de la décision attaquée dans cette affaire, publiée au Journal officiel après avoir été envoyée à ladite partie requérante.

71      Selon les requérants, l’information fournie par l’autorité permettrait au tiers intéressé d’identifier l’instance à laquelle le texte peut être demandé et d’établir de façon certaine le moment auquel ce tiers a eu connaissance de l’existence de l’acte attaqué. Aucune information de cette nature ne leur ayant été ici fournie, le délai ne pouvait commencer à courir à l’égard des requérants avant le jour où ils ont obtenu le texte de la décision dans le cadre d’une procédure juridictionnelle nationale.

72      À cet égard, il convient de relever que la jurisprudence sur le point de départ du délai de recours comporte, certes, des affaires dans lesquelles des autorités avaient averti la partie requérante de l’existence de l’acte attaqué la concernant (arrêts du 5 mars 1986, Tezi Textiel/Commission, 59/84, EU:C:1986:102 ; du 5 mars 2020, Credito Fondiario/CRU, C‑69/19 P, EU:C:2020:178, et ordonnance du 10 février 1994, Frinil/Commission, T‑468/93, EU:T:1994:18).

73      Comme le signalent les requérants, des communications d’une telle nature peuvent aider un justiciable à accomplir la démarche exigée par la jurisprudence consistant en une demande du texte intégral de l’acte attaqué présentée dans un délai raisonnable, dès lors qu’elles facilitent l’accès aux informations utiles à cet effet.

74      Toutefois, ces situations particulières n’épuisent pas l’ensemble des circonstances dans lesquelles il peut être considéré, au regard de la jurisprudence, que des personnes physiques ou morales ont pu avoir connaissance de l’existence d’un acte.

75      En effet, comme cela a été indiqué aux points 48 et 49 ci-dessus, la connaissance de l’existence d’un acte attaqué a pu, dans d’autres cas, être déduite de la publication d’une communication succincte concernant cet acte au Journal officiel, de la publication, dans le journal officiel d’un État membre, d’un acte national se référant, même de manière imprécise, à l’acte attaqué, ou encore de la circonstance que l’acte attaqué avait été diffusé dans les médias et que des déclarations émanant de la partie requérante laissaient entendre qu’elle savait qu’un acte avait été adopté, dans un contexte où il était manifeste qu’elle suivait de près l’évolution du dossier.

76      Par ailleurs, dans l’arrêt du 6 décembre 1990, Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie/Commission (C‑180/88, EU:C:1990:441, points 26 et 27), la connaissance de l’existence de l’acte, indiquant le moment auquel le texte intégral de l’acte attaqué doit être demandé dans un délai raisonnable, a été déduite de la mention de cet acte dans des documents se trouvant en la possession de la partie requérante, de la publication de rapports sur la politique de la concurrence dans lesquels était mentionné cet acte et de la soumission du rapport sur l’application du code des aides à la sidérurgie au comité consultatif CECA au sein duquel était représentée la partie requérante.

77      Il apparaît ainsi que, dans nombre d’affaires faisant application de la jurisprudence visée au point 42 ci-dessus, la partie requérante n’avait pas été informée, de manière spécifique, de l’adoption de l’acte lui faisant grief par une autorité et que les éléments, soulignés dans ces affaires, permettant d’établir la connaissance de l’existence dudit acte par la partie requérante suffisaient à cet égard, contrairement à ce qu’indiquent les requérants.

78      En outre, l’argument développé par les requérants, s’il était accepté, introduirait une forme de notification qui n’est pas prévue par le droit primaire ou le droit dérivé de l’Union, en exigeant qu’une communication spécifique soit adressée aux tiers concernés, même si cette communication est limitée à des informations portant sur l’existence de l’acte et aux instances à contacter pour obtenir le texte intégral de cet acte.

79      En deuxième lieu, les requérants soulignent être des personnes physiques ayant la qualité de petits épargnants qui se sont limités à investir leur épargne dans l’établissement de crédit de leur région. De la part de tels épargnants, il ne saurait être exigé, selon eux, qu’ils surveillent de près les communiqués de presse publiés par cet établissement de crédit ou les informations le concernant publiées dans le registre des entreprises.

80      À cet égard, il convient de relever que le droit à un recours juridictionnel effectif est un droit fondamental dont le respect est garanti à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

81      Pour que ce droit ait un caractère effectif, la jurisprudence indique que les dispositions du traité concernant le droit d’agir des justiciables ne sauraient être interprétées restrictivement (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 222, et du 11 juillet 1996, Métropole télévision e.a./Commission, T‑528/93, T‑542/93, T‑543/93 et T‑546/93, EU:T:1996:99, point 60).

82      C’est en ce sens que la Cour permet, en l’absence de publication ou de notification, que le délai de recours commence à courir, à l’égard des tiers concernés, au moment où ces derniers ont connaissance du contenu et des motifs de l’acte attaqué (voir point 43 ci-dessus).

83      Toutefois, l’exercice de ce droit à un recours juridictionnel effectif est soumis à des exigences, en particulier en ce qui concerne les délais de recours, dont le but est d’assurer, d’une part, que les conditions soient identiques pour tous relativement à l’introduction des recours et, d’autre part, que la validité des actes juridiques ne puisse être sans fin mise en cause (voir, en ce sens, arrêts du 23 janvier 1997, Coen, C‑246/95, EU:C:1997:33, point 21 ; du 18 septembre 1997, Mutual Aid Administration Services/Commission, T‑121/96 et T‑151/96, EU:T:1997:132, point 38, et ordonnance du 3 septembre 2014, Kėdainių rajono Okainių e.a./Conseil et Commission, T‑386/13, non publiée, EU:T:2014:754, point 28).

84      Ainsi, acceptant que le délai de recours puisse seulement commencer à courir à partir du moment où le tiers concerné a connaissance du contenu et des motifs de l’acte en cause, la Cour a soumis l’application de cette règle à l’accomplissement d’une démarche, à savoir l’introduction d’une demande pour obtenir le texte intégral de l’acte attaqué, sans exiger que cette démarche doive revêtir une forme particulière, la seule exigence étant qu’elle soit accomplie dans un délai raisonnable, pour éviter que ne soit compromise la sécurité juridique (voir point 42 ci-dessus).

85      Cette exigence n’ayant pas été respectée par les requérants, il convient de considérer que le délai de recours a commencé à courir à partir de leur connaissance de l’existence de la première décision attaquée, sans que leur qualité de petits épargnants ne puisse avoir une quelconque incidence à cet égard.

86      En troisième lieu, les requérants soutiennent que, même s’ils avaient demandé à la BCE le texte de la première décision attaquée, cette demande aurait sans aucun doute été rejetée par la BCE. Sur ce point, ils renvoient aux demandes d’accès à la première décision attaquée formulées par d’autres actionnaires, mentionnées au point 15 ci-dessus, en faisant remarquer que, pour les deux actionnaires concernés, l’accès demandé a été refusé par la BCE.

87      À cet égard, il convient de relever que l’introduction des recours est appréciée, sur le plan de la recevabilité, en considérant chaque recours d’une manière distincte.

88      Il en découle qu’un même acte peut être attaqué par divers requérants dont certains seront considérés comme recevables à agir parce qu’ils auront introduit leur recours dans le délai, tandis que d’autres ne le seront pas car ils auront formé leur recours en dehors dudit délai. Dans de tels cas, la recevabilité d’un recours n’entraîne pas celle de tous ceux qui sont formés par d’autres requérants contre le même acte.

89      En l’espèce, le refus de donner l’accès sollicité par certains actionnaires ne saurait être interprété comme impliquant qu’une réponse semblable sera donnée par la BCE à une demande visant le même document et ne présentant pas nécessairement les mêmes arguments afin de justifier la divulgation du document demandé.

90      En tout état de cause, le calcul des délais de recours, qui sont d’ordre public, ne saurait dépendre d’une appréciation, forcément subjective, que réalisera le tiers concerné à propos de la probabilité de succès d’une démarche entreprise par lui.

 Conclusion concernant la décision de placement sous administration temporaire

91      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le recours a été introduit tardivement en ce qui concerne la décision de placement sous administration temporaire.

 Sur la première, la deuxième et la troisième décision de prorogation

92      La même conclusion doit être tirée à propos de la première, de la deuxième et de la troisième décision de prorogation, qui sont également visées dans le présent recours.

93      En effet, tout d’abord, la vigilance dont ont fait preuve les requérants à propos de l’évolution de Banca Carige ne s’est pas arrêtée à l’adoption de la décision de placement sous administration temporaire, mais s’est poursuivie par la suite, ainsi que le montrent divers extraits provenant des écritures.

94      C’est ainsi notamment que, dans la requête, les requérants font état des rumeurs qui se sont succédées dans la presse lorsque la mesure de placement sous administration temporaire a été adoptée, en ce qui concerne le besoin de fonds propres de Banca Carige et les solutions que les administrateurs temporaires auraient trouvées pour y remédier. Les requérants indiquent que, dans ce contexte, ils se trouvaient, comme tous les actionnaires, dans une situation d’incertitude absolue quant au sort des sommes considérables qu’ils avaient investies dans le capital de Banca Carige, tout en ayant perdu toute influence sur la gestion de l’établissement de crédit.

95      Par ailleurs, les requérants ont fait état de l’augmentation de capital intervenue sous le régime de l’administration temporaire de Banca Carige, mentionnée au point 18 ci-dessus, laquelle a entraîné la prise de contrôle de cet établissement de crédit par le fonds d’intervention volontaire du FITD, le FITD et la Cassa Centrale Banca – Credito Cooperativo Italiano.

96      Cette vigilance était d’autant plus soutenue que, ainsi qu’il ressort des extraits mentionnés aux points 57 et 58 ci-dessus, les requérants s’interrogeaient sur les raisons ayant justifié le placement de Banca Carige sous administration temporaire et que cette mesure était adoptée à chaque fois nécessairement en raison de sa nature, pour une durée déterminée, impliquant ainsi que soit elle expirerait à l’issue de cette durée, soit elle serait prorogée pour une durée supplémentaire.

97      Ensuite, il convient de relever que la requête et les observations sur l’exception d’irrecevabilité laissent apparaître que, comme cela était le cas pour la décision de placement sous administration temporaire, les requérants savaient que des mesures de prorogation avaient été adoptées. Ils ne connaissaient, en revanche, pas le contenu et les motifs de ces décisions de prorogation. C’est ainsi qu’ils indiquent dans ces documents :

–        avoir « totalement ignoré la motivation de la décision (ainsi que celle de ses prorogations) jusqu’au 24 juillet 2020 » ;

–        qu’« [i]l leur a donc été impossible pendant longtemps de savoir, de comprendre et d’apprécier s’il existait d’autres atteintes à leurs droits substantiels » ;

–        qu’ils « ont eu connaissance du contenu intégral de deux des quatre décisions attaquées il y a deux mois, lorsque [Banca] Carige (évidemment moins soucieuse de la confidentialité que la BCE) les a déposées sans parties expurgées dans le cadre d’un recours à l’encontre d’une décision de la banque, (également) introduit par [eux-mêmes] » ; et

–        que « [c]’est avec beaucoup d’étonnement et de déception qu’ils ont donc pris acte d’une motivation, longtemps cachée par la BCE, qui est manifestement erronée sous de nombreux aspects et qui est illégale par rapport aux finalités substantielles poursuivies par l’autorité de surveillance ».

98      Enfin, les différentes décisions de prorogation ont donné lieu, elles aussi, à des mesures de publicité.

99      Ainsi, s’agissant de la première décision de prorogation, elle a fait l’objet d’un communiqué de presse publié par Banca Carige le lendemain de son adoption, à savoir le 30 mars 2019, ainsi que cela a été indiqué au point 16 ci-dessus.

100    Par ailleurs, les requérants ont indiqué que, comme la décision de placement sous administration temporaire, la première décision de prorogation avait été déposée et enregistrée, dans une version presque totalement expurgée, au registre des entreprises tenu par la Chambre du commerce, de l’industrie et de l’artisanat de Gênes le 2 mai 2019, c’est-à-dire un mois environ après son adoption.

101    En ce qui concerne les deuxième et troisième décisions de prorogation, les parties ont fait état, dans leurs réponses aux questions écrites du Tribunal, des différentes formes de publicité que ces décisions avaient connues, à savoir, en plus de leur mention dans des articles de presse parus dans les médias nationaux et locaux qui ont été produits par la BCE :

–        l’inscription de ces deux décisions au registre des entreprises, respectivement, le 22 octobre 2019 et le 14 janvier 2020, conformément à l’article 71, paragraphe 2, du décret législatif no 385/1993 ;

–        l’annonce de l’adoption de ces décisions dans le Journal officiel de la République italienne, respectivement, le 16 octobre 2019 et le 9 janvier 2020, conformément à l’article 70, paragraphe 4, du décret législatif no 385/1993 qui prévoit que « [l]a décision [de placement sous administration temporaire] est publiée (extraits) au [J]ournal officiel de la République italienne » ;

–        l’annonce de l’adoption de ces décisions dans des communiqués de presse de Banca Carige, datés respectivement du 30 septembre et du 20 décembre 2019.

102    Sur la base de ces indications fournies par la BCE ainsi que par les requérants eux-mêmes, il y a lieu de considérer, comme pour la décision de placement sous administration temporaire, que les requérants ont nécessairement eu connaissance de l’existence de chacune des décisions de prorogation dans les jours ou les semaines qui ont suivi leur adoption.

103    En application de la jurisprudence visée au point 42 ci-dessus, ils devaient donc, pour bénéficier de la règle fixant le point de départ du délai au moment où ils auraient eu connaissance du contenu et des motifs de ces décisions, demander le texte intégral des décisions de prorogation dans un délai raisonnable afin d’introduire leur recours dans les délais, ce qu’ils n’ont pas fait.

104    Les arguments qu’ils avancent devant être rejetés pour les raisons exposées aux points 68 à 90 ci-dessus, il y a lieu de considérer que le recours est également tardif en tant qu’il est dirigé contre la première, la deuxième et la troisième décision de prorogation.

105    Pour autant que de besoin, il convient de noter que les requérants n’ont pas invoqué ni établi l’existence d’un cas fortuit ou de force majeure permettant de déroger au délai en cause en application de l’article 45, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53 dudit statut.

 Conclusion

106    Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir la fin de non-recevoir soulevée par la BCE et de déclarer le recours irrecevable.

107    Le recours étant irrecevable, il n’y a pas lieu de se prononcer sur :

–        le bien-fondé des autres fins de non-recevoir soulevées par la BCE ;

–        les mesures d’organisation de la procédure demandées par les requérants ; et

–        la demande d’intervention présentée par la Commission.

 Sur les dépens

108    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux de la BCE, conformément aux conclusions de cette dernière.

109    Par ailleurs, en application de l’article 144, paragraphe 10, du règlement de procédure, la Commission supportera ses propres dépens afférents à la demande d’intervention.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Il n’y a plus lieu de statuer sur la demande d’intervention de la Commission européenne.

3)      M. Roberto Alessio et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe sont condamnés à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Banque centrale européenne (BCE).

4)      La Commission supportera ses propres dépens afférents à la demande d’intervention.

Fait à Luxembourg, le 8 décembre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Gervasoni


*      Langue de procédure : l’italien.


1      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.