Language of document : ECLI:EU:T:2007:178

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

13 juin 2007 (*)

« Marque communautaire – Signes figuratifs – Motifs absolus de refus d’enregistrement – Absence de caractère distinctif – Article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 40/94 »

Dans l’affaire T‑441/05,

IVG Immobilien AG, établie à Bonn (Allemagne), représentée par Mes A. Okonek et U. Karpenstein, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. G. Schneider, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l’OHMI du 1er septembre 2005 (affaire R 559/2004‑4), concernant une demande d’enregistrement du signe figuratif I comme marque communautaire,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. H. Legal, président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. E. Moavero Milanesi, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 16 décembre 2005,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 8 mars 2006,

à la suite de l’audience du 11 janvier 2007,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 5 novembre 2002, la requérante a présenté une demande de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié.

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est la marque figurative, de couleur bleu roi, reproduite ci-dessous :

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3        Les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 35, 36, 37, 39, 42 et 43 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 35 : « Réalisation d’analyses du prix de revient, conseils en organisation et en affaires commerciales, en particulier conseils en organisation et direction d’entreprises ; estimation en affaires commerciales » ;

–        classe 36 : « Analyses financières ; affaires bancaires ; recouvrement de créances ; prêts sur gage ; consultation en matière financière ; développement financier ; garanties ; recouvrement de loyers et de fermages ; gérances d’immeubles ; administration foncière et immobilière ; évaluations de biens immobiliers ; location et fermage d’immeubles ; investissement de capitaux ; location d’exploitations agricoles ; services d’un courtier, placement de patrimoine, gestion de patrimoine » ;

–        classe 37 : « Démolition de constructions ; asphaltage ; informations en matière de construction ; direction de travaux de construction ; construction ; forages ; installations d’irrigation ; construction d’usines ; construction de ports, construction de jetées » ;

–        classe 39 : « Livraison de marchandises ; affrètement ; entreposage de marchandises ; location de garages ; location de conteneurs d’entreposage ; transports » ;

–        classe 42 : « Services d’un architecte, conseils en construction » ;

–        classe 43 : « Location de constructions transportables ».

4        Par décision du 14 juin 2004, l’examinateur a refusé d’enregistrer le signe déposé, au motif que celui-ci était dépourvu de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, par rapport à tous les services visés par la demande d’enregistrement.

5        L’examinateur a en effet relevé à cet égard que, dans la mesure où ils ne présentaient aucun graphisme spécifique et frappant, des signes banals et simples, comme les lettres isolées, les nombres cardinaux et les formes géométriques de base, n’étaient pas distinctifs. Il a ensuite considéré que le signe déposé ne revêtait en lui-même aucune particularité de nature à lui conférer une fonction dépassant la représentation d’une lettre normale.

6        La requérante a contesté cette décision devant l’OHMI, par recours introduit le 5 juillet 2004 sur le fondement des articles 57 à 62 du règlement n° 40/94. Au soutien de son action, la requérante a allégué que la forme du signe déposé se démarquait de la lettre type « i » de la police de caractères Times New Roman, en majuscule, eu égard à sa couleur, ainsi qu’à la finesse et à la longueur des traits horizontaux transversaux situés à son sommet et à sa base.

7        Cette action a été rejetée par décision de la quatrième chambre de recours de l’OHMI du 1er septembre 2005 (ci-après la « décision attaquée »), notifiée à la requérante le 19 octobre suivant.

8        La chambre de recours a notamment retenu ce qui suit :

« […]

9      Sont distinctifs au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 les signes qui, au regard des produits et services concrètement revendiqués, apparaissent aptes à distinguer aux yeux des consommateurs ciblés les produits ou services d’une entreprise de ceux d’une autre entreprise [voir arrêt du Tribunal du 19 septembre 2001, Henkel/OHMI (Tablette ronde rouge et blanc), T‑337/99, Rec. p. II‑2597, points 42 et 43]. Le caractère distinctif d’une marque doit donc être apprécié par rapport, d’une part, aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement a été demandé et, d’autre part, à la perception des milieux intéressés. L’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 ne fait à cet égard aucune différence entre les différents types de signes. Il peut certes apparaître que la perception du public intéressé n’est pas nécessairement la même pour chacune des catégories de marques et que, dès lors, il peut se révéler plus difficile d’établir le caractère distinctif des marques de certaines catégories que de celles d’autres catégories. Cette constatation ne peut toutefois justifier la supposition que de telles marques sont a priori dépourvues de caractère distinctif ou ne peuvent l’acquérir que par l’usage [voir, à propos de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104, l’arrêt de la Cour du 16 septembre 2004, Nichols, C‑404/02, […], points 23, 24, 27 et suivants].

10      Le signe déposé est constitué par la lettre « i » en majuscule, ou le chiffre romain un, appartenant à la police de caractères Times New Roman, laquelle est couramment utilisée dans les textes imprimés. Certes, la requérante souligne que les traits transversaux situés au sommet et à la base du signe déposé sont un peu plus minces et plus larges que dans la police de caractères standard Times New Roman. Ces légères différences ne sont toutefois pas perceptibles par le consommateur raisonnablement attentif et sont, partant, dépourvues de pertinence aux fins de l’appréciation de l’aptitude à l’enregistrement de la marque demandée. La couleur bleue n’a pas non plus pour effet de rendre le signe I apte à l’enregistrement. Certes, les textes sont bien la plupart du temps imprimés en noir sur fond blanc. Toutefois, la coloration en bleu ne peut en elle-même doter la lettre ou le chiffre romain d’un composant déterminant aux fins de l’appréciation de leur caractère distinctif, car, à une époque de grande diffusion des imprimantes de couleurs, les caractères et les textes sont eux aussi fréquemment reproduits dans une teinte différente du noir. Le bleu foncé paraît particulièrement indiqué en l’occurrence, dans la mesure où les couleurs sombres présentent l’avantage d’offrir un meilleur contraste sur le fond généralement clair des textes, dont elles facilitent ainsi la lecture. Au demeurant, la reproduction d’un caractère dans une couleur de base type remplit une fonction avant tout décorative, mais exclusive de l’indication d’origine.

11      À l’égard de tous les services revendiqués, le signe déposé apparaît donc banal et dépourvu de propriété expressive. À défaut d’autres indices d’un lien existant entre le signe déposé et une entreprise déterminée, les milieux intéressés ne décèleront donc pas dans le caractère en couleur l’identification de l’origine commerciale des services relevant des classes 35, 36, 37, 39, 42 et 43. Un signe dépourvu de valeur expressive ne peut utilement traduire une indication perceptible de l’origine commerciale des services désignés.

         […] »

 Conclusions des parties

9        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée et enjoindre à l’OHMI d’enregistrer le signe déposé pour tous les services désignés ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

10      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité du premier chef de conclusions de la requérante

11      L’OHMI demande que le premier chef de conclusions de la requérante soit déclaré irrecevable en ce qu’il vise à obtenir du Tribunal le prononcé d’une injonction d’enregistrer la marque demandée pour tous les services désignés dans la demande de marque.

12      Selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’un recours introduit devant le juge communautaire contre la décision d’une chambre de recours de l’OHMI, celui-ci est tenu, en vertu de l’article 233 CE et de l’article 63, paragraphe 6, du règlement n° 40/94, de prendre les mesures que comporte l’exécution d’un éventuel arrêt d’annulation du juge communautaire.

13      Dès lors, il n’appartient pas au Tribunal d’adresser à l’OHMI des injonctions. Il incombe au contraire à ce dernier de tirer, le cas échéant, les conséquences du dispositif et des motifs des arrêts du Tribunal [arrêt du 31 janvier 2001, Mitsubishi HiTec Paper Bielefeld/OHMI (Giroform), T‑331/99, Rec. p. II‑433, point 33].

14      Il convient donc de rejeter comme irrecevable le premier chef de conclusions de la requérante en tant qu’il vise à obtenir du Tribunal le prononcé d’une injonction d’enregistrer la marque demandée pour tous les services désignés dans la demande de marque.

 Sur le moyen unique du recours, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94

 Arguments des parties

15      La requérante soutient que, en tenant le signe déposé pour banal et dépourvu de signification et en estimant qu’il ne permettrait pas aux milieux professionnels concernés d’identifier l’origine commerciale des services revendiqués, la chambre de recours a indûment renforcé la sévérité des critères de distinctivité des lettres, en violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

16      La fonction essentielle de la marque consisterait à garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné (arrêt de la Cour du 29 septembre 1998, Canon, C‑39/97, Rec. p. I-5507, point 28).

17      Il y aurait donc lieu de rechercher, dans le cadre d’un examen a priori et en dehors de tout usage effectif du signe, si le signe déposé permettra au public ciblé de distinguer les produits ou services visés de ceux provenant d’autres entreprises, lorsqu’il sera appelé à effectuer son choix lors de l’acquisition de ces produits ou services [arrêts du Tribunal du 5 avril 2001, Bank für Arbeit und Wirtschaft/OHMI (EASYBANK), T‑87/00, Rec. p. II‑1259, point 40, et du 7 février 2002, Mag Instrument/OHMI (Forme de lampes de poche), T-88/00, Rec. p. II‑467, point 34].

18      L’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 n’opérerait aucune distinction entre les différentes catégories de signes. Aussi l’OHMI ne pourrait-il rejeter d’emblée les lettres isolées en se référant à ses directives d’examen, sans apprécier les circonstances concrètes de l’espèce.

19      Il semblerait que le Tribunal ait admis que de simples lettres pouvaient revêtir auprès du public pertinent, en raison de leur relief graphique spécifique, un caractère distinctif marquant et, par conséquent, suffisant. Le Tribunal aurait relevé l’« élément dominant » du caractère « a » constitué par une lettre cursive minuscule de couleur blanche sur fond noir. Ce signe simple s’imposerait immédiatement à l’esprit et serait gardé en mémoire [arrêt du Tribunal du 13 juillet 2004, AVEX/OHMI – Ahlers (a), T‑115/02, Rec. p. II‑2907, point 20].

20      Serait, dès lors, radicalement erronée la thèse de l’OHMI selon laquelle la configuration d’un caractère dans une des couleurs de base type revêtirait avant tout une fonction décorative exclusive de toute indication d’origine.

21      La chambre de recours n’aurait pu légalement justifier sa décision en considérant que le caractère déposé était banal et dépourvu de signification ou de surcroît de fantaisie. L’absence de distinctivité ne saurait précisément résulter de la seule constatation que le signe déposé manque de surcroît de fantaisie ou n’a pas un aspect inhabituel ou frappant (arrêt EASYBANK, point 17 supra, points 39 et suivants).

22      L’OHMI aurait déjà reconnu un caractère distinctif suffisant aux marques a et j appelées à désigner toutes deux des articles de confection. Il n’y aurait aucune raison de traiter différemment le signe déposé en l’espèce et se rapportant à IVG Immobilien AG.

23      Le signe figuratif déposé acquerrait son caractère distinctif du fait du recours à une couleur bleu roi particulièrement intense et d’une configuration graphique différente de la police de caractère standard Times New Roman. Cette configuration graphique représenterait également un immeuble sous une forme stylisée et serait ainsi liée à la marque allemande figurative antérieure « IVG » de la requérante.

24      Il conviendrait d’apprécier le caractère distinctif de la marque demandée dans l’optique du secteur de l’exploitation et de la gestion commerciales des biens immobiliers. Par nature, ce secteur ferait appel à des marques et à des symboles moins voyants et frappants que les signes utilisés, par exemple, dans le commerce de détail. Il conviendrait donc d’appliquer un critère d’attention différent au public ciblé par l’activité de la requérante. Pour cette raison, la couleur du signe déposé ne serait nullement dépourvue d’importance, d’autant plus que l’ancien emblème social de la requérante aurait déjà été caractérisé par la couleur bleu roi.

25      Il y aurait donc lieu de reconnaître au signe sous examen le niveau de distinctivité minimal nécessaire mais également suffisant (voir, en ce sens, arrêt Forme de lampes de poche, point 17 supra, point 34) pour qu’il soit protégé.

26      L’OHMI affirme que le caractère distinctif d’une marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 doit être apprécié au regard, d’une part, des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, de la perception qu’en a le public pertinent, c’est-à-dire le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C‑456/01 P et C‑457/01 P, Rec. p. I‑5089, point 35).

27      Les critères d’appréciation de la distinctivité des lettres uniques ne seraient pas différents de ceux applicables aux autres marques verbales ou figuratives, l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 ne faisant aucune différence entre les diverses formes de marques. Le fait que la perception du public ciblé n’est pas identique pour toutes les catégories de marques ne justifierait pas l’exclusion a priori de certaines marques de l’enregistrement.

28      Il y aurait donc lieu de se livrer à un pronostic sur la perception du signe par le consommateur. À l’issue de cet exercice, la chambre de recours serait parvenue à la conclusion que le public ciblé ne percevrait pas le signe déposé comme une indication de l’origine des services désignés.

29      Il serait important d’appréhender le signe déposé en tant que tel et indépendamment d’autres caractéristiques. Lorsqu’il serait confronté au signe déposé, considéré isolément, le consommateur percevrait uniquement, en fonction du support utilisé, un trait, une lettre ou un chiffre romain destiné à structurer un document ou à servir de décoration. Comme la chambre de recours l’a mentionné, cette perception serait due au fait que la présentation graphique du signe déposé ne frapperait pas l’attention du public ciblé. Les traits transversaux qui distinguent le signe déposé de la police de caractères normale ne seraient perceptibles qu’après une observation attentive et l’utilisation de la couleur bleue ne serait pas exceptionnelle.

30      La référence à l’arrêt a, point 19 supra, serait inopérante. Ce précédent, rendu dans une affaire inter partes, porterait sur la question de savoir si un élément intrinsèquement non distinctif d’une marque pourrait dominer l’impression d’ensemble produite par cette marque et, par conséquent, être invoqué au soutien de l’existence d’un risque de confusion. Il plaiderait plutôt en faveur du bien-fondé de la décision attaquée, puisque le Tribunal a manifestement postulé que la lettre « a », par nature, n’était pas susceptible d’être enregistrée et que le signe figuratif ne tirait son caractère distinctif que de sa présentation graphique (arrêt a, point 19 supra, point 21).

31      La décision de la chambre de recours serait conforme à la pratique suivie par l’OHMI en matière d’enregistrement. Les précédents invoqués par la requérante se distingueraient du cas d’espèce en raison d’une configuration graphique plus marquée des signes en cause.

32      La chambre de recours aurait relevé que la marque figurative j n’était pas reproduite dans une police de caractères standard et que l’adjonction d’un trait suffisait à conférer un caractère distinctif minimal à la lettre déposée (décision du 10 juillet 2001, R 480/1999‑2) Le caractère distinctif minimal de la marque figurative a résulterait également de sa présentation graphique (décision du 28 mai 1999, R 091/1998‑2).

33      En outre, selon la jurisprudence, les décisions portant enregistrement d’un signe en tant que marque communautaire, que les chambres de recours sont amenées à prendre en vertu du règlement n° 40/94, relèveraient d’une compétence liée et non d’un pouvoir discrétionnaire. Dès lors, la légalité de ces décisions ne devrait être appréciée que sur la base du règlement tel qu’interprété par le juge communautaire et non sur le fondement d’une pratique décisionnelle antérieure des chambres de recours.

 Appréciation du Tribunal

34      Le règlement n° 40/94 dispose en son article 4, intitulé « Signes susceptibles de constituer une marque communautaire » :

« Peuvent constituer des marques communautaires tous signes susceptibles d’une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises. »

35      L’article 7 du règlement n° 40/94, qui énumère les motifs absolus de refus susceptibles d’être opposés à l’enregistrement de signes en qualité de marque communautaire, précise, en son paragraphe 1 :

« 1.  Sont refusés à l’enregistrement :

[…]

b)       les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif. »

36      En l’occurrence, la requérante a présenté à l’enregistrement communautaire un signe figuratif constitué par la reproduction graphique en couleur bleu roi foncé de la lettre « i » en majuscule ou du chiffre romain un et pourvu, à son sommet et à sa base, de deux traits transversaux horizontaux plus fins et plus longs que ceux des caractères homologues de la police standard Times New Roman.

37      L’article 4 du règlement n° 40/94 contient une liste d’exemples de signes susceptibles de représentation graphique aptes à constituer une marque, pour autant qu’ils soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises, c’est-à-dire à remplir la fonction d’identification de l’origine de ces produits ou services dévolue à la marque [voir, à propos de l’article 2 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), dont le contenu normatif est, en substance, identique à celui de l’article 4 du règlement n° 40/94, arrêt de la Cour du 16 septembre 2004, Nichols, C‑404/02, Rec. p. I-8499, point 22].

38      Si l’article 4 du règlement n° 40/94 vise expressément les lettres et les chiffres, l’aptitude générale d’une catégorie de signes à constituer une marque au sens de cette disposition n’implique cependant pas que ces signes possèdent nécessairement un caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), par rapport à un produit ou à un service déterminé (arrêt du Tribunal du 9 octobre 2002, KWS Saat/OHMI (Nuance d’orange), T‑173/00, Rec. p. II‑3843, point 26).

39      Sont en effet dépourvus de ce caractère les signes inaptes à identifier concrètement l’origine du produit ou du service désigné et à permettre au consommateur qui acquiert ce produit ou ce service de faire, lors d’une acquisition ultérieure, le même choix si l’expérience se révèle positive ou d’arrêter un autre choix si elle se révèle négative (arrêt Nuance d’orange, point 38 supra, point 27).

40      Par ailleurs, une plus grande difficulté rencontrée, le cas échéant, dans l’appréciation concrète du caractère distinctif de certaines marques ne saurait justifier la supposition qu’elles sont, a priori, dépourvues de caractère distinctif ou qu’elles ne peuvent l’acquérir que par l’usage, en application de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 40/94 (voir, à propos de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 89/104, dont le contenu normatif est, en substance, identique à celui de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 40/94, arrêt Nichols, point 37 supra, point 29).

41      Le caractère distinctif d’une marque requis par l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 doit être apprécié par rapport, d’une part, aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement a été demandé et, d’autre part, à la perception des milieux intéressés, qui sont constitués par les consommateurs desdits produits ou services (voir, à propos de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104, dont le contenu normatif est, en substance, identique à celui de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, arrêt de la Cour du 12 février 2004, Henkel, C‑218/01, Rec. p. I‑1725, point 50).

42      Il convenait donc en l’espèce de rechercher, dans le cadre d’un examen concret des capacités potentielles du signe proposé à l’enregistrement, s’il apparaissait exclu que ce signe puisse être apte à distinguer, aux yeux du public ciblé, les produits ou les services revendiqués de ceux d’une autre provenance (arrêt EASYBANK, point 17 supra, point 40), étant entendu qu’un minimum de caractère distinctif suffit à faire obstacle à l’application du motif absolu de refus prévu par l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 (arrêt Forme de lampes de poche, point 17 supra, point 34).

43      Aux fins d’un tel examen, l’OHMI ou, sur recours, le Tribunal, prend en considération tous les faits et circonstances pertinents (arrêt de la Cour du 7 octobre 2004, Mag Instrument/OHMI, C‑136/02 P, Rec. p. I‑9165, point 48).

44      Or, force est de constater que la chambre de recours n’a pas effectué un tel examen dans la présente espèce.

45      Le Tribunal constate, en premier lieu, que la chambre de recours s’est bornée, au point 10 de la décision attaquée, à considérer que le signe déposé n’était pas apte à indiquer l’origine commerciale des services désignés, en ce que les deux traits transversaux du symbole présenté à l’enregistrement et sa couleur bleu roi, à laquelle a été assignée une finalité avant tout décorative, ne suffisaient pas à capter l’attention de l’observateur normalement diligent.

46      Pour parvenir à une telle conclusion, la chambre de recours s’est fondée sur l’absence de spécificités graphiques notables du signe déposé par rapport à la police de caractères standard Times New Roman. Cette conclusion est confirmée par la constatation du caractère banal du signe sous examen à laquelle la chambre de recours a procédé au point 11 de la décision attaquée.

47      En focalisant ainsi d’emblée l’appréciation du caractère distinctif du signe déposé sur la configuration de sa couleur et sur l’importance des différences graphiques qu’il était censé devoir présenter par rapport aux symboles homologues de la police de caractères standard Times New Roman, la chambre de recours a implicitement mais nécessairement considéré, en violation de l’article 4 du règlement n° 40/94, qu’un symbole d’imprimerie appartenant à une police de caractères standardisée ne présentait pas en lui-même le niveau de distinctivité minimal, exigé par l’article 7, paragraphe 1, sous b), pour pouvoir être enregistré comme marque communautaire.

48      Dans cette mesure, la chambre de recours a, en outre, privé de toute portée pratique le principe, pourtant rappelé au point 9 de la décision attaquée, selon lequel l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 n’établit aucune différence entre les différents types de signes au regard de l’exigence de distinctivité.

49      De surcroît, il est de jurisprudence constante que l’absence de distinctivité d’un signe, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, ne saurait résulter de la seule constatation de ce qu’il ne présente pas un aspect inhabituel ou frappant (arrêt EASYBANK, point 17 supra, point 39).

50      En effet, l’enregistrement d’un signe en tant que marque communautaire n’est pas subordonné à la constatation d’un certain niveau de créativité ou d’imagination de la part du titulaire de la marque (arrêt du 16 septembre 2004, SAT.1/OHMI, C‑329/02 P, Rec. p. I-8317, point 41), mais à la capacité du signe à individualiser les produits ou les services du demandeur de marque par rapport à ceux offerts par ses concurrents [arrêt du Tribunal du 27 février 2002, Rewe-Zentral/OHMI (LITE), T‑79/00, Rec. p. II‑705, point 30].

51      Un signe dépourvu d’éléments graphiques stylisés est même susceptible d’être plus facilement et immédiatement mémorisé par le public pertinent, auquel il pourra permettre de répéter l’expérience d’une transaction positive, pour autant qu’il ne se trouve pas déjà communément utilisé en tant que tel pour désigner les produits et services en cause [arrêt du Tribunal du 9 octobre 2002, Dart Industries/OHMI (UltraPlus), T‑360/00, Rec. p. II‑3867, point 48].

52      En déduisant l’absence de distinctivité du signe déposé de son absence de spécificité graphique marquée par rapport à une police de caractères standard, la chambre de recours a donc fait une inexacte application de l’article 4 et de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

53      Le Tribunal note, en deuxième lieu, que la chambre de recours s’est limitée, au point 11 de la décision attaquée, à ajouter à ce qui précède que le signe était dépourvu de tout contenu expressif susceptible de lui conférer un caractère distinctif.

54      À cet égard, la chambre de recours a précisé que, à défaut d’autres indices d’un rapport existant entre le signe déposé et une entreprise déterminée, le public pertinent ne percevrait pas dans le signe en cause l’identification de l’origine commerciale des services revendiqués dans la demande de marque communautaire.

55      Toutefois, pour revêtir le degré de distinctivité minimal exigé par l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, le signe déposé doit seulement apparaître a priori apte à permettre au public pertinent d’identifier l’origine des produits ou des services désignés dans la demande de marque communautaire et de les distinguer de ceux d’autres entreprises, sans devoir être nécessairement doté d’un sens particulier, un signe parfaitement arbitraire pouvant être distinctif.

56      En l’espèce, la chambre de recours n’a pas précisé en quoi l’absence de contenu expressif du signe excluait une identification des services de construction, d’administration et de gestion de biens immobiliers fournis par la requérante.

57      Il convient de relever à cet égard que, dans la mesure où il est constitué par la lettre « i », le signe déposé s’identifie à l’initiale du mot « immobilier », lequel désigne, dans plusieurs langues officielles de la Communauté, le domaine d’activités dont relèvent les services en cause.

58      Dans ces conditions, la chambre de recours aurait dû à tout le moins examiner la question de savoir si le signe sous examen n’était pas susceptible d’évoquer, sans pour autant la décrire au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94, la nature des prestations de services désignées.

59      En inférant ainsi de l’absence de contenu expressif du signe déposé son inaptitude à identifier l’origine commerciale des services en cause, la chambre de recours a fait une fausse application de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

60      C’est donc à tort que la chambre de recours a fondé son refus d’enregistrer le signe déposé sur son défaut de spécificité graphique marquée et de contenu expressif, sans examiner au préalable, en prenant en considération tous les éléments pertinents liés aux circonstances spécifiques de l’espèce, si ce signe était concrètement apte à distinguer, dans l’esprit du public destinataire, les services fournis par le demandeur de marque de ceux fournis par ses concurrents.

61      À cet égard, il convient de souligner, en troisième lieu, que la requérante est une entreprise spécialisée dans la construction, l’administration et la gestion de biens immobiliers et qu’elle fournit les services revendiqués dans sa demande de marque communautaire à des utilisateurs professionnels ou privés.

62      Eu égard à la spécificité et au prix élevé des transactions qu’ils impliquent généralement, ces services s’adressent en toute hypothèse à un public averti, dont le degré d’attention est supérieur à celui qui caractérise le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, dans les actes d’achat de biens et de services de consommation courante, ainsi que l’a retenu la chambre de recours.

63      En effet, le niveau d’attention du public concerné est susceptible de varier en fonction de la catégorie des produits ou des services proposés et les consommateurs peuvent constituer un public très attentif, lorsque, comme en l’espèce, leurs engagements peuvent être relativement importants et les services fournis relativement techniques [arrêt du Tribunal du 15 septembre 2005, Citicorp/OHMI (LIVE RICHLY), T‑320/03, Rec. p. II‑3411, points 70 et 73].

64      C’est donc à tort que la chambre de recours a retenu comme public pertinent le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, sans prendre en considération le fait que le niveau d’attention du consommateur, y compris du consommateur moyen, est susceptible de varier en fonction de la catégorie de produits ou de services en cause (arrêt de la Cour du 22 juin 1999, Lloyd, C‑342/97, Rec. p. I‑3819, point 26).

65      Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent que la chambre de recours a incorrectement interprété et appliqué l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

66      Il y a donc lieu d’accueillir le moyen et d’annuler la décision attaquée.

 Sur les dépens

67      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

68      L’OHMI ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens, ainsi que ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions présentées par celle-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 1er septembre 2005 (affaire R 559/2004‑4) est annulée.






2)      L’OHMI supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par IVG Immobilien AG.

Legal

Wiszniewska-Białecka

Moavero Milanesi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 juin 2007.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

      H. Legal


* Langue de procédure : ľallemand.