Language of document : ECLI:EU:T:2006:239

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

6 septembre 2006 (*)

« Aides d’État – Prêts à taux réduit visant à permettre de s’implanter dans certains pays tiers – Affectation des échanges entre les États membres et distorsion de la concurrence – Motivation »

Dans les affaires jointes T‑304/04 et T‑316/04,

République italienne, représentée initialement par M. A. Cingolo, puis par M. P. Gentili, avvocati dello stato,

partie requérante dans l’affaire T‑304/04,

Wam SpA, établie à Cavezzo di Modena (Italie), représentée par Me E. Giliani, avocat,

partie requérante dans l’affaire T‑316/04,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. V. Di Bucci et Mme E. Righini, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2006/177/CE de la Commission, du 19 mai 2004, concernant l’aide d’État C 4/2003 (ex NN 102/2002) mise à exécution par l’Italie en faveur de Wam SpA (JO 2006, L 63, p. 11),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. J. Pirrung, président, N. J. Forwood et S. Papasavvas, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 mars 2006,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

 Loi n° 394/81 et aides litigieuses

1        La loi italienne n° 394, du 29 juin 1981 (portant conversion du décret‑loi n° 251, du 28 mai 1981), relative aux mesures de soutien aux exportations italiennes (ci‑après la « loi n° 394/81 »), instaure, en son article 2, un fonds destiné à l’octroi de financements à taux réduit en faveur des entreprises exportatrices dans le cadre de programmes de pénétration commerciale dans les pays tiers. Cet article dispose également que « seront admises par priorité au bénéfice du fonds les demandes relatives aux petites et moyennes entreprises, […] dont les activités visent la commercialisation à l’étranger des produits des petites et moyennes entreprises du Mezzogiorno ».

2        Le 24 novembre 1995, les autorités italiennes ont décidé d’accorder à Wam SpA, une société italienne, un financement au titre de la loi n° 394/81. Ainsi, en vertu d’un contrat en date du 28 février 1996, Wam devait recevoir, sous forme de prêt à taux réduit, une somme de 2 281 485 000 lires italiennes (ITL), soit environ 1,18 million d’euros, en vue de la mise en œuvre de programmes de pénétration commerciale au Japon, en Corée du Sud et à Taïwan. En raison de la crise économique frappant ces pays, Wam n’a effectivement reçu que 1 358 505 421 ITL, soit environ 700 000 euros (ci-après la « première aide »).

3        Le taux d’intérêt bonifié de la première aide était de 4,4 %, soit 40 % du taux du marché, qui s’établissait à 11 %. Le versement s’est effectué en trois tranches, entre le 24 avril 1996 et le 24 avril 1998. Le crédit à taux réduit couvrait 85 % des dépenses admissibles. Celles-ci se répartissaient entre les coûts relatifs aux structures permanentes à l’étranger et les coûts de support promotionnel :

Coûts admissibles

Prêt consenti (en millions ITL)

STRUCTURES PERMANENTES

Bail, assurances, usages divers

122,56

Frais de fonctionnement (en particulier personnel, mobilier, et installations des structures permanentes)

556,94

Échantillonnages

38,23

Études

29,43

Sous-total 1

747,18

SUPPORT PROMOTIONNEL

Marchandises en stock

456,28

Études de marché

40,95

Foires et expositions

12,19

Publicité

94,39

Déplacement du personnel et des dirigeants

7,52

Sous-total 2

611,33

Total général

1 358,51


4        Par décision du 9 novembre 2000, un second prêt à taux réduit a été octroyé à Wam sur la base de la loi n° 394/81 et les modalités en ont été fixées par contrat en date du 20 décembre 2000. Les autorités italiennes ont indiqué, par lettre du 16 mai 2002 enregistrée à la Commission le 21 mai 2002, que le montant de ce prêt était de 1 940 579 808 ITL, soit environ 1 000 000 d’euros. Elles ont ensuite précisé, le 23 juillet 2003, que le montant total du prêt était en fait de 3 603 574 689 ITL, soit 1 861 091 euros (ci‑après la « deuxième aide »).

5        Le taux d’intérêt bonifié de ce prêt était de 2,32 %, soit 40 % du taux du marché, qui s’établissait à 5,8 %. Cette aide a été rendue disponible en cinq tranches entre le 12 février 2001 et le 29 janvier 2003. Le programme lié à cette aide devait être mis en oeuvre conjointement par Wam et Wam Bulk Handling Machinery Shangai Co. Ltd, une entreprise locale contrôlée à 100 % par Wam. Les charges admissibles étaient réparties comme suit :

Coûts admissibles

Prêt consenti (en milliers EUR)

STRUCTURES PERMANENTES

Bail et ameublement de locaux, véhicules

331,27

Frais de fonctionnement (gestion, bien et personnel)

973,50

Échantillonnages

0,87

Formation

25,24

Études

30,29

Sous-total 1

1 361,17

SUPPORT PROMOTIONNEL

Marchandises en stock

353,39

Foires et expositions

6,37

Publicité

42,74

Déplacement du personnel

94,84

Déplacement des clients en Italie

2,59

Sous-total 2

499,92

Total général

1 861,09


 Procédure administrative

6        Par lettre du 9 juillet 1999, enregistrée à la Commission le 26 juillet 1999, cette dernière a été saisie d’une plainte. Selon le plaignant, « un concurrent italien, à savoir Wam Engineering Ltd », aurait reçu des subventions illicites de la part du gouvernement italien. Il déplorait notamment l’offre de mélangeurs industriels à un prix égal au tiers de celui pratiqué par les concurrents, couvrant à peine le prix d’achat des matières premières. Une lettre de Wam Engineering du 11 mai 1999, adressée à un client, était jointe à la plainte.

7        Par lettre du 5 août 1999, la Commission a demandé des informations aux autorités italiennes, concernant des aides présumées en faveur du groupe Wam. Le 2 septembre 1999, le plaignant a fourni des informations complémentaires, se référant, notamment, à la loi n° 394/81. La Commission a adressé aux autorités italiennes, par lettre du 10 septembre 1999, une nouvelle demande d’information en relation avec ce complément d’information.

8        Le 11 octobre 1999, la Commission a reçu la réponse de la République italienne. Les autorités italiennes ont indiqué avoir communiqué à la Commission la loi n° 394/81 par le biais du huitième rapport sur les aides d’État ainsi que dans le cadre des relevés annuels ultérieurs. Elles ont également donné des précisions quant à l’objet de cette loi. Elles ont aussi signalé l’octroi de la première aide à Wam. Cette réponse a été communiquée par la Commission au plaignant le 13 décembre 1999, cette dernière indiquant son intention d’ouvrir la procédure formelle d’examen.

9        Au cours de cette même période, la Commission menait une enquête relative aux régimes nationaux soutenant les investissements directs à l’étranger hors Union européenne (ci-après les « IDE »). Cette enquête devait donner lieu à une communication de la Commission en la matière.

10      À la suite de deux lettres du plaignant, datées des 23 mars et 11 octobre 2000, et au report de l’enquête sur les IDE, la Commission a demandé des informations complémentaires à la République italienne, par lettre du 18 décembre 2001. À la lumière des réponses fournies par les autorités italiennes les 20 février et 27 mars 2002, la Commission a posé des questions supplémentaires par lettre du 12 avril 2002, auxquelles la République italienne a répondu le 21 mai 2002, en signalant, notamment, l’octroi de la deuxième aide à Wam.

11      Le 5 juin 2002, la Commission a informé les autorités italiennes qu’elle jugeait les informations incomplètes et leur demandait de fournir les informations manquantes ainsi que des éclaircissements supplémentaires dans un délai de 20 jours ouvrables. En l’absence de réponse des autorités italiennes, et bien que celles-ci lui aient demandé, le 25 juin 2002, de proroger le délai jusqu’au 31 juillet 2002, la Commission a adopté, le 30 septembre 2002, une décision d’injonction de fournir des informations, au titre de l’article 10, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88] CE (JO L 83, p. 1).

12      Le 17 octobre 2002, la République italienne a fourni à la Commission des informations en réponse à la demande qui lui avait été adressée. Dans cette lettre, la République italienne a notamment indiqué qu’aucune aide n’avait été versée à la société Wam Engineering et qu’aucune société n’était inscrite au registre italien des sociétés sous cette raison sociale. Elle a, en outre, donné des informations sur la loi n° 394/81, notamment sur ses objectifs et les dépenses éligibles, et en a fourni le texte. Par ailleurs, s’agissant du document annexé à la plainte, les autorités italiennes ont indiqué qu’il « mériterait une analyse adéquate pour donner suite à [la] demande » de la Commission. Les autorités italiennes ont fourni des éléments supplémentaires le 24 octobre 2002.

13      Le 24 janvier 2003, la Commission a informé le gouvernement italien de sa décision C(2003) 35 fin, du 21 janvier 2003, d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. Cette décision visait, dans son intitulé, des aides présumées en faveur de « Wam Engineering SpA ». Le plaignant a été informé de cette décision par lettre du 29 janvier 2003. Après la communication aux autorités italiennes de l’ouverture de la procédure, Wam s’est adressée directement à la Commission par lettre, le 10 février 2003.

14      Le 27 février 2003, les autorités italiennes ont demandé à la Commission de proroger jusqu’au 7 mars 2003 le délai de 15 jours pour transmettre leurs observations relatives à la confidentialité qui leur avait été imparti par la décision de la Commission.

15      Par lettre du 6 mars 2003, enregistrée à la Commission le 10 mars 2003, le gouvernement italien a demandé à la Commission de s’abstenir de publier la décision, étant donné que le bénéficiaire était prêt à rembourser l’aide, ce qu’a confirmé Wam elle-même par une lettre du 13 mars 2003, adressée directement à la Commission. En réponse, la Commission a indiqué, le 18 mars 2003, que, pour éviter la publication, une décision de clôture de l’affaire, sujette à la preuve préalable du remboursement effectif des deux aides, majorées des intérêts calculés selon une méthode qu’elle pouvait accepter, était nécessaire.

16      Estimant que le montant de 26 125,98 euros proposé par le gouvernement italien pour la restitution, par lettre du 5 mai 2003 enregistrée à la Commission le 13 mai 2003, était inférieur à sa première estimation de l’équivalent-subvention, calculée sur la base des éléments disponibles au moment de l’ouverture de la procédure, la Commission a informé les autorités italiennes, le 22 mai 2003, que le montant proposé ne correspondait pas à ses critères et que, par conséquent, la publication de la décision d’ouverture de la procédure aurait lieu incessamment.

17      Le 18 juin 2003, la Commission a publié la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen et a invité les intéressés à présenter leurs observations conformément à l’article 88, paragraphe 2, CE (JO C 142, p. 2).

18      Le 20 juin 2003, Wam a adressé à la Commission une lettre en réaction à la communication au gouvernement italien annonçant la publication imminente de la décision, à laquelle la Commission a répondu le 11 juillet 2003.

19      Le 16 juillet 2003, des commentaires ont été présentés par des tiers intéressés, demandant la confidentialité.

20      Le 23 juillet 2003, une réunion a eu lieu entre les services de la Commission et les autorités italiennes. En prévision de cette réunion, le gouvernement italien avait transmis des informations à la Commission, par lettre du 22 juillet 2003. Le 8 août 2003, des éléments complémentaires ont été communiqués à la Commission, provenant directement du département des politiques communautaires de la présidence du Conseil italien.

21      Le 19 septembre 2003, le gouvernement italien a présenté à la Commission ses observations relatives à l’ouverture de la procédure. Il les a complétées, par lettre du 9 janvier 2004, enregistrée à la Commission le 14 janvier 2004, en fournissant les éléments manquants. Le 3 novembre 2003, la Commission a reçu les observations de la République italienne concernant les commentaires des tiers intéressés qu’elle lui avait transmis le 25 septembre 2003.

 Décision attaquée

22      Le 19 mai 2004, la Commission a adopté la décision 2006/177/CE concernant l’aide d’État C 4/2003 (ex NN 102/2002) mise à exécution par l’Italie en faveur de Wam SpA (JO 2006, L 63, p. 11, ci-après la « décision attaquée »).

23      S’agissant de la question de savoir si la première et la deuxième aide (ci‑après, prises ensemble, les « aides litigieuses ») constituent une aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, la décision attaquée rappelle, au considérant 74, le libellé de cet article et dispose, ensuite :

« (75) [Les aides litigieuses ont] été octroyée[s] par un transfert de fonds publics, sous la forme de prêts à taux réduit accordés à une société déterminée, la Wam SpA. Ces subventions permettent d’améliorer la situation financière du bénéficiaire. En ce qui concerne l’impact potentiel sur les échanges entre États membres, la Cour de justice a dit pour droit que, pour autant que la mesure est destinée à favoriser les exportations hors UE, les échanges intracommunautaires peuvent en être affectés. De surcroît, vu l’interdépendance des marchés sur lesquels opèrent les entreprises communautaires, une telle aide est susceptible de fausser la concurrence au sein de la Communauté.

(76) Wam SpA a des filiales dans le monde entier. Plusieurs d’entre elles sont établies dans quasi tous les États membres de l’UE : France, Pays-Bas, Finlande, Grande-Bretagne, Danemark, Belgique et Allemagne. Le plaignant a souligné, en outre, qu’il était en concurrence directe sur le marché intracommunautaire avec Wam Engineering Ltd, filiale de Wam SpA pour le Royaume-Uni et l’Irlande, et que de nombreuses commandes lui échappaient en faveur de la société italienne. De plus, s’agissant de concurrence orientée vers l’extérieur parmi des entreprises communautaires, il est apparu que le programme financé par l[a] deuxième [aide] et ayant pour but de soutenir la pénétration commerciale en Chine, devait être exécuté conjointement par Wam SpA et Wam Bulk Handling Machinery Shangai Co. Ltd qui est une société locale contrôlée à 100 % par WAM SpA.

(77) Selon la jurisprudence de la Cour de justice européenne, même si le bénéficiaire de l’aide exporte toute sa production hors de l’UE, de l’EEE et des [pays en voie d’adhésion], la subvention des activités d’exportation peut affecter les échanges entre États membres.

(78) En l’espèce, il a été démontré, en outre, que les ventes à l’étranger ont représenté, de 1995 à 1999, entre 52 et 57,5 % du chiffre d’affaires total de Wam SpA, dont deux tiers à l’intérieur de l’Union européenne (en chiffres absolus, environ dix millions d’euros contre cinq millions d’euros).

(79) En conséquence, indépendamment du fait que [les aides litigieuses] soutienne[nt] les exportations vers d’autres États membres ou vers l’extérieur de l’Union européenne, elle[s sont] susceptible[s] d’affecter les échanges entre États membres et l’article 87, paragraphe 1, [CE] est donc applicable. »

24      La décision attaquée procède ensuite à une analyse de la légalité (considérants 80 à 83) et de la compatibilité des aides litigieuses avec l’article 87 CE (considérants 84 à 110). Elle explique, par ailleurs, la démarche concernant le calcul des montants à récupérer, notamment en ce qui concerne les taux de référence appliqués aux fins du calcul de l’équivalent-subvention (considérants 114 à 124).

25      L’article 1er de la décision attaquée dispose que les aides octroyées par l’Italie à Wam en application de la loi n° 394/81 entrent dans le champ d’application de l’article 87, paragraphe 1er, CE et que, n’ayant pas été préalablement notifiées à la Commission, conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, elles sont illégales.

26      Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée, la première aide, d’un montant de 104 313,20 euros, à l’exception de sa partie concernant les dépenses admissibles pour les services de conseil, la participation aux foires et expositions et les études de marché, d’un montant de 6 258,79 euros, constitue une aide illégale pour ce qui est de la partie excédant le plafond de 50 000 euros de la règle de minimis de 1992 (encadrement communautaire des aides aux petites et moyennes entreprises, JO 1992, C 213, p. 2). La République italienne doit ainsi prendre les mesures nécessaires pour procéder à la récupération de 48 054,41 euros.

27      Selon l’article 2, paragraphe 2, de la décision attaquée, la deuxième aide, d’un montant de 106 366,60 euros, constitue une aide illégale pour ce qui concerne la partie qui n’est pas relative aux dépenses admissibles pour les activités de formation, s’élevant à 1 435,95 euros. L’Italie doit donc procéder à la récupération de 104 930,65 euros.

28      L’article 2, paragraphe 3, de la décision attaquée prévoit que la récupération est immédiate et intervient conformément aux procédures nationales, pour autant que celles-ci permettent l’exécution effective et immédiate de la décision. Il énonce, en outre, que les sommes à recouvrer sont majorées des intérêts jusqu’à la récupération effective et à compter, respectivement, du 24 avril 1996, en ce qui concerne le montant visé au paragraphe 1 et de la date de la décision attaquée, en ce qui concerne le montant visé au paragraphe 2.

 Procédure

29      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal respectivement les 22 juillet et 2 août 2004, la République italienne et Wam ont introduit les présents recours.

30      Par acte séparé, enregistré au greffe du Tribunal le 30 septembre 2004, Wam a introduit une demande en référé, en vertu de l’article 242 CE et des articles 104 et suivants du règlement de procédure du Tribunal, visant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de la décision attaquée. La Commission a présenté ses observations écrites sur la demande en référé le 14 octobre 2004, dans le délai qui lui a été imparti en application de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure. Par ordonnance du 10 novembre 2004, le président du Tribunal a rejeté la demande en référé.

31      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 23 novembre 2004, Wam a demandé la jonction des affaires T‑304/04 et T‑316/04. Par lettre du 19 janvier 2005, la Commission a présenté ses observations relatives à la demande de jonction. Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 27 janvier 2005, les affaires T‑304/04 et T‑316/04 ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

32      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a invité les parties à déposer certains documents et leur a posé par écrit certaines questions. Les parties ont déféré à ces demandes dans le délai imparti.

33      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 14 mars 2006.

 Conclusions des parties

34      Dans l’affaire T‑304/04, la République italienne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        annuler tout autre acte connexe ou préalable, s’il en existe ;

–        condamner la Commission aux dépens.

35      Dans sa réplique, la République italienne conclut également, à titre subsidiaire, à ce qu’il plaise au Tribunal ordonner la révision des critères de calcul du montant éventuel à restituer.

36      Dans l’affaire T‑316/04, Wam conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        ordonner diverses mesures d’instruction ;

–        condamner la Commission aux dépens.

37      Dans les affaires T‑304/04 et T‑316/04, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

38      Dans le cadre des sept moyens soulevés dans l’affaire T‑304/04 et des dix moyens invoqués dans l’affaire T‑316/04, la République italienne et Wam avancent, en substance, des griefs concernant le déroulement de la procédure administrative, la violation de principes tels que le respect des droits de la défense, la confiance légitime et la sécurité juridique, la qualification des aides litigieuses d’illégales au regard de l’article 88, paragraphe 3, CE, l’appréciation de l’incidence des aides litigieuses sur les échanges entre États membres et sur la concurrence, au regard de l’article 87, paragraphe 1, CE, et la motivation de la décision attaquée à cet égard, la qualification, s’agissant des aides litigieuses, d’aides en faveur d’activités liées à l’exportation, l’application des règles de minimis et, enfin, la détermination du montant des aides litigieuses et de la somme à récupérer.

39      Le Tribunal estime opportun d’examiner, en premier lieu, les griefs relatifs à l’insuffisance de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE.

 Argumentation des parties

 Arguments de la République italienne

40      Dans le cadre de son cinquième moyen, la République italienne fait, en substance, valoir, notamment, que la décision attaquée ne comporte aucune motivation ou une motivation insuffisante quant aux critères fixés à l’article 87, paragraphe 1, CE en ce qui concerne, d’une part, l’affectation des échanges entre États membres et, d’autre part, la distorsion réelle ou potentielle de la concurrence.

41      La République italienne considère que la Commission n’explique pas pourquoi et dans quelle mesure une aide individuelle et de très faible importance, comme en l’espèce, serait de nature à fausser les échanges entre États membres, ni sur quels éléments se fonde la menace présumée de distorsion de concurrence.

42      À cet égard, la République italienne rappelle que la motivation d’une décision doit être adaptée au contexte et à l’ensemble des dispositions juridiques applicables. Elle souligne, en outre, que si l’appréciation de la Commission sur la compatibilité d’une aide doit être formulée en termes de virtualités, plusieurs décisions ayant donné lieu à des précédents jurisprudentiels comportaient au moins une appréciation de l’étendue du marché, des territoires concernés, des conditions de marché à un stade déterminé de leur évolution, etc. La République italienne n’exige pas que ces données soient démontrées, mais estime, toutefois, que la Commission doit évoquer ces circonstances dans les motifs de sa décision (arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑372/97, Rec. p. I‑3679).

43      Or, selon la République italienne, le seul élément permettant de fonder les conclusions de la Commission est que les exportations de Wam ont représenté 52 à 57,5 % de son chiffre d’affaires entre 1995 et 1999. Cet élément ne serait, cependant, pas pertinent dans la mesure où il se rapporte uniquement au chiffre d’affaires de Wam et que, partant, rien ne prouve que les aides litigieuses aient pu affecter le marché commun. Cette possibilité serait d’ailleurs exclue en raison de la faible valeur absolue des chiffres en cause. En outre, la décision attaquée évoquerait uniquement les données concernant une partie de l’activité de Wam, sans indiquer si les exportations se réfèrent toutes au secteur concerné par les aides, comme l’affirme le plaignant, ou si elles concernent d’autres hypothèses. À cet égard, la République italienne souligne que, en l’espèce, le marché de référence n’est individualisé que par les affirmations du plaignant et n’est estimé qu’en fonction du chiffre d’affaires de Wam, sans autres éléments de comparaison.

44      La République italienne ajoute que, si la Commission avait vérifié les écarts de prix allégués dans la plainte, elle aurait alors constaté que les prix pratiqués par Wam et ceux des autres opérateurs étaient similaires et que ceux pratiqués par le plaignant étaient exorbitants. En se fiant aux affirmations du plaignant, la Commission n’aurait pas correctement effectué la vérification à laquelle elle était tenue, si bien que c’est à tort qu’elle a conclu à l’existence d’une distorsion de concurrence.

45      Partant, la République italienne considère que le lien de causalité entre la loi n° 394/81 et le dommage prétendument causé à la concurrence réside exclusivement dans le lien que le plaignant a établi entre cette loi et les perturbations présumées, en dépit d’une plainte dénonçant des comportements a priori incompatibles avec le montant des aides litigieuses.

 Arguments de Wam

46      Dans le cadre de son cinquième moyen, Wam reproche à la Commission de ne pas avoir motivé l’affirmation selon laquelle les aides litigieuses ont faussé ou menacé de fausser la concurrence et le commerce dans les échanges intracommunautaires. À cet égard, elle précise, se référant à la jurisprudence, que, aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État illicites, il est nécessaire de vérifier précisément et concrètement si l’aide est de nature à affecter les échanges entre États membres et à menacer de fausser la concurrence entre les entreprises établies dans différents États membres. Il s’ensuit, selon Wam, que la Commission est tenue de fournir, dans ses décisions, des indications concrètes quant à la nature des menaces pesant sur la concurrence et sur le commerce intracommunautaire. Un défaut de motivation à cet égard entraînerait l’annulation de la décision (arrêts de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323/82, Rec. p. 3809, et du 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296/82 et 318/82, Rec. p. 809, point 24).

47      En l’espèce, Wam considère que le défaut de motivation résulte du fait que la décision attaquée ne contient aucune indication concrète quant à la situation du marché concerné, aux parts des entreprises sur ce marché, aux courants d’échanges des produits en question entre les États membres ni aucun autre facteur de nature à faire planer une menace non seulement générique et abstraite, mais précise et concrète, sur la concurrence et le commerce intracommunautaire. Sur ce point, Wam souligne que tous les arrêts récents de la Cour et du Tribunal, y compris l’arrêt de la Cour du 21 mars 1990, Belgique/Commission (C‑142/87, Rec. p. I‑959, ci-après l’« arrêt Tubemeuse », points 46 et 47), comportent une analyse de marché appropriée qui fait défaut dans la décision attaquée. Partant, Wam estime que la Commission a violé son obligation d’examiner l’impact d’une aide sur la concurrence et le commerce intracommunautaire (arrêt du Tribunal du 4 avril 2001, Regione autonoma Friuli-Venezia Giulia/Commission, T‑288/97, Rec. p. II‑1169, point 73).

48      En outre, Wam constate que la Commission invoque le fait qu’elle vend une partie importante de ses produits à l’intérieur de l’Union européenne. Or, selon Wam, il s’agit d’une circonstance qui, à elle seule, s’avère insuffisante, même en faisant abstraction du fait, qu’elle estime décisif, qu’elle ne concurrençait pas le plaignant.

49      Wam estime que, en tout état de cause, la Commission n’aurait pas pu fournir de motivation dans la mesure où les aides litigieuses n’étaient pas susceptibles de fausser la concurrence entre Wam et le plaignant, puisqu’il n’y avait pas de rapports concurrentiels entre ces sociétés sur le marché des mélangeurs industriels. En effet, Wam rappelle qu’en 1995 et en 2000 elle ne commercialisait ni ne produisait de tels produits. Wam considère donc qu’elle se trouvait dans l’impossibilité matérielle d’adopter des comportements de nature à fausser la concurrence. Wam rappelle aussi que le plaignant n’a pas pu subir de concurrence illicite de Map Srl, une société qui produit les mélangeurs industriels vendus en Angleterre par Wam Engineering, Map Srl n’ayant jamais reçu d’aides. Wam rappelle enfin que Wam Engineering vendait deux ou trois mélangeurs par an sur le marché anglais et ne pouvait donc pas concurrencer le plaignant.

50      Dans sa réplique, Wam relève que, selon la Commission, une aide pourrait être considérée comme illicite lorsqu’elle a la simple possibilité, dans l’abstrait, d’affecter la concurrence et les échanges intracommunautaires et que cette possibilité existerait en l’espèce. Wam souligne aussi que la Commission utilise, dans son mémoire en défense, des expressions ambiguës et imprécises (« peut affecter », « il n’est pas exclu que », « de nature à affecter ») et qu’elle ne s’estime pas tenue de vérifier si cette possibilité s’est traduite concrètement. Or, Wam rétorque que cette interprétation aboutit à ce qu’une aide, qui dans l’abstrait est de nature à affecter la concurrence mais qui, concrètement, ne l’est pas, devrait être considérée comme illicite. Wam estime que cela implique que l’appréciation de la légalité d’une aide n'est pas fondée sur la réalité, mais sur une simple apparence. Elle réaffirme que la Commission doit respecter son obligation de motivation en démontrant que les aides litigieuses ont affecté, concrètement et effectivement, la concurrence dans les échanges intracommunautaires. Dans le cas contraire, la décision ne serait pas motivée.

51      Wam soulève des griefs similaires, concernant la violation de l’obligation de motivation, dans le cadre de ses sixième et septième moyens.

 Arguments de la Commission

52      À titre liminaire, la Commission rappelle qu’une aide à l’exportation vers des pays tiers, ou une aide facilitant les exportations vers ces pays, peut affecter les échanges entre les États membres. Compte tenu de l’interdépendance entre les marchés sur lesquels opèrent les entreprises communautaires, elle rappelle qu’il n’est pas exclu qu’une aide puisse fausser la concurrence intracommunautaire, même si l’entreprise bénéficiaire exporte la quasi-totalité de sa production en dehors de la Communauté. En effet, la Commission rappelle que l’exportation d’une partie de la production de l’entreprise considérée vers des pays tiers ne constitue qu’une des circonstances qui doivent être appréciées (arrêt Tubemeuse, précité, points 32 et 35). La Commission fait également noter que, selon la jurisprudence, des avantages accordés par un État peuvent être de nature à affecter les échanges lorsque les entreprises bénéficiaires se trouvent en concurrence avec des entreprises d’autres États membres, même si elles ne participent pas elles-mêmes aux échanges intracommunautaires. Dans ces circonstances, l’aide peut diminuer les possibilités d’expansion des entreprises d’autres États membres sur le marché de l’État qui octroie l’aide (arrêts de la Cour du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, Rec. p. 709, point 19 ; du 11 novembre 1987, France/Commission, 259/85, Rec. p. 4393, points 16 et suivants et point 24 ; du 13 juillet 1988, France/Commission, 102/87, Rec. p. 4067, point 19, et du 21 mars 1991, Italie/Commission, C‑303/88, Rec. p. I‑1433, point 27 ; arrêts du Tribunal du 15 juin 2000, Alzetta e.a./Commission, T‑298/97, T‑312/97, T‑313/97, T‑315/97, T‑600/97 à T‑607/97, T‑1/98, T‑3/98 à T‑6/98 et T‑23/98, Rec. p. II‑2319, ci-après l’« arrêt Alzetta », point 91, et du 29 septembre 2000, CETM/Commission, T‑55/99, Rec. p. II‑3207, ci-après l’« arrêt CETM », point 86).

53      Par ailleurs, la Commission relève qu’il a été admis qu’elle pouvait se contenter de démontrer que les aides sont de nature à affecter les échanges entre les États membres et menacent de fausser la concurrence, sans être tenue de définir le marché en cause ou d’analyser sa structure et les rapports de concurrence qui en découlent (arrêt de la Cour du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission, 730/79, Rec. p. 2671, points 9 à 12, et arrêt Alzetta, précité, point 95). En outre, la Commission note qu’elle n’est pas tenue de démontrer les effets concrets des aides illégales sur la concurrence et sur les échanges entre les États membres. En effet, l’obligation à charge de la Commission de fournir une telle preuve aboutirait à favoriser les États membres qui versent des aides en violation du devoir de notification de l’article 88, paragraphe 3, CE au détriment de ceux qui notifient les aides à l’état de projet (arrêts du Tribunal du 30 avril 1998, Vlaamse Gewest/Commission, T‑214/95, Rec. p. II‑717, point 67 ; CETM, précité, point 103 ; du 30 janvier 2002, Keller et Keller Meccanica/Commission, T‑35/99, Rec. p. II‑261, point 85, et du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T‑228/99 et T‑233/99, Rec. p. II‑435, point 296). Enfin, la Commission relève que même les aides d’une importance relativement faible sont, néanmoins, de nature à affecter la concurrence et les échanges entre États membres lorsque le secteur en question est marqué par une vive concurrence (arrêts de la Cour du 11 novembre 1987, France/Commission, précité, point 24 ; du 21 mars 1991, Italie/Commission, précité, point 27, et du 19 septembre 2002, Espagne/Commission, C‑113/00, Rec. p. I‑7601, point 63).

54      En l’espèce, la Commission indique avoir constaté, au point 78 de la décision attaquée, que les ventes à l’étranger ont représenté, de 1995 à 1999, entre 52 et 57,5 % du chiffre d’affaires annuel total de Wam, dont deux tiers concernent des ventes à l’intérieur de l’Union européenne. Selon la Commission, cet élément démontre à lui seul que le bénéficiaire des aides est actif sur les marchés intracommunautaires. L’analyse de la structure du groupe Wam, au point 76 de la décision attaquée, irait dans le même sens.

55      La Commission estime, en outre, qu’il ne lui incombait pas d’examiner les effets des aides litigieuses sur les prix pratiqués par Wam, ni de les comparer avec ceux des concurrents, ni d’examiner les rapports concurrentiels entre Wam et d’autres entreprises – ou de démontrer un rapport de concurrence entre elles –, ni, enfin, d’examiner les ventes de Wam sur le marché du Royaume-Uni. De plus, étant donné que Wam participe aux échanges intracommunautaires, la Commission considère qu’il est inutile d’examiner les relations d’interdépendance entre le marché européen et le marché extrême-oriental.

56      Dès lors, à la lumière de la jurisprudence et des faits examinés dans la décision attaquée, la Commission considère qu’elle ne pouvait que constater que les aides litigieuses affectent les échanges entre les États membres et faussent ou menacent de fausser la concurrence et que la décision attaquée est parfaitement motivée.

57      En réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a indiqué qu’elle n’avait pas fondé sa décision sur un marché spécifique, mais sur l’existence d’une incidence sur les échanges entre États membres et sur l’effet de distorsion de concurrence provoqué par les aides litigieuses au détriment des entreprises européennes concurrentes de Wam. Renvoyant aux considérants 75 à 79 de la décision attaquée, elle estime que ces considérants fournissent des faits et des données permettant de prouver l’incidence et la distorsion susmentionnées et que, eu égard à la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, cette motivation est plus que suffisante pour justifier ses conclusions.

 Appréciation du Tribunal

58      L’article 87, paragraphe 1, CE, dispose que, « [s]auf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. »

59      La qualification d’aide, au sens d’aide d’État incompatible avec le marché commun, requiert que toutes les conditions visées à cette disposition soient remplies. Il découle de l’article 87, paragraphe 1, CE que ces conditions sont les suivantes. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt du Tribunal du 22 février 2006, Le Levant 001 e.a./Commission, T‑34/02, non encore publié au Recueil, point 110).

60      Par ailleurs, s’agissant de l’obligation de motivation, il y a lieu de relever que celle-ci constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celle-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. La motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, points 63 et 67, et du 7 mars 2002, Italie/Commission, C‑310/99, Rec. p. I‑2289, point 48).

61      Appliquée à la qualification d’une mesure d’aide, l’exigence de motivation suppose que soient indiquées les raisons pour lesquelles la Commission considère que la mesure d’aide en cause entre dans le champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE (arrêts du Tribunal Vlaamse Gewest/Commission, précité, point 64, et du 30 avril 1998, Cityflyer Express/Commission, T‑16/96, Rec. p. II‑757, point 66).

62      Ainsi, même s’il peut ressortir, dans certains cas, des circonstances mêmes dans lesquelles l’aide a été accordée qu’elle est de nature à affecter les échanges entre États membres et à fausser ou à menacer de fausser la concurrence, il incombe, à tout le moins, à la Commission d’évoquer ces circonstances dans les motifs de sa décision (arrêts de la Cour Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, précité, point 24, et du 24 octobre 1996, Allemagne e.a./Commission, C‑329/93, C‑62/95 et C‑63/95, Rec. p. I‑5151, point 52).

63      Dans ce contexte, le Tribunal estime opportun de souligner que les aides litigieuses visent à financer, par le biais de prêts à taux réduits, des dépenses de pénétration commerciale dans des pays tiers, relatives à l’établissement de structures permanentes ou au support promotionnel. Or, l’article 87, paragraphe 1, CE ne distinguant pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définissant en fonction de leurs effets (arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission, précité, point 27), il ne saurait être a priori exclu que de telles aides affectent les échanges entre États membres ou faussent ou menacent de fausser la concurrence (voir, en ce sens, arrêt Tubemeuse, précité, point 32). Néanmoins, si une telle possibilité n’est pas exclue, elle n’est pas pour autant automatiquement établie et doit donc être démontrée. Cela est d’autant plus nécessaire que, en raison des caractéristiques des aides litigieuses et, notamment, du fait qu’elles concernent des pays tiers, il est probable que leur incidence, au niveau communautaire, soit plus difficilement perceptible. À cet égard, il convient, d’ailleurs de prendre en compte, même si l’importance relativement faible d’une aide n’exclut pas a priori l’éventualité que les échanges entre États membres soient affectés (arrêt Tubemeuse, précité, point 43), que l’équivalent-subvention des aides litigieuses est, selon l’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision attaquée, d’un montant relativement faible. Dès lors, eu égard aux circonstances spécifiques de l’espèce, il incombait tout particulièrement à la Commission d’examiner si les aides litigieuses étaient susceptibles d’affecter les échanges entre États membres et de fausser la concurrence, en donnant dans la décision attaquée les indications pertinentes concernant leurs effets prévisibles (voir, en ce sens, arrêt Alzetta, précité, point 80, et la jurisprudence citée).

64      Il convient néanmoins de préciser qu’il suffit que la Commission établisse que les aides litigieuses sont de nature à affecter les échanges entre les États membres et faussent ou menacent de fausser la concurrence, sans qu’il soit nécessaire, contrairement à ce que soutient la République italienne, de délimiter le marché en cause (arrêt Alzetta, précité, point 95). De même, si la Commission a correctement exposé en quoi les aides litigieuses étaient susceptibles d’avoir de tels effets, il ne lui incombe pas de procéder à une analyse économique de la situation réelle du marché concerné, de la part de marché des entreprises bénéficiaires des aides, de la position des entreprises concurrentes et des courants d’échanges en cause entre États membres (voir, en ce sens, arrêt CETM, précité, point 102) ni, comme elle le relève à juste titre (voir point 55 ci-dessus), d’examiner, en l’espèce, les effets des aides litigieuses sur les prix pratiqués par Wam, de les comparer avec ceux des concurrents ou d’examiner les ventes de Wam sur le marché du Royaume-Uni. Enfin, il convient de souligner que tant dans son appréciation des aides existantes que des aides nouvelles devant être notifiées ou, comme en l’espèce, d’aides qu’elle estime illégalement accordées, en violation de l’obligation de notification de l’article 88, paragraphe 3, CE, la Commission n’est pas tenue de démontrer leur effet réel (arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission, précité, points 44 et 45).

65      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de vérifier si la décision attaquée contient une motivation suffisante de l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE et, notamment, des conditions tenant à l’affectation des échanges et à la distorsion de concurrence. À cette fin, il y a lieu de se référer à ses considérants 74 à 79, qui exposent l’analyse de la Commission quant à la question de l’existence d’une aide au sens de cette disposition.

66      En l’espèce, le Tribunal constate que le considérant 74 de la décision attaquée constitue un rappel des conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE. En outre, les éléments contenus dans les deux premières phrases du considérant 75 ainsi que dans le considérant 77 de la décision attaquée procèdent, en substance, à des rappels de principes jurisprudentiels issus, notamment, de l’arrêt Tubemeuse, précité, et notamment des points 32 et 35 dudit arrêt, aux termes desquels « il n’est pas exclu qu’une aide à l’exportation affecte les échanges entre les États membres » (point 32, in fine) et « compte tenu de l’interdépendance entre les marchés sur lesquels opèrent les entreprises communautaires, il n’est pas exclu qu’une aide puisse fausser la concurrence intracommunautaire, même si l’entreprise bénéficiaire exporte la quasi-totalité de sa production en dehors de la Communauté » (point 35, in limine). Or, une telle motivation générale, basée sur le rappel des principes issus de la jurisprudence et sur le fait que des effets sur les échanges ou sur la concurrence ne sauraient être exclus, ne peut, à elle seule, être considérée comme répondant aux exigences de l’article 253 CE. Il convient, dès lors, de vérifier si des éléments de la décision attaquée, concrets et spécifiques aux circonstances de l’espèce, permettent, comme dans l’arrêt Tubemeuse, précité (points 36 à 40), de comprendre en quoi les aides litigieuses sont susceptibles d’avoir de tels effets.

67      À cet égard, le Tribunal relève, en premier lieu, que l’indication selon laquelle « [les aides litigieuses ont] été octroyée[s] par un transfert de fonds publics, sous la forme de prêts à taux réduit accordé à une société déterminée, [Wam] » et que la constatation selon laquelle « [c]es subventions permettent d’améliorer la situation financière du bénéficiaire » (considérant 75, in fine) ne se rapportent pas directement aux conditions relatives à l’affectation des échanges ou à la distorsion de concurrence mais, de manière plus générale, à celles concernant le transfert de ressources étatiques et l’octroi d’un avantage à une entreprise spécifique, qui constituent d’autres caractéristiques de la notion d’aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE (voir point 59 ci‑dessus). Au demeurant, l’octroi d’une aide à une entreprise spécifique, ce qui est inhérent à toute aide d’État, ainsi que l’amélioration consubstantielle de la situation financière de cette entreprise ne sauraient suffire à démontrer que ladite aide remplit tous les critères de l’article 87, paragraphe 1, CE.

68      En deuxième lieu, s’agissant des éléments de motivation contenus aux considérants 76 et 78 de la décision attaquée, le Tribunal relève, tout d’abord, que les données concernant, premièrement, la présence du groupe Wam, aux niveaux international et communautaire, notamment par le biais de multiples filiales, deuxièmement, la proportion de ses exportations mondiales et communautaires dans son chiffre d’affaires et, troisièmement, l’indication du plaignant selon laquelle il est en concurrence directe avec Wam sur le marché communautaire, sont des données qui permettent de démontrer que Wam est active sur les marchés mondial et communautaire, qu’elle participe aux échanges notamment par le biais de ses exportations, et s’y trouve en concurrence avec d’autres entreprises.

69      Force est cependant de constater que ces informations n’indiquent pas en quoi, du fait de l’octroi des aides litigieuses, et eu égard à leurs caractéristiques ainsi qu’aux circonstances de l’espèce, les échanges entre États membres étaient susceptibles d’être affectés, ni en quoi la concurrence était susceptible d’être faussée ou menacée de l’être. D’ailleurs, il ne s’agit que de circonstances parmi d’autres, qui doivent être appréciées aux fins de l’analyse des effets potentiels des aides litigieuses.

70      Ensuite, quant à l’affirmation contenue au considérant 76 selon laquelle, le programme financé par la deuxième aide, visant à soutenir la pénétration commerciale en Chine, devait être exécuté conjointement par Wam et une société locale contrôlée à 100 % par Wam, le Tribunal considère qu’elle ne permet pas d’étayer le raisonnement de la Commission concernant la concurrence orientée vers l’extérieur de la Communauté parmi des entreprises communautaires et son affectation, visée audit considérant. En effet, une telle affirmation permet seulement d’établir que Wam bénéficiait de la collaboration locale de l’une de ses filiales pour la mise en œuvre du programme de pénétration commerciale financé par la deuxième aide. Elle permet également d’indiquer que celle-ci a soutenu des dépenses mises en œuvre par deux entreprises (l’une communautaire et l’autre extracommunautaire) appartenant toutes deux au groupe Wam, auquel ladite aide a profité. Aussi, même s’il ne saurait être exclu que les aides litigieuses soient susceptibles d’affecter la concurrence, notamment du fait de la présence d’entreprises communautaires pouvant se trouver en concurrence sur les marchés des pays tiers sur lesquels Wam entend s’implanter, il convient, néanmoins, de constater que la décision attaquée ne contient pas d’éléments suffisants permettant d’établir que tel est le cas en l’espèce.

71      En outre, quant à la référence, au considérant 76 de la décision attaquée, au fait que le plaignant, concurrent direct de Wam, perdrait, selon lui, des commandes au bénéfice de Wam, il convient de noter que cette affirmation ne constitue pas en soi une motivation autonome, mais une simple illustration, par le biais d’une allégation du plaignant, des prétendus effets des aides litigieuses. Cet élément de motivation n’apparaît donc pas décisif et pertinent.

72      Par ailleurs, le Tribunal constate que les principes énoncés au considérant 75 de la décision attaquée, lus en combinaison avec les données des considérants 76 et 78, s’avèrent insuffisants pour permettre de comprendre en quoi les aides litigieuses sont susceptibles, en l’espèce, d’affecter les échanges entre États membres et de fausser ou de menacer de fausser la concurrence. Il en va de même de la lecture conjointe des considérants 76 et 78 de la décision attaquée et du constat, au considérant 75, que la situation financière de Wam s’est améliorée, faute d’éléments supplémentaires explicites ou permettant de comprendre en quoi cette amélioration financière, liée à la présence de Wam au niveau communautaire ou mondial, serait potentiellement constitutive de tels effets. En outre, même si, comme indiqué au considérant 77 de la décision attaquée, le bénéficiaire de l’aide exporte toute sa production en dehors de la Communauté, la subvention d’activités d’exportation peut affecter les échanges entre États membres, il convient néanmoins de relever que les données concernant les exportations de Wam aux niveaux communautaire et extracommunautaire, énoncées au considérant 78, ne sont pas suffisantes pour démontrer que, en l’espèce, tel peut être le cas des aides litigieuses.

73      Quant à la circonstance, évoquée lors de l’audience par la Commission, selon laquelle la distorsion de concurrence serait due au fait que, grâce aux aides, Wam aurait vu sa position renforcée par rapport aux entreprises d’autres États membres qui auraient pu entrer en concurrence avec elle, il convient de constater qu’elle ne saurait être pertinente, dans le cadre de la présente analyse, dans la mesure où la décision attaquée ne contient ni mention explicite en ce sens ni d’éléments suffisants, concernant un tel renforcement, tant en ce qui concerne la concurrence sur le marché communautaire que sur celui des pays tiers. Il en va de même, faute d’éléments à cet égard dans la décision attaquée, du fait, évoqué également lors de l’audience par la Commission, que les aides litigieuses ont permis à Wam de mettre en œuvre son programme de pénétration commerciale à l’étranger et de libérer, pour d’autres objectifs, des ressources au niveau communautaire.

74      Par ailleurs, l’affirmation de la Commission (voir point 55 ci-dessus) selon laquelle il est inutile d’examiner les relations d’interdépendance entre le marché européen et le marché extrême‑oriental, étant donné que Wam participe aux échanges intracommunautaires, doit également être écartée. En effet, même si la Commission ne devait pas nécessairement procéder à un tel examen, aux fins de l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, il convient, néanmoins, de relever que le seul constat de la participation de Wam aux échanges intracommunautaires est insuffisant pour étayer une affectation desdits échanges ou une distorsion de concurrence et, dès lors, nécessite une analyse approfondie des effets des aides, en prenant en compte, notamment, la circonstance qu’elles soutiennent des dépenses sur le marché extrême‑oriental ainsi que, le cas échéant, l’interdépendance entre ce marché et le marché européen. En outre, le Tribunal relève que la décision attaquée se réfère à l’interdépendance des marchés sur lesquels opèrent les entreprises communautaires (considérant 75), sans toutefois avancer, contrairement à l’arrêt Tubemeuse, précité (points 36 à 38), d’éléments précis et probants permettant d’étayer l’affirmation, énoncée audit considérant et issue d’un principe dégagé dans l’arrêt Tubemeuse, selon laquelle, du fait de cette interdépendance, les aides litigieuses sont susceptibles d’affecter la concurrence au sein de la Communauté.

75      En troisième lieu, le Tribunal relève que le considérant 79, concluant la partie de la décision attaquée dévolue à l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, mentionne uniquement que, « indépendamment du fait que [les aides litigieuses] soutienne[nt] les exportations vers d’autres États membres ou vers l’extérieur de l’Union européenne, elle[s sont] susceptible[s] d’affecter [...] les échanges entre États membres et l’article 87, paragraphe 1, CE est donc applicable ». À cet égard, il appert, premièrement, que ce considérant ne contient pas d’appréciation formelle concernant la distorsion de concurrence, faisant ainsi, en apparence, abstraction du caractère nécessaire de cette condition pour l’application dudit article. Deuxièmement, il convient d’observer que, d’une part, aucun élément n’indique que les aides litigieuses visent à soutenir les exportations vers d’autres États membres et, d’autre part, lesdites aides ne visent pas directement et immédiatement à soutenir les exportations vers l’extérieur de l’Union européenne, mais à financer un programme de pénétration commerciale.

76      Compte tenu de tout ce qui précède, force est de constater que les éléments de motivation énoncés aux considérants 74 à 79 de la décision attaquée ne permettent pas de comprendre en quoi, dans les circonstances de l’espèce, les aides litigieuses seraient de nature à affecter les échanges entre États membres et à fausser ou à menacer de fausser la concurrence (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Allemagne e.a./Commission, précité, points 51 à 53, et du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C‑15/98 et C‑105/99, Rec. p. I‑8855, points 65 à 69 ; arrêt Le Levant 001 e.a./Commission, précité, point 125). En effet, la décision attaquée ne fait pas apparaître avec une clarté suffisante le lien entre les principes qu’elle énonce et les données factuelles relatées, qui permettrait de conclure que les aides litigieuses sont susceptibles de produire de tels effets. Dès lors, les circonstances évoquées dans la décision attaquée ne constituent pas une motivation suffisante pour étayer les conclusions auxquelles la Commission est parvenue, s’agissant de l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE.

77      À cet égard, il convient de préciser que les considérations et affirmations qui ont été apportées par la Commission devant le Tribunal, telles que celles visées au point 73 ci-dessus, ne sont pas susceptibles de porter remède au vice de motivation de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt Allemagne e.a./Commission, précité, point 48).

78      En conséquence, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens invoqués par la République italienne et par Wam, il convient d’annuler la décision attaquée pour insuffisance de motivation dans la mesure où elle ne contient pas d’éléments suffisants permettant de conclure que toutes les conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE sont remplies.

79      Par ailleurs, dans l’affaire T‑304/04, s’agissant du chef de conclusion visant l’annulation de tout acte connexe ou préalable à la décision attaquée, s’il en existe, le Tribunal relève qu’il manque de la précision suffisante quant à son objet et est, dès lors, irrecevable, en application de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. Enfin, dans l’affaire T‑316/04, il y a lieu de rejeter la demande de mesures d’instruction présentée par Wam dès lors que le Tribunal a pu utilement statuer sur la base des conclusions, moyens et arguments développés en cours d’instance et au vu des documents déposés par les parties.

 Sur les dépens

80      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens. Dans l’affaire T‑316/04, il y a également lieu de condamner la Commission à supporter les dépens afférents à la procédure de référé.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision 2006/177/CE de la Commission, du 19 mai 2004, concernant l’aide d’État C 4/2003 (ex NN 102/2002) mise à exécution par l’Italie en faveur de Wam SpA (JO 2006, L 63, p. 11) est annulée.

2)      Le surplus des recours est rejeté.

3)      La Commission supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés, dans l’affaire T-304/04, par la République italienne et, dans l’affaire T‑316/04, par Wam, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

Pirrung

Forwood

Papasavvas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 septembre 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. Pirrung


* Langue de procédure : l'italien.