Language of document : ECLI:EU:T:2021:631

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

29 septembre 2021 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Expertises réalisées par Europol aux fins d’une procédure pénale nationale – Prétendue divulgation non autorisée de données – Règlement (UE) 2016/794 – Article 50, paragraphe 1 – Préjudice moral – Lien de causalité »

Dans l’affaire T‑528/20,

Marián Kočner, demeurant à Bratislava (Slovaquie), représenté par Mes M. Mandzák et M. Para, avocats,

partie requérante,

contre

Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol), représentée par MM. A. Nunzi, B. De Buck, T. Zwingler et Mme A. van Oostenbrugge, en qualité d’agents, assistés de Mes G. Ziegenhorn, M. Kottmann et S. Schulz-Große, avocats,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume d’Espagne, représenté par M. J. Rodríguez de la Rúa Puig, en qualité d’agent,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation de préjudices que le requérant aurait prétendument subis du fait de la divulgation par Europol de données à caractère personnel et de l’inscription par Europol de son nom sur les « listes de mafieux »,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen (rapporteur), président, R. Barents et C. Mac Eochaidh, juges,

greffier : Mme R. Ūkelytė, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 30 juin 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        À la suite de l’assassinat en Slovaquie, le 21 février 2018, d’un journaliste slovaque et de sa fiancée, M. J. Kuciak et Mme M. Kušnírová, les autorités pénales slovaques ont mené une vaste enquête.

2        Dans le cadre de cette enquête, l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol) a apporté son soutien aux autorités slovaques, en application de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2016/794 du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2016, relatif à Europol et remplaçant et abrogeant les décisions du Conseil 2009/371/JAI, 2009/934/JAI, 2009/935/JAI, 2009/936/JAI et 2009/968/JAI (JO 2016, L 135, p. 53).

3        Le soutien fourni par Europol aux autorités slovaques a porté, pour ce qui concerne le présent recours, d’une part, sur deux téléphones portables identifiés sous les numéros 1K et 2K et qui auraient appartenu au requérant, M. Marián Kočner (ci-après les « téléphones portables en cause »), et, d’autre part, sur un support de stockage USB.

4        Concernant les téléphones portables en cause, la Národná kriminálna agentúra (Agence nationale de lutte contre la criminalité, Slovaquie, ci-après la « NAKA ») les a remis à Europol le 10 octobre 2018 et, le même jour, a demandé à cette agence de se procurer et d’extraire les données stockées sur ceux-ci.

5        Le 21 juin 2019, Europol a communiqué à la NAKA les rapports scientifiques définitifs relatifs aux opérations effectuées sur les téléphones portables en cause.

6        Selon Europol, cette communication a été précédée, le 23 octobre 2018, de la remise par cette agence à la NAKA d’un disque dur contenant les données cryptées extraites notamment des téléphones portables en cause et, le 13 février 2019, de la remise par Europol à la NAKA desdits téléphones portables.

7        À titre de preuve de ces remises, Europol fournit la copie d’un procès‑verbal à en-tête officiel de la NAKA, daté du 23 octobre 2018, mentionnant la référence PPZ-203/NKA-PZ-ZA-2018 et signé par le chef de l’équipe d’enquête, A, (ci-après le « procès-verbal du 23 octobre 2018 ») ainsi que celle d’un formulaire de réception/remise de preuves, daté du 13 février 2019, portant la même référence, listant notamment les téléphones portables en cause et signé tant par le livreur que par le destinataire des preuves (ci-après le « formulaire de réception/remise du 13 février 2019 »).

8        Le procès-verbal du 23 octobre 2018 est libellé dans les termes suivants :

« Ce jour, le 23 octobre 2018, à 1 h 30, m’a été remis un disque externe HDD de couleur noire contenant les résultats provisoires de l’enquête d’Europol, récupéré par décision[s] du 8 octobre 2018 et du 10 octobre 2018. Ledit disque externe a été apporté personnellement par l’employé d’Europol B, depuis le siège d’Europol à La Haye [Pays-Bas].

Le disque en question contient des résultats provisoires sous la forme d’acquisitions et d’extractions de la mémoire pour les preuves 1Z (carte SIM uniquement), 2Z, 3Z, 4Z (carte SIM uniquement), 5Z, 6Z, 7Z, 8Z, 1K, 2K.

Le contenu dudit disque HDD est protégé par un mot de passe qui m’a été communiqué. »

9        Concernant le support de stockage USB, la NAKA a sollicité l’assistance d’Europol le 17 octobre 2018 afin d’examiner les données contenues, notamment, dans celui-ci.

10      Dans son rapport, portant la référence ITOC2019‑0015, du 13 janvier 2019 (ci-après le « rapport du 13 janvier 2019 »), transmis à la NAKA le 14 février 2019, Europol a énoncé ce qui suit, sous un intitulé « Contexte (historique) » :

« [Le requérant] est placé en détention pour présomption de délit financier depuis le 20 juin 2018. Son nom est, entre autres, directement lié aux listes dites mafieuses et aux Panama Papers. »

11      Le 1er avril 2019, les autorités pénales slovaques auraient fait usage des informations contenues dans les téléphones portables en cause dans le cadre d’une procédure pénale mettant en cause le requérant. De même, il ressortirait d’un procès-verbal des services de police slovaques du 18 juin 2019 que ces autorités ont procédé à une analyse complète des données contenues dans les téléphones portables en cause.

12      De plus, divers articles de presse ainsi que des sites Internet, dont celui d’un réseau international de journalistes d’investigation, auraient fait état d’un volume très important d’informations relatives au requérant issues notamment des téléphones portables en cause et auraient mis ces informations à la disposition du public. En particulier, les 20 et 29 mai 2019, plusieurs articles de presse auraient évoqué les données provenant de ces téléphones. De même, le 19 mai 2020, un site Internet aurait publié une sélection de documents relatifs au requérant et, en particulier, des transcriptions des communications intimes échangées entre celui-ci et une amie au moyen d’un service de messagerie cryptée et contenues dans lesdits téléphones, laquelle sélection aurait ensuite été utilisée par la presse slovaque le 21 mai 2020.

13      Par ailleurs, par courrier du 4 mai 2020, le requérant a réclamé à Europol, sur le fondement de l’article 50, paragraphe 1, du règlement 2016/794, une indemnisation d’un montant de 100 000 euros.

14      Cette indemnisation constituerait la réparation du préjudice moral que le requérant estime avoir subi à un double titre, du fait de l’atteinte à son droit à la vie privée et familiale. Ce préjudice résulterait, d’une part, de la publication dans la presse et sur Internet de données personnelles et, en particulier, de la publication des transcriptions de ses communications à caractère intime et sexuel. D’autre part, ledit préjudice découlerait de l’inscription de son nom sur les « listes des mafieux », prétendument du fait du rapport du 13 janvier 2019, dans la mesure où la presse s’en serait fait l’écho à la suite de fuites portant sur le dossier de la procédure pénale nationale relative à l’assassinat de M. Kuciak et de Mme Kušnírová, lequel dossier inclut ledit rapport.

15      À la suite de l’enquête menée par les autorités slovaques et visée au point 1 ci-dessus, le requérant a été poursuivi pour complicité, en sa qualité de commanditaire, dans l’assassinat de M. Kuciak et de Mme Kušnírová.

16      Le 3 septembre 2020, les juridictions de première instance slovaques ont acquitté le requérant. Le 15 juin 2021, le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque) a annulé le jugement de première instance et a renvoyé l’affaire.

 Procédure et conclusions des parties

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 août 2020, le requérant a introduit le présent recours.

18      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 16 septembre 2020, le requérant a sollicité, en application de l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, l’omission à l’égard du public de certaines données figurant dans la requête et révélant le nom de plusieurs personnes ainsi que celle de la transcription des échanges à caractère intime et sexuel avec une amie, visée au point 12 ci-dessus.

19      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 26 octobre 2020, le Royaume d’Espagne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions d’Europol. Le requérant a présenté ses observations sur cette demande dans le délai imparti et a indiqué qu’il ne s’opposait pas à ladite demande.

20      Europol a déposé le mémoire en défense 12 novembre 2020.

21      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 20 novembre 2020, le requérant a présenté des offres de preuves, conformément à l’article 85, paragraphe 2, du règlement de procédure. Europol a présenté ses observations sur lesdites preuves dans le délai imparti et a soutenu qu’elles étaient irrecevables.

22      Par la même lettre, le requérant a présenté une demande d’audition de A et de B en tant que témoins, demande qui a été interprétée par le Tribunal comme une demande de mesure d’instruction au sens de l’article 91, sous d), du règlement de procédure. Europol a présenté ses observations sur ladite demande dans le délai imparti et a soutenu qu’elle était irrecevable.

23      Par décision du 25 novembre 2020, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis le Royaume d’Espagne à intervenir au soutien d’Europol.

24      La réplique et la duplique ont été déposées, respectivement, les 7 janvier et 4 mars 2021.

25      Le 14 janvier 2021, le Royaume d’Espagne a déposé son mémoire en intervention, sur lequel seul le requérant a déposé ses observations, le 16 février 2021.

26      À la suite de la clôture de la phase écrite de la procédure, le requérant a introduit, le 21 mars 2021, une demande motivée d’audience de plaidoiries. Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure le 6 mai 2021.

27      Par lettre du 13 mai 2021, le Royaume d’Espagne a renoncé à participer à l’audience.

28      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 30 juin 2021.

29      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner Europol à lui verser la somme de 100 000 euros ;

–        condamner Europol aux dépens.

30      Europol conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

31      Le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

32      Par le présent recours, le requérant se prévaut de deux comportements dommageables distincts, nés d’opérations de traitement de données, selon lui, illicites et réclame la réparation des préjudices moraux résultant de ces comportements, sur le fondement des articles 268 et 340 TFUE ainsi que de l’article 50, paragraphe 1, du règlement 2016/794.

33      En vertu de cette dernière disposition, toute personne physique ayant subi un dommage du fait d’une opération de traitement de données illicite a le droit d’obtenir réparation du préjudice subi, soit d’Europol conformément à l’article 340 TFUE, soit de l’État membre où le fait dommageable s’est produit, conformément à son droit national.

34      Le requérant ayant saisi le Tribunal d’un recours dirigé contre Europol, c’est sur le fondement des articles 268 et 340 TFUE que son recours doit être examiné.

 Sur le premier chef de demande

35      Le requérant demande la réparation à hauteur de 50 000 euros du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de la divulgation au public par Europol de données à caractère personnel provenant des téléphones portables en cause, données qui, par la suite, auraient été mises à disposition du public sur Internet et reprises par la presse slovaque. Cette divulgation de données à caractère personnel aurait porté atteinte à son honneur et à sa réputation professionnelle, à son droit à la vie privée et familiale ainsi qu’à son droit au respect de ses communications, droits garantis par l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

 Sur la recevabilité

36      Europol estime que le premier chef de demande en réparation est irrecevable pour trois motifs.

37      Premièrement, la requête ne ferait pas clairement apparaître que le comportement prétendument illégal d’Europol affecterait effectivement le requérant, dès lors que celui-ci n’admettrait pas avoir utilisé les téléphones portables en cause, ni que les données provenaient effectivement de ces téléphones et que les informations publiées le concernaient. Deuxièmement, la requête se limiterait à des spéculations dénuées de tout fondement selon lesquelles Europol aurait manqué à son obligation de mettre en œuvre des mesures techniques et organisationnelles adéquates, conduisant à la fuite alléguée de données personnelles du requérant. Troisièmement, le requérant n’aurait pas exposé l’étendue et la nature du préjudice dont il se prévalait, compte tenu notamment des expressions génériques et vagues qu’il aurait employées.

38      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lu conjointement avec l’article 53, premier alinéa, de ce statut et de l’article 76, sous d) et f), du règlement de procédure, une requête tendant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution de l’Union européenne doit contenir les éléments, les preuves ou les offres de preuve qui permettent d’identifier le comportement que le requérant reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu’il prétend avoir subi, ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 53 et jurisprudence citée).

39      En l’espèce, d’une part, s’agissant des fins de non-recevoir tirées, en substance, de l’insuffisance de preuve de l’affectation du requérant par la divulgation des données à caractère personnel en cause ainsi que du caractère spéculatif de la violation par Europol du règlement 2016/794, il y a lieu de constater que de telles questions ne relèvent pas de l’appréciation de la recevabilité du premier chef de demande en réparation, mais de celle de son bien-fondé, à savoir l’existence, respectivement, du dommage allégué par le requérant et d’une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union imputable à Europol.

40      Partant, les première et deuxième fins de non-recevoir dirigées contre le premier chef de demande en réparation doivent être écartées.

41      D’autre part, s’agissant de la troisième fin de non-recevoir dirigée contre le premier chef de demande en réparation, celle-ci soulève deux questions distinctes, à savoir celle de l’étendue du préjudice allégué par le requérant et celle de la nature de celui-ci.

42      Concernant l’étendue du préjudice allégué, il y a lieu de constater que le requérant reproche à Europol d’avoir divulgué un volume important de données à caractère personnel issues des téléphones portables en cause.

43      Au nombre des données divulguées, il se limite à viser, d’une part, les transcriptions des conversations à caractère intime et sexuel entre lui‑même et son amie, et, d’autre part, des photographies « de nature hautement confidentielle », dont certaines dévoilant cette amie dévêtue.

44      Or, seule la divulgation des transcriptions desdites conversations est soutenue par des preuves documentaires, en l’occurrence, la copie d’articles de presse ainsi qu’une attestation produite par un cabinet d’avocats, à laquelle est annexée la transcription de plusieurs conversations à caractère intime et sexuel intervenues entre le 26 septembre 2017 et le 15 mai 2018, qui sont reprises d’un site Internet.

45      En revanche, s’agissant des photographies évoquées au point 43 ci‑dessus, le requérant ne fournit aucun élément de nature à établir directement ou indirectement la réalité de la divulgation de ces photographies.

46      Dès lors, si le premier chef de demande en réparation ne saurait être irrecevable dans son ensemble, son examen doit être limité au préjudice résultant prétendument de la seule divulgation des transcriptions des conversations à caractère intime et sexuel entre le requérant et son amie.

47      Concernant la nature du préjudice allégué, le requérant fait valoir que la divulgation des données à caractère personnel qu’il impute à Europol lui a causé un sentiment d’injustice et de frustration, a porté atteinte à son honneur et à sa réputation professionnelle, à son droit à la vie privée et familiale ainsi qu’à son droit au respect de ses communications, droits garantis par l’article 7 de la Charte.

48      Une telle énonciation permet à l’évidence au Tribunal d’identifier la nature du dommage dont le requérant se prévaut et qu’il qualifie expressément de dommage moral.

49      Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que le premier chef de demande est recevable uniquement en ce que le requérant se prévaut d’un dommage moral né de la prétendue divulgation par Europol des transcriptions des conversations à caractère intime et sexuel entre lui-même et son amie.

 Sur le fond

50      Le requérant fait valoir que la divulgation des transcriptions des conversations à caractère intime et sexuel échangées entre lui-même et son amie est nécessairement imputable à Europol et constitue une violation de l’article 32, paragraphe 1, du règlement 2016/794, dès lors que l’utilisation de ces transcriptions par les autorités slovaques, leur publication par la presse slovaque ainsi que leur mise à disposition sur Internet sont intervenues à un moment où seule Europol détenait les téléphones portables contenant ces conversations.

51      En effet, ces téléphones portables auraient été remis à Europol par les autorités slovaques le 10 octobre 2018 et retournés par cette agence à ces mêmes autorités le 21 juin 2019. Or, les transcriptions des conversations en cause auraient été utilisées par les autorités pénales slovaques à compter du 1er avril 2019, diffusées sur Internet le 19 mai 2020 et publiées dans la presse slovaque le 21 mai 2019.

52      Europol, qui est soutenue par le Royaume d’Espagne, fait valoir que le premier chef de demande en réparation est manifestement non fondé dans la mesure où il repose sur l’hypothèse selon laquelle les données obtenues et extraites des téléphones portables en cause ont été divulguées par cette agence. Or, ce fait ne serait pas établi.

53      À cet égard, d’une part, cette agence indique qu’elle a acquis et extrait les données concernées des téléphones portables en cause, le 15 octobre 2018, et que cette opération a uniquement consisté à extraire des fichiers cryptés qui ont été décryptés ultérieurement par les autorités slovaques, ce que confirmerait le requérant dans la requête et ce qui implique qu’Europol n’a jamais disposé des données concernées sous une forme décryptée et intelligible. À ce sujet, elle précise, en renvoyant au procès-verbal du 23 octobre 2018 et au formulaire de réception/remise du 13 février 2019, annexés au mémoire en défense, que lesdites données ainsi qu’un disque dur les contenant ont été transmis à la NAKA le 23 octobre 2018, et que les téléphones portables en cause dont ces mêmes données ont été extraites ont été restitués à la NAKA le 13 février 2019. Europol relève encore que la date du 21 juin 2019 correspond uniquement à la remise de ses rapports scientifiques définitifs aux autorités slovaques, marquant la clôture de son intervention.

54      D’autre part, Europol indique que le requérant a annexé à la requête un article de presse du 29 janvier 2019 selon lequel les transcriptions des communications intimes du requérant auraient été divulguées à la suite d’une fuite du dossier pénal national.

55      Le requérant conteste ensuite la fiabilité et l’authenticité du procès-verbal du 23 octobre 2018 attestant de la remise par Europol à la NAKA d’un disque dur contenant les données extraites des téléphones portables en cause et des transcriptions qu’ils contenaient.

56      À cet égard, il fait valoir que ce procès‑verbal ne figure pas dans le dossier national d’enquête alors que la réglementation slovaque l’exigerait. De plus, une telle remise en échange d’un simple procès-verbal, plutôt qu’au moyen de l’application de réseau d’échange sécurisé d’informations (SIENA), serait contraire à l’exigence de protection des données. En outre, ledit procès-verbal ne mentionnerait pas le numéro de fabrication du disque dur qui aurait été remis. Dans le même sens, le requérant soutient que, en réalité, aucune remise partielle d’informations aux autorités slovaques n’aurait été effectuée avant le 21 juin 2019. Cela ressortirait de la transcription de l’enregistrement audio d’une audience tenue, le 6 février 2020, devant le Špecializovaný trestný súd v Pezinku (cour pénale spécialisée de Pezinok, Slovaquie), dans une affaire enregistrée sous la référence  PK-2T/32/2019 mettant en cause le requérant. Enfin, ce dernier indique qu’il serait illogique et inexplicable qu’Europol n’ait remis que le 21 juin 2019 les résultats de l’acquisition et de l’extraction des données, si cette agence avait effectué ces opérations dès le 23 octobre 2018.

57      Europol conteste l’interprétation effectuée par le requérant de la transcription de l’enregistrement audio de l’audience du 6 février 2020. Selon cette agence, cette transcription fait uniquement ressortir que les rapports scientifiques définitifs ont été remis le 21 juin 2019. De plus, Europol relève que le requérant met lui‑même en doute la fiabilité de ladite transcription, qui, selon ce dernier, serait incomplète et différerait de l’enregistrement audio de ladite audience, sans pour autant fournir cet enregistrement au Tribunal.

58      À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

59      Il en découle, d’une part, que l’article 340, deuxième alinéa, TFUE ne donne compétence au juge de l’Union que pour réparer les dommages causés par les institutions de l’Union ou les agents de celles-ci agissant dans l’exercice de leurs fonctions, c’est-à-dire pour réparer les dommages susceptibles de mettre en jeu la responsabilité non contractuelle de l’Union (voir ordonnance du 9 juillet 2019, Scaloni et Figini/Commission, T‑158/18, non publiée, EU:T:2019:491, point 19 et jurisprudence citée).

60      À cet égard, il est de jurisprudence constante que la notion d’« institution », au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, englobe non seulement les institutions de l’Union énumérées à l’article 13, paragraphe 1, TUE, mais aussi tous les organes et organismes de l’Union institués par les traités, ou en vertu de ceux-ci, et destinés à contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union (voir arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 80 et jurisprudence citée), en ce comprises les agences de l’Union.

61      D’autre part, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion de trois conditions cumulatives, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution de l’Union, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement de cette institution et le dommage invoqué (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 79).

62      En l’espèce, le premier chef de demande en réparation est fondé sur la prémisse selon laquelle le dommage allégué est la conséquence directe du comportement d’Europol, une agence de l’Union, et, partant, lui serait imputable.

63      Le requérant estime que le dommage qu’il prétend avoir subi du fait de l’utilisation par les autorités pénales slovaques, à compter du 1er avril 2019, et de la publication par la presse slovaque, à compter du 20 mai 2019, des transcriptions des conversations à caractère intime et sexuel échangées entre lui-même et son amie est directement imputable à Europol.

64      Au soutien de cette allégation, il fait valoir que, auxdites dates, seule Europol disposait des téléphones portables en cause et des transcriptions qu’ils contenaient, lesquels téléphones n’auraient été restitués aux autorités slovaques que le 21 juin 2019, soit postérieurement à leur utilisation par les autorités pénales slovaques ou à leur publication par la presse slovaque.

65      Il ressort toutefois des éléments de preuve fournis par Europol que cette prémisse se révèle être erronée.

66      En effet, premièrement, il ressort du procès-verbal du 23 octobre 2018 que, à cette date, la NAKA, en la personne du chef de l’équipe d’enquête, A, s’est effectivement vu remettre par un agent d’Europol un disque dur contenant des résultats préliminaires prenant la forme d’acquisitions et d’extractions de données des téléphones portables en cause.

67      De même, il ressort du formulaire de réception/remise du 13 février 2019 que, à cette même date, la NAKA, en la personne du même chef de l’équipe d’enquête, A, s’est également vu remettre par Europol, notamment, les deux téléphones portables en cause.

68      Il en découle que, le 23 octobre 2018, les autorités slovaques disposaient des données provenant desdits téléphones portables et que, à compter de cette même date, Europol n’était plus la seule entité à disposer de ces données. Ce constat est d’ailleurs corroboré par le rappel des faits effectué par le requérant lui-même qui indique, dans la requête, que, le 1er avril 2019, les autorités pénales slovaques ont fait usage desdites données, ainsi que cela est rappelé au point 63 ci-dessus.

69      Le requérant ne peut donc se prévaloir de la remise par Europol, le 21 juin 2019, de ses rapports scientifiques finaux pour en déduire que, avant cette date, cette agence aurait été seule en possession des conversations ayant été utilisées par les autorités slovaques ou divulguées par la presse slovaque aux mois d’avril et de mai 2019.

70      Cette conclusion n’est également pas remise en cause par l’allégation du requérant selon laquelle le procès-verbal du 23 octobre 2018 doit être considéré comme n’étant ni authentique ni fiable.

71      D’une part, s’agissant de l’authenticité du procès-verbal du 23 octobre 2018, l’éventuel défaut d’intégration dans le dossier d’une procédure pénale nationale d’un document par lequel les autorités d’un État membre attestent de la réception de pièces ayant fait l’objet d’un traitement par Europol dans le cadre d’une demande de coopération sur le fondement des articles 3 et 4 du règlement 2016/794 ne saurait en tant que tel emporter de conséquences sur l’authenticité de ce document dans le cadre d’un litige porté devant le juge de l’Union.

72      L’usage ultérieur qui est fait des documents élaborés à l’occasion de coopérations entre les autorités compétentes d’un État membre et Europol ne saurait affecter la régularité de cette coopération qui est gouvernée par le règlement 2016/794 et dont il ne ressort pas que la remise des résultats d’opérations telles que celles réalisées par Europol en l’espèce requiert une forme particulière concernant l’identification par numéro de série des supports de transport des données ou une procédure particulière, telle que le recours à l’application SIENA.

73      De même, l’allégation du requérant selon laquelle il n’a pas été en mesure d’obtenir d’explications de la part des autorités slovaques quant à l’absence du procès-verbal du 23 octobre 2018 dans le dossier pénal national le concernant n’est pas à même de faire naître de doutes suffisant quant à l’authenticité de ce document.

74      À l’occasion de l’audience de plaidoiries, le requérant a également contesté l’authenticité du procès-verbal du 23 octobre 2018 remis par la NAKA au motif que celui-ci aurait été antidaté par Europol.

75      À cet égard, il convient de relever que cette argumentation n’est assortie d’aucun commencement de preuve permettant de laisser croire qu’Europol aurait altéré soit ce procès‑verbal rédigé par la NAKA et faisant état de la réception par un agent de la NAKA du disque dur contenant notamment les résultats provisoires sous la forme d’acquisitions et d’extractions de la mémoire des téléphones portables en cause, soit la copie de celui-ci versée au dossier par Europol.

76      En effet, le Tribunal relève que ce document se présente sur un papier à en-tête officiel de la NAKA, vise un dossier identifié et a été daté ainsi que signé par un agent de la NAKA nommément identifié qui indique prendre réception du disque dur concerné de la part d’un agent, également nommément identifié, d’Europol.

77      De plus, le Tribunal observe que le requérant n’a nullement allégué au stade de la réplique le caractère altéré du procès-verbal du 23 octobre 2018 ou de sa copie, alors même que ce procès-verbal avait été annexé par Europol au mémoire en défense et que, dans ladite réplique, il s’est limité à contester l’authenticité de celui-ci au motif qu’il n’aurait pas été versé au dossier pénal national le concernant, en violation de la réglementation slovaque.

78      Dès lors, l’authenticité du 23 octobre 2018 ou de sa copie versée au dossier par Europol ne peut être mise en doute.

79      D’autre part, s’agissant de la fiabilité de ce procès-verbal, il y a lieu de rappeler que, en l’absence d’une réglementation de l’Union sur la notion de preuve, le juge de l’Union a consacré un principe de libre administration ou de liberté des moyens de preuve, lequel doit être compris comme étant la faculté de se prévaloir, pour prouver un fait donné, de moyens de preuve de toute nature, tels des témoignages, des preuves documentaires, des aveux, etc. Corrélativement, le juge de l’Union a consacré un principe de libre appréciation de la preuve, selon lequel la détermination de la crédibilité ou, en d’autres termes, de la valeur probante d’un élément de preuve est laissée à l’intime conviction du juge (voir arrêt du 13 décembre 2018, Iran Insurance/Conseil, T‑558/15, EU:T:2018:945, point 153 et jurisprudence citée).

80      Pour établir la valeur probante d’un document, il faut tenir compte de plusieurs éléments, tels que l’origine du document, les circonstances de son élaboration, son destinataire, son contenu, et se demander si, d’après ces éléments, l’information qu’il contient paraît sensée et fiable (voir arrêt du 13 décembre 2018, Iran Insurance/Conseil, T‑558/15, EU:T:2018:945, point 154 et jurisprudence citée).

81      Or, il doit être constaté que le procès-verbal du 23 octobre 2018 indique avec précision les pièces et données remises par l’agent d’Europol à l’agent de la NAKA, le dossier auquel les pièces et données sont associées, la modalité de remise de celles-ci, les qualités des agents en cause ainsi que la date et l’heure de la remise.

82      De plus, la force probante du procès-verbal du 23 octobre 2018 n’est pas affectée par l’allégation du requérant selon laquelle la transcription de l’enregistrement audio de l’audience tenue, le 6 février 2020, devant le Špecializovaný trestný súd v Pezinku (cour pénale spécialisée de Pezinok), dans l’affaire portant la référence PK-2T/32/2019, et plus particulièrement du témoignage d’un agent d’Europol entendu lors de cette audience, C, établirait qu’aucune remise d’informations aux services de police slovaques n’aurait été effectuée avant le 21 juin 2019.

83      En effet, d’une part, comme le relève Europol, la transcription relative à ladite audience fait uniquement apparaître que l’agent d’Europol atteste que des éléments, d’ailleurs non clairement identifiés, ont été remis par cette agence le 21 juin 2019, sans qu’il puisse en être déduit qu’il s’agisse des seuls éléments jamais transmis par Europol aux autorités slovaques ou qu’il s’agisse d’éléments autres que les rapports scientifiques établis par ladite agence. D’autre part, le requérant lui‑même met en doute la fiabilité de cette transcription en indiquant que celle-ci ne constitue pas une transcription littérale de l’audience.

84      Partant, le procès-verbal du 23 octobre 2018 doit être considéré comme fiable pour établir que, à compter de cette date, Europol n’était pas la seule entité en possession des données contenues dans les téléphones portables en cause et que, au contraire, les autorités slovaques disposaient également de ces données.

85      À cet égard, il convient d’ajouter que, lors de l’audience, le requérant a d’ailleurs admis, en réponse à une question du Tribunal, que, si ce dernier devait admettre l’authenticité et la force probante du procès‑verbal du 23 octobre 2018, il serait établi que, au jour de la première publication des conversations litigieuses dans la presse slovaque, le 20 mai 2019, non seulement Europol, mais également les autorités slovaques étaient en possession des données contenues dans les téléphones portables en cause.

86      Deuxièmement, il est avéré qu’Europol n’a jamais eu la disposition des communications litigieuses sous une forme décryptée et intelligible. En effet, c’est uniquement après la remise à la NAKA des données contenues dans les téléphones portables en cause que la NAKA les a décryptées et a rendu intelligibles lesdites communications.

87      À cet égard, il ressort de la déclaration d’un témoin contenue dans la transcription de l’audience visée au point 82 ci-dessus, à laquelle renvoie Europol à titre de confirmation de ses affirmations, que cette agence a limité ses opérations à l’acquisition et à l’extraction des données cryptées contenues dans les téléphones portables en cause, comme cela est d’ailleurs corroboré par le procès-verbal du 23 octobre 2018, et que les données reçues par les autorités slovaques étaient cryptées. Un tel constat se révèle d’ailleurs confirmé par le requérant lui‑même qui, dans la requête, a indiqué qu’Europol a uniquement « procédé à l’acquisition et à l’extraction des données [en cause avant qu’elles ne soient] communiquées aux services de police slovaques ».

88      De plus, l’affirmation d’Europol selon laquelle cette agence n’a jamais traité les données litigieuses sous une forme décryptée et intelligible doit se voir reconnaître une présomption de véracité (voir, par analogie, arrêts du 30 janvier 2008, Terezakis/Commission, T‑380/04, non publié, EU:T:2008:19, point 155, et du 19 janvier 2010, Co-Frutta/Commission, T‑355/04 et T‑446/04, EU:T:2010:15, point 155, et ordonnance du 25 novembre 2010, K/Eurojust College, T‑277/10 AJ, non publiée, EU:T:2010:485, point 7, et jurisprudence citée), sauf à imposer à ladite agence de démontrer qu’elle n’a effectivement pas traité lesdites données, ce qui ferait peser sur elle une preuve négative et, partant, impossible (probatio diabolica) (voir, par analogie, arrêt du 11 avril 2013, Mindo/Commission, C‑652/11 P, EU:C:2013:229, point 50, et conclusions de l’avocat général Mischo dans l’affaire Greenpeace France e.a., C‑6/99, EU:C:1999:587, point 72).

89      Une telle présomption peut certes être renversée par tous moyens, sur la base d’indices pertinents et concordants (voir, en ce sens, arrêt du 19 janvier 2010, Co-Frutta/Commission, T‑355/04 et T‑446/04, EU:T:2010:15, point 155 et jurisprudence citée). Toutefois, tel n’est pas le cas en l’espèce. Aucun des éléments fournis par le requérant ne remet en cause l’affirmation étayée d’Europol. De même, rien n’accrédite la thèse selon laquelle cette agence se serait livrée à des opérations de décryptage des données contenues dans les téléphones portables en cause après avoir effectué les opérations d’acquisition et d’extraction ou après avoir transmis ces données ou restitué les téléphones portables en cause aux autorités slovaques.

90      Troisièmement, Europol renvoie à un article de presse du 29 janvier 2019, annexé par le requérant à la requête, selon lequel des informations provenant du dossier national d’enquête sur le meurtre de M. Kuciak et de Mme Kušnírová auraient fait l’objet d’une fuite, tendant ainsi à confirmer que la divulgation des transcriptions des conversations à caractère intime et sexuel échangées entre le requérant et son amie n’était pas imputable à cette agence.

91      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de constater que le requérant n’a pas rapporté la preuve d’un lien de causalité suffisamment établi entre le dommage allégué dans le cadre de son premier chef de demande en réparation et un éventuel comportement d’Europol.

92      Cette conclusion, tirée de l’absence d’imputabilité à Europol de la divulgation de données, n’est remise en cause ni par le considérant 57 du règlement 2016/794, ni par l’article 49, paragraphe 3, de ce règlement, ni encore par l’article 50 dudit règlement, dont se prévaut le requérant.

93      En effet, d’une part, l’article 49, paragraphe 3, et l’article 50, paragraphe 1, du règlement 2016/794 se limitent à préciser que, en matière de responsabilité extracontractuelle et tout particulièrement de responsabilité résultant d’opérations de traitement illicite de données, Europol doit réparer tout dommage causé par ses services ou par son personnel dans l’exercice de leurs fonctions, conformément aux conditions fixées à l’article 340 TFUE. Or, il a été constaté au point 91 ci-dessus que ces conditions n’étaient pas réunies en l’espèce.

94      D’autre part, si, certes, le considérant 57 du règlement 2016/794 énonce, en substance, qu’Europol et l’État membre dans lequel s’est produit le dommage né d’un traitement illicite de données par cette agence ou de cet État membre sont solidairement responsables de ce dommage, force est de constater que ce mécanisme de solidarité ne trouve ni expression ni fondement dans les dispositions de ce règlement.

95      Or, le préambule d’un acte de l’Union n’a pas de valeur juridique contraignante et ne saurait être invoqué pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné (arrêt du 19 novembre 1998, Nilsson e.a., C‑162/97, EU:C:1998:554, point 54), la fonction du préambule d’un acte de portée générale consistant uniquement à le motiver en indiquant, en règle générale, d’une part, la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption et, d’autre part, les objectifs généraux que celui-ci se propose d’atteindre. Ainsi, le considérant 57 du règlement 2016/794 ne saurait créer une responsabilité solidaire s’imposant à Europol en l’espèce.

96      Il résulte de ce qui précède que le premier chef de demande en réparation doit être rejeté comme étant non fondé, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les deux autres conditions d’engagement de la responsabilité de l’Union sont réunies.

 Sur le second chef de demande

97      Le requérant demande la réparation, à hauteur de 50 000 euros, du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de l’inscription par Europol de son nom sur les « listes des mafieux ».

98      Plus particulièrement, le requérant reproche à Europol une formulation contenue dans le rapport du 13 janvier 2019 et aux termes de laquelle « [le requérant] est placé en détention pour présomption de délit financier depuis le 20 juin 2018 » et « [s]on nom est, entre autres, directement lié aux listes des mafieux et aux Panama Papers ». Cette formulation aurait conduit la presse slovaque, qui aurait eu accès à un dossier d’enquête pénale mettant en cause le requérant et contenant ce rapport, à qualifier celui-ci, à compter de la fuite de ce dossier pénal, non plus comme un « entrepreneur controversé », mais, désormais, comme un « mafieux » ou comme une « personne figurant sur les listes des mafieux ». Ainsi, la coïncidence alléguée entre la date de ce rapport et la période à partir de laquelle la presse slovaque aurait commencé à employer ces qualificatifs établirait le lien de causalité directe entre l’inscription du nom du requérant sur les « liste des mafieux » par Europol et les dommages qui en auraient résulté pour celui-ci.

99      Le requérant fait valoir que l’inscription par Europol de son nom sur les « listes des mafieux », qui procède d’un traitement illégal de ses données à caractère personnel, lui a causé un sentiment d’injustice et de frustration et a porté atteinte à sa réputation, à son droit à la vie privée et familiale, à son droit à la protection des données à caractère personnel et à son droit à la présomption d’innocence, droits garantis, respectivement, par les articles 7, 8 et l’article 48, paragraphe 1, de la Charte. Ce traitement aurait, en outre, été effectué en violation du droit du requérant d’être entendu, et donc de l’article 41, paragraphe 2, de la Charte, ainsi qu’en violation du principe de proportionnalité, dans la mesure où Europol serait allée au-delà de la demande des autorités slovaques qui était limitée à l’examen de données techniques et ne supposait ni l’examen de la personne du requérant, ni de déterminer si le nom de celui-ci figurait sur les « listes des mafieux ». Enfin, en ce qu’Europol se prévaut de s’être appuyée sur des données accessibles au public, le requérant indique que cette agence aurait totalement ignoré les obligations lui incombant en vertu de l’article 29 du règlement 2016/794, dont le paragraphe 6 exige d’utiliser pour de telles données les codes d’évaluation visés aux paragraphes 1 et 2 de cet article.

100    Par ailleurs, le requérant estime que, même si Europol n’était pas à l’origine de l’inscription de son nom sur « les listes des mafieux », cette agence pourrait, en tout état de cause, en être tenue pour responsable, eu égard au considérant 57, à l’article 49, paragraphe 3, ainsi qu’à l’article 50 du règlement 2016/794.

101    Pour sa part, Europol, qui est soutenue par le Royaume d’Espagne, conteste le bien-fondé des arguments du requérant.

102    À cet égard, force est de constater que, si certes le requérant a dirigé le présent recours contre Europol, il ne fournit aucun élément de preuve à même d’établir que les « listes des mafieux » sur lesquelles son nom aurait été inscrit auraient été élaborées et tenues par une institution de l’Union au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE et, en particulier, par Europol.

103    Au contraire, le requérant indique lui-même, dans la requête, que « les “listes des mafieux” ne sont réglementées par aucun texte que ce soit au niveau du droit de l’Union ou du droit national [et qu’]il n’apparaît pas clairement qui tient ces listes, qui décide d’y inscrire des personnes ou de les en effacer, etc. ».

104    De plus, l’absence d’implication d’Europol dans l’élaboration et la tenue des « listes des mafieux » est corroborée par plusieurs articles de presse slovaques, communiqués tant par le requérant que par Europol, selon lesquels ces listes pourraient avoir été élaborées par les services de police slovaques.

105    Cette conclusion ne saurait être remise en cause ni par le considérant 57 du règlement 2016/794, ni par l’article 49, paragraphe 3, de ce règlement, ni encore par l’article 50 dudit règlement, pour les motifs énoncés aux points 92 à 95 ci-dessus.

106    Par ailleurs, à supposer que le second chef de demande en réparation du requérant doive être compris comme reprochant à Europol d’être à l’origine de l’évolution des qualificatifs utilisés par la presse slovaque à l’égard du requérant, en ce que ce dernier aurait été présenté non plus comme un « entrepreneur controversé », mais, désormais, comme un « mafieux » ou comme une « personne figurant sur les listes des mafieux », ce chef de demande se révèle dépourvu de fondement.

107    En effet, outre le fait que le rapport du 13 janvier 2019 se limite à indiquer que « [le] nom [du requérant] est, entre autres, directement lié aux listes dites mafieuses et aux Panama Papers », sans l’inscrire formellement sur une quelconque liste, le requérant n’apporte aucun élément de preuve de nature à établir que les informations publiées par la presse slovaque trouvent leur origine dans ce rapport. Notamment, le requérant ne fait état d’aucun article de presse faisant expressément référence audit rapport, d’ailleurs classifié par Europol comme « Restreint UE ». Il n’apporte pas non plus d’éléments permettant d’établir, à suffisance de droit, un lien de causalité entre la fuite dudit rapport et le fait que la presse slovaque aurait modifié, à compter du début de l’année 2019, la façon dont elle qualifiait le requérant.

108    De plus, la coïncidence temporelle alléguée par le requérant est contredite par les éléments de preuve fournis par le requérant lui-même ainsi que par Europol. En effet, le requérant renvoie, dans la requête, à un article de presse publié le 28 février 2012, qui est intitulé « Marián Kočner. Le mafieux qui n’existe pas » et aux termes duquel « [s]ur les listes dites “des mafieux”, qui ont fui de la police en 2005, l’entrepreneur Marián Kočner apparaît dans la rubrique “véhicules motorisés présentant un intérêt” ». De même, Europol se réfère à des articles de presse publiés le 21 juin 2005 et le 9 juillet 2017 faisant également référence à d’éventuelles implications mafieuses du requérant.

109    Il en découle que, bien avant le début de l’année 2019, la presse slovaque présentait occasionnellement le requérant comme étant un « mafieux » et non seulement comme un « entrepreneur controversé », ce qui exclut que cette présentation puisse trouver son origine dans la fuite du dossier pénal slovaque mettant en cause le requérant et contenant le rapport du 13 janvier 2019.

110    Dès lors, le dommage découlant prétendument de l’évolution des qualificatifs utilisés par la presse slovaque lorsqu’elle évoque le requérant n’est pas imputable à Europol. En conséquence, compte tenu du caractère cumulatif des conditions d’engagement de la responsabilité de l’Union rappelé au point 61 ci‑dessus, il n’est pas utile d’apprécier notamment si Europol aurait violé de façon suffisamment caractérisée une ou plusieurs règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

111    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le second chef de demande en réparation doit être rejeté comme étant non fondé, tout comme le recours dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les offres de preuves du requérant ainsi que sur ses demandes de mesures d’organisation de procédure et d’instruction, et en particulier sur leur recevabilité.

 Sur les dépens

112    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Europol, conformément aux conclusions de cette dernière.

113    En outre, aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Il s’ensuit que le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Marián Kočner est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol).

3)      Le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.

Svenningsen

Barents

Mac Eochaidh

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 septembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : le slovaque.